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Décisions

CA Nancy, 2e ch., 13 mars 2025, n° 24/01512

NANCY

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel de Lorraine (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Martin

Conseillers :

Mme Abel, Mme Girardot

Avocats :

Me Chardon, Me Cahen

TJ Sarreguemines, du 8 déc. 2020, n° 18/…

8 décembre 2020

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 18 juillet 2011, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Lorraine (ci-après la CRCAM de Lorraine) a consenti à M. [R] [L] un prêt d'un montant de 220 000 euros remboursable sur une durée de 120 mois (en 119 échéances hors assurance de 2 232,62 euros suivies d'une échéance de 2 233,29 euros au 15 octobre 2021) au taux de 4,05 % l'an, afin de financer l'acquisition d'un bien immobilier constituant sa résidence principale sise à [Localité 5], [Adresse 2].

Le 4 août 2014, la CRCAM de Lorraine a assigné M. [R] [L] en paiement suite à la défaillance dans le remboursement des mensualités.

Par jugement en date du 3 mai 2016, le tribunal de grande instance de Sarreguemines a condamné M. [R] [L] à payer à la CRCAM de Lorraine la somme de 176 243,81 euros, avec intérêts au taux contractuel de 4,05 % à compter du 15 juin 2015, au titre des sommes dues en vertu du prêt immobilier. Par arrêt en date du 21 décembre 2017, la cour d'appel de Metz a infirmé le jugement, et a débouté la CRCAM de Lorraine de ses demandes au motif que la créance n'était pas exigible en raison de l'irrégularité de la notification de la déchéance du terme du contrat de prêt.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 30 mars 2018 signifiée par dépôt à l'étude le 18 avril 2018, la CRCAM a mis M. [R] [L] en demeure de s'acquitter des échéances échues et impayées du prêt à hauteur de 105 282 euros dans un délai de quinze jours à réception du courrier, sous peine de déchéance du terme.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 5 juin 2018, signifiée par dépôt à l'étude le 20 juin 2018, la CRCAM de Lorraine a fait signifier à M. [R] [L] la déchéance du terme du prêt, et l'a mis en demeure de lui payer dans un délai de quinze jours à réception du courrier la totalité des sommes exigibles évaluées à hauteur de 157 028,88 euros, suivant décompte arrêté provisoirement au 25 mai 2018.

- o0o-

Par acte d'huissier délivré le 7 août 2018, la CRCAM de Lorraine a fait assigner M. [R] [L] devant le tribunal de grande instance de Sarreguemines afin de le voir condamné à lui payer la somme de 157 028,88 euros, augmentée des intérêts au taux de 4,05 % sur le principal restant dû (128 329,11 euros) à compter du 26 mai 2018 (date du décompte), avec capitalisation annuelle des intérêts.

M. [R] [L] s'est prévalu de la prescription de la créance à hauteur de 42 419,78 euros, ainsi que de la déchéance du droit aux intérêts de la CRCAM de Lorraine pour le surplus, et a conclu au débouté des demandes de la CRCAM de Lorraine à défaut de production d'un décompte actualisé de créance. A titre subsidiaire, il a sollicité la réduction du montant de la clause pénale.

Par jugement en date du 8 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Sarreguemines a :

- déclaré irrecevable comme prescrite la demande en paiement de la CRCAM à hauteur de 11 834,84 euros en principal, intérêts et intérêts de retard,

- déclaré recevable la demande pour le surplus,

- déclaré irrecevable pour cause de prescription la demande de déchéance du droit aux intérêts de la CRCAM formulée par M. [R] [L],

- condamné M. [R] [L] à payer à la CRCAM une somme de 134 921,13 euros en capital, intérêts et intérêts de retard, outre intérêts au taux de 4,05 % sur la somme de 120 996,79 euros à compter du 5 juin 2018,

- débouté la CRCAM de sa demande de capitalisation annuelle des intérêts,

- condamné M. [R] [L] à payer à la CRCAM une somme d'un euro au titre de la clause pénale,

- condamné M. [R] [L] aux entiers dépens,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Le tribunal a retenu que le délai biennal de prescription de la créance de la CRCAM de Lorraine issu de l'article L. 218-2 du code de la consommation avait été interrompu par l'assignation délivrée le 7 août 2018, de sorte que l'action de la CRCAM de Lorraine était prescrite pour les sommes échues et impayées avant le 7 août 2016.

