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Décisions

CA Besançon, 1re ch., 11 mars 2025, n° 23/01302

BESANÇON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Macif (Sté), Swisslife Assurances de Biens (SA)

Défendeur :

Enedis (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Wachter

Conseillers :

M. Saunier, M. Maurel

Avocats :

Me Werthe, Me Ben Daoud, Me Delagneau, Me Wetterer, Me Leroux

TJ Montbéliard, du 28 juin 2023, n° 17/0…

28 juin 2023

EXPOSE DU LITIGE

La société Swisslife a souscrit un contrat d'assurances de dommages avec le syndicat de copropriété de l'immeuble sis [Adresse 4] sur le territoire de la commune de [Localité 6] (25), plus communément appelée 'copropriété Jacoutot', édifié sur 4 niveaux pour une surface de 930 m², et ce suivant acte sous seing privé en date du 15 avril 2013.

Le 25 juin 2014 un incendie s'est déclaré dans les parties supérieures de l'immeuble dévastant entièrement le local d'habitation dont M. [V] [M] était propriétaire. Au moment du sinistre, des agents de l'entreprise Enedis, opérateur de distribution d'énergie électrique venant aux droits de la société ERDF elle-même ayant pris la suite de l'établissement public EDF, étaient sur place pour règler un problème de surtension électrique.

L'assureur de la copropriété a mandaté sur place un expert, en la personne du cabinet Jacquement, la société de distribution d'énergie électrique, alors encore sous le dénomination d'ERDF, ayant pour sa part dépêché son propre expert en la personne du cabinet Polyexpert. Un compromis d'arbitrage a alors été régularisé entre l'assureur de la copropriété et celui de l'opérateur, à savoir la société EDF Assurances, lesquelles ont convenu de recourir à un autre expert, M. [O] [I] pour déterminer l'origine du sinistre et évaluer le montant des réparations, les deux parties s'accordant pour accepter les termes du rapport et les conclusions du technicien ainsi désigné.

A la suite des investigations menées sous son égide, l'expert a remis deux rapports en dates respectives des 29 août 2014 et 16 janvier 2015. Il en est résulté que l'installation électrique de l'immeuble sous concession d'ERDF avait joué un rôle causal dans le départ de feu. Mais il était également précisé que la surtension électrique générée par le neutre flottant avait révélé la défaillance de l'installation de l'antenne TV équipée d'un amplificateur. Les travaux de remise en état ont, alors, été évalués à la somme de 850 726,00 euros, valeur à neuf.

La compagnie Swisslife a indemnisé son assuré qui lui a délivré quittance subrogative en date du 26 février 2015. Le porteur de risques s'est acquitté de ses obligations de prise en charge en deux versements : le premier d'un montant de 594 496,00 euros au titre de l'indemnité immédiate, et d'un montant de 243 524,00 euros au titre de l'indemnité différée, en exécution d'une garantie valeur à neuf. L'assureur a, ensuite, exercé une action subrogatoire à l'encontre de la société Enedis, venant aux droits d'ERDF, aux fins de recouvrement d'une créance d'un montant de 838 020,00 euros.

La démarche étant demeurée infructueuse, la société Swisslife a fait assigner la société Enedis devant le tribunal de grande instance de Montbéliard par acte d'huissier en date du 11 janvier 2018 aux fins de récupération de ses débours exposés en l'acquit de la copropriété [Adresse 7] mais également de la Macif assureur de M. [M], copropriétaire dont le lot privatif a été sinistré.

Suivant jugement en date du 28 juin 2023, le tribunal a statué dans le sens suivant :

- déclare recevables les recours subrogatoires de la SA Swiss Life et de la Macif ;

- dit que la SA Enedis, anciennement ERDF, n'est pas responsable de l'incendie survenu le 25 juin 2014 au sein de la copropriété [Adresse 7], en l'absence de lien de causalité direct entre le fait générateur de responsabilité, en l'espèce la défectuosité du produit, et le dommage ;

- déboute la SA Swiss Life Assurance de Biens, subrogée dans les droits et actions de la copropriété [Adresse 7], de sa demande de paiement par la SA Enedis de la somme de 832 993 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure qu'elle lui adressée le 7 juillet 2017 ;

- déboute la SA Swiss Life Assurance de Biens, subrogée dans les droits et actions de MMA IARD, de sa demande de paiement par la SA Enedis de la somme de 3 946,80 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure qu'elle lui adressée le 7 juillet 2017 ;

