CA Montpellier, 1re ch. soc., 12 mars 2025, n° 23/00154
MONTPELLIER
Arrêt
Autre
ARRÊT n°
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1re chambre sociale
ARRET DU 12 MARS 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 23/00154 - N° Portalis DBVK-V-B7H-PVUF
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 22 DECEMBRE 2022 du CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE BÉZIERS
N° RG F 18/00270
APPELANTE :
Madame [S] [P]
née le 20 Juin 1965
de nationalité Française
[Adresse 2] - [Localité 3]
Représentée par Me Frédéric SIMON de la SCP SIMON FREDERIC, avocat au barreau de BEZIERS
INTIMEE :
Madame [O] [J]
née le 10 Mai 1969 à [Localité 3]
de nationalité Française
[Adresse 1] - [Localité 3]
Représentée par Me Xavier LAFON de la SCP LAFON PORTES, avocat au barreau de BEZIERS (postulant) et par Me PORTES, avocat au barreau de Béziers (plaidant)
Ordonnance de clôture du 08 Janvier 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 JANVIER 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre
Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller
M. Jean-Jacques FRION, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Marie BRUNEL
ARRET :
- contratidictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par Mme Marie BRUNEL, Greffière.
*
* *
EXPOSE DU LITIGE :
Par contrat à durée déterminée du 3 mai 2004, [S] [P], médecin, a recruté [O] [J] en qualité de secrétaire médicale. À compter du 1er février 2005, la relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Dans le dernier état de la relation contractuelle, le contrat était à temps complet moyennant la rémunération brute de 1837,17 euros.
[S] [P] était en congé du 11 au 26 février 2018. À son retour de vacances, elle indique avoir pris connaissance de divers actes médicaux qu'elle a imputés à [O] [J], des ordonnances de prescription médicale ou d'examens signés par elle imitant sa propre signature ainsi que l'attitude de la salariée ne répondant pas à tous les appels téléphoniques de prise de rendez-vous des patients.
Par acte du 11 mai 2018, [S] [P] a convoqué [O] [J] à un entretien préalable à un éventuel licenciement le 4 juin 2018. L'employeur a licencié la salariée pour faute grave le 7 juin 2018. La salariée a vainement contesté le licenciement le 15 juin 2018.
Par acte du 12 juillet 2018, [O] [J] a saisi le conseil de prud'hommes en contestation de la rupture et en paiement d'heures supplémentaires.
Par acte du 17 août 2018, [S] [P] a déposé plainte à l'encontre de [O] [J] pour abus de confiance, faux et usage de faux, délit de mise en danger de la personne d'autrui et exercice illégal de la médecine.
Par jugement du 31 mai 2021, le tribunal correctionnel de Béziers a relaxé [O] [J] des chefs de la poursuite. [S] [P] a interjeté appel sur intérêts civils. L'appel est pendant devant la cour d'appel de Montpellier.
Par jugement de départage du 22 décembre 2022, le conseil de prud'hommes de Béziers a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné l'employeur au paiement des sommes suivantes :
- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 3350,26 euros brute à titre d'indemnité compensatrice de préavis et celle de 335,02 euros brute à titre de congés payés y afférents,
- 6560,91 euros brute au titre de l'indemnité de licenciement,
- 66,99 euros brute à titre de rappel d'heures supplémentaires et la somme de 6,69 euros brute à titre de congés payés y afférents,
- Condamné l'employeur à remettre dans le délai d'un mois un certificat de travail et une attestation pôle emploi rectifiés,
- 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens et l'exécution provisoire.
Par acte du 10 janvier 2023, [S] [P] a interjeté appel des chefs du jugement.
Par conclusions du 25 août 2023, [S] [P] demande à la cour d'infirmer le jugement, débouter la salariée de ses demandes et la condamner au paiement de la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre celle de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
[S] [P] fait valoir que le jugement de relaxe n'a pas autorité de chose jugée au civil et que, par conséquent, ses demandes sont recevables et bien fondées. En tout état de cause, elle conteste toute pratique interne permettant à la salariée de rédiger, prescrire et signer seule des ordonnances médicales.
Par conclusions du 26 novembre 2024, [O] [J] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse sauf s'agissant des montants alloués et demande à la cour de condamner l'employeur au paiement des sommes suivantes :
- 22 046,04 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 3674,34 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et celle de 367,43 euros à titre de congés payés y afférents,
- 7195,57 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,
- condamner l'employeur à remettre une attestation pôle emploi et un certificat de travail régularisés,
- 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens de première instance et d'appel.
