CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 12 mars 2025, n° 24/10333
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Officina Profumo Farmaceutica Di Santa Maria Novella (Sté)
Défendeur :
Smn France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me De Maria, Me Karsenty-Ricard, Me Bakayoko, SELARL Pellerin - de Maria - Guerre, SELARL JP Karsenty & Associés
FAITS ET PROCEDURE
La société Officina Profumo Farmaceutica Di Santa Maria Novella (ci-après la société Santa Maria Novella) est une société de droit italien qui a pour activité la fabrication et la commercialisation, dans le monde entier et via son site internet www.smnnovella.com des produits cosmétiques et des produits d'herboristerie et d'aromathérapie.
La société SMN France (ci-après « la société SMN »), constituée en 1998, a pour activité la vente de parfums, de produits cosmétiques, de vêtements et autres accessoires de mode à travers différents points de vente localisés à [Localité 8] et via son site internet. Elle a été créée par M. [J] [H], connu sous le nom d'[K] [F] qui en est le gérant.
Pendant plusieurs années, la société SMN France a commercialisé des produits de la société Santa Maria Novella en France en bénéficiant d'une exclusivité de vente sur le marché français à l'exception de [Localité 7] et ses alentours stipulée dans un acte signé par les parties le 19 décembre 1997.
Par lettre du 17 juillet 2021, la société Santa Maria Novella a notifié à la société SMN France la fin de leurs relations commerciales avec un délai de préavis de six mois. Aux termes de ce courrier, il était également demandé à la société SMN France, à compter du 17 janvier 2022, de notamment, cesser toute commercialisation de produits Santa Maria Novella ainsi que toute utilisation de ses droits de propriété intellectuelle, de retourner à la société Santa Maria Novella tout le matériel promotionnel fourni ou non par la société Santa Maria Novella ainsi que tout document imprimé ou enregistré relatif à la société Santa Maria Novella et ses activités contenant des informations confidentielles, et de lui fournir une liste précise et complète de l'ensemble des stocks de produits Santa Maria Novella.
Un litige a persisté entre les parties, tenant, d'une part, au respect par la société SMN des obligations énoncées dans la lettre de rupture, et d'autre part, à l'utilisation par la société SMN France du nom commercial « Santa Maria Novella », ainsi que des droits de propriété intellectuelle de la société Santa Maria Novella.
C'est dans ces circonstances que, par acte d'huissier du 21 juillet 2022, la société SMN France a assigné la société Santa Maria Novella devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir des dommages-intérêts en réparation des préjudices qu'elle dit avoir subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies et subsidiairement d'un déséquilibre significatif. La société Santa Maria Novella a soulevé l'incompétence du tribunal de commerce de Paris sur le fondement de l'article 7 1° du règlement dit Bruxelles I bis.
Par jugement du 25 mars 2024, le tribunal de commerce de Paris s'est déclaré compétent pour connaître du litige et a condamné la société Santa Maria Novella aux dépens et à payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Santa Maria Novella a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 12 juin 2024.
Par ordonnance du 03 septembre 2024 la Cour a autorisé la société Santa Maria Novella à assigner à jour fixe la société SMN France.
