CA Paris, Pôle 4 - ch. 13, 11 mars 2025, n° 24/14171
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
ARRET DU 11 MARS 2025
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/14171 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJ4KA
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 01 Juillet 2024 -Juge de la mise en état de Paris - RG n° 22/06095
APPELANTS
Maître [J] [D]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Maître [O] [B]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentées par Maître Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480, avocat postulant
et par Maître Céline ASTOLFE, de la SELARL Céline ASTOLFE, avocat au barreau de PARIS, substituée par Maître Adriana BISCAN, avocat au barreau de PARIS
INTIME
Monsieur [F] [G]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Maître Geneviève SROUSSI de la SELARL ALIENCE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B0072
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Janvier 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, chargée du rapport, et Madame Estelle MOREAU, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre
Madame Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
Madame Estelle MOREAU, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Michelle NOMO
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 11 mars 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
Le 6 janvier 2016, un contrat de cession de parts sociales a été conclu entre M. [F] [G], cédant, et Mmes [J] [D] et [O] [B], cessionnaires, portant sur 551 parts sociales du capital de la Scp '[F] [G] et [O] [B] Huissiers de Justice Associés' qui en comporte 1 102.
Par arrêté du 21 novembre 2016, publié au journal officiel du 30 novembre 2016, le retrait de M. [G] de la Scp [F] [G] et [O] [B] Huissiers de Justice Associés a été agréé et la société a changé de dénomination pour devenir la SCP '[O] [B] et [J] [D] Huissiers de Justice associés'.
La cession a été réitérée le 19 décembre 2016 par un acte définitif de cession de parts sociales, aux termes duquel M. [G] a consenti une garantie d'actif et de passif à proportion des droits cédés.
Dans le cadre d'un contentieux ayant débuté en 2015 au sujet du retrait de M. [Z] [V] de la Scp [F] [G] et [O] [B] Huissiers de Justice Associés, le tribunal judiciaire de Nanterre, par décision du 8 novembre 2018, a condamné la Scp [O] [B] et [J] [D] Huissiers de Justice associés à verser à M. [V] la somme de 37 471,88 euros, outre 3 000 euros au titre des frais de justice.
Par lettres recommandées avec accusé réception des 23 et 28 novembre 2018, Mmes [B] et [D] ont notifié à M. [G] la mise en oeuvre de la garantie d'actif et de passif prévue à l'acte de cession du 19 décembre 2016 et sollicité le versement des sommes de 8 354,58 euros pour la première et de 20 674,09 euros pour la seconde, en vain.
C'est dans ces circonstances que, par acte du 16 mai 2022, Mmes [J] [D] et [O] [B] ont assigné devant le tribunal judiciaire de Paris M. [F] [G] afin d'obtenir le paiement de ces sommes.
Saisi d'un incident par M. [G], le juge de la mise en état, par ordonnance rendue le 1er juillet 2023, a :
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par Mmes [D] et [B] et déclaré recevables les conclusions d'incident de M. [G],
- déclaré irrecevable car forclose l'action en garantie de passif de Mmes [D] et [B] à l'encontre de M. [G],
- condamné in solidum Mmes [D] et [B] à payer à M. [G] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum Mmes [D] et [B] à payer les dépens de l'instance,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration du 25 juillet 2024, Mmes [D] et [B] ont interjeté appel de cette décision.
Dans leurs dernières conclusions, notifiées et déposées le 2 décembre 2024, Mmes [J] [D] et [O] [B] demandent à la cour de :
- infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle :
* a déclaré irrecevable car forclose leur action en garantie de passif à l'encontre de M. [G],
* les a condamnées in solidum à payer à M. [G] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance.
et statuant à nouveau :
- déclarer recevable leur action en garantie de passif à l'encontre de M. [G],
- débouter M. [G] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner M. [G] à leur payer la somme de 3 000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [G] aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 2 décembre 2024, M. [F] [G] demande à la cour de :
- confirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions,
- déclarer en conséquence irrecevable comme forclose l'action en garantie de passif de Mmes [D] et [B] à son encontre,
- condamner in solidum les appelantes à lui verser une somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
- les condamner aux entiers dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 3 décembre 2024.
