CA Rouen, ch. civ. et com., 27 février 2025, n° 23/03676
ROUEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Condigel (SAS)
Défendeur :
Entrepots et Transports (SA), Seafrigo Logistique (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vannier
Conseiller :
M. Urbano
Conseiller :
Mme Menard-Gogibu
Avocats :
Me Bart, Me Chatraoui, Me Tugaut
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par acte sous seing privé en date du 29 septembre 2014, la société Condigel a consenti à la société Seafrigo Logistique trois baux concernant les bâtiments suivants :
- location d'un bâtiment F à usage d'entrepôt frigorifique situé [Adresse 1] pour un volume de froid de 20 500 m3 et un quai climatisé moyennant un loyer mensuel global de 30 962 €, outre le remboursement des consommations d'électricité, d'eau et de gaz pour le bâtiment F sur la base d'un coût de 0,46 € par m3 en fonction de l'évolution du coût de l'énergie.
Il était précisé que ce bâtiment faisait l'objet d'un crédit-bail et que les parties entendaient se soumettre volontairement au statut des baux commerciaux, la sous location étant fixée à 9 années consécutives avec faculté de résiliation triennale pour le sous-locataire dans le respect des dispositions du crédit-bail.
- location d'un bâtiment H à usage d'entrepôt frigorifique situé [Adresse 2] pour un volume de froid de 25 050 m3 et d'un terminal à conteneurs attenant moyennant un loyer mensuel global de 34 060 € auquel s'ajoutent des consommations d'électricité, d'eau et de gaz sur la base d'un coût de 0,39 € par m3 révisable en fonction du coût des énergies.
- location du bâtiment C à usage d'entrepôt frigorifique situé [Adresse 6] pour un volume de 12 000 M3 moyennant un loyer mensuel de 14 400 € auquel s'ajoute le remboursement des consommations d'électricité d'eau et de gaz sur la base d'un coût de 0,39 € par m3 révisable en fonction de l'évolution du coût des énergies.
Il était précisé que ces locations qui faisaient actuellement l'objet de conventions précaires seraient formalisées sous forme de baux commerciaux d'une durée de 9 ans avec faculté de résiliation triennale pour le preneur à effet au 1er janvier 2015.
Selon contrat de bail commercial en date du 28 août 2015 à effet au 1er septembre 2015, la location d'un bâtiment E1 se substituait à celle du bâtiment F représentant un volume de froid de 44 000 m3 ainsi que des commodités associées, aire de stationnement pour véhicules lourds et places de parking pour véhicules légers moyennant un loyer mensuel global de 62 656 € HT et hors charges.
Par courrier en date du 29 juin 2017, la société Seafrigo Logistique a fait part au bailleur de son intention de poursuivre les locations pour la période triennale courant à partir du 1er janvier 2018 tout en lui rappelant ses obligations d'entretien et de maintenance, évoquant le besoin d'une maintenance 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 compte tenu de la spécificité des installations.
Le 30 juillet 2018, les sociétés Entrepôts et Transport [I] et Seafrigo Logistique ont fait délivrer un congé à la société Condigel indiquant que plusieurs incidents et dysfonctionnements ayant été constatés pendant la période estivale, elle souhaitait quitter les lieux, bâtiments C et H au plus tard le 31 janvier 2019.
Le 11 septembre 2018, la société Condigel a fait savoir à sa locataire, qu'elle avait demandé le 29 juin 2017, la poursuite des baux pour une nouvelle période triennale à compter du 1er janvier 2018, que cette période s'achevait au 31 décembre 2020 et qu'en cas de départ des lieux avant cette date, elle serait redevable des loyers jusqu'à cette date, qu'elle contestait le congé commercial avec effet au 31 janvier 2019.
Par acte d'huissier en date du 24 septembre 2018, les sociétés Entrepôts et Transports [I] ont fait livrer à la société Condigel une convocation pour l'état des lieux de sortie des bâtiments C et H le 1er octobre 2018 .
Des échanges de courriers ont eu lieu entre les deux sociétés, la société Seafrigo Logistique faisant état d'incidents de fonctionnement et pannes diverses au cours des dernières années puis des derniers mois écoulés, du mauvais état des locaux et des installations dans le bâtiment C et d'un état très dégradé du bâtiment H, toiture trouée, moisissures au sol, frigorifères sales, compresseurs défaillants sujets à des pannes répétées, la société Condigel affirmant que les manquements reprochés étaient infondés.
Un état des lieux a eu lieu le 1er octobre 2018. Le président de la société Condigel en présence d'un huissier de justice mandaté par ses soins a déclaré remettre en cause la validité du congé délivré, refusé de réaliser l'état des lieux de sortie et la remise des clefs invitant les locataires à poursuivre le règlement de leurs loyers , puis a quitté les lieux. L'huissier de justice mandaté par la société Seafrigo Logistique a ensuite procédé à cet état de lieux.
