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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 12 mars 2025, n° 22/15026

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Securidom Telesurveillance (SARL)

Défendeur :

Securidom Telesurveillance (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Especel, Me de Thoré, Me Ingold, Me Brunet-Stoclet

T. mixte com. Fort-de-France, du 11 juil…

11 juillet 2022

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [D] [T] était, jusqu'au 31 décembre 2018, un entrepreneur individuel ayant pour activité principale, en Martinique, les travaux d'installation électrique dans tous locaux.

La SARL Sécuridom Télésurveillance a pour activité principale l'installation et la maintenance de systèmes d'alarme et de télésurveillance au bénéfice d'entreprises et de particuliers situés en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane et à La Réunion.

Alors qu'il avait pour seul client la société Marine Service Sécurité Industrie, dont le dirigeant est également celui de la SARL Sécuridom Télésurveillance, monsieur [D] [T] a signé avec cette dernière un contrat de sous-traitance le 11 août 2011 pour une durée d'un an. Son exécution se poursuivait néanmoins après survenance de son terme et les relations cessaient définitivement en septembre 2016.

Par requête du 23 juin 2017, monsieur [D] [T] a saisi le conseil des prud'hommes de Fort-de-France d'une demande requalification du contrat de sous-traitance en contrat de travail. Par jugement du 16 mai 2019, cette juridiction a rejeté cette prétention et s'est déclaré incompétent au profit du tribunal mixte de commerce de Fort-de-France.

Par jugement du 11 juillet 2022, le tribunal mixte de commerce de Fort-de-France, saisi en particulier d'une demande de monsieur [D] [T] au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, a rejeté les demandes des parties et a condamné ce dernier à payer à la SARL Sécuridom Télésurveillance la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 10 août 2022, monsieur [D] [T] a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 20 novembre 2024 par la voie électronique, monsieur [D] [T] demande à la cour, au visa de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce :

- d'infirmer le jugement du tribunal mixte de commerce de Fort-de-France du 11 juillet 2022 en ce qu'il a :

* débouté monsieur [D] [T] de sa demande de condamnation de la SARL Sécuridom Télésurveillance au paiement de la somme de 84 103,52 euros en réparation de son préjudice du fait de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies ;

* condamné monsieur [D] [T] au paiement de la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article et des dépens ;

- jugeant à nouveau, de :

* condamner la SARL Sécuridom Télésurveillance à payer à monsieur [D] [T] la somme de 84 103,52 euros en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de leur relation commerciale ;

* condamner la SARL Sécuridom Télésurveillance à payer à monsieur [D] [T] la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* condamner la SARL Sécuridom Télésurveillance aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 29 novembre 2024, la SARL Sécuridom Télésurveillance demande à la cour, au visa de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce, de :

- débouter monsieur [D] [T] de son appel et le juger mal fondé ;

- juger que la rupture de la relation commerciale est exclusivement imputable à monsieur [D] [T] ;

- juger que la brutalité de la rupture de la relation commerciale ne peut être établie ;

- en conséquence, confirmer par substitution de motifs le jugement du tribunal mixte de commerce de Fort-de-France du 11 juillet 2022, en ce qu'il a :

* débouté monsieur [D] [T] de l'ensemble de ses demandes ;

* condamné monsieur [D] [T], à payer la SARL Sécuridom Télésurveillance la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

* condamné monsieur [D] [T], aux dépens.

- y ajoutant :

* condamner monsieur [D] [T] à payer à la SARL Sécuridom Télésurveillance la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* condamner monsieur [D] [T] aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

- à titre subsidiaire, et si, par extraordinaire, la cour d'appel de Paris jugeait que la SARL Sécuridom Télésurveillance est responsable de la rupture de sa relation commerciale avec monsieur [D] [T] et la qualifierait de brutale :

* juger que la relation commerciale dont la rupture est invoquée par monsieur [D] [T] est exclusivement celle découlant de son contrat conclu le 11 août 2011 avec la SARL Sécuridom Télésurveillance ;

* juger que l'indemnisation accordée à monsieur [D] [T] ne peut excéder la somme de 10 568,07 euros ;

* débouter par conséquent monsieur [D] [T] de sa demande de condamnation de la SARL Sécuridom Télésurveillance au paiement de la somme de 84 103,52 euros.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux arrêts postérieurs ainsi qu'aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 décembre 2024. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

A titre liminaire, la Cour constate que, à défaut d'appel principal à ce titre, ou incident au sens des articles 548 et 551 du code de procédure civile, le jugement est définitif du chef du rejet de la demande reconventionnelle de la SARL Sécuridom Télésurveillance au titre de la procédure abusive, prétention qui ne figure d'ailleurs pas dans le dispositif de ses dernières écritures au sens de l'article 954 du code de procédure civile.