- déboute la Macif, subrogée dans les droits et actions de M. [M], de sa demande de paiement par la SA Enedis de la somme de 47 818 euros assortie des intérêts légaux à compter de l'assignation ;

- déboute M. [V] [M] de sa demande de paiement par la SA Enedis de la somme de 14 467 euros assortie des intérêts légaux à compter (sic) ;

- déboute la Macif et M. [M] de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- déboute la SA Swiss Life Assurance de Biens de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- déboute la Macif et M. [M] de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamne la SA Swiss Life Assurance de Biens et la compagnie d'assurances Macif à verser à Enedis un montant de 1500 euros chacune en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamne la compagnie Swiss Life et la compagnie Macif aux entiers frais et dépens ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;

- déboute les parties de leurs autres demandes.

Les motifs retenus par le tribunal sont, en substance, les suivants :

- L'action subrogatoire de l'assureur de la copropriété est recevable au regard des documents contractuels produits et de la quittance subrogative, peu important à cet égard que les conditions générales n'aient pas été signées par le porteur d'assurance puisque la signature de son représentant figure sur les formulaires des conditions particulières.

- La Macif justifie également avoir indemnisé son assuré dans les conditions et limites de la police souscrite.

- La SA Enedis a la qualité de producteur, au sens des dispositions de l'article 1245 du code civil et l'électricité fournie est justiciable du vocable de produit qui, en l'occurrence, s'est avéré défectueux.

- Il ne ressort cependant pas des productions des parties, et notamment du rapport d'expertise, qu'un lien de causalité directe puisse être établi entre la défectuosité du produit livré et le dommage.

* * *

Suivant déclarations au greffe en dates des 28 et 29 août 2023, M. [M], la Macif et la compagnie Swisslife ont interjeté appel principal du jugement rendu, critiquant l'ensemble des dispositions adoptées par la juridiction de première instance. Les procédures d'appel ont été jointes dans le cadre de la mise en état de l'affaire.

Dans des conclusions à portée récapitulative en date du 23 février 2024, la Macif et M. [M] sollicitent l'infirmation partielle du jugement rendu et invitent la cour à statuer dans le sens suivant :

Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Montbéliard en date du 28 juin 2023 en ce qu'il déclare recevables les recours subrogatoires de la SA Swiss Life et de la Macif ;

Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Montbéliard en date du 28 juin 2023 en ce qu'il a :

- dit que la SA Enedis anciennement ERDF n'est pas responsable de l'incendie survenu le 25 juin 2014 au sein de la copropriété [Adresse 7], en l'absence de lien de causalité direct entre le fait générateur de responsabilité, en l'espèce la défectuosité du produit, et le dommage ;

- débouté la Macif, subrogée dans les droits et actions de M. [M], de sa demande de paiement par la SA Enedis de la somme de 47 818 euros assortie des intérêts légaux à compter de l'assignation ;

- débouté M. [V] [M] de sa demande de paiement par la SA Enedis de la somme de 14 467 euros assortie des intérêts légaux ;

- débouté la Macif et M. [M] de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la SA Swisslife assurances de biens et la compagnie d'assurances Macif à verser à Enedis un montant de 1500 euros chacune en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la compagnie Swisslife et la compagnie Macif aux entiers frais et dépens ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;

- débouté les parties de leurs autres demandes ;

Statuant à nouveau :

Dire que la SA Enedis anciennement ERDF est responsable de l'incendie survenu le 25 juin 2014 ;

Condamner la société Enedis (venant aux droits d'ERDF) à payer en réparation du préjudice subi :

- à la Macif, subrogée dans les droits de M. [M], la somme de 47 818 euros assortie des intérêts légaux à compter de l'assignation ;

- à M. [V] [M] la somme de 14 467 euros assortie des intérêts légaux à compter de l'assignation ;

Débouter la société Enedis de toute demande contraire ;

Condamner la société Enedis à payer la somme de 3 000 euros à la Macif et à M. [M] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société Enedis aux entiers dépens.

Ils font valoir, à cet égard, les moyens et arguments suivants :

- Des dysfonctionnements du système électrique de l'immeuble ont été constatés à intervalles réguliers tant dans les parties privatives que dans les parties communes.