Par acte délivré le 16 septembre 2024 à l'étude d'huissier, la société Santa Maria Novella a été assignée pour l'audience du 8 janvier 2025.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées par RPVA le 12 juin 2024 et signifiées le 16 septembre 2024, la société Santa Maria Novella demande à la Cour de :
Vu l'article 7 1) du Règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012,
Vu la jurisprudence citée et les pièces produites,
Vu le Jugement du Tribunal de commerce du 25 mars 2024,
Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 25 mars 2024 de ses chefs suivants
- « Dit ['] mal fondée l'exception d'incompétence soulevée par la Société de droit italien Officina Profumo Farmaceutica Dl Santa Maria Novella S.p.A. » ;
- « Se déclare compétent pour connaitre du présent litige » ;
- « Condamne la Société de droit italien Officina Profumo Farmaceutica Dl Santa Maria Novella S.p.A. à payer à la SARL SMN France la somme de 5 000 €, au titre de l'article 700 du code de procédure civile » ;
- « Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires » ; à savoir, pour la société Officina Profumo Farmaceutica Di Santa Maria Novella les demandes suivantes soumises au Tribunal de commerce de Paris selon conclusions remises à l'audience du 20 octobre 2023 et soutenues à l'audience du 2 février 2024 :
- « - Condamner la société SMN France à verser la somme de 5 000 euros à la société de droit italien Santa Maria Novella au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; »
- « - Condamner la société SMN France aux entiers dépens ; »
Et encore la réformation du jugement rendu le 25 mars 2024 par le Tribunal de commerce de son chef suivant :
- « Condamne la Société de droit italien Officina Profumo Farmaceutica Dl Santa Maria Novella S.p.A. aux dépens de l'incident » ;
En conséquence, statuant à nouveau et ajoutant au jugement ;
Recevoir l'exception d'incompétence du Tribunal de commerce de Paris, et la déclarer bien fondée ;
Déclarer le Tribunal de commerce de Paris incompétent pour statuer sur les demandes de la société SMN France à l'encontre de la société de droit italien Santa Maria Novella ;
Renvoyer la société SMN France à mieux se pourvoir ;
Débouter la société SMN France de l'ensemble de ses demandes ;
Condamner la société SMN France à verser la somme de 7.000 euros à la société de droit italien Santa Maria Novella au titre de l'article 700 du Code de procédure civile exposés en première instance et en appel ;
Condamner la société SMN France aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 8 janvier 2025 par RPVA, la société SMN demande à la Cour de :
Vu les articles 963 et suivants du Code de procédure civile ;
Vu les articles 4 et 7 du Règlement (UE) n'1215/2012 du 12 décembre 2012, dit « Règlement Bruxelles I bis » ;
Vu les moyens qui précèdent et les pièces versées aux débats,
Débouter la société L'Officina Profumo Farmaceutica Di Santa Maria Novella S.P.A. de l'ensemble de ses demandes ;
Confirmer le Jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 25 mars 2024 ;
En toute hypothèse :
Condamner la société Officina Profumo Farmaceutica Di Santa Maria Novella S.P.A. à payer à la société S M N France S.A.R.L. la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner la société Officina Profumo Farmaceutica Di Santa Maria Novella S.P.A. aux entiers dépens.
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La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
I- Sur l'exception d'incompétence
Exposé des moyens,
Au soutien de son appel, la société Santa Maria Novella expose qu'au regard de l'arrêt Granarolo du 14 juillet 2016 de la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après « CJUE »), l'action indemnitaire fondée sur une prétendue rupture brutale des relations commerciales établies est de nature contractuelle pour l'application du règlement Bruxelles I bis. Elle en déduit que les dispositions à mobiliser pour la présente espèce sont celles de l'article 7 point 1 du règlement Bruxelles I bis opérant, en matière contractuelle, une distinction entre les contrats de vente de marchandise et les contrats de fourniture de services pour déterminer la juridiction compétente. Elle fait grief aux premiers juges d'avoir retenu l'existence d'un contrat de fourniture de services, alors que selon elle, les éléments produits démontrent une relation encadrée par une succession de contrat de vente. Elle rappelle que la CJUE exige à ce titre la démonstration d'une activité déterminée en contrepartie d'une rémunération (CJUE 19 déc. 2013, C-9/12, Corman Collins pt 36). A cet effet, elle soutient que les parties n'étaient soumises à aucun engagement concret et effectif allant au-delà de la détermination du prix et des modalités de transport des marchandises, qu'aucune exclusivité n'a jamais été effectivement appliquée par les parties, et que la société SMN avait sa propre stratégie commerciale et ouvrait des boutiques de sa propre initiative pour développer sa marque [K] [F]. Elle précise n'avoir jamais consenti ni exigé un quelconque service de la part de la société SMN qui gérait son activité en toute indépendance. Aussi, la société Santa Maria Novella estime que les relations commerciales entre les parties doivent être qualifiées de ventes de marchandises au sens de l'article 7 point 1 du règlement Bruxelles 1 Bis et qui détermine la juridiction compétente au lieu de livraison des marchandises. A cet effet, elle fait valoir que les incoterms revêtent un caractère essentiel pour déterminer le lieu de livraison désigné en vertu du contrat et qu'en l'espèce, la référence et l'utilisation de l'incoterm « Ex Works » par la société SMN France et la société Santa Maria Novella atteste que le lieu de livraison des marchandises est [Localité 5], en Italie, à la sortie d'usine du vendeur. Elle en déduit que le tribunal de commerce de Paris est incompétent.
