CA Versailles, ch. com. 3-1, 12 mars 2025, n° 23/01419
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Barnes (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dubois-Stevant
Conseillers :
Mme Gautron-Audic, M. Dusausoy
Avocats :
Me Cizeron, Me Vandweeeghe, Me Foulon Bellony, Me Arnaud
EXPOSE DU LITIGE
Le 15 novembre 2010, la société Barnes, exerçant l'activité d'agent immobilier, et Mme [L], exerçant en nom propre, ont signé un contrat de prestation de services (le Contrat) à durée illimitée emportant une exclusivité réciproque de collaboration dans le domaine de l'immobilier pour le secteur du [Localité 3].
Mme [L] s'est ainsi engagée à apporter à la société Barnes son concours « en matière de gestion de son portefeuille concernant tant la prospection de la Clientèle que la vente de biens immobiliers », avec recherche de vendeurs, d'acheteurs et de propriétaires, et l'obtention de la signature de mandats et de compromis de vente.
Selon le Contrat, la rémunération de son activité a été fixée à 20% hors taxes des honoraires perçus par la société Barnes sur chaque opération, soit que la personne ait été démarchée par ses soins alors que la négociation en a été assurée par une tierce personne de l'agence, soit que la négociation ait été menée directement par elle-même alors que l'affaire a été initiée par une tierce personne, ces deux composantes pouvant se cumuler et atteindre ainsi un pourcentage de 40%.
Des honoraires en inter-agences Barnes et avec des filiales de la société Barnes ont également été prévus.
Par courriel du 17 novembre 2021, la société Barnes a proposé à Mme [L] de soumettre dorénavant leur relation contractuelle au statut d'agent commercial immobilier.
Le 2 décembre 2021, à l'occasion d'un entretien de fin d'année avec la directrice de l'agence Barnes du [Localité 3], Mme [L] a manifesté son refus de signer ce nouveau contrat.
Par courrier recommandé avec avis de réception du 3 décembre 2021, la société Barnes a résilié le Contrat, rappelant à Mme [L] qu'elle pouvait bénéficier d'un préavis de trois mois et d'un droit de suite sur les affaires en cours.
Le 16 décembre 2021, Mme [L] a répondu à la société Barnes qu'il lui était impossible d'effectuer son préavis compte tenu du blocage de son accès à la base de données Apimo, fixant au 17 décembre 2021, la fin de son préavis.
La société Barnes a contesté cette impossibilité d'exécution du préavis le 20 décembre 2021.
Par courrier recommandé avec avis de réception du 6 janvier 2022, la société Barnes a pris acte du refus de Mme [L] d'effectuer son préavis et de la cessation du Contrat à compter de cette date (6 janvier 2022).
Le 6 janvier, la société Barnes a reçu un courrier, daté du 4 janvier 2022, du conseil de Mme [L] lui demandant réparation du préjudice causé par la rupture du Contrat. La société Barnes n'y a pas donné suite.
C'est dans ces circonstances que, par acte du 3 février 2022, Mme [L] a assigné la société Barnes devant le tribunal de commerce de Nanterre.
