CA Amiens, 5e ch. prud'homale, 11 mars 2025, n° 23/02998
AMIENS
Arrêt
Autre
ARRET
N° 100
S.A.S. AML SYSTEMS
C/
[M]
copie exécutoire
le 11 mars 2025
à
Me CHATEAUVIEUX
Me CHEMLA
CB/BT
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 11 MARS 2025
*************************************************************
N° RG 23/02998 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I2B2
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE LAON DU 21 JUIN 2023 (référence dossier N° RG F21/00067)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
S.A.S. AML SYSTEMS agissant poursuites et diligences de son représentant légal pour ce domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée, concluant et plaidant par Me Eliane CHATEAUVIEUX de la SAS ACTANCE, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Antoine DURET, avocat au barreau de PARIS
ET :
INTIME
Monsieur [R] [M]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Concluant par Me Gérard CHEMLA de la SCP SCP ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS
DEBATS :
A l'audience publique du 17 décembre 2024 l'affaire a été appelée
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Madame Laurence de SURIREY, présidente de chambre,
et Madame Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,
qui a renvoyé l'affaire au 11 mars 2025 pour le prononcé de l'arrêt par sa mise à disposition au greffe, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIER LORS DES DEBATS : Mme Blanche THARAUD
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 11 mars 2025, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Caroline PACHTER-WALD, Présidente de Chambre, et Mme Blanche THARAUD, Greffière.
*
* *
DECISION :
M. [R] [M] est salarié de la SAS AML Systems qui conçoit et commercialise des produits pour l'industrie automobile.
Lors du confinement ordonné à compter du 11 mars 2020 la société a poursuivi son activité industrielle et plusieurs salariés ont indiqué faire usage de leur droit de retrait.
La société a informé ces salariés qu'ils ne disposaient pas de motif raisonnable pour exercer leur droit de retrait et leur demandait de reprendre le travail. Ils finissaient par revenir travailler et l'employeur ne leur payait pas les jours correspondant à l'exercice du droit de retrait.
Le 4 juin 2021, M. [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Laon aux fins d'obtenir paiement des jours d'exercice du droit de retrait, des congés payés afférents et des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral lié l'absence ou à l'approximation des mesures de prévention des risques professionnels.
Par jugement du 21 juin 2023, statuant en formation de départage le conseil a:
- Condamné la SAS AML Systems à payer à M. [M] :
* 559,62 euros brut au titre de rappel de salaire,
* 55,96 euros brut au titre des congés payés y afférents ;
- Rappelé que, selon les modalités de l'article R 1454-28 du code du travail, l'exécution provisoire est de droit concernant les condamnations relatives aux sommes mentionnées au 2° de l'article R. 1454-14 ;
- Condamné la SAS AML Systems à payer à M. [M] la somme de 200 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;
- Condamné la SAS AML Systems à payer à M. [M] la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouté la SAS AML Systems de sa demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la SAS AML Systems aux dépens.
La SAS AML Systems régulièrement appelante, par dernière conclusions notifiées par la voie électronique le 2 octobre 2023, demande à la cour de :
- Infirmer le jugement rendu le 21 juin 2023 par la formation de départage du conseil de prud'hommes de Laon en toutes ses dispositions
En conséquence, statuant à nouveau,
A titre principal :
- Juger que l'employeur n'a pas manqué à son obligation de prévention des risques professionnels
- Juger abusif le droit de retrait exercé par M. [M]
- Juger que les retenues sur salaire afférentes effectuées par l'employeur sont justifiées
En conséquence,
- Débouter M. [M] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions à son encontre, en ce qu'elles sont irrecevables et mal fondées
A titre subsidiaire
- Juger que M. [M] ne rapporte aucune preuve concernant l'existence d'un prétendu préjudice
A titre reconventionnel
- Condamner M. [M] aux entiers dépens de la présente instance
- Condamner M. [M] à lui verser la somme de 1000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions communiquées par voie électronique le 21 décembre 2023, M. [M] demande à la cour de :
- Confirmer le jugement en toutes ses dispositions
- Condamner la société AML Systems à lui verser la somme de 900 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 novembre 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 17 décembre 2024.
