CA Paris, Pôle 5 - ch. 16, 11 mars 2025, n° 23/17655
PARIS
Arrêt
Autre
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
POLE 5 CHAMBRE 16
ARRET DU 11 MARS 2025
(n° 10 / 2025 , 13 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/17655 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIOP5
Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale rendue à Paris, le 6 septembre 2023, sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre arbitrale internationale de Paris, dans l'affaire enregistrée sous la référence 3358.
DEMANDEURS AU RECOURS :
Monsieur [I] [T]
exploitant agricole en nom personnel
immatriculé au répertoire SIREN sous le n° 817 693 229
domicilié : [Adresse 2]
EARL DU BATAILLER
exploitation agricole à responsabilité limitée
Immatriculée au RCS d'ORLEANS sous le n° 814 999 595
ayant son siège social : [Adresse 3]
prise en la personne de ses représentants légaux,
Ayant pour avocat postulant : Me Yves MAYNE de la SELEURL MAYNE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0059
Ayant pour avocat plaidant : Me François CARE, de la SCP CARE PETITJEAN-PERSON, avocat au barreau de CHARTRES et à la cour d'appel de VERSAILLES
DEFENDERESSE AU RECOURS :
Société SOUFFLET AGRICULTURE
société par actions simplifiée
immatriculée au RCS de TROYESsous le n° 706 980 182
ayant son siège social : [Adresse 6]
prise en la personne de ses représentants légaux
Ayant pour avocat postulant : Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0515
Ayant pour avocat plaidant : Me Vincent BENEZECH, avocat au barreau de PARIS, toque : J040
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 19 Décembre 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Anne DUPUY, Présidente de chambre
Mme Marie LAMBLING, Conseillère
M. Jacques LE VAILLANT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Anne DUPUY, présidente de chambre et par Madame Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* *
* I/ FAITS ET PROCEDURE
1. La cour est saisie d'un recours en annulation contre une sentence arbitrale rendue à Paris, le 6 septembre 2023, sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre arbitrale internationale de Paris, dans un litige opposant la société Soufflet Agriculture à Monsieur [I] [T] et l'EARL du Batailler.
2. Monsieur [I] [T] (ci-après M. [T]) et l'EARL du Batailler (ci-après l'EARL du Batailler, ensemble, les Demandeurs) ont une activité d'exploitant agricole de culture et de céréales, Monsieur [T] étant le gérant de l'EARL du Batailler.
3. La société Soufflet Agriculture (ci-après société Soufflet Agriculture ou Défenderesse) est spécialisée dans le commerce de gros (commerce interentreprises) de céréales, de semences et d'aliments pour le bétail.
4. Il n'est pas contesté que M. [T] et l'EARL du Batailler entretiennent avec la société Soufflet Agriculture (ci-après, ensemble, les Parties) des relations d'affaires depuis 2016, celles-ci ayant conclu plusieurs contrats de vente de céréales.
5. En 2021, la société Soufflet Agriculture aurait conclu, avec M. [T], deux contrats, qu'elle énumère comme suit :
- Contrat n°00000443031-000 du 21 mai 2021, pour la livraison de 500 tonnes (" T ") d'orge planet, pour le prix de 181 euros / T, à partir du 1er juillet 2022 et avant le 31 août 2022 ;
- Contrat n°00000500237-000 du 22 juin 2021, pour la livraison de 220 T d'esc coccinel, pour le prix de 181 euros / T, à partir du 1er juillet 2022 et avant le 31 août 2022.
6. Elle aurait également conclu, avec l'EARL du Batailler, trois contrats, qu'elle énumère comme suit :
- ontrat n°00000443032-000 du 21 mai 2021, pour la livraison de 300 T d'orge planet au prix de 196 euros / T, à partir du 1er juillet 2022 et avant le 31 août 2022 ;
- Contrat n°00000500232-000 du 22 juin 2021, pour la livraison de 140 T de esc faro, pour le prix de 181 euros / T, à partir du 1er juillet 2022 et avant le 31 août 2022 ;
- Contrat n°00000549580-000 du 5 novembre 2021, pour la livraison de 150 T de blé 1, pour le prix de 222,64 euros / T, à partir du 1er juillet 2022 et avant le 31 août 2022.
7. Le 9 juin 2022, la société Soufflet Agriculture a adressé à M. [T] et à l'EARL du Batailler un récapitulatif des contrats qu'elle soutient avoir conclus avec ces derniers.
8. Par courriel du 21 septembre 2022, la société Soufflet Agriculture, constatant le défaut des Demandeurs, les a mis en demeure d'exécuter leurs obligations avant le 30 septembre 2022.
9. Par courriel du 3 octobre, la société Soufflet Agriculture a constaté le défaut de retour de M. [T] et de l'EARL du Batailler, les a mis en demeure d'exécuter leurs obligations sous huit jours et les a informés qu'en cas de défaut, elle leur appliquerait la différence de prix entre le prix contractuel et le cours du jour du défaut en application de l'article 29 c) des RUFRA.
10. Le 20 février 2023, la société Soufflet Agriculture, se fondant sur les clauses compromissoires figurant dans les contrats qu'elle affirme avoir conclus avec M. [T] et l'EARL du Batailler, a engagé une procédure d'arbitrage devant la Chambre Arbitrale Internationale de Paris (CAIP) afin d'obtenir la condamnation de ceux-ci à l'indemniser au motif de l'inexécution desdits contrats.
11. Par sentence du 6 septembre 2023, le tribunal arbitral a statué en ces termes :
- Se déclare compétent pour trancher le litige opposant la société SOUFFLET AGRICULTURE à [I] [T] et l'EARL DU BATTAILER ;
- Condamne Monsieur [I] [T] à payer à la société SOUFFLET AGRICULTURE la somme de 88 420,00 € assortie des intérêts au taux légal décomptés à compter du jour du prononcé de la sentence et jusqu'au complet paiement ;
- Condamne l'EARL DU BATAILLER à payer à la société SOUFFLET AGRICULTURE la somme de 69 144,00 € assortie des intérêts au taux légal décomptés à compter du jour du prononcé de la sentence et jusqu'au complet paiement ;
- Condamne solidairement Monsieur [I] [T] et l'EARL DU BATAILLER à payer à Soufflet Agriculture la somme de 15 000,00 € au titre des frais irrépétibles ainsi que l'intégralité des frais d'arbitrage à hauteur de 33 184,51 € ;
- Condamne en remboursement des frais de courtier assermenté Monsieur [I] [T] à payer à SOUFFLET AGRICULTURE la somme de 1 200,00 € et l'EARL DU BATAILLER à payer à SOUFFLET AGRICULTURE la somme de 1 800,00 € ;
- Rejette toutes les autres demandes, fins et prétentions formées par chacune des Parties.
12. M. [T] et l'EARL du Batailler ont formé un recours en annulation contre cette sentence le 31 octobre 2023.
13. La clôture a été prononcée le 26 novembre 2024 et l'affaire appelée à l'audience de plaidoiries du 19 décembre 2024.
II/ PRETENTIONS DES PARTIES
14. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 21 octobre 2024, M. [I] [T] et l'EARL DU BATAILLER demandent à la cour de bien vouloir :
- Annuler dans sa totalité la sentence rendue par le tribunal arbitral le 6 septembre 2023, et, statuant sur le fond,
A titre principal,
- Déclarer la SAS SOUFFLET AGRICULTURE irrecevable et mal fondée en toutes ses dispositions ; l'en débouter ;
- La condamner à payer la somme de 3.000 € à M. [I] [T] et 3.000 € à l'EARL DU BATAILLER sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
Subsidiairement,
- Mettre fin aux contrats litigieux conformément à l'article 1195 du code de procédure civile,
Encore plus subsidiairement,
- Fixer au 29 août 2022 la date du défaut ;
- Rejeter toute demande d'indemnité fixée sur la base d'un cours " rendu [Localité 7] " ;
- Fixer à la date de notification de la sentence le point de départ des pénalités de retard, dont le taux sera celui de l'intérêt légal ;
A titre principal, subsidiaire et encore plus subsidiaire,
- Rejeter la demande présentée au titre des frais irrépétibles (article 700 du code de procédure civile) ;
- Laisser les dépens à la charge de la SAS SOUFFLET AGRICULTURE.
15. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 novembre 2024, la société SOUFFLET AGRICULTURE demande à la cour de bien vouloir :
A titre principal :
- Débouter Monsieur [I] [T] et l'EARL du Batailler de l'intégralité de leurs prétentions,
- Rejeter le recours en annulation formé par Monsieur [I] [T] et l'EARL du Batailler à l'encontre de la sentence arbitrale en date du 6 septembre 2023 ;
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse extraordinaire où la sentence arbitrale serait annulée sur le fondement d'un défaut d'impartialité et d'indépendance d'un arbitre,
- Se déclarer incompétente pour statuer sur le fond du litige ;
- Renvoyer les parties à porter leur litige devant la CAIP ;
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse extraordinaire où la sentence arbitrale serait annulée sur le fondement de l'incompétence du tribunal arbitral,
- Se déclarer incompétente pour statuer sur le fond du litige ;
- Renvoyer les parties à mieux se pourvoir ;
A titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse extraordinaire où la sentence arbitrale serait annulée et la Cour d'appel se déclarerait compétente pour statuer sur le fond du litige,
A titre principal,
o Condamner Monsieur [T] au défaut d'exécution des contrats n°00000443031-000 et n°00000500237-000 à la date du 12 octobre 2022 ;
o Condamner en conséquence Monsieur [T] à payer à Soufflet Agriculture la somme en principal de 111.900 euros assortie des intérêts de retard calculés en faisant application du taux d'intérêt appliqué par la BCE à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage tel que prévu par l'article L.441-10 du Code de commerce à compter du 12 octobre 2022 jusqu'au complet paiement ;
o Condamner l'EARL du Batailler au défaut d'exécution des contrats n°00000443032-000, n° 00000500232-000 et n°00000549580-000 à la date du 12 octobre 2022 ;
o Condamner en conséquence l'EARL du Batailler à payer à Soufflet Agriculture la somme en principal de 83.804 euros assortie des intérêts de retard calculés en faisant application du taux d'intérêt appliqué par la BCE à son opération de refinancement la plus récente de 10 points de pourcentage, tel que prévu par l'article L.441-10 du Code de commerce, à compter du 12 octobre 2022 et jusqu'au complet paiement ;
A titre subsidiaire,
o Condamner Monsieur [T] au défaut d'exécution des contrats n°00000443031-000 et n°00000500237-000 à la date du 29 août 2022 ;
o Condamner Monsieur [T] à payer à Soufflet Agriculture la somme en principal de 88.420 euros assortie des intérêts de retard calculés en faisant application du taux d'intérêt appliqué par la BCE à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage tel que prévu par l'article L.441-10 du Code de commerce à compter du 29 août 2022 et jusqu'au complet paiement ;
o Condamner l'EARL du Batailler au défaut d'exécution des contrats n° 00000443032-000, n° 00000500232-000 et n° 00000549580-000 à la date du 29 août 2022 ;
o Condamner l'EARL du Batailler à payer à Soufflet Agriculture la somme en principal de 69.144 euros assortie des intérêts de retard calculés en faisant application du taux d'intérêt appliqué par la BCE à son opération de refinancement la plus récente majorée de 10 points de pourcentage, tel que prévu par l'article L.441-10 du Code de commerce, à compter du 29 août 2022 et jusqu'au complet paiement ;
En tout état de cause,
o Condamner Monsieur [T] à payer à Soufflet Agriculture la somme de 1.200 euros en remboursement des frais de courtier assermenté ;
o Condamner l'EARL du Batailler à payer à Soufflet Agriculture la somme de 1.800 euros en remboursement des frais de courtier assermenté ;
En tout état de cause,
- Condamner solidairement Monsieur [I] [T] et l'EARL du Batailler à payer à Soufflet Agriculture une indemnité de 15.000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;
- Condamner solidairement Monsieur [I] [T] et l'EARL du Batailler aux entiers dépens.
III/ MOTIFS DE LA DECISION
1. Sur la constitution du tribunal arbitral
Exposé des moyens
Au soutien de son recours, M. [T] et l'EARL du Batailler soutiennent que :
- Il résulte de l'article 1456 alinéa 2 du code de procédure civile qu'il appartient à l'arbitre, avant d'accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d'affecter son indépendance ou son impartialité. Il lui est aussi fait obligation de révéler sans délai toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission.
- Il existe entre M. [V] [G], arbitre composant le tribunal, et la société Soufflet Agriculture, des liens étroits et actuels faisant naître un doute raisonnable quant à son indépendance et son impartialité, de sorte que celui-ci aurait dû le signaler dans sa déclaration d'indépendance et que la sentence doit être annulée pour constitution irrégulière du tribunal arbitral.
- Il incombait en effet à M. [V] [G] de révéler ses liens avec la société Soufflet Agriculture, dès lors qu'il est directeur général de la SICA NORD CEREALES, laquelle dispose d'une liste d'actionnaires A, dans laquelle figure la société INVIVO, propriétaire à 100% du groupe Soufflet. Elle dispose également d'une liste d'actionnaires B, dans laquelle figure la société Soufflet Agriculture.
- Cette information n'a pu être portée à leur connaissance que lors de la publication du compte rendu de l'assemblée générale de la SICA NORD CEREALES en date du 1er décembre 2023, soit postérieurement à la constitution du tribunal arbitral le 31 mars 2023, étant précisé que M. [T] et l'EARL du Batailler sont agriculteurs et non des acteurs du commerce de céréales.
- M. [V] [G] s'est également abstenu de révéler le cumul de ses fonctions de vice-président et de trésorier de l'association AGRO PARIS BOURSE, dont la société Soufflet Agriculture est l'un des partenaires d'excellence.
La société Soufflet Agriculture réplique que :
- Il résulte de l'article 1466 du code de procédure civile et de la jurisprudence que la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir. Ainsi, la partie qui s'abstient d'engager une procédure de récusation à l'encontre d'un arbitre n'est plus recevable à se prévaloir du grief tiré de la constitution irrégulière du tribunal arbitral devant le juge de l'annulation.
- En l'espèce, M. [V] [G] a régularisé sa déclaration d'indépendance et d'impartialité sans réserve, laquelle a été communiquée aux Parties le 31 mars 2023.
- L'ensemble des prétendus liens invoqués par les Demandeurs sont tirés de circonstances publiques et préexistantes à l'arbitrage. Les informations concernant les actionnaires et administrateurs de la société Nord Céréales sont accessibles publiquement sur son site internet, l'identité de membres du conseil d'administration et des partenaires d'excellence d'Agro Paris Bourse est accessible publiquement sur le site internet de cette dernière et la détention du groupe Soufflet par le groupe InVivo est notoire.
- Aucun élément nouveau concernant les arbitres n'est apparu postérieurement à la procédure arbitrale.
- Il incombait donc aux Demandeurs d'exercer leur droit de récusation s'ils l'estimaient nécessaire, ce qu'ils n'ont pas fait.
- En tout état de cause, il résulte de la jurisprudence que le défaut de révélation d'une information par un arbitre ne suffit pas à emporter l'annulation de la sentence arbitrale, l'annulation n'étant encourue que si cette information était de nature à créer dans l'esprit des parties un doute raisonnable quant à son impartialité et son indépendance. L'indépendance et l'impartialité des arbitres sont en outre appréciées plus souplement dans le cadre d'un arbitrage corporatif.
- En l'espèce, le présent litige est un litige entre acteurs du secteur des céréales qui relève d'un arbitrage corporatif dans le cadre de la CAIP, étant à cet égard précisé que M. [T] et l'EARL du Batailler et la société Soufflet Agriculture sont spécialisés dans la production et le commerce de céréales.
- Les prétendus liens invoqués par les Demandeurs entre M. [V] [G] et la société Soufflet Agriculture sont lointains et très indirects.
- Outre la description des fonctions de M. [V] [G] et de plusieurs entités, les Demandeurs ne démontrent pas en quoi ces éléments seraient de nature à générer un doute raisonnable quant à l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre, ces liens étant en tout état de cause sans incidence sur l'issue du présent litige.
- Le seul argument des Demandeurs résulte donc du fait que M. [V] [G] et la société Soufflet Agriculture agiraient dans le même secteur d'activité, ce qui ne permet pas de préjuger d'un quelconque défaut d'indépendance ou d'impartialité de M. [V] [G], dont la preuve n'est en tout état de cause aucunement rapportée par les Demandeurs.
Réponse de la cour
Selon l'article 1492 1° du code de procédure civile, le recours en annulation est ouvert si le tribunal arbitral a été irrégulièrement constitué.
Aux termes de l'article 1456, alinéa 2 du code de procédure civile, " Il appartient à l'arbitre, avant d'accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d'affecter son indépendance. Il lui est également fait obligation de révéler sans délai toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l'accomplissement de sa mission ".
L'arbitre doit ainsi révéler aux parties toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable sur ses qualités d'impartialité et d'indépendance, qui sont l'essence même de la fonction arbitrale.
Le lien de confiance avec l'arbitre et les parties devant être préservé continûment, celles-ci doivent être informées pendant toute la durée de l'arbitrage des relations qui pourraient avoir à leurs yeux une incidence sur le jugement de l'arbitre et qui seraient de nature à affecter son indépendance.
Toutefois, en application de l'article 1466 du code de procédure civile, " la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir ".
Les Demandeurs font en substance valoir que M. [V] [G] s'est abstenu de signaler dans sa déclaration d'indépendance l'existence de liens étroits et actuels avec le groupe InVivo propriétaire à 100% de Soufflet Agriculture et Soufflet Agriculture, actionnaires de la SICA Nord Céréales, ainsi que sa qualité de membre du conseil d'administration de l'association Agro Paris Bourse dont Soufflet Agriculture serait l'un des partenaires.