SUR CE,
Le juge de la mise en état a jugé que l'action était forclose en ce que l'acte de cession signé par les intéressés le 19 décembre 2016 prévoit une durée conventionnelle de garantie de quatre ans à compter de la date de publication du retrait de M. [G], soit jusqu'au 30 novembre 2020, et que la clause de garantie d'actif et de passif n'a pas été mise en oeuvre dans les délais prévus à l'acte.
Mmes [D] et [B] estiment que leur action est recevable en ce que :
- l'interprétation de la clause de garantie par le juge de la mise en état démontre une confusion entre la durée de garantie, c'est à dire la durée pendant laquelle l'événement générateur de la garantie doit s'être produit pour relever de la garantie, et le délai pour mettre en oeuvre la garantie,
- la clause de garantie fixe la première mais ne prévoit pas de délai pour mettre en oeuvre la garantie de sorte que l'obligation de M. [G] perdure jusqu'à l'expiration du délai de prescription légal soit le 8 novembre 2023,
- la clause de garantie couvre les événements générateurs survenus avant la cession et ce jusqu'au 30 novembre 2020, indépendamment du délai de mise en oeuvre de cette dernière qui n'est pas déterminé,
- le passif litigieux, qui trouve sa cause antérieurement à la cession, a été révélé par le jugement du 8 novembre 2018 soit avant le 30 novembre 2020 de sorte qu'il est couvert par la garantie,
- en l'absence de stipulation dans l'acte de cession fixant un délai pour la mise en oeuvre de la garantie le délai applicable pour faire valoir la garantie est le délai de prescription légal conformément à l'article 2224 du code civil,
- elles disposaient donc d'un délai expirant le 8 novembre 2023 pour agir contre M. [G] en exécution de son obligation d'indemnisation, en sorte que leur action initiée par assignation du 16 mai 2022 est recevable,
- il ne peut pas leur être reproché un manquement à l'obligation d'information prévue au contrat, laquelle ne vise que les actions judiciaires ou administratives postérieures à la cession, étant souligné que M. [G] avait parfaitement connaissance de la procédure intentée par M. [V] antérieurement à la cession, explicitement visée dans l'acte et dans laquelle il était assigné,
- M. [G] dénature les termes clairs des stipulations contractuelles en prétendant qu'elles auraient dû l'appeler en garantie dans le cadre de la procédure intentée par M. [V], la clause d'information ne leur imposant pas de soumettre l'activation de la garantie à un débat judiciaire préalable,
- le fait qu'elles n'aient pas appelé M. [G], lequel était partie à la procédure, en garantie dans le cadre de la procédure intentée par M. [V] est sans aucune incidence et n'affecte en rien son obligation de garantie,
- l'obligation de garantie du passif pesant sur M. [G] n'est pas remise en cause par la conclusion entre la Scp et M. [V] d'un échéancier de paiement, aux fins d'alléger la charge immédiate des réglements, qu'elles n'avaient pas à lui soumettre au préalable, ce protocole ne constituant en aucun cas une transaction au sens de l'article 2044 du code civil mettant fin à un différend et ne créant pas un passif nouveau,
- M. [G], qui était partie à ce jugement, n'en a pas interjeté appel,
- elles n'ont jamais exprimé de quelque manière que ce soit une intention de renoncer à la clause de garantie et, s'agissant d'un droit propre, la Scp ne peut y renoncer en leurs lieu et place.