MOTIFS
Sur le droit de retrait
Le salarié argue qu'en application de l'article L 4131-1 du code du travail le droit de retrait est justifié dés lors qu'il existe un motif raisonnable de penser que la situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, que le droit de retrait s'est exercé du 18 mars au 2 avril 2020 si bien que c'est à cette date qu'il convient d'apprécier le bien fondé du retrait à cette période, qu'avant cet exercice le CSE a exercé son droit d'alerte au regard de l'insuffisance de mesures de protection prises par la direction pour éviter la propagation du virus, qu'une enquête à laquelle a participé l'inspection du travail a été mise en place qui au final a relevé plusieurs manquements notamment relatifs à la distanciation sociale.
Il fait valoir que la société était plus préoccupée par la rentabilité économique que par la santé des salariés, qu'il a fallu attendre le 31 mars pour que la direction acquiesce aux mesures de protection à l'égard du personnel extérieur à l'entreprise, qu'elle s'est délestée sur la société de nettoyage des choix des différents points de contact à nettoyer, que tant les règles de distanciation sociale que les risques de contamination lors de passages des pièces d'un opérateur à un autre ont été approximatives, qu'un seul masque était fourni par jour, que les contrôles de températures étaient approximatifs. Le salarié invoque l'absence de concertation de la direction avec les élus du personnel sur l'élaboration du document unique d'évaluation des risques ( DUER) qui allié à la tardiveté et à la lenteur de la réaction de la société a abouti à un climat de doute et de suspicion.
La société réplique que n'étant pas une entreprise accueillant du public elle n'était pas concernée par l'interdiction d'activité pendant le confinement, qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir pris des mesures sanitaires avant qu'elles ne figurent dans les mesures recommandées par le gouvernement (masque et gel hydroalcoolique), qu'aucun cas de contamination n'a été révélé sur le site d'[Localité 5] en 2020, que dés avant le confinement elle avait alerté le personnel sur les gestes barrières, dés le 16 mars 2020 elle a distribué du gel hydroalcoolique au personnel de production sur place généralisant le télétravail pour tous ceux pour lesquels cela était possible, a fourni des masques chirurgicaux dès le 23 mars à raison d'un par jour en raison de la pénurie, que ce n'est qu'à compter du 3 mai 2020 que le protocole de déconfinement a prévu des contrôles de température, que les mesures ont aussi concerné le personnel extérieur à la société.
L'employeur fait valoir qu'il a associé les représentants du personnel aux démarches entreprises pendant le confinement grâce à des réunions auxquelles le médecin du travail et l'inspecteur du travail étaient invités, la première ayant eu lieu le 18 mars pour informer des mesures déployées, que les élus voulaient l'arrêt complet de l'activité alors que l'entreprise n'était tenue non de garantir tout exposition au risque mais de mettre en place toutes les recommandations pour éviter le contamination ; que le 27 mars le DUER était mis à jour, les plaintes initiées par le CSE n'ont pas abouti alors que l'inspection du travail n'a pas conclu à la légitimité du droit d'alerte.
Sur ce
La cour rappelle qu'en application de l'article L 4131-1 du code du travail le travailleur qui a un motif raisonnable de penser qu'une situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ou qui constate toute défectuosité dans les systèmes de protection alerte immédiatement l'employeur et peut se retirer d'une telle situation. Le danger imminent pour la vie ou la santé du salarié se conçoit comme un danger susceptible de se réaliser brusquement et dans un délai rapproché. L 'article L 4131-3 du code du travail dispose qu'aucune sanction, aucune retenue sur salaire ne peut être prise à l'encontre d'un travailleur ou d'un groupe de travailleurs, qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d'eux.
Les juges n'ont pas à rechercher, à l'occasion de l'exercice du droit de retrait par un salarié, un manquement de l'employeur à l'une quelconque de ses obligations en matière de sécurité et de préservation de la santé. Le motif raisonnable du salarié de penser que sa vie ou sa santé sont en danger est suffisant et exclut toute retenue sur salaire à l'occasion de l'exercice du droit de retrait.