La société d'intérêt collectif agricole Nord Céréales, dont M. [V] [G] est le directeur général, se présente sur son site internet comme " un port international pour l'import et l'export des céréales " (pièce 33 de la défenderesse). Elle regroupe des négociants, coopératives agricoles et exportateurs de la Région Haut-de-France, et comprend (pièce 23 de la défenderesse), 28 actionnaires- dont deux GIE (CéréNord 1 et CéréNord2)-, parmi lesquels figurent d'importants acteurs du commerce des céréales (tels Union Invivo, Vivescia, le groupe Soufflet, Terreos, Cargill').
Compte tenu de l'objet même de la SICA Nord Céréales, de sa notoriété et de son importance (3ème silo français d'exportation comme cela ressort du rapport d'activité 2021-2022 versé en pièce 3 par les Demandeurs), M. [T] et l'EARL du Batailler ne pouvaient ignorer l'existence de liens professionnels entre M. [V] [G], dont ils ne contestent pas avoir connu les fonctions, et les sociétés du commerce du grain. Les Demandeurs ne sauraient pas plus affirmer n'avoir découvert qu'en décembre 2023, à l'occasion d'une publication relative à l'assemblée générale de la SICA qu' Union InVivo et Soufflet faisaient respectivement partie des listes des actionnaires A et B (sa pièce 4), alors que d'une part, cette publication " Retour en images sur l'assemblée générale 2023 " se contente de mentionner la politique de redistribution de la SICA à ses " actionnaires ", sans autre précision sur l'identité de ces derniers, qui ne lui a donc pas été " révélée " à cette occasion, et que d'autre part, il est établi que la liste des actionnaires A et B de la SICA Nord Céréales figurait déjà en tout état de cause, en mars 2023, soit au moment de la constitution du tribunal arbitral, sur le site internet de la SICA, à la page consacrée à sa " gouvernance ", de sorte que cette information était d'ores et déjà publique, et aisément accessible.
Au regard de ces circonstances publiques et préexistantes à l'arbitrage, il appartenait à M. [T] et à l'EARL du Batailler, s'ils nourrissaient des doutes quant à l'impartialité et l'indépendance de M. [V] [G], de faire usage, en temps utile, et comme le permettait l'article 20 du règlement d'arbitrage, de leur droit de révocation. Ce moyen d'annulation de la sentence arbitrale du 6 septembre 2023 est donc irrecevable.
Il est exact, en revanche, que M. [V] [G] n'a pas signalé sa double qualité, dans le cadre de son activité péri professionnelle, de vice-président et de trésorier de l'association AGRO PARIS BOURSE dont " Soufflet Negoe By Invivo " (pièce 5 des Demandeurs et 24 de la défenderesse) est présenté comme un partenaire d'excellence. Si Soufflet Agriculture affirme que l'identité des membres du conseil d'administration d'Agro Paris Bourse est " connue dans le secteur du commerce des céréales ", la seule circonstance que cette information soit, de fait, accessible sur l'accueil du site de l'association est insuffisante à démontrer que M. [T] et l'EARL du Batailler en avaient connaissance, étant relevé que ces derniers affirment avoir ignoré jusqu'à l'existence même de l'association.
Pour autant, le défaut de révélation de cette information ne saurait justifier l'annulation de la sentence que si celle-ci était de nature à provoquer, dans l'esprit des parties, un doute raisonnable quant à l'impartialité et l'indépendance de l'arbitre.
Or, il ressort de la présentation de l'association AGRO PARIS BOURSE, telle qu'elle figure sur son site internet (pièce 24 bis de Soufflet Agriculture), qu'elle a pour objet de faciliter les interactions, le dialogue et les échanges d'information entre les différents acteurs de la filière des grains qu'il s'agisse de la collecte, du contrôle, de la qualité, du transport ou encore du stockage. Alors que celle-ci est composée de 400 sociétés, représentant plus de 1000 adhérents, faisant partie de l'ensemble de la filière céréalière française et européenne, il ne ressort d'aucune pièce versée que l'association et l'entité Soufflet Agriculture, distincte de Soufflet Negoe By Invivo, entretiendraient, dans ce cadre, des liens privilégiés ou des relations notamment financières de proximité, étant relevé que cette association, regroupe, par essence, différents acteurs de l'ensemble du secteur des céréales, et que la seule appartenance de Soufflet Agriculture à ce dernier ne saurait suffire, de surcroit dans le cadre d'un arbitrage corporatif, à établir une étroite communauté d'intérêt entre celle-ci et M. [V] [G] de nature à faire naitre un doute quant à l'impartialité et l'indépendance de ce dernier.
Le moyen est en conséquence rejeté.
2. Sur l'incompétence du tribunal arbitral
Exposé des moyens
M. [T] et l'EARL du Batailler font grief au tribunal arbitral de s'être reconnu compétent alors que :
- Il résulte de l'article 1119 du code civil que les conditions générales invoquées par une partie n'ont d'effet à l'égard de l'autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si celle-ci les a acceptées. L'article 1120 du code civil prévoit quant à lui que le silence ne vaut pas acceptation, à moins qu'il n'en résulte autrement de la loi, des usages, des relations d'affaires ou de circonstances particulières.
- En l'espèce, la clause compromissoire invoquée par la société Soufflet Agriculture figure dans les conditions générales de vente de celles-ci, lesquelles renvoient également à l'application des RUFRA dans les relations entre l'acheteur et le vendeur. Or, ces conditions générales de vente n'ont jamais été acceptées par M. [T] et l'EARL du Batailler. Ce n'est ainsi qu'en avril 2022, à la suite de plusieurs échanges entre les Parties, que les Demandeurs ont pu prendre connaissance de celles-ci, dont ils ont depuis lors toujours contesté l'application.
- Cette acceptation ne saurait être déduite de leur disponibilité sur l'extranet de la société Soufflet Agriculture, M. [T] n'ayant pas consulté cet extranet entre le 1er juillet 2016 et le 1er juillet 2022.
- La connaissance et l'acceptation par M. [T] et l'EARL du Batailler de ces conditions générales ne saurait davantage être déduite de l'existence d'une relation d'affaires continue entre les parties. En effet, les contrats invoqués par la Défenderesse n'ont pas été signés par
ceux-ci. L'absence de contestation des conditions générales de vente des contrats précédemment conclus entre les parties ne saurait pas plus valoir acceptation de celles-ci. En outre, les parties ont conclu dans le cadre de leurs relations d'affaires en 2016, divers contrats d'apport et d'engagement, différents par leurs objets et leurs conditions, seuls certains contrats d'engagement faisant référence à des conditions générales, de sorte qu'il est impossible d'en conclure que celles-ci s'appliquent à toutes les transactions entre les parties.
- Il résulte en outre de l'article L.441-1 du code de commerce que les conditions générales de vente doivent être mises à la disposition des cocontractants sur un support durable. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce, la société Soufflet Agriculture n'ayant pas reproduit ses conditions générales de vente sur ses contrats, ni même sur ses factures, pas plus que sur ses bordereaux d'apports, de sorte que celles-ci n'ont pu être portées à la connaissance des Demandeurs. La société Soufflet Agriculture a d'ailleurs elle-même demandé à M. [T] de signer électroniquement les conditions générales par messages du 1er janvier 2023.
- Le délai de contestation de 24 heures prévu par l'article 3 alinéa 8 des RUFRA ne peut être opposé aux demandeurs, celui-ci n'étant jamais été rappelé dans les confirmations de commande. Le désaccord des demandeurs manifesté par lettre recommandée en mars 2022 est donc parfaitement recevable.
- S'agissant des RUFRA, dont les règles sont invoquées par la partie adverse alors même que celle-ci ne les applique pas, elles ne sauraient davantage être opposées aux Demandeurs, celles-ci n'étant pas accessibles et n'ayant pas été mises à leur disposition. Ces règles sont par ailleurs peu connues des agriculteurs.
- La société Soufflet Agriculture ne peut se prévaloir de la prétendue conclusion de contrats verbaux entre les parties pour en déduire la connaissance et l'acceptation de la clause compromissoire par les Demandeurs.
La société Soufflet Agriculture réplique que :
- En droit, il résulte de l'article 1443 du code de procédure civile et de la jurisprudence que la convention d'arbitrage est écrite et qu'elle peut notamment résulter d'un document auquel il est fait référence dans la convention principale. Cette référence au document contenant la clause compromissoire est libre et peut être prouvée par tous moyens, notamment par la réception dudit document postérieurement à la conclusion du contrat principal, dès lors qu'aucune contestation ne s'en est suivie.
- Il résulte de l'article 1447 du code de procédure civile et de la jurisprudence que la clause compromissoire est indépendante du contrat auquel elle se rapporte, de sorte qu'elle n'est pas affectée par l'inefficacité de celui-ci. Ainsi, l'absence de signature d'un contrat est sans incidence sur la validité de la clause compromissoire contenue dans celui-ci, en vertu du principe d'autonomie de la clause compromissoire par rapport au contrat.
- Il est en outre de jurisprudence constante qu'en cas de relation d'affaires suivie, la clause compromissoire régulièrement stipulée entre les parties est considérée comme opposable à celles-ci. L'acceptation de la clause compromissoire peut par conséquent résulter d'un mode de contractualisation répété et d'un usage établi entre les parties.
