CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 12 mars 2025, n° 22/15966
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Al TP (SARL)
Défendeur :
Compagnie Immobilière Méditéranée Maisons Individuelles (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Bensaid, Me Ayoun, Me Porcher, Me Puchol
EXPOSE DU LITIGE
La SARL AL TP, entreprise de maçonnerie immatriculée le 9 février 2015, était un sous-traitant de la SARL Mas Provence Corepac (ci-après, « la SARL Corepac »), aux droits de laquelle vient la SAS Compagnie Immobilière Méditerranée Maisons individuelles (ci-après, « la SAS CIMMI »), qui exerce une activité de promoteur et de constructeur de maisons individuelles.
Le 21 juin 2016, la SARL Corepac, représentée à l'acte par monsieur [O], directeur de l'agence d'[Localité 5], a conclu avec la SARL AL TP un contrat intitulé « Protocole de partenariat » d'une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction. Aux termes de cet acte, la première s'engage à recommander exclusivement la seconde à ses clients pour leur proposer l'aménagement de leur terrain moyennant une rémunération au bénéfice de la SARL Corepac, susceptible de variation à l'issue de négociations avec le client, de 5 % du montant total HT de l'ensemble de la prestation dont le paiement s'effectue, soit par versement direct dans le mois de l'encaissement total du dossier concerné, soit par remise d'égale valeur sur des travaux à réaliser pour le compte de la SARL Corepac (article 3). Son article 5 stipulait une faculté de résiliation imposant un préavis de 15 jours.
Imputant à monsieur [O] la perception de commissions occultes, la SARL Corepac l'a licencié en fin d'année 2017 et a déposé devant le procureur de la République une plainte qui sera l'objet d'un classement sans suite. Estimant que la SARL AL TP était complice des agissements de son salarié, elle a suspendu le paiement de plusieurs factures à compter du 4 décembre 2017.
Par courriers des 18 décembre 2017 et 19 janvier 2018, la SARL AL TP mettait en demeure la SARL Corepac de lui régler la somme de 43 190 euros.
C'est dans ces circonstances que la SARL AL TP a, par acte d'huissier signifié le 18 mars 2018, assigné la SARL Corepac devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence en paiement de trois factures (14 340 euros) ainsi qu'en indemnisation du préjudice causé par sa résistance abusive. Par jugement du 21 octobre 2019, cette juridiction s'est déclarée incompétente au profit du tribunal de commerce de Marseille.
La SARL Corepac ayant réglé l'intégralité des factures litigieuses en cours d'instance, la SARL AL TP modifiait ses demandes en sollicitant l'indemnisation du préjudice causé par la rupture brutale de leurs relations commerciales établies.
Par jugement du 9 août 2022, le tribunal de commerce de Marseille a rejeté les demandes des parties et a condamné la SARL AL TP à supporter les entiers dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 9 septembre 2022, la SARL AL TP a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 6 juin 2023 par la voie électronique, la SARL AL TP demande à la cour, au visa de l'ancien article L 442-6 du code de commerce et du nouvel article L 442-de ce code :
- de juger recevable l'appel interjeté par la SARL AL TP ;
- en conséquence, d'infirmer le jugement rendu le 9 août 2022 par le tribunal de commerce de Marseille en ce qu'il a :
* débouté la SARL AL TP de l'ensemble de ses demandes ;
* condamné la SARL AL TP aux dépens ;
* rejeté pour le surplus toutes autres demandes contraires ;
- de réformer le jugement entrepris, et statuant à nouveau, de :
* juger que la SARL Corepac a engagé sa responsabilité en mettant fin brusquement à une relation commerciale établie et ce en violation des dispositions de l'article L 442-6 ancien du code de commerce devenu L 442-1, la SARL Corepac ayant en outre également engagé sa responsabilité contractuelle du fait des impayés de factures, et ce sur le fondement des dispositions de l'article 1231-6 du code civil ;
* condamner en conséquence la SARL Corepac à payer à la SARL AL TP la somme de 407 096 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;
* débouter la SARL Corepac de l'ensemble de ses demandes ;
* condamner la SARL Corepac au paiement de la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* la condamner aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 6 mars 2023, la SARL Corepac demande à la cour, au visa de l'article L 442-6 devenu L 442-1 du code de commerce :
- de confirmer, au besoin par substitution de motifs, le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 9 aout 2022 en ce qu'il a statué comme suit :
