CA Chambéry, 1re ch., 11 mars 2025, n° 22/00938
CHAMBÉRY
Autre
Autre
GS/SL
N° Minute
1C25/121
COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 11 Mars 2025
N° RG 22/00938 - N° Portalis DBVY-V-B7G-G753
Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Commerce d'ANNECY en date du 20 Avril 2022
Appelant
M. [N] [I], demeurant [Adresse 2]
Représenté par la SELARL ACTYS, avocats au barreau de BONNEVILLE
Intimé
Me [D] [T] sous l'administration provisoire de la SELARL MJ SYNERGIE en qualité liquidateur judiciaire de la SARL MACONNERIE DE LA HAUTE VALLEE, dont le siège social est situé [Adresse 1]
Représenté par Me Clarisse DORMEVAL, avocat postulant au barreau de CHAMBERY
Représenté par Me Nathalie MASCHIO, avocat plaidant au barreau de BONNEVILLE
-=-=-=-=-=-=-=-=-
Date de l'ordonnance de clôture : 23 Septembre 2024
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 26 novembre 2024
Date de mise à disposition : 11 mars 2025
-=-=-=-=-=-=-=-=-
Composition de la cour :
- Mme Hélène PIRAT, Présidente,
- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,
- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,
avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,
-=-=-=-=-=-=-=-=-
Faits et procédure
Suivant jugement du 31 mai 2016, le tribunal de commerce d'Annecy a prononcé la liquidation judiciaire simplifiée de la société Maçonnerie de la Haute Vallée, à la suite de l'ouverture d'une procédure de redressement judicaire par jugement du 16 décembre 2015.
Le 24 juin 2016, l'expert-comptable a révélé au liquidateur que M. [N] [I], gérant et associé majoritaire de la société Maçonnerie de la Haute Vallée, a laissé un compte courant débiteur de 26 841,51 euros. Par courrier recommandé du 30 juin 2016, Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire, a mis en demeure M. [I] de régler le montant du compte courant.
Le 8 septembre 2016, M. [I], en réponse à ce courrier de mise en demeure, a proposé un plan de remboursement en y adjoignant un chèque de 100 euros et la copie d'une promesse de vente signée sur un bien qu'il possédait pour moitié.
Le 8 avril 2020, Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire, a vainement mis en demeure M. [I] de régler la somme de 26.741,51 euros.
Suivant exploit du 10 novembre 2020, Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Maçonnerie de la Haute Vallée, a fait assigner M. [I] devant le tribunal de commerce d'Annecy afin d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 26.741,51 euros en remboursement de sa dette.
Par jugement du 20 avril 2022, le tribunal de commerce d'Annecy, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, a :
- dit que la demande de Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Maçonnerie de la Haute Vallée est recevable ;
- condamné M. [I] à payer à Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire, la somme de 26.741,51 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 30 juin 2016 ;
- dit que les intérêts porteront eux-mêmes intérêts par année entière ;
- condamné M. [I] à payer à Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire, la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté M. [I] de toutes ses demandes ;
- condamné M. [I] aux dépens.
Au visa principalement des motifs suivants :
M. [I] s'est, en qualité de gérant et associé majoritaire de la société Maçonnerie de la Haute Vallée, fait consentir un découvert en compte-courant, même s'il n'est pas écrit, il s'agit d'un contrat entre la société et son associé majoritaire ;
consentir un crédit en autorisant un compte courant débiteur d'associé constitue un contrat nul, c'est une disposition d'ordre public ;
il s'ensuit d'une part que ledit « contrat » n'est pas une convention susceptible d'être soumise à l'approbation d'une assemblée ou de faire l'objet d'une mention au registre des décisions, et que d'autre part il n'est pas nécessaire d'engager une action en nullité puisque d'office, le contrat est nul ;
la société en liquidation n'a connu l'existence et le montant de la somme que M. [I] s'était indûment versée qu'à la réception du courrier du 8 septembre 2016, dès lors, la prescription de l'action en paiement de ce solde débiteur de compte courant n'est pas acquise puisque l'assignation a été délivrée avant l'expiration du délai de cinq ans.
Par déclaration au greffe du 30 mai 2022, M. [I] a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.