Il a jugé que la demande de déchéance du droit aux intérêts pour manquement de la banque aux obligations de l'article L. 312-10 du code de la consommation formulée par M. [L] était prescrite comme n'ayant pas été formée dans les cinq ans de la signature du contrat de prêt.

Il a constaté la régularité de la déchéance du terme prononcée par courrier du 5 juin 2018, et a rejeté la demande de capitalisation annuelle des intérêts prohibée en matière de crédit immobilier. Il a réduit le montant de la clause pénale de 7% en raison de son caractère manifestement excessif au regard du préjudice subi par la banque.

- o0o-

Le 23 décembre 2020, M. [R] [L] a formé appel du jugement tendant à son infirmation en ce qu'il a déclaré la demande en paiement de la CRCAM de Lorraine partiellement recevable comme non prescrite, et sa demande de déchéance du droit aux intérêts de la CRCAM de Lorraine irrecevable pour cause de prescription, et en ce qu'il l'a condamné à payer à la CRCAM de Lorraine la somme de 134 921,13 euros en capital, intérêts et intérêts de retard, outre intérêts au taux de 4,05 % sur la somme de 120 996,79 euros à compter du 5 juin 2018, et l'a condamné au paiement de la somme d'un euro au titre de la clause pénale et aux dépens.

La CRCAM de Lorraine a formé appel incident du jugement en ses dispositions relatives à l'irrecevabilité partielle de sa demande en paiement et au montant de la condamnation mise à la charge de M. [R] [L], ainsi qu'à la réduction du montant de l'indemnité de résiliation à la somme d'un euro.

Par arrêt en date du 5 janvier 2023, la chambre commerciale de la cour d'appel de Metz a :

- confirmé le jugement du tribunal judiciaire de Sarreguemines du 8 décembre 2020 en ce qu'il a :

* déclaré irrecevable comme prescrite la demande en paiement de la CRCAM de Lorraine à hauteur de 11 834,84 euros en principal, intérêts et intérêts de retard,

* déclaré recevable la demande pour le surplus,

* débouté la CRCAM de Lorraine de sa demande de capitalisation annuelle des intérêts,

* condamné M. [R] [L] aux entiers dépens,

* dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

* dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- infirmé le jugement en ce qu'il a :

* déclaré irrecevable pour cause de prescription la demande de déchéance du droit aux intérêts formulée par M. [R] [L],

* condamné M. [R] [L] à payer à la CRCAM de Lorraine une somme de 134 921,13 euros en capital, intérêts et intérêts de retard, outre intérêts au taux de 4,05% sur la somme de 120 996,79 euros à compter du 5 juin 2018,

* condamné M. [L] à payer à la CRCAM de Lorraine une somme d'un euro au titre de la clause pénale,

* débouté les parties du surplus de leurs demandes,

Et, statuant à nouveau,

- déclaré recevable la demande de déchéance du droit aux intérêts formée par M. [R] [L],

- condamné M. [R] [L] à payer à la CRCAM de Lorraine les sommes de :

* 126 516,55 euros avec intérêts au taux contractuel de 4,05 % 1'an à compter du 20 juin 2018,

* 8 856,15 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt,

- débouté les parties du surplus de leurs prétentions,

- condamné M. [R] [L] aux dépens,

- laissé à chacune des parties la charge des frais engagés par elles et non compris dans les dépens.