« déboute la Société AL TP de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions
condamne la Société AL TP aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu'énoncés par l'article 695 du Code de procédure civile, étant précisé que les droits, taxes et émoluments perçus par le secrétariat greffe de la juridiction sont liquidés à la somme de 74 ,18 € » ;
- et en conséquence, de débouter la SARL AL TP de l'intégralité de ses demandes ;
- d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 9 aout 2022 en ce qu'il a débouté la SARL Corepac de sa demande reconventionnelle et rejeté pour le surplus toutes ses autres demandes contraires aux dispositions du jugement ;
- de recevoir l'appel incident de la SAS CIMMI venant aux droits de la SARL Corepac, de le dire bien fondé et de réformer le jugement de ces chefs ;
- en conséquence, de condamner la SARL AL TP à payer à la SAS CIMMI la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- de condamner la SARL AL TP à payer à la SAS CIMMI la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile tant pour la première instance que l'instance d'appel ;
- de condamner la Société ALTP aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux arrêts postérieurs ainsi qu'aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 décembre 2024. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.
MOTIVATION
1°) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Moyens des parties
Au soutien de ses prétentions, la SARL AL TP expose que les « parties se trouvaient de longue date en relations d'affaires » en exécution de « divers contrats de sous-traitance » et du contrat de partenariat. Elle explique que la SARL Corepac les a rompues brutalement en cessant dès le 4 décembre 2017 de lui régler ses factures au motif que son gérant refusait de rédiger une attestation en la défaveur de monsieur [O] qu'elle venait de licencier, et en mettant un terme, sans la moindre notification écrite tant aux opérations de sous-traitance, y compris en interrompant les chantiers en cours, qu'au contrat de partenariat. Elle soutient que l'article L 442-6 I 5° du code de commerce, interprété extensivement en jurisprudence, est applicable sans égard pour le statut de la victime de la rupture à toute relation commerciale et régit le litige. Elle prétend que le refus abusif de paiement et la cessation de toute collaboration, qui a provoqué une chute de 82 % de son chiffre d'affaires assis sur les missions de sous-traitance (95 725 euros en 2017) et sur le partenariat (156 076 euros en 2017), a généré des difficultés de trésorerie entravant ses propres règlements, lui imposant le non-renouvellement de deux contrats de travail et la contraignant à cesser toute activité à compter du 31 décembre 2019. Invoquant sa situation de dépendance économique, elle sollicite une indemnisation égale à un an de marge brute en utilisant l'année 2017 comme référence (406 096 euros).
En réponse, la SAS CMMI expose que la SARL AL TP exécutait ses prestations dans le cadre d'un contrat de louage d'ouvrage qui n'est pas assimilable à l'activité de production, de distribution ou de services visée à l'article L 442-6 I 5° du code de commerce qui n'est de ce fait pas applicable au litige. Subsidiairement, elle soutient, sans pour autant présenter une demande en ce sens dans le dispositif de ses écritures, que le contrat de partenariat, produit tardivement aux débats, est nul pour avoir été conclu par monsieur [O] sans délégation de signature ou par un détournement de pouvoir en violation des articles 1153 et 1157 du code civil. Elle ajoute que la SARL AL TP ne prouve pas l'avoir exécuté, les versements éventuels ayant profité à monsieur [O] et non à la personne morale. Subsidiairement, elle prétend que ce partenariat ne porte pas sur des prestations de sous-traitance mais sur la présentation de clients à la SARL AL TP et qu'il n'est de ce fait pas soumis aux dispositions de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce. Plus subsidiairement, elle conteste le caractère « abusif » de la rupture en précisant que la suspension des paiements et la cessation des relations étaient justifiés par la fraude de monsieur [O] qui, à défaut d'avoir été pénalement reconnue, caractérise une faute civile, les paiements, à les supposer réels, ayant été adressés à ce dernier à titre personnel. Elle ajoute que la SARL AL TP a pu, malgré la cessation du partenariat, poursuivre ses relations avec ses clients. Elle conteste enfin le principe et la mesure du préjudice allégué ainsi que le lien de causalité avec la rupture.