Prétentions et moyens des parties
Aux termes de ses dernières écritures du 12 décembre 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [I] sollicite l'infirmation de la décision entreprise et demande à la cour, statuant à nouveau, de :
- Juger qu'il n'y a lieu à statuer sur l'action en nullité d'une convention prohibée, en raison de l'inexistence de convention approuvée par les associés, et dont la cour n'est pas saisie;
- Juger, par voie de conséquence, n'y avoir lieu à faire application de la prescription quinquennale ;
- Juger prescrite l'action en responsabilité que Me [T], es qualités de liquidateur judiciaire de la société Maçonnerie de la Haute-Vallée, viendrait à engager à son encontre en remboursement du solde débiteur de son compte courant ;
- Déclarer Me [T], ès qualités, irrecevable en toutes ses fins, demandes et prétentions, et l'en débouter ;
- Condamner Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Maçonnerie de la Haute-Vallée, à lui payer la somme de 3.500 euros ;
- Condamner Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Maçonnerie de la Haute-Vallée, aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction pour ces derniers au profit de la société ACTYS par application de l'article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, M. [I] fait notamment valoir que :
Me [T] se borne à solliciter le paiement d'une « créance », sans prendre la peine de qualifier ni la nature cette créance, ni celle de l'obligation à laquelle serait tenu ;
le liquidateur ne sollicitait ni la nullité de la convention de compte courant qu'il aurait conclue avec la société Maçonnerie de la Haute-Vallée, et pour cause puisqu'une telle convention n'a jamais existé, ni par voie de conséquence, les restitutions qui en résulteraient, de sorte que la cour ne saurait statuer sur une demande dont elle ne serait pas saisie ;
en toute hypothèse, une action en nullité et restitution serait irrecevable, le liquidateur étant ici sans intérêt à agir, pour la simple et bonne raison que l'on ne saurait poursuivre en justice l'annulation d'une convention inexistante, qui n'a jamais ni légalement, ni matériellement existé ;
il ne s'est fait jamais consentir par la société Maçonnerie de la Haute-Vallée un quelconque découvert en compte courant, il se l'est consenti à lui-même ;
la prescription quinquennale ne s'applique qu'à l'action en nullité d'une convention et aux restitutions subséquentes ;
une convention (de compte courant) non approuvée n'encourt pas la nullité, mais engage la responsabilité du gérant ou de l'associé contractant ;
le délai de prescription de trois ans visé par l'article L.223-23 du code de commerce, a commencé à courir, en l'absence de toute dissimulation, à compter de la date du dernier fait dommageable qui lui est reproché, soit le 27 octobre 2014, pour s'achever le 26 octobre 2017 à minuit.
Dans ses dernières écritures du 12 décembre 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Maçonnerie de la Haute-Vallée demande de son côté à la cour de :
- Juger ses demandes de recevables et bien fondées ;
En conséquence,
- Confirmer le jugement rendu le 20 avril 2022 par le tribunal de commerce d'Annecy dans son intégralité ;
Y ajouter,
- Condamner M. [I] à payer la somme de 5.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner M. [I] aux entiers dépens d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Dormeval, avocat.
Au soutien de ses prétentions, Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Maçonnerie de la Haute-Vallée fait notamment valoir que :
l'action en paiement du solde du compte courant d'associé débiteur se prescrit par 5 ans, et non par 3 ans, à compter de la clôture du compte ou d'une demande de paiement émanant de la société, ces évènements entraînant l'exigibilité du compte ;
il n'entend pas engager la responsabilité de M. [I], mais agit en remboursement à son encontre ;
il ne pouvait pas s'agir d'une convention réglementée à soumettre au vote puisque l'existence d'un compte courant débiteur ne doit pas exister et ne peut donc être soumis à l'approbation des associés ;
aucune assemblée générale ordinaire annuelle ne s'est tenue pour approuver les comptes ou affecter le résultat, qui n'ont donc pas été portés à la connaissance des associés. Il en résulte incontestablement une dissimulation, rendant inapplicable le délai triennal ;
la liquidation judiciaire de la société,le 31 mai 2016, ayant entraîné la clôture du compte courant d'associé, c'est bien cette date qui doit être prise en compte comme point de départ du délai de prescription ;
son action est une action en paiement fondée sur une nullité absolue et d'ordre public sur l'article L 223-21 du code de commerce ;
M. [I] a reconnu être débiteur de cette somme par courrier du 8 septembre 2016, ce qui a interrompu le délai de prescription.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance du 23 septembre 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 26 novembre 2024.
Motifs de la décision
I - Sur la recevabilité
L'article 122 du code de procédure civile définit les fins de non recevoir comme 'tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée'.
Selon une jurisprudence constante, il appartient à celui qui soulève une fin de non recevoir tirée de la prescription de rapporter la preuve de ce que ses conditions se trouvent réunies, et de caractériser ainsi, notamment, le point de départ du délai de prescription dont il se prévaut (voir récemment : Cour de cassation, Com, 24 janv. 2024, n° 22-10.492).
En l'espèce, M. [N] [I] soutient que l'action en paiement qui est engagée à son encontre par le liquidateur serait irrecevable car atteinte par la prescription triennale prévue à l'article L. 223-23 du code de commerce, aux termes duquel 'les actions en responsabilité prévues aux articles L. 223-19 et L. 223-22 se prescrivent par trois ans à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation'.