La cour vérifie ainsi que le salarié avait pu estimer qu'il existait un motif de penser que sa situation de travail présentait un danger, sans être tenue de rechercher si l'employeur avait mis en oeuvre les mesures prescrites par les autorités gouvernementales au regard des connaissances scientifiques et des recommandations nationales. D'ailleurs, le fait que l'employeur respecte les mesures prescrites par les autorités gouvernementales et les recommandations nationales lors d'une pandémie n'exclut pas automatiquement la légitimité du droit de retrait exercé par un salarié. Ainsi, même si l'employeur suit les consignes officielles, un salarié peut estimer que sa situation de travail présente toujours un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Dans ce cas, il peut exercer son droit de retrait, à condition de justifier d'un motif raisonnable de penser qu'un tel danger existe.
Le 18 mars 2020, dans le contexte sanitaire de la pandémie de covid-19 et d'incertitudes et d'interrogations sur les modes de transmission du virus, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (le CHSCT) avait alerté l'employeur de l'existence d'un danger grave et imminent au sein de l'établissement, une réunion extraordinaire du CSEE s'étant tenue, les élus considérant que plusieurs mesures de prévention n'étaient pas appliquées ou ne pouvaient être appliquées, telles la distanciation sur certaines lignes d'assemblage avec passage des pièces et de nettoyage des portes. Une réunion exceptionnelle du CSSCT s'est déroulée le 20 mars 2020.
Des pièces versées à la procédure il apparaît que la société a maintenu la production sur son site alors que les intérimaires et le personnel chargé de l'entretien ne disposaient pas de masques avant le 23 mars 2020 et que les salariés de la société n'en avaient qu'un à disposition par jour, que les contrôles de températures effectifs à partir du 16 mars n'étaient pas effectués de façon satisfaisante puisqu'en cas de dépassement il était demandé au salarié concerné d'attendre un moment à l'ombre et de repasser plusieurs fois si nécessaire.
L'inspection du travail a indiqué pour la période comprise entre les 25 et 27 mars 2020 qu'il serait opportun de porter des gants de protection pour le passage des pièces de mains en mains, de vérifier la température des personnes à l'entreprise circulant dans l'usine, ajoutant qu'un masque devait être changé après 4 heures pour être efficace. Dans son rapport détaillé du 6 mai 2020 elle liste les mesures qui seraient nécessaires pour assurer la protection des salariés sur les lignes de production par nettoyage des écrans tactiles, claviers et souris d'ordinateurs mais aussi des locaux annexes comme le réfectoire, le vestiaire et les sanitaires.
Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la société s'est adaptée au fur et à mesure du confinement pour se conformer aux mesures préconisées par le gouvernement, mais au tout début du confinement lorsque le salarié a exercé son droit de retrait, au regard des incertitudes sur le mode de transmission du virus mais aussi sur la réelle efficacité des mesures à prendre prises telles que décrites ci-dessus et leur mise en 'uvre inadaptée quant à la prise de température, au travail dos à dos mais avec persistance du passage manuel de pièces entre salariés, de l'usage d'un seul masque par jour, il avait un motif raisonnable de penser que sa vie ou sa santé étaient en danger grave et imminent ce qui est suffisant pour justifier le droit de retrait ; cet exercice légitime exclut toute retenue sur salaire à cette occasion.
C'est à bon droit que les premiers juges ont retenu la légitimité de l'exercice du droit de retrait et ont condamné la société à verser au salarié un rappel de salaire aux jours correspondant à ceux d'exercice du droit de retrait. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur le préjudice
Le salarié forme une demande en réparation du préjudice moral.
La société s'y oppose au motif qu'il n'est pas démontré l'existence d'un préjudice particulier.
Sur ce
La cour a précédemment jugé que le salarié avait exercé légitimement son droit de retrait et a été indemnisé du rappel de salaire pour ces jours.
Faute de justifier d'un préjudice distinct de la perte de salaire, la cour par infirmation du jugement le déboutera le salarié de sa demande en réparation du préjudice moral.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Les dispositions de première instance seront confirmées.
Succombant en cause d'appel, la société AML systems sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de M. [M] les frais qu'il a exposés pour la présente procédure. La société sera condamnée à lui verser une somme de 300 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel et sera déboutée de sa propre demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort
Confirme le jugement rendu le 21 juin 2023 par le conseil de prud'hommes de Laon en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a condamné la SAS AML Systems à payer à M. [M] la somme de 200 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,
Dit que l'exercice du droit de retrait était justifié,
Déboute M. [R] [M] de sa demande de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
Condamne la société AML systems à verser à M. [R] [M] une somme de 300 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,
Condamne la société AML systems aux dépens de la procédure d'appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.