M. [F] [G] réplique que l'action est forclose en ce que :
- la garantie de passif, qui vise expressément le procès opposant M. [V] à la Scp, stipule que ses effets sont limités à un délai de quatre ans à compter du jour de la publication du retrait de M. [G], le 30 novembre 2016, soit jusqu'au 30 novembre 2020,
- s'agissant d'un délai préfix, toute demande en justice à son encontre devait être introduite dans ce délai,
- la Scp [B] [D] et Mme [B], parties à la procédure contre M. [V], auraient dû préserver leurs droits à son égard, notamment en sollicitant à titre subsidiaire sa garantie, ce qu'elles n'ont pas fait,
- ce faisant, elles ont renoncé de facto à toute demande en remboursement à son encontre à ce titre,
- la garantie dont se prévalent Mmes [D] et [B] aurait dû être mise en oeuvre dans le cadre de cette procédure judiciaire spécifique, portant sur une créance expressément visée dans l'acte de cession,
- la clause de garantie de passif est indissociable de la clause 'Informations' qui la suit immédiatement après et le rapprochement entre elles confirme que l'esprit de la garantie est de permettre au cédant de faire valoir ses arguments que la procédure soit déjà en cours ou à naître,
- la procédure initiée par M. [V] entraînait en théorie et dès cette époque la mise en jeu de la garantie de passif par les cessionnaires or en se limitant à contester la créance de M. [V] sans prendre la précaution de solliciter à titre subsidiaire sa garantie en cas de condamnation en paiement, les appelantes ont renoncé à bénéficier de la clause de garantie de passif dans le cadre de cette procédure, ce qui constitue à tout le moins une exécution déloyale par les cessionnaires des deux clauses puisqu'elles l'ont ainsi empêché de faire valoir ses propres moyens et arguments dans le procès '[V]' expressément visé dans la garantie de passif,
- la demande en paiement formulée par voie d'assignation en 2022 est également irrecevable car elle vise une créance ayant fait l'objet d'une décision ayant force de chose jugée et à l'encontre de laquelle la Scp [B] [D], débitrice, n'a exercé aucun recours,
- l'irrecevabilité de l'action en paiement est d'autant plus acquise que les appelantes ont en outre violé l'article 2051 du code civil en ne l'informant pas du protocole d'accord signé avec M. [V] lequel constitue une transaction ainsi que le montrent, non seulement son titre 'protocole d'accord transactionnel', mais également son contenu, les parties, dont la Scp [B] [D], renonçant mutuellement à faire signifier le jugement du 8 novembre 2018 et à exercer un recours en appel,
- ce protocole ne lui ayant pas été soumis en projet lui est inopposable.
Conformément aux dispositions des articles 1103 et 1104 du code civil, dans leur rédaction issue de l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 applicable à l'acte de cession litigieux conclu postérieurement au 1er octobre 2016, les contrats légalement formés qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits, doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Selon l'article 1189 du même code, en son premier alinéa, toutes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier, étant souligné comme le prévoit l'article 1192, qu'on ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation.
L'acte définitif de cession de parts sociales en date du 19 décembre 2016 comporte une clause intitulée 'Garantie d'actif et de passif au profit de Maître [J] [D] et de Maître [O] [X]' qui stipule notamment que 'Maître [F] [G], ès qualités d'ancien associé de la Scp, garantit également Maître [J] [D] et Maître [O] [X] à proportion des droits cédés contre tout passif nouveau que ces derniers et/ou la SCP pourraient subir, dès lors que ce passif aurait une cause ou une origine à des faits antérieures à la Date de Réalisation.Maître [F] [G] garantit Maître [J] [D] et Maître [O] [X] à proportion des droits cédés de toutes condamnations éventuelles de la Scp, relatives à des procès en cours et/ou à des procédures administratives, fiscales, sociales et/ou à des sinistres trouvant leurs causes antérieurement à la Date de Réalisation, étant précisé que cette garantie se matérialisant par une obligation d'indemnisation des Cessionnaires par le Cédant, s'applique soit dès le prononcé d'une décision de justice assortie de l'exécution provisoire, soit aux termes d'un accord transactionnel conclu dans les formes de l'article 2044 du code civil.[...]Il est expressément stipulé que la SCP fait l'objet d'une procédure judiciaire intentée par M. [Z] [V], ancien associé. Les éléments relatifs à cette procédure ont été communiqués dès avant la signature des présentes par le Cédant aux Cessionnaires.[...] La présente garantie est conclue pour une durée de quatre (4) années à compter du jour de la publication du retrait de Maître [F] [G].'
Elle est suivie d'une clause dénommée 'Informations' qui prévoit que 'Maître [J] [D] et/ou la SCP, s'engagent expressément à informer sans délai Maître [F] [G] de toutes actions judiciaires et/ou administratives pouvant entraîner la mise en jeu de la garantie afin que Maître [F] [G] puisse, s'il le souhaite et à ses frais, intervenir dans le processus judiciaire et/ou administratif pour faire valoir ses propres moyens et arguments. De même, Maître [J] [D] et/ou la SCP, s'engagent à informer Maître [F] [G] de tout processus transactionnel et ne pourront s'engager dans la voie de la transaction qu'après avoir soumis le projet de transaction à Maître [F] [G] qui disposera d'un délai de 15 jours francs pour faire valoir ses observations.[...]'.
Les appelantes soutiennent à bon droit que le juge de la mise en état a opéré une confusion entre obligations de couverture et de règlement en ce que la clause relative à la garantie d'actif et de passif n'institue pas un délai pour mettre en oeuvre cette garantie mais fixe la durée pendant laquelle l'événement générateur de celle-ci doit s'être produit pour en relever, à savoir jusqu'au 30 novembre 2020, correspondant au terme du délai de quatre ans à compter du jour de la publication du retrait de M. [G].
Le passif résultant du jugement rendu le 8 novembre 2018, devenu définitif, qui a condamné la Scp [O] [B] et [J] [D] à payer à M. [V] la somme de 37 471,88 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 octobre 2015 outre 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, a une origine antérieure à la cession et a été connu avant le 30 novembre 2020, de sorte qu'il relève de la garantie.
Contrairement à ce qui est prétendu en vain par l'intimé, les clauses ci-dessus rappelées ne sont pas indissociables. Les appelantes n'étaient pas tenues à l'égard de M. [G] d'une obligation d'information relativement à la procédure contre M. [V], qui existait antérieurement à la cession et dont il était parfaitement informé pour y être partie, de sorte qu'il a pu développer ses moyens de défense à l'encontre des demandes formées dans le cadre de cette procédure. Elles n'étaient pas plus obligéees, aux termes de l'acte de cession, d'exercer à titre subsidiaire un recours en garantie à l'encontre de M. [G] à l'occasion de la procédure dans laquelle seules la Scp et Mme [B] étaient défendresses à ses côtés.
En outre, il ne peut pas se déduire de l'absence d'appel en garantie formé à titre subsidiaire par la Scp et Mme [B] une renonciation de cette dernière et de Mme [D] à se prévaloir de la clause de garantie d'actif et de passif. En effet, la renonciation à un droit doit être personnelle, certaine, expresse et non équivoque. Au demeurant, elles ne pouvaient pas y renoncer alors que le jugement n'était pas encore rendu.
Enfin, les appelantes n'avaient pas à soumettre le projet de transaction avec M. [V] à M. [G] préalablement à sa signature dès lors que le protocole d'accord signé entre la Scp et M. [V] ne créée pas un passif nouveau à la charge de la première mais constitue uniquement un échelonnement de l'obligation en paiement résultant du jugement du 8 novembre 2018 moyennant différentes modalités et renonciations.