Réponse de la cour
- Sur l'applicabilité de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce
En vertu de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce dans sa rédaction pertinente au regard de la date de la rupture alléguée, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
Intégré dans les dispositions du livre IV « De la liberté des prix et de la concurrence », l'article L 442-6 I 5° du code de commerce, dont l'application est indifférente à la qualité ou au statut de la victime (en ce sens, Com., 6 février 2007, n° 03-20.463), était, avant la réforme opérée par l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 supprimant la référence aux qualités de producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, interprété extensivement à la lumière de l'article introductif L 410-1 du code de commerce qui étend ses dispositions à toutes les activités de production, de distribution et de services (en ce sens, outre Com., 6 février 2007, n° 03-20.463, déjà cité qui l'appliquait à une association auteure de la rupture, Com. 14 septembre 2010, n° 09-14.322, pour une société d'assurance mutualiste à but non lucratif, Com., 25 janvier 2017, n° 15-13.013, pour une association exerçant une activité de production de distribution ou de service, et à Com., 3 avril 2013, n° 12-17.163, pour un comité d'entreprise).
Dès lors, ainsi que l'induit la lettre même de cette disposition, son application est conditionnée par l'activité économique de l'auteur de la rupture entendue largement et appréciée à l'aune de la nature des relations rompues, seule comptant la nature concrètement considérée de l'activité effectivement exercée par l'auteur de la rupture et sur laquelle est construite la relation en débat. A cet égard, la notion de relation commerciale, propre au droit des pratiques restrictives de concurrence, est appréciée dans une logique économique plus que juridique : n'impliquant aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'étant soumise à aucun formalisme, quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, elle peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de services (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664).
Les relations entre les parties portaient, peu important à ce stade la nullité éventuelle du contrat de partenariat qui n'est pas le support nécessaire de la relation commerciale et des opérations économiques effectuées par les parties, sur la réalisation d'une activité de construction en sous-traitance et la présentation de clients moyennant une rémunération, soit des activités économiques ayant permis à la SARL AL TP de dégager en 2017 un chiffre d'affaires ayant atteint 95 725 euros au titre de la sous-traitance et de facturer 156 076 euros à des clients finaux dans le cadre du partenariat (pièces 2 et 54 de l'appelante). Alors que la qualité des parties et l'objet de leur collaboration confèrent par nature à la relation un caractère commercial et que ces éléments révèlent l'existence d'un flux d'affaires, la présentation de la clientèle objet du contrat de partenariat, qui s'apparente à un référencement, est une prestation de service fournie par la SARL Corepac pour les besoins de sa propre activité économique.
Aussi, cette relation globalement appréciée entre dans le champ d'application de l'article L 442-6 5° du code de commerce.
- Sur les caractéristiques des relations commerciales
Au sens de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce, la relation est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque « la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale » et Com., 11 janvier 2023, n° 21-18.299, qui souligne l'importance pour la victime de démontrer la légitimité de sa croyance dans la pérennité des relations). La poursuite de la relation par une personne distincte de celle qui l'a nouée initialement ne fait pas obstacle à sa stabilité en présence d'une transmission universelle de patrimoine et, à défaut, si des éléments démontrent que la commune intention des parties était de continuer la même relation (en ce sens, Com., 10 février 2021, n° 19-15.369).