- En l'espèce, la clause compromissoire est stipulée dans les contrats litigieux, ainsi que dans les règles Acheteur-Vendeur et les RUFRA incorporées dans lesdits contrats par référence. Ainsi, la condition d'écrit est en l'espèce remplie et les clauses compromissoires figurant dans les contrats sont par conséquent valides, indépendamment de l'absence de signature des confirmations de contrats par les Demandeurs.
- Les contrats, les Règles Acheteur-Vendeur et les RUFRA ont été portés à la connaissance de Monsieur [T] et de l'EARL du Batailler. Les contrats ont en effet fait l'objet d'une confirmation écrite envoyée électroniquement et la connaissance de ceux-ci par les Demandeurs n'est par ailleurs pas contestée. S'agissant des Règles Acheteur-Vendeur, celles-ci ont été valablement choisies par les Parties comme droit applicable à leur relation, les confirmations écrites des contrats y faisant en outre référence et celles-ci étant en tout état de cause accessibles sur le site internet de la société Soufflet Agriculture. S'agissant enfin des RUFRA, applicables en l'espèce, celles-ci sont accessibles gratuitement sur le site internet de l'acheteur.
La conclusion des contrats s'inscrit en outre dans une relation d'affaires suivie entre les Parties. En effet, la clause compromissoire stipulée dans les contrats litigieux est identique à celle ayant figuré dans tous les contrats conclus entre les Parties sans aucune contestation depuis 2016, soit 50 contrats. Il est par conséquent incontestable que la clause compromissoire constitue un usage et un terme constant des relations contractuelles entre les Parties.
La clause compromissoire est en tout état de cause un usage dans le commerce des grains, celle-ci figurant dans tous les contrats-types rédigés dans le secteur des céréales.
L'absence de signature des contrats invoquée par les Demandeurs est en tout état de cause sans incidence sur la validité de la clause compromissoire, de sorte que ce moyen, qui n'est par ailleurs pas une condition de validité des contrats, est sans incidence sur l'applicabilité de la clause compromissoire et, partant, sur la compétence du tribunal arbitral.
Réponse de la cour
L'article 1492, 1° du code de procédure civile dispose que le recours en annulation est ouvert si le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent.
Il résulte de ce texte que, sans s'arrêter aux dénominations retenues par les arbitres ou proposées par les parties, le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage. Ce contrôle est exclusif de toute révision au fond de la sentence.
Selon l'article 1443 du code de procédure civile la convention d'arbitrage est, à peine de nullité, écrite. Elle peut résulter d'un échange d'écrits ou d'un document auquel il est fait référence dans la convention principale. Aux termes de l'article 1447 du code de procédure civile, la convention d'arbitrage est indépendante du contrat auquel elle se rapporte et elle n'est pas affectée par la seule inexistence de celui-ci.
L'article 2061 du code civil précise par ailleurs que la clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on l'oppose, à moins que celle-ci n'ait succédé aux droits et obligations de la partie qui l'a initialement acceptée. Lorsque l'une des parties n'a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la clause ne peut lui être opposée.
Il résulte de ces textes que si la clause compromissoire doit être écrite, son acceptation par les parties n'est quant à elle régie par aucune condition de forme spécifique et, que son existence ne dépend pas de la formation, de la validité ou de l'exécution du contrat principal litigieux.
En l'espèce, il n'est pas contesté que cinq confirmations écrites d'achat (contrat n°443031-000 du 21 mai 2021 et contrat n°500237-000 du 22 juin 2021 entre la société Soufflet Agriculture et M. [T] ; contrat n° 443032-000 du 21 mai 2021, contrat n°500232-000 du 22 juin 2021, et contrat n°549580-000 du 5 novembre 2021 entre la société Souffler Agriculture et l'EARLdu Batailler) ont été adressées par courrier électronique à M. [T] (pièces 1à 5 de la défenderesse). Celles-ci comprennent toutes, sur leur recto, mention d'une clause compromissoire rédigée en ces termes : " Toute contestation survenant entre l'Acheteur et le Vendeur, quant à la formation, l'exécution, ou à l'occasion de la présente confirmation de contrat sera résolue par la Chambre Arbitrale Internationale de Paris conformément à son règlement d'arbitrage, dont les parties déclarent accepter l'application dans son édition en vigueur, au jour de la demande d'arbitrage. Le lieu de l'arbitrage se situera à Paris ([Adresse 4], France, Tel [XXXXXXXX01], email : [Courriel 5], web : www.arbitrage.org), et la langue utilisée par le tribunal sera le Français. ".
Il est également mentionné, en des termes identiques sur les cinq documents, que la confirmation de vente de marchandise est soumise aux règles régissant les relations acheteur/vendeur de marchandises signées entre le vendeur M. [T] et l'acheteur Soufflet Agriculture, dont le contenu n'est toutefois pas détaillé. Il ressort des conditions générales d'achat que celles-ci comportent d'une part en leur article 8 une clause compromissoire renvoyant également à l'arbitrage de la Chambre arbitrale de Paris, et qu'elles renvoient d'autre part aux règles RUFRA, lesquelles comportent en leur article 33 une clause d'arbitrage identique (pièces 10 et 11 de la défenderesse).
Dès lors que la réception de ces confirmations d'achat, comportant une clause compromissoire directement rédigée en leur sein, et figurant également dans des documents contractuels par référence, n'est pas contestée, il est établi que la clause d'arbitrage a été stipulée par écrit, la circonstance que les confirmations d'achat n'aient pas été signées par M. [T] et l'EARL du Batailler étant sans incidence sur la validité de la clause.
S'agissant de l'acceptation de la clause compromissoire, le débat ne saurait, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, se limiter à la question de l'opposabilité des conditions générales de vente, et partant des RUFRA, et ainsi de l'applicabilité des clauses compromissoires figurant dans ces documents, puisque la clause compromissoire est, en tout état de cause, directement écrite en des termes clairs et précis dans les confirmations d'achat litigieuses.
Il n'est pas contesté que M. [T] et l'EARL du Batailler entretiennent des relations contractuelles depuis l'année 2016.
Dans ce cadre, il ressort de la pièce 9 de la défenderesse que M. [T] et l'EARL du Batailler ont respectivement exécuté 13 contrats dont les confirmations d'achats sont comprises entre les dates de juillet 2017 à mars 2021, et 14 contrats dont les confirmations d'achats sont comprises entre mars 2028 et juin 2021. Or, ces contrats, qui sont rédigés en des termes identiques, et ne comportent pas la signature de M. [T], renvoient non seulement aux conditions générales d'achat mais comportent surtout la même clause compromissoire que celles figurant dans les confirmations litigieuses. Il n'est par ailleurs pas contesté qu'ils ont été conclus selon le même mode opératoire, consistant en l'envoi à l'issue d'un accord téléphonique, d'une confirmation de vente, par courrier, puis avec le développement du numérique, par courriel, comme cela résulte des explications des parties devant le tribunal (§ 159 de la sentence) et de l'attestation de M. [W] [U] agent relation culture chez Soufflet Agriculture (pièce 6 de la défenderesse). Il ressort des écritures mêmes des demandeurs (page 7), que ces contrats ont été honorés sans avoir donné lieu à litige, et ainsi qu'ils ont été exécutés sans que ne soit soulevée une quelconque réserve ou une opposition quant à la stipulation de la clause compromissoire y figurant.
Il en résulte que l'existence d'une relation d'affaire habituelle et suivie entre les demandeurs et la société Soufflet Agriculture est établie, et que cette relation contractuelle a été régie de façon constante par les mêmes pièces contractuelles, stipulant une clause compromissoire, avec une référence aux conditions générales de vente. Il en découle que la preuve est apportée par Soufflet Agriculture de la parfaite connaissance et l'acceptation de la clause compromissoire par M. [T] et l'EARL du Batailler puisque celle-ci a été stipulée de manière identique dans tous les contrats et confirmations d'achat litigieuses émis par la société Soufflet Agriculture.
Il s'ensuit que le tribunal arbitral ne s'est pas déclaré compétent à tort et que le moyen doit être rejeté.
Le recours en annulation exercé par M. [T] et l'EARL du Batailler à l'encontre de la sentence arbitrale du 6 septembre 2023 sera en conséquence rejeté.
2. Sur les frais du procès
Echouant en leur recours en annulation, M. [T] et l'EARL du Batailler seront condamnés in solidum aux dépens en application des articles 695 et 696 du code de procédure civile.
Pour ce motif, ils seront déboutés de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnés in solidum à payer, sur ce fondement, la somme de 9000 euros à la société Soufflet Agriculture.
IV/ DISPOSITIF
Par ces motifs, la cour :
1) Rejette le recours en annulation formé par M. [T] et l'EARL du Batailler à l'encontre de la sentence arbitrale rendue le 6 septembre 2023 ;
2) Condamne M. [T] et l'EARL du Batailler in solidum aux dépens du recours en annulation ;
3) Déboute M. [T] et l'EARL du Batailler de leurs demandes formées au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile ;
4) Condamne M. [T] et l'EARL du Batailler in solidum à payer la somme de neuf mille euros (9000,00 €) à la société Soufflet Agriculture en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
POLE 5 CHAMBRE 16
ARRET DU 11 MARS 2025
(n° 10 / 2025 , 13 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/17655 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIOP5
Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale rendue à Paris, le 6 septembre 2023, sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre arbitrale internationale de Paris, dans l'affaire enregistrée sous la référence 3358.