Le 23 octobre 2018, la société Condigel a fait délivrer un commandement de payer les loyers et charges pour le mois d'octobre 2018 , pour un montant en principal de 76 790,11 €.
Le 18 décembre 2018, la société Condigel a fait assigner la société Seafrigo Logistique devant le juge des référés et par ordonnance en date du 12 février 2019 la société Seafrigo Logistique a été condamnée à payer une somme provisionnelle de 383 950,55 € au titre de loyers impayés arrêtés à février 2019. Cette décision a été confirmée par arrêt en date du 26 septembre 2019 et le pourvoi en cassation de la société Seafrigo Logistique a été rejeté.
Par acte d'huissier en date du 19 décembre 2018, les sociétés Seafrigo Logistique et Entrepôts et Transports [I] ont fait assigner la société Condigel devant le tribunal judiciaire du Havre afin que soit prononcée la résiliation des baux avec effet au 1er octobre 2018 .
Le juge de la mise en état a fait droit à la demande de condamnation provisionnelle des sociétés demanderesses pour les loyers du bâtiment C du 1er au 10 mars 2019 et débouté la société Condigel de sa demande de condamnation provisionnelle en paiement des loyers et frais du bâtiment H du 1er mars 2019 au 13 août 2020 . Cette décision a été confirmée par arrêt du 26 novembre 2020.
Par jugement en date du 12 octobre 2023, le tribunal judiciaire du Havre a :
- déclaré la demande de résiliation judiciaire des baux recevable,
- débouté la SARL Seafrigo Logistique et la SA Entreprise et Transports Barbé de leur demande de résiliation judiciaire des baux des bâtiments C et H et de restitution des loyers postérieurs au 1er octobre 2018,
- condamné la SAS Condigel à verser à la SARL Seafrigo Logistique et la SA Entreprise et Transports Barbé la somme de 347 700,50 euros en réparation du préjudice de jouissance,
- condamné la SARL Seafrigo Logistique et la SA Entreprise et Transports Barbé à verser à la SAS Condigel la somme de 7 649,47 euros pour les loyers dus au titre du bâtiment C du 1er mars au 10 mars,
- condamné la SARL Seafrigo Logistique et la SA Entreprise et Transports Barbé à verser à la SAS Condigel la somme de 2 230 euros TTC au titre des travaux de remise en état du bâtiment E1,
- condamné la SARL Seafrigo Logistique et la SA Entreprise et Transports Barbé d'une part et la SAS Condigel d'autre part aux dépens, lesquels seront partagés par moitié,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
La société Condigel a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 7 novembre 2023.
EXPOSE DES PRETENTIONS
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 28 octobre 2024, la société Condigel demande à la Cour de
- déclarer la société Condigel recevable et bien fondée en son appel,
Y faisant droit,
- confirmer la décision déférée en ce qu'elle a débouté la société Seafrigo Logistique et la société Entrepôts et Transports Barbé de leur demande de résiliation judiciaire des baux des bâtiments C et H et de restitution des loyers postérieurs au 1er octobre 2018,
- infirmer la décision déférée en ce qu'elle a :
- déclaré recevable l'action en résiliation de la société Seafrigo Logistique et de la société Entrepôts et Transports Barbé,
- condamné la société Condigel à payer à la société Seafrigo Logistique et à la SA Entrepôt et Transports Barbé la somme de 347 700,50 euros en réparation du préjudice de jouissance,
- débouté la société Condigel de sa demande de condamnation solidaire de la société Seafrigo Logistique et de la société Entrepôts et Transports Barbé à lui payer la somme de 961 783,35 euros,
- débouté la société Condigel de sa demande de condamnation solidaire de la société Seafrigo Logistique et de la société Entrepôts Et Transports Barbé à lui payer la somme de 165 644,29 euros au titre des travaux de réparation du palletier du bâtiment E1,
En conséquence, statuant à nouveau,
- condamner solidairement la société SD'Log et la société Entrepôts et Transports Barbé à payer à la société Condigel la somme de 954 133,88 euros au titre des loyers de mars 2019 au 13 août 2020,
- condamner solidairement la société SD'Log et la société Entrepôts et Transports Barbé à payer à la société Condigel la somme de 165 644,29 euros au titre des travaux de réparation du palletier du bâtiment E1,
- condamner solidairement la société SD'Log et la société Entrepôts et Transports Barbé à payer à la société Condigel la somme de 5 800 euros au titre des travaux de remise en état du bâtiment E1,
- débouter la société SD'Log et la société Entrepôts et Transports Barbé de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- condamner solidairement la société SD'Log et la société Entrepôts Et Transports Barbé à payer à la société Condigel la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les mêmes aux entiers dépens.
Aux termes de leurs dernières conclusions en date du 26 avril 2024,les sociétés Entrepôts et Transports Barbé, SASU Seafrigo Logistique et la sasu S D Log demandent à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire du Havre le 12 octobre 2023 dans toutes ses dispositions,
- débouter en tout état de cause la société Condigel de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Y ajoutant,
- condamner la société Condigel à verser aux sociétés Etablissements et Transports Barbé et Seafrigo Logistique la somme de 10 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture de la mise en état a été rendue le 12 novembre 2024.
Pour un exposé détaillé des demandes et moyens des parties, la Cour renvoie à leurs conclusions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE
Sur la recevabilité de la demande
La société Condigel sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a déclaré la demande de résiliation judiciaire des baux recevable. Elle fait valoir qu'elle a été assignée afin que la résiliation judiciaire du bail soit prononcée à compter du 1er octobre 2018, mais que le bail commercial du bâtiment C a pris effectivement fin le 11 mars 2019 par la remise des clefs à Condigel, celui du bâtiment H le 13 août 2020 par la remise des clefs à cette même date, que la résiliation judiciaire ne prenant effet qu'au jour de la décision qui la prononce, les sociétés Seafrigo Logistique et Entrepôt et Transport [I] n'avaient plus intérêt à agir.
Les intimées répliquent qu'à la date de l'assignation au fond, soit le 19 décembre 2018, la société Condigel contestait la fin des baux, revendiquait une période triennale de sorte qu'elles étaient fondées et recevables en leur demande de résiliation judiciaire des baux et ce alors qu'elles sollicitaient également le prononcé de la résiliation du bail à une date antérieure à laquelle les lieux ont été repris.
Les pièces produites aux débats démontrent qu'à la date de la délivrance de l'assignation au fond soit le 19 décembre 2018, les parties étaient en désaccord sur la fin du bail, la résiliation judiciaire du bail a été demandée à une date antérieure à celle à laquelle les lieux ont été repris et au motif de manquements à ses obligations du bailleur, par conséquent , les sociétés Seafrigo Logistique et Entrepôt et Transport [I] disposent d'un intérêt à agir, et sont recevables en leur demande, le jugement sera confirmé.
Sur le bien fondé des demandes de résiliation judiciaire du bail et de restitution des loyers postérieurs au 1er octobre 2018
Le tribunal a rejeté la demande de résiliation judiciaire des baux des bâtiments C et H après avoir analysé les différents éléments qui lui étaient soumis et conclu qu'en l'absence de résiliation du bail à l'échéance triennale et au vu à l'inverse du courrier indiquant la volonté de poursuivre la location le 29 juin 2017, les difficultés n'étaient pas suffisamment graves pour faire obstacle à l'exploitation de l'activité commerciale de la société Seafrigo Logistique au sein des locaux, qu'en outre la bailleresse produisait de nombreux justificatifs de recherches de fuite, de travaux d'intervention pour mettre fin aux infiltrations, réparer les fuites ou encore remettre en marche les systèmes de froid de sorte qu'elle avait au moins partiellement rempli son obligation d'entretien des lieux et de délivrance conforme, que s'agissant de la violation alléguée de l'obligation contractuelle de non concurrence, cet engagement était formalisé de manière distincte du bail commercial et il n'était apporté aucun élément probatoire permettant de constater sa violation.
La société Condigel sollicite la confirmation du jugement sur ce point, les intimées ne sollicitent pas l'infirmation de la décision, par conséquent, le jugement sera confirmé, il en sera de même sur le rejet de la demande en restitution des loyers versés à compter du 1er octobre 2018 puisque en l'absence de résiliation judiciaire, les baux se sont poursuivis jusqu'au terme de la période triennale.
Sur la demande reconventionnelle en paiement des loyers de mars 2019 au 13 août 2020
S'agissant des loyers du bâtiment C
Les lieux ont été repris par la société Condigel le 11 mars 2019, elle a sollicité le loyer restant dû du 1er mars au 10 mars 2019, le tribunal a fait droit à cette demande en mettant à la charge de la société Seafrigo Logistique la somme de 7 649,47 €. Cette disposition du jugement n'est pas contestée, chacune des parties en demandent la confirmation, le jugement sera confirmé .
S'agissant des loyers du bâtiment H
Le tribunal a estimé au vu des éléments produits, que la bailleresse avait repris possession des lieux dès le mois de mars 2019 et qu'elle y avait installé des remorques frigorifiques, cette activité ne pouvant être évaluée comme accessoire au regard des lieux donnés à bail qui sont à usage d'entrepôt, de chargement, de déchargement et d'attente, qu'ainsi la demande en paiement des loyers postérieurs au mois de mars 2019 devait être rejetée.
La société Condigel sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande en paiement de la somme de 961 783,35 € au titre de ces loyers du 1er mars 2019 au 13 août 2020. Elle fait valoir qu'en application de l'article L 145-4 du code de commerce, le preneur a l'obligation de respecter l'échéance triennale pour délivrer congé, que les motifs invoqués par le locataire ne peuvent justifier la cessation des règlements locatifs que si le locataire a été privé de la jouissance physique du local pour des raisons strictement imputables au bailleur. Elle souligne que le bail a été consenti pour 9 ans commençant à courir le 1er janvier 2015, qu'il s'est poursuivi pour une nouvelle échéance triennale le 1er janvier 2018 que le 30 juillet 2018, la société Seafrigo Logistique a délivré un congé avec effet au 1er février 2019 parce que ses nouveaux locaux étaient construits mais que cela n'autorise pas le locataire à ne pas respecter l'échéance triennale. Elle déclare que c'est donc à tort que le locataire a cessé de régler ses loyers à compter du mois d'octobre 2018, qu'elle n'a repris ce bâtiment que le 13 août 2020, qu'il est dû :
- de mars 2019 à décembre 2019 la somme de 545 528,80 € (54 528,88 x 10 mois)
- de janvier 2020 à juillet 2020 la somme de 387 450,88 € (55 345,84 loyer réévalué x 7 mois)
- mois d'août 2020 la somme de 21 424,20 € .
Elle fait valoir qu'elle n'a pas repris possession du bâtiment H à compter du mois de mars 2019, que le procès-verbal de constat du 13 août 2020 ne peut être pris en compte et doit être écarté des débats, qu'aucun élément versé aux débats ne démontre qu'elle exploitait le bâtiment H, que ces locaux ne sont pas réfrigérés et que la seule occupation du parking par quelques camions ne vaut pas reprise des locaux, la société Seafrigo Logistique l'ayant toujours autorisée à utiliser ce parking, qu'elle-même a toujours permis à sa locataire lorsqu'elle avait besoin de parking supplémentaire d'occuper d'autres places. Elle souligne qu'elle n'a jamais accepté tacitement la résiliation du bail comme le démontre les procédures qui se sont succédé, a refusé l'état des lieux que la Seafrigo Logistique a tenté de lui imposer le 24 septembre 2018 et a même clairement indiqué par courrier qu'elle refusait la résiliation anticipée du bail, qu'elle détenait un double des clefs puisqu'elle était chargée pendant le bail de la maintenance et de la sécurité des locaux et que les images satellites produites par la locataire démontrent qu'après le départ de cette dernière, les postes à quai sont vides ce qui démontre que Condigel n'a pas exploité le bâtiment H avant le 13 août 2020.
Les intimées répliquent que le bailleur est tenu envers le locataire d'une jouissance effective et entière des lieux loués avec leurs accessoires et aisances, que le constat d'huissier en date du 13 août 2020 est valable, deux décisions ayant apprécié sa validité. Elles ajoutent que la société Seafrigo Logistique a bien quitté les lieux en octobre 2018 ainsi qu'un huissier l'a constaté, qu'un cabinet d'enquête a précisé que les 13 et 14 mars 2019 de nombreux camions et containers étaient présents sur les lieux avec branchements électriques à l'intérieur du bâtiment H et que Condigel n'a jamais contesté être l'auteur de ces occupations et de ces branchements, que lors du constat d'huissier, M. [A] [I] a reconnu utiliser le parking pour les besoins de sa société et avoir fait visiter les lieux à un nouveau locataire. Elles ajoutent que les photos satellites démontrent la présence de camions postérieurement au 1er octobre 2018, date de départ non contestée de la société Seafrigo Logistique, que l'utilisation conjointe du parking n'a jamais existé contrairement à ce qui est allégué, qu'en réalité, la société Condigel a attendu quelques semaines après le départ du locataire puis a pris progressivement possession de lieux sans jamais les laisser ensuite ce qui explique que le 13 août 2020, la société Condigel n'ait pu vider le parking du site H qui était utilisé à plein, que la société Condigel a donc consenti à la résiliation anticipée du bail par sa volonté non équivoque de reprendre les lieux et de les exploiter elle-même qu'ainsi le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande en paiement des loyers postérieurs au mois de mars 2019.
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A titre liminaire, la Cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif, la société Condigel ne demande pas dans le dispositif de ses conclusions d'écarter des débats le procès-verbal de constat du 13 août 2020, il ne sera donc pas statué sur ce point.
Il n'est pas contesté que la société Seafrigo Logistique a quitté les lieux loués en octobre 2018. Il est constant que ce bail concernait la location du bâtiment H soit un entrepôt frigorifique et un terminal à conteneurs