1°) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Moyens des parties

Au soutien de ses prétentions, monsieur [D] [T] expose que la relation commerciale a débuté le 27 juin 1995, son partenariat avec la SARL Sécuridom Télésurveillance s'inscrivant dans la continuité de celui noué, à la demande de leur dirigeant commun, avec la société Marine Service Sécurité Industrie et portant sur des prestations identiques. Il ajoute que la reprise de cette ancienneté se justifie également par le fait que ces sociétés partagent leur siège social, qu'elles exercent une activité identique sous la même enseigne Sécuridom Systèmes, notamment via l'exploitation du site internet accessible sous le nom de domaine securidom.fr qui ne les distinguent pas, et que la clause de non-concurrence stipulée dans le contrat du 11 août 2011 concerne la SARL Sécuridom Télésurveillance et la société Marine Service Sécurité Industrie. Il revendique ainsi une ancienneté de 20 ans (décembre 1996 à septembre 2016). Il expose par ailleurs qu'il était en situation de dépendance économique puisque le contrat, quoique qualifié de sous-traitance, lui imposait, outre une obligation de non-concurrence, une quasi-exclusivité en l'obligeant à 'uvrer dans un uniforme fourni par la SARL Sécuridom Télésurveillance selon le planning qu'elle avait défini (8 heures à 17 heures du lundi au vendredi et ponctuellement le samedi). Il précise ainsi que cette dernière était son unique client. Il prétend que, à raison de l'embauche de trois salariés chargés d'exécuter des missions identiques aux siennes, la SARL Sécuridom Télésurveillance a réduit drastiquement le niveau de ses commandes à compter du mois de juin 2016 avant de cesser toute relation en septembre 2016 sans notification écrite. Il en déduit la brutalité de la rupture et conteste toute faute qui lui serait imputable et qui justifierait le comportement de la SARL Sécuridom Télésurveillance, ses refus de mission étant autorisés contractuellement et occasionnels. Au regard de ces éléments, il estime le préavis éludé à 15 mois et détermine le quantum de sa demande en appliquant son taux de marge sur coûts variables (ses charges évitées résidant dans les frais de carburant, de location de véhicule et d'assurance) à la moyenne mensuelle du chiffre d'affaires des exercices 2014 et 2015 (soit 84 103,52 euros pour une marge sur coûts variables mensuelle de 5 606,90 euros).

En réponse, la SARL Sécuridom Télésurveillance, qui rappelle que les embauches dénoncées par monsieur [D] [T] ont été effectuées en 2013, 2014 et 2016 et concernaient des salariés chargés de missions distinctes des siennes, lui impute la rupture des relations. Elle précise ainsi qu'il a refusé systématiquement les missions qu'elle souhaitait lui confier pour exécuter des prestations au bénéfice d'autres clients et qu'il ne l'a jamais sollicitée pour obtenir de nouvelles commandes. Elle conteste toute dépendance économique en soulignant l'indépendance de monsieur [D] [T] qui, libre d'accepter les missions qu'elle entendait lui confier sur la plage horaire qu'elle définissait, n'était lié par aucune exclusivité ou clause de non-concurrence, la stipulation qu'il évoque à ce titre ne lui imposant que l'information préalable de son cocontractant. Elle en déduit qu'il était libre de développer sa clientèle et que son éventuelle situation de dépendance économique était choisie et non subie.

Subsidiairement, elle estime que le partenariat a débuté en 2011, son activité étant distincte de celle de la société Marine Service Sécurité Industrie qui s'adresse à des entreprises de plus grande taille tandis que les relations n'ont jamais été conçues comme poursuivant celles antérieurement nouées avec cette dernière et portent sur des prestations servies à son seul bénéfice. En déduisant une ancienneté de 5 ans et 1 mois au jour de la rupture du 26 septembre 2016, elle soutient que le préavis suffisant était de trois mois et que le calcul du préjudice, dont elle admet qu'il peut être assis sur les années 2014 et 2015, doit intégrer l'intégralité de ses charges d'exploitation, le montant alloué ne pouvant ainsi excéder 10 568,07 euros.

Réponse de la cour,

En vertu de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable aux faits, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

- Sur les caractéristiques des relations commerciales

Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque « la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale » et Com., 11 janvier 2023, n° 21-18.299, qui souligne l'importance pour la victime de démontrer la légitimité de sa croyance dans la pérennité des relations). La poursuite de la relation par une personne distincte de celle qui l'a nouée initialement ne fait pas obstacle à sa stabilité en présence d'une transmission universelle de patrimoine et, à défaut, si des éléments démontrent que la commune intention des parties était de continuer la même relation (en ce sens, Com., 10 février 2021, n° 19-15.369).

Monsieur [D] [T] justifie par la production de nombreux bons de commande et factures (sa pièce 4) avoir été en relation commerciale continue avec la société Marine Service Sécurité Industrie entre le 30 décembre 2016 et le 31 janvier 2011. Le 11 août 2011, il concluait un contrat de sous-traitance avec la SARL Sécuridom Télésurveillance et démontre avoir entretenu avec elle une relation stable, régulière et significative jusqu'au 26 septembre 2016 (ses pièces 2 à 6 et pièce 12 de l'intimée), ce qu'elle ne conteste pas.

La SARL Sécuridom Télésurveillance et la société Marine Service Sécurité Industrie ont un dirigeant commun et partagent leur siège social. Leurs activités, présentées sur un site internet unique (pièces 2 et 3 de l'intimée) coïncident pour l'essentiel, la première étant spécialisée dans la télésurveillance quand la seconde l'est plus spécifiquement dans l'installation et la fourniture de matériel et de produits de sécurité pour la marine, l'industrie et le grand public (pièces 1 et 20 de l'intimée). En outre, les tâches confiées par l'une et l'autre à monsieur [D] [T] étaient de même nature, la différence de clientèle alléguée par l'intimée n'étant pas étayée et étant peu compatible avec l'article 3 du contrat de sous-traitance qui impose à monsieur [D] [T] d'alerter préalablement son contractant préalablement à l'exercice de toute activité concurrente de la sienne, mais également de celle de la société Marine Service Sécurité Industrie.

Néanmoins, le contrat de sous-traitance conclu le 11 août 2011, six mois après sa dernière mission pour la société Marine Service Sécurité Industrie, ne fait aucune référence à la relation antérieurement nouée avec celle-ci qui a poursuivi parallèlement son activité. Et, rien dans les pièces produites ne révèlent l'intention de la SARL Sécuridom Télésurveillance de poursuivre la relation antérieure.

Aussi, ces éléments, qui n'éclairent pas la Cour sur les conditions concrètes de succession des relations, sont insuffisants pour prouver directement ou indirectement, par des indices graves, précis et concordants constituant une présomption de fait au sens de l'article 1382 du code civil, l'intention commune des parties de reprendre le partenariat qui avait pris fin. La seule relation commerciale établie caractérisée est celle nouée avec la SARL Sécuridom Télésurveillance du 11 août 2011 au 26 septembre 2016, soit pendant cinq ans et près de deux mois.

Ce partenariat a permis à monsieur [D] [T] de dégager un chiffre d'affaires significatif de 77 441,23 euros en 2013, de 67 177,23 euros en 2014 et de 78 155,64 euros en 2015, dernière année non affectée par la rupture, soit, sur les deux dernières années de référence choisies par les parties effectivement représentatives de la relation, un chiffre d'affaires annuel moyen de 72 666,44 euros presque intégralement réalisé grâce aux relations avec la SARL Sécuridom Télésurveillance ainsi que le confirment ses comptes annuels et ses grands livres (ses pièces 3, 5 et 6).

- Sur l'imputabilité de la rupture des relations et la détermination du préavis suffisant

L'article L 442-6 I 5° du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Celui-ci, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960). Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. En revanche, le comportement des partenaires consécutivement à la rupture est sans pertinence pour apprécier la suffisance du préavis accordé. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966).

Mais, la rupture, quoique brutale, peut être justifiée si elle est causée par une faute suffisamment grave pour fonder la cessation immédiate des relations commerciales (en ce sens, sur le critère de gravité, Com. 27 mars 2019, n° 17-16.548). La faute doit être incompatible avec la poursuite, même temporaire, du partenariat : son appréciation doit être objective, au regard de l'ampleur de l'inexécution et de la nature l'obligation sur laquelle elle porte, mais également subjective, en considération de son impact effectif sur la relation commerciale concrètement appréciée et sur la possibilité de sa poursuite malgré sa commission ainsi que du comportement de chaque partie.

Ainsi qu'il a été dit, la relation a duré cinq ans et presque deux mois au jour de sa rupture et monsieur [D] [T] réalisait la quasi-totalité de son chiffre d'affaires grâce à elle, ce dont il déduit son état de dépendance économique.

Celui-ci, pour l'essentiel défini pour les besoins de l'application de l'article L 420-2 du code de commerce qui n'est pas en débat mais devant être apprécié de manière uniforme en tant que situation de fait servant ici, non de condition préalable mais d'élément d'appréciation d'un rapport de force économique et juridique, s'entend de l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise (en ce sens, Com., 12 février 2013, n° 12-13.603). Son existence s'apprécie en tenant compte notamment de la notoriété du partenaire et de ses produits et services, de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires de l'autre partie, ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres acteurs des produits et services équivalents (en ce sens, Com., 12 octobre 1993, n° 91-16988 et 91-17090). La possibilité de disposer d'une solution équivalente s'entend de celle, juridique mais aussi matérielle, pour l'entreprise de développer des relations contractuelles avec d'autres partenaires, de substituer à son donneur d'ordre un ou plusieurs autres donneurs d'ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007, n° 06-14.981).

Les parties ne livrent aucun élément concret sur la structure du marché et sur l'état de la concurrence que s'y livrent les acteurs économiques ainsi que sur les possibilités de redéploiement de son activité par monsieur [D] [T] qui ne démontre aucun investissement dédié à la relation, le matériel nécessaire à son activité étant fourni par la SARL Sécuridom Télésurveillance. Il est néanmoins constant que cette dernière était, sur le marché de la télésurveillance et de la sécurité, un acteur d'importance en Martinique, territoire dont la taille réduite induit des possibilités de réorientation moins aisées. Surtout, si monsieur [D] [T] n'était soumis à aucune exclusivité, son contrat de sous-traitance stipulant non une obligation de non-concurrence mais une obligation d'information préalable à toute relation avec une entreprise concurrente (article 3§4), clause incitative mais non restrictive, la SARL Sécuridom Télésurveillance, qui lui imposait le port d'un uniforme aggravant son identification à son mandant par la clientèle, exigeait de lui une grande disponibilité. Ses prestations consistaient à rencontrer ses clients et à effectuer ses dépannages du lundi au vendredi de 8 heures à 17 heures « et si besoin certains samedis » (article 3), un planning précis lui étant remis chaque semaine (pièce 2 de l'appelant). A cet égard, il importe peu que les plannings produits (pièce 2 de l'appelant et 12 de l'intimée) révèlent que la plage horaire contractuellement définie n'était pas systématiquement exploitée sur sa totalité, de telles modalités d'organisation n'offrant pas à monsieur [D] [T] la prévisibilité suffisante pour mettre efficacement à profit son temps aléatoirement libéré. Aussi, en dépit de l'absence de lien de subordination retenu par le conseil des prud'hommes, monsieur [D] [T] était, non juridiquement, mais matériellement contraint de dédier l'essentiel de son temps d'activité à la SARL Sécuridom Télésurveillance qui explique d'ailleurs avoir cessé de lui confier des missions à raisons de son manque de disponibilité qu'elle qualifie de systématique mais dont il sera établi infra qu'il était en réalité ponctuel. Bien qu'elle n'en fût pas explicitement informée, la SARL Sécuridom Télésurveillance ne pouvait ignorer que monsieur [D] [T], dans l'incapacité de développer une clientèle propre consistante malgré l'étendue de son activité d'électricien, dégageait la quasi-totalité de ses ressources en exécution du contrat de sous-traitance à raison des contraintes directes qu'elle lui imposait et qui découlaient de la structure de la relation. L'état de dépendance économique de monsieur [D] [T], particulièrement important, est caractérisé.

Pour imputer la rupture à monsieur [D] [T], la SARL Sécuridom Télésurveillance invoque non sa faute grave mais son « refus systématique » des missions qu'elle lui proposait. Elle produit à ce titre quatre attestations émanant de salariés et de son comptable qui rapportent des refus d'intervention opposés par ce dernier à raison de ses engagements envers sa clientèle propre, sans toutefois les situer dans le temps et les quantifier (sa pièce 7 : « à plusieurs occasions, Mr (sic) [T] [D] à refus (sic) des interventions, notamment le vendredi » ; « lors d'une discussion avec Mr (sic) [D] [T], il m'a dit qu'il n'était pas en mesure de me fournir ses attestations car il avait une intervention de prévue chez l'un de ses clients, qu'il me les fourniraient (sic) à son retour » ; » Monsieur [D] [T] a eu l'occasion de dire à ma collaboratrice, en ma présence, de ne pas lui prévoir d'intervention, à certaines heures, ou encore certains jours » ; « J'ai à plusieurs reprises l'occasion (sic) de voir Monsieur [T] refuser des interventions que Sécuridom Télésurveillance lui confiait »).

