Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 12 mars 2025, n° 22/17947

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Jaguar Land Rover France (SAS)

Défendeur :

Central Motor (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Fromantin, Me Gauclere, Me Lallement, Me Gardon, AARPI Adaltys Avocats, SELARL BDL Avocats, SAS Klyde Avocats

T. com. Lyon, du 9 juin 2022, n° 2020J01…

9 juin 2022

FAITS ET PROCEDURE

La société Jaguar Land Rover France (ci-après « la société JLR France »), importateur des automobiles et pièces des marques Jaguar et Land Rover, dispose d'un réseau de réparateurs agréés sur le territoire français. Début janvier 2012, elle a signé un contrat à durée déterminée s'achevant au 31 mai 2016 par lequel la société Deruaz Auto a été agréée réparateur.

Les 11 et 16 juin 2016, les parties ont signé un nouveau contrat à durée indéterminée de réparateur agréé, sans exclusivité, prenant effet au 1er juin 2016 ainsi qu'un contrat de licence de marque prenant effet à la même date.

Le 29 janvier 2018, la société Jaguar Land Rover France a notifié à la société Deruaz Auto la dénonciation de ce contrat de réparateur agréé avec un préavis de 24 mois s'achevant au 31 janvier 2020.

Le 21 février 2018, la société Jaguar Land Rover France est revenue sur sa décision de rompre leur relation contractuelle en indiquant à la société Deruaz Auto que la dénonciation notifiée était caduque.

Par la suite, le 17 avril 2018, la société Jaguar Land Rover France a fait réaliser un audit au sein de la société Deruaz Auto dans le cadre d'un processus de validation de conformité des distributeurs aux standards de représentation.

Par lettre du 23 mai 2019, la société Jaguar Land Rover France a interrogé la société Deruaz Auto sur des départs de ses salariés. La société Deruaz Auto lui a répondu le 1er juillet 2019 en faisant part de ses difficultés à recruter et fidéliser son personnel et en décrivant ses diligences en cours.

Le 29 octobre 2019, la société Jaguar Land Rover France a fait procéder à un nouvel audit de la société Deruaz puis, par lettre du 29 novembre 2019, elle l'a informée que cet audit révélait plusieurs non-conformités aux standards de représentation.

Par lettre recommandée du 2 décembre 2019, la société Jaguar Land Rover France a mis en demeure la société Deruaz Auto de faire application de l'article 15 paragraphe 2 du contrat relatif aux standards de représentation de la marque avant le 2 janvier 2020, à défaut de quoi elle procéderait à la résiliation à effet immédiat du contrat. La société Deruaz Auto a accusé réception de ce courrier le 29 décembre 2019 en contestant les constats formulés par la société Jaguar Land Rover France.

Ensuite, par lettre recommandée du 10 janvier 2020, la société Jaguar Land Rover France a procédé à la résiliation à effet immédiat du contrat de réparateur agrée signé avec la société Deruaz Auto.

Par acte d'huissier du 20 novembre 2020, la société Deruaz Auto a assigné la société Jaguar Land Rover devant le tribunal de commerce de Lyon pour obtenir réparation du préjudice résultant de la rupture brutale de leur relation commerciale établie.

Suivant procès-verbal des décisions de son actionnaire unique du 31 décembre 2021, la société Central Motor [Localité 4] a approuvé l'apport, à titre de fusion, par la société Deruaz Auto de l'ensemble de ses biens, droits et obligations, avec effet au 1er janvier 2022 ;

Par jugement du 9 juin 2022, le tribunal de commerce de Lyon a :

- Condamné la société Jaguar Land Rover France à payer à la société Deruaz Auto la somme de 94 653,52 euros, une somme de 17 869, 89 euros étant soumise à la présentation des factures d'achat concernant l'ensemble des pièces du stock et leur mise à disposition,

- Débouté la société Deruaz Auto du surplus de sa demande,

- Ordonné la capitalisation des intérêts,

- Condamné la société Jaguar Land Rover France aux entiers dépens et à payer la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Jaguar Land Rover France a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 19 octobre 2022, en intimant la société Central Motor [Localité 4].