Par jugement du 25 janvier 2023, le tribunal a condamné la société Barnes à payer la somme de 136.164 euros à Mme [L] au titre de l'indemnité de rupture, avec intérêts moratoires au taux légal à compter du 3 février 2022, débouté Mme [L] de sa demande au titre de l'indemnité de préavis, dit irrecevable la demande de Mme [L] au titre de la rupture brutale des relations commerciales, condamné la société Barnes à lui payer la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par déclaration du 27 février 2023, la société Barnes a interjeté appel du jugement.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 12 septembre 2024, la société Barnes demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme [L] la somme de 136.164 euros au titre de l'indemnité de rupture, avec intérêts moratoires au taux légal à compter du 3 février 2022 et l'a condamnée à lui payer la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, le confirmer pour le surplus et statuant à nouveau, débouter Mme [L] de l'intégralité de ses demandes, à titre subsidiaire, limiter l'indemnité de rupture à la somme de 15.325,75 euros et condamner Mme [L] au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Par dernières conclusions avec appel incident remises au greffe et notifiées par RPVA le 20 juillet 2023, Mme [L] demande à la cour de confirmer le jugement sauf en ce qu'il a limité, à la somme de 136.164 euros, le quantum de l'indemnité de rupture due par la société Barnes, l'a déboutée de sa demande au titre de l'indemnité de préavis, déclaré irrecevable sa demande de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale des relations commerciales, et, statuant à nouveau, condamner la société Barnes à lui verser les sommes de 170.205 euros à titre d'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial, 17.020,50 euros hors taxes, soit 20.424,60 euros toutes taxes comprises, à titre d'indemnité de préavis, 20.000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice résultant de la rupture brutale de leurs relations commerciales, dire que ces sommes porteront intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 5 janvier 2022, y ajoutant, condamner la société Barnes à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 7 novembre 2024.
MOTIFS
Sur la relation contractuelle et ses conséquences
La société Barnes soutient, sur le fondement de l'article 1104 du code civil, qu'elle ne doit pas payer à Mme [L] d'indemnité compensatrice de rupture du contrat d'agent commercial dès lors que le contrat liant les parties n'était pas un contrat d'agent commercial mais un mandat d'intérêt commun, Mme [L] ne disposant pas de pouvoir de négociation, ni de conclusion de contrats de ventes immobilières.
Elle précise que le contrat résilié était un contrat de prestation de services aux termes duquel les parties ont expressément exclu l'application des dispositions du statut des agents commerciaux. Elle ajoute que Mme [L] n'était pas inscrite au registre des agents commerciaux à la date de conclusion du contrat le 15 novembre 2010, qu'elle n'a pas revendiqué l'application de ce statut et a refusé de s'y soumettre lorsque la société Barnes le lui a proposé.
Elle fait valoir, à titre subsidiaire, que si la cour retenait l'application du statut des agents commerciaux, l'indemnité de rupture allouée doit être limitée à la somme de 15.325,75 euros correspondant à trois mois de commissions brutes.
Elle précise, à ce titre, qu'en retenant une indemnité de rupture égale à deux ans de commissions, le tribunal a (i) méconnu la jurisprudence européenne selon laquelle l'indemnisation ne vise pas à sanctionner la rupture du contrat mais à dédommager l'agent commercial pour des avantages déterminés qu'il aurait apportés à son commettant ou pour des frais spécifiques qu'il aurait exposés, (ii) dénaturé les arguments de la société Barnes qui considère seulement que Mme [L] n'a pas développé de clientèle, (iii) ignoré la jurisprudence française récente sur l'indemnité de rupture qui refuse d'évaluer automatiquement l'indemnité en pareille matière à deux années de commissions brutes et, enfin, (iv) occulté les faits de l'espèce.
Elle expose ainsi que le réseau Barnes a généré la quasi-totalité des transactions réalisées en France et à [Localité 6], en raison de sa notoriété et de sa marque, et que Mme [L], déjà rémunérée au titre de ses missions, ne lui a procuré aucun avantage additionnel qui justifierait le versement d'une indemnisation complémentaire, autre que symbolique, à l'occasion de la cessation du contrat.
Elle ajoute enfin, que, sur le fondement des moyens susvisés et également au regard des résultats insuffisants de Mme [L] en 2021, résultats non imputables à la crise sanitaire, la demande incidente de cette dernière en fixation de l'indemnité de rupture à un montant correspondant à deux ans et demi de commissions doit être rejetée.
Mme [L] réplique, sur le fondement des articles L.134-12 et L.134-16 du code de commerce, que le contrat doit être requalifié en contrat d'agent commercial et qu'en conséquence, la société Barnes est tenue de l'indemniser au titre de la rupture de celui-ci.