M. [R] [L] a formé un pourvoi contre l'arrêt rendu le 5 janvier 2023 en invoquant un moyen unique de cassation, tiré de l'absence d'examen d'office par la cour d'appel du caractère abusif de la clause du contrat de prêt immobilier autorisant la banque à exiger immédiatement, sans préavis d'une durée raisonnable, la totalité des sommes dues au titre de ce prêt en cas de défaut de paiement d'une échéance à sa date, en violation de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016.

Par arrêt en date du 29 mai 2024, la première chambre civile de la Cour de Cassation a cassé et annulé partiellement l'arrêt rendu le 5 janvier 2023 par la cour d'appel de Metz en ce qu'il a condamné M. [R] [L] à payer à la CRCAM de Lorraine la somme de 126 516,55 euros, avec intérêts au taux contractuel de 4,05 % l'an à compter du 20 juin 2018 et rejeté le surplus des demandes. Il a remis sur ces points l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Nancy.

La Cour de Cassation a retenu que ' la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d'une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement ', déterminant le caractère abusif de la clause défini à l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016.

- o0o-

Par déclaration reçue au greffe le 24 juillet 2024, M. [R] [L] a saisi la cour d'appel de Nancy.

Dans ses dernières conclusions transmises le 17 janvier 2025, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [R] [L], appelant, demande à la cour :

- de dire son appel recevable et bien fondé,

- de dire l'appel de la banque mal fondé,

En conséquence,

- de débouter la CRCAM de Lorraine de l'ensemble de ses demandes formées devant la cour d'appel de céans,

Si la cour devait estimer que ses demandes formulées dans le cadre de ses conclusions du ' 5 novembre 2025 ' (sic) étaient fondées sur les sommes dues par M. [R] [L] du fait du prêt venu à son terme :

- de déclarer ces demandes tant irrecevables comme nouvelles, que subsidiairement prescrites et forcloses,

Et ne faisant droit qu'à son seul appel,

- d'infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Sarreguemines en date du 8 décembre 2020 en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau, vu l'arrêt de la Cour de cassation, vu l'absence de déchéance de terme du prêt objet du litige,

- de débouter la CRCAM de Lorraine de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions y compris de sa demande au titre d'une indemnité de résiliation,

En tant que de besoin,

- de déclarer la banque, la CRCAM de Lorraine, irrecevable en ces demandes de paiement de toutes sommes au titre du prêt objet du litige comme prescrites, subsidiairement mal fondées,

A titre infiniment subsidiaire,

- de dire et prononcer la déchéance des intérêts du prêt objet du litige,

- d'inviter la CRCAM de Lorraine à recalculer l'ensemble de son décompte en tenant compte de la déchéance des intérêts et ce à compter du jour de la conclusion du contrat,

- de confirmer dans cette hypothèse les autres dispositions du jugement non contraires,

En toute hypothèse,

- de condamner la CRCAM de Lorraine au paiement des entiers frais et dépens de l'instance ayant donné lieu au jugement du tribunal de grande instance de Sarreguemines et à l'arrêt de la cour d'appel de Metz en date du 5 janvier 2023, ainsi que de la présente instance,

- de condamner la CRCAM de Lorraine à lui verser au titre de l'article 700 du code de procédure civile une somme de 9 000 euros.

Au soutien de ses demandes, M. [R] [L] fait valoir en substance :

- que la Cour de Cassation a jugé abusive ' la clause stipulant la possibilité pour la banque de résilier de plein droit le contrat de prêt quinze jours après une simple mise en demeure adressée à l'emprunteur par lettre recommandée avec avis de réception en cas de défaut de paiement de tout ou partie des sommes dues à leur échéance ' ; que la mise en demeure préalable du 18 avril 2018 est nulle et sans effet, étant censée n'avoir jamais existé ; qu'il ne peut y avoir déchéance du terme à défaut de mise en demeure ;

- que le prêt immobilier ayant continué à courir est parvenu à échéance le ' 18 juillet 2021 ' (sic), date de la dernière échéance, sans que la banque ne sollicite le paiement des échéances impayées ; que la CRCAM de Lorraine est prescrite et forclose à réclamer le paiement des échéances impayées du prêt depuis le 18 juillet 2023, s'agissant au surplus d'une demande totalement différente de la demande initiale en condamnation des sommes dues au titre de la déchéance du terme ;

- que subsidiairement, la formalité relative à l'acceptation de l'offre donnée par lettre, prévue à l'article L. 132-10 ancien du code de la consommation, n'a pas été respectée, et a pour conséquence la déchéance du droit aux intérêts du prêteur (selon l'article L. 312-33 dudit code) ;

- que l'indemnité de résiliation doit être réduite à l'euro symbolique à défaut de déchéance du terme valablement prononcée suite à une mise en demeure préalable valable ; que la banque doit recalculer l'indemnité.

Dans ses dernières conclusions transmises le 6 décembre 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la CRCAM de Lorraine, intimée et appelante à titre incident, demande à la cour :

- de dire et juger l'appel de M. [R] [L] à l'encontre du jugement du tribunal judiciaire de Sarreguemines du 8 décembre 2020 recevable en la forme mais non fondé,

En conséquence,

- de le rejeter,

- de débouter M. [R] [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- de dire et juger son appel incident recevable en la forme et bien fondé,

En conséquence,

- d'y faire droit,

- d'infirmer le jugement ' en ses dispositions relatives à la recevabilité de la demande en paiement de la CRCAM de Lorraine ' (sic), au montant de la condamnation mise à la charge de M. [R] [L] et à la réduction du montant de l'indemnité de résiliation à la somme d'un euro,

Et statuant à nouveau,

- de dire et juger la demande de la CRCAM de Lorraine prescrite à hauteur de la somme de 10 261,64 euros seulement,

- de dire et juger la demande en paiement de la CRCAM de Lorraine recevable pour le surplus,

- de dire n'y avoir lieu à réduction du montant de l'indemnité de résiliation à l'euro symbolique,

En toute hypothèse,

- de dire et juger que le prêt consenti par la CRCAM de Lorraine à M. [R] [L] est totalement échu,

En conséquence,

- de condamner M. [R] [L] à lui payer la somme de 146 767,24 euros avec les intérêts au taux de 4,05 % à compter du 5 juin 2018,

Subsidiairement,

- de prononcer la résolution judiciaire du prêt consenti par la CRCAM de Lorraine et de condamner M. [R] [L] à lui payer la somme de 146 767,24 euros avec les intérêts au taux de 4,05 % à compter du 5 juin 2018,

A titre infiniment subsidiaire,

- de condamner M. [R] [L] à lui payer la totalité des échéances impayées, soit la somme de 146 767,24 euros avec les intérêts au taux de 4,05 % à compter du 5 juin 2018,

- de condamner M. [R] [L] à lui payer une somme de 9 000 euros au titre des frais irrépétibles,

- de débouter M. [R] [L] de sa demande à ce titre,

- de condamner M. [R] [L] aux frais et dépens de la procédure d'appel et de confirmer le jugement ayant condamné M. [R] [L] aux dépens de la procédure de première instance.

Au soutien de ses demandes, la CRCAM de Lorraine fait valoir en substance :

- que la mise en demeure qui lui a été signifiée le 18 avril 2018 est conforme aux exigences posées par la jurisprudence puisqu'elle indique le contrat de prêt en cause, le délai de régularisation de 15 jours et à défaut, la sanction par la déchéance du terme du contrat de prêt ; que la défaillance de M. [R] [L] dans le remboursement des échéances du prêt n'est pas contestée par celui-ci, puisqu'après calcul des échéances considérées comme prescrites, il admet dans ses conclusions devoir une somme de 53 582,88 euros ; que le délai de plus de deux mois écoulé entre la mise en demeure préalable et la signification de la déchéance du terme est plus que raisonnable, de même que celui courant jusqu'à la délivrance de l'assignation ; que les significations des 18 avril 2018 et 20 juin 2018, faisant suite aux lettres de mise en demeure des 30 mars 2018 et 5 juin 2018, valent notification de la résolution du contrat selon l'article 1226 du code civil ; que les modalités de résolution du contrat par lettres recommandées avec accusé de réception, puis confirmées par actes d'huissiers de justice, n'ont pas créé un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment de M. [R] [L] ; que la déchéance du terme du contrat de prêt a été prononcée régulièrement, de sorte que la demande en paiement est recevable ;

- que le débat sur les conditions de survenance de la déchéance du terme est devenu sans objet puisque le prêt est totalement échu depuis le 15 octobre 2021, de sorte que l'intégralité des sommes dues est devenue exigible ;

- que dans l'hypothèse où les conditions de validité de la déchéance du terme seraient écartées, la cour prononcera la résolution judiciaire du contrat de prêt sur le fondement de l'article 1227 du code civil, et condamnera M. [R] [L] au paiement de la totalité des échéances impayées ; que la demande en paiement a été formée devant le tribunal de grande instance de Sarreguemines puis devant la cour d'appel de Metz, de sorte qu'aucune prescription ne peut être opposée sur le fondement de l'article L. 218-2 du code de la consommation dans la mesure où le délai était interrompu, et que la procédure engagée le 7 août 2018 se poursuit ; que la demande en paiement d'un contrat de prêt intégralement échu ne constitue pas une demande nouvelle devant la cour de renvoi puisqu'elle tend aux mêmes fins que celle présentée en première instance ;

- que l'arrêt de la cour de cassation ne porte pas sur le point relatif à la déchéance du droit aux intérêts ; qu'il est rappelé que la CRCAM de Lorraine avait soulevé la prescription de cette demande et que le tribunal l'avait considérée prescrite (s'agissant d'une exception de nullité se rapportant à un contrat ayant reçu exécution, selon l'article 1185 du code civil), dans la mesure où, dès la signature du contrat de prêt en juillet 2011, M. [R] [L] avait connaissance du non-respect des dispositions de l'article L. 312-10 du code de la consommation ;

- que la prescription de la demande en paiement à hauteur de 11 834,84 euros en principal, intérêts et intérêts de retard, retenue à l'arrêt de la cour d'appel de Metz est erronée, s'agissant d'une somme de 10 261,64 euros ;

- que le caractère manifestement excessif de l'indemnité de résiliation n'est pas établi ;

- que M. [R] [L] reste devoir la somme de 146 767,24 euros, exigible suite à l'échéance finale survenue le 15 octobre 2021, s'agissant d'une demande qui n'est pas nouvelle en ce qu'elle tend aux mêmes fins, à savoir obtenir la condamnation de M. [R] [L] ; que les fondements reposant sur la demande de résolution judiciaire ou sur l'effet échu du prêt sont différents car résultants de faits nouveaux consistant tant à l'évolution de la jurisprudence qu'à l'évolution de la dette de M. [R] [L] ; qu'aucune irrecevabilité ou prescription ne peut être soutenue.

- o0o-

La clôture de l'instruction a été prononcée le 5 février 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Au préalable, il y a lieu de constater que les chefs du dispositif de l'arrêt de la cour d'appel de Metz du 5 janvier 2023 relatifs à l'irrecevabilité pour cause de prescription de la demande en paiement de la CRCAM de Lorraine à hauteur de 11 834,84 euros en principal, intérêts et intérêts de retard (s'agissant de la prescription des échéances impayées antérieures au 7 août 2016), à la recevabilité de la demande de déchéance du droit aux intérêts de la CRCAM de Lorraine formée par M. [R] [L], et à la condamnation de M. [R] [L] à payer à la CRCAM de Lorraine la somme de 8 856,15 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l'arrêt à titre d'indemnité de résiliation (rejetant ainsi la demande de réduction de l'indemnité), sont définitifs à défaut de pourvoi formé sur ces points.

En effet, l'arrêt de la Cour de Cassation en date du 29 mai 2024, saisie par M. [R] [L] de l'absence d'examen d'office par la cour d'appel du caractère abusif de la clause d'exigibilité et de la délivrance d'une mise en demeure de mauvaise foi assimilée à une absence de mise en demeure valable, a cassé et annulé partiellement l'arrêt rendu le 5 janvier 2023 par la cour d'appel de Metz en ce qu'il a condamné M. [R] [L] à payer à la CRCAM de Lorraine la somme de 126 516,55 euros, avec intérêts au taux contractuel de 4,05 % l'an à compter du 20 juin 2018, date de signification de la déchéance du terme (correspondant au capital restant dû au 15 mai 2018 et aux échéances impayées non prescrites courant d'août 2016 à mai 2018 par acquisition de la clause résolutoire de déchéance du terme), et en ce qu'il a rejeté le surplus des demandes (liées à l'inopposabilité de la mise en demeure préalable à la déchéance du terme signifiée de mauvaise foi pour un montant disproportionné et prévoyant un délai insuffisant).

De même, il y a lieu de constater qu'aucun pourvoi n'a été formé à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Metz ayant débouté M. [R] [L] de sa demande tendant à voir prononcer la déchéance du droit aux intérêts sur le fondement de l'article L. 312-10 du code de la consommation, dans sa version antérieure à l'ordonnance du 14 mars 2016, portant sur la régularité de l'offre.

Sur le caractère abusif de la clause de déchéance du terme

L'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016, dispose que ' dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. (...) Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1156 à 1161,1163 et 1164 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l'exécution de ces deux contrats dépendent juridiquement l'une de l'autre. Les clauses abusives sont réputées non écrites. L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans lesdites clauses. Les dispositions du présent article sont d'ordre public.'

Or, afin d'apprécier le caractère abusif d'une clause contractuelle, il y a lieu d'examiner, au regard de l'ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat, si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépendait de l'inexécution par le consommateur d'une obligation qui présentait un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté était prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêtait un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté dérogeait aux règles de droit commun applicables en la matière en l'absence de dispositions contractuelles spécifiques ou si le droit national prévoyait des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l'application d'une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt.

Aussi, la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d'une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement.

En l'espèce, la clause relative à la déchéance du terme du contrat de prêt du 18 juillet 2011 ( figurant au paragraphe des conditions générales intitulé ' exigibilité du prêt ') stipule que, ' en cas de survenance de l'un quelconque des cas de déchéance du terme visés ci-après, le prêteur pourra se prévaloir de l'exigibilité immédiate du présent prêt, en capital, intérêts et accessoires, sans qu'il soit besoin d'aucune formalité judiciaire et après mise en demeure restée infructueuse pendant 15 jours : (...) - en cas de défaillance dans le remboursement des sommes dues en vertu du/des prêts du présent financement (....) '.

Or, le manquement de l'emprunteur visé par la clause porte sur ' une défaillance dans le remboursement des sommes dues ', de sorte que le défaut de paiement à l'origine de la résiliation du contrat peut porter sur tout ou partie d'une échéance ou plusieurs échéances, dont il n'est pas précisé la durée du retard de paiement.

Il en ressort que la gravité de l'inexécution visée par la clause ne peut être appréciée au regard de la durée (120 mois) et du montant du prêt (220 000 euros).

De même, la clause prévoit qu'à défaut de régularisation des sommes dues dans le délai de quinze jours après une mise en demeure restée infructueuse, M. [R] [L] est contraint de rembourser immédiatement le capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés, augmentés des intérêts de retard au taux du prêt jusqu'à la date de règlement effectif, outre une indemnité égale à 7% des sommes dues.

Or, il y a lieu de relever que la réception par l'emprunteur du courrier de mise en demeure peut intervenir après l'expiration du délai de quinze jours, dans la mesure où ce délai court à compter la date du courrier.

Dans ces conditions, l'absence de régularisation de sommes impayées, non définies précisément, dans un délai de quinze jours courant à compter de la date d'envoi d'un courrier de mise en demeure de payer, a pour conséquence immédiate, sans autre moyen d'y remédier, de rendre exigible la totalité des sommes restant à devoir en vertu du prêt consenti à hauteur de 220 000 euros au taux de 4,05 % l'an courant sur les sommes dues, et correspondant à un coût du crédit de 59 690,07 euros.

Il en résulte que le délai accordé à M. [R] [L] pour régulariser, tel que prévu à la clause contractuelle d'exigibilité du prêt, n'est pas d'une durée raisonnable.

Or, l'existence d'une mise en demeure assortie d'un délai suffisant s'impose comme un préalable indispensable au regard du droit commun des contrats.

Au surplus, le caractère abusif ou non de la clause contractuelle s'apprécie à la date de la conclusion du contrat, soit en l'espèce au 18 juillet 2011, indépendamment des circonstances postérieures mises en oeuvre pour l'application de ladite clause, et notamment de la signification des mises en demeure par actes d'huissier et du délai supérieur à 15 jours effectivement écoulé entre la mise en demeure préalable à la déchéance du terme, la notification de la déchéance du terme et l'assignation en paiement.

Aussi, cette clause de résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de rembourser les sommes dues sans préavis d'une durée raisonnable crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment de M. [R] [L], qui se trouve exposé à une aggravation soudaine de son endettement.

Dans ces conditions, la clause de déchéance du terme prévue au contrat de prêt revêt un caractère abusif.

Il en résulte que la clause d'exigibilité anticipée prévue au contrat de prêt est réputée non écrite et privée d'effet, de sorte que la CRCAM de Lorraine n'est pas fondée à se prévaloir de la déchéance du terme du prêt par acquisition de la clause résolutoire.

Dès lors, le jugement déféré sera infirmé sur ce point.

Sur l'exigibilité de la créance de la CRCAM de Lorraine résultant du terme du contrat

La CRCAM de Lorraine soutient que le débat sur les conditions de survenance de la déchéance du terme est devenu sans objet puisque le prêt est totalement échu depuis le 15 octobre 2021 (date de la dernière échéance), de sorte que l'intégralité des sommes dues est devenue exigible.

Il y a lieu de considérer au préalable que la demande de condamnation de M. [R] [L] au paiement des sommes exigibles résultant du terme du prêt est un moyen de fait nouveau venant au soutien de la demande de condamnation de l'emprunteur au paiement des sommes exigibles en vertu du prêt litigieux, et non une prétention nouvelle.

De même, selon l'article 563 du code de procédure civile, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux qui sont recevables à hauteur de cour.

Aussi, il appartient de la cour d'examiner l'exigibilité des sommes dues résultant du terme du prêt survenu le 15 octobre 2021.

En outre, il y a lieu de constater que le dispositif du jugement du 8 décembre 2020 a été confirmé par l'arrêt de la cour d'appel de Metz du 5 janvier 2023 en ce qu'il a déclaré irrecevable comme prescrite la demande en paiement de la CRCAM de Lorraine à hauteur de 11 834,84 euros en principal, intérêts et intérêts de retard, de sorte que l'arrêt de la cour d'appel est définitif de ce chef à défaut de pourvoi sur ce point.

Or, le jugement ainsi que la cour ont retenu à ce titre que toutes les échéances du prêt antérieures au 7 août 2016 étaient prescrites, en ce que l'assignation délivrée le 7 août 2018 avait interrompu le délai de prescription.

Par suite, l'interruption de la prescription produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance, selon l'article 2242 du code civil.

Aussi, M. [R] [L] ne peut utilement soutenir que la CRCAM de Lorraine est prescrite et forclose à réclamer le paiement des échéances impayées du prêt depuis le 18 juillet 2023, s'agissant en réalité du 15 octobre 2023 (correspondant à la date de la dernière échéance du prêt augmentée de deux ans).

Dans ces conditions, la CRCAM de Lorraine est recevable à solliciter devant la cour de renvoi le paiement par M. [R] [L] des échéances échues et impayées du 15 août 2016 au 15 octobre 2021, terme du contrat de prêt.

Sur le montant de la créance

Il ressort du contrat de prêt et du tableau d'amortissement, que M. [R] [L] reste redevable de 63 échéances échues et impayées du 15 août 2016 au 15 octobre 2021, terme du contrat, correspondant à la somme de 140 655,73 euros (soit 62 échéances de 2 232,62 euros et une échéance de 2 233,29 euros).

Par ailleurs, le contrat de prêt a prévu qu'en cas d'exigibilité des sommes dues, ' jusqu'à la date de règlement effectif, les sommes restant dues produiront un intérêt de retard à un taux égal à celui du prêt '.

Aussi, il y a lieu de considérer que les échéances échues et impayées produiront un intérêt de retard à un taux égal à celui du prêt à compter du 8 novembre 2024, s'agissant de la date des premières conclusions de la CRCAM de Lorraine sollicitant le paiement des sommes exigibles au terme du contrat, et valant mise en demeure.

Dans ces conditions, M. [R] [L] sera condamné à payer la CRCAM de Lorraine la somme de 140 655,73, augmentée des intérêts au taux de 4,05 % l'an à compter du 8 novembre 2024.

Dès lors, le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a condamné M. [R] [L] à payer à la CRCAM de Lorraine la somme de 134 921,13 euros en capital, intérêts et intérêts de retard, outre intérêts au taux de 4,05% sur la somme de 120 996,79 euros à compter du 5 juin 2018.

Sur les demandes accessoires

Il y a lieu de constater que les chefs du jugement relatifs aux dépens et aux frais irrépétibles sont définitifs, en ce qu'ils ont été confirmés par l'arrêt de la cour d'appel de Metz et n'ont pas fait l'objet d'un pourvoi.

De même, les chefs de l'arrêt de la cour d'appel de Metz relatifs aux dépens et aux frais irrépétibles de cette instance n'ont pas fait l'objet d'un pourvoi et sont définitifs.

La Cour de Cassation ayant sanctionné le caractère abusif de la clause du contrat, et la CRCAM de Lorraine succombant devant la cour de renvoi sur ce point, cette dernière supportera la charge des dépens de la présente instance, et sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.

Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,

INFIRME partiellement le jugement déféré en ce qu'il a condamné M. [R] [L] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Lorraine la somme de 134 921,13 euros en capital, intérêts et intérêts de retard, outre intérêts au taux de 4,05% sur la somme de 120 996,79 euros à compter du 5 juin 2018,

Et, statuant à nouveau,

CONSTATE que la clause de déchéance du terme prévue au contrat de prêt revêt un caractère abusif,

DIT que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Lorraine n'est pas fondée à se prévaloir de la déchéance du terme du prêt par acquisition de la clause résolutoire,

DECLARE que la demande de condamnation de M. [R] [L] au paiement des échéances échues et impayées exigibles résultant du terme normal du contrat de prêt au 15 octobre 2021 est un moyen de fait nouveau recevable,

DECLARE recevable comme non prescrite la demande de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Lorraine tendant à voir condamner M. [R] [L] au paiement des échéances échues et impayées du 7 août 2016 au 15 octobre 2021, terme du contrat,

CONSTATE que la condamnation de M. [R] [L] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Lorraine de Lorraine la somme de 8 856,15 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l'arrêt, à titre d'indemnité de résiliation de 7%, est devenue définitive,

CONDAMNE M. [R] [L] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Lorraine la somme de 140 655,73 euros, augmentée des intérêts au taux de 4,05 % l'an à compter du 8 novembre 2024, au titre des échéances échues et impayées du 7 août 2016 au 15 octobre 2021,

CONFIRME le jugement déféré pour le surplus dans les limites de la saisine de cour,

Y ajoutant,

DEBOUTE la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Lorraine de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Lorraine aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre à la cour d'Appel de NANCY, et par Mme Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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