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 6 décembre 2024, la société Jaguar Land Rover France demande à la Cour, au visa de l'article L 442-2 I du code de commerce et des articles 1103 et 1225 du code civil, de :

Infirmer le jugement prononcé le 9 juin 2022 par le Tribunal de commerce de Lyon en ce qu'il a :

- Condamné la société Jaguar Land Rover France à payer à la société Deruaz Auto la somme de 94 653,52 €, une somme de 17 869,89 € étant soumise à la présentation des factures d'achat concernant l'ensemble des pièces du stock et leur mise à disposition,

- Rejeté l'ensemble des demandes de Jaguar Land Rover France,

- Ordonné la capitalisation des intérêts,

- Condamné la société Jaguar Land Rover France au paiement de la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du CPC,

- Condamné la société Jaguar Land Rover France aux entiers dépens.

Et, statuant à nouveau :

- Dire et juger que la rupture des relations contractuelles entre Jaguar Land Rover France et Deruaz Auto relève d'une résiliation pour manquements aux obligations contractuelles de base,

- Dire et juger que la rupture des relations contractuelles entre Jaguar Land Rover France et Deruaz Auto ne constitue pas une rupture brutale,

- Débouter en conséquence la société Central Motor [Localité 4] (venue aux droits de la société Deruaz Auto) en toutes ses demandes.

A titre subsidiaire,

- Dire et juger que Deruaz Auto n'était pas fondée à bénéficier d'un préavis de 24 mois,

- Dire et juger que la société Deruaz Auto a de facto bénéficié d'un préavis,

- Dire et juger que la résiliation ne présente aucun caractère abusif,

- Débouter de surcroît la société Central Motor [Localité 4] (venue aux droits de la société Deruaz Auto) en toutes ses demandes.

A titre plus subsidiaire,

- Dire et juger que la restitution des pièces de rechange n'est pas un préjudice indemnisable au titre de la rupture brutale,

- Débouter de surcroît la société Central Motor [Localité 4] (venue aux droits de la société Deruaz Auto) en toutes ses demandes,

En tout état de cause,

- Condamner la société Central Motor [Localité 4] (venue aux droits de la société Deraz Auto) au paiement d'une somme de 15.000 € en application de l'article 700 du CPC.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 18 novembre 2024, la société Central Motor [Localité 4] demande à la Cour de :

Rejetant toutes demandes, fins, moyens et conclusions contraires,

Vu l'article 110 du code civil,

Vu l'article L. 236-3 du code de commerce,

Vu l'article L. 442-1 du code de commerce,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Vu la jurisprudence et les pièces versées aux débats,

A titre principal :

Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 9 juin 2022, et notamment en ce qu'il a :

- Jugé que la société Jaguar Land Rover France a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société Deruaz Auto,

- Jugé que la société Jaguar Land Rover France devait respecter un délai de préavis de 24 mois,

- Condamné la société Jaguar Land Rover France à indemniser le préjudice subi par la société Deruaz Auto,

- Condamné la société Jaguar Land Rover France au paiement de la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 et aux entiers dépens.

Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 9 juin 2022, et notamment en ce qu'il a :

- Condamné la société Jaguar Land Rover France à payer à la société Deruaz Auto la somme de 94.653,52 €.

Statuer à nouveau et à titre d'appel incident et principal :

- Condamner la société Jaguar Land Rover France au paiement à la société Central Motor [Localité 4] de la somme de 344.455,86 €,

- Condamner la société Jaguar Land Rover France au paiement à la société Central Motor [Localité 4] de la somme de 12.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d'instance.

A titre subsidiaire :

- Juger que la société Jaguar Land Rover France a résilié de manière abusive le contrat de réparateur agrée en date du 17 juin 2016,

En conséquence,

- Condamner la société Jaguar Land Rover France à payer à la société Deruaz Auto la somme de 243.575,60 euros.