Elle invoque les dispositions de la loi Hoguet du 24 mars 2014 dont l'application conduit, selon elle, à considérer que si l'intermédiaire immobilier ne bénéficie pas du statut de salarié, il se voit, alors, appliquer le statut d'agent commercial en vertu des dispositions de l'article L.134-1 du code de commerce, aucun autre statut ne pouvant lui être reconnu.
Elle expose que l'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée, qu'en l'espèce, elle est inscrite au registre spécial des agents commerciaux depuis le 1er avril 2012, et que la société Barnes lui a fait délivrer une attestation de collaboration par la chambre de commerce et d'industrie de Paris en qualité d'agent commercial, collaborateur immobilier. Elle ajoute qu'elle bénéficie d'une assurance responsabilité civile professionnelle des agents commerciaux, titulaires de la carte professionnelle, et que le nouveau projet de contrat proposé par la société Barnes comporte la qualification de négociateur agent commercial.
Elle fait, enfin, valoir que l'indemnité de rupture doit être fixée à un montant de 170.205 euros correspondant à deux ans et demi de commissions, évalué sur la moyenne des trois dernières années d'activité, dès lors qu'en sa qualité d'agent commercial, elle a prospecté en dehors du fichier de son mandant, que c'est grâce à ses diligences et à ses contacts personnels que la clientèle commune a pu prospérer et se développer et que ses qualités professionnelles n'ont jamais été remises en cause.
Elle ajoute que le calcul de l'indemnité due lors de la rupture du contrat ne dépend pas du fait que l'agent commercial ait apporté ou créé la clientèle mais a pour seul objet la réparation du préjudice que lui cause la privation de ses commissions. Elle précise qu'elle sollicite une indemnité légèrement supérieure au quantum habituellement retenu au regard de la durée de leur collaboration, de ses problèmes de santé, aggravant son préjudice, et du fait qu'elle se retrouve dénuée de ressources professionnelles.
Sur ce
L'article L.134-1 du code de commerce dans sa version alors en vigueur, prévoit : « L'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale.
Ne relèvent pas des dispositions du présent chapitre les agents dont la mission de représentation s'exerce dans le cadre d'activités économiques qui font l'objet, en ce qui concerne cette mission, de dispositions législatives particulières. ».
L'article L.134-12 du code de commerce dispose que : « En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits.
Les ayants droit de l'agent commercial bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent. ».
L'agent commercial agit au nom et pour le compte de son mandant, il est un mandataire d'intérêt commun.
L'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leurs conventions, mais des conditions de fait dans lesquelles l'activité est effectivement exercée, et elle n'est pas subordonnée à l'inscription sur le registre spécial qui est une mesure de police professionnelle.
Pour être qualifiée d'agent commercial, la personne concernée doit avoir la qualité d'intermédiaire indépendant, être liée contractuellement de façon permanente à son commettant, disposer du pouvoir de négocier, et éventuellement de conclure, des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services au nom et pour le compte de celui-ci.
Les tâches principales d'un agent commercial consistent à apporter de nouveaux clients au commettant et à développer les opérations avec les clients existants, l'accomplissement de ces tâches peut être assuré par l'agent commercial au moyen d'actions d'information et de conseil ainsi que de discussions, qui sont de nature à favoriser la conclusion de l'opération commerciale pour le compte du commettant, même si l'agent commercial ne dispose pas de la faculté de modifier les prix des marchandises vendues ou des services rendus, ce dont il résulte qu'il n'est pas nécessaire de disposer de la faculté de modifier les conditions des contrats conclus par le commettant pour être agent commercial.
L'absence de pouvoir de signature et de négociation des conditions contractuelles exclut l'existence d'un pouvoir de négociation de celui qui le revendique.
La simple mise en relation, sans pouvoir de négociation et de représentation, s'oppose à la qualification du contrat d'agent commercial.