Pour prouver le caractère établi des relations commerciales que conteste la SARL Corepac, la SARL AL TP produit, outre le protocole de partenariat du 21 juin 2016 (sa pièce 1), instrumentum qui n'éclaire pas les conditions concrètes de son exécution :
- un document interne à la SARL Corepac intitulé « Le fil rouge » (sa pièce 64) qui définit en termes généraux le comportement que ses salariés doivent adopter avec ses partenaires, tels les terrassiers, les artisans et les commerçants, mais ne dit rien de la relation particulière entretenue avec la SARL AL TP. Ce constat vaut pour les autres éléments évoquant abstraitement l'importance de ces derniers pour la SARL Corepac (ses pièces 26 et 74) ainsi que la liste de ses intervenants pour l'année 2017 (sa pièce 13a) qui ne permettent pas d'apprécier la régularité et l'ampleur du partenariat ;
- ses bilans 2015 à 2019 qui confirment les variations de son activité globale mais n'identifient pas, y compris par déduction, la part du flux propre aux relations avec la SARL Corepac (ses pièces 65 à 69) ;
- de nombreux échanges de courriels et des communication de devis, parfois complétés par des attestations de clients finaux, datés de 2017 à 2019 et visant des prestations réalisées en 2017 par la SARL AL TP ou rapportant son remplacement à compter de 2018 (pièces 11, 12, 20 à 25, 29 à 39 et 41 à 53, 55 à 62), ainsi qu'un récapitulatif des paiements par chèque de la SARL Corepac établi en 2018 mais portant sur des factures de 2017 (sa pièce 19) ;
- une attestation de son expert-comptable certifiant le montant de sa marge brute de production pour les années 2016 et 2017 sans préciser la proportion représentée par la relation litigieuse (sa pièce 76), alors qu'il est constant que la SARL AL TP ne réalisait pas l'intégralité de son chiffre d'affaires avec ou grâce à la SARL Corepac, ce que confirme sa pièce 2 qui mentionne un chiffre d'affaires global de 492 948 euros en 2017. De ce fait, les implications de la cessation des relations dans la diminution constatée en 2018 sont indéterminables ;
- deux autres attestations de son expert-comptable certifiant respectivement un chiffre d'affaires de 95 725 euros dégagé en 2017 à l'occasion des relations de sous-traitance et une facturation des clients finaux à hauteur de 156 076 euros au titre du partenariat pour les années 2016 à 2018, trois chantiers pour un montant total de 38 967,84 euros ayant été facturés en 2016 (ses pièces 2 et 54).
Si ces informations donnent corps à la relation pendant l'année 2017, elles sont trop parcellaires pour en apprécier la consistance en 2016 au regard du nombre réduit de chantiers obtenus et du montant relativement faible alors facturé aux clients finaux, rien n'étant produit pour 2015 bien que la SARL AL TP allègue un début de collaboration en 2014, soit avant son immatriculation (page 2 de ses écritures). Cette carence n'est pas comblée par les rares éléments complémentaires relatifs aux années antérieures qui consistent en une facture d'un montant nul adressée le 3 mars 2016 par la société MB Peinture à la SARL Corepac (pièce 27 de l'appelante) et en l'envoi le 13 juillet 2016 par la SARL Corepac à la SARL AL TP d'un devis dont l'objet et les conditions d'exécution, à le supposer accepté, sont inconnus (pièce 40 de l'appelante).
Or, malgré l'imprécision de la SARL AL TP sur ce point, la rupture alléguée remonte au 4 décembre 2017, date du refus de paiement qui a irrémédiablement et rapidement dégradé les relations. De fait, la SARL AL TP sollicite une indemnisation correspondant à une année de marge brute calculée sur la seule année 2017. Aussi, l'appréciation concrète du flux d'affaires ne pouvant se satisfaire des éléments généraux sur les rapports entre la SARL Corepac et ses différents partenaires et des données éparses fournies pour l'année 2016, la SARL AL TP ne justifie devant la Cour que de relations régulières de onze mois en 2017. En l'absence de tout autre élément permettant notamment d'apprécier le poids de la relation dans l'activité globale de la SARL AL TP et son éventuel état de dépendance économique, d'exclusivité qui lui aurait été imposée ou accordée, de technicité particulière des prestations fournies et d'investissement engagé spécifiquement pour permettre et maintenir la collaboration, cette durée est trop brève pour asseoir une espérance légitime en sa pérennité et caractériser une relation commerciale établie au sens de l'article L 442-6 5° du code de commerce.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé par ces motifs substitués en ce qu'il a rejeté les demandes de la SARL AL TP au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies.