En tout état de cause :

- Ordonner la capitalisation des intérêts,

- Condamner la société Jaguar Land Rover France au paiement de la somme de 12.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

- Débouter la société Jaguar Land Rover France de l'ensemble de ces demandes.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 décembre 2024.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1- Sur la demande de dommages-intérêts de la société Central Motor [Localité 4] pour rupture brutale de la relation commerciale établie

Exposé des moyens,

Au soutien de son appel, la société JLR France, fait d'abord valoir que la règle de principe posée par l'article L.442-1 du code de commerce, ne limite en aucune manière la faculté ouverte à chaque partie à la relation commerciale, de résilier celle-ci, à effet immédiat le cas échéant, si le partenaire à la relation ou le cocontractant a manqué à ses obligations, et dans le cas d'une relation contractuelle, dans le respect des stipulations du contrat. Ainsi, elle expose que la rupture du contrat résulte de la mise en 'uvre de la clause résolutoire stipulée à l'article 15 (2) du contrat de réparateur agréé, en raison des manquements contractuels de base imputables à la société Deruaz Auto. Elle soutient que la société Deruaz Auto, en dépit du temps qui lui a été accordé, soit 7 mois, ne s'est pas mise en situation de conformité avec plusieurs standards de base prévus au contrat de Réparateur Agréé, empêchant ainsi l'exécution du service après-vente des véhicules de la marque Land Rover. Elle précise que ces non-conformités sont les suivantes : présence d'un technicien de niveau 2 alors que les standards en exigent 2 au niveau 3 et 4, absence de magasinier alors que les standards en exigent 1, présence d'un chef d'atelier non formé et non inscrit dans Excellence et incapacité à traiter les garanties. Elle souligne avoir rigoureusement respecté les conditions et délais prévus au contrat pour procéder à sa résiliation du contrat, étant observé que le juge ne peut se substituer aux parties pour apprécier la gravité du manquement ayant justifié la rupture en application d'une clause résolutoire prévoyant la résiliation de plein droit.

Selon la société JLR France, quand bien-même il serait fait abstraction des dispositions contractuelles lorsque la résiliation est prononcée à l'issue d'un processus prévu par le contrat, il convient néanmoins de se référer à l'alinéa 3 de l'article L 442-1 II du code de commerce pour apprécier la brutalité de la rupture et la gravité de « l'inexécution par l'autre partie de ses obligations ». Aussi, elle invoque la gravité des manquements contractuels de base, portant sur des « fondamentaux » de l'activité d'un réparateur agréé, rendant impossible la poursuite du contrat et justifiant une rupture sans préavis. Elle reproche au tribunal d'avoir mal apprécié la gravité des manquements contractuels et d'avoir dénaturé les stipulations du contrat, notamment en ne considérant pas que la société Deruaz Auto était tenue d'une obligation de résultat, en retenant qu'elle-même ne lui avait pas laissé un temps suffisant pour régulariser sa situation et en ajoutant au contrat qui n'exige pas que la non-conformité, pour être sanctionnée, génère un préjudice.

En réponse, la société Deruaz Auto, devenue Central Motor [Localité 4], fonde ses prétentions sur l'article L 442-1 II du code de commerce et reproche à la société JLR France de ne lui avoir accordé aucun préavis. Elle soutient que la rupture de la relation commerciale pour faute de sa part a été orchestrée par la société JLR France, étant observé que le 10 avril 2018, la société JLR France lui avait adressé un avenant pour étendre le contrat aux véhicules étrangers en indiquant : « Vous disposez des compétences et des installations adéquates pour fournir un service spécialisé et efficient. ». Elle relève que les prétendus manquements graves reprochés ont été créés de toute pièce par la société JLR France et ne pouvaient en aucun cas légitimer une résiliation sans préavis. Elle soutient que les standards de représentation prennent en considération le personnel présent et en cours de recrutement. Elle insiste sur le fait que le recrutement du personnel manquant, s'il n'était pas finalisé, était néanmoins imminent, et qu'il convenait d'en tenir compte dans le calcul des effectifs en cours. Elle ajoute que la notion de « personnel en cours de recrutement » doit s'interpréter en faveur de Deruaz Auto, le contrat de réparateur agréé étant un contrat d'adhésion proposé par JLR France. Dans ces circonstances, l'intimée en déduit qu'elle était en conformité avec les standards de réparateur agréé Land Rover.

L'intimée fait encore valoir que s'agissant des standards relatifs à la formation du personnel, qu'une telle formation ne peut être suivie que par du personnel en fonction et en déduit qu'aucun manquement ne peut lui être imputé pour du personnel en cours de recrutement. Elle ajoute qu'il ne peut lui être reproché de ne plus avoir fait aucune demande de garantie depuis le 5 avril 2019 alors que JLR France avait supprimé son accès au service Wasp et e-learning , qu'elle a été dans l'obligation de lui demander un accès à ce système et que JLR France ne le lui a fourni que le 12 juin 2019.