[O] [J] objecte à l'appelante l'autorité de chose jugée attachée au jugement de relaxe ce qui rend nécessairement le licenciement sans cause réelle et sérieuse et, qu'en tout état de cause, ses agissements n'ont fait que poursuivre une pratique interne appliquée au sein du cabinet médical depuis longtemps.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 janvier 2025.
Il sera fait référence aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des faits et des moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
LES MOTIFS DE LA DISCUSSION :
Sur l'autorité de chose jugée du jugement de relaxe du 31 mai 2021 :
L'article 1355 du Code civil prévoit que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les parties et formée par elles et contre elles en la même qualité.
Il est admis que les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont, au civil, autorité absolue à l'égard de tous en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé. Elle s'attache non seulement au dispositif de la décision mais également à tous les motifs qui en sont le soutien nécessaire. De même, une décision de relaxe n'a d'autorité de la chose jugée au civil sur la caractérisation de faits que si la relaxe a été prononcée au motif que ces faits n'étaient pas établis. En revanche, si la relaxe a d'autres causes, spécifiques à l'application des règles pénales, il n'y a pas d'autorité de cette décision en ce qui concerne l'existence éventuelle des faits invoqués.
En l'espèce, la lettre de licenciement mentionne les éléments suivants : " Durant mes congés, vous avez prescrit à mon insu des examens médicaux et délivré des ordonnances de médicaments et des arrêts de travail à certains de mes patients. Ceci constitue un abus de confiance, une mise en danger d'autrui et l'exercice illégal d'une profession réglementée. Vous n'êtes pas médecin !
Après consultation de votre dossier, j'ai constaté que vous aviez rédigé des actes à votre propre profit : ordonnances de médicaments à doses importantes et certificat médical.
Vous coupiez le téléphone et refusiez des patients pour votre seul confort, limitant ainsi considérablement le nombre de mes patients sans commune mesure depuis votre absence.
Ces faits sont d'une très grande gravité : pour certains, ils relèvent d'infractions pénales et tous engagent ma responsabilité en cas de problèmes avec les patients alors que je ne vous ai jamais demandé d'agir de la sorte ".
La prévenue a été jugée pénalement pour usage de faux en écriture, exercice illégal de la profession de médecin et faux pour des faits commis du 11 février 2018 au 26 février 2018 à [Localité 3]. Le tribunal, dans son dispositif a relaxé la prévenue des fins de la poursuite.
Les motifs, dans leur intégralité, font état des éléments suivants : " attendu qu'en considérant que l'habitude de l'exercice illégal de la médecine doit s'entendre d'une fréquence et d'une continuité dans la répétition des actes délictueux qui soient suffisants pour que ces actes n'apparaissent pas comme des manifestations isolées de l'exercice de la profession, or les faits reprochés de quelques actes procèdent d'une prévention de 5 jours, qu'il convient, dès lors, de relaxer des fins de la poursuite [F] [O] épouse [J] ".
/ L'article 441-1 du code pénal prévoit que constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques.
En l'espèce, en l'absence de motivation spécifique à l'application des règles pénales, il y a lieu de retenir que le tribunal a considéré que les faits de faux et d'usage de faux n'étaient pas établis. Il convient par conséquent de faire droit au moyen soulevé par la salariée et de considérer que la relaxe concernant l'infraction de faux et usage de faux vaut relaxe concernant les faits de prescription par la salariée à l'insu de l'employeur d'examens médicaux et la délivrance d'ordonnances de médicaments et des arrêts de travail à certains des patients, avec signature apposée par la salariée imitant celle de l'employeur médecin.
En présence de faits identiques, le tribunal correctionnel a prononcé la relaxe ce qui prive [S] [P] de pouvoir invoquer devant la juridiction prud'homale les mêmes faits précédemment jugés.
/ Cependant, l'article L.4161-1 du code de la santé publique prévoit qu'exerce illégalement la médecine 1° toute personne qui prend part habituellement ou par direction suivie, même en présence d'un médecin, à l'établissement d'un diagnostic ou au traitement de maladies, congénitales ou acquises, réelles ou supposées, par actes personnels, consultations verbales ou écrites ou par tous autres procédés quels qu'ils soient, ou pratique l'un des actes professionnels prévus dans une nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de la santé pris après avis de l'académie nationale de médecine, sans être titulaire d'un diplôme, certificat ou autre titre mentionné à l'article L. 4131-1 et exigé pour l'exercice de la profession de médecin, ou sans être bénéficiaire des dispositions spéciales mentionnées aux articles L. 4111-2 à L. 4111-4, L. 4111-7, L. 4112-6, L. 4131-2 à L. 4131-5.
