CA Toulouse, 2e ch., 4 mars 2025, n° 23/03959
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Cargo (SAS), Yliades (SAS), Fabrique de Styles (SAS), Fabrique de Styles Oceane (SAS), Aevum (SAS), Fabrique de Styles (Sté), FDS (SARL), Abrive (SAS)
Défendeur :
Maisons Du Monde France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Salmeron
Vice-président :
Mme Martin de la Moutte
Conseillers :
Mme Martin de la Moutte, Mme Moulayes
Avocats :
Me Almuzara, Me Larere, Me Benoit-Daief, Me Massot
Exposé des faits et procédure :
Sur requête de la SAS Maisons du monde France, le président du tribunal de commerce de Toulouse a, par ordonnance en date du 21 juillet 2022, autorisé le transport d'un commissaire de justice dans les locaux de la SAS Cargo pour y faire des constatations précises.
Le 31 août 2022, la commissaire de justice, [V] [H], n'a pu mener ses investigations sur opposition de la directrice juridique de la SAS Cargo.
Dès le 2 septembre 2022, la SAS Maisons du Monde France a saisi le président du tribunal de commerce en référé pour « solliciter des mesures plus coercitives afin de garantir la réservation des éléments de preuve recherchés ».
Le 14 septembre 2022, les sociétés SAS Cargo, SAS Yliades, SAS Fabrique de styles, SAS Fabrique de styles océane, SAS Aevum, SAS Fabrique de styles [Localité 14], Sarl FDS [Localité 13] et SAS Abrive ont assigné la SAS Maisons du Monde France en rétractation de l'ordonnance du président rendue le 21 juillet 2022.
Par ordonnance de référé en date du 5 octobre 2022, le président du tribunal de commerce de Toulouse a :
- dit les sociétés demanderesses recevables en leur action de rétractation
- jugé la demande de rétractation infondée et débouté les demanderesses de l'ensemble de leurs demandes
- condamné les demanderesses à 5000 euros en application des frais irrépétibles et aux dépens.
Par déclaration du 5 octobre 2022, les sociétés SAS Cargo, SAS Yliades, SAS Fabrique de styles, SAS Fabrique de styles océane, SAS Aevum, SAS Fabrique de styles [Localité 14], Sarl FDS [Localité 13] et SAS Abrive ont relevé appel de la décision et ont été autorisées, par ordonnance en date du 17 octobre 2022, à assigner la SAS Maisons du Monde France par assignation à jour fixe à l'audience du 5 décembre 2022.
Par arrêt du 2 février 2023, la 3eme chambre de la cour d'appel de Toulouse a :
- confirmé l'ordonnance sur la recevabilité de l'action et infirmé l'ordonnance pour le surplus
et statuant à nouveau ,
- rétracté l'ordonnance sur requête rendue par le président du tribunal de commerce de Toulouse le 21 juillet 2022
- prononcé la nullité des constatations exécutées en application de cette ordonnance
- interdit pour l'avenir à la SAS Maisons de France d'utiliser le procès verbal dressé à l'occasion des opérations de constatations dans toute procédure judiciaire en France comme à l'étranger ainsi que tout document qui ferait état de ces éléments ou opérations et ce sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée
- condamné la SAS maisons du Monde France à payer aux sociétés SAS Cargo, SAS Yliades, SAS Fabrique de styles, SAS Fabrique de styles océane, SAS Aevum, SAS Fabrique de styles [Localité 14], Sarl FDS [Localité 13] et SAS Abrive ensemble, la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile (cpc)
- condamné la SAS Maisons du Monde France aux dépens de première instance et d'appel.
Sur pourvoi de la SAS Maisons du Monde France, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse par arrêt du 5 octobre 2023.
Par déclaration en date du 6 novembre 2023, les sociétés SAS Cargo, SAS Yliades, SAS Fabrique de styles, SAS Fabrique de styles Océane, SAS Aevum, SAS Fabrique de styles [Localité 14], Sarl FDS Ajaccio et SAS Abrive ont saisi la cour d'appel de Toulouse, sur arrêt de la 2eme chambre civile de la cour de cassation du 5 octobre 2023 qui a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 2 février 2023 et remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Toulouse autrement composée en condamnant les parties appelantes aux dépens et à verser 3000 euros à la SAS Maisons du Monde France en application de l'article 700 du cpc.