Il est constant que cette prescription triennale, instituée par un texte spécial, ne trouve à s'appliquer qu'aux 'actions en responsabilité prévues aux articles L. 223-19 et L. 223-22". De sorte qu'il appartient à l'appelant de démontrer que l'action en paiement qui est formée par Me [T] relève effectivement de ces dispositions.
Il convient d'observer, en premier lieu, que l'article L. 223-19 du code de commerce, qui dispose, en son quatrième alinéa, que 'les conventions non approuvées produisent néanmoins leurs effets, à charge pour le gérant, et, s'il y a lieu, pour l'associé contractant, de supporter individuellement ou solidairement, selon les cas, les conséquences du contrat préjudiciables à la société', ne peut trouver application en l'espèce, ainsi que l'ont retenu les premiers juges. En effet, ces dispositions ne se rapportent qu'aux conventions réglementées, qui sont susceptibles d'être soumises à l'approbation d'une assemblée ou de faire l'objet d'une mention au registre des décisions.
Ce qui n'est pas le cas de la convention par laquelle l'associé d'une Sarl se voit accorder la possibilité de disposer d'un compte courant débiteur, dès lors qu'une telle convention est affectée de nullité en application de l'article L. 223-21 du code de commerce, dont le contenu est le suivant : 'à peine de nullité du contrat, il est interdit aux gérants ou associés autres que les personnes morales de contracter, sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprès de la société, de se faire consentir par elle un découvert, en compte courant ou autrement, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers les tiers. Cette interdiction s'applique aux représentants légaux des personnes morales associées'.
L'appelant ne peut ainsi soutenir que l'action en paiement qui est formée à son encontre relèverait du régime institué à l'article L. 223-19 du code de commerce et serait ainsi soumise à la prescription triennale de l'article L. 223-23.
S'agissant, en second lieu, de l'article L. 223-22 du code de commerce, qui constitue la seconde hypothèse dans laquelle la prescription triennale trouve à s'appliquer, ce texte prévoit que 'les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion'.
M. [N] [I] soutient à cet égard que l'action en paiement qui est engagée à son encontre par le liquidateur tend de fait à voir engager sa responsabilité sur le fondement de ce texte et serait donc prescrite.
Il soutient qu'aucune convention n'aurait été souscrite entre lui-même et la société, en ce qu'il se serait, comme il l'indique dans ses dernières écritures 'consenti le découvert à lui-même'. Or, c'est nécessairement en sa qualité de gérant de la société Maçonnerie de la Haute-Vallée, représentant cette personne morale, qu'il a procédé à l'émission des chèques qui ont été encaissés sur son compte entre le 3 décembre 2012 et le 27 octobre 2014, conduisant à la constitution, dans la comptabilité de la société, d'un solde débiteur de son compte courant d'associé d'un montant de 26.841,51 euros.
Il est donc incontestable qu'une convention, bien que prohibée par les dispositions de l'article L. 223-21, s'est ainsi formée entre la société et celui qui était alors son gérant et associé majoritaire. L'appelant ne saurait donc être suivi dans son argumentation de ce chef.
Force est de constater, ensuite, qu'en aucun cas Me [T], n'entend, dans le cadre de la présente instance, engager la responsabilité de l'ancien gérant et associé majoritaire de la société Maçonnerie de la Haute-Vallée sur le fondement de l'article L. 223-22 précité, et réclamer des dommages et intérêts en réparation d'un préjudice qui serait subi par la société.
En effet, comme le liquidateur l'indique expressément dans ses dernières écritures, son action tend à obtenir la restitution du montant du compte courant débiteur, en raison de la nullité de cette convention, et non le paiement de dommages et intérêts. Il s'agit clairement de deux actions distinctes, qui ne peuvent être confondues, ainsi que l'a rappelé récemment la Cour de cassation (Com, 20 décembre 2023, n°21-20.019).
Il est en outre de jurisprudence constante que la nullité instituée à l'article L. 223-21 du code de commerce est absolue et d'ordre public, et ne peut être couverte par un acte confirmatif (voir sur ce point notamment : Cour de cassation, chambre mixte, 10 juillet 1981, n°77-10.794, P et Com, 25 avril 2006, n°05-12.734).
En l'espèce, les parties conviennent qu'une telle convention de compte courant d'associé débiteur est réputée n'avoir jamais existé, en ce qu'elle est contraire à l'ordre public, et ne peut faire l'objet d'une action tendant à obtenir son exécution. Ce n'est du reste pas au titre de l' exécution de cette convention que le liquidateur forme la demande en paiement qui est soumise à la cour, mais au titre de la restitution qui est la conséquence de sa nullité.
L'action en nullité prévue à l'article L. 223-21 se prescrit, à défaut de dispositions spécifiques, par cinq ans, conformément à l'article 1304 ancien du code civil. Quant à l'action en recouvrement du solde débiteur de compte courant d'un associé d'une Sarl, qui est la conséquence de la nullité de la convention ayant généré ce découvert, elle est soumise à la prescription quinquennale de l'article L 110-4 du code de commerce, applicable aux 'obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants' (voir sur ce point notamment : Cour de cassation, Com, 13 mars 2019, n°17-24.027, confirmant un arrêt rendu par la cour d'appel de Besançon le 6 juin 2017).
Par ailleurs, une action en restitution fondée sur un contrat nul peut être régulièrement intentée sans qu'il ne soit nécessaire de demander au juge de prononcer explicitement la nullité, lorsqu'une telle nullité est acquise aux débats, soit qu'elle résulte d'une règle d'ordre public soit d'un accord clair entre les parties. De sorte que si les parties s'accordent sur le fait que le contrat est nul ou si la nullité est incontestable (par exemple lorsqu'elle résulte, comme en l'espèce, d'une disposition légale impérative), les restitutions qui en découlent peuvent être directement demandées sans solliciter le prononcé judiciaire de la nullité (voir notamment : Cour de cassation, 16 mars 1999, n°97-12.930, Bull Civ 99, I, n°95, Cour de cassation, Civ 1ère, 2 juin 1987, n084-16.624 ou encore Cour de cassation, Soc., 7 novembre 1995, n° 93-18.620, Bull V n° 292).
Du reste, l'appelant ne conteste nullement que c'est bien une prescription quinquennale qui s'applique à l'action en nullité d'une convention et aux restitutions subséquentes. C'est également cette prescription quinquennale qui trouverait application si l'action en paiement tendait à obtenir l'exécution du contrat.
Or, il est constant qu'en faisant application au litige d'un délai de prescription quinquennal, l'action en paiement engagée par le liquidateur apparaît recevable. En effet, même si le point de départ du délai devait être fixé, en application de l'article 2224 du code civil, à la date de la première opération débitrice, intervenue le 3 décembre 2012, aucune prescription ne se trouverait acquise puisque le délai de cinq ans a été régulièrement interrompu par la reconnaissance expresse de sa dette par le débiteur, aux termes de son courrier du 8 septembre 2016, puis par l'assignation qui lui a ensuite été délivrée le 10 novembre 2020.
Au demeurant, et en tout état de cause, il est manifeste que l'action en paiement formée par le liquidateur dans le cadre de la présente instance ne se trouve nullement soumise au respect du délai triennal institué à l'article L. 223-23, de sorte que la fin de non recevoir tirée de la prescription soulevée par M. [N] [I] ne pourra qu'être rejetée.
II - Sur le fond
Aux termes de l'article 1315 ancien du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
En l'espèce, l'existence de la créance de restitution dont le liquidateur réclame le paiement se déduit clairement des comptes de la société Maçonnerie de la Haute-Vallée et de l'attestation de son expert-comptable, qui sont versés aux débats par l'intimé.
Par ailleurs, M. [N] [I] ne conteste nullement, sur le fond, être tenu au paiement de cette dette, ainsi qu'il l'a expressément indiqué du reste dans son courrier du 8 septembre 2016, aux termes duquel il s'était engagé à la solder, sans que cette promesse n'ait été suivie d'effet, à l'exception du seul versement de la somme de 100 euros auquel il a procédé. Et l'appelant ne fait état d'aucun autre paiement qu'il aurait effectué et qui n'aurait pas été intégré dans le décompte adverse.
Le jugement entrepris sera ainsi confirmé en ce qu'il a condamné l'intéressé à payer à Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Maçonnerie de la Haute-Vallée, la somme de 26.741,51 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 30 juin 2016 et capitalisation des intérêts, une telle mesure étant de droit dès lors que le créancier en forme la demande.
III - Sur les mesures accessoires
En tant que partie perdante,M. [N] [I] sera condamné aux dépens exposés en appel, ainsi qu'à payer à l'intimé la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel.
La demande formée de ce chef par l'appelant sera quant à elle rejetée.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 20 avril 2022 par le tribunal de commerce d'Annecy,
Y ajoutant,
Condamne M. [N] [I] aux dépens exposés en cause d'appel,
Condamne M. [N] [I] à payer à Maître [T], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Maçonnerie de la Haute-Vallée, la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel,
Rejette la demande formée à ce titre par M. [N] [I].
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Myriam REAIDY, Conseillère, en remplacement de Mme Hélène PIRAT, Présidente régulièrement empêchée et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le 11 mars 2025
à
la SELARL ACTYS
Me Clarisse DORMEVAL
Copie exécutoire délivrée le 11 mars 2025
à
Me Clarisse DORMEVAL
N° Minute
1C25/121
COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 11 Mars 2025
N° RG 22/00938 - N° Portalis DBVY-V-B7G-G753
Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Commerce d'ANNECY en date du 20 Avril 2022
Appelant
M. [N] [I], demeurant [Adresse 2]
Représenté par la SELARL ACTYS, avocats au barreau de BONNEVILLE
Intimé
Me [D] [T] sous l'administration provisoire de la SELARL MJ SYNERGIE en qualité liquidateur judiciaire de la SARL MACONNERIE DE LA HAUTE VALLEE, dont le siège social est situé [Adresse 1]
Représenté par Me Clarisse DORMEVAL, avocat postulant au barreau de CHAMBERY
Représenté par Me Nathalie MASCHIO, avocat plaidant au barreau de BONNEVILLE
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Date de l'ordonnance de clôture : 23 Septembre 2024
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 26 novembre 2024
Date de mise à disposition : 11 mars 2025
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Composition de la cour :
- Mme Hélène PIRAT, Présidente,
- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,
- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,
avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,
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Faits et procédure
Suivant jugement du 31 mai 2016, le tribunal de commerce d'Annecy a prononcé la liquidation judiciaire simplifiée de la société Maçonnerie de la Haute Vallée, à la suite de l'ouverture d'une procédure de redressement judicaire par jugement du 16 décembre 2015.
Le 24 juin 2016, l'expert-comptable a révélé au liquidateur que M. [N] [I], gérant et associé majoritaire de la société Maçonnerie de la Haute Vallée, a laissé un compte courant débiteur de 26 841,51 euros. Par courrier recommandé du 30 juin 2016, Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire, a mis en demeure M. [I] de régler le montant du compte courant.
Le 8 septembre 2016, M. [I], en réponse à ce courrier de mise en demeure, a proposé un plan de remboursement en y adjoignant un chèque de 100 euros et la copie d'une promesse de vente signée sur un bien qu'il possédait pour moitié.
Le 8 avril 2020, Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire, a vainement mis en demeure M. [I] de régler la somme de 26.741,51 euros.
Suivant exploit du 10 novembre 2020, Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Maçonnerie de la Haute Vallée, a fait assigner M. [I] devant le tribunal de commerce d'Annecy afin d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 26.741,51 euros en remboursement de sa dette.
Par jugement du 20 avril 2022, le tribunal de commerce d'Annecy, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, a :
- dit que la demande de Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Maçonnerie de la Haute Vallée est recevable ;
- condamné M. [I] à payer à Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire, la somme de 26.741,51 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 30 juin 2016 ;
- dit que les intérêts porteront eux-mêmes intérêts par année entière ;
- condamné M. [I] à payer à Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire, la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté M. [I] de toutes ses demandes ;
- condamné M. [I] aux dépens.
Au visa principalement des motifs suivants :
M. [I] s'est, en qualité de gérant et associé majoritaire de la société Maçonnerie de la Haute Vallée, fait consentir un découvert en compte-courant, même s'il n'est pas écrit, il s'agit d'un contrat entre la société et son associé majoritaire ;
consentir un crédit en autorisant un compte courant débiteur d'associé constitue un contrat nul, c'est une disposition d'ordre public ;
il s'ensuit d'une part que ledit « contrat » n'est pas une convention susceptible d'être soumise à l'approbation d'une assemblée ou de faire l'objet d'une mention au registre des décisions, et que d'autre part il n'est pas nécessaire d'engager une action en nullité puisque d'office, le contrat est nul ;
la société en liquidation n'a connu l'existence et le montant de la somme que M. [I] s'était indûment versée qu'à la réception du courrier du 8 septembre 2016, dès lors, la prescription de l'action en paiement de ce solde débiteur de compte courant n'est pas acquise puisque l'assignation a été délivrée avant l'expiration du délai de cinq ans.
Par déclaration au greffe du 30 mai 2022, M. [I] a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.
Prétentions et moyens des parties
Aux termes de ses dernières écritures du 12 décembre 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [I] sollicite l'infirmation de la décision entreprise et demande à la cour, statuant à nouveau, de :
- Juger qu'il n'y a lieu à statuer sur l'action en nullité d'une convention prohibée, en raison de l'inexistence de convention approuvée par les associés, et dont la cour n'est pas saisie;
- Juger, par voie de conséquence, n'y avoir lieu à faire application de la prescription quinquennale ;
- Juger prescrite l'action en responsabilité que Me [T], es qualités de liquidateur judiciaire de la société Maçonnerie de la Haute-Vallée, viendrait à engager à son encontre en remboursement du solde débiteur de son compte courant ;
- Déclarer Me [T], ès qualités, irrecevable en toutes ses fins, demandes et prétentions, et l'en débouter ;
- Condamner Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Maçonnerie de la Haute-Vallée, à lui payer la somme de 3.500 euros ;
- Condamner Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Maçonnerie de la Haute-Vallée, aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction pour ces derniers au profit de la société ACTYS par application de l'article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, M. [I] fait notamment valoir que :
Me [T] se borne à solliciter le paiement d'une « créance », sans prendre la peine de qualifier ni la nature cette créance, ni celle de l'obligation à laquelle serait tenu ;
le liquidateur ne sollicitait ni la nullité de la convention de compte courant qu'il aurait conclue avec la société Maçonnerie de la Haute-Vallée, et pour cause puisqu'une telle convention n'a jamais existé, ni par voie de conséquence, les restitutions qui en résulteraient, de sorte que la cour ne saurait statuer sur une demande dont elle ne serait pas saisie ;
en toute hypothèse, une action en nullité et restitution serait irrecevable, le liquidateur étant ici sans intérêt à agir, pour la simple et bonne raison que l'on ne saurait poursuivre en justice l'annulation d'une convention inexistante, qui n'a jamais ni légalement, ni matériellement existé ;
il ne s'est fait jamais consentir par la société Maçonnerie de la Haute-Vallée un quelconque découvert en compte courant, il se l'est consenti à lui-même ;
la prescription quinquennale ne s'applique qu'à l'action en nullité d'une convention et aux restitutions subséquentes ;
une convention (de compte courant) non approuvée n'encourt pas la nullité, mais engage la responsabilité du gérant ou de l'associé contractant ;
le délai de prescription de trois ans visé par l'article L.223-23 du code de commerce, a commencé à courir, en l'absence de toute dissimulation, à compter de la date du dernier fait dommageable qui lui est reproché, soit le 27 octobre 2014, pour s'achever le 26 octobre 2017 à minuit.
Dans ses dernières écritures du 12 décembre 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Maçonnerie de la Haute-Vallée demande de son côté à la cour de :
- Juger ses demandes de recevables et bien fondées ;
En conséquence,
- Confirmer le jugement rendu le 20 avril 2022 par le tribunal de commerce d'Annecy dans son intégralité ;
Y ajouter,
- Condamner M. [I] à payer la somme de 5.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner M. [I] aux entiers dépens d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Dormeval, avocat.
Au soutien de ses prétentions, Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Maçonnerie de la Haute-Vallée fait notamment valoir que :
l'action en paiement du solde du compte courant d'associé débiteur se prescrit par 5 ans, et non par 3 ans, à compter de la clôture du compte ou d'une demande de paiement émanant de la société, ces évènements entraînant l'exigibilité du compte ;
il n'entend pas engager la responsabilité de M. [I], mais agit en remboursement à son encontre ;
il ne pouvait pas s'agir d'une convention réglementée à soumettre au vote puisque l'existence d'un compte courant débiteur ne doit pas exister et ne peut donc être soumis à l'approbation des associés ;
aucune assemblée générale ordinaire annuelle ne s'est tenue pour approuver les comptes ou affecter le résultat, qui n'ont donc pas été portés à la connaissance des associés. Il en résulte incontestablement une dissimulation, rendant inapplicable le délai triennal ;
la liquidation judiciaire de la société,le 31 mai 2016, ayant entraîné la clôture du compte courant d'associé, c'est bien cette date qui doit être prise en compte comme point de départ du délai de prescription ;
son action est une action en paiement fondée sur une nullité absolue et d'ordre public sur l'article L 223-21 du code de commerce ;
M. [I] a reconnu être débiteur de cette somme par courrier du 8 septembre 2016, ce qui a interrompu le délai de prescription.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance du 23 septembre 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 26 novembre 2024.
Motifs de la décision
I - Sur la recevabilité
L'article 122 du code de procédure civile définit les fins de non recevoir comme 'tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée'.
Selon une jurisprudence constante, il appartient à celui qui soulève une fin de non recevoir tirée de la prescription de rapporter la preuve de ce que ses conditions se trouvent réunies, et de caractériser ainsi, notamment, le point de départ du délai de prescription dont il se prévaut (voir récemment : Cour de cassation, Com, 24 janv. 2024, n° 22-10.492).
En l'espèce, M. [N] [I] soutient que l'action en paiement qui est engagée à son encontre par le liquidateur serait irrecevable car atteinte par la prescription triennale prévue à l'article L. 223-23 du code de commerce, aux termes duquel 'les actions en responsabilité prévues aux articles L. 223-19 et L. 223-22 se prescrivent par trois ans à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation'.