Cette infraction renvoie à l'arrêté du 6 janvier 1962 portant actes réservés au médecin et notamment le diagnostic qui est défini comme l'acte par lequel le médecin, groupant les symptômes morbides qu'offre le malade, les rattache à une maladie ayant sa place dans le cadre nosologique. Le diagnostic se distingue du traitement qui peut être défini comme l'ensemble des moyens thérapeutiques et des prescriptions employés dans le but de guérir une maladie.
En l'espèce, la relaxe prononcée par le tribunal correctionnel n'est pas fondée sur le motif que les faits reprochés n'étaient pas établis mais pour une cause particulière, la condition d'habitude de l'infraction reprochée qui faisait défaut. Ainsi, le moyen soulevé par la salariée tendant à voir juger irrecevable la demande de [S] [P] pour cause d'autorité de chose jugée sera rejeté.
[S] [P] justifie, qu'en son absence, six patientes se sont présentées au cabinet médical et à [O] [J], ont été entendues par cette dernière et ont bénéficié d'un traitement de prescription médicamenteux, d'examens et/ou d'arrêts de travail. Préalablement au traitement, [O] [J] a réalisé un diagnostic même sommaire mais réel, se comportant comme un médecin.
En outre, dans le dossier médical informatique au nom de [O] [J], deux ordonnances au bénéfice de son conjoint ont été retrouvées alors même que [S] [P] est gynécologue obstétricienne et qu'aucun homme n'existe dans sa patientèle. De même, une série d'ordonnances a été prise au bénéfice de [O] [J] sans que cela ne corresponde à une visite médicale.
Ainsi, en l'absence du médecin, [O] [J] a pratiqué des diagnostics médicaux sans être titulaire de la qualité de médecin pour les effectuer.
Concernant d'éventuelles fautes de la salariée tendant au fait d'avoir restreint volontairement l'accueil téléphonique, aucun élément probant n'est établi par l'employeur puisque celui-ci se borne à faire état d'une augmentation substantielle de la patientèle postérieurement au départ de la salariée. Ce grief reproché à la salariée sera rejeté.
Ainsi, la faute grave est ainsi justifiée par [S] [P].
Les demandes indemnitaires de [O] [J] seront par conséquent rejetées.
Ce chef de jugement qui avait admis l'autorité de chose jugée pour l'ensemble des faits sera infirmé.
Sur la créance d'heures supplémentaires :
L'article L.3121-1 du code du travail dispose que la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. L'article L.3121-28 du code du travail prévoit que toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent. L'article L.3121-29 dispose quant à lui que les heures supplémentaires se décomptent par semaine. En pareil contentieux, l'article L.3171-4 prévoit qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En l'espèce, la salariée indique avoir réalisé en mars 2018 cinq heures supplémentaires. Elle indique qu'il avait été prévu que ces heures supplémentaires soient récupérées le 13 avril 2018 alors qu'elle était en arrêt de travail pour cause de maladie depuis le 4 avril 2018 sans jamais avoir repris son travail jusqu'à son licenciement.
Ainsi, le salarié doit apporter des éléments au soutien de ses prétentions, éléments qui doivent néanmoins être suffisamment précis quant aux heures supplémentaires qu'il prétend avoir effectuées et dont il demande le paiement pour permettre à l'employeur de répondre.
En l'espèce, la récupération des cinq heures prévue le 13 avril 2018 n'est pas contestée par l'employeur.
Il en résulte une créance de cinq heures supplémentaires. [S] [P] sera condamnée au paiement de la somme de 66,99 euros brute à titre de rappel d'heures supplémentaires et celle de 6,69 euros brute à titre de congés payés y afférents.
Ce chef de jugement sera confirmé.
Sur les autres demandes :
L'intimée succombe à la procédure, sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel et, sur infirmation, de première instance.
Il paraît inéquitable de laisser à la charge de l'appelante, l'intégralité des sommes avancées par elle et non comprises dans les dépens. Il lui sera alloué la somme de 700 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe et en dernier ressort ;
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné l'employeur au paiement à titre de rappel d'heures supplémentaires et de congés payés y afférents.
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Dit que le licenciement pour faute grave est justifié.
Y ajoutant,
Condamne [O] [J] à payer à [S] [P] la somme de 700 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne [O] [J] aux dépens de la procédure d'appel et de première instance.
La GREFFIERE Le PRESIDENT
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1re chambre sociale
ARRET DU 12 MARS 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 23/00154 - N° Portalis DBVK-V-B7H-PVUF
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 22 DECEMBRE 2022 du CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE BÉZIERS
N° RG F 18/00270
APPELANTE :
Madame [S] [P]
née le 20 Juin 1965
de nationalité Française
[Adresse 2] - [Localité 3]
Représentée par Me Frédéric SIMON de la SCP SIMON FREDERIC, avocat au barreau de BEZIERS
INTIMEE :
Madame [O] [J]
née le 10 Mai 1969 à [Localité 3]
de nationalité Française
[Adresse 1] - [Localité 3]
Représentée par Me Xavier LAFON de la SCP LAFON PORTES, avocat au barreau de BEZIERS (postulant) et par Me PORTES, avocat au barreau de Béziers (plaidant)
Ordonnance de clôture du 08 Janvier 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 JANVIER 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre
Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller
M. Jean-Jacques FRION, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Marie BRUNEL
ARRET :
- contratidictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par Mme Marie BRUNEL, Greffière.
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EXPOSE DU LITIGE :
Par contrat à durée déterminée du 3 mai 2004, [S] [P], médecin, a recruté [O] [J] en qualité de secrétaire médicale. À compter du 1er février 2005, la relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Dans le dernier état de la relation contractuelle, le contrat était à temps complet moyennant la rémunération brute de 1837,17 euros.
[S] [P] était en congé du 11 au 26 février 2018. À son retour de vacances, elle indique avoir pris connaissance de divers actes médicaux qu'elle a imputés à [O] [J], des ordonnances de prescription médicale ou d'examens signés par elle imitant sa propre signature ainsi que l'attitude de la salariée ne répondant pas à tous les appels téléphoniques de prise de rendez-vous des patients.
Par acte du 11 mai 2018, [S] [P] a convoqué [O] [J] à un entretien préalable à un éventuel licenciement le 4 juin 2018. L'employeur a licencié la salariée pour faute grave le 7 juin 2018. La salariée a vainement contesté le licenciement le 15 juin 2018.
Par acte du 12 juillet 2018, [O] [J] a saisi le conseil de prud'hommes en contestation de la rupture et en paiement d'heures supplémentaires.
Par acte du 17 août 2018, [S] [P] a déposé plainte à l'encontre de [O] [J] pour abus de confiance, faux et usage de faux, délit de mise en danger de la personne d'autrui et exercice illégal de la médecine.
Par jugement du 31 mai 2021, le tribunal correctionnel de Béziers a relaxé [O] [J] des chefs de la poursuite. [S] [P] a interjeté appel sur intérêts civils. L'appel est pendant devant la cour d'appel de Montpellier.
Par jugement de départage du 22 décembre 2022, le conseil de prud'hommes de Béziers a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné l'employeur au paiement des sommes suivantes :
- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 3350,26 euros brute à titre d'indemnité compensatrice de préavis et celle de 335,02 euros brute à titre de congés payés y afférents,
- 6560,91 euros brute au titre de l'indemnité de licenciement,
- 66,99 euros brute à titre de rappel d'heures supplémentaires et la somme de 6,69 euros brute à titre de congés payés y afférents,
- Condamné l'employeur à remettre dans le délai d'un mois un certificat de travail et une attestation pôle emploi rectifiés,
- 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens et l'exécution provisoire.
Par acte du 10 janvier 2023, [S] [P] a interjeté appel des chefs du jugement.
Par conclusions du 25 août 2023, [S] [P] demande à la cour d'infirmer le jugement, débouter la salariée de ses demandes et la condamner au paiement de la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre celle de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
[S] [P] fait valoir que le jugement de relaxe n'a pas autorité de chose jugée au civil et que, par conséquent, ses demandes sont recevables et bien fondées. En tout état de cause, elle conteste toute pratique interne permettant à la salariée de rédiger, prescrire et signer seule des ordonnances médicales.
Par conclusions du 26 novembre 2024, [O] [J] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse sauf s'agissant des montants alloués et demande à la cour de condamner l'employeur au paiement des sommes suivantes :
- 22 046,04 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 3674,34 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et celle de 367,43 euros à titre de congés payés y afférents,
- 7195,57 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,
- condamner l'employeur à remettre une attestation pôle emploi et un certificat de travail régularisés,
- 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens de première instance et d'appel.
[O] [J] objecte à l'appelante l'autorité de chose jugée attachée au jugement de relaxe ce qui rend nécessairement le licenciement sans cause réelle et sérieuse et, qu'en tout état de cause, ses agissements n'ont fait que poursuivre une pratique interne appliquée au sein du cabinet médical depuis longtemps.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 janvier 2025.
Il sera fait référence aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des faits et des moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
LES MOTIFS DE LA DISCUSSION :
Sur l'autorité de chose jugée du jugement de relaxe du 31 mai 2021 :
L'article 1355 du Code civil prévoit que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les parties et formée par elles et contre elles en la même qualité.
Il est admis que les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont, au civil, autorité absolue à l'égard de tous en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé. Elle s'attache non seulement au dispositif de la décision mais également à tous les motifs qui en sont le soutien nécessaire. De même, une décision de relaxe n'a d'autorité de la chose jugée au civil sur la caractérisation de faits que si la relaxe a été prononcée au motif que ces faits n'étaient pas établis. En revanche, si la relaxe a d'autres causes, spécifiques à l'application des règles pénales, il n'y a pas d'autorité de cette décision en ce qui concerne l'existence éventuelle des faits invoqués.
En l'espèce, la lettre de licenciement mentionne les éléments suivants : " Durant mes congés, vous avez prescrit à mon insu des examens médicaux et délivré des ordonnances de médicaments et des arrêts de travail à certains de mes patients. Ceci constitue un abus de confiance, une mise en danger d'autrui et l'exercice illégal d'une profession réglementée. Vous n'êtes pas médecin !
Après consultation de votre dossier, j'ai constaté que vous aviez rédigé des actes à votre propre profit : ordonnances de médicaments à doses importantes et certificat médical.
Vous coupiez le téléphone et refusiez des patients pour votre seul confort, limitant ainsi considérablement le nombre de mes patients sans commune mesure depuis votre absence.
Ces faits sont d'une très grande gravité : pour certains, ils relèvent d'infractions pénales et tous engagent ma responsabilité en cas de problèmes avec les patients alors que je ne vous ai jamais demandé d'agir de la sorte ".
La prévenue a été jugée pénalement pour usage de faux en écriture, exercice illégal de la profession de médecin et faux pour des faits commis du 11 février 2018 au 26 février 2018 à [Localité 3]. Le tribunal, dans son dispositif a relaxé la prévenue des fins de la poursuite.
Les motifs, dans leur intégralité, font état des éléments suivants : " attendu qu'en considérant que l'habitude de l'exercice illégal de la médecine doit s'entendre d'une fréquence et d'une continuité dans la répétition des actes délictueux qui soient suffisants pour que ces actes n'apparaissent pas comme des manifestations isolées de l'exercice de la profession, or les faits reprochés de quelques actes procèdent d'une prévention de 5 jours, qu'il convient, dès lors, de relaxer des fins de la poursuite [F] [O] épouse [J] ".
/ L'article 441-1 du code pénal prévoit que constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques.
En l'espèce, en l'absence de motivation spécifique à l'application des règles pénales, il y a lieu de retenir que le tribunal a considéré que les faits de faux et d'usage de faux n'étaient pas établis. Il convient par conséquent de faire droit au moyen soulevé par la salariée et de considérer que la relaxe concernant l'infraction de faux et usage de faux vaut relaxe concernant les faits de prescription par la salariée à l'insu de l'employeur d'examens médicaux et la délivrance d'ordonnances de médicaments et des arrêts de travail à certains des patients, avec signature apposée par la salariée imitant celle de l'employeur médecin.
En présence de faits identiques, le tribunal correctionnel a prononcé la relaxe ce qui prive [S] [P] de pouvoir invoquer devant la juridiction prud'homale les mêmes faits précédemment jugés.
/ Cependant, l'article L.4161-1 du code de la santé publique prévoit qu'exerce illégalement la médecine 1° toute personne qui prend part habituellement ou par direction suivie, même en présence d'un médecin, à l'établissement d'un diagnostic ou au traitement de maladies, congénitales ou acquises, réelles ou supposées, par actes personnels, consultations verbales ou écrites ou par tous autres procédés quels qu'ils soient, ou pratique l'un des actes professionnels prévus dans une nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de la santé pris après avis de l'académie nationale de médecine, sans être titulaire d'un diplôme, certificat ou autre titre mentionné à l'article L. 4131-1 et exigé pour l'exercice de la profession de médecin, ou sans être bénéficiaire des dispositions spéciales mentionnées aux articles L. 4111-2 à L. 4111-4, L. 4111-7, L. 4112-6, L. 4131-2 à L. 4131-5.
Cette infraction renvoie à l'arrêté du 6 janvier 1962 portant actes réservés au médecin et notamment le diagnostic qui est défini comme l'acte par lequel le médecin, groupant les symptômes morbides qu'offre le malade, les rattache à une maladie ayant sa place dans le cadre nosologique. Le diagnostic se distingue du traitement qui peut être défini comme l'ensemble des moyens thérapeutiques et des prescriptions employés dans le but de guérir une maladie.
En l'espèce, la relaxe prononcée par le tribunal correctionnel n'est pas fondée sur le motif que les faits reprochés n'étaient pas établis mais pour une cause particulière, la condition d'habitude de l'infraction reprochée qui faisait défaut. Ainsi, le moyen soulevé par la salariée tendant à voir juger irrecevable la demande de [S] [P] pour cause d'autorité de chose jugée sera rejeté.
[S] [P] justifie, qu'en son absence, six patientes se sont présentées au cabinet médical et à [O] [J], ont été entendues par cette dernière et ont bénéficié d'un traitement de prescription médicamenteux, d'examens et/ou d'arrêts de travail. Préalablement au traitement, [O] [J] a réalisé un diagnostic même sommaire mais réel, se comportant comme un médecin.
En outre, dans le dossier médical informatique au nom de [O] [J], deux ordonnances au bénéfice de son conjoint ont été retrouvées alors même que [S] [P] est gynécologue obstétricienne et qu'aucun homme n'existe dans sa patientèle. De même, une série d'ordonnances a été prise au bénéfice de [O] [J] sans que cela ne corresponde à une visite médicale.
Ainsi, en l'absence du médecin, [O] [J] a pratiqué des diagnostics médicaux sans être titulaire de la qualité de médecin pour les effectuer.
Concernant d'éventuelles fautes de la salariée tendant au fait d'avoir restreint volontairement l'accueil téléphonique, aucun élément probant n'est établi par l'employeur puisque celui-ci se borne à faire état d'une augmentation substantielle de la patientèle postérieurement au départ de la salariée. Ce grief reproché à la salariée sera rejeté.
Ainsi, la faute grave est ainsi justifiée par [S] [P].
Les demandes indemnitaires de [O] [J] seront par conséquent rejetées.
Ce chef de jugement qui avait admis l'autorité de chose jugée pour l'ensemble des faits sera infirmé.
Sur la créance d'heures supplémentaires :
L'article L.3121-1 du code du travail dispose que la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. L'article L.3121-28 du code du travail prévoit que toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent. L'article L.3121-29 dispose quant à lui que les heures supplémentaires se décomptent par semaine. En pareil contentieux, l'article L.3171-4 prévoit qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En l'espèce, la salariée indique avoir réalisé en mars 2018 cinq heures supplémentaires. Elle indique qu'il avait été prévu que ces heures supplémentaires soient récupérées le 13 avril 2018 alors qu'elle était en arrêt de travail pour cause de maladie depuis le 4 avril 2018 sans jamais avoir repris son travail jusqu'à son licenciement.
Ainsi, le salarié doit apporter des éléments au soutien de ses prétentions, éléments qui doivent néanmoins être suffisamment précis quant aux heures supplémentaires qu'il prétend avoir effectuées et dont il demande le paiement pour permettre à l'employeur de répondre.
En l'espèce, la récupération des cinq heures prévue le 13 avril 2018 n'est pas contestée par l'employeur.
Il en résulte une créance de cinq heures supplémentaires. [S] [P] sera condamnée au paiement de la somme de 66,99 euros brute à titre de rappel d'heures supplémentaires et celle de 6,69 euros brute à titre de congés payés y afférents.
Ce chef de jugement sera confirmé.
Sur les autres demandes :
L'intimée succombe à la procédure, sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel et, sur infirmation, de première instance.
Il paraît inéquitable de laisser à la charge de l'appelante, l'intégralité des sommes avancées par elle et non comprises dans les dépens. Il lui sera alloué la somme de 700 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe et en dernier ressort ;
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné l'employeur au paiement à titre de rappel d'heures supplémentaires et de congés payés y afférents.
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Dit que le licenciement pour faute grave est justifié.
Y ajoutant,
Condamne [O] [J] à payer à [S] [P] la somme de 700 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne [O] [J] aux dépens de la procédure d'appel et de première instance.
La GREFFIERE Le PRESIDENT