En réponse, la société SMN fait valoir qu'elle a exercé une activité pour le compte de la société Santa Maria Novella, qui ne se limitait pas à l'achat et la vente de produits, en contrepartie de laquelle elle était rémunérée et caractérisant un contrat de fourniture de services au sens de l'article 7, point 1, sous b) du règlement Bruxelles 1 bis. A cet effet, elle relève qu'elle a commercialisé de manière ininterrompue et sur la quasi-totalité de la France depuis 1992, à titre exclusif depuis un accord écrit du 19 décembre 1997, des produits qu'elle achetait directement auprès de la société Santa Maria Novella. Elle indique avoir sélectionné des adresses « mythiques » à [Localité 8] et entrepris de nombreux travaux dans ses boutiques afin de reprendre les codes de la renaissance italienne de la société Santa Maria Novella et ainsi assurer la distribution des produits dans le respect de l'histoire de la marque et de son prestige. Elle explique en outre avoir construit l'image de la marque Santa Maria Novella en France pendant 30 ans en participant activement à la stratégie commerciale de cette dernière, par des campagnes de presse et des opérations commerciales qu'elle a initiées et qui ont permis d'accroître la renommée de Santa Maria Novella en Italie et à l'international. Elle précise qu'elle bénéficiait de la gamme complète des produits de la marque dans chacune de ses boutiques. Elle estime qu'elle offrait ainsi aux clients des services et des avantages que ne peut offrir un simple revendeur. Elle soutient qu'en contrepartie de cette activité de distribution elle bénéficiait d'un accord d'exclusivité, d'une rémunération sous forme de facilités de paiement à 60 jours fin de mois jusqu'en octobre 2021 et de tarifs spéciaux. Elle en déduit que le contrat de distribution exclusive conclu entre les parties était un contrat de fourniture de services exécutés en France, justifiant ainsi la compétence des juridictions françaises en application de l'article 7, point 1, sous b) du règlement Bruxelles I Bis. A titre subsidiaire, elle fait valoir que l'incoterm « Ex-Works » ne figure que sur les documents établis unilatéralement par la société Santa Maria Novella, à savoir certaines factures et bons de livraison, et qu'elle n'a jamais consenti à une telle clause qui n'est pas entrée dans le champ contractuel. Elle soutient que le lieu de la remise matérielle des marchandises à la destination finale de l'opération de vente étant Paris, siège de SMN France, le tribunal de commerce de Paris est bien compétent.
Réponse de la Cour,
L'action indemnitaire de la société SMN dirigée à l'encontre de la société Santa Maria Novella est fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date.
Dans son arrêt Granarolo du 14 juillet 2016 C-196/1, la CJUE a dit pour droit que L'article 5, point 3, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu'une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date, telle que celle en cause dans l'affaire au principal, ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle au sens de ce règlement s'il existait, entre les parties, une relation contractuelle tacite, ce qu'il revient à la juridiction de renvoi de vérifier. La démonstration visant à établir l'existence d'une telle relation contractuelle tacite doit reposer sur un faisceau d'éléments concordants, parmi lesquels sont susceptibles de figurer notamment l'existence de relations commerciales établies de longue date, la bonne foi entre les parties, la régularité des transactions et leur évolution dans le temps exprimée en quantité et en valeur, les éventuels accords sur les prix facturés et/ou sur les rabais accordés, ainsi que la correspondance échangée.
En l'espèce, il n'est pas contesté par les parties que celles-ci ont entretenu une relation commerciale étroite et privilégiée depuis au moins 1998, au cours de laquelle la société SMN a commercialisé les produits de luxe de la marque Santa Maria Novella au travers de six points de vente, principalement à [Localité 8], ainsi que via son site internet depuis 2015. Lors des trois dernières années précédant la rupture (2019 à 2021), le montant moyen annuel des achats réalisés par la société SMN auprès de la société Santa Maria Novella était de l'ordre de 560 000 euros (contre une moyenne de l'ordre de 230 000 euros entre 2010 et 2012), et la commercialisation de ces produits représentait près de 80% du chiffre d'affaires global de la société SMN entre 2019 et 2021.
Aussi, comme le relèvent de manière concordante les parties, l'action indemnitaire fondée sur la rupture de leur relation commerciale entretenue de longue date, relève bien de la matière contractuelle au sens du règlement Bruxelles I bis.
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L'article 7, point 1, du règlement Bruxelles I bis prévoit, en matière contractuelle, les compétences spéciales suivantes :
Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre :
1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande ;
b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est :
- pour la vente de marchandises, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,
- pour la fourniture de services, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;
c) le point a) s'applique si le point b) ne s'applique pas ;
Pour l'application de ce texte la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a déjà jugé que, aux fins de la détermination de la compétence judiciaire, un contrat de concession exclusive ou quasi-exclusive relève, en principe, de la notion de « contrat de fourniture de services » (en ce sens arrêt du 19 décembre 2013, Corman-Collins, C-9/12, points 27, 28 et 41 ; arrêt du 8 mars 2018, Saey Home & Garden NV/SA, C-64/17, point 41).
La CJUE dans son arrêt du 19 décembre 2013 Corman-Collins précité (points 27 et 28), a d'abord précisé la notion de contrat de concession :
« Quelle que soit la variété des contrats de concession dans la pratique commerciale, les obligations qu'ils prévoient s'articulent autour de la finalité de ce type de contrats, qui est d'assurer la distribution des produits du concédant. À cet effet, le concédant s'engage à vendre au concessionnaire, qu'il a sélectionné à cet effet, les marchandises dont ce dernier passera commande pour satisfaire la demande de sa clientèle, tandis que le concessionnaire s'engage à acheter au concédant les marchandises dont il aura besoin.
Selon une analyse largement admise dans le droit des États membres, le contrat de concession se présente sous la forme d'un accord-cadre, qui établit les règles générales applicables à l'avenir aux rapports entre le concédant et le concessionnaire quant à leurs obligations de fourniture et/ou d'approvisionnement et prépare les contrats de vente subséquents. Comme l'a relevé M. l'avocat général au point 41 de ses conclusions, il est fréquent que les parties prévoient également des stipulations particulières concernant la distribution par le concessionnaire des marchandises vendues par le concédant. »
Ensuite, pour rechercher si un contrat de concession entre dans l'une ou l'autre des catégories prévues par l'article 7, point 1, précité, il convient selon la CJUE (arrêt du 19 décembre 2013, Corman-Collins, C-9/12, points 35 et suivants ; arrêt du 8 mars 2018, Saey Home & Garden NV/SA, C-64/17, points 37 à 40) de se fonder sur l'obligation caractéristique du contrat en cause, de la manière suivante :
« Ainsi, un contrat dont l'obligation caractéristique est la livraison d'un bien doit être qualifié de « vente de marchandises », au sens de l'article 7, point 1, sous b), premier tiret, du règlement no 1215/2012 (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2016, Granarolo, C-196/15, EU :C :2016 :559, point 34 et jurisprudence citée).
Une telle qualification peut trouver à s'appliquer à une relation commerciale durable entre deux opérateurs économiques, lorsque cette relation se limite à des accords successifs ayant chacun pour objet la livraison et l'enlèvement de marchandises. En revanche, elle ne correspond pas à l'économie d'un contrat de concession typique, caractérisé par un accord-cadre ayant pour objet un engagement de fourniture et d'approvisionnement conclu pour l'avenir par deux opérateurs économiques, comportant des stipulations contractuelles spécifiques quant à la distribution par le concessionnaire des marchandises vendues par le concédant.
Quant au point de savoir si un contrat peut être qualifié de « contrat de fourniture de services », au sens de l'article 7, point 1, sous b), second tiret, du règlement no 1215/2012, il y a lieu de rappeler que la notion de « services » implique, pour le moins, que la partie qui les fournit effectue une activité déterminée en contrepartie d'une rémunération (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2017, Kareda, C-249/16, EU :C :2017 :472, point 35 et jurisprudence citée).
Concernant le critère relatif à l'existence d'une activité, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu'il requiert l'accomplissement d'actes positifs, à l'exclusion de simples abstentions. Ce critère correspond, dans le cas d'un contrat de concession, à la prestation caractéristique fournie par le concessionnaire qui, en assurant la distribution des produits du concédant, participe au développement de leur diffusion. Grâce à la garantie d'approvisionnement dont il bénéficie en vertu du contrat de concession et, le cas échéant, à sa participation à la stratégie commerciale du concédant, notamment aux opérations promotionnelles, éléments dont la constatation relève de la compétence du juge national, le concessionnaire est en mesure d'offrir aux clients des services et des avantages que ne peut offrir un simple revendeur et, ainsi, de conquérir, au profit des produits du concédant, une plus grande part du marché local (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, Corman-Collins, C-9/12, EU :C :2013 :860, point 38 et jurisprudence citée).
S'agissant du critère de la rémunération accordée en contrepartie d'une activité, il convient de souligner qu'il ne saurait être entendu au sens strict du versement d'une somme d'argent. Il y a lieu de tenir compte, d'une part, de l'avantage concurrentiel conféré au concessionnaire par le bénéfice, en raison du contrat conclu entre les parties, d'une exclusivité ou quasi-exclusivité de vendre les produits du concédant sur un marché donné et, d'autre part, d'une aide éventuelle octroyée au concessionnaire en matière d'accès aux supports de publicité, de transmission d'un savoir-faire au moyen d'actions de formation, ou encore de facilités de paiement, l'ensemble de ces avantages pouvant être considéré comme étant constitutif d'une rémunération du concessionnaire (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, Corman-Collins, C-9/12, EU :C :2013 :860, points 39 et 40). »
Enfin, une fois vérifié que le contrat de concession commerciale en cause peut être effectivement qualifié de « contrat de fourniture de services », il convient de déterminer le lieu d'exécution de l'obligation caractéristique d'un tel contrat et la juridiction compétente pour connaître des litiges y relatifs.
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En l'espèce, les parties s'opposent sur la qualification de leur relation commerciale établie de longue date, la société Santa Maria Novella estime que celle-ci doit être qualifiée de « vente de marchandise » alors que la société SMN considère leur relation comme étant un contrat de distribution exclusive, soit un contrat de concession international relevant de la catégorie de « fourniture de services ».
Par acte du 19 décembre 1997, la société Santa Maria Novella a concédé à M. [H] [P] [F] une exclusivité de vente de ses produits sur le marché français, à l'exception de [Localité 7] et ses alentours (pièce SMN n°12). Si la société Santa Maria Novella prétend que cette exclusivité n'était de fait pas respectée, la société SMN a néanmoins réalisé entre 1996 et 2011 69% des ventes de Santa Maria Novella en France et 59 % entre 2012 et 2022 (pièce Santa Maria n°16), et que l'exclusivité était au moins un temps respectée sur la ville de [Localité 8]. Ainsi, la société SMN produit par ailleurs différents articles de presse et prospectus sur lesquels la société Santa Maria Novella présente [K] [F] comme son « concessionnaire » (pièces n° 47 et 50) ou que les produits sont en « exclusivité » chez le créateur (pièces n° 51). Sont également versés aux débats divers courriels (pièce SMN n°52) aux termes desquels la société Santa Maria Novella présente la société SMN ou [K] [F] comme son « partenaire historique » ou « concessionnaire officiel lié par un accord d'exclusivité » pour refuser d'autre distributeur sur la ville de [Localité 8] (pièce SMN n° 52).
Comme l'a relevé de manière pertinente le tribunal, la SMN a inscrit la vente des produits de la société Santa Maria Novella dans une véritable stratégie commerciale, propre à promouvoir la notoriété de la marque Santa Maria Novella en France (pièces n°33 à 36). Entre 1995 et 2021, la société SMN a ouvert six boutiques à [Localité 8] situées à des adresses de prestige, dont certaines exclusivement dédiées à la vente des produits de la marque Santa Maria Novella, et au sein desquelles la société SMN a développé un concept de présentation de la marque dans le respect de son histoire liée à la renaissance italienne avec des aménagements très spécifiques ( création d'une chapelle dans l'esprit de la basilique Santa Maria Novella, d'un cabinet de curiosité dans l'esprit renaissance, reconstitution d'une galerie d'art avec les codes artistiques de la renaissance italienne, fresques, marbre de collection, statues moulées à l'ancienne'). La société SMN a également poursuivi le développement de la marque en France avec l'ouverture d'un corner pour la vente de ces produits au Bon Marché Rive Gauche en 2014 et l'exploitation d'un site internet en 2015.
La société SMN justifie également avoir mené diverses campagnes de communication et de promotion de la marque, telles que des articles de presse, des évènements autour de l'ouverture des boutiques, des animations au Bon Marché Rive Gauche, une exposition dans les vitrines de [6] (pièces SMN n° 33 à 47).
Ainsi, le montant des achats de la société SMN, constituée par M. [F] en 1998, auprès de la société partenaire a été croissant pour passer de 230 000 euros en 2010 à 620 000 euros en 2019 et 570 000 euros en 2021 et pour représenter près de 80% de son chiffre d'affaires.
Comme l'a relevé le tribunal, il est démontré que la société SMN a mis en 'uvre une stratégie commerciale structurée, reposant sur le développement d'un univers de marque, haut de gamme, inspiré de codes artistiques dédiés, au service de la vente des produits Santa Maria Novella au sein de ses propres boutiques. Si cette stratégie commerciale servait au développement des boutiques de la SMN sous l'enseigne A. [F], elle profitait également à la société Santa Maria Novella en développant la notoriété de ses produits et leur diffusion commerciale en France. Cette stratégie commerciale n'était certes pas formalisée entre les parties et le plus souvent à l'initiative de la société SMN, celle-ci n'en était pas moins approuvée voire encouragée par la société Santa Maria Novella, comme en attestent les éléments suivants :
- le 28 janvier 1999, Santa Maria Novella s'est portée caution de toutes les sommes que pourrait devoir SMN à GENERALI FRANCE en vertu du bail de la boutique située [Adresse 1] (pièce SMN n° 48),
- le 12 avril 2013, Santa Maria Novella a indiqué à l'enseigne MERCI qui souhaitait devenir distributeur des produits qu' « A [Localité 8], notre 'partenaire historique' a convenu avec nous d'une stratégie que nous entendons respecter » (pièce SMN n°29),
- le 15 février 2017, SMN a adressé à Santa Maria Novella un email proposant un rendez-vous « afin de faire le point et que vous m'expliquiez ce que vous attendez de nous, votre projet et vos objectifs pour les années à venir et ce que nous pouvons vous apporter. ['] Ainsi nous pourrons faire le bilan point par point, sur tout, trouver une assurance qui convienne qui nous permette ensemble de consolider le positionnement la communication, le chiffre d'affaires » (pièce SMN n°49),
- le 23 janvier 2019, Santa Maria Novella a transféré à SMN une demande de partenariats des Galeries Lafayette en précisant « j'espère que les conditions qu'ils vous donneront correspondront à nos attentes respectives » (pièce SMN n°49),
- le 22 avril 2000 la Repubblica titrait « Et l'ancienne pharmacie ouvre sur la [Adresse 9] » et indiquait « L'OFFICINA Profumo di Santa Maria Novella ouvre un nouveau magasin à [Localité 8]. Au coin de la [Adresse 9] et de la [Adresse 10]. « Ce sera le plus beau de tous ceux que nous avons dispersés dans le monde » annonce le directeur [V] [R], précisant qu'il existe déjà à [Localité 8] une vitrine des produits de l'ancienne marque florentine à [6] et un concessionnaire, [K] [F], qui inaugurera la nouvelle boutique en juin » (pièce SMN n°47).
Enfin, la société SMN met en évidence, sans être sérieusement contredite par la société Santa Maria Novella, qu'elle bénéficiait, outre d'une quasi-exclusivité, de facilités de paiement à 60 jours attestées par les factures Santa Maria Novella et de tarifs spéciaux (pièces SMN n° 45), avantages que la société Santa Maria Novella a souhaité remettre en cause en 2021 (pièces SMN n°18 à 19).
De l'ensemble, il ressort que la relation commerciale durable nouée entre les parties, ne se limitait pas à des accords successifs ayant chacun pour objet la livraison et l'enlèvement de marchandises, mais relevait de par son économie d'un contrat de concession type, par lequel la société Santa Maria Novella avait sélectionné la société SMN pour distribuer ses produits de manière quasi-exclusive en France et notamment à [Localité 8]. Sans être formalisée par un contrat cadre écrit, la relation n'en n'était pas moins très étroite et privilégiée, et par laquelle la société SMN a développé une activité de stratégie commerciale structurée, approuvée et encouragée par son partenaire, et ayant contribué en France de manière significative à la diffusion des produits Santa Maria Novella et au développement de la notoriété de la marque. En contrepartie, la société SMN bénéficiait de divers avantages, tels les délais de paiements ou tarifs spéciaux.
Dès lors, la relation commerciale nouée entre les parties doit être qualifiée de contrat de concession relevant de la catégorie de « fourniture de services » au sens de l'article 7, point 1 sous b), second tiret.
Les services ayant été fournis par la société SMN à Paris, le tribunal de commerce de Paris est compétent et le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.
II- Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Santa Maria Novella aux dépens de l'incident et à payer à la société SMN la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Santa Maria Novella, succombant en son appel, sera condamnée aux dépens d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Santa Maria Novella sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société SMN la somme de 5 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la Cour ;
Y ajoutant,
Condamne la société Officina Profumo Farmaceutica Di Santa Maria Novella aux dépens d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Officina Profumo Farmaceutica Di Santa Maria Novella et la condamne à payer à la société SMN France la somme de 5000 euros.