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Décisions

CA Bastia, ch. civ. sect. 1, 12 mars 2025, n° 24/00049

BASTIA

Arrêt

Autre

CA Bastia n° 24/00049

12 mars 2025

Chambre civile

Section 1

ARRÊT N°

du 12 MARS 2025

N° RG 24/049

N° Portalis DBVE-V-B7I-CH54 SD-C

Décision déférée à la cour :

Jugement du tribunal judiciaire de BASTIA, décision attaquée

du 14 décembre 2023, enregistrée sous le n° 23/885

S.A. ELECTRICITÉ DE FRANCE

C/

[S]

Copies exécutoires délivrées aux avocats le

COUR D'APPEL DE BASTIA

CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU

DOUZE MARS DEUX-MILLE-VINGT-CINQ

APPELANTE :

S.A. ELECTRICITÉ DE FRANCE

prise en la personne de son représentant légal en exercice

domicilié ès qualités audit siège

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Sarah SENTENAC de la SCP MORELLI MAUREL ET ASSOCIÉS, avocate au barreau d'AJACCIO

INTIMÉ :

M. [G] [S]

né le 20 novembre 1981 à [Localité 3] (Haute-Corse)

[Adresse 5]

[Adresse 6]

[Localité 4]

Défaillant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 décembre 2024, devant Saveria DUCOMMUN-RICOUX, conseillère, chargée du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Valérie LEBRETON, présidente de chambre

Emmanuelle ZAMO, conseillère

Saveria DUCOMMUN-RICOUX, conseillère

GREFFIER LORS DES DÉBATS :

Vykhanda CHENG

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 mars 2025

ARRÊT :

Par défaut.

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Valérie LEBRETON, présidente de chambre, et Vykhanda CHENG, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Par exploit de commissaire de justice en date du 9 juin 2023, la société Electricité de France S.A. a saisi le tribunal judiciaire de Bastia afin de voir condamner M. [G] [S] à lui payer la somme de 11 122,79 €, représentant l'électricité consommée par ce dernier, sur la période du 15 juin 2017 au 20 août 2021, sans être détenteur d'un contrat de fourniture d'énergie.

Par déclaration du 19 janvier 2024, la société Electricité de France S.A. a interjeté appel du jugement prononcé par le tribunal judiciaire de Bastia en date du 14 décembre 2023 en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses prétentions et laissé les dépens à sa charge.

Aux termes des dernières écritures de son conseil, transmises par RPVA le 14 avril 2024, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens de la partie, la société Electricité de France S.A. demande à la cour d'appel de :

Vu l'article 1240 du code civil,

Infirmer le jugement du 14 décembre 2023,

Statuant à nouveau :

Juger que M. [G] [S] a manqué à son obligation contractuelle envers la société Electricité de France S.A. entre le 15 juin 2017 et le 30 octobre 2019,

Condamner M. [G] [S] à payer à la société Electricité de France S.A. la somme de 3 295, 58 € au titre des factures impayées entre 15 juin 2017 et le 30 octobre 2019,

Vu l'article 1231-1 du code civil,

Vu l'article 311-2 du code pénal,

Juger que M. [G] [S] a volé de l'énergie à la société Electricité de France S.A.,

Condamner M. [G] [S] à réparer les préjudices matériels et financiers causés par le vol d'énergie,

Condamner M. [G] [S] à payer à la société Electricité de France S.A. la somme de 13 219.19 € correspondant au montant qui aurait dû être facturé à M. [G] [S] par application du tarif réglementé à la quantité d'électricité consommée frauduleusement par celui-ci durant la période concernée,

Subsidiairement,

Condamner M. [G] [S] à payer à la société Electricité de France S.A. la somme de 4 640, 37 € correspondant au montant qui aurait dû être facturé à M. [G] [S] par application du tarif réglementé à la quantité d'électricité consommée frauduleusement par celui-ci durant la période du 1.10.2019 au 20.08.21, tel que sollicité en première instance,

Condamner M. [G] [S] à payer à la société Electricité de France S.A. la somme de 500 € au titre des dommages causés sur le matériel électrique,

Condamner M. [G] [S] à payer à la société Electricité de France S.A. la somme de 3 500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

Bien qu'ayant été valablement assigné à étude le 11 mai 2024, M. [G] [S] n'a pas comparu ni ne s'est fait représenter. En application de l'article 473 du code de procédure civile, le présent arrêt est prononcé par défaut.

La clôture de l'instruction a été ordonnée par le conseiller de la mise en état le 2 octobre 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 16 décembre 2024, à laquelle l'affaire a été appelée et la décision mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 12 mars 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L'article 472 code de procédure civile dispose que « si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée ».

Sur la recevabilité de l'appel

Les éléments du dossier ne conduisent pas la cour à soulever d'office la recevabilité de l'appel interjeté par la société Electricité de France S.A.

Sur la demande tendant à juger que M. [G] [S] a volé de l'électricité

Dans le dispositif de ses écritures, la société appelante demande à la cour de juger que M. [G] [S] lui a volé de l'énergie. Cependant, le vol constituant une infraction pénale, il n'appartient pas à la cour d'appel d'en constater la réalité.

La société sera donc déboutée de cette demande.

Sur la demande en paiement pour inexécution de son obligation contractuelle

L'appelante expose avoir procédé courant 2018 au contrôle du compteur de M. [G] [S] et avoir constaté que ce dernier consommait de l'électricité sans avoir souscrit de contrat. La signature d'un contrat de fourniture d'énergie lui a été proposée, a été régularisée fin 2018 mais l'intimé n'a ensuite jamais réglé ses factures. Le contrat a été résilié avec effet au 30 octobre 2019 mais M. [G] [S] continue de consommer de l'énergie, par un raccordement illicite au compteur.

La société EDF a déposé une plainte contre M. [G] [S], qui a été condamné à une peine d'emprisonnement délictuel de deux mois, aménagée sous la forme d'un bracelet électronique, dans le cadre d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, du chef de soustraction frauduleuse d'électricité entre le 26 novembre 2018 et le 13 décembre 2021.

Elle se dit donc bien fondée à demander à M. [G] [S] le paiement des sommes de 3 295,58 € pour les factures impayées de la période allant du 16 juin 2017 au 30 octobre 2019 et de 13 219,19 € au titre des consommations illicites du 31 octobre 2019 au jour des dernières écritures.

Pour débouter la société Electricité de France S.A. de ses demandes, la première juge a retenu que la société Electricité de France S.A. n'a versé aux débats ni le contrat signé avec M. [G] [S], ni le justificatif de sa résiliation, ni l'ensemble des factures émises sur la période litigieuse, ni la mise en demeure pouvant fonder la demande de dommages et intérêts pour inexécution contractuelle. Par ailleurs, elle a considéré que ne sont justifiés ni le montant de la consommation électrique dont il est demandé la paiement, ni le montant des dommages et intérêts sollicités.

En application de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit le prouver et en application de cet article, nul ne peut se constituer de preuve faite à soi-même, sauf s'il s'agit d'un fait juridique. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

L'article 9 du code de procédure civile dispose qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Enfin, l'article 1217 du code civil prévoit que « la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut (') demander réparation des conséquences de l'inexécution ». En l'espèce, la société Electricité de France S.A. demande paiement des factures non honorées par M. [G] [S], d'abord au titre d'un contrat signé entre les parties, puis au titre du piratage du compteur électrique.

Si la société appelante ne fournit pas le contrat signé fin 2018 avec M. [G] [S], elle verse le procès-verbal de constat établi par M. [Y] [L], garde particulier assermenté des propriétés d'EDF Corse, en date du 13 décembre 2021, reprenant les différentes constatations faites par ses soins depuis le 26 novembre 2018, jour où il a découvert que M. [G] [S] consommait de l'électricité sans contrat.

L'appelante verse également plusieurs factures, couvrant la période de la signature du contrat à la résiliation. En effet, le premier juge ne peut reprocher à la société Electricité de France S.A. de ne pas avoir versé de factures antérieures à janvier 2019, puisque si le contrat a eu effet rétroactif au 15 juin 2017, il n'a été signé qu'après le 26 novembre 2018, la facture du 16 janvier 2019 étant logiquement intitulée « facture de souscription ». De même, contrairement à ce qui a été retenu dans le premier jugement, il n'existe pas d'incohérences dans les sommes facturées sur cette période, la facture de cessation datée du 28 juillet 2020 reprenant le solde antérieur non réglé, pour un montant total de 3 270,33 €.

Enfin, est versé aux débats un avis d'audience à victime pour une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et l'ordonnance d'homologation de cette procédure, dans lequel il apparaît que M. [G] [S] a reconnu les faits et été condamné pour vol d'énergie entre le 26 novembre 2018 et le 13 décembre 2021, à [Localité 4].

Dès lors, il apparaît suffisamment établi, au vu de ces différentes pièces, que M. [G] [S] est bien redevable du paiement de ses consommations d'électricité du 15 juin 2017 au 28 juillet 2020, date de cessation par résiliation du contrat pour

non-paiement des factures précédentes. Le dernier index relevé, mentionné dans la facture du 28 novembre 2019, était alors de 18 556 kWh.

Cependant, la société appelante sollicite la condamnation de M. [G] [S] à lui verser la somme de 3 295,58 € pour cette période, omettant que la somme de 25,25 € a été soustraite de cette créance dans la facture de cessation en date du 28 juillet 2020. Dès lors, le jugement entrepris sera infirmé et M. [G] [S] sera condamné à verser à la société Electricité de France S.A. la somme de 3 270,33 €, correspondant à ses consommations d'énergie du 15 juin 2017 au 28 juillet 2020, sur le fondement de l'article 1217 du code civil.

Sur la demande en réparation du préjudice économique

Au vu du visa de l'article 1240 du code civil dans le dispositif des écritures de la société Electricité de France S.A. et du préjudice économique allégué par la société, il y a lieu pour la cour de conclure que les autres prétentions financières de l'appelante, à l'exception des dommages et intérêts, sont fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle de M. [G] [S].

En effet, le 30 juillet 2021, soit plus d'un an après la résiliation du contrat, l'agent assermenté d'EDF a constaté que M. [G] [S] continuait de consommer de l'énergie et a coupé l'électricité. Le 20 août 2021, son collègue découvrait que le compteur avait été artisanalement modifié pour que M. [G] [S] puisse continuer de bénéficier de l'électricité, sans nouveau contrat de fourniture d'énergie. Le compteur mécanique était retiré et remplacé par un compteur numérique permettant de couper l'alimentation à distance. Enfin, le 13 décembre 2021, M. [Y] [L] constatait que le nouveau compteur avait de nouveau été modifié et que la consommation d'énergie par M. [G] [S] se poursuivait. Le compteur numérique était retiré.

Au vu de la période de prévention pour laquelle M. [G] [S] a reconnu sa culpabilité pour le vol d'électricité, la cour retient qu'il est démontré par la société Electricité de France S.A. que M. [G] [S] a bénéficié des prestations d'EDF pour la période allant du 29 juillet 2020 au 13 décembre 2021, date à laquelle le compteur numérique a été retiré.

Or ce bénéfice gratuit d'électricité par le rattachement illicite de la maison de l'intimé au compteur EDF a causé à l'appelante un préjudice certain que M. [G] [S] sera tenu d'indemniser.

A l'inverse, elle ne démontre pas suffisamment que M. [G] [S] continue de profiter de l'électricité fournie par EDF depuis le 13 décembre 2021, a fortiori au vu des manipulations effectuées par son agent ce jour-là pour couper l'alimentation. En effet, elle se borne à fournir un facture datée du 27 mars 2024, mentionnant une consommation entre le 20 août 2021 et le 26 mars 2024 de 44 565 kWh, pour un montant net à payer de 8 578,82 € (pièce n°6). Cependant, à la différence des prétentions précédentes, cette consommation n'est étayée par aucun autre élément du dossier. La production d'une facture n'est en l'espèce pas suffisante pour démontrer que M. [G] [S] continue de bénéficier de l'électricité alors même que M. [Y] [L] a attesté avoir retiré le compteur numérique et déconnecté l'ensemble des câbles.

La cour rejettera donc les demandes faites au titre des consommations d'électricité alléguées par la société appelante pour la période allant du 13 décembre 2021 au 26 mars 2024.

L'intimé sera en revanche condamné à verser, à titre de réparation du préjudice financier subi par la société Electricité de France S.A., la somme mentionnée dans la facture datée du 27 mars 2024 pour la période comprise entre le 30 octobre 2019 et le 20 août 2021, qui correspond en réalité à la période postérieure au 28 juillet 2020, pour un montant net à payer de 4 640,37 €. En effet, la cour n'est pas mise en mesure d'évaluer les montants dus par M. [G] [S] pour la période comprise entre le 20 août 2021 et le 13 décembre 2021. Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice matériel

La société appelante reproche au jugement entrepris de l'avoir déboutée de sa demande de dommages et intérêts d'un montant de 500 €, en réparation de son préjudice matériel du fait des réparations rendues nécessaires par la dégradation du compteur électrique imputé à M. [G] [S].

L'article 1240 du code civil dispose que « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Il vient d'être rappelé qu'il est établi que M. [G] [S] a bénéficié de l'électricité fournie par l'appelante, sans pour autant souscrire de contrat ou verser un quelconque montant, du 28 juillet 2020 au 13 décembre 2021. Ce profit indu a été permis par le piratage et le branchement illicite de M. [G] [S] aux compteur mécanique puis numérique posés par la société Electricité de France S.A. En endommageant volontairement ces compteurs, comme le démontrent les photographies et le corps du procès-verbal de constat dressé par M. [Y] [L], l'intimé a commis une faute de nature à entraîner un préjudice qu'il doit être tenu de réparer. La somme de 500 € paraît adaptée au préjudice subi par l'appelante.

La demande de la société Electricité de France S.A. de voir condamner M. [G] [S] à lui verser la somme de 500 € de dommages et intérêts en réparation de son comportement fautif sera donc accueillie et le jugement infirmé de ce chef.

Sur les dépens d'appel et les frais irrépétibles

M. [G] [S] sera condamné aux dépens de l'instance d'appel, à laquelle il succombe comme aux dépens de première instance, rendue nécessaire par son comportement fautif.

Il est équitable de le condamner, au titre des frais irrépétibles prévus par l'article 700 du code de procédure civile, à verser à la société Electricité de France S.A. la somme de 2 000 €.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement rendu le 14 décembre 2023 par le tribunal judiciaire de Bastia en toutes ses dispositions attaquées,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DÉBOUTE la société Electricité de France S.A. de sa demande tendant à voir dire que M. [G] [S] a commis un vol d'énergie,

CONDAMNE M. [G] [S] à payer à la société Electricité de France S.A. la somme de 3 270,33€, pour les consommations contractuelles d'électricité non payées, sur la période allant du 15 juin 2017 au 28 juillet 2020,

CONDAMNE M. [G] [S] à payer à la société Electricité de France S.A. la somme de 4 640,37€, à titre de réparation pour les consommations indues d'électricité, sur la période allant du 29 juillet 2020 au 13 décembre 2021,

CONDAMNE M. [G] [S] à payer à la société Electricité de France S.A. la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts pour la dégradation du compteur électrique,

CONDAMNE M. [G] [S] aux entiers dépens de première instance comme d'appel,

CONDAMNE M. [G] [S] à payer à la société Electricité de France S.A. la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE la société Electricité de France S.A. de ses demandes plus amples ou contraires.

LA GREFFIÈRE

LA PRÉSIDENTE

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