La société Central Motor [Localité 4] en conclut que la rupture de la relation commerciale établie a été brutale et qu'un préavis de 24 mois aurait dû lui être accordé. Elle se prévaut de l'article 15 (1) du contrat qui prévoit ce délai pour rompre le contrat sans motif à l'initiative de l'une ou de l'autre partie.

Réponse de la Cour,

La société Central Motor [Localité 4] fonde ses demandes sur l'article L.442-1 II du code de commerce qui dispose que :

« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services, de rompre, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.

Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. »

Les parties ne contestent pas qu'elles ont entretenu une relation commerciale établie au sens des dispositions précitées depuis 2012. Cette relation commerciale a été encadrée par deux contrats successifs de réparateur agréé. Le premier a été signé en janvier 2012 pour s'achever au 31 mai 2016. Le 24 mai 2016, les parties ont conclu un second contrat à durée indéterminée de réparateur agréé ainsi qu'un contrat de licence de marque prenant effet au 1er juin 2016.

A titre principal, la société Central Motor [Localité 4] ne conteste pas la rupture en elle-même de la relation commerciale, formalisée par la mise en 'uvre de la clause résolutoire prévue au contrat conclu le 24 mai 2016 à effet immédiat par lettre du 10 janvier 2020, mais sa brutalité marquée par l'absence de préavis.

Certes en application de l'article 1134 du code civil dans sa version applicable au contrat conclu le 24 mai 2016, il n'appartient pas à la Cour d'apprécier la gravité du manquement justifiant la mise en 'uvre de la clause prévoyant la résolution de plein droit du contrat en cas d'inexécution par l'une des parties de l'une quelconque de ses obligations (en ce sens Com., 28 septembre 2022, pourvoi n° 21-17.269). En revanche, dans le cadre d'une relation commerciale établie et de surcroît comme en l'espèce de longue durée (8 ans), il appartient à la Cour d'apprécier si comme l'invoque la société JLR France, la société Central Motor [Localité 4] a gravement manqué à ses obligations pour justifier une rupture de la relation sans préavis conformément à l'alinéa 3 de l'article L.442-1 II précité ( en ce sens Com. 27 mars 2019, n° 17-16.548).

La Cour observe d'abord que selon l'article 1 du contrat de réparateur agréé, le réparateur s'engage à respecter les conditions définies au contrat, notamment les standards réparateur. L'article 3 (3) du contrat stipule que le réparateur respectera les normes et procédures établies le cas échéant dans le manuel de garantie. L'article 3, intitulé service client, prévoit au (4) (b) que le réparateur fournira les services de garantie, d'entretien gratuit et de rappel aux propriétaires des véhicules conformément aux conditions applicables. L'article 4 (2) (c) impose encore au réparateur d'avoir un nombre suffisant d'employés correctement formés afin de s'acquitter pleinement des responsabilités du réparateur définies dans le contrat ainsi que dans les standards réparateurs.

Parmi les standards réparateurs, consignés dans un « Guide des Standards de représentation ' Vente et service », les annexes 6.1.2 et 6.2.2., consacrées au personnel et à ses compétences, mentionnent que le réparateur doit justifier d'un technicien niveau 3 (éventuellement en cours de formation) et d'un technicien niveau 4, d'un responsable Pièces soit un magasinier, d'un chef d'atelier, d'un directeur de site, l'ensemble du personnel technique étant inscrit sur un système de gestion des connaissances Excellence et ayant suivi des formations obligatoires.

Par ailleurs, l'article 15 (2) du contrat prévoit :

« En cas d'infraction aux obligations de base (dont des exemples sont donnés en Annexe 5 A) la Société notifiera formellement cette infraction au Réparateur et, le cas échéant, pourra accorder au Réparateur un délai raisonnable ne dépassant pas trois (3) mois, pendant lequel le Réparateur prendra la ou les mesures correctives spécifiées par la Société. Si le Réparateur ne prend pas la ou les mesures correctives avant l'expiration de ce délai, la Société peut résilier le présent Contrat avec effet immédiat, sans procédure judiciaire préalable, et sans préjudice de tout autre droit. »

De ces stipulations contractuelles, il ressort que les exigences relatives au personnel qualifié pour assurer le service après-vente des véhicules de marques Jaguar ou Land Rover, sont des obligations essentielles de la relation commerciale établie entre les parties.