N° 100
S.A.S. AML SYSTEMS
C/
[M]
copie exécutoire
le 11 mars 2025
à
Me CHATEAUVIEUX
Me CHEMLA
CB/BT
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 11 MARS 2025
*************************************************************
N° RG 23/02998 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I2B2
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE LAON DU 21 JUIN 2023 (référence dossier N° RG F21/00067)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
S.A.S. AML SYSTEMS agissant poursuites et diligences de son représentant légal pour ce domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée, concluant et plaidant par Me Eliane CHATEAUVIEUX de la SAS ACTANCE, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Antoine DURET, avocat au barreau de PARIS
ET :
INTIME
Monsieur [R] [M]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Concluant par Me Gérard CHEMLA de la SCP SCP ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS
DEBATS :
A l'audience publique du 17 décembre 2024 l'affaire a été appelée
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Madame Laurence de SURIREY, présidente de chambre,
et Madame Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,
qui a renvoyé l'affaire au 11 mars 2025 pour le prononcé de l'arrêt par sa mise à disposition au greffe, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIER LORS DES DEBATS : Mme Blanche THARAUD
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 11 mars 2025, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Caroline PACHTER-WALD, Présidente de Chambre, et Mme Blanche THARAUD, Greffière.
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DECISION :
M. [R] [M] est salarié de la SAS AML Systems qui conçoit et commercialise des produits pour l'industrie automobile.
Lors du confinement ordonné à compter du 11 mars 2020 la société a poursuivi son activité industrielle et plusieurs salariés ont indiqué faire usage de leur droit de retrait.
La société a informé ces salariés qu'ils ne disposaient pas de motif raisonnable pour exercer leur droit de retrait et leur demandait de reprendre le travail. Ils finissaient par revenir travailler et l'employeur ne leur payait pas les jours correspondant à l'exercice du droit de retrait.
Le 4 juin 2021, M. [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Laon aux fins d'obtenir paiement des jours d'exercice du droit de retrait, des congés payés afférents et des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral lié l'absence ou à l'approximation des mesures de prévention des risques professionnels.
Par jugement du 21 juin 2023, statuant en formation de départage le conseil a:
- Condamné la SAS AML Systems à payer à M. [M] :
* 559,62 euros brut au titre de rappel de salaire,
* 55,96 euros brut au titre des congés payés y afférents ;
- Rappelé que, selon les modalités de l'article R 1454-28 du code du travail, l'exécution provisoire est de droit concernant les condamnations relatives aux sommes mentionnées au 2° de l'article R. 1454-14 ;
- Condamné la SAS AML Systems à payer à M. [M] la somme de 200 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;
- Condamné la SAS AML Systems à payer à M. [M] la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouté la SAS AML Systems de sa demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la SAS AML Systems aux dépens.
La SAS AML Systems régulièrement appelante, par dernière conclusions notifiées par la voie électronique le 2 octobre 2023, demande à la cour de :
- Infirmer le jugement rendu le 21 juin 2023 par la formation de départage du conseil de prud'hommes de Laon en toutes ses dispositions
En conséquence, statuant à nouveau,
A titre principal :
- Juger que l'employeur n'a pas manqué à son obligation de prévention des risques professionnels
- Juger abusif le droit de retrait exercé par M. [M]
- Juger que les retenues sur salaire afférentes effectuées par l'employeur sont justifiées
En conséquence,
- Débouter M. [M] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions à son encontre, en ce qu'elles sont irrecevables et mal fondées
A titre subsidiaire
- Juger que M. [M] ne rapporte aucune preuve concernant l'existence d'un prétendu préjudice
A titre reconventionnel
- Condamner M. [M] aux entiers dépens de la présente instance
- Condamner M. [M] à lui verser la somme de 1000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions communiquées par voie électronique le 21 décembre 2023, M. [M] demande à la cour de :
- Confirmer le jugement en toutes ses dispositions
- Condamner la société AML Systems à lui verser la somme de 900 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 novembre 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 17 décembre 2024.
MOTIFS
Sur le droit de retrait
Le salarié argue qu'en application de l'article L 4131-1 du code du travail le droit de retrait est justifié dés lors qu'il existe un motif raisonnable de penser que la situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, que le droit de retrait s'est exercé du 18 mars au 2 avril 2020 si bien que c'est à cette date qu'il convient d'apprécier le bien fondé du retrait à cette période, qu'avant cet exercice le CSE a exercé son droit d'alerte au regard de l'insuffisance de mesures de protection prises par la direction pour éviter la propagation du virus, qu'une enquête à laquelle a participé l'inspection du travail a été mise en place qui au final a relevé plusieurs manquements notamment relatifs à la distanciation sociale.
Il fait valoir que la société était plus préoccupée par la rentabilité économique que par la santé des salariés, qu'il a fallu attendre le 31 mars pour que la direction acquiesce aux mesures de protection à l'égard du personnel extérieur à l'entreprise, qu'elle s'est délestée sur la société de nettoyage des choix des différents points de contact à nettoyer, que tant les règles de distanciation sociale que les risques de contamination lors de passages des pièces d'un opérateur à un autre ont été approximatives, qu'un seul masque était fourni par jour, que les contrôles de températures étaient approximatifs. Le salarié invoque l'absence de concertation de la direction avec les élus du personnel sur l'élaboration du document unique d'évaluation des risques ( DUER) qui allié à la tardiveté et à la lenteur de la réaction de la société a abouti à un climat de doute et de suspicion.
La société réplique que n'étant pas une entreprise accueillant du public elle n'était pas concernée par l'interdiction d'activité pendant le confinement, qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir pris des mesures sanitaires avant qu'elles ne figurent dans les mesures recommandées par le gouvernement (masque et gel hydroalcoolique), qu'aucun cas de contamination n'a été révélé sur le site d'[Localité 5] en 2020, que dés avant le confinement elle avait alerté le personnel sur les gestes barrières, dés le 16 mars 2020 elle a distribué du gel hydroalcoolique au personnel de production sur place généralisant le télétravail pour tous ceux pour lesquels cela était possible, a fourni des masques chirurgicaux dès le 23 mars à raison d'un par jour en raison de la pénurie, que ce n'est qu'à compter du 3 mai 2020 que le protocole de déconfinement a prévu des contrôles de température, que les mesures ont aussi concerné le personnel extérieur à la société.
L'employeur fait valoir qu'il a associé les représentants du personnel aux démarches entreprises pendant le confinement grâce à des réunions auxquelles le médecin du travail et l'inspecteur du travail étaient invités, la première ayant eu lieu le 18 mars pour informer des mesures déployées, que les élus voulaient l'arrêt complet de l'activité alors que l'entreprise n'était tenue non de garantir tout exposition au risque mais de mettre en place toutes les recommandations pour éviter le contamination ; que le 27 mars le DUER était mis à jour, les plaintes initiées par le CSE n'ont pas abouti alors que l'inspection du travail n'a pas conclu à la légitimité du droit d'alerte.
Sur ce
La cour rappelle qu'en application de l'article L 4131-1 du code du travail le travailleur qui a un motif raisonnable de penser qu'une situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ou qui constate toute défectuosité dans les systèmes de protection alerte immédiatement l'employeur et peut se retirer d'une telle situation. Le danger imminent pour la vie ou la santé du salarié se conçoit comme un danger susceptible de se réaliser brusquement et dans un délai rapproché. L 'article L 4131-3 du code du travail dispose qu'aucune sanction, aucune retenue sur salaire ne peut être prise à l'encontre d'un travailleur ou d'un groupe de travailleurs, qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d'eux.
Les juges n'ont pas à rechercher, à l'occasion de l'exercice du droit de retrait par un salarié, un manquement de l'employeur à l'une quelconque de ses obligations en matière de sécurité et de préservation de la santé. Le motif raisonnable du salarié de penser que sa vie ou sa santé sont en danger est suffisant et exclut toute retenue sur salaire à l'occasion de l'exercice du droit de retrait.
La cour vérifie ainsi que le salarié avait pu estimer qu'il existait un motif de penser que sa situation de travail présentait un danger, sans être tenue de rechercher si l'employeur avait mis en oeuvre les mesures prescrites par les autorités gouvernementales au regard des connaissances scientifiques et des recommandations nationales. D'ailleurs, le fait que l'employeur respecte les mesures prescrites par les autorités gouvernementales et les recommandations nationales lors d'une pandémie n'exclut pas automatiquement la légitimité du droit de retrait exercé par un salarié. Ainsi, même si l'employeur suit les consignes officielles, un salarié peut estimer que sa situation de travail présente toujours un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Dans ce cas, il peut exercer son droit de retrait, à condition de justifier d'un motif raisonnable de penser qu'un tel danger existe.
Le 18 mars 2020, dans le contexte sanitaire de la pandémie de covid-19 et d'incertitudes et d'interrogations sur les modes de transmission du virus, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (le CHSCT) avait alerté l'employeur de l'existence d'un danger grave et imminent au sein de l'établissement, une réunion extraordinaire du CSEE s'étant tenue, les élus considérant que plusieurs mesures de prévention n'étaient pas appliquées ou ne pouvaient être appliquées, telles la distanciation sur certaines lignes d'assemblage avec passage des pièces et de nettoyage des portes. Une réunion exceptionnelle du CSSCT s'est déroulée le 20 mars 2020.
Des pièces versées à la procédure il apparaît que la société a maintenu la production sur son site alors que les intérimaires et le personnel chargé de l'entretien ne disposaient pas de masques avant le 23 mars 2020 et que les salariés de la société n'en avaient qu'un à disposition par jour, que les contrôles de températures effectifs à partir du 16 mars n'étaient pas effectués de façon satisfaisante puisqu'en cas de dépassement il était demandé au salarié concerné d'attendre un moment à l'ombre et de repasser plusieurs fois si nécessaire.
L'inspection du travail a indiqué pour la période comprise entre les 25 et 27 mars 2020 qu'il serait opportun de porter des gants de protection pour le passage des pièces de mains en mains, de vérifier la température des personnes à l'entreprise circulant dans l'usine, ajoutant qu'un masque devait être changé après 4 heures pour être efficace. Dans son rapport détaillé du 6 mai 2020 elle liste les mesures qui seraient nécessaires pour assurer la protection des salariés sur les lignes de production par nettoyage des écrans tactiles, claviers et souris d'ordinateurs mais aussi des locaux annexes comme le réfectoire, le vestiaire et les sanitaires.
Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la société s'est adaptée au fur et à mesure du confinement pour se conformer aux mesures préconisées par le gouvernement, mais au tout début du confinement lorsque le salarié a exercé son droit de retrait, au regard des incertitudes sur le mode de transmission du virus mais aussi sur la réelle efficacité des mesures à prendre prises telles que décrites ci-dessus et leur mise en 'uvre inadaptée quant à la prise de température, au travail dos à dos mais avec persistance du passage manuel de pièces entre salariés, de l'usage d'un seul masque par jour, il avait un motif raisonnable de penser que sa vie ou sa santé étaient en danger grave et imminent ce qui est suffisant pour justifier le droit de retrait ; cet exercice légitime exclut toute retenue sur salaire à cette occasion.
C'est à bon droit que les premiers juges ont retenu la légitimité de l'exercice du droit de retrait et ont condamné la société à verser au salarié un rappel de salaire aux jours correspondant à ceux d'exercice du droit de retrait. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur le préjudice
Le salarié forme une demande en réparation du préjudice moral.
La société s'y oppose au motif qu'il n'est pas démontré l'existence d'un préjudice particulier.
Sur ce
La cour a précédemment jugé que le salarié avait exercé légitimement son droit de retrait et a été indemnisé du rappel de salaire pour ces jours.
Faute de justifier d'un préjudice distinct de la perte de salaire, la cour par infirmation du jugement le déboutera le salarié de sa demande en réparation du préjudice moral.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Les dispositions de première instance seront confirmées.
Succombant en cause d'appel, la société AML systems sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de M. [M] les frais qu'il a exposés pour la présente procédure. La société sera condamnée à lui verser une somme de 300 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel et sera déboutée de sa propre demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort
Confirme le jugement rendu le 21 juin 2023 par le conseil de prud'hommes de Laon en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a condamné la SAS AML Systems à payer à M. [M] la somme de 200 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,
Dit que l'exercice du droit de retrait était justifié,
Déboute M. [R] [M] de sa demande de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
Condamne la société AML systems à verser à M. [R] [M] une somme de 300 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,
Condamne la société AML systems aux dépens de la procédure d'appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.