L'affaire a été fixée à bref délai par avis du 5 janvier 2024 à l'audience du 16 mai 2024 à 9h puis fixée au 25 novembre 2024 à 9h30 avec clôture au 25 octobre 2024.
La clôture, après avoir été rabattue, est intervenue le 18 novembre 2024.
Prétentions et moyens des parties :
Vu les conclusions notifiées le 31 octobre 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, des sociétés SAS Cargo, SAS Yliades, SAS Fabrique de styles, SAS Fabrique de styles océane, SAS Aevum, SAS Fabrique de styles [Localité 14], Sarl FDS [Localité 13] et SAS Abrive demandant, au visa des articles 16, 145, 149, 497, 564 et 565 du Code de procédure civile, articles R. 153-1 et R. 153-3 à R. 153-10 du Code de commerce, de :
A TITRE PRINCIPAL :
- INFIRMER l'ordonnance du Président du Tribunal de commerce de Toulouse du 5 octobre 2022 (RG n° 2022R00368) en ce qu'elle a :
- jugé infondée la demande de rétractation des sociétés SAS Cargo, la SAS Yliades, Fabrique de Styles, la SAS Fabrique de Styles Océane, la SAS Aevum, la SAS Fabrique de Styles [Localité 14], la SARL FDS [Localité 13] et la SAS Abrive ;
- débouté les sociétés SAS Cargo, la SAS Yliades, la SAS Fabrique de Styles, la SAS Fabrique De Styles Océane, la SAS Aevum, la SAS Fabrique de Styles [Localité 14], la SARL FDS [Localité 13] et la SAS Abrive de l'ensemble de leurs demandes ;
- condamné la SAS Cargo, la SAS Yliades, la SAS Fabrique de Styles, la SAS Fabrique de Styles Océane, la SAS Aevum, la SAS Fabrique de Styles [Localité 14], la SARL FDS [Localité 13] et la SAS Abrive à payer la somme globale de cinq mille euros (5.000 €) au titre des frais irrépétibles et aux dépens.
Statuant à nouveau, de :
- RETRACTER l'ordonnance sur requête rendue par le Président du Tribunal de commerce de Toulouse le 21 juillet 2022 et enregistrée sous le numéro 2022OP02038.
Et, en conséquence, de :
- DECLARER nulles les constatations effectuées en application des ordonnances du Président du Tribunal de commerce de Toulouse en date du 21 juillet 2022 (RG 2022OP02038) et 22 novembre 2022 (RG 2022R00358) ;
- ORDONNER la restitution par Maître [V] [H] à la société Cargo SAS de l'ensemble des pièces et documents saisis et copiés en application de ces ordonnances, dans un délai de 5 (cinq) jours ouvrés à compter de la signification de la décision à intervenir, et ce sous astreinte de dix mille euros (10.000 €) par jour de retard à la charge de la société Maisons du Monde France ;
- FAIRE INTERDICTION à la société Maisons du Monde France d'utiliser le ou les procès-verbal(aux) dressé(s) à l'occasion des opérations de constatations, ainsi que l'ensemble des pièces et documents saisis et copiés à cette même occasion, dans toute procédure judiciaire,
en France comme à l'étranger, ainsi que tout document qui ferait état de ces éléments ou opérations, et ce sous astreinte de cinq cent mille euros (500.000 €) par infraction constatée ;
- SE RESERVER la liquidation des astreintes ordonnées. :
A TITRE SUBSIDIAIRE :
- MODIFIER l'ordonnance sur requête rendue par le Président du Tribunal de commerce de Toulouse le 21 juillet 2022 et enregistrée sous le numéro 2022OP02038 afin de cantonner les mesures ordonnées aux seuls éléments ayant trait aux linéaires des magasins à l'enseigne Fabrique de Styles ;
- ORDONNER la restitution par Maître [V] [H] à la société Cargo SAS de l'ensemble des pièces et documents saisis et copiés en application de ces ordonnances qui sont sans lien avec les linéaires des magasins Fabrique de Styles, dans un délai de 5 (cinq) jours ouvrés à compter de la signification de la décision à intervenir, et ce sous astreinte de dix mille euros (10.000 €) par jour de retard à la charge de la société Maisons du Monde France.
A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE :
- ORDONNER à Maître [V] [H], en qualité de commissaire de justice instrumentaire et séquestre, de remettre sans délai à la société Cargo SAS (ou à ses conseils du Cabinet Gide Loyrette Nouel), sur une clé USB ou sous forme de lien de téléchargement, une copie de l'ensemble des éléments collectés lors des opérations de constat menées le 20 novembre 2022 et les 5, 7 et 19 décembre 2022 dans les locaux de la société Cargo SAS en exécution de l'ordonnance sur requête du 21 juillet 2022, et de dresser procès-verbal de cette diligence ;
- ENJOINDRE à la société Cargo SAS de procéder à un tri des pièces séquestrées en trois catégories devant chacune comporter un inventaire précis des pièces contenues:
- Catégorie A : les pièces qui pourront être communiquées en l'état sans examen ;
- Catégorie B : les pièces qui sont concernées par le secret des affaires et que les sociétés Cargo SAS et Yliades refusent de communiquer ;
- Catégorie C : les pièces qui ne sont pas concernées par le secret des affaires mais que les sociétés Cargo SAS et Yliades refusent de communiquer ; dans un délai qui ne saurait être inférieur à six mois à compter de la remise par Maître [V] [H] des éléments collectés au siège de la société Cargo SAS, à la société Cargo SAS (ou à ses conseils du Cabinet Gide Loyrette Nouel) ;
- CONVOQUER les parties à une prochaine audience en chambre du conseil afin que soient examinées les pièces saisies et mises sous séquestre par Maître [V] [H] et qu'il soit statué sur leur éventuelle mainlevée dans les conditions des articles R. 153-2 et suivants du Code de Commerce ;
- REJETER la demande de la société Maisons du Monde France de mise en place d'un cercle de confidentialité ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
- CONDAMNER la société Maisons du Monde France à payer aux sociétés Cargo SAS, Yliades, Fabrique de Styles, Fabrique de Styles Océane, Aevum, Fabrique de Styles [Localité 14], FDS [Localité 13] et Abrive SAS la somme de trente mille euros (30.000 €), en application de
l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER la société Maisons du Monde France aux entiers dépens de la présente instance en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu les conclusions notifiées le 15 novembre 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la SAS Maisons du Monde France demandant au visa des articles 145 et 493 du code de procédure civile, L 153-1, R 153-1 et R 153-6 du Code de commerce, de :
* INFIRMER l'ordonnance du 5 octobre 2022 en ce qu'elle a déclaré recevables les demandes formées par les sociétés FABRIQUES DE STYLES, FABRIQUE DE STYLES OCEANE, AEVUM, FABRIQUE DE STYLES [Localité 14], FDS [Localité 13] et ABRIVE ;
* DECLARER irrecevables les demandes formées par les sociétés FABRIQUES DE STYLES, FABRIQUE DE STYLES OCEANE, AEVUM, FABRIQUE DE STYLES [Localité 14], FDS [Localité 13] et ABRIVE pour défaut d'intérêt personnel et légitime à agir ;
* CONFIRMER l'ordonnance du 5 octobre 2022 pour le surplus ;
* JUGER que la demande de rétractation formée par les sociétés CARGO, YLIADES, FABRIQUES DE STYLES, FABRIQUE DE STYLES OCEANE, AEVUM, FABRIQUE DE STYLES [Localité 14], FDS [Localité 13] et ABRIVE est mal fondée ;
* DEBOUTER les sociétés CARGO, YLIADES, FABRIQUES DE STYLES, FABRIQUE DE STYLES OCEANE, AEVUM, FABRIQUE DE STYLES [Localité 14], FDS [Localité 13] et ABRIVE de leur demande de rétractation de l'ordonnance du 21 juillet 2022 ;
* DEBOUTER les sociétés CARGO, YLIADES, FABRIQUES DE STYLES, FABRIQUE DE STYLES OCEANE, AEVUM, FABRIQUE DE STYLES [Localité 14], FDS [Localité 13] et ABRIVE de leur demande visant à modifier l'ordonnance sur requête rendue par le Président du Tribunal de commerce de Toulouse le 21 juillet 2022 afin de cantonner les mesures ordonnées aux seuls éléments ayant trait aux linéaires des magasins à l'enseigne Fabrique de Styles ;