Si la loi Hoguet prévoit que l'intermédiaire immobilier non salarié peut bénéficier du statut d'agent commercial, pour autant elle ne confère pas un caractère automatique au bénéfice de ce statut d'agent commercial lorsque cet intermédiaire n'est pas salarié.
Il appartient à celui qui revendique le statut d'agent commercial d'en justifier à la lumière des principes énoncés précédemment notamment au regard des conditions de fait dans lesquelles l'activité est effectivement exercée.
A cet égard, sont inopérantes l'inscription de l'intimée au registre spécial des agents commerciaux le 1er avril 2012 (le Contrat a été signé le 15 novembre 2010) ou l'attestation d' « agent commercial » qui lui a été délivrée, le 4 mars 2020, par la Chambre de commerce et d'industrie de [Localité 6] ou, encore, l'attestation d'assurance, au titre de la responsabilité civile professionnelle des agents commerciaux, établie à son nom précisant que cette assurance a pris effet à compter du 4 février 2019. En effet, cette inscription résulte d'une formalité de police et ces attestations ont été délivrées à la suite d'une démarche volontaire des parties, sans qu'il soit soutenu et établi, qu'elles confèrent légalement le statut d'agent commercial au bénéficiaire de cette inscription ou de ces attestations.
De même, le statut d'agent commercial, appliqué au Contrat, ne saurait être déduit du nouveau projet de contrat soumis, le 17 novembre 2021, à Mme [L] qui a refusé de le signer et qui aurait conféré à celle-ci, pour l'avenir, le statut de «négociateur agent commercial ».
A l'inverse, la renonciation expresse, par les parties au Contrat, au statut d'agent commercial est sans effet sur la revendication de ce statut par Mme [L].
Les factures de commissions émises par Mme [L] (ses pièces 7, 8, 9 et 21) destinées à la société Barnes, avec pour descriptif « Honoraires sur la vente de l'appartement '. » ou « Honoraires sur apport d'affaires '. » et indication de pourcentages en application du Contrat, ou un listing (sa pièce 23) avec indication du nom du propriétaire, de l'adresse du bien, de sa description, ne sont pas suffisants à démontrer que, dans les faits, Mme [L] a été investie du pouvoir de négocier et l'a effectivement exercé, en permanence, au cours de l'exécution du Contrat.
La mention « Honoraires sur apport d'affaires '. » laisse supposer que Mme [L] a développé la clientèle de la société Barnes. Toutefois, cet apport ne suffit pas, en soi, à caractériser le statut d'agent commercial.
Mme [L] ne produit aucun élément sous forme, par exemple, d'échange de correspondances entre elle-même et des acheteurs ou des vendeurs potentiels, ou avec la société Barnes, faisant état de propositions de remises ou de gestes commerciaux, de discussions sur le prix de vente, sur les modalités de paiement ou le montant des honoraires de la société Barnes, susceptible de démontrer qu'elle disposait, dans le cadre du Contrat, d'un véritable pouvoir de négociation des conditions de vente de biens immobiliers.
Mme [L] succombe à démontrer qu'elle a exercé son activité, dans le cadre du Contrat, en qualité d'agent commercial.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a dit que la société Barnes et Mme [L] étaient liées par un contrat d'agent commercial immobilier.
Sur la demande indemnitaire de Mme [L] au titre de la rupture du Contrat :
Mme [L] se fonde exclusivement sur les dispositions de l'article L.134-12 du code de commerce prévoyant une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi en cas de rupture du contrat d'agent commercial.
La cour ne lui reconnaissant pas le statut d'agent commercial, Mme [L] ne peut se prévaloir des dispositions de cet article pour réclamer cette indemnité.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Barnes à lui payer la somme de 136.164 euros au titre d'une indemnité de rupture avec intérêts moratoires au taux légal à compter du 3 février 2022.