- Si l'expert [I] a conclu ses opérations en indiquant que la surtension liée à la défaillance du neutre flottant avait révélé une défectuosité de l'amplificateur de l'antenne TV collective, un autre expert, amiablement mandaté, a tout de même fait ressortir que cet équipement était conforme à l'usage de sa destination qui est de protéger l'équipement auquel il est associé des variations d'intensité de l'électricité fournie.

- La société Enedis ne peut échapper à sa responsabilité en invoquant le fait d'un tiers.

- ERDF avait été avisé de la récurrence des problèmes de surtension électrique mais avait différé ses interventions arguant du caractère plus urgent d'autres déplacements, étant souligné que de nombreux appareils ménagers appartenant à des particuliers, copropriétaires ou locataires, avaient été détériorés.

* * *

Dans le dernier état de ses écritures en date du 17 avril 2024, la société Swisslife sollicite l'infirmation du jugement et invite la cour à statuer dans le sens suivant :

- Juger que la responsabilité d'Enedis est pleinement engagée en sa qualité de productrice d'un produit défectueux.

Subsidiairement,

- Juger que la responsabilité d'Enedis est engagée en raison de la faute contractuelle commise envers la copropriété.

- Arrêter le montant des dommages à la somme de 850 726,00 euros.

- Condamner Enedis à payer à la compagnie concluante, subrogée dans les droits de la copropriété assurée, la somme de 832 993,00 euros avec majoration d'intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 2017.

- Condamner Enedis à payer à la compagnie concluante, subrogée dans les droits de la compagnie MMA, la somme de 3 946, 80 euros avec majoration d'intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 2017.

- Débouter Enedis de ses demandes plus amples et contraires.

- Condamner Enedis à payer à la compagnie concluante la somme de 7000,00 euros, outre les entiers dépens avec distraction au profit de l'avocat constitué, aux offres de droit.

Elle fait valoir, à l'appui de ses prétentions, les moyens et arguments suivants :

- Les deux assureurs, parties à l'instance, administrent la preuve du bien-fondé de leur créance subrogatoire en produisant les documents révélant l'étendue de leurs obligations à l'égard de leurs assurés respectifs et du paiement de l'indemnité due en leur qualité de débiteurs de garantie.

- C'est à tort que le premier juge a estimé que, nonobstant la qualité défectueuse du service rendu par l'opérateur, le rapport de causalité entre sa défaillance et le sinistre n'était pas établi, alors que l'expert a mis en évidence que sans la défectuosité du neutre, qui a occasionné une surtension (l'électricité passant de 220 volts à 380) aucun dommage ne se serait produit. C'est donc de manière erronée que le tribunal a considéré que le rôle de révélateur imparti à la surtension de l'appareillage électrique n'équivalait pas à son implication causale dans la production du dommage.

- Les honoraires de l'expert accompagnant la copropriété lors de la phase d'investigation doivent être supportés par le responsable puisqu'il a signé le procès-verbal de chiffrage qui en fait état.

* * *

Aux termes de ses conclusions à portée récapitulative, datées du 23 février 2024, la SA Enedis se positionne sur le litige dans les termes suivants:

A titre principal :

- Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré recevable les recours subrogatoires des compagnies Swisslife et Macif et déclarer ces actions irrecevables à l'endroit de la concluante.

Subsidiairement :

- Confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.

A titre infiniment subsidiaire :

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la concluante des demandes formées à l'encontre des parties requérantes.

- Condamner la compagnie Swisslife à garantir la concluante en principal, frais et accessoires de toute condamnation autre que l'indemnisation des appareils électriques endommagés par la rupture de neutre et pouvant revenir à la Macif et M. [M].

- Fixer le montant pouvant revenir à la compagnie Swisslife à la somme de 803 523 euros.

- Fixer le montant pouvant revenir à la Macif à la somme de 38 412 euros.

- Fixer le montant pouvant revenir à M. [M] à la somme de 4 906 euros.

- Rejeter le surplus des demandes de M. [M].

- Condamner les compagnies Swisslife et Macif à lui payer la somme de 5000 euros en compensation des frais irrépétibles exposés.

- Condamner les compagnies Swisslife et Macif aux entiers frais et dépens.

Elle soutient, pour ce faire, que :

- Les documents contractuels produits par la société Swisslife sont incomplets en ce qu'ils ne permettent pas à la concluante d'appréhender l'ensemble des obligations de garantie contractées entre l'assureur et le porteur d'assurances. La créance subrogatoire résultant prétendument de l'indemnisation des débours de la compagnie MMA, à hauteur d'une créance alléguée de 3 946,80 euros, n'est aucunement démontrée.