Au regard de la durée de la relation, ces témoignages imprécis ne prouvent aucun « refus systématique » de monsieur [D] [T] mais des indisponibilités ponctuelles et révèlent tant son respect de l'article 3§4 du contrat de sous-traitance que la nature des attentes réelles de la SARL Sécuridom Télésurveillance à l'endroit de sa disponibilité. Ces refus épars n'étaient pas de nature à dégrader les relations et à rendre prévisible leur rupture ainsi que l'a jugé le tribunal mixte de commerce, considération par ailleurs indifférente à l'appréciation de la brutalité de la rupture (en ce sens, Com., 6 septembre 2016, n° 14-25.891 : « le caractère prévisible de la rupture d'une relation commerciale établie ne prive pas celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d'un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis »).

Et, alors qu'elle admet dans ses écritures l'importance de l'oralité dans les échanges entre les parties et dans l'organisation de leurs relations, mode de fonctionnement dont elle reconnaît qu'il compliquait significativement l'administration de la preuve (page 9 de ses écritures), la SARL Sécuridom Télésurveillance, qui avait l'initiative des commandes et ne conteste pas avoir cessé de lui confier des missions à compter du 26 septembre 2016, ne peut de bonne foi lui reprocher de ne pas démontrer l'avoir sollicitée pour en obtenir d'autres postérieurement à cette date.

Dès lors, la rupture des relations commerciales établies est exclusivement imputable à la SARL Sécuridom Télésurveillance. Et, au regard de ces éléments combinés, le préavis éludé sera fixé à sept mois, peu important à ce titre la durée de celui stipulé dans le contrat de sous-traitance conclu initialement pour un an. Faute de l'avoir octroyé, la SARL Sécuridom Télésurveillance a rompu brutalement les relations commerciales établies avec monsieur [D] [T] et engagé sa responsabilité délictuelle à son égard.

- Sur le préjudice

Le préjudice causé à la victime de la rupture est habituellement constitué de son gain manqué qui correspond à sa marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée et les charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, appliquée au chiffre d'affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé (en ce sens, Com. 28 juin 2023, n° 21-16.940 : « le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période »). Cette approche n'exclut pas l'indemnisation d'autres préjudices directement causés par la brutalité de la rupture dès lors que, distincts du précédent, ils sont démontrés en leur principe et en leur étendue.

Et, le préjudice subi, qui trouve son siège dans une anticipation déjouée, s'évalue à la date de la rupture à partir des éléments comptables antérieurs à celle-ci qui constituent le socle des prévisions de la victime, sans égard pour les circonstances postérieures telles sa reconversion durant la durée du préavis éludé. Celui-ci s'exécutant aux conditions de la relation, le gain manqué n'est que la projection de celui antérieurement réalisé.

Pour prouver le montant de sa marge sur coûts variables perdue, monsieur [D] [T] produit une attestation de son expert-comptable certifiant son chiffre d'affaires sur les années 2011 à 2015 (sa pièce 3) ainsi que ses comptes annuels et ses grands livres des comptes généraux pour les exercices 2014 et 2015 (ses pièces 5 et 6). Au regard de la nature de son activité, les charges variables se limitent effectivement à ses frais de carburant et à ceux liés à l'utilisation de son véhicule qui représentaient en moyenne 5 383,50 euros sur les années 2014 et 2015, ce que démontre le détail de son compte de résultat, rien ne justifiant en revanche, monsieur [D] [T] ayant poursuivi son activité, de déduire l'intégralité des charges d'exploitation qui comprennent également des charges fixes non affectées par la rupture brutale. Aussi, la marge perdue par monsieur [D] [T] atteint, pour une durée de sept mois, la somme de 39 248,38 euros assise sur la moyenne dégagée entre 2014 et 2015, période représentative du flux d'affaires généré par la relation retenue par les parties ([72 666,44 ' 5 383,50]/12 x 7).

En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en toutes ses dispositions et la SARL Sécuridom Télésurveillance sera condamnée à payer à monsieur [D] [T] la somme de 39 248,38 euros en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies. Cette portera intérêts au taux légal à compter de l'arrêt conformément à l'article 1231-7 du code civil.

2°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera infirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.

Succombant, la SARL Sécuridom Télésurveillance, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à monsieur [D] [T] la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Condamne la SARL Sécuridom Télésurveillance à payer à monsieur [D] [T] la somme de 39 248,38 euros en réparation du préjudice causé par la rupture brutale de leurs relations commerciales établies ;

Y ajoutant,

Rejette la demande de la SARL Sécuridom Télésurveillance au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la SARL Sécuridom Télésurveillance à payer à monsieur [D] [T] la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL Sécuridom Télésurveillance à supporter les entiers dépens d'appel.

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