Sur la demande de Mme [L] au titre du préavis :
La société Barnes soutient qu'elle ne doit pas payer la somme de 20.424,60 euros toutes taxes comprises à Mme [L] au titre de son préavis dès lors qu'elle n'a commis aucune faute contractuelle l'empêchant de réaliser son préavis, comme le prétend cette dernière. Elle précise qu'aucune stipulation du contrat ne prévoit la mise à disposition du logiciel métier Apimo à Mme [L] et que pourtant, celle-ci bénéficiait toujours d'un accès au logiciel pendant la durée de son préavis, lui permettant d'assurer le suivi de ses mandats et de ses clients, de répondre aux demandes de prospects portant sur ses biens sous mandat et de répondre à des demandes d'informations portant sur les autres biens gérés par les consultants de l'agence. Elle ajoute que Mme [L] ne démontre pas avoir effectué de démarche afin d'exécuter son préavis ou avoir demandé assistance à l'équipe de l'agence, ni fait état des difficultés qu'elle aurait rencontrées en cherchant à le respecter.
Mme [L] réplique que la société Barnes doit l'indemniser au titre de son préavis pour un montant de 20.424,60 euros toutes taxes représentant trois mois de commissions, dès lors que son accès au logiciel Apimo a été limité à ses propres dossiers, l'empêchant de remplir normalement ses fonctions. Elle précise qu'elle ne pouvait pas se renseigner sur les biens du secteur, qu'elle n'avait pas accès à la base client et ne pouvait effectuer aucun rapprochement, qu'en l'absence d'autres consultants à l'agence, elle ne pouvait pas leur demander de renseignements, qu'elle a signalé ce problème à son supérieur et que néanmoins, la situation n'a pas été rétablie. Elle ajoute que lorsqu'un agent est invité à poursuivre son activité jusqu'à la fin du préavis, le mandant doit le laisser poursuivre dans les mêmes conditions de manière à ce qu'il dispose de tous les instruments nécessaires à l'exercice de ses fonctions, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.
Sur ce
Le Contrat prévoit, en son article 8, que chacune des parties dispose de la faculté de résilier, sans motif particulier, le contrat « avec avis recommandé avec avis de réception », « à tout moment avec un préavis de trois mois ».
La lettre de résiliation du Contrat datée du 3 décembre 2021 rappelle à Mme [L] qu'elle peut ou non « exercer » son préavis.
Mme [L] reprochant à la société Barnes d'avoir fermé son accès à la banque de données Apimo, avec pour conséquence de l'empêcher de travailler, a informé la société Barnes par lettre du 10 décembre 2021 de ce que son préavis prenait fin le 17 décembre 2021.
La société Barnes a contesté par lettre du 15 décembre 2021 cette impossibilité de travailler. Toutefois, dans cette même lettre, elle reconnaît avoir « aménagé » cet accès, dans un sens restrictif, selon la compréhension de la cour, essentiellement pour des raisons de confidentialité et de protection des données.
La clause de résiliation avec préavis de trois mois ne prévoit pas une telle limitation de sorte que la société Barnes aurait dû maintenir, pendant le préavis, les mêmes conditions d'exercice jusqu'à la prise d'effet de la résiliation à l'issue du préavis, quand bien même l'accès à cette base de données n'était pas prévu au Contrat puisqu'il n'est pas contesté que Mme [L] a bénéficié pleinement de cet accès pendant l'exécution du Contrat.
La société Barnes a, ainsi, commis une faute conduisant Mme [L] à écourter le préavis de trois mois alors qu'elle pouvait en bénéficier en totalité.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté Mme [L] de sa demande indemnitaire.
La société Barnes ne conteste pas spécialement le quantum de la réclamation de Mme [L] qui correspond à trois mois de commissions.
La cour la condamnera au paiement de la somme de 17.020,50 euros hors taxes, soit 20.424,60 euros toutes taxes comprises, au profit de Mme [L]. Cette somme portera intérêts compter du 3 février 2022, date de l'assignation, la lettre du 4 janvier 2022 adressée par Mme [L] à la société Barnes ne comprenant pas de mise en demeure mais seulement une invitation à envisager une solution amiable.