- Les conditions générales et particulières invoqués par la MACIF au soutien de son recours subrogatoire ne sont pas signées par les parties à la convention d'assurance et ne peuvent donc satisfaire les intérêts de la concluante qui doit être en mesure de vérifier l'étendue des droits régulièrement transférés par le subrogeant au subrogé.

- Les conclusions de l'expert [I], qui s'imposent aux parties, ont clairement fait ressortir que la surtension avait été le phénomène révélateur d'un dysfonctionnement des équipements collectifs appartenant à la copropriété qui doit donc être regardé comme la seule cause du sinistre. Ainsi, si l'amplificateur, après examen, n'a pu être considéré comme le fait générateur du dommage, il n'en va pas de même du résistif au niveau de la prise de courant alimentant l'antenne qui, à défaut de jouer son rôle régulateur, a provoqué le départ de feu.

- Les surtensions résultant de phénomènes de neutres flottants n'atteignent pas de seuils rédhibitoires et ne produisent donc aucun effet dommageable sur les installations, à condition que celles-ci soient conformes au dispositf normatif de sécurisation des équipements.

- La Macif ne prouve pas que la perte des embellissements intérieurs et ouvrages de second oeuvre du local appartenant à M. [M] soient en relation causale avec la survenance du sinistre.

- La faute imputable au propriétaire de l'équipement à l'origine du dommage induit la reconnassance de sa pleine responsabilité.

- Subsidiairement, la société Swisslife ne peut intégrer dans sa créance le poste relatif aux honoraires de l'expert mandaté par le syndicat de copropriété pour l'assister au cours des opérations expertales.

- La surtension du système d'alimentation électrique ne peut être maîtrisée en toute occurrence si bien qu'elle demeure imprévisible.

- S'agissant de la demande indemnitaire de la Macif, il n'est pas administré la preuve que la durée d'indisponibilité du local dévasté ait duré 24 mois si bien qu'une réfaction de la créance doit être opérée de ce chef.

- M. [M] a perçu une indemnité supérieure à la valeur de remplacement des meubles meublants garnissant l'appartement.

* * *

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 24 décembre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le recours subrogatoire:

La société Enédis excipe, tout d'abord, d'un moyen d'irrecevabilité, articulé contre les compagnies d'assurances parties au litige, tiré de l'irrégularité du recours subrogatoire dont elles se prévalent pour diriger contre elle leurs recours indemnitaires fondés sur les dispositions de l'article L 121-12 du code des assurances.

S'agissant de la compagnie Swisslife, assureur de la copropriété, il lui est fait grief de ne pas produire les documents contractuels et la quittance subrogative permettant au défendeur à l'action subrogatoire de contrôler la nature et l'étendue de la créance détenue par l'assureur instigateur de l'action et le parfait rapport de symétrie entre l'indemnité payée à l'assuré et les sinistres couverts en garantie. Mais la compagnie intimée a produit aux débats les conditions particulières de la police, signées par le syndic de copropriété et les conditions générales auxquelles elles renvoient. Elle a également versé au dossier la quittance subrogative, dûment signée par le représentant de la copropriété, datée du 26 février 2015, mentionnant le paiement des sommes suivantes:

- 594 496, 00 euros à titre d'indemnité immédiate.

- 243 524, 00 euros à titre d'indemnité de valeur différée.

Le paiement ainsi régularisé correspond donc à l'indemnisation, valeur à neuf, de l'immeuble sinistré dont la couverture en garantie est expressément stipulée à la police. De la sorte, le moyen manque en fait. Surabondamment, il y a lieu d'observer que la quittance subrogative a été émise antérieurement aux paiement de l'indemnité régularisée au moyen de lettres-chèque échelonnées entre le 22 avril 2015 et le 3 avril 2017. Ce décalage chronologique tend à établir que la subrogation dont entend se prévaloir la compagnie 'solvens' n'est pas de nature légale mais conventionnelle ce dont il se déduit que la validité du recours subrogatoire, prévu à l'article 1250 du code civil, n'est pas subordonnée à la production de la police, laquelle peut ne pas refléter l'étendue de l'engagement de couverture en garantie du porteur de risques.