Il convient, en conséquence, infirmant la décision, de déclarer l'action recevable.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant dans les limites de l'appel,
Infirme l'ordonnance,
Statuant à nouveau,
Déclare recevable l'action en garantie de passif initiée par Mmes [J] [D] et [O] [B] à l'encontre de M. [F] [G],
Condamne M. [F] [G] aux dépens de l'incident et d'appel,
Condamne M. [F] [G] à payer à Mmes [J] [D] et [O] [B] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
ARRET DU 11 MARS 2025
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/14171 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJ4KA
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 01 Juillet 2024 -Juge de la mise en état de Paris - RG n° 22/06095
APPELANTS
Maître [J] [D]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Maître [O] [B]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentées par Maître Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480, avocat postulant
et par Maître Céline ASTOLFE, de la SELARL Céline ASTOLFE, avocat au barreau de PARIS, substituée par Maître Adriana BISCAN, avocat au barreau de PARIS
INTIME
Monsieur [F] [G]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Maître Geneviève SROUSSI de la SELARL ALIENCE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B0072
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Janvier 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, chargée du rapport, et Madame Estelle MOREAU, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre
Madame Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
Madame Estelle MOREAU, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Michelle NOMO
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 11 mars 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
Le 6 janvier 2016, un contrat de cession de parts sociales a été conclu entre M. [F] [G], cédant, et Mmes [J] [D] et [O] [B], cessionnaires, portant sur 551 parts sociales du capital de la Scp '[F] [G] et [O] [B] Huissiers de Justice Associés' qui en comporte 1 102.
Par arrêté du 21 novembre 2016, publié au journal officiel du 30 novembre 2016, le retrait de M. [G] de la Scp [F] [G] et [O] [B] Huissiers de Justice Associés a été agréé et la société a changé de dénomination pour devenir la SCP '[O] [B] et [J] [D] Huissiers de Justice associés'.
La cession a été réitérée le 19 décembre 2016 par un acte définitif de cession de parts sociales, aux termes duquel M. [G] a consenti une garantie d'actif et de passif à proportion des droits cédés.
Dans le cadre d'un contentieux ayant débuté en 2015 au sujet du retrait de M. [Z] [V] de la Scp [F] [G] et [O] [B] Huissiers de Justice Associés, le tribunal judiciaire de Nanterre, par décision du 8 novembre 2018, a condamné la Scp [O] [B] et [J] [D] Huissiers de Justice associés à verser à M. [V] la somme de 37 471,88 euros, outre 3 000 euros au titre des frais de justice.
Par lettres recommandées avec accusé réception des 23 et 28 novembre 2018, Mmes [B] et [D] ont notifié à M. [G] la mise en oeuvre de la garantie d'actif et de passif prévue à l'acte de cession du 19 décembre 2016 et sollicité le versement des sommes de 8 354,58 euros pour la première et de 20 674,09 euros pour la seconde, en vain.
C'est dans ces circonstances que, par acte du 16 mai 2022, Mmes [J] [D] et [O] [B] ont assigné devant le tribunal judiciaire de Paris M. [F] [G] afin d'obtenir le paiement de ces sommes.
Saisi d'un incident par M. [G], le juge de la mise en état, par ordonnance rendue le 1er juillet 2023, a :
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par Mmes [D] et [B] et déclaré recevables les conclusions d'incident de M. [G],
- déclaré irrecevable car forclose l'action en garantie de passif de Mmes [D] et [B] à l'encontre de M. [G],
- condamné in solidum Mmes [D] et [B] à payer à M. [G] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum Mmes [D] et [B] à payer les dépens de l'instance,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration du 25 juillet 2024, Mmes [D] et [B] ont interjeté appel de cette décision.
Dans leurs dernières conclusions, notifiées et déposées le 2 décembre 2024, Mmes [J] [D] et [O] [B] demandent à la cour de :
- infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle :
* a déclaré irrecevable car forclose leur action en garantie de passif à l'encontre de M. [G],
* les a condamnées in solidum à payer à M. [G] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance.
et statuant à nouveau :
- déclarer recevable leur action en garantie de passif à l'encontre de M. [G],
- débouter M. [G] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner M. [G] à leur payer la somme de 3 000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [G] aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 2 décembre 2024, M. [F] [G] demande à la cour de :
- confirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions,
- déclarer en conséquence irrecevable comme forclose l'action en garantie de passif de Mmes [D] et [B] à son encontre,
- condamner in solidum les appelantes à lui verser une somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
- les condamner aux entiers dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 3 décembre 2024.
SUR CE,
Le juge de la mise en état a jugé que l'action était forclose en ce que l'acte de cession signé par les intéressés le 19 décembre 2016 prévoit une durée conventionnelle de garantie de quatre ans à compter de la date de publication du retrait de M. [G], soit jusqu'au 30 novembre 2020, et que la clause de garantie d'actif et de passif n'a pas été mise en oeuvre dans les délais prévus à l'acte.
Mmes [D] et [B] estiment que leur action est recevable en ce que :
- l'interprétation de la clause de garantie par le juge de la mise en état démontre une confusion entre la durée de garantie, c'est à dire la durée pendant laquelle l'événement générateur de la garantie doit s'être produit pour relever de la garantie, et le délai pour mettre en oeuvre la garantie,
- la clause de garantie fixe la première mais ne prévoit pas de délai pour mettre en oeuvre la garantie de sorte que l'obligation de M. [G] perdure jusqu'à l'expiration du délai de prescription légal soit le 8 novembre 2023,
- la clause de garantie couvre les événements générateurs survenus avant la cession et ce jusqu'au 30 novembre 2020, indépendamment du délai de mise en oeuvre de cette dernière qui n'est pas déterminé,
- le passif litigieux, qui trouve sa cause antérieurement à la cession, a été révélé par le jugement du 8 novembre 2018 soit avant le 30 novembre 2020 de sorte qu'il est couvert par la garantie,
- en l'absence de stipulation dans l'acte de cession fixant un délai pour la mise en oeuvre de la garantie le délai applicable pour faire valoir la garantie est le délai de prescription légal conformément à l'article 2224 du code civil,
- elles disposaient donc d'un délai expirant le 8 novembre 2023 pour agir contre M. [G] en exécution de son obligation d'indemnisation, en sorte que leur action initiée par assignation du 16 mai 2022 est recevable,
- il ne peut pas leur être reproché un manquement à l'obligation d'information prévue au contrat, laquelle ne vise que les actions judiciaires ou administratives postérieures à la cession, étant souligné que M. [G] avait parfaitement connaissance de la procédure intentée par M. [V] antérieurement à la cession, explicitement visée dans l'acte et dans laquelle il était assigné,
- M. [G] dénature les termes clairs des stipulations contractuelles en prétendant qu'elles auraient dû l'appeler en garantie dans le cadre de la procédure intentée par M. [V], la clause d'information ne leur imposant pas de soumettre l'activation de la garantie à un débat judiciaire préalable,
- le fait qu'elles n'aient pas appelé M. [G], lequel était partie à la procédure, en garantie dans le cadre de la procédure intentée par M. [V] est sans aucune incidence et n'affecte en rien son obligation de garantie,
- l'obligation de garantie du passif pesant sur M. [G] n'est pas remise en cause par la conclusion entre la Scp et M. [V] d'un échéancier de paiement, aux fins d'alléger la charge immédiate des réglements, qu'elles n'avaient pas à lui soumettre au préalable, ce protocole ne constituant en aucun cas une transaction au sens de l'article 2044 du code civil mettant fin à un différend et ne créant pas un passif nouveau,
- M. [G], qui était partie à ce jugement, n'en a pas interjeté appel,
- elles n'ont jamais exprimé de quelque manière que ce soit une intention de renoncer à la clause de garantie et, s'agissant d'un droit propre, la Scp ne peut y renoncer en leurs lieu et place.
M. [F] [G] réplique que l'action est forclose en ce que :
- la garantie de passif, qui vise expressément le procès opposant M. [V] à la Scp, stipule que ses effets sont limités à un délai de quatre ans à compter du jour de la publication du retrait de M. [G], le 30 novembre 2016, soit jusqu'au 30 novembre 2020,
- s'agissant d'un délai préfix, toute demande en justice à son encontre devait être introduite dans ce délai,
- la Scp [B] [D] et Mme [B], parties à la procédure contre M. [V], auraient dû préserver leurs droits à son égard, notamment en sollicitant à titre subsidiaire sa garantie, ce qu'elles n'ont pas fait,
- ce faisant, elles ont renoncé de facto à toute demande en remboursement à son encontre à ce titre,
- la garantie dont se prévalent Mmes [D] et [B] aurait dû être mise en oeuvre dans le cadre de cette procédure judiciaire spécifique, portant sur une créance expressément visée dans l'acte de cession,
- la clause de garantie de passif est indissociable de la clause 'Informations' qui la suit immédiatement après et le rapprochement entre elles confirme que l'esprit de la garantie est de permettre au cédant de faire valoir ses arguments que la procédure soit déjà en cours ou à naître,
- la procédure initiée par M. [V] entraînait en théorie et dès cette époque la mise en jeu de la garantie de passif par les cessionnaires or en se limitant à contester la créance de M. [V] sans prendre la précaution de solliciter à titre subsidiaire sa garantie en cas de condamnation en paiement, les appelantes ont renoncé à bénéficier de la clause de garantie de passif dans le cadre de cette procédure, ce qui constitue à tout le moins une exécution déloyale par les cessionnaires des deux clauses puisqu'elles l'ont ainsi empêché de faire valoir ses propres moyens et arguments dans le procès '[V]' expressément visé dans la garantie de passif,
- la demande en paiement formulée par voie d'assignation en 2022 est également irrecevable car elle vise une créance ayant fait l'objet d'une décision ayant force de chose jugée et à l'encontre de laquelle la Scp [B] [D], débitrice, n'a exercé aucun recours,
- l'irrecevabilité de l'action en paiement est d'autant plus acquise que les appelantes ont en outre violé l'article 2051 du code civil en ne l'informant pas du protocole d'accord signé avec M. [V] lequel constitue une transaction ainsi que le montrent, non seulement son titre 'protocole d'accord transactionnel', mais également son contenu, les parties, dont la Scp [B] [D], renonçant mutuellement à faire signifier le jugement du 8 novembre 2018 et à exercer un recours en appel,
- ce protocole ne lui ayant pas été soumis en projet lui est inopposable.
Conformément aux dispositions des articles 1103 et 1104 du code civil, dans leur rédaction issue de l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 applicable à l'acte de cession litigieux conclu postérieurement au 1er octobre 2016, les contrats légalement formés qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits, doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Selon l'article 1189 du même code, en son premier alinéa, toutes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier, étant souligné comme le prévoit l'article 1192, qu'on ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation.
L'acte définitif de cession de parts sociales en date du 19 décembre 2016 comporte une clause intitulée 'Garantie d'actif et de passif au profit de Maître [J] [D] et de Maître [O] [X]' qui stipule notamment que 'Maître [F] [G], ès qualités d'ancien associé de la Scp, garantit également Maître [J] [D] et Maître [O] [X] à proportion des droits cédés contre tout passif nouveau que ces derniers et/ou la SCP pourraient subir, dès lors que ce passif aurait une cause ou une origine à des faits antérieures à la Date de Réalisation.Maître [F] [G] garantit Maître [J] [D] et Maître [O] [X] à proportion des droits cédés de toutes condamnations éventuelles de la Scp, relatives à des procès en cours et/ou à des procédures administratives, fiscales, sociales et/ou à des sinistres trouvant leurs causes antérieurement à la Date de Réalisation, étant précisé que cette garantie se matérialisant par une obligation d'indemnisation des Cessionnaires par le Cédant, s'applique soit dès le prononcé d'une décision de justice assortie de l'exécution provisoire, soit aux termes d'un accord transactionnel conclu dans les formes de l'article 2044 du code civil.[...]Il est expressément stipulé que la SCP fait l'objet d'une procédure judiciaire intentée par M. [Z] [V], ancien associé. Les éléments relatifs à cette procédure ont été communiqués dès avant la signature des présentes par le Cédant aux Cessionnaires.[...] La présente garantie est conclue pour une durée de quatre (4) années à compter du jour de la publication du retrait de Maître [F] [G].'
Elle est suivie d'une clause dénommée 'Informations' qui prévoit que 'Maître [J] [D] et/ou la SCP, s'engagent expressément à informer sans délai Maître [F] [G] de toutes actions judiciaires et/ou administratives pouvant entraîner la mise en jeu de la garantie afin que Maître [F] [G] puisse, s'il le souhaite et à ses frais, intervenir dans le processus judiciaire et/ou administratif pour faire valoir ses propres moyens et arguments. De même, Maître [J] [D] et/ou la SCP, s'engagent à informer Maître [F] [G] de tout processus transactionnel et ne pourront s'engager dans la voie de la transaction qu'après avoir soumis le projet de transaction à Maître [F] [G] qui disposera d'un délai de 15 jours francs pour faire valoir ses observations.[...]'.
Les appelantes soutiennent à bon droit que le juge de la mise en état a opéré une confusion entre obligations de couverture et de règlement en ce que la clause relative à la garantie d'actif et de passif n'institue pas un délai pour mettre en oeuvre cette garantie mais fixe la durée pendant laquelle l'événement générateur de celle-ci doit s'être produit pour en relever, à savoir jusqu'au 30 novembre 2020, correspondant au terme du délai de quatre ans à compter du jour de la publication du retrait de M. [G].
Le passif résultant du jugement rendu le 8 novembre 2018, devenu définitif, qui a condamné la Scp [O] [B] et [J] [D] à payer à M. [V] la somme de 37 471,88 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 octobre 2015 outre 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, a une origine antérieure à la cession et a été connu avant le 30 novembre 2020, de sorte qu'il relève de la garantie.
Contrairement à ce qui est prétendu en vain par l'intimé, les clauses ci-dessus rappelées ne sont pas indissociables. Les appelantes n'étaient pas tenues à l'égard de M. [G] d'une obligation d'information relativement à la procédure contre M. [V], qui existait antérieurement à la cession et dont il était parfaitement informé pour y être partie, de sorte qu'il a pu développer ses moyens de défense à l'encontre des demandes formées dans le cadre de cette procédure. Elles n'étaient pas plus obligéees, aux termes de l'acte de cession, d'exercer à titre subsidiaire un recours en garantie à l'encontre de M. [G] à l'occasion de la procédure dans laquelle seules la Scp et Mme [B] étaient défendresses à ses côtés.
En outre, il ne peut pas se déduire de l'absence d'appel en garantie formé à titre subsidiaire par la Scp et Mme [B] une renonciation de cette dernière et de Mme [D] à se prévaloir de la clause de garantie d'actif et de passif. En effet, la renonciation à un droit doit être personnelle, certaine, expresse et non équivoque. Au demeurant, elles ne pouvaient pas y renoncer alors que le jugement n'était pas encore rendu.
Enfin, les appelantes n'avaient pas à soumettre le projet de transaction avec M. [V] à M. [G] préalablement à sa signature dès lors que le protocole d'accord signé entre la Scp et M. [V] ne créée pas un passif nouveau à la charge de la première mais constitue uniquement un échelonnement de l'obligation en paiement résultant du jugement du 8 novembre 2018 moyennant différentes modalités et renonciations.
Il convient, en conséquence, infirmant la décision, de déclarer l'action recevable.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant dans les limites de l'appel,
Infirme l'ordonnance,
Statuant à nouveau,
Déclare recevable l'action en garantie de passif initiée par Mmes [J] [D] et [O] [B] à l'encontre de M. [F] [G],
Condamne M. [F] [G] aux dépens de l'incident et d'appel,
Condamne M. [F] [G] à payer à Mmes [J] [D] et [O] [B] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE