CA Paris, Pôle 1 - ch. 3, 13 mars 2025, n° 24/11012
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 3
ARRÊT DU 13 MARS 2025
(n° 112 , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/11012 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJTNE
Décision déférée à la cour : ordonnance du 31 mai 2024 - président du TC de Paris - RG n° 2023055674
APPELANTE
S.A.S. [P], RCS de Paris n°818281891, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Antoine BENECH de la SELARL SYGNA PARTNERS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0540
INTIMÉE
S.A.S. BOX 2 HOME, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 20 janvier 2025, en audience publique, rapport ayant été fait par Anne-Gaël BLANC, conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Michel RISPE, président de chambre
Anne-Gaël BLANC, conseillère
Valérie GEORGET, conseillère
Greffier lors des débats : Jeanne PAMBO
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Michel RISPE, président de chambre et par Jeanne PAMBO, greffier, présent lors de la mise à disposition.
La société Box 2 Home a été constituée le 3 février 2016, d'une part, par la société [P] qui est détenue par M [Y] et, d'autre part, par M. [H].
Elle a pour activité l'installation, le montage et la livraison du dernier kilomètre par l'intermédiaire d'une plate-forme.
Le 14 avril 2021, la société Warning, qui est spécialisée dans le transport de marchandises, a acquis 70 % du capital de la société Box 2 Home pour un montant de 5 600 000 euros, le surplus se répartissant entre la société [P] à hauteur de 25 % et M. [M] pour 5 %.
Il était prévu que M. [Y] exerce des fonctions salariées qu'il cumulerait avec un mandat de directeur général.
Le 3 avril 2023, M. [Y] a été licencié pour faute grave au motif qu'il aurait créé une entreprise concurrente alors qu'il était tenu d'une clause le lui interdisant.
En application de la clause dite de 'bad leaver' figurant au pacte d'actionnaires, ce licenciement a ouvert pour la société Warning la possibilité de racheter les parts de la société [P] à un prix décoté.
Le 26 juillet 2023, la société Warning a convoqué, pour le 3 août suivant, une assemblée générale afin d'approuver les comptes des années 2021 et 2022 et de voter une augmentation de capital de 2 000 000 d'euros par émission de 20 000 000 d'actions d'une valeur nominale de 0,10 euros.
A l'issue de cette opération, réalisée le 1er décembre 2023, les participations respectives des sociétés Warning, [P] et de M. [M] s'établissaient à 99, 52 %, 0,4 % et 0,08 %.
Par acte extrajudiciaire du 29 septembre 2023, la société [P] a assigné la société Box 2 box devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir ordonner une mesure d'expertise principalement sur le fondement de l'article L.225-231 du code de commerce et subsidiairement sur celui de l'article 145 du code de procédure civile.
Par ordonnance contradictoire du 31 mai 2024, le juge des référés a :
débouté la société [P] de ses demandes,
dit n'y avoir lieu à article 700 du code de procédure civile,
condamné la société [P] aux dépens.
Par déclaration du 14 juin 2024, la société [P] a relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble des chefs de son dispositif.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 16 décembre 2024, la société [P] demande à la cour de :
infirmer l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris rendue le 31 mai 2024 en ce qu'elle a :
débouté la société [P] de ses demandes ;
dit n'y avoir lieu à article 700 du code de procédure civile ;
condamné la société aux dépens ;
et, statuant à nouveau, de :
déclarer la société [P] recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions ;
désigner tel expert qu'il lui plaira, avec mission de :
les archives de la société Box 2 Home au besoin en se faisant assister d'un huissier territorialement compétent ;
se faire communiquer tout document utile à l'accomplissement de sa mission, notamment les pièces contractuelles ainsi que les documents comptables de la société Box 2 Home pour les exercices clos au 31 décembre 2021 et au 31 décembre 2022 (le bilan détaillé, le compte de résultat détaillé, l'annexe, le livre journal, le grand livre, le tableur Excel comportant le reporting comptable mensuel de la société Box 2 Home) qui lui permettront de prendre connaissance du traitement comptable des opérations de gestion susmentionnées ;
faire un rapport sur :
- le traitement comptable et juridique du litige entre la société Ikea, la société Warning et la société Box 2 Home relatif à l'exécution des prestations de service de transport et d'entreposage sous-traités par la société Box 2 Home à la société Warning sur l'exercice clos au 31 décembre 2022 ;
- le traitement comptable des facturations adressées par la société B2H à la société Box 2 Home pour des prestations informatiques au bénéfice de la société Warning, et le niveau de refacturation de ces coûts par la société Box 2 Home à la société Warning, sur l'exercice clos au 31 décembre 2022 ;
- la convention réglementée de prestations administratives, sociales, comptables et financières mentionnée dans le rapport spécial du commissaire aux comptes sur les conventions réglementées de la société Box 2 Home au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2022 et notamment les modalités de calcul et de facturation de la redevance par la société Warning ainsi que les justifications apportées par cette dernière sur la réalité des prestations qu'elle facture à ce titre à la société Box 2 Home et sur le montant de la redevance qu'elle perçoit ;
- les motifs et la portée de la modification de la présentation des comptes ayant abouti à la hausse significative du sous-compte « Autres charges » entre le compte de résultat de la société Box 2 Home au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2021 et celui clos 31 décembre 2022 ;
- les opérations comptables qui expliquent la disparité entre d'une part la projection des comptes pour l'exercice clos le 31 décembre 2022, circularisée par Warning auprès des dirigeants de Box 2 Home le 3 février 2023, et d'autre part les comptes pour l'exercice clos le 31 décembre 2022 tels que présentés à et approuvés par l'assemblée générale du 3 août 2023;
- l'évaluation de la valorisation de la société Box 2 Home à la date de l'assemblée générale du 3 août 2023 ;
dire que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 et suivants du code de procédure civile et, en particulier, qu'il pourra recueillir les déclarations de toute personne informée, en précisant son identité, et s'adjoindre tout spécialiste de son choix pris sur la liste des experts près ce tribunal ;
dire qu'en cas de difficultés, l'expert saisira le président qui aura ordonné l'expertise ou le juge désigné par lui ;
dire que les constatations et avis de l'expert seront consignés dans un rapport qui sera déposé au greffe de ce tribunal dans les trois mois de sa saisine ;
dire que l'expertise sera effectuée aux frais de la société Box 2 Home ;
fixer la provision à consigner au greffe à titre d'avance sur les honoraires de l'expert, dans le délai qui sera imparti par l'ordonnance à intervenir ;
dire que faute pour la société Box 2 Home de consigner la provision mise à sa charge dans le délai qui sera indiqué par l'ordonnance à intervenir, il en sera tiré toute conséquence ;
dire qu'en cas de refus ou d'empêchement de l'expert, il pourra être pourvu à son remplacement par simple ordonnance du juge chargé du contrôle des expertises au tribunal de commerce de Paris, d'office ou à la requête de la partie la plus diligente;
ordonner à la société Box 2 Home de remettre à l'expert ainsi désigné toute la documentation utile à l'accomplissement de sa mission ;
en tout état de cause, condamner la société Box 2 Home à verser la somme de 5 000 euros à la société [P] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et à l'intégralité des frais et dépens, au titre de la première instance (RG n° 2023055674);
condamner la société Box 2 Home à verser la somme de 3 000 euros à la société [P] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en l'intégralité des frais et dépens de la présente instance (RG n° 24/11012), en ce compris les frais d'expertise.
La société Box 2 Home a constitué avocat le 26 juin 2024 mais n'a pas conclu.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 décembre 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
Sur ce,
En application de l'article 954 du code de procédure civile, la société Box 2 Home qui n'a pas conclu est réputée s'approprier la motivation du premier juge qui a accueilli ses demandes.
Sur l'expertise de gestion
L'article L.225-231 du code de commerce dispose que :
'Une association répondant aux conditions fixées à l'article L. 22-10-44, ainsi que un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, peuvent poser par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, ainsi que, le cas échéant, des sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article L. 233-3. Dans ce dernier cas, la demande doit être appréciée au regard de l'intérêt du groupe. La réponse doit être communiquée aux commissaires aux comptes, s'il en existe.
A défaut de réponse dans un délai d'un mois ou à défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.
Le ministère public et le comité d'entreprise peuvent également demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.
S'il est fait droit à la demande, la décision de justice détermine l'étendue de la mission et des pouvoirs des experts. Elle peut mettre les honoraires à la charge de la société.
Le rapport est adressé au demandeur, au ministère public, au comité d'entreprise, au commissaire aux comptes et, selon le cas, au conseil d'administration ou au directoire et au conseil de surveillance. Ce rapport doit, en outre, être annexé à celui établi par les commissaires aux comptes, s'il en existe, en vue de la prochaine assemblée générale et recevoir la même publicité.'
Cet article est applicable aux sociétés par actions simplifiées par renvoi de l'article L 227-1 du même code.
Il est constant que l'expertise de gestion ainsi prévue n'est pas un mode d'information sur l'ensemble de la gestion de la société mais un moyen accordé aux associés minoritaires pour obtenir des renseignements sur la valeur ou la portée d'une ou plusieurs opérations de gestion déterminées.
La demande qui en est faite doit présenter un caractère sérieux en permettant de caractériser des présomptions d'irrégularités affectant l'opération de gestion critiquée. Si dans la plupart des cas la portée de l'acte contesté s'apprécie par rapport à l'intérêt social, elle peut tout autant être analysée par rapport à l'intérêt personnel d'un associé minoritaire, les textes ne limitant pas la demande de désignation d'un expert de gestion à la seule hypothèse d'une atteinte à l'intérêt de la personne morale.
La juridiction saisie d'une demande d'expertise de gestion est tenue de l'ordonner dès lors qu'elle relève des présomptions d'irrégularités affectant une ou plusieurs opérations de gestion déterminées.
Constitue un acte de gestion l'acte émanant d'un organe de gestion. En revanche, sont exclues de l'expertise de gestion les décisions prises par une assemblée d'actionnaires.
Par ailleurs, en application des articles 31 et 122 du code de procédure civile, l'existence du droit d'agir en justice s'apprécie à la date de la demande introductive d'instance et ne peut être remise en cause par l'effet de circonstances postérieures (Com. 6 déc. 2005, n° 04-10.287 P).
En l'espèce, le premier juge, dont l'intimée est réputée s'approprier la motivation, a considéré que la demande était irrecevable au motif qu'au jour de son examen, la part de la société [P] était inférieure à 5 % du capital social.
Cependant, comme le souligne la société appelante, à la date de l'introduction de l'instance devant le président du tribunal de commerce, le 29 septembre 2023, l'augmentation de capital n'avait pas encore été réalisée et elle détenait encore 25% des parts de la société Box 2 Home de sorte que sa demande était recevable.
La société [P] entend voir procéder à une expertise de gestion sur les opérations suivantes:
le traitement comptable et juridique du litige entre la société Ikea, la société Warning et la société Box 2 Home relatif à l'exécution des prestations de service de transport et d'entreposage sous-traités par la société Box 2 Home à la société Warning sur l'exercice clos au 31 décembre 2022 ;
le traitement comptable des facturations adressées par la société B2H à la société Box 2 Home pour des prestations informatiques au bénéfice de la société Warning, et le niveau de refacturation de ces coûts par la société Box 2 Home à la société Warning, sur l'exercice clos au 31 décembre 2022 ;
la convention réglementée de prestations administratives, sociales, comptables et financières mentionnée dans le rapport spécial du commissaire aux comptes sur les conventions réglementées de la société Box 2 Home au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2022 et notamment les modalités de calcul et de facturation de la redevance par la société Warning ainsi que les justifications apportées par cette dernière sur la réalité des prestations qu'elle facture à ce titre à la société Box 2 Home et sur le montant de la redevance qu'elle perçoit ;
les motifs et la portée de la modification de la présentation des comptes ayant abouti à la hausse significative du sous-compte « Autres charges » entre le compte de résultat de la société Box 2 Home au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2021 et celui clos 31 décembre 2022 ;
Les opérations ainsi visées sont précisément ciblées et l'expertise demandée ne porte passur l'ensemble de la gestion de la société. Elles ne constituent par ailleurs pas de simples passages d'écritures comptables mais traduisent une décision des organes de gestion de la société de sorte qu'elles peuvent être qualifiées d'opérations de gestion.
Par ailleurs, le 25 août 2023, la société [P] a sollicité par écrit auprès de la présidente de la société Box 2 home, la société Warning, des explications sur les modalités et la comptabilisation de ces opérations de gestion.
La demande d'expertise porte sur quatre opérations concernées par les questions 1, 3, 4 et 5 ainsi posées auxquelles la société Warning a répondu près de trois mois plus tard le 17 novembre suivant.
A la première question 'Au cours de l'année 2022, Box 2 Home a sous-traité auprès de Warning (sa présidente et son associée majoritaire) des services de transport et d'entreposage pour le compte de son client Ikea. Les prestations réalisées par Warning se sont révélées défectueuses, les produits confiés par Ikea ayant été endommagés lors de leur transport ou entreposage.
Ikea a résilié le marché et sollicité une indemnisation au titre de ses produits endommagés. [P] souhaite connaître le traitement juridique et comptable de ce litige. A-t-il donné lieu à une indemnisation d'Ikea, et pour quel montant, enregistrée dans les Comptes 2022 ' Et dans cette hypothèse, cette charge a-t-elle été refacturée, sur l'exercice 2022, à Warning, responsable de la réclamation Ikea '', la société Warning a apporté la réponse suivante : 'les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2022 ne font apparaitre aucune charge liée au différend avec IKEA'.
Comme le soutient la société [P], cette réponse, purement formelle, est lacunaire, dans la mesure où l'absence de traitement comptable de ce litige, dont l'existence n'est aucunement contestée, devait nécessairement être explicité.
La troisième question posée était la suivante :
'Sur l'exercice 2022, Warning a confié à Box 2 Home des prestations informatiques sous-traitées à sa filiale tunisienne B2H (« B2H ») qui a conçu et développé la solution digitale proposée par Box 2 Home. B2H a facturé mensuellement Box 2 Home qui les a refacturés à Warning. Ce cadre contractuel et les flux financiers qu'il a induit sur l'exercice 2022, figure-t-il dans les comptes 2022 ' et notamment les refacturations à Warning des prestations réalisées à son profit par la Société et sous-traitées à B2H '
Il y a été répondu ainsi :
'les comptes de Box 2 home au 31 décembre 2022 intégrent :
- la refacturation à Warning de prestations réalisées par la filiale tunisienne B2H à hauteur de 241 460 euros,
- la refacturation à Warning de prestations réalisées par Box 2 home à hauteur de 132 156 euros.'
Or, comme le souligne la société [P], cette réponse présente des incohérences avec le tableau Excel récapitulatif des prestations informatiques à refacturer à la société Warning pour chaque mois de l'année 2022 (pièce 19) dans lequel le total facturé pour l'ensemble des mois cumulés est de 532 695 euros alors que la réponse mentionne une somme globale de 373 616 euros (241 460 + 132 156). Elle manque également de cohérence avec le montant renseigné en réponse à la cinquième question, la refacturation à la société Warning des prestations facturées par la société B2H étant de 250 683 euros au lieu de 241 460 euros dans la présente réponse.
La quatrième question était formulée comme suit 'Le rapport spécial du commissaire aux comptes sur les conventions réglementées fait état d'un contrat de prestations administratives, sociales, comptables et financières à effet du 1er janvier 2022 conclu entre Warning et la société aux termes duquel la redevance versée à Warning, d'un montant de 264 572,76 € au titre de l'exercice 2022, serait égale à la quote-part des coûts exposés dans l'intérêt de Box 2 Home, majorée d'un coefficient multiplicateur de 1,10. Pouvez-vous nous préciser à quelle date cette convention a été conclue ' Comment cette redevance est calculée et facturée et selon quelle périodicité',
Il a été répondu ainsi :
'Les sommes dues au titre de la convention de prestations conclue le 31 mars 2022 avec effet rétroactif au 1er janvier 2022 ont été déterminées en intégrant :
- la quote-part de temps passé sur la société Box 2 home en 2022 par le comptable (75%), le DAF (20%), la responsable paie (10%) et le DRH (10%) X leur salaire annuel charge,
- la quote-part de frais généraux du groupe affecté à Box 2 home (6%),
- une marge de 10%.'
Or, la société [P] fait valoir à juste titre que la quote-part renseignée par la société Warning du temps passé pour la société Box 2 Home par le comptable, le directeur administratif et financier, le responsable paie et le directeur de Warning apparaît élevée au regard de la taille de la société Box 2 Home (22 salariés) comparée aux autres sociétés du groupe Warning (632 salariés pour Euromatic en 2022 par exemple ). Elle peut dès lors légitimement craindre comme elle l'indique que cette opération révèle une surfacturation au détriment de l'intérêt social de la société Box 2 Home.
La cinquième question était formulée ainsi : Le compte de résultat 2022 comporte un sous compte « Autres charges » dont le montant a très fortement augmenté par rapport aux exercices 2021 et 2020 (559 457 € en 2022, 1 822 € en 2021 et 163 € en 2020). [P] demande le détail de ce sous-compte pour l'exercice 2022 et les causes de cette forte augmentation'.
Warning a répondu en ces termes :
'L'augmentation des sommes contenues dans le compte 'Autres Charges' provient d'une différence dans la présentation de ce compte.
En 2022 ce poste intègre :
- les prestations administratives, comptables et RH facturées par Warning à hauteur de 264 573 euros, il s'agissait de salaires et honoraires en 2021 et 2020 ;
- le reclassement des frais de développement de la filiale B2H Tunisie refacturés à Warning à hauteur de 250 683 euros (charge entiérement refacturée par Box 2 home).
Les prestations facturées par la filiale tunisienne B2H sont réparties comme suit en 2022:
- part immobilisée par Box 2 home: 316 671,15
- part refacturée a Warning: 250 682,52
part prise en charge par Box 2 home: 138 381,78
- des corrections de comptes sur exercices antérieurs a hauteur de 44 202 euros (créances antérieures sans objet).'
Cependant, ce faisant, comme le note l'appelante, la société Warning n'explique ni dans quel compte les frais des prestations de la société B2H refacturés à la société Warning étaient comptabilisés au cours de l'exercice précédent ni la raison pour laquelle elle a modifié la présentation comptable entre les comptes de ses exercices clos respectivement les 31 décembre 2021 et 2022.
Il se déduit de ce qui précède que les réponses apportées par la société Box 2 home, incomplètes sur certains points, laissent subsister un besoin d'information et ne présentent pas un caractère satisfaisant au sens de l'article L. 225-231 susmentionné.
En outre, le seul fait que M. [Y], qui détient la société [P], ait exercé un mandat de dirigeant de la société Box 2 home au cours de l'exercice 2022 ne signifie pas nécessairement qu'il avait connaissance du détail des opérations litigieuses et ne prive donc pas d'intérêt l'expertise de gestion sollicitée.
Par ailleurs, il existe des présomptions d'irrégularités et d'atteinte à l'intérêt social sur les points sur lesquels la société [P] peut légitimement s'interroger et auxquelles les réponses, incomplètes, ne permettent pas de répondre de façon certaine en écartant le doute sur le fait que ces opérations n'aient pas été conformes à l'intérêt social de Box 2 Home et ait eu pour seul but de favoriser l'associé majoritaire au détriment des minoritaires.
L'ensemble de ces éléments démontre, d'abord, qu'il a été procédé à l'interrogation des dirigeants préalablement à la demande d'expertise, ensuite, que la réponse a été insuffisante, enfin, que la demande d'expertise de gestion repose sur une justification sérieuse, les opérations dénoncées par les appelantes étant susceptibles de nuire à l'intérêt social.
L'ordonnance entreprise sera donc infirmée et une expertise de gestion ordonnée dans les conditions prévues aux dispositif.
Conformément à ce qui est prévu au quatrième alinéa de l'article L.225-231 du code de commerce, la rémunération de l'expert de gestion sera à la charge de la société Box 2 home, dans l'intérêt de laquelle l'expertise de gestion est ordonnée.
Sur la mesure d'expertise in futurum
En vertu de l'article 145 du code de procédure civile, 's'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé'.
L'application de ces dispositions suppose de constater la possibilité d'un procès potentiel, non manifestement voué à l'échec, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu'il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond, et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée.
Par ailleurs, la procédure prévue par l'article 145 du code de procédure civile n'est pas limitée à la conservation des preuves mais peut également tendre à leur établissement
En outre, une mesure d'instruction ne visant, en réalité, qu'à fournir aux actionnaires minoritaires demandeurs des informations sur des opérations de gestion, relevant comme telles du mécanisme prévu à l'article L. 225-231 du code de commerce, et non à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ne peut pas être ordonnée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile (Com., 11 septembre 2024, pourvoi n° 23-12.681, 22-24.160).
Enfin, en application de l'article 1844-10, alinéa 3, du code civil, la nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent titre, à l'exception du dernier alinéa de l'article 1833, ou de l'une des causes de nullité des contrats en général.
Ainsi, une délibération peut-elle être annulée en cas d'abus de majorité caractérisé par une décision contraire à l'intérêt social et prise dans l'unique dessein de favoriser les associés majoritaires au détriment de l'associé ou des associés minoritaires. En outre, le caractère potentiellement frauduleux d'une émission de parts sociales à une valeur nominale ne reflétant pas leur valeur réelle peut justifier de prononcer la nullité de la délibération afférente en application du principe général du droit selon lequel la fraude corrompt tout.
Au cas présent, pour voir ordonner une mesure in futurum portant, en premier lieu, sur les opérations comptables qui expliquent la disparité entre la projection en février 2023 des comptes pour l'exercice 2022 et les comptes effectivement soumis à approbation en août 2023 et, en second lieu, sur l'évaluation de la valorisation de la société Box 2 Home à la date de l'assemblée générale du 3 août 2023, la société [P] fait valoir qu'elle entend voir améliorer sa situation probatoire dans la perspective d'un procès potentiel aux fins d'annulation de l'assemblée générale extraordinaire du 3 août 2023 au motif qu'elle serait constitutive d'une fraude et d'une atteinte à ses droits d'associé minoritaire.
Or, la demande de mesure in futurum a été introduite avant toute action au fond puisqu'elle l'a été le 29 septembre 2023 alors que l'action en nullité n'a été initiée que le 27 juin 2024.
Par ailleurs, contrairement à ce qui a été jugé en première instance, la société [P] présente des éléments plausibles permettant d'ores et déjà de douter de la sincérité, d'une part, de la valorisation de la société retenue lors de l'assemblée générale à hauteur de 32 788 euros alors qu'elle était de 8 000 000 euros deux ans plus tôt et, d'autre part, de la sincérité des comptes votés par l'assemblée dans la mesure où entre les prévisions de février 2023 et ceux approuvés en août, le résultat d'exploitation est passé de 1 368 782 à 254 582 euros, les chiffres retenus en première instance pour contester la pertinence de cette comparaison étant inexacts.
En outre, contrairement à ce qui a été jugé, le simple fait que l'augmentation de capital s'imposait lorsqu'elle a été décidée, ne permet pas d'affirmer que le procès potentiel invoqué par la société [P] serait manifestement voué à l'échec dans la mesure où celle-ci ne soutient pas que l'augmentation litigieuse serait intrinsèquement frauduleuse mais uniquement que ses modalités seraient susceptibles de l'être au regard de la valorisation et du calendrier retenus de nature à évincer les associés minoritaires. Il en est de même du fait que la société [P] n'a pas souscrit à l'augmentation litigieuse alors que la possibilité lui en était offerte, celle-ci ne permettant pas d'écarter a priori l'existence de manoeuvres frauduleuses au détriment des associés minoritaires.
Par ailleurs, la mesure demandée est de nature à améliorer la situation probatoire de l'appelante dans le cadre du procès potentiel invoqué puisqu'elle est susceptible de confirmer ou d'infirmer la sincérité des comptes et de la valorisation retenue et à corroborer ou non l'existence de manoeuvres frauduleuses au détriment des associés minoritaires.
En outre, la mesure d'instruction sollicitée apparaît proportionnée au regard des différents intérêts en présence et notamment du droit à la preuve de l'appelante et du nécessaire respect du secret des affaires.
Enfin, les opérations pour lesquelles une mesure d'instruction probatoire est demandée ne s'analysant pas en opérations de gestion puisqu'elles n'émanent pas des organes dirigeants, elles relèvent bien du domaine de l'expertise in futurum et non de celui de l'expertise prévue à l'article L.225-231 du code de commerce.
Dès lors, la décision entreprise sera infirmée en ce qu'elle rejette la demande sur ce fondement et une mesure d'expertise sera ordonnée dans les conditions prévues au dispositif, la société [P] faisant, pour celle-ci, l'avance des frais demandés.
Sur les demandes accessoires
La société [P] sera tenue aux dépens.
Les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
L'ordonnance sera confirmée de ces chefs.
PAR CES MOTIFS
Infirme l'ordonnance en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'elle rejette les demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile et condamne M. [P] aux dépens et la confirme de ces chefs ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Déclare la demande d'expertise de gestion recevable ;
Ordonne une expertise de gestion ;
Désigne M. [R] ([Adresse 3], tel : [XXXXXXXX01], email : [Courriel 6]) en qualité d'expert avec pour mission de :
- se faire communiquer tout document utile à l'accomplissement de sa mission, notamment les pièces contractuelles ainsi que les documents comptables de la société Box 2 Home pour les exercices clos au 31 décembre 2021 et au 31 décembre 2022 (le bilan détaillé, le compte de résultat détaillé, l'annexe, le livre journal, le grand livre, le tableur Excel comportant le reporting comptable mensuel de la société Box 2 Home) qui lui permettront de prendre connaissance du traitement comptable des opérations de gestion objets de la mission ;
- entendre tout sachant ;
- faire un rapport sur les opérations de gestion suivantes :
- le traitement comptable et juridique du litige entre la société Ikea, la société Warning et la société Box 2 Home relatif à l'exécution des prestations de service de transport et d'entreposage sous-traitées par la société Box 2 Home à la société Warning sur l'exercice clos au 31 décembre 2022 ;
- le traitement comptable des facturations adressées par la société B2H à la société Box 2 Home pour des prestations informatiques au bénéfice de la société Warning, et le niveau de re facturation de ces coûts par la société Box 2 Home à la société Warning, sur l'exercice clos au 31 décembre 2022 ;
- la convention réglementée de prestations administratives, sociales, comptables et financières mentionnée dans le rapport spécial du commissaire aux comptes sur les conventions réglementées de la société Box 2 Home au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2022 et notamment les modalités de calcul et de facturation de la redevance par la société Warning ainsi que les justifications apportées par cette dernière sur la réalité des prestations qu'elle facture à ce titre à la société Box 2 Home et sur le montant de la redevance qu'elle perçoit ;
- les motifs et la portée de la modification de la présentation des comptes ayant abouti à la hausse significative du sous-compte 'Autres charges' entre le compte de résultat de la société Box 2 Home au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2021 et celui clos 31décembre 2022 ;
Dit que l'expert donnera son avis sur les irrégularités éventuellement relevées dans les quatre actes de gestion examinés ;
Dit que l'expert donnera son avis sur l'existence et le quantum des préjudices qui résulteraient des irrégularités relevées pour la société ou les associés minoritaires ;
Dit que l'expert devra déposer son rapport dans un délai de six mois à compter de sa saisine ;
Dit que la société Box 2 home aura la charge de la rémunération de l'expert sur ces opérations ;
Dit qu'en application de l'article 964-2 du code de procédure civile, le contrôle de la mesure d'expertise ordonnée par le présent arrêt est confié au juge chargé de contrôler les mesures d'instruction de la juridiction dont émane l'ordonnance de référé ainsi réformée ;
Dit qu'en application de l'article R. 225-163 du code de commerce, le rapport d'expertise sera déposé au greffe du tribunal de commerce et le greffier en assurera la communication;
Ordonne une expertise probatoire ;
Désigne M. [R] ([Adresse 3], tel : [XXXXXXXX01], email : [Courriel 6]) en qualité d'expert avec pour mission de :
- convoquer les parties ;
- se faire communiquer tous documents utiles à l'accomplissement de sa mission, et entendre les personnes informées ;
- répondre à tous dires et réquisitions des parties ;
- entendre tout sachant ;
- prendre connaissance de tous documents contractuels ;
- analyser les opérations comptables qui expliquent la disparité entre, d'une part, la projection des comptes pour l'exercice clos le 31 décembre 2022, circularisée par Warning auprès des dirigeants de Box 2 Home le 3 février 2023, et, d'autre part, les comptes pour l'exercice clos le 31 décembre 2022 tels que présentés à et approuvés par l'assemblée générale du 3 août 2023 et donner tout élément utile de nature à permettre d'en apprécier la sincérité ;
- examiner les conditions dans lesquelles a été faite l'évaluation de la valorisation de la société Box 2 Home à la date de l'assemblée générale du 3 août 2023 et donner tout élément utile de nature à permettre d'en apprécier la sincérité ;
Dresser un rapport sur le tout ;
Dit que l'expert pourra s'adjoindre, s'il en est un besoin avéré, tout spécialiste de son choix, à charge pour lui d'en informer préalablement le magistrat chargé du contrôle des expertises et de joindre l'avis du sapiteur à son rapport ;
Dit que si le sapiteur n'a pas pu réaliser ses opérations de manière contradictoire, son avis devra être immédiatement communiqué aux parties par l'expert ;
Dit que l'expert devra communiquer un pré-rapport aux parties en leur impartissant un délai raisonnable pour la production de leurs dires écrits auxquels il devra répondre dans son rapport définitif ;
Dit que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 et suivants du code de procédure civile, qu'en particulier, il pourra recueillir les déclarations de toute personne informée et s'adjoindre tout spécialiste de son choix pris sur la liste des experts près de cette cour ;
Fixe à la somme de 4 000 euros la provision concernant les frais d'expertise qui devra être consignée par la société [P] avant le 1er juin 2025, entre les mains du régisseur d'avances et de recettes du tribunal judiciaire de Paris ;
Dit que faute de consignation de la provision dans ce délai impératif, ou demande de prorogation sollicitée et accordée en temps utile, la désignation de l'expert sera caduque et de nul effet ;
Dit que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 232 à 248, 263 à 284-1 du code de procédure civile et qu'il déposera l'original de son rapport au greffe de ce tribunal avant le 1er novembre 2025 sauf prorogation de ce délai dûment sollicitée en temps utile de manière motivée auprès du juge du contrôle ;
Dit que l'expert devra adresser à chacune des parties, par tout moyen permettant d'en établir la réception, un exemplaire de son rapport accompagné de sa demande de rémunération ;
Dit que, dans le délai de quinze jours suivant la demande de rémunération, les parties pourront adresser à l'expert et au juge chargé de contrôler l'exécution des mesures d'instruction leurs observations écrites aux fins de fixation de la rémunération de l'expert;
Dit qu'en cas d'observations écrites sur sa demande de rémunération, l'expert disposera d'un délai de quinze jours à compter de la réception de celle-ci pour formuler contradictoirement ses observations en réponse ;
Désigne le juge chargé du contrôle des expertises du tribunal judiciaire de Paris pour surveiller les opérations d'expertise, par application de l'article 964-2 du code de procédure civile ;
Dit qu'en cas d'empêchement, retard ou refus de l'expert commis, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance rendue sur requête par le juge chargé du contrôle de l'expertise du tribunal judiciaire de Paris ;
Condamne la société [P] aux dépens d'appel ;
Rejette les demandes des parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 3
ARRÊT DU 13 MARS 2025
(n° 112 , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/11012 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJTNE
Décision déférée à la cour : ordonnance du 31 mai 2024 - président du TC de Paris - RG n° 2023055674
APPELANTE
S.A.S. [P], RCS de Paris n°818281891, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Antoine BENECH de la SELARL SYGNA PARTNERS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0540
INTIMÉE
S.A.S. BOX 2 HOME, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 20 janvier 2025, en audience publique, rapport ayant été fait par Anne-Gaël BLANC, conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Michel RISPE, président de chambre
Anne-Gaël BLANC, conseillère
Valérie GEORGET, conseillère
Greffier lors des débats : Jeanne PAMBO
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Michel RISPE, président de chambre et par Jeanne PAMBO, greffier, présent lors de la mise à disposition.