La société Swisslife entend exercer un recours subrogatoire à l'encontre du gestionnaire de distribution d'électricité pour recouvrement d'une créance correspondant aux débours de la compagnie MMA exposés en l'acquis de son assuré M. [M]. Toutefois, ni les conditions générales et particulières de la convention d'assurances, ni la quittance subrogative ne sont produites si bien que l'assureur prétendument subrogé dans les droits de l' 'accipiens' n'administre pas la preuve de son intérêt à agir. La fin de non-recevoir excipée de ce chef sera donc accueillie.

En ce qui concerne la Macif, celle-ci produit une quittance subrogative signée par l'assuré en date du 14 mars 2016 pour un montant d'indemnisation de 46 772,00 euros. Contrairement à ce qu'elle soutient, ni les conditions particulières ni les conditions générales ne sont produites aux débats. En effet, le document répertorié sous le n° 20 du bordereau de communication de pièces établi par la compagnie d'assurances co-appelante, et identifié dans ses écritures comme étant le contrat avec en annexe les conditions générales, n'est qu'un courrier, au demeurant non signé, sans aucune mention de l'enseigne de l'assureur mais seulement le nom de l'un de ses agents et dont il est indiqué de manière laconique que le souscripteur, M. [M] à priori, bénéficie d'une couverture en garantie 'formule Protectrice'.

Les risques couverts sont énumérés trés succinctement dans une attestation d'assurance-habitation, portant la date du 14 février 2011 et délivrée au profit de M. [M], et de laquelle il ressort que les dommages pris en charge sont ceux, entre autres, résultant d'un incendie, d'une explosion. Là encore le document ne comporte aucune signature de l'agent émetteur identifiée uniquement sous son nom, Mme [X] [Y], et sa fonction au sein de l'entreprise, à savoir celle de directrice régionale de la compagnie d'assurances concernée. Il convient donc de rechercher si l'absence de signature constitue un vice rédhibitoire privant ainsi l'attestation d'assurances de toute portée probatoire.

L'article 1367 du code civil énonce que :

' La signature nécessaire à la perfection d'un acte juridique identifie son auteur. Elle manifeste son consentement aux obligations qui découlent de cet acte.'

L'attestation d'assurances participe de la catégorie des actes juridiques en ce qu'il constitue l'acte recognitif d'une manifestation réciproque de volonté, antérieurement formalisée, et destinée à produire des effets de droit. Le formalisme substantiel dont il est question peut néanmoins être évincé par des solutions palliatives. Ainsi, l'article 1182 alinéa 3 du code civil confère au paiement, ou à l'exécution volontaire de l'engagement contractuel, un effet de purge de l'anomalie affectant l'acte originaire. Au cas présent, le versement de l'indemnité au porteur d'assurances établit, de manière univoque, la volonté du débiteur de garantie d'exécuter son obligation de couverture en référence aux risques exposés dans l'attestation. Partant, le défendeur à l'action subrogatoire est à même de vérifier que le paiement régularisé correspond à la nature et l'étendue de la garantie souscrite. Le moyen de fin de non-recevoir ne saurait donc prospérer. Le jugement sera confirmé sur ce point.

* * *

Sur la responsabilité:

La société Enedis est recherchée en responsabilité sur le fondement des règles de la responsabilité des produits défectueux dont le siège réside dans les dispositions des articles 1245-1 et suivants du code civil. Le fait générateur du sinistre a été déterminé par l'expert [I] dans les termes suivants :

' Défaillance de l'installation d'un amplificateur TV révélée par une surtension générée par un neutre flottant sur le branchement ERDF.

Les installations électriques sous concession ERDF ont joué un rôle dans la survenance du sinistre.

Amplificateur ne répondant pas aux obligations règlementaires, c'est à dire qu'il peut se détruire électriquement sans générer un incendie. De nombreux appareils ont été sinistrés électriquement dans l'immeuble sans faire apparaître d'échauffement.

Ou

Un contact résistif au sein du bloc multiprise a été amplifié lors des variations de tension.'

Entre les deux options suggérées, le technicien s'est prononcé en faveur du dysfonctionnement d'un contact résistif alors même que l'amplificateur était estimé conforme à l'usage de sa destination. Il souligne ainsi que :

'La surtension électrique générée par le Neutre flottant a révélé la défaillance de l'installation de l'antenne de TV équipée d'un amplificateur : un contact résistif EXISTANT au sein du bloc multiprise a été amplifié lors des variations de tension.'

La société gestionnaire du service de distribution d'électricité déduit de cette analyse la responsabilité exclusive du syndicat de copropriété propriétaire de l'équipement défectueux à l'origine estimée exclusive du départ de feu. Toutefois, le technicien a clairement mis en évidence la surtension du système électrique comme l'une des causes contributives à la survenance du sinistre. Il convient de rappeler, à cet égard, qu'en vertu de l'article 1245-2 du code précité l'électricité constitue un produit dont la défectuosité peut mettre en jeu la responsabilité de l'opérateur en charge de sa distribution. Le gestionnaire des équipements composant l'infrastructure du réseau a donc la qualité de producteur au sens des prescriptions de l'article 1245-5 alinéa 1° du code précité. Dans cette optique, la surtension du système de distribution électrique est constitutive d'un manquement à une obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l'opérateur (C. Cass. Com. 13 avril 2023 n° 20-17.368 rendu après renvoi préjudiciel à la CJUE). Dans cette optique, la société intimée ne peut être suivie lorsqu'elle prétend que le phénomène de surtension est, par nature, aléatoire, irrésistible, banal et imprévisible dans ses manifestations. De surcroît, les publications techniques propres à la matière, dont certains échantillons ont été produits aux débats (Revue des experts) mettent l'accent sur les facteurs suivants comme causes explicatives du phénomène de surtension : avarie de transformateur, accrochage d'un cable enterré par un engin, cassure d'un câble aérien par une branche d'arbre, dégradation d'une connexion, borne mal serrée sur le neutre d'une installation triphasée privative ou en concession. L'énumération de ces différents facteurs de dommage met ainsi l'accent sur un dysfonctionnement interne au réseau. Il s'en déduit qu'il ne peut être valablement soutenu que l'apparition concordante d'un phénomène de surtention et d'un mauvais fonctionnement d'un équipement connecté au réseau habilite le gestionnaire du dispositif de distribution à se défausser sur son client de sa responsabilité inhérente à son statut de producteur.

En d'autres termes, l'anomalie que constitue la surtension fait obstacle à ce que l'opérateur puisse s'exonérer de sa responsabilité en invoquant une absence d'implication du système géré par celui-ci dans la génèse de l'incendie. En mettant en évidence un processus complexe et multifactoriel à l'origine du sinistre, les conclusions expertales ne peuvent donner prise à la reconnaissance d'une immunité de responsabilité en faveur de l'opérateur.

Il s'ensuit que c'est à tort que le premier juge a considéré qu'aucun manquement, en relation causale avec le dommage, ne pouvait être imputé à la société Enedis.

Il reste néanmoins à évaluer, d'une part, si les données factuelles de l'espèce sont de nature à mettre à la charge du propriétaire de l'équipement incriminé dans le départ de feu une part de responsabilité, et d'autre part, en cas de réponse positive, si cette circonstance est de nature à justifier un partage de responsabilité.

S'agissant de la participation causale de la défectuosité de l'antenne collective de télévision de l'immeuble, l'expert a indiqué que la surtension en avait révélé l'existence. Toutefois, l'homme de l'art est moins péremptoire dans ses analyses que dans ses conclusions. Il indique, en effet, en page 25 de son compte-rendu que :

' Après identification précise de l'amplificateur d'antenne TV, des essais en laboratoire pourraient confirmer ou infirmer la mise à feu de cet équipement soumis à surtension.

La mesure d'investigation préconisée était détaillée dans les termes suivants :

'Mission : examen et essais de la tenue en surtension d'une alimentation continue 'Johansson 2430 A, associé à son amplificateur d'antenne de télévision hertzienne Johansson 7410.'

La mission a été réalisée par un sapiteur, le cabinet 'IC 2000" dont les conclusions sont ainsi rédigées :

' Il apparaît à l'analyse de la construction qu'un maximum de précautions ont été prises pour minimiser les risques d'incidents qui pourraient subvenir à la suite d'une mauvaise utilisation prévisible ou d'une défaillance de composants.

Les résultats des essais ont montré que la température de l'enveloppe de l'alimentation ne dépasse pas 55°. Dans ces conditions, les paramètres nécessaires à un départ de feu ne paraissent pas réunis.'

Concernant la défaillance du contact résistif inséré au sein du bloc multiprise, il est simplement affirmé, sans être démontré, qu'il aurait été à l'origine de l'incendie. Ni le constat exprès du défaut dont il serait affecté, ni sa preuve présomptive obtenue après avoir écarté toute autre hypothèse causale, n'accréditent le bien-fondé d'une telle assertion. Celle-ci est, par ailleurs, contestée par l'expert dont la copropriété s'est attachée les services (courriel en date du 18 novembre 2014- pièce n° 18).

Il s'en déduit que le dysfonctionnement de l'équipement collectif, et de ceux qui y sont associés et qui en constituent l'accessoire, demeure hypothétique, et en tous les cas sujet à caution que les pièces produites ne fournissent aucunement. Il n'est, dans cette optique, qu'un facteur causal supposé mais non entièrement démontré. Dès lors, la circonstance que la surtension ait été un révélateur d'un défaut affectant le bloc technique de l'antenne de télévision ne peut constituer, en elle-même, un critère discriminant de responsabilité. En effet, la révélation se définit comme la mise à jour d'un vice préexistant à la production d'un autre phénomène associé mais dépourvu en lui-même de toute incidence causale. Or tel n'est pas le cas en l'espèce puisqu'ainsi qu'il l'a été vu, la surtension électrique objective un manquement de l'opérateur de distribution d'énergie à son obligation de sécurité de résultat dont les contours et la contenance ne peuvent être pondérés par la prise en compte d'autres facteurs dommageables.

Il s'ensuit que l'assureur de la copropriété, subrogée dans ses droits, ne peut se voir imposer une réfaction de sa créance subrogatoire dans le cadre de son recours.

Ce n'est donc qu'à titre surabondant que sera examiné le mérite du recours exercé par la société Enedis à l'encontre de l'assureur du syndicat de copropriété sur le fondement des dispositions de l'article 1245-12 du code civil aux termes duquel :

'La responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances,, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d'une personne dont la victime est responsable.'

Il convient d'observer que ces prescriptions légales sont en décalage avec les dispositions de l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965 relative à la copropriété des immeubles bâtis en vertu duquel le syndicat de copropriété a pour objet la conservation de l'immeuble et l'administration des parties communes. Il est, à ce titre, responsable des dommages causés aux copropriétaires et aux tiers par le vice de construction ou le défaut d'entretien des parties communes. Dès lors, si le syndicat supporte une responsabilité sans faute du fait des ouvrages et équipements qu'il a sous sa garde, seule sa faute l'oblige à réparation dans le cadre d'une action récursoire de la part d'un fabricant ou un distributeur d'un produit défectueux. Or, quand bien même l'action en garantie n'exige pas la mise en cause de l'assuré (Cass 3° Civ. 1° février 2024 n°22-21.025), la faute du syndicat de copropriété, qui ne peut résulter d'un raisonnement présomptif, n'est aucunement caractérisée.

Enfin, la pluralité de facteurs dommageables n'induit pas nécessairement un partage de responsabilité s'il ressort des circonstances du sinistre que la surtension liée à une rupture du neutre a été l'élément déclencheur du dommage lequel a été amplifié sous l'effet conjugué d'autres facteurs (Cass. 1° Civ 2 juin 2021 n° 19-19.349 cité par la société Swisslife). Au cas présent, la défaillance de l'amplificateur d'antenne collective, à le supposer défectueux, n'a été qu'un facteur aggravant des conséquences dommageables de l'incendie sans en être la cause impulsive. Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que le phénomène de surtension électrique était, apparemment, récurrent au sein de l'immeuble en question et avait mobilisé des équipes de maintenance de la société ERDF la veille du sinistre.

Il suit des motifs qui précèdent que la société Enedis est seule responsable du sinistre qui a dévasté une partie de l'immeuble de la copropriété [Adresse 7]. Elle sera donc déboutée des fins de son action en garantie dirigée contre la société Swisslife.

* * *

Sur l'indemnisation des préjudices :

Créance de la société Swisslife :

L'assureur de la copropriété réclame le paiement d'une somme de 832 993 euros correspondant au montant des indemnités versées au syndicat de copropriété avec majoration d'intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 2017, date de la première mise en demeure.

Pour s'opposer partiellement à cette demande, le gestionnaire du service de distribution d'énergie électrique critique le décompte présenté en ce qu'il intègre les honoraires de l'expert mandaté par le syndicat pour l'assister dans l'exécution de la mission confiée à l'expert désigné d'un commun accord. Il est constant que ce compte de frais n'entre pas dans la catégorie des frais taxables et participe donc des frais irrépétibles visés à l'article 700 du code de procédure civile. Toutefois, la convention de compromis technique d'arbitrage, régularisée par acte sous seing privé en date du 29 juillet 2014 stipule en son article 6 que :

' D'un commun accord, les parties conviennent que les conclusions du rapport s'imposeront à elles comme ayant autorité de la chose jugée et renoncent, en conséquence, à contester celles-ci devant une juridiction quelconque.'

Il résulte du procès-verbal d'évaluation des dommages, établi dans le cadre de la mission expertale dévolue à M. [I], en date du 25 juin 2014, que la créance subrogatoire du porteur de risques comprend les frais d'assistance d'un expert à hauteur d'une somme de 28 972,00 euros, lesquels, en l'absence de toute précision, intègrent les honoraires de l'expert communément désigné et ceux de celui mandaté par les parties.

Il s'ensuit que la somme dont le paiement est sollicité par la compagnie d'assurances Swisslife, à savoir 832 993 euros TTC correspondant au montant de ses débours tels que fixés dans le compte-rendu expertal, sera entérinée par la cour. Cette somme portera majoration d'intérêts au taux légal à compter de la date de la première mise en demeure, soit le 7 juillet 2017.

Pour voir la créance subrogatoire réduite à concurrence du montant d'une franchise de 500 euros, l'intimée se recommande des dispositions de l'article 1245-2 précité qui ne prévoit aucun seuil de prise en charge. L'argument sera ainsi accueilli par la cour.

Créance de la Macif :

La créance subrogatoire relative à l'indemnistaion des embellissements n'est pas contestée et sera donc admise à hauteur de la somme de 6 972,00 euros.

La perte d'usage du bien couvrant la période des travaux de remise en état est contractuellement limitée à une durée de 12 mois. C'est donc un montant de 9 600,00 euros que l'assureur subrogé est habile à récupérer à ce titre.

La société Enedis conteste l'évaluation du mobilier indemnisé arguant du fait qu'elle doit correspondre à la valeur de remplacement, vétusté déduite, et non à la valeur à neuf des objets détruits. A ce sujet, les conditions générales de la police présentent ces deux options pour la couverture du risque. Les conditions particulières, dont il a été vu qu'elles étaient régulières et opposables aux tiers, fait état d'une souscription en valeur à neuf. Partant, l'objection ne saurait être avalisée. C'est donc la somme de 29 293,00 euros que l'assureur est habile à recouvrer auprès du responsable.

Il suit de là que la créance de la Macif sera fixée à la somme de 38 412,00 euros à laquelle s'ajoutent les intérêts moratoires calculés au taux légal à compter de l'assignation introductive de l'instance originaire, soit le 14 juin 2017.

M. [M], pour sa part, doit être déclaré fondé à obtenir le paiement d'une indemnité compensatrice résiduelle pour un montant de 4 906,00 euros, conformément à la proposition de la société Enedis qui a ajouté à la quotité représentative de la réparation du préjudice de jouissance, le montant d'une franchise qui aurait dû normalement être déduite. Il ne résulte pas des pièces de la procédure que l'indisponibilité ait eu une durée justifiant l'octroi d'une indemnité plus importante.

Cette somme portera également majoration d'intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2017.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Swisslife les frais exposés par elle dans le cadre de l'instance présente et non compris dans les dépens, à hauteur de la somme de 2000,00 euros. La société Enedis sera tenue d'en acquitter le paiement à son profit.

Le même souci d'équité ne commande pas de faire application des mêmes dispositions au profit de M. [M] et de la Macif.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi :

- Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'action subrogatoire des compagnies d'assurances Swisslife et Macif ;

Statuant à nouveau :

- Déclare la SA Enedis responsable des conséquences dommageables survenues dans l'immeuble sis [Adresse 4] à [Localité 6] le 25 juin 2014 ;

- Condamne la SA Enedis à payer à la SA Swisslife la somme de 822 993,00 euros TTC au titre de sa créance subrogatoire avec majoration d'intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 2017 ;

- Condamne la SA Enedis à payer à la MACIF, au titre de sa créance subrogatoire, la somme de 38 412,00 euros avec majoration d'intérêts au taux légal à cimpter du 14 juin 2017 ;

- Condamne la SA Enedis à payer à M. [M] la somme de 4 906,00 euros avec majoration d'intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2017 ;

- Condamne la SA Enedis à payer à la SA Swisslife la somme de 2000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Déboute les parties pour le surplus ;

- Condamne la société Enedis aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.

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