Il est constant que cette prescription triennale, instituée par un texte spécial, ne trouve à s'appliquer qu'aux 'actions en responsabilité prévues aux articles L. 223-19 et L. 223-22". De sorte qu'il appartient à l'appelant de démontrer que l'action en paiement qui est formée par Me [T] relève effectivement de ces dispositions.
Il convient d'observer, en premier lieu, que l'article L. 223-19 du code de commerce, qui dispose, en son quatrième alinéa, que 'les conventions non approuvées produisent néanmoins leurs effets, à charge pour le gérant, et, s'il y a lieu, pour l'associé contractant, de supporter individuellement ou solidairement, selon les cas, les conséquences du contrat préjudiciables à la société', ne peut trouver application en l'espèce, ainsi que l'ont retenu les premiers juges. En effet, ces dispositions ne se rapportent qu'aux conventions réglementées, qui sont susceptibles d'être soumises à l'approbation d'une assemblée ou de faire l'objet d'une mention au registre des décisions.
Ce qui n'est pas le cas de la convention par laquelle l'associé d'une Sarl se voit accorder la possibilité de disposer d'un compte courant débiteur, dès lors qu'une telle convention est affectée de nullité en application de l'article L. 223-21 du code de commerce, dont le contenu est le suivant : 'à peine de nullité du contrat, il est interdit aux gérants ou associés autres que les personnes morales de contracter, sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprès de la société, de se faire consentir par elle un découvert, en compte courant ou autrement, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers les tiers. Cette interdiction s'applique aux représentants légaux des personnes morales associées'.
L'appelant ne peut ainsi soutenir que l'action en paiement qui est formée à son encontre relèverait du régime institué à l'article L. 223-19 du code de commerce et serait ainsi soumise à la prescription triennale de l'article L. 223-23.
S'agissant, en second lieu, de l'article L. 223-22 du code de commerce, qui constitue la seconde hypothèse dans laquelle la prescription triennale trouve à s'appliquer, ce texte prévoit que 'les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion'.
M. [N] [I] soutient à cet égard que l'action en paiement qui est engagée à son encontre par le liquidateur tend de fait à voir engager sa responsabilité sur le fondement de ce texte et serait donc prescrite.
Il soutient qu'aucune convention n'aurait été souscrite entre lui-même et la société, en ce qu'il se serait, comme il l'indique dans ses dernières écritures 'consenti le découvert à lui-même'. Or, c'est nécessairement en sa qualité de gérant de la société Maçonnerie de la Haute-Vallée, représentant cette personne morale, qu'il a procédé à l'émission des chèques qui ont été encaissés sur son compte entre le 3 décembre 2012 et le 27 octobre 2014, conduisant à la constitution, dans la comptabilité de la société, d'un solde débiteur de son compte courant d'associé d'un montant de 26.841,51 euros.
Il est donc incontestable qu'une convention, bien que prohibée par les dispositions de l'article L. 223-21, s'est ainsi formée entre la société et celui qui était alors son gérant et associé majoritaire. L'appelant ne saurait donc être suivi dans son argumentation de ce chef.
Force est de constater, ensuite, qu'en aucun cas Me [T], n'entend, dans le cadre de la présente instance, engager la responsabilité de l'ancien gérant et associé majoritaire de la société Maçonnerie de la Haute-Vallée sur le fondement de l'article L. 223-22 précité, et réclamer des dommages et intérêts en réparation d'un préjudice qui serait subi par la société.
En effet, comme le liquidateur l'indique expressément dans ses dernières écritures, son action tend à obtenir la restitution du montant du compte courant débiteur, en raison de la nullité de cette convention, et non le paiement de dommages et intérêts. Il s'agit clairement de deux actions distinctes, qui ne peuvent être confondues, ainsi que l'a rappelé récemment la Cour de cassation (Com, 20 décembre 2023, n°21-20.019).
Il est en outre de jurisprudence constante que la nullité instituée à l'article L. 223-21 du code de commerce est absolue et d'ordre public, et ne peut être couverte par un acte confirmatif (voir sur ce point notamment : Cour de cassation, chambre mixte, 10 juillet 1981, n°77-10.794, P et Com, 25 avril 2006, n°05-12.734).
En l'espèce, les parties conviennent qu'une telle convention de compte courant d'associé débiteur est réputée n'avoir jamais existé, en ce qu'elle est contraire à l'ordre public, et ne peut faire l'objet d'une action tendant à obtenir son exécution. Ce n'est du reste pas au titre de l' exécution de cette convention que le liquidateur forme la demande en paiement qui est soumise à la cour, mais au titre de la restitution qui est la conséquence de sa nullité.
L'action en nullité prévue à l'article L. 223-21 se prescrit, à défaut de dispositions spécifiques, par cinq ans, conformément à l'article 1304 ancien du code civil. Quant à l'action en recouvrement du solde débiteur de compte courant d'un associé d'une Sarl, qui est la conséquence de la nullité de la convention ayant généré ce découvert, elle est soumise à la prescription quinquennale de l'article L 110-4 du code de commerce, applicable aux 'obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants' (voir sur ce point notamment : Cour de cassation, Com, 13 mars 2019, n°17-24.027, confirmant un arrêt rendu par la cour d'appel de Besançon le 6 juin 2017).
Par ailleurs, une action en restitution fondée sur un contrat nul peut être régulièrement intentée sans qu'il ne soit nécessaire de demander au juge de prononcer explicitement la nullité, lorsqu'une telle nullité est acquise aux débats, soit qu'elle résulte d'une règle d'ordre public soit d'un accord clair entre les parties. De sorte que si les parties s'accordent sur le fait que le contrat est nul ou si la nullité est incontestable (par exemple lorsqu'elle résulte, comme en l'espèce, d'une disposition légale impérative), les restitutions qui en découlent peuvent être directement demandées sans solliciter le prononcé judiciaire de la nullité (voir notamment : Cour de cassation, 16 mars 1999, n°97-12.930, Bull Civ 99, I, n°95, Cour de cassation, Civ 1ère, 2 juin 1987, n084-16.624 ou encore Cour de cassation, Soc., 7 novembre 1995, n° 93-18.620, Bull V n° 292).
Du reste, l'appelant ne conteste nullement que c'est bien une prescription quinquennale qui s'applique à l'action en nullité d'une convention et aux restitutions subséquentes. C'est également cette prescription quinquennale qui trouverait application si l'action en paiement tendait à obtenir l'exécution du contrat.
Or, il est constant qu'en faisant application au litige d'un délai de prescription quinquennal, l'action en paiement engagée par le liquidateur apparaît recevable. En effet, même si le point de départ du délai devait être fixé, en application de l'article 2224 du code civil, à la date de la première opération débitrice, intervenue le 3 décembre 2012, aucune prescription ne se trouverait acquise puisque le délai de cinq ans a été régulièrement interrompu par la reconnaissance expresse de sa dette par le débiteur, aux termes de son courrier du 8 septembre 2016, puis par l'assignation qui lui a ensuite été délivrée le 10 novembre 2020.
Au demeurant, et en tout état de cause, il est manifeste que l'action en paiement formée par le liquidateur dans le cadre de la présente instance ne se trouve nullement soumise au respect du délai triennal institué à l'article L. 223-23, de sorte que la fin de non recevoir tirée de la prescription soulevée par M. [N] [I] ne pourra qu'être rejetée.
II - Sur le fond
Aux termes de l'article 1315 ancien du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
En l'espèce, l'existence de la créance de restitution dont le liquidateur réclame le paiement se déduit clairement des comptes de la société Maçonnerie de la Haute-Vallée et de l'attestation de son expert-comptable, qui sont versés aux débats par l'intimé.
Par ailleurs, M. [N] [I] ne conteste nullement, sur le fond, être tenu au paiement de cette dette, ainsi qu'il l'a expressément indiqué du reste dans son courrier du 8 septembre 2016, aux termes duquel il s'était engagé à la solder, sans que cette promesse n'ait été suivie d'effet, à l'exception du seul versement de la somme de 100 euros auquel il a procédé. Et l'appelant ne fait état d'aucun autre paiement qu'il aurait effectué et qui n'aurait pas été intégré dans le décompte adverse.
Le jugement entrepris sera ainsi confirmé en ce qu'il a condamné l'intéressé à payer à Me [T], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Maçonnerie de la Haute-Vallée, la somme de 26.741,51 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 30 juin 2016 et capitalisation des intérêts, une telle mesure étant de droit dès lors que le créancier en forme la demande.
III - Sur les mesures accessoires
En tant que partie perdante,M. [N] [I] sera condamné aux dépens exposés en appel, ainsi qu'à payer à l'intimé la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel.
La demande formée de ce chef par l'appelant sera quant à elle rejetée.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 20 avril 2022 par le tribunal de commerce d'Annecy,
Y ajoutant,
Condamne M. [N] [I] aux dépens exposés en cause d'appel,
Condamne M. [N] [I] à payer à Maître [T], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Maçonnerie de la Haute-Vallée, la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel,
Rejette la demande formée à ce titre par M. [N] [I].
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Myriam REAIDY, Conseillère, en remplacement de Mme Hélène PIRAT, Présidente régulièrement empêchée et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le 11 mars 2025
à
la SELARL ACTYS
Me Clarisse DORMEVAL
Copie exécutoire délivrée le 11 mars 2025
à
Me Clarisse DORMEVAL