La Cour constate ensuite que dès le mois de mai 2019, précisément par lettre du 13 mai 2019, la société JLR France a informé la société Deruaz Auto d'une possible non-conformité au regard des standards concernant le personnel. Dans sa réponse du 1er juillet 2019, la société Deruaz Auto a contesté les non-conformités. Par lettre du 16 juillet 2019, la société JLR France a maintenu que la situation relevait d'un manquement aux standards de représentation alors, notamment, qu'aucun des 2 techniciens n'était formé, le responsable magasinier était en période d'essai et non encore formé, le chef d'atelier était en cours de recrutement.

Par lettre du 29 novembre 2019, la société JLR France a informé la société Deruaz Auto que suite à l'audit réalisé le 29 octobre 2019, elle se trouvait toujours en situation de non-conformité substantielle aux standards de réparateur agréé Land Rover. Elle joignait en annexe A les non-conformités relevées, notamment :

« Un technicien [E] [L] Niveau 2. Le niveau 3 et 4 sera assuré par le technicien en cours de recrutement. »

« Manque 1 deuxième technicien, en cours de recrutement, Magasinier en cours de recrutement. »

« Le technicien qui était formé n'est plus présent dans l'entreprise. »

La société JLR France demandait alors à son cocontractant de se mettre en conformité avec les standards dans un délai de 30 jours à compter de ce courrier d'alerte.

Par lettre recommandée du 2 décembre 2019, la société JLR France a dénoncé les non-conformités suivantes :

- un seul technicien de niveau 2,

- aucun magasinier affecté à Land Rover

- pas de formation du personnel,

- concernant la garantie, aucun membre du personnel inscrit dans « Excellence » au titre de Gestionnaire de garantie, les formations spécifiques n'ayant pas été suivies, l'accès au système de garantie n'est pas possible.

Se référant à l'article 15 (2) du contrat, la société JLR France a mis en demeure la société Deruaz Auro de régulariser sa situation dans le délai d'un mois, soulignant qu'à l'expiration de ce délai, soit le 2 janvier 2020, si des mesures correctives n'étaient pas prises, elle procéderait à la résiliation du contrat avec effet immédiat.

Dans sa lettre du 29 décembre 2019 (pièce 18 de l'intimée) le dirigeant de Deruaz Auto a répondu :

- s'agissant des techniciens, qu'à la suite d'un avenant signé en septembre 2018, il disposait d'un délai jusqu'au 20 mars 2020 pour répondre à l'exigence de la marque, que M. [P] devait suivre le cursus pour devenir technicien de niveau 4 et M. [L] pour devenir technicien de niveau 3, mais que M. [P] avait quitté l'entreprise et M. [L], actuellement de niveau 2, avait pris sa place et suivait un cursus pour obtenir les niveaux envisagés ; il ajoutait avoir trouvé un deuxième technicien pour une prise de poste au 23 décembre 2019 ;

- s'agissant du magasinier, que M. [X] ne faisait plus partie des effectifs et que pour pallier son absence, il avait demandé à un collaborateur M. [N], d'assurer l'intérim le temps de recruter un nouveau magasinier, ce qu'elle a fait le 23 décembre 2019 ;

- s'agissant des formations, qu'il assumait de ne pas être en conformité avec les standards compte tenu du turn-over important ayant affecté son équipe ;

- s'agissant de la garantie, que M. [M] qui avait remplacé M. [S] au poste de conseiller client et chef d'atelier et en tant que gestionnaire Garanties, n'avait pas encore pu s'inscrire dans « Excellence » pour valider son e-.learning et que la société JLR France avait coupé l'accès au système de garantie trop précipitamment, ce qui empêchait de traiter les véhicules en cours de réparation.

Par lettre recommandée du 10 janvier 2020, constatant que les non-conformités dénoncées persistaient, la société JLR France a notifié à la société Deruaz Auto la résiliation du contrat de Réparateur Agréé, à réception de cette lettre.

De l'ensemble de ces pièces, il apparaît que les manquements de la société Deruaz Auto à ses obligations de base de réparateur agréé sont caractérisés. En effet, elle n'a pas respecté les standards exigés en application de ce contrat puisqu'elle ne disposait que d'un technicien, M. [L] de niveau 2, étant relevé que l'avenant du 6 septembre 2018 précise que la formation pour la certification de niveau 3 de 2 techniciens était prévue en mars 2019, seule la certification d'un technicien de niveau 4 était prévue pour mars 2020. Ensuite M. [G], contrairement à ce que prétend l'intimée, a été embauché à compter du 23 décembre 2019, non pas en qualité de technicien, mais comme chef d'équipe Atelier (pièce 29 de l'intimée). Il n'est aucunement justifié de l'embauche ni d'un recrutement d'un magasinier suite à l'intérim qui aurait été effectué par M. [N]. Si comme le précise l'intimée, M. [M], engagé en qualité de réceptionnaire après-vente par contrat de travail du 1er octobre 2019, devait remplacer M. [S] en qualité de Gestionnaire garantie, il demeure qu'il n'avait pas suivi la formation nécessaire, n'étant pas inscrit aux formations e-learning ; il ne pouvait donc avoir accès au système de garantie. Plus généralement le personnel employé n'avait pas suivi les formations prévues et ne pouvait de ce fait avoir accès au système de garantie et aucune demande de remboursement d'intervention sous garantie n'a été soumise depuis le 5 avril 2019.

Aussi, de la teneur des échanges de courriers entre les parties, il ressort que malgré une alerte de la part de la société JLR dès le mois de mai 2019 sur l'insuffisance du personnel et de sa formation, la société Deruaz Auto n'a pas été en mesure de présenter sur près de huit mois un plan d'action cohérent de recrutement et de formation de ses équipes de nature à rassurer son partenaire. Si la société Deruaz Auto pouvait effectivement avoir des difficultés de recrutement et faire face à un arrêt maladie, les pièces versées aux débats (pièces n°22 et 24) sont insuffisantes pour établir un plan d'action sérieux pour remédier aux non-conformités dénoncées depuis mai 2019.

Au regard de ces circonstances et de la carence de la société Deruaz Auto, c'est en vain que la société Central Motor [Localité 4] renvoie aux Standards de représentation qui se réfèrent au personnel présent et à celui en cours de recrutement ; c'est encore en vain qu'elle qualifie le contrat de Réparateur agréé de contrat d'adhésion alors qu'il lui était possible d'en discuter les conditions lors de son renouvellement en 2016.

C'est ainsi de manière persistante et en dépit des demandes réitérées de la société JLR France que la société a manqué à ses obligations essentielles ; la société JLR France fait justement valoir qu'un réparateur agréé ne peut pas fonctionner en l'absence d'un personnel qualifié et formé, la sécurité des utilisateurs de véhicules étant en jeu et la clientèle n'étant pas traitée correctement si le réparateur n'est pas en mesure d'effectuer les réparations sous garantie.

Dès lors, les manquements de la société Deruaz Auto à ses obligations sont suffisamment graves pour justifier une rupture de la relation commerciale établie sans préavis.

En conséquence, le jugement sera infirmé et la société Central Motor [Localité 4] sera déboutée de sa demande de 344 455,86 euros fondée sur la rupture brutale de la relation commerciale établie.

2- Sur la demande de dommages-intérêts de la société Central Motor [Localité 4] pour rupture abusive du contrat

Exposé des moyens,

Au soutien de sa demande à titre subsidiaire, la société Central Motor [Localité 4] reproche à la société JLR d'une part d'avoir mis en 'uvre la clause résolutoire de parfaite mauvaise foi et d'autre part de ne pas avoir respecté le préavis conventionnel de 24 mois. Elle expose en ce sens que :

- le 12 janvier 2018, la société JLR France a indiqué ne pas être opposée à la cession des actions de la société Deruaz Auto à la société Central Motor [Localité 4], mais elle a dénoncé le contrat sans motif le 29 janvier 2018 et lui a alors accordé un préavis de 24 mois qui devait s'achever le 31 janvier 2020,

- par lettre du 28 février 2018, la société JLR France a reconsidéré sa décision, a déclaré que la résiliation du contrat était caduque mais a ajouté, de manière spécieuse, que cette décision ne préjugeait en rien de la faculté de mettre fin au contrat dans le respect des stipulations contractuelles et/ou des dispositions légales le cas échéant,

- le 17 avril 2018, la société Deruaz Auto a obtenu un score de conformité de 95 % aux Standards,