Sur la rupture brutale des relations commerciales
La société Barnes soutient, sur le fondement des articles L.442-4 III et D.442-2 du code de commerce, que la demande indemnitaire de Mme [L] est irrecevable dès lors que les juridictions de Versailles n'ont pas compétence pour statuer sur les demandes indemnitaires tirées de l'article L.442-1 du code de commerce. Elle soutient d'autre part que sa demande indemnitaire est infondée dès lors que le contrat prévoit la possibilité de le résilier sans motif, que la société Barnes souhaitait que Mme [L] effectue son préavis et a mis à sa disposition tous les moyens pour le faire, que cette dernière sollicite déjà une indemnité de rupture et cherche donc à être indemnisée deux fois pour un même préjudice. Elle ajoute que les résultats insuffisants de Mme [L] en 2021 ne résultent pas de la crise sanitaire, qu'elle avait déjà été alertée à ce sujet, à plusieurs reprises, depuis 2019 et que celle-ci ne démontre pas que l'insuffisance de ses résultats a été causée par ses problèmes de santé.
Mme [L] réplique, sur le fondement de l'article L.442-1 du code de commerce, que la société Barnes doit l'indemniser au titre de la rupture brutale de leur relation commerciale dès lors que la rupture du contrat est liée à la baisse de chiffre d'affaires intervenue en 2021, alors que cette baisse est imputable à la crise sanitaire et à ses problèmes de santé. Elle ajoute que cette rupture lui a causé un préjudice moral particulier qui doit être réparé par l'allocation de dommages et intérêts spécifiques. Elle expose enfin que l'application des dispositions de l'article L.442-1 du code de commerce ne requiert aucune compétence spéciale.
Sur ce
Mme [L] a sollicité en première instance, au seul visa de l'article L.442-1 du code de commerce, une indemnité de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour brusque rupture des relations commerciales.
Accueillant l'exception de procédure soulevée par la société Barnes, le jugement a dit la demande de Mme [L] irrecevable au motif qu'il n'était pas compétent territorialement pour en connaître.
Il résulte des dispositions des articles L.442-4 III et D.442-2 du code de commerce que : « III. ' Les litiges relatifs à l'application des articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442- 7 et L. 442-8 sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret. ». Pour l'application du III de l'article L. 442-4 de ce code « le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-1 du présent livre. ».
Le tribunal de commerce de Nanterre ne figure pas parmi la liste des huit tribunaux de commerce désignés par ce tableau de sorte qu'il n'était pas compétent pour connaître de la demande de Mme [L].
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Mme [L], partie perdante pour l'essentiel, sera tenue aux dépens de première instance et d'appel.
Il apparaît équitable de la condamner à payer à la société Barnes la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel en application de l'article 700 du code de procédure civile. La demande de Mme [L] à ce titre sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement du 25 janvier 2023 du tribunal de commerce de Nanterre sauf en ce qu'il a dit irrecevable la demande de Mme [L] au titre de la rupture brutale des relations commerciales,
Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,
Condamne la société Barnes à payer à Mme [L] la somme de 17.020,50 euros hors taxes, soit 20.424,60 euros toutes taxes comprises au titre de l'indemnité de préavis,
Dit que le statut d'agent commercial n'est pas applicable à Mme [L] dans le cadre de l'exécution du contrat de prestations de services du 15 novembre 2010 passé avec la société Barnes,
Déboute, en conséquence, Mme [L] de sa demande indemnitaire au titre de l'indemnité compensatrice prévue par l'article L.134-12 du code de commerce,
Condamne Mme [L] aux dépens de première instance et d'appel.
Condamne Mme [L] à payer à la société Barnes la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles, exposés en première instance et en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande de Mme [L] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.