EN CONSEQUENCE,
* CONVOQUER les parties à une prochaine audience en chambre du conseil afin que soient examinées les pièces appréhendées et mises sous séquestre par Maître [V] [H] suite aux opérations réalisées au siège de la société CARGO et qu'il soit statué sur la mainlevée totale ou partielle du séquestre dans les conditions des articles R. 153-2 et suivants du Code de Commerce ;
* ENJOINDRE aux sociétés CARGO et YLIADES de :
' Procéder à un tri des pièces séquestrées en trois catégories, devant chacune comporter un inventaire précis des pièces contenues, dans un délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 1000 euros par jour de retard :
' Catégorie A : les pièces qui pourront être communiquées en l'état sans examen ;
' Catégorie B : les pièces qui seraient prétendument concernées par le secret des affaires et que les sociétés CARGO et YLIADES refusent de communiquer ;
' Catégorie C : les pièces que les sociétés CARGO et YLIADES refusent de communiquer mais qui ne sont pas concernées par le secret des affaires ;
' Communiquer sans délai ce tri, qui sera accompagné d'une numérotation distincte, à la SELARL [V] [H], en qualité de commissaires de justice instrumentaire et séquestre, pour un contrôle de cohérence avec les fichiers initiaux séquestrés ;
' Remettre à la Cour à une prochaine audience en chambre du conseil :
' la communication du procès-verbal de remise de la copie des pièces séquestrées et du contrôle de cohérence effectué par le Commissaire de justice instrumentaire, sous forme de note ou de procès-verbal ;
' la version confidentielle intégrale des pièces de catégories B ;
' une version non confidentielle ou un résumé des mêmes pièces ;
' un mémoire précisant les motifs conférant aux pièces de catégorie B le caractère d'un prétendu secret des affaires, conformément à l'article R 153-3 du Code de commerce.
* ORDONNER que les parties et leurs conseils signent, sans délai après la communication du tri réalisé par les sociétés CARGO et YLIADES au Commissaire de justice, un accord de confidentialité permettant aux conseils de la société MAISONS DU MONDE FRANCE de consulter les éléments sous séquestre des catégories B et C pour lesquels les sociétés CARGO et YLIADES refusent la communication sans en donner connaissance à la société MAISONS DU MONDE FRANCE ;
* ORDONNER que les conseils de la société MAISONS DU MONDE FRANCE puissent consulter, sous un délai maximum d'un mois après la signature de l'accord de confidentialité, les éléments sous séquestre des catégories B et C, dans le cadre de ladite confidentialité, à l'étude de Maître [V] [H], Commissaire de justice, afin de faire leurs observations à la Cour, lui permettant de statuer sur la demande de mainlevée des pièces séquestrées, en tout ou en partie ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
* DIRE ET JUGER irrecevables et mal fondées l'ensemble des demandes, fins et conclusions des sociétés CARGO, YLIADES, FABRIQUES DE STYLES, FABRIQUE DE STYLES OCEANE, AEVUM, FABRIQUE DE STYLES [Localité 14], FDS [Localité 13] et ABRIVE et les en DEBOUTER, à l'exception de la demande à la Cour de convoquer les parties à une prochaine audience afin que soient examinées les pièces appréhendées et mises sous séquestre ;
* CONDAMNER les sociétés CARGO, YLIADES, FABRIQUES DE STYLES, FABRIQUE DE STYLES OCEANE, AEVUM, FABRIQUE DE STYLES [Localité 14], FDS [Localité 13] et ABRIVE à verser à la société MAISONS DU MONDE FRANCE la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Motifs de la décision :
- sur la portée de la cassation :
Conformément à l'article 624 du code de procédure civile, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce.
Par arrêt du 5 octobre 2023, la cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt de la cour de Toulouse du 2 février 2023, en toutes ses dispositions, et remis la cause et les parties devant la cour de Toulouse autrement composée dans l'état où elles se trouvaient avant l'arrêt.
La cour d'appel est donc saisie de l'entier litige.
Le motif de cassation porte sur la violation des articles 145 et 493 du cpc en précisant que :
'5. Selon le premier de ces textes, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. Selon le second, l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.
6. Pour rétracter l'ordonnance sur requête du 21 juillet 2022, prononcer la nullité des constatations exécutées en application de cette ordonnance et interdire pour l'avenir l'utilisation du procès-verbal dressé à l'occasion des opérations de constatations dans toute procédure judiciaire, l'arrêt retient que dès la date de remise des factures de l'agence chargée de l'aménagement des magasins du groupe Cargo, la société Maisons du monde avait connaissance de l'implication de celle-ci dans les actes de parasitisme qu'elle suspectait, la société Cargo ayant également connaissance d'un risque de procès contre elle en raison de la divulgation de ces factures et que par ailleurs, il n'était pas justifié si ce n'est par des motifs généraux tenant à la nature des supports numériques en cause jugés volatiles, de faits circonstanciés de l'espèce laissant craindre un risque de déperdition des preuves voire aucun fait précis permettant d'accréditer une telle suspicion en cas d'information de la partie concernée à l'occasion d'une procédure contradictoire.
7. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que l'ordonnance qui visait la requête était motivée en considération de la nature des faits de parasitisme, de leur ampleur et d'un risque de dépérissement des preuves inhérent à la nature même des données informatiques, numériques ou électroniques par essence furtives et susceptibles d'être aisément détruites ou altérées, comme justifiant le recours à une procédure non contradictoire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.'
La Cour de cassation remet donc essentiellement en cause les motifs de rétractation de l'ordonnance par l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 2 février 2023 sur le recours à une procédure non contradictoire.
Devant la cour d'appel de renvoi, la SAS Maisons du Monde France soulève de nouveau la fin de non recevoir des demandes formées par les sociétés Fabriques de styles, Fabrique de styles Océane, Aevum, Fabrique de styles [Localité 14], FDS Ajaccio et Abrive pour défaut d'intérêt personnel et légitime à agir.
Cette fin de non recevoir, déjà soulevée et rejetée devant la cour d'appel de Toulouse en 2023, n'a pas fait l'objet d'un moyen de pourvoi par la société Maisons du Monde dans son pourvoi n° 2311744 ; or, l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse a été cassé en toutes ses dispositions, y compris sur la fin de non recevoir écartée par la cour d'appel de Toulouse.
- sur le défaut d'intérêt personnel et légitime à agir des sociétés Fabriques de styles (FDS), Fabrique de styles Océane, Aevum, Fabrique de styles [Localité 14], FDS [Localité 13] et Abrive :
La SAS Maisons du Monde soulèvent le défaut d'intérêt à agir de la société Fabrique de styles (FDS) et de ses franchisés dès lors qu'elles ne sont pas concernées par les éléments de preuve recherchés sur les actes propres et personnels des sociétés Cargo et Yliades en se fondant sur le fait qu'elles ont déclaré être autonomes dans la gestion de leur activité commerciale par rapport à la société Cargo et ses filiales.
La société FDS et ses franchisées rappellent qu'en application de l'article 496 al. 2 du cpc, s'il est fait droit à la requête tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance et l'article 31 du dit code précise que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé.
Elles en déduisent que l'action en parasitisme dirigée par la SAS Maisons du Monde contre les sociétés Cargo et Yliades, pour établir l'élaboration d'un aménagement type de magasins et des codes de communication associés utilisés par leurs filiales, vise aussi à produire les pièces obtenues dans le cadre du litige au fond l'opposant à la société FDS et ses sociétés franchisées. Ces dernières ont donc, selon elles, un intérêt légitime à connaître les pièces ainsi recherchées auprès des sociétés Cargo et Yliades.
Il convient de rappeler que la société FDS, filiale de la société Yliades, elle-même filiale de la société Cargo, appartient au groupe Cargo qui est spécialisé dans l'équipement de la maison. Par ailleurs, la société FDS a inauguré ses premiers magasins à l'été 2019 à [Localité 20] (59) et [Localité 18] (35) et exploite aujourd'hui 31 magasins en propre ou par l'intermédiaire de franchisés tels que Fabrique de styles Océane, Aevum, Fabrique de Styles [Localité 14], Fabrique de styles [Localité 13] et Abrive.
Il ressort de la requête de la SAS Maisons du Monde, objet du présent litige en rétractation d'ordonnance, qu'elle agit en sollicitation d'une mesure d'investigation sur le fondement de l'article145 du cpc dans la perspective d'un procès au fond à l'encontre des sociétés Cargo et Yliades pour concurrence déloyale pour des faits de parasitisme concernant leur concept d'aménagement de magasin et de codes de communication associés.
Si les faits étaient avérés, les filiales du groupe Cargo qui exploitent des commerces d'équipement de la maison seront nécessairement poursuivies pour concurrence déloyale par utilisation des concepts d'aménagement de magasins et de code de communication obtenus par parasitisme de leurs maisons mères ou holding.
Il importe peu d'expliquer, à ce stade de la procédure, comme le fait la SAS Maisons du Monde, que la société FDS et ses franchisés invoquent une autonomie de gestion dans l'exploitation de leur franchise, pour établir qu'elles n'ont aucun intérêt à intervenir dans la présente procédure alors que si la mesure in futurum aboutissait, il leur sera reproché d'utiliser un kit d'aménagement de magasin et un code de communication obtenus par parasitisme. Il n'est d'ailleurs pas totalement incompatible de défendre un périmètre d'autonomie dans la gestion des sociétés franchisées et par ailleurs, d'utiliser à tort un concept éventuellement obtenu par fraude .
La cour en déduit que la société FDS et ses franchisés, auxquels il est reproché de copier l'organisation et les codes de communication associés de la SAS Maisons du Monde dans l'exploitation de leur commerce, ont un intérêt à connaître des modalités d'obtention de preuves de parasitisme éventuel qui leur seront produites dans le cadre du procès en concurrence déloyale, fondé sur le même objet de parasitisme, que la société Maisons du Monde poursuivra à leur encontre.
Il n'y a pas lieu de distinguer de manière artificielle, dans le cadre de l'intérêt à agir au stade de la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête fondée sur l'article 145 du cpc, le parasitisme dans l'élaboration du kit concept de magasins en fraude aux droits de la société Maisons du Monde du parasitisme constaté dans l'utilisation dudit kit frauduleux dans l'exploitation commerciale des magasins.
La société FDS et ses franchisés sont donc intéressés au sens de l'article 496 du cpc et recevables à agir dans le présent litige.
Il convient de rejeter la fin de non recevoir de la SAS Maisons du Monde et de confirmer l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Toulouse du 5 octobre 2022 de ce chef.
- Sur la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Toulouse du 21 juillet 2022 par les sociétés appelantes :
Les parties appelantes reprochent dans le cadre de l'appel de l'ordonnance du 5 octobre 2022 du président du tribunal de commerce de Toulouse de rejet de la demande de rétractation de l'ordonnance du 21 juillet 2022, un défaut de motif légitime.
Si ce motif n'avait pas été précisément allégué avant l'arrêt de cassation et de renvoi de la 2ème chambre de la Cour de cassation du 5 octobre 2023, dès lors que l'arrêt de la 3ème chambre de la cour d'appel de Toulouse du 2 février 2023 a été cassé en toutes ses dispositions, il appartient à la cour de renvoi de réexaminer l'entier litige relatif à la demande de rétractation de l'ordonnance autorisant la mesure litigieuse de constatation par l'intermédiaire d'un commissaire de justice.
Selon l'article 145 du code de procédure civile, constituent des mesures légalement admissibles des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.
Aux termes de l'article 493 du code de procédure civile, l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.
L'auteur de la requête doit donc démontrer l'existence d'un motif légitime, et celle de circonstances imposant qu'il soit fait exception au respect du contradictoire.
Il doit également établir que les mesures sollicitées sont légalement admissibles, en ce qu'elles sont suffisamment circonscrites dans leur objet, proportionnées à l'objectif poursuivi qu'elles ne portent pas une atteinte disproportionnée au secret des affaires.
Il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.
Les parties appelantes dénoncent le fait que la SAS Maisons du Monde a défini volontairement le litige in futurum de la façon la plus large possible en invoquant huit caractéristiques prétendument reproduites par les magasins FDS afin de donner un maximum d'ampleur aux agissements des sociétés Cargo et d'Yliades et d'obtenir de ce fait le droit de diligenter des mesures d'instruction dont la portée était sans commune mesure avec la réalité de l'objet du litige. Elles exposent que devant le tribunal de commerce de Paris, la SAS Maisons du Monde, qui poursuivait la société FDS pour concurrence déloyale, a admis qu'une seule caractéristique était en cause, la présence des linéaires des magasins FDS, et qu'elle ne disposait pas elle-même de plan type de points de vente ; ces éléments ont été repris dans la motivation du jugement du tribunal de commerce de Paris du 9 juin 2023 qui a débouté la SAS Maisons du Monde de ses demandes et qui fait l'objet d'un appel devant la cour d'appel de Paris, toujours en cours d'examen.
La SAS Maisons du Monde conteste l'aveu avancé portant sur la limitation des caractéristiques communes utilisées par la société FDS au seul élément des linéaires et entend obtenir une infirmation dudit jugement devant la cour d'appel de Paris en appel.
Il convient en premier lieu de vérifier si la SAS Maisons du Monde disposait d'un motif légitime de solliciter une mesure d'investigation fondée sur l'article 145 du cpc sans recourir au principe du contradictoire alors qu'elle envisageait de poursuivre les sociétés Cargo et Yliades pour concurrence déloyale par parasitisme en ayant commandé à la société Zagass Design un kit d'aménagement type de magasin et des codes de communication type associés qui seraient copiés sur le concept d'aménagement des magasins Maisons du Monde et ses codes de communication associés.
Pour justifier de son motif légitime, la SAS Maisons du Monde a expliqué d'une part qu'elle avait élaboré une concept d'aménagement type de ses magasins réuni autour de 8 caractéristiques, d'autre part constaté de fortes similitudes entre ses magasins et ceux des sociétés FDS à l'aide de photographies, ce qui laisse présumer des faits de parasitisme de nature à aboutir vraisemblablement dans le cadre d'un litige au fond à des condamnations pour concurrence déloyale, et enfin qu'elle avait besoin d'étayer ses poursuites de la production de preuves sur le comportement malveillant des sociétés du groupe Cargo.
Il convient de rappeler que le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
Il appartient à celui qui se prétend victime d'actes de parasitisme d'identifier la valeur économique individualisée qu'il invoque, ainsi que la volonté d'un tiers de se placer dans son sillage.
Le savoir-faire et les efforts humains et financiers propres à caractériser une valeur économique identifiée et individualisée ne peuvent se déduire de la seule longévité et du succès de la commercialisation du produit et, les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en oeuvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme (cf Com., 26 juin 2024, pourvoi n° 22-17.647, 22-21.497).
En l'espèce, dans sa requête initiale, la SAS Maisons du Monde n'a pas produit de pièces établissant qu'elle avait conçu un plan type de points de vente que ses magasins devaient impérativement respecter ni un code de communication associés en produisant un guide prédéterminé à l'usage de ses magasins. Elle n'a pas davantage défini ni précisé les efforts humains et financiers propres qu'elle a réalisés et qu'elle entend protéger de nature à caractériser la valeur économique identifiée et individualisée propre à circonscrire précisément l'objet du parasitisme dénoncé.
Elle s'est bornée à présenter dans sa requête 8 caractéristiques de ses magasins et à produire des photographies aléatoires de certains de ses magasins qui soutenaient l'idée d'une ressemblance malveillante avec certains magasins de la société FDS.
Or, les 8 caractéristiques alléguées tenant à définir un concept d'aménagement de magasins et de codes de communication associés apparaissent, à tout le moins, ordinaires et relevant de simples critères qui sont dans l'air du temps et habituels dans ce secteur d'activité. Il s'agit ainsi de linéaires de présentation en bois de chêne clair sans toit, de sols en parquet clair ou en béton ciré gris, de parcours client se déplaçant d'une alcove à l'autre jusqu'à la sortie, un système d'éclairage des meubles et objets vendus avec des spots sur rails, une scénographie fondée sur des présentations d'environnement familier ce que la plupart des commerçants de ce secteur de la vente de meubles pratiquent. Il en est de même pour le merchandising qui expose les meubles en hauteur ou encore de la sortie de magasins au niveau des caisses qui ne présente guère de caractéristiques précises.
Aucune des caractéristiques alléguées ne permet d'affirmer qu'il s'agit du résultat d'un investissement financier ou humain d'une valeur économique identifiée. Elles relèvent davantage de simples idées devenues ordinaires dans ce secteur d'activité et les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en oeuvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme.
Le motif légitime indispensable pour autoriser la mesure demandée n'était donc pas établi.
La cour d'appel infirme donc l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Toulouse du 5 juillet 2022 en ce qu'il a refusé de rétracter son ordonnance du 21 juillet 2022.
Par conséquent, il convient de prononcer la nullité des constatations exécutées en application de cette ordonnance et d'interdire à la SAS Maisons du Monde d'utiliser le procès-verbal dressé à l'occasion des opérations de constatations dans toute procédure judiciaire en France comme à l'étranger ainsi que tout document qui ferait état de ces éléments ou opérations et ce sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée.
- sur les demandes accessoires :
la SAS Maisons du Monde succombe en appel ; elle sera donc condamnée aux dépens de première instance et d'appel en ce compris les dépens de l'arrêt cassé .
Il convient par ailleurs d'allouer aux parties appelantes 5.000 euros en application de l'article 700 du cpc en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Vu l'arrêt de la 2eme chambre de la Cour de cassation en date du 5 octobre 2023,
- Infirme l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Toulouse du 5 octobre 2022 mais uniquement en ce qu'il a jugé la demande de rétractation de l'ordonnance du 21 juillet 2022 infondée et a condamné les sociétés Cargo SAS, Yliades, Fabrique de Styles, Fabrique de Styles Océane, Aevum, Fabrique de Styles [Localité 14], FDS Ajaccio et Abrive SAS en application de l'article 700 du cpc
Et, statuant à nouveau des chefs infirmés,
- Ordonne la rétractation de l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Toulouse du 21 juillet 2022
- Prononce la nullité des constatations exécutées en application de cette ordonnance
- Interdit à la SAS Maisons du Monde d'utiliser le procès-verbal dressé à l'occasion des opérations de constatations sur le fondement de l'ordonnance du 21 juillet 2022 dans toute procédure judiciaire en France comme à l'étranger ainsi que tout document qui ferait état de ces éléments ou opérations et ce sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée.
- Condamne la SAS Maisons du Monde aux dépens de première instance et d'appel en ce y compris les dépens afférents à la décision cassée en application de l'article 639 du code de procédure civile et ce avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
- Condamne la SAS Maisons du Monde à payer à aux sociétés Cargo SAS, Yliades, Fabrique de Styles, Fabrique de Styles Océane, Aevum, Fabrique de Styles [Localité 14], FDS [Localité 13] et Abrive SAS la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.