- cependant, à compter de mai 2019, la société JLR France a imaginé de rompre le contrat pour faute grave,

- sa mauvaise foi est encore plus criante au vu de l'avenant du 6 septembre qui a dérogé aux Standards relatifs à la formation des techniciens en prévoyant la certification de 2 techniciens de niveau 3 pour mars 2019 et la certification d'un technicien de niveau 4 pour mars 2020,

- l'éventuelle non-conformité temporaire relative à la formation d'un technicien n'est pas source de « mise en danger » de la clientèle comme affirmé pourtant par la société JLR France dès lors qu'il était convenu d'un délai de plusieurs mois pour obtenir les certifications.

En réponse, la société JLR France soutient avoir résilié le contrat de façon loyale et exclusive de tout abus. Elle relève que les faits antérieurs à la mise en 'uvre de la clause résolutoire en 2019/2020 ne peuvent avoir contribué à un éventuel caractère abusif. Elle explique ensuite que si elle a déclenché le préavis de régularisation le 2 décembre 2019, elle l'a fait au constat d'un ensemble de difficultés qui allaient au-delà des non-conformités relevées par l'audit, notamment du fait qu'aucune demande d'intervention sous garantie ne lui avait été soumise depuis avril 2019. Elle précise que l'échéance de mars 2019 se rapportait à l'exigence de formation de 2 techniciens de niveau 3, alors qu'à la date de résiliation du contrat un seul technicien de niveau 2 était présent. Elle soutient enfin qu'elle n'a pas procédé à une résiliation ordinaire du contrat, ce qui aurait nécessité un préavis de 24 mois, mais à une résiliation à effet immédiat pour manquements non régularisés à l'issue d'un délai de régularisation d'un mois.

Réponse de la Cour,

Il est rappelé que l'article 15 (1) du contrat stipule :

« Le présent Contrat prendra effet au 1er juin 2016 et se poursuivra (sous réserve des conditions des articles 15 et 18) jusqu'à ce qu'il soit dénoncé par l'une ou l'autre des parties, moyennant le respect d'un préavis de vingt-quatre (24) mois préalablement notifié par écrit à l'autre partie. Dans le cas où une réorganisation de l'intégralité ou d'une partie substantielle du réseau de la Société s'avérerait nécessaire, la Société pourra dénoncer le présent Contrat en respectant un préavis de douze (12) mois préalablement notifié par écrit au Réparateur.

Pour écarter tout doute, il est entendu que la Société n'est pas tenue d'indiquer les motifs de sa décision notifiée au titre du présent Article 15 (1) »

Et que l'article 15 (2) du contrat prévoit que :

« En cas d'infraction aux obligations de base (dont des exemples sont donnés en Annexe 5 A) la Société notifiera formellement cette infraction au Réparateur et, le cas échéant, pourra accorder au Réparateur un délai raisonnable ne dépassant pas trois (3) mois, pendant lequel le Réparateur prendra la ou les mesures correctives spécifiées par la Société. Si le Réparateur ne prend pas la ou les mesures correctives avant l'expiration de ce délai, la Société peut résilier le présent Contrat avec effet immédiat, sans procédure judiciaire préalable, et sans préjudice de tout autre droit. »

Dans sa lettre de mise en demeure du 2 décembre 2019 et de sa lettre de notification de résiliation immédiate du contrat de réparateur agrée du 10 janvier 2020, la société JLR France a clairement indiqué qu'elle entendait mettre en 'uvre l'article 15 (2) du contrat pour infraction aux obligations de base. Aussi, la société JLR France n'entendait pas dénoncer le contrat dans les conditions de l'article 15 (1) et n'avait donc pas à respecter un délai de préavis de 24 mois.

Si dans un premier temps, la société JLR France a résilié le contrat par lettre du 29 janvier 2018 en application de cette clause prévue à l'article 15(1), elle est revenue sur sa décision par lettre du 21 février 2018 en indiquant que cette « notification est caduque et de nul effet, et qu'en conséquence le contrat de réparateur agréé qui nous lie à votre société se poursuit en tous ses effets et en toutes ses dispositions ». Ce courrier précisait par ailleurs « la décision qui est l'objet du présent courrier ne préjuge évidemment en rien de la faculté, toujours ouverte à chaque partie à un contrat à durée indéterminée, de mettre fin à celui-ci dans le respect des stipulations contractuelles et/ou des dispositions légales applicables le cas échéant ».

Quand bien-même la société Deruaz Auto répondait aux critères le 17 avril 2018 en obtenant un score de conformité de 95 % aux Standards, il ressort des pièces versées aux débats que la situation de cette dernière a changé en 2019 du fait de multiples départs au sein de son personnel et de son incapacité à redresser la situation en présentant un plan d'action cohérent, malgré les demandes réitérées et précises de la société JLR France.

Par ailleurs, l'avenant du 6 septembre 2018 précise que la formation pour la certification de niveau 3 de 2 techniciens était prévue en mars 2019, seule la certification d'un technicien de niveau 4 était prévue pour mars 2020.

Il résulte des motifs qui précèdent que sont établies les non-conformités de la société Deruaz Auto avec les standards de base 6.2.2-2 et 6.2.2-4, en l'absence du nombre minimal de techniciens qualifiés, en l'absence de magasinier affecté à la marque et de directeur de site, et en raison de l'incapacité pour la société Deruaz Auto de passer les garanties, et constituant des infractions aux obligations de base.

Aussi, suivant sa lettre de mise en demeure du 2 décembre 2019 et sa lettre de notification de la résiliation immédiate du contrat de réparateur agréé du 10 janvier 2020, la société JLR France a régulièrement et sans mauvaise foi mise en 'uvre la clause résolutoire prévue à l'article 15(2) du contrat, dans les formes et délais prévus par ce même article.

En conséquence la société Central Motor [Localité 4] sera déboutée de sa demande de 243 575,60 euros pour résiliation abusive du contrat de réparateur agréé.

3- Sur les pièces détachées

Exposé des moyens

Au soutien de son appel, la société JLR France conteste la demande faite au titre de la restitution des pièces en expliquant que sa responsabilité est recherchée au titre d'une rupture brutale et que seules les conséquences de la brutalité peuvent donner lieu à indemnisation. Elle ajoute que contrairement à ce qui est prétendu, la société Central Motor [Localité 4] est en droit de revendre les pièces à tout réparateur, garagiste ou particulier qui en ferait la demande, de même qu'elle peut les utiliser à l'occasion de toute réparation d'un véhicule Land Rover dans le futur.

La société Central Motor [Localité 4] précise qu'elle détient un stock de pièces détachées Land Rover pour un prix d'acquisition de 17.869,89 € et un prix de revente de 20.647,78 € et que, n'étant plus réparateur agréé Land Rover, elle ne peut plus intervenir sur les véhicules de cette marque. Elle ajoute que, comme demandé par le tribunal, elle a adressé les pièces justificatives à la société JLR France par courriel officiel du 19 septembre 2022 et que la société JLR France lui a versé la somme de 17.869,89 € en exécution du jugement.

Réponse de la Cour,

La Cour constate qu'en réalité la société Central Motor [Localité 4] ne fait pas de demande distincte au titre des pièces détachées dans le dispositif de ses conclusions. Dans les motifs de ses conclusions, elle indique la somme de 20 647,78 euros au titre des pièces détachés, mais dans le cadre de l'évaluation de son préjudice de la rupture brutale de la relation commerciale qui n'a pas été retenue. Elle évoque de nouveau ce montant au titre de l'évaluation de son préjudice pour la mise en 'uvre de mauvaise foi de la clause résolutoire qui n'a pas davantage été retenue.

Au regard des motifs qui précèdent, le jugement est infirmé en ce qu'il a condamné la société JLR France à verser la somme de 94 653,52 euros, comprenant la somme de 17 869,89 euros au titre des pièces du stock.

4- Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société JLR France aux dépens de première instance et au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Central Motor [Localité 4], partie perdante, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.

En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la société Central Motor [Localité 4] sera déboutée de sa demande et condamnée à verser la somme de 8 000 euros à la société JLR France.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la Cour,

Déboute la société Central Motor [Localité 4] de toutes ses demandes formulées à l'encontre de la société Jaguar Land Rover France ;

Condamne la société Central Motor [Localité 4] aux dépens de première instance et d'appel ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Central Motor [Localité 4] et la condamne à payer à la société Jaguar Land Rover France la somme de 8 000 euros.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site