DEMANDEURS AU RECOURS :
Monsieur [I] [T]
exploitant agricole en nom personnel
immatriculé au répertoire SIREN sous le n° 817 693 229
domicilié : [Adresse 2]
EARL DU BATAILLER
exploitation agricole à responsabilité limitée
Immatriculée au RCS d'ORLEANS sous le n° 814 999 595
ayant son siège social : [Adresse 3]
prise en la personne de ses représentants légaux,
Ayant pour avocat postulant : Me Yves MAYNE de la SELEURL MAYNE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0059
Ayant pour avocat plaidant : Me François CARE, de la SCP CARE PETITJEAN-PERSON, avocat au barreau de CHARTRES et à la cour d'appel de VERSAILLES
DEFENDERESSE AU RECOURS :
Société SOUFFLET AGRICULTURE
société par actions simplifiée
immatriculée au RCS de TROYESsous le n° 706 980 182
ayant son siège social : [Adresse 6]
prise en la personne de ses représentants légaux
Ayant pour avocat postulant : Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0515
Ayant pour avocat plaidant : Me Vincent BENEZECH, avocat au barreau de PARIS, toque : J040
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 19 Décembre 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Anne DUPUY, Présidente de chambre
Mme Marie LAMBLING, Conseillère
M. Jacques LE VAILLANT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Anne DUPUY, présidente de chambre et par Madame Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* *
* I/ FAITS ET PROCEDURE
1. La cour est saisie d'un recours en annulation contre une sentence arbitrale rendue à Paris, le 6 septembre 2023, sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre arbitrale internationale de Paris, dans un litige opposant la société Soufflet Agriculture à Monsieur [I] [T] et l'EARL du Batailler.
2. Monsieur [I] [T] (ci-après M. [T]) et l'EARL du Batailler (ci-après l'EARL du Batailler, ensemble, les Demandeurs) ont une activité d'exploitant agricole de culture et de céréales, Monsieur [T] étant le gérant de l'EARL du Batailler.
3. La société Soufflet Agriculture (ci-après société Soufflet Agriculture ou Défenderesse) est spécialisée dans le commerce de gros (commerce interentreprises) de céréales, de semences et d'aliments pour le bétail.
4. Il n'est pas contesté que M. [T] et l'EARL du Batailler entretiennent avec la société Soufflet Agriculture (ci-après, ensemble, les Parties) des relations d'affaires depuis 2016, celles-ci ayant conclu plusieurs contrats de vente de céréales.
5. En 2021, la société Soufflet Agriculture aurait conclu, avec M. [T], deux contrats, qu'elle énumère comme suit :
- Contrat n°00000443031-000 du 21 mai 2021, pour la livraison de 500 tonnes (" T ") d'orge planet, pour le prix de 181 euros / T, à partir du 1er juillet 2022 et avant le 31 août 2022 ;
- Contrat n°00000500237-000 du 22 juin 2021, pour la livraison de 220 T d'esc coccinel, pour le prix de 181 euros / T, à partir du 1er juillet 2022 et avant le 31 août 2022.
6. Elle aurait également conclu, avec l'EARL du Batailler, trois contrats, qu'elle énumère comme suit :
- ontrat n°00000443032-000 du 21 mai 2021, pour la livraison de 300 T d'orge planet au prix de 196 euros / T, à partir du 1er juillet 2022 et avant le 31 août 2022 ;
- Contrat n°00000500232-000 du 22 juin 2021, pour la livraison de 140 T de esc faro, pour le prix de 181 euros / T, à partir du 1er juillet 2022 et avant le 31 août 2022 ;
- Contrat n°00000549580-000 du 5 novembre 2021, pour la livraison de 150 T de blé 1, pour le prix de 222,64 euros / T, à partir du 1er juillet 2022 et avant le 31 août 2022.
7. Le 9 juin 2022, la société Soufflet Agriculture a adressé à M. [T] et à l'EARL du Batailler un récapitulatif des contrats qu'elle soutient avoir conclus avec ces derniers.
8. Par courriel du 21 septembre 2022, la société Soufflet Agriculture, constatant le défaut des Demandeurs, les a mis en demeure d'exécuter leurs obligations avant le 30 septembre 2022.
9. Par courriel du 3 octobre, la société Soufflet Agriculture a constaté le défaut de retour de M. [T] et de l'EARL du Batailler, les a mis en demeure d'exécuter leurs obligations sous huit jours et les a informés qu'en cas de défaut, elle leur appliquerait la différence de prix entre le prix contractuel et le cours du jour du défaut en application de l'article 29 c) des RUFRA.
10. Le 20 février 2023, la société Soufflet Agriculture, se fondant sur les clauses compromissoires figurant dans les contrats qu'elle affirme avoir conclus avec M. [T] et l'EARL du Batailler, a engagé une procédure d'arbitrage devant la Chambre Arbitrale Internationale de Paris (CAIP) afin d'obtenir la condamnation de ceux-ci à l'indemniser au motif de l'inexécution desdits contrats.
11. Par sentence du 6 septembre 2023, le tribunal arbitral a statué en ces termes :
- Se déclare compétent pour trancher le litige opposant la société SOUFFLET AGRICULTURE à [I] [T] et l'EARL DU BATTAILER ;
- Condamne Monsieur [I] [T] à payer à la société SOUFFLET AGRICULTURE la somme de 88 420,00 € assortie des intérêts au taux légal décomptés à compter du jour du prononcé de la sentence et jusqu'au complet paiement ;
- Condamne l'EARL DU BATAILLER à payer à la société SOUFFLET AGRICULTURE la somme de 69 144,00 € assortie des intérêts au taux légal décomptés à compter du jour du prononcé de la sentence et jusqu'au complet paiement ;
- Condamne solidairement Monsieur [I] [T] et l'EARL DU BATAILLER à payer à Soufflet Agriculture la somme de 15 000,00 € au titre des frais irrépétibles ainsi que l'intégralité des frais d'arbitrage à hauteur de 33 184,51 € ;
- Condamne en remboursement des frais de courtier assermenté Monsieur [I] [T] à payer à SOUFFLET AGRICULTURE la somme de 1 200,00 € et l'EARL DU BATAILLER à payer à SOUFFLET AGRICULTURE la somme de 1 800,00 € ;
- Rejette toutes les autres demandes, fins et prétentions formées par chacune des Parties.
12. M. [T] et l'EARL du Batailler ont formé un recours en annulation contre cette sentence le 31 octobre 2023.
13. La clôture a été prononcée le 26 novembre 2024 et l'affaire appelée à l'audience de plaidoiries du 19 décembre 2024.
II/ PRETENTIONS DES PARTIES
14. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 21 octobre 2024, M. [I] [T] et l'EARL DU BATAILLER demandent à la cour de bien vouloir :
- Annuler dans sa totalité la sentence rendue par le tribunal arbitral le 6 septembre 2023, et, statuant sur le fond,
A titre principal,
- Déclarer la SAS SOUFFLET AGRICULTURE irrecevable et mal fondée en toutes ses dispositions ; l'en débouter ;
- La condamner à payer la somme de 3.000 € à M. [I] [T] et 3.000 € à l'EARL DU BATAILLER sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
Subsidiairement,
- Mettre fin aux contrats litigieux conformément à l'article 1195 du code de procédure civile,
Encore plus subsidiairement,
- Fixer au 29 août 2022 la date du défaut ;
- Rejeter toute demande d'indemnité fixée sur la base d'un cours " rendu [Localité 7] " ;
- Fixer à la date de notification de la sentence le point de départ des pénalités de retard, dont le taux sera celui de l'intérêt légal ;
A titre principal, subsidiaire et encore plus subsidiaire,
- Rejeter la demande présentée au titre des frais irrépétibles (article 700 du code de procédure civile) ;
- Laisser les dépens à la charge de la SAS SOUFFLET AGRICULTURE.
15. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 novembre 2024, la société SOUFFLET AGRICULTURE demande à la cour de bien vouloir :
A titre principal :
- Débouter Monsieur [I] [T] et l'EARL du Batailler de l'intégralité de leurs prétentions,
- Rejeter le recours en annulation formé par Monsieur [I] [T] et l'EARL du Batailler à l'encontre de la sentence arbitrale en date du 6 septembre 2023 ;
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse extraordinaire où la sentence arbitrale serait annulée sur le fondement d'un défaut d'impartialité et d'indépendance d'un arbitre,
- Se déclarer incompétente pour statuer sur le fond du litige ;
- Renvoyer les parties à porter leur litige devant la CAIP ;
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse extraordinaire où la sentence arbitrale serait annulée sur le fondement de l'incompétence du tribunal arbitral,
- Se déclarer incompétente pour statuer sur le fond du litige ;
- Renvoyer les parties à mieux se pourvoir ;
A titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse extraordinaire où la sentence arbitrale serait annulée et la Cour d'appel se déclarerait compétente pour statuer sur le fond du litige,
A titre principal,
o Condamner Monsieur [T] au défaut d'exécution des contrats n°00000443031-000 et n°00000500237-000 à la date du 12 octobre 2022 ;
o Condamner en conséquence Monsieur [T] à payer à Soufflet Agriculture la somme en principal de 111.900 euros assortie des intérêts de retard calculés en faisant application du taux d'intérêt appliqué par la BCE à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage tel que prévu par l'article L.441-10 du Code de commerce à compter du 12 octobre 2022 jusqu'au complet paiement ;
o Condamner l'EARL du Batailler au défaut d'exécution des contrats n°00000443032-000, n° 00000500232-000 et n°00000549580-000 à la date du 12 octobre 2022 ;
o Condamner en conséquence l'EARL du Batailler à payer à Soufflet Agriculture la somme en principal de 83.804 euros assortie des intérêts de retard calculés en faisant application du taux d'intérêt appliqué par la BCE à son opération de refinancement la plus récente de 10 points de pourcentage, tel que prévu par l'article L.441-10 du Code de commerce, à compter du 12 octobre 2022 et jusqu'au complet paiement ;
A titre subsidiaire,
o Condamner Monsieur [T] au défaut d'exécution des contrats n°00000443031-000 et n°00000500237-000 à la date du 29 août 2022 ;
o Condamner Monsieur [T] à payer à Soufflet Agriculture la somme en principal de 88.420 euros assortie des intérêts de retard calculés en faisant application du taux d'intérêt appliqué par la BCE à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage tel que prévu par l'article L.441-10 du Code de commerce à compter du 29 août 2022 et jusqu'au complet paiement ;
o Condamner l'EARL du Batailler au défaut d'exécution des contrats n° 00000443032-000, n° 00000500232-000 et n° 00000549580-000 à la date du 29 août 2022 ;
o Condamner l'EARL du Batailler à payer à Soufflet Agriculture la somme en principal de 69.144 euros assortie des intérêts de retard calculés en faisant application du taux d'intérêt appliqué par la BCE à son opération de refinancement la plus récente majorée de 10 points de pourcentage, tel que prévu par l'article L.441-10 du Code de commerce, à compter du 29 août 2022 et jusqu'au complet paiement ;
En tout état de cause,
o Condamner Monsieur [T] à payer à Soufflet Agriculture la somme de 1.200 euros en remboursement des frais de courtier assermenté ;
o Condamner l'EARL du Batailler à payer à Soufflet Agriculture la somme de 1.800 euros en remboursement des frais de courtier assermenté ;
En tout état de cause,
- Condamner solidairement Monsieur [I] [T] et l'EARL du Batailler à payer à Soufflet Agriculture une indemnité de 15.000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;
- Condamner solidairement Monsieur [I] [T] et l'EARL du Batailler aux entiers dépens.
III/ MOTIFS DE LA DECISION
1. Sur la constitution du tribunal arbitral
Exposé des moyens
Au soutien de son recours, M. [T] et l'EARL du Batailler soutiennent que :
- Il résulte de l'article 1456 alinéa 2 du code de procédure civile qu'il appartient à l'arbitre, avant d'accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d'affecter son indépendance ou son impartialité. Il lui est aussi fait obligation de révéler sans délai toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission.
- Il existe entre M. [V] [G], arbitre composant le tribunal, et la société Soufflet Agriculture, des liens étroits et actuels faisant naître un doute raisonnable quant à son indépendance et son impartialité, de sorte que celui-ci aurait dû le signaler dans sa déclaration d'indépendance et que la sentence doit être annulée pour constitution irrégulière du tribunal arbitral.
- Il incombait en effet à M. [V] [G] de révéler ses liens avec la société Soufflet Agriculture, dès lors qu'il est directeur général de la SICA NORD CEREALES, laquelle dispose d'une liste d'actionnaires A, dans laquelle figure la société INVIVO, propriétaire à 100% du groupe Soufflet. Elle dispose également d'une liste d'actionnaires B, dans laquelle figure la société Soufflet Agriculture.
- Cette information n'a pu être portée à leur connaissance que lors de la publication du compte rendu de l'assemblée générale de la SICA NORD CEREALES en date du 1er décembre 2023, soit postérieurement à la constitution du tribunal arbitral le 31 mars 2023, étant précisé que M. [T] et l'EARL du Batailler sont agriculteurs et non des acteurs du commerce de céréales.
- M. [V] [G] s'est également abstenu de révéler le cumul de ses fonctions de vice-président et de trésorier de l'association AGRO PARIS BOURSE, dont la société Soufflet Agriculture est l'un des partenaires d'excellence.
La société Soufflet Agriculture réplique que :
- Il résulte de l'article 1466 du code de procédure civile et de la jurisprudence que la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir. Ainsi, la partie qui s'abstient d'engager une procédure de récusation à l'encontre d'un arbitre n'est plus recevable à se prévaloir du grief tiré de la constitution irrégulière du tribunal arbitral devant le juge de l'annulation.
- En l'espèce, M. [V] [G] a régularisé sa déclaration d'indépendance et d'impartialité sans réserve, laquelle a été communiquée aux Parties le 31 mars 2023.
- L'ensemble des prétendus liens invoqués par les Demandeurs sont tirés de circonstances publiques et préexistantes à l'arbitrage. Les informations concernant les actionnaires et administrateurs de la société Nord Céréales sont accessibles publiquement sur son site internet, l'identité de membres du conseil d'administration et des partenaires d'excellence d'Agro Paris Bourse est accessible publiquement sur le site internet de cette dernière et la détention du groupe Soufflet par le groupe InVivo est notoire.
- Aucun élément nouveau concernant les arbitres n'est apparu postérieurement à la procédure arbitrale.
- Il incombait donc aux Demandeurs d'exercer leur droit de récusation s'ils l'estimaient nécessaire, ce qu'ils n'ont pas fait.
- En tout état de cause, il résulte de la jurisprudence que le défaut de révélation d'une information par un arbitre ne suffit pas à emporter l'annulation de la sentence arbitrale, l'annulation n'étant encourue que si cette information était de nature à créer dans l'esprit des parties un doute raisonnable quant à son impartialité et son indépendance. L'indépendance et l'impartialité des arbitres sont en outre appréciées plus souplement dans le cadre d'un arbitrage corporatif.
- En l'espèce, le présent litige est un litige entre acteurs du secteur des céréales qui relève d'un arbitrage corporatif dans le cadre de la CAIP, étant à cet égard précisé que M. [T] et l'EARL du Batailler et la société Soufflet Agriculture sont spécialisés dans la production et le commerce de céréales.
- Les prétendus liens invoqués par les Demandeurs entre M. [V] [G] et la société Soufflet Agriculture sont lointains et très indirects.
- Outre la description des fonctions de M. [V] [G] et de plusieurs entités, les Demandeurs ne démontrent pas en quoi ces éléments seraient de nature à générer un doute raisonnable quant à l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre, ces liens étant en tout état de cause sans incidence sur l'issue du présent litige.
- Le seul argument des Demandeurs résulte donc du fait que M. [V] [G] et la société Soufflet Agriculture agiraient dans le même secteur d'activité, ce qui ne permet pas de préjuger d'un quelconque défaut d'indépendance ou d'impartialité de M. [V] [G], dont la preuve n'est en tout état de cause aucunement rapportée par les Demandeurs.
Réponse de la cour
Selon l'article 1492 1° du code de procédure civile, le recours en annulation est ouvert si le tribunal arbitral a été irrégulièrement constitué.
Aux termes de l'article 1456, alinéa 2 du code de procédure civile, " Il appartient à l'arbitre, avant d'accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d'affecter son indépendance. Il lui est également fait obligation de révéler sans délai toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l'accomplissement de sa mission ".
L'arbitre doit ainsi révéler aux parties toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable sur ses qualités d'impartialité et d'indépendance, qui sont l'essence même de la fonction arbitrale.
Le lien de confiance avec l'arbitre et les parties devant être préservé continûment, celles-ci doivent être informées pendant toute la durée de l'arbitrage des relations qui pourraient avoir à leurs yeux une incidence sur le jugement de l'arbitre et qui seraient de nature à affecter son indépendance.
Toutefois, en application de l'article 1466 du code de procédure civile, " la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir ".
Les Demandeurs font en substance valoir que M. [V] [G] s'est abstenu de signaler dans sa déclaration d'indépendance l'existence de liens étroits et actuels avec le groupe InVivo propriétaire à 100% de Soufflet Agriculture et Soufflet Agriculture, actionnaires de la SICA Nord Céréales, ainsi que sa qualité de membre du conseil d'administration de l'association Agro Paris Bourse dont Soufflet Agriculture serait l'un des partenaires.
La société d'intérêt collectif agricole Nord Céréales, dont M. [V] [G] est le directeur général, se présente sur son site internet comme " un port international pour l'import et l'export des céréales " (pièce 33 de la défenderesse). Elle regroupe des négociants, coopératives agricoles et exportateurs de la Région Haut-de-France, et comprend (pièce 23 de la défenderesse), 28 actionnaires- dont deux GIE (CéréNord 1 et CéréNord2)-, parmi lesquels figurent d'importants acteurs du commerce des céréales (tels Union Invivo, Vivescia, le groupe Soufflet, Terreos, Cargill').
Compte tenu de l'objet même de la SICA Nord Céréales, de sa notoriété et de son importance (3ème silo français d'exportation comme cela ressort du rapport d'activité 2021-2022 versé en pièce 3 par les Demandeurs), M. [T] et l'EARL du Batailler ne pouvaient ignorer l'existence de liens professionnels entre M. [V] [G], dont ils ne contestent pas avoir connu les fonctions, et les sociétés du commerce du grain. Les Demandeurs ne sauraient pas plus affirmer n'avoir découvert qu'en décembre 2023, à l'occasion d'une publication relative à l'assemblée générale de la SICA qu' Union InVivo et Soufflet faisaient respectivement partie des listes des actionnaires A et B (sa pièce 4), alors que d'une part, cette publication " Retour en images sur l'assemblée générale 2023 " se contente de mentionner la politique de redistribution de la SICA à ses " actionnaires ", sans autre précision sur l'identité de ces derniers, qui ne lui a donc pas été " révélée " à cette occasion, et que d'autre part, il est établi que la liste des actionnaires A et B de la SICA Nord Céréales figurait déjà en tout état de cause, en mars 2023, soit au moment de la constitution du tribunal arbitral, sur le site internet de la SICA, à la page consacrée à sa " gouvernance ", de sorte que cette information était d'ores et déjà publique, et aisément accessible.
Au regard de ces circonstances publiques et préexistantes à l'arbitrage, il appartenait à M. [T] et à l'EARL du Batailler, s'ils nourrissaient des doutes quant à l'impartialité et l'indépendance de M. [V] [G], de faire usage, en temps utile, et comme le permettait l'article 20 du règlement d'arbitrage, de leur droit de révocation. Ce moyen d'annulation de la sentence arbitrale du 6 septembre 2023 est donc irrecevable.
Il est exact, en revanche, que M. [V] [G] n'a pas signalé sa double qualité, dans le cadre de son activité péri professionnelle, de vice-président et de trésorier de l'association AGRO PARIS BOURSE dont " Soufflet Negoe By Invivo " (pièce 5 des Demandeurs et 24 de la défenderesse) est présenté comme un partenaire d'excellence. Si Soufflet Agriculture affirme que l'identité des membres du conseil d'administration d'Agro Paris Bourse est " connue dans le secteur du commerce des céréales ", la seule circonstance que cette information soit, de fait, accessible sur l'accueil du site de l'association est insuffisante à démontrer que M. [T] et l'EARL du Batailler en avaient connaissance, étant relevé que ces derniers affirment avoir ignoré jusqu'à l'existence même de l'association.
Pour autant, le défaut de révélation de cette information ne saurait justifier l'annulation de la sentence que si celle-ci était de nature à provoquer, dans l'esprit des parties, un doute raisonnable quant à l'impartialité et l'indépendance de l'arbitre.
Or, il ressort de la présentation de l'association AGRO PARIS BOURSE, telle qu'elle figure sur son site internet (pièce 24 bis de Soufflet Agriculture), qu'elle a pour objet de faciliter les interactions, le dialogue et les échanges d'information entre les différents acteurs de la filière des grains qu'il s'agisse de la collecte, du contrôle, de la qualité, du transport ou encore du stockage. Alors que celle-ci est composée de 400 sociétés, représentant plus de 1000 adhérents, faisant partie de l'ensemble de la filière céréalière française et européenne, il ne ressort d'aucune pièce versée que l'association et l'entité Soufflet Agriculture, distincte de Soufflet Negoe By Invivo, entretiendraient, dans ce cadre, des liens privilégiés ou des relations notamment financières de proximité, étant relevé que cette association, regroupe, par essence, différents acteurs de l'ensemble du secteur des céréales, et que la seule appartenance de Soufflet Agriculture à ce dernier ne saurait suffire, de surcroit dans le cadre d'un arbitrage corporatif, à établir une étroite communauté d'intérêt entre celle-ci et M. [V] [G] de nature à faire naitre un doute quant à l'impartialité et l'indépendance de ce dernier.
Le moyen est en conséquence rejeté.
2. Sur l'incompétence du tribunal arbitral
Exposé des moyens
M. [T] et l'EARL du Batailler font grief au tribunal arbitral de s'être reconnu compétent alors que :
- Il résulte de l'article 1119 du code civil que les conditions générales invoquées par une partie n'ont d'effet à l'égard de l'autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si celle-ci les a acceptées. L'article 1120 du code civil prévoit quant à lui que le silence ne vaut pas acceptation, à moins qu'il n'en résulte autrement de la loi, des usages, des relations d'affaires ou de circonstances particulières.
- En l'espèce, la clause compromissoire invoquée par la société Soufflet Agriculture figure dans les conditions générales de vente de celles-ci, lesquelles renvoient également à l'application des RUFRA dans les relations entre l'acheteur et le vendeur. Or, ces conditions générales de vente n'ont jamais été acceptées par M. [T] et l'EARL du Batailler. Ce n'est ainsi qu'en avril 2022, à la suite de plusieurs échanges entre les Parties, que les Demandeurs ont pu prendre connaissance de celles-ci, dont ils ont depuis lors toujours contesté l'application.
- Cette acceptation ne saurait être déduite de leur disponibilité sur l'extranet de la société Soufflet Agriculture, M. [T] n'ayant pas consulté cet extranet entre le 1er juillet 2016 et le 1er juillet 2022.
- La connaissance et l'acceptation par M. [T] et l'EARL du Batailler de ces conditions générales ne saurait davantage être déduite de l'existence d'une relation d'affaires continue entre les parties. En effet, les contrats invoqués par la Défenderesse n'ont pas été signés par
ceux-ci. L'absence de contestation des conditions générales de vente des contrats précédemment conclus entre les parties ne saurait pas plus valoir acceptation de celles-ci. En outre, les parties ont conclu dans le cadre de leurs relations d'affaires en 2016, divers contrats d'apport et d'engagement, différents par leurs objets et leurs conditions, seuls certains contrats d'engagement faisant référence à des conditions générales, de sorte qu'il est impossible d'en conclure que celles-ci s'appliquent à toutes les transactions entre les parties.
- Il résulte en outre de l'article L.441-1 du code de commerce que les conditions générales de vente doivent être mises à la disposition des cocontractants sur un support durable. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce, la société Soufflet Agriculture n'ayant pas reproduit ses conditions générales de vente sur ses contrats, ni même sur ses factures, pas plus que sur ses bordereaux d'apports, de sorte que celles-ci n'ont pu être portées à la connaissance des Demandeurs. La société Soufflet Agriculture a d'ailleurs elle-même demandé à M. [T] de signer électroniquement les conditions générales par messages du 1er janvier 2023.
- Le délai de contestation de 24 heures prévu par l'article 3 alinéa 8 des RUFRA ne peut être opposé aux demandeurs, celui-ci n'étant jamais été rappelé dans les confirmations de commande. Le désaccord des demandeurs manifesté par lettre recommandée en mars 2022 est donc parfaitement recevable.
- S'agissant des RUFRA, dont les règles sont invoquées par la partie adverse alors même que celle-ci ne les applique pas, elles ne sauraient davantage être opposées aux Demandeurs, celles-ci n'étant pas accessibles et n'ayant pas été mises à leur disposition. Ces règles sont par ailleurs peu connues des agriculteurs.
- La société Soufflet Agriculture ne peut se prévaloir de la prétendue conclusion de contrats verbaux entre les parties pour en déduire la connaissance et l'acceptation de la clause compromissoire par les Demandeurs.
La société Soufflet Agriculture réplique que :
- En droit, il résulte de l'article 1443 du code de procédure civile et de la jurisprudence que la convention d'arbitrage est écrite et qu'elle peut notamment résulter d'un document auquel il est fait référence dans la convention principale. Cette référence au document contenant la clause compromissoire est libre et peut être prouvée par tous moyens, notamment par la réception dudit document postérieurement à la conclusion du contrat principal, dès lors qu'aucune contestation ne s'en est suivie.
- Il résulte de l'article 1447 du code de procédure civile et de la jurisprudence que la clause compromissoire est indépendante du contrat auquel elle se rapporte, de sorte qu'elle n'est pas affectée par l'inefficacité de celui-ci. Ainsi, l'absence de signature d'un contrat est sans incidence sur la validité de la clause compromissoire contenue dans celui-ci, en vertu du principe d'autonomie de la clause compromissoire par rapport au contrat.
- Il est en outre de jurisprudence constante qu'en cas de relation d'affaires suivie, la clause compromissoire régulièrement stipulée entre les parties est considérée comme opposable à celles-ci. L'acceptation de la clause compromissoire peut par conséquent résulter d'un mode de contractualisation répété et d'un usage établi entre les parties.
- En l'espèce, la clause compromissoire est stipulée dans les contrats litigieux, ainsi que dans les règles Acheteur-Vendeur et les RUFRA incorporées dans lesdits contrats par référence. Ainsi, la condition d'écrit est en l'espèce remplie et les clauses compromissoires figurant dans les contrats sont par conséquent valides, indépendamment de l'absence de signature des confirmations de contrats par les Demandeurs.
- Les contrats, les Règles Acheteur-Vendeur et les RUFRA ont été portés à la connaissance de Monsieur [T] et de l'EARL du Batailler. Les contrats ont en effet fait l'objet d'une confirmation écrite envoyée électroniquement et la connaissance de ceux-ci par les Demandeurs n'est par ailleurs pas contestée. S'agissant des Règles Acheteur-Vendeur, celles-ci ont été valablement choisies par les Parties comme droit applicable à leur relation, les confirmations écrites des contrats y faisant en outre référence et celles-ci étant en tout état de cause accessibles sur le site internet de la société Soufflet Agriculture. S'agissant enfin des RUFRA, applicables en l'espèce, celles-ci sont accessibles gratuitement sur le site internet de l'acheteur.
La conclusion des contrats s'inscrit en outre dans une relation d'affaires suivie entre les Parties. En effet, la clause compromissoire stipulée dans les contrats litigieux est identique à celle ayant figuré dans tous les contrats conclus entre les Parties sans aucune contestation depuis 2016, soit 50 contrats. Il est par conséquent incontestable que la clause compromissoire constitue un usage et un terme constant des relations contractuelles entre les Parties.
La clause compromissoire est en tout état de cause un usage dans le commerce des grains, celle-ci figurant dans tous les contrats-types rédigés dans le secteur des céréales.
L'absence de signature des contrats invoquée par les Demandeurs est en tout état de cause sans incidence sur la validité de la clause compromissoire, de sorte que ce moyen, qui n'est par ailleurs pas une condition de validité des contrats, est sans incidence sur l'applicabilité de la clause compromissoire et, partant, sur la compétence du tribunal arbitral.
Réponse de la cour
L'article 1492, 1° du code de procédure civile dispose que le recours en annulation est ouvert si le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent.
Il résulte de ce texte que, sans s'arrêter aux dénominations retenues par les arbitres ou proposées par les parties, le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage. Ce contrôle est exclusif de toute révision au fond de la sentence.
Selon l'article 1443 du code de procédure civile la convention d'arbitrage est, à peine de nullité, écrite. Elle peut résulter d'un échange d'écrits ou d'un document auquel il est fait référence dans la convention principale. Aux termes de l'article 1447 du code de procédure civile, la convention d'arbitrage est indépendante du contrat auquel elle se rapporte et elle n'est pas affectée par la seule inexistence de celui-ci.
L'article 2061 du code civil précise par ailleurs que la clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on l'oppose, à moins que celle-ci n'ait succédé aux droits et obligations de la partie qui l'a initialement acceptée. Lorsque l'une des parties n'a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la clause ne peut lui être opposée.
Il résulte de ces textes que si la clause compromissoire doit être écrite, son acceptation par les parties n'est quant à elle régie par aucune condition de forme spécifique et, que son existence ne dépend pas de la formation, de la validité ou de l'exécution du contrat principal litigieux.
En l'espèce, il n'est pas contesté que cinq confirmations écrites d'achat (contrat n°443031-000 du 21 mai 2021 et contrat n°500237-000 du 22 juin 2021 entre la société Soufflet Agriculture et M. [T] ; contrat n° 443032-000 du 21 mai 2021, contrat n°500232-000 du 22 juin 2021, et contrat n°549580-000 du 5 novembre 2021 entre la société Souffler Agriculture et l'EARLdu Batailler) ont été adressées par courrier électronique à M. [T] (pièces 1à 5 de la défenderesse). Celles-ci comprennent toutes, sur leur recto, mention d'une clause compromissoire rédigée en ces termes : " Toute contestation survenant entre l'Acheteur et le Vendeur, quant à la formation, l'exécution, ou à l'occasion de la présente confirmation de contrat sera résolue par la Chambre Arbitrale Internationale de Paris conformément à son règlement d'arbitrage, dont les parties déclarent accepter l'application dans son édition en vigueur, au jour de la demande d'arbitrage. Le lieu de l'arbitrage se situera à Paris ([Adresse 4], France, Tel [XXXXXXXX01], email : [Courriel 5], web : www.arbitrage.org), et la langue utilisée par le tribunal sera le Français. ".
Il est également mentionné, en des termes identiques sur les cinq documents, que la confirmation de vente de marchandise est soumise aux règles régissant les relations acheteur/vendeur de marchandises signées entre le vendeur M. [T] et l'acheteur Soufflet Agriculture, dont le contenu n'est toutefois pas détaillé. Il ressort des conditions générales d'achat que celles-ci comportent d'une part en leur article 8 une clause compromissoire renvoyant également à l'arbitrage de la Chambre arbitrale de Paris, et qu'elles renvoient d'autre part aux règles RUFRA, lesquelles comportent en leur article 33 une clause d'arbitrage identique (pièces 10 et 11 de la défenderesse).
Dès lors que la réception de ces confirmations d'achat, comportant une clause compromissoire directement rédigée en leur sein, et figurant également dans des documents contractuels par référence, n'est pas contestée, il est établi que la clause d'arbitrage a été stipulée par écrit, la circonstance que les confirmations d'achat n'aient pas été signées par M. [T] et l'EARL du Batailler étant sans incidence sur la validité de la clause.
S'agissant de l'acceptation de la clause compromissoire, le débat ne saurait, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, se limiter à la question de l'opposabilité des conditions générales de vente, et partant des RUFRA, et ainsi de l'applicabilité des clauses compromissoires figurant dans ces documents, puisque la clause compromissoire est, en tout état de cause, directement écrite en des termes clairs et précis dans les confirmations d'achat litigieuses.
Il n'est pas contesté que M. [T] et l'EARL du Batailler entretiennent des relations contractuelles depuis l'année 2016.
Dans ce cadre, il ressort de la pièce 9 de la défenderesse que M. [T] et l'EARL du Batailler ont respectivement exécuté 13 contrats dont les confirmations d'achats sont comprises entre les dates de juillet 2017 à mars 2021, et 14 contrats dont les confirmations d'achats sont comprises entre mars 2028 et juin 2021. Or, ces contrats, qui sont rédigés en des termes identiques, et ne comportent pas la signature de M. [T], renvoient non seulement aux conditions générales d'achat mais comportent surtout la même clause compromissoire que celles figurant dans les confirmations litigieuses. Il n'est par ailleurs pas contesté qu'ils ont été conclus selon le même mode opératoire, consistant en l'envoi à l'issue d'un accord téléphonique, d'une confirmation de vente, par courrier, puis avec le développement du numérique, par courriel, comme cela résulte des explications des parties devant le tribunal (§ 159 de la sentence) et de l'attestation de M. [W] [U] agent relation culture chez Soufflet Agriculture (pièce 6 de la défenderesse). Il ressort des écritures mêmes des demandeurs (page 7), que ces contrats ont été honorés sans avoir donné lieu à litige, et ainsi qu'ils ont été exécutés sans que ne soit soulevée une quelconque réserve ou une opposition quant à la stipulation de la clause compromissoire y figurant.
Il en résulte que l'existence d'une relation d'affaire habituelle et suivie entre les demandeurs et la société Soufflet Agriculture est établie, et que cette relation contractuelle a été régie de façon constante par les mêmes pièces contractuelles, stipulant une clause compromissoire, avec une référence aux conditions générales de vente. Il en découle que la preuve est apportée par Soufflet Agriculture de la parfaite connaissance et l'acceptation de la clause compromissoire par M. [T] et l'EARL du Batailler puisque celle-ci a été stipulée de manière identique dans tous les contrats et confirmations d'achat litigieuses émis par la société Soufflet Agriculture.
Il s'ensuit que le tribunal arbitral ne s'est pas déclaré compétent à tort et que le moyen doit être rejeté.
Le recours en annulation exercé par M. [T] et l'EARL du Batailler à l'encontre de la sentence arbitrale du 6 septembre 2023 sera en conséquence rejeté.
2. Sur les frais du procès
Echouant en leur recours en annulation, M. [T] et l'EARL du Batailler seront condamnés in solidum aux dépens en application des articles 695 et 696 du code de procédure civile.
Pour ce motif, ils seront déboutés de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnés in solidum à payer, sur ce fondement, la somme de 9000 euros à la société Soufflet Agriculture.
IV/ DISPOSITIF
Par ces motifs, la cour :
1) Rejette le recours en annulation formé par M. [T] et l'EARL du Batailler à l'encontre de la sentence arbitrale rendue le 6 septembre 2023 ;
2) Condamne M. [T] et l'EARL du Batailler in solidum aux dépens du recours en annulation ;
3) Déboute M. [T] et l'EARL du Batailler de leurs demandes formées au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile ;
4) Condamne M. [T] et l'EARL du Batailler in solidum à payer la somme de neuf mille euros (9000,00 €) à la société Soufflet Agriculture en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,