La Cour constate que cette dernière intègre incidemment dans le préjudice dont elle poursuit la réparation sur le fondement de l'article L 442-6 5° du code de commerce, celui causé par « le blocage de tous les paiements des factures exigibles » (page 10 de ses écritures). Elle vise à ce titre dans le dispositif de ses écritures l'article 1231-6 du code civil et entend ainsi engager la responsabilité contractuelle de la SARL Corepac.
Cependant, en vertu des dispositions combinées des articles 1103, 1231 et suivants et 1240 (anciennement 1134, 1147 et 1382) du code civil, la responsabilité délictuelle ne peut pas régir les rapports contractuels entre les parties qui ne disposent ni d'une option entre ces deux régimes de responsabilité, l'existence d'une faute commise dans l'exécution d'un contrat imposant la mise en 'uvre exclusive de la responsabilité contractuelle de son auteur qui à l'inverse ne régit pas les relations hors convention, ni d'une possibilité de cumul des actions dont les fondements sont juridiquement incompatibles.
Si ce principe, qui interdit au créancier d'une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle, n'exclut pas la présentation d'une demande distincte fondée sur l'article L 442-6 I 5° du code de commerce qui tend à la réparation d'un préjudice résultant non pas d'un manquement contractuel mais de la rupture brutale d'une relation commerciale établie (en ce sens, Com., 24 octobre 2018, n° 17-25.672), c'est à la condition que les préjudices invoqués soient distincts et individualisés et que les demandes indemnitaires soient divisées (en ce sens, Com. 4 déc. 2019, n° 17-20.032).
Or, si les faits générateurs de responsabilité opposés par la SARL AL TP sont différents (retard dans le paiement d'une part et brutalité de la rupture d'autre part), l'indemnisation sollicitée est unique alors que les dommages causés sont nettement distincts et soumis à des régimes différents : l'article L 442-6 I 5° du code de commerce permet de réparer le préjudice causé par la brutalité de la rupture qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de son insuffisance et qui réside dans le gain manqué du partenaire délaissé pendant la durée du préavis éludé tandis que, conformément à l'article 1231-6 du code civil, l'indemnisation du retard dans le paiement ne consiste que dans l'octroi des dommages et intérêts, la mauvaise foi du débiteur ouvrant droit à la réparation des préjudices indépendants de celui-ci.
Faute de distinction des préjudices allégués et des indemnisations sollicitées, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande comprise dans la précédente.
Surabondamment, la Cour constate que la SARL AL TP ne prouve pas que ses propres impayés et ses difficultés bancaires ainsi que la rupture des contrats de travail de deux de ses salariés, dont les motifs ne sont pas révélés, soient causés par la mauvaise foi de la SARL Corepac accompagnant son retard de paiement (ses pièces 15 à 18).
2°) Sur la procédure abusive
En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 (anciennement 1382 et 1383) du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
Au sens de ces textes, l'exercice d'une action en justice constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur équipollente au dol.
Si la SARL AL TP manifeste une certaine légèreté dans l'administration de la preuve de la relation commerciale établie dont elle dénonce la rupture, celle-ci ne s'analyse pas pour autant en un abus commis dans l'exercice de son droit d'agir en justice mais traduit une simple méconnaissance des exigences de l'article L 442-6 5° du code de commerce. Par ailleurs, la SARL Corepac ne démontre pas le principe et la mesure du préjudice qu'elle allègue ni qu'il soit distinct de celui né de la nécessité de se défendre en justice qui est exclusivement réparé par l'allocation d'une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la SARL Corepac.
3°) Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.
Succombant, la SARL AL TP, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SARL Corepac la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de la SARL AL TP au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la SARL AL TP à payer à la SAS Compagnie Immobilière Méditerranée Maisons individuelles la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL AL TP à supporter les entiers dépens d'appel.