La société Box 2 Home a été constituée le 3 février 2016, d'une part, par la société [P] qui est détenue par M [Y] et, d'autre part, par M. [H].
Elle a pour activité l'installation, le montage et la livraison du dernier kilomètre par l'intermédiaire d'une plate-forme.
Le 14 avril 2021, la société Warning, qui est spécialisée dans le transport de marchandises, a acquis 70 % du capital de la société Box 2 Home pour un montant de 5 600 000 euros, le surplus se répartissant entre la société [P] à hauteur de 25 % et M. [M] pour 5 %.
Il était prévu que M. [Y] exerce des fonctions salariées qu'il cumulerait avec un mandat de directeur général.
Le 3 avril 2023, M. [Y] a été licencié pour faute grave au motif qu'il aurait créé une entreprise concurrente alors qu'il était tenu d'une clause le lui interdisant.
En application de la clause dite de 'bad leaver' figurant au pacte d'actionnaires, ce licenciement a ouvert pour la société Warning la possibilité de racheter les parts de la société [P] à un prix décoté.
Le 26 juillet 2023, la société Warning a convoqué, pour le 3 août suivant, une assemblée générale afin d'approuver les comptes des années 2021 et 2022 et de voter une augmentation de capital de 2 000 000 d'euros par émission de 20 000 000 d'actions d'une valeur nominale de 0,10 euros.
A l'issue de cette opération, réalisée le 1er décembre 2023, les participations respectives des sociétés Warning, [P] et de M. [M] s'établissaient à 99, 52 %, 0,4 % et 0,08 %.
Par acte extrajudiciaire du 29 septembre 2023, la société [P] a assigné la société Box 2 box devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir ordonner une mesure d'expertise principalement sur le fondement de l'article L.225-231 du code de commerce et subsidiairement sur celui de l'article 145 du code de procédure civile.
Par ordonnance contradictoire du 31 mai 2024, le juge des référés a :
débouté la société [P] de ses demandes,
dit n'y avoir lieu à article 700 du code de procédure civile,
condamné la société [P] aux dépens.
Par déclaration du 14 juin 2024, la société [P] a relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble des chefs de son dispositif.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 16 décembre 2024, la société [P] demande à la cour de :
infirmer l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris rendue le 31 mai 2024 en ce qu'elle a :
débouté la société [P] de ses demandes ;
dit n'y avoir lieu à article 700 du code de procédure civile ;
condamné la société aux dépens ;
et, statuant à nouveau, de :
déclarer la société [P] recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions ;
désigner tel expert qu'il lui plaira, avec mission de :
les archives de la société Box 2 Home au besoin en se faisant assister d'un huissier territorialement compétent ;
se faire communiquer tout document utile à l'accomplissement de sa mission, notamment les pièces contractuelles ainsi que les documents comptables de la société Box 2 Home pour les exercices clos au 31 décembre 2021 et au 31 décembre 2022 (le bilan détaillé, le compte de résultat détaillé, l'annexe, le livre journal, le grand livre, le tableur Excel comportant le reporting comptable mensuel de la société Box 2 Home) qui lui permettront de prendre connaissance du traitement comptable des opérations de gestion susmentionnées ;
faire un rapport sur :
- le traitement comptable et juridique du litige entre la société Ikea, la société Warning et la société Box 2 Home relatif à l'exécution des prestations de service de transport et d'entreposage sous-traités par la société Box 2 Home à la société Warning sur l'exercice clos au 31 décembre 2022 ;
- le traitement comptable des facturations adressées par la société B2H à la société Box 2 Home pour des prestations informatiques au bénéfice de la société Warning, et le niveau de refacturation de ces coûts par la société Box 2 Home à la société Warning, sur l'exercice clos au 31 décembre 2022 ;
- la convention réglementée de prestations administratives, sociales, comptables et financières mentionnée dans le rapport spécial du commissaire aux comptes sur les conventions réglementées de la société Box 2 Home au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2022 et notamment les modalités de calcul et de facturation de la redevance par la société Warning ainsi que les justifications apportées par cette dernière sur la réalité des prestations qu'elle facture à ce titre à la société Box 2 Home et sur le montant de la redevance qu'elle perçoit ;
- les motifs et la portée de la modification de la présentation des comptes ayant abouti à la hausse significative du sous-compte « Autres charges » entre le compte de résultat de la société Box 2 Home au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2021 et celui clos 31 décembre 2022 ;
- les opérations comptables qui expliquent la disparité entre d'une part la projection des comptes pour l'exercice clos le 31 décembre 2022, circularisée par Warning auprès des dirigeants de Box 2 Home le 3 février 2023, et d'autre part les comptes pour l'exercice clos le 31 décembre 2022 tels que présentés à et approuvés par l'assemblée générale du 3 août 2023;
- l'évaluation de la valorisation de la société Box 2 Home à la date de l'assemblée générale du 3 août 2023 ;
dire que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 et suivants du code de procédure civile et, en particulier, qu'il pourra recueillir les déclarations de toute personne informée, en précisant son identité, et s'adjoindre tout spécialiste de son choix pris sur la liste des experts près ce tribunal ;
dire qu'en cas de difficultés, l'expert saisira le président qui aura ordonné l'expertise ou le juge désigné par lui ;
dire que les constatations et avis de l'expert seront consignés dans un rapport qui sera déposé au greffe de ce tribunal dans les trois mois de sa saisine ;
dire que l'expertise sera effectuée aux frais de la société Box 2 Home ;
fixer la provision à consigner au greffe à titre d'avance sur les honoraires de l'expert, dans le délai qui sera imparti par l'ordonnance à intervenir ;
dire que faute pour la société Box 2 Home de consigner la provision mise à sa charge dans le délai qui sera indiqué par l'ordonnance à intervenir, il en sera tiré toute conséquence ;
dire qu'en cas de refus ou d'empêchement de l'expert, il pourra être pourvu à son remplacement par simple ordonnance du juge chargé du contrôle des expertises au tribunal de commerce de Paris, d'office ou à la requête de la partie la plus diligente;
ordonner à la société Box 2 Home de remettre à l'expert ainsi désigné toute la documentation utile à l'accomplissement de sa mission ;
en tout état de cause, condamner la société Box 2 Home à verser la somme de 5 000 euros à la société [P] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et à l'intégralité des frais et dépens, au titre de la première instance (RG n° 2023055674);
condamner la société Box 2 Home à verser la somme de 3 000 euros à la société [P] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en l'intégralité des frais et dépens de la présente instance (RG n° 24/11012), en ce compris les frais d'expertise.
La société Box 2 Home a constitué avocat le 26 juin 2024 mais n'a pas conclu.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 décembre 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
Sur ce,
En application de l'article 954 du code de procédure civile, la société Box 2 Home qui n'a pas conclu est réputée s'approprier la motivation du premier juge qui a accueilli ses demandes.
Sur l'expertise de gestion
L'article L.225-231 du code de commerce dispose que :
'Une association répondant aux conditions fixées à l'article L. 22-10-44, ainsi que un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, peuvent poser par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, ainsi que, le cas échéant, des sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article L. 233-3. Dans ce dernier cas, la demande doit être appréciée au regard de l'intérêt du groupe. La réponse doit être communiquée aux commissaires aux comptes, s'il en existe.
A défaut de réponse dans un délai d'un mois ou à défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.
Le ministère public et le comité d'entreprise peuvent également demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.
S'il est fait droit à la demande, la décision de justice détermine l'étendue de la mission et des pouvoirs des experts. Elle peut mettre les honoraires à la charge de la société.
Le rapport est adressé au demandeur, au ministère public, au comité d'entreprise, au commissaire aux comptes et, selon le cas, au conseil d'administration ou au directoire et au conseil de surveillance. Ce rapport doit, en outre, être annexé à celui établi par les commissaires aux comptes, s'il en existe, en vue de la prochaine assemblée générale et recevoir la même publicité.'
Cet article est applicable aux sociétés par actions simplifiées par renvoi de l'article L 227-1 du même code.
Il est constant que l'expertise de gestion ainsi prévue n'est pas un mode d'information sur l'ensemble de la gestion de la société mais un moyen accordé aux associés minoritaires pour obtenir des renseignements sur la valeur ou la portée d'une ou plusieurs opérations de gestion déterminées.
La demande qui en est faite doit présenter un caractère sérieux en permettant de caractériser des présomptions d'irrégularités affectant l'opération de gestion critiquée. Si dans la plupart des cas la portée de l'acte contesté s'apprécie par rapport à l'intérêt social, elle peut tout autant être analysée par rapport à l'intérêt personnel d'un associé minoritaire, les textes ne limitant pas la demande de désignation d'un expert de gestion à la seule hypothèse d'une atteinte à l'intérêt de la personne morale.
La juridiction saisie d'une demande d'expertise de gestion est tenue de l'ordonner dès lors qu'elle relève des présomptions d'irrégularités affectant une ou plusieurs opérations de gestion déterminées.
Constitue un acte de gestion l'acte émanant d'un organe de gestion. En revanche, sont exclues de l'expertise de gestion les décisions prises par une assemblée d'actionnaires.
Par ailleurs, en application des articles 31 et 122 du code de procédure civile, l'existence du droit d'agir en justice s'apprécie à la date de la demande introductive d'instance et ne peut être remise en cause par l'effet de circonstances postérieures (Com. 6 déc. 2005, n° 04-10.287 P).
En l'espèce, le premier juge, dont l'intimée est réputée s'approprier la motivation, a considéré que la demande était irrecevable au motif qu'au jour de son examen, la part de la société [P] était inférieure à 5 % du capital social.
Cependant, comme le souligne la société appelante, à la date de l'introduction de l'instance devant le président du tribunal de commerce, le 29 septembre 2023, l'augmentation de capital n'avait pas encore été réalisée et elle détenait encore 25% des parts de la société Box 2 Home de sorte que sa demande était recevable.
La société [P] entend voir procéder à une expertise de gestion sur les opérations suivantes:
le traitement comptable et juridique du litige entre la société Ikea, la société Warning et la société Box 2 Home relatif à l'exécution des prestations de service de transport et d'entreposage sous-traités par la société Box 2 Home à la société Warning sur l'exercice clos au 31 décembre 2022 ;
le traitement comptable des facturations adressées par la société B2H à la société Box 2 Home pour des prestations informatiques au bénéfice de la société Warning, et le niveau de refacturation de ces coûts par la société Box 2 Home à la société Warning, sur l'exercice clos au 31 décembre 2022 ;
la convention réglementée de prestations administratives, sociales, comptables et financières mentionnée dans le rapport spécial du commissaire aux comptes sur les conventions réglementées de la société Box 2 Home au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2022 et notamment les modalités de calcul et de facturation de la redevance par la société Warning ainsi que les justifications apportées par cette dernière sur la réalité des prestations qu'elle facture à ce titre à la société Box 2 Home et sur le montant de la redevance qu'elle perçoit ;
les motifs et la portée de la modification de la présentation des comptes ayant abouti à la hausse significative du sous-compte « Autres charges » entre le compte de résultat de la société Box 2 Home au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2021 et celui clos 31 décembre 2022 ;
Les opérations ainsi visées sont précisément ciblées et l'expertise demandée ne porte passur l'ensemble de la gestion de la société. Elles ne constituent par ailleurs pas de simples passages d'écritures comptables mais traduisent une décision des organes de gestion de la société de sorte qu'elles peuvent être qualifiées d'opérations de gestion.
Par ailleurs, le 25 août 2023, la société [P] a sollicité par écrit auprès de la présidente de la société Box 2 home, la société Warning, des explications sur les modalités et la comptabilisation de ces opérations de gestion.
La demande d'expertise porte sur quatre opérations concernées par les questions 1, 3, 4 et 5 ainsi posées auxquelles la société Warning a répondu près de trois mois plus tard le 17 novembre suivant.
A la première question 'Au cours de l'année 2022, Box 2 Home a sous-traité auprès de Warning (sa présidente et son associée majoritaire) des services de transport et d'entreposage pour le compte de son client Ikea. Les prestations réalisées par Warning se sont révélées défectueuses, les produits confiés par Ikea ayant été endommagés lors de leur transport ou entreposage.
Ikea a résilié le marché et sollicité une indemnisation au titre de ses produits endommagés. [P] souhaite connaître le traitement juridique et comptable de ce litige. A-t-il donné lieu à une indemnisation d'Ikea, et pour quel montant, enregistrée dans les Comptes 2022 ' Et dans cette hypothèse, cette charge a-t-elle été refacturée, sur l'exercice 2022, à Warning, responsable de la réclamation Ikea '', la société Warning a apporté la réponse suivante : 'les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2022 ne font apparaitre aucune charge liée au différend avec IKEA'.
Comme le soutient la société [P], cette réponse, purement formelle, est lacunaire, dans la mesure où l'absence de traitement comptable de ce litige, dont l'existence n'est aucunement contestée, devait nécessairement être explicité.
La troisième question posée était la suivante :
'Sur l'exercice 2022, Warning a confié à Box 2 Home des prestations informatiques sous-traitées à sa filiale tunisienne B2H (« B2H ») qui a conçu et développé la solution digitale proposée par Box 2 Home. B2H a facturé mensuellement Box 2 Home qui les a refacturés à Warning. Ce cadre contractuel et les flux financiers qu'il a induit sur l'exercice 2022, figure-t-il dans les comptes 2022 ' et notamment les refacturations à Warning des prestations réalisées à son profit par la Société et sous-traitées à B2H '
Il y a été répondu ainsi :
'les comptes de Box 2 home au 31 décembre 2022 intégrent :
- la refacturation à Warning de prestations réalisées par la filiale tunisienne B2H à hauteur de 241 460 euros,
- la refacturation à Warning de prestations réalisées par Box 2 home à hauteur de 132 156 euros.'
Or, comme le souligne la société [P], cette réponse présente des incohérences avec le tableau Excel récapitulatif des prestations informatiques à refacturer à la société Warning pour chaque mois de l'année 2022 (pièce 19) dans lequel le total facturé pour l'ensemble des mois cumulés est de 532 695 euros alors que la réponse mentionne une somme globale de 373 616 euros (241 460 + 132 156). Elle manque également de cohérence avec le montant renseigné en réponse à la cinquième question, la refacturation à la société Warning des prestations facturées par la société B2H étant de 250 683 euros au lieu de 241 460 euros dans la présente réponse.
La quatrième question était formulée comme suit 'Le rapport spécial du commissaire aux comptes sur les conventions réglementées fait état d'un contrat de prestations administratives, sociales, comptables et financières à effet du 1er janvier 2022 conclu entre Warning et la société aux termes duquel la redevance versée à Warning, d'un montant de 264 572,76 € au titre de l'exercice 2022, serait égale à la quote-part des coûts exposés dans l'intérêt de Box 2 Home, majorée d'un coefficient multiplicateur de 1,10. Pouvez-vous nous préciser à quelle date cette convention a été conclue ' Comment cette redevance est calculée et facturée et selon quelle périodicité',
Il a été répondu ainsi :
'Les sommes dues au titre de la convention de prestations conclue le 31 mars 2022 avec effet rétroactif au 1er janvier 2022 ont été déterminées en intégrant :
- la quote-part de temps passé sur la société Box 2 home en 2022 par le comptable (75%), le DAF (20%), la responsable paie (10%) et le DRH (10%) X leur salaire annuel charge,
- la quote-part de frais généraux du groupe affecté à Box 2 home (6%),
- une marge de 10%.'
Or, la société [P] fait valoir à juste titre que la quote-part renseignée par la société Warning du temps passé pour la société Box 2 Home par le comptable, le directeur administratif et financier, le responsable paie et le directeur de Warning apparaît élevée au regard de la taille de la société Box 2 Home (22 salariés) comparée aux autres sociétés du groupe Warning (632 salariés pour Euromatic en 2022 par exemple ). Elle peut dès lors légitimement craindre comme elle l'indique que cette opération révèle une surfacturation au détriment de l'intérêt social de la société Box 2 Home.
La cinquième question était formulée ainsi : Le compte de résultat 2022 comporte un sous compte « Autres charges » dont le montant a très fortement augmenté par rapport aux exercices 2021 et 2020 (559 457 € en 2022, 1 822 € en 2021 et 163 € en 2020). [P] demande le détail de ce sous-compte pour l'exercice 2022 et les causes de cette forte augmentation'.
Warning a répondu en ces termes :
'L'augmentation des sommes contenues dans le compte 'Autres Charges' provient d'une différence dans la présentation de ce compte.
En 2022 ce poste intègre :
- les prestations administratives, comptables et RH facturées par Warning à hauteur de 264 573 euros, il s'agissait de salaires et honoraires en 2021 et 2020 ;
- le reclassement des frais de développement de la filiale B2H Tunisie refacturés à Warning à hauteur de 250 683 euros (charge entiérement refacturée par Box 2 home).
Les prestations facturées par la filiale tunisienne B2H sont réparties comme suit en 2022:
- part immobilisée par Box 2 home: 316 671,15
- part refacturée a Warning: 250 682,52
part prise en charge par Box 2 home: 138 381,78
- des corrections de comptes sur exercices antérieurs a hauteur de 44 202 euros (créances antérieures sans objet).'
Cependant, ce faisant, comme le note l'appelante, la société Warning n'explique ni dans quel compte les frais des prestations de la société B2H refacturés à la société Warning étaient comptabilisés au cours de l'exercice précédent ni la raison pour laquelle elle a modifié la présentation comptable entre les comptes de ses exercices clos respectivement les 31 décembre 2021 et 2022.
Il se déduit de ce qui précède que les réponses apportées par la société Box 2 home, incomplètes sur certains points, laissent subsister un besoin d'information et ne présentent pas un caractère satisfaisant au sens de l'article L. 225-231 susmentionné.
En outre, le seul fait que M. [Y], qui détient la société [P], ait exercé un mandat de dirigeant de la société Box 2 home au cours de l'exercice 2022 ne signifie pas nécessairement qu'il avait connaissance du détail des opérations litigieuses et ne prive donc pas d'intérêt l'expertise de gestion sollicitée.
Par ailleurs, il existe des présomptions d'irrégularités et d'atteinte à l'intérêt social sur les points sur lesquels la société [P] peut légitimement s'interroger et auxquelles les réponses, incomplètes, ne permettent pas de répondre de façon certaine en écartant le doute sur le fait que ces opérations n'aient pas été conformes à l'intérêt social de Box 2 Home et ait eu pour seul but de favoriser l'associé majoritaire au détriment des minoritaires.
L'ensemble de ces éléments démontre, d'abord, qu'il a été procédé à l'interrogation des dirigeants préalablement à la demande d'expertise, ensuite, que la réponse a été insuffisante, enfin, que la demande d'expertise de gestion repose sur une justification sérieuse, les opérations dénoncées par les appelantes étant susceptibles de nuire à l'intérêt social.
L'ordonnance entreprise sera donc infirmée et une expertise de gestion ordonnée dans les conditions prévues aux dispositif.
Conformément à ce qui est prévu au quatrième alinéa de l'article L.225-231 du code de commerce, la rémunération de l'expert de gestion sera à la charge de la société Box 2 home, dans l'intérêt de laquelle l'expertise de gestion est ordonnée.
Sur la mesure d'expertise in futurum
En vertu de l'article 145 du code de procédure civile, 's'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé'.
L'application de ces dispositions suppose de constater la possibilité d'un procès potentiel, non manifestement voué à l'échec, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu'il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond, et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée.
Par ailleurs, la procédure prévue par l'article 145 du code de procédure civile n'est pas limitée à la conservation des preuves mais peut également tendre à leur établissement
En outre, une mesure d'instruction ne visant, en réalité, qu'à fournir aux actionnaires minoritaires demandeurs des informations sur des opérations de gestion, relevant comme telles du mécanisme prévu à l'article L. 225-231 du code de commerce, et non à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ne peut pas être ordonnée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile (Com., 11 septembre 2024, pourvoi n° 23-12.681, 22-24.160).
Enfin, en application de l'article 1844-10, alinéa 3, du code civil, la nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent titre, à l'exception du dernier alinéa de l'article 1833, ou de l'une des causes de nullité des contrats en général.
Ainsi, une délibération peut-elle être annulée en cas d'abus de majorité caractérisé par une décision contraire à l'intérêt social et prise dans l'unique dessein de favoriser les associés majoritaires au détriment de l'associé ou des associés minoritaires. En outre, le caractère potentiellement frauduleux d'une émission de parts sociales à une valeur nominale ne reflétant pas leur valeur réelle peut justifier de prononcer la nullité de la délibération afférente en application du principe général du droit selon lequel la fraude corrompt tout.
Au cas présent, pour voir ordonner une mesure in futurum portant, en premier lieu, sur les opérations comptables qui expliquent la disparité entre la projection en février 2023 des comptes pour l'exercice 2022 et les comptes effectivement soumis à approbation en août 2023 et, en second lieu, sur l'évaluation de la valorisation de la société Box 2 Home à la date de l'assemblée générale du 3 août 2023, la société [P] fait valoir qu'elle entend voir améliorer sa situation probatoire dans la perspective d'un procès potentiel aux fins d'annulation de l'assemblée générale extraordinaire du 3 août 2023 au motif qu'elle serait constitutive d'une fraude et d'une atteinte à ses droits d'associé minoritaire.
Or, la demande de mesure in futurum a été introduite avant toute action au fond puisqu'elle l'a été le 29 septembre 2023 alors que l'action en nullité n'a été initiée que le 27 juin 2024.
Par ailleurs, contrairement à ce qui a été jugé en première instance, la société [P] présente des éléments plausibles permettant d'ores et déjà de douter de la sincérité, d'une part, de la valorisation de la société retenue lors de l'assemblée générale à hauteur de 32 788 euros alors qu'elle était de 8 000 000 euros deux ans plus tôt et, d'autre part, de la sincérité des comptes votés par l'assemblée dans la mesure où entre les prévisions de février 2023 et ceux approuvés en août, le résultat d'exploitation est passé de 1 368 782 à 254 582 euros, les chiffres retenus en première instance pour contester la pertinence de cette comparaison étant inexacts.
En outre, contrairement à ce qui a été jugé, le simple fait que l'augmentation de capital s'imposait lorsqu'elle a été décidée, ne permet pas d'affirmer que le procès potentiel invoqué par la société [P] serait manifestement voué à l'échec dans la mesure où celle-ci ne soutient pas que l'augmentation litigieuse serait intrinsèquement frauduleuse mais uniquement que ses modalités seraient susceptibles de l'être au regard de la valorisation et du calendrier retenus de nature à évincer les associés minoritaires. Il en est de même du fait que la société [P] n'a pas souscrit à l'augmentation litigieuse alors que la possibilité lui en était offerte, celle-ci ne permettant pas d'écarter a priori l'existence de manoeuvres frauduleuses au détriment des associés minoritaires.
Par ailleurs, la mesure demandée est de nature à améliorer la situation probatoire de l'appelante dans le cadre du procès potentiel invoqué puisqu'elle est susceptible de confirmer ou d'infirmer la sincérité des comptes et de la valorisation retenue et à corroborer ou non l'existence de manoeuvres frauduleuses au détriment des associés minoritaires.
En outre, la mesure d'instruction sollicitée apparaît proportionnée au regard des différents intérêts en présence et notamment du droit à la preuve de l'appelante et du nécessaire respect du secret des affaires.
Enfin, les opérations pour lesquelles une mesure d'instruction probatoire est demandée ne s'analysant pas en opérations de gestion puisqu'elles n'émanent pas des organes dirigeants, elles relèvent bien du domaine de l'expertise in futurum et non de celui de l'expertise prévue à l'article L.225-231 du code de commerce.
Dès lors, la décision entreprise sera infirmée en ce qu'elle rejette la demande sur ce fondement et une mesure d'expertise sera ordonnée dans les conditions prévues au dispositif, la société [P] faisant, pour celle-ci, l'avance des frais demandés.
Sur les demandes accessoires
La société [P] sera tenue aux dépens.
Les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
L'ordonnance sera confirmée de ces chefs.
PAR CES MOTIFS
Infirme l'ordonnance en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'elle rejette les demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile et condamne M. [P] aux dépens et la confirme de ces chefs ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Déclare la demande d'expertise de gestion recevable ;
Ordonne une expertise de gestion ;
Désigne M. [R] ([Adresse 3], tel : [XXXXXXXX01], email : [Courriel 6]) en qualité d'expert avec pour mission de :
- se faire communiquer tout document utile à l'accomplissement de sa mission, notamment les pièces contractuelles ainsi que les documents comptables de la société Box 2 Home pour les exercices clos au 31 décembre 2021 et au 31 décembre 2022 (le bilan détaillé, le compte de résultat détaillé, l'annexe, le livre journal, le grand livre, le tableur Excel comportant le reporting comptable mensuel de la société Box 2 Home) qui lui permettront de prendre connaissance du traitement comptable des opérations de gestion objets de la mission ;
- entendre tout sachant ;
- faire un rapport sur les opérations de gestion suivantes :
- le traitement comptable et juridique du litige entre la société Ikea, la société Warning et la société Box 2 Home relatif à l'exécution des prestations de service de transport et d'entreposage sous-traitées par la société Box 2 Home à la société Warning sur l'exercice clos au 31 décembre 2022 ;
- le traitement comptable des facturations adressées par la société B2H à la société Box 2 Home pour des prestations informatiques au bénéfice de la société Warning, et le niveau de re facturation de ces coûts par la société Box 2 Home à la société Warning, sur l'exercice clos au 31 décembre 2022 ;
- la convention réglementée de prestations administratives, sociales, comptables et financières mentionnée dans le rapport spécial du commissaire aux comptes sur les conventions réglementées de la société Box 2 Home au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2022 et notamment les modalités de calcul et de facturation de la redevance par la société Warning ainsi que les justifications apportées par cette dernière sur la réalité des prestations qu'elle facture à ce titre à la société Box 2 Home et sur le montant de la redevance qu'elle perçoit ;
- les motifs et la portée de la modification de la présentation des comptes ayant abouti à la hausse significative du sous-compte 'Autres charges' entre le compte de résultat de la société Box 2 Home au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2021 et celui clos 31décembre 2022 ;
Dit que l'expert donnera son avis sur les irrégularités éventuellement relevées dans les quatre actes de gestion examinés ;
Dit que l'expert donnera son avis sur l'existence et le quantum des préjudices qui résulteraient des irrégularités relevées pour la société ou les associés minoritaires ;
Dit que l'expert devra déposer son rapport dans un délai de six mois à compter de sa saisine ;
Dit que la société Box 2 home aura la charge de la rémunération de l'expert sur ces opérations ;
Dit qu'en application de l'article 964-2 du code de procédure civile, le contrôle de la mesure d'expertise ordonnée par le présent arrêt est confié au juge chargé de contrôler les mesures d'instruction de la juridiction dont émane l'ordonnance de référé ainsi réformée ;
Dit qu'en application de l'article R. 225-163 du code de commerce, le rapport d'expertise sera déposé au greffe du tribunal de commerce et le greffier en assurera la communication;
Ordonne une expertise probatoire ;
Désigne M. [R] ([Adresse 3], tel : [XXXXXXXX01], email : [Courriel 6]) en qualité d'expert avec pour mission de :
- convoquer les parties ;
- se faire communiquer tous documents utiles à l'accomplissement de sa mission, et entendre les personnes informées ;
- répondre à tous dires et réquisitions des parties ;
- entendre tout sachant ;
- prendre connaissance de tous documents contractuels ;
- analyser les opérations comptables qui expliquent la disparité entre, d'une part, la projection des comptes pour l'exercice clos le 31 décembre 2022, circularisée par Warning auprès des dirigeants de Box 2 Home le 3 février 2023, et, d'autre part, les comptes pour l'exercice clos le 31 décembre 2022 tels que présentés à et approuvés par l'assemblée générale du 3 août 2023 et donner tout élément utile de nature à permettre d'en apprécier la sincérité ;
- examiner les conditions dans lesquelles a été faite l'évaluation de la valorisation de la société Box 2 Home à la date de l'assemblée générale du 3 août 2023 et donner tout élément utile de nature à permettre d'en apprécier la sincérité ;
Dresser un rapport sur le tout ;
Dit que l'expert pourra s'adjoindre, s'il en est un besoin avéré, tout spécialiste de son choix, à charge pour lui d'en informer préalablement le magistrat chargé du contrôle des expertises et de joindre l'avis du sapiteur à son rapport ;
Dit que si le sapiteur n'a pas pu réaliser ses opérations de manière contradictoire, son avis devra être immédiatement communiqué aux parties par l'expert ;
Dit que l'expert devra communiquer un pré-rapport aux parties en leur impartissant un délai raisonnable pour la production de leurs dires écrits auxquels il devra répondre dans son rapport définitif ;
Dit que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 et suivants du code de procédure civile, qu'en particulier, il pourra recueillir les déclarations de toute personne informée et s'adjoindre tout spécialiste de son choix pris sur la liste des experts près de cette cour ;
Fixe à la somme de 4 000 euros la provision concernant les frais d'expertise qui devra être consignée par la société [P] avant le 1er juin 2025, entre les mains du régisseur d'avances et de recettes du tribunal judiciaire de Paris ;
Dit que faute de consignation de la provision dans ce délai impératif, ou demande de prorogation sollicitée et accordée en temps utile, la désignation de l'expert sera caduque et de nul effet ;
Dit que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 232 à 248, 263 à 284-1 du code de procédure civile et qu'il déposera l'original de son rapport au greffe de ce tribunal avant le 1er novembre 2025 sauf prorogation de ce délai dûment sollicitée en temps utile de manière motivée auprès du juge du contrôle ;
Dit que l'expert devra adresser à chacune des parties, par tout moyen permettant d'en établir la réception, un exemplaire de son rapport accompagné de sa demande de rémunération ;
Dit que, dans le délai de quinze jours suivant la demande de rémunération, les parties pourront adresser à l'expert et au juge chargé de contrôler l'exécution des mesures d'instruction leurs observations écrites aux fins de fixation de la rémunération de l'expert;
Dit qu'en cas d'observations écrites sur sa demande de rémunération, l'expert disposera d'un délai de quinze jours à compter de la réception de celle-ci pour formuler contradictoirement ses observations en réponse ;
Désigne le juge chargé du contrôle des expertises du tribunal judiciaire de Paris pour surveiller les opérations d'expertise, par application de l'article 964-2 du code de procédure civile ;
Dit qu'en cas d'empêchement, retard ou refus de l'expert commis, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance rendue sur requête par le juge chargé du contrôle de l'expertise du tribunal judiciaire de Paris ;
Condamne la société [P] aux dépens d'appel ;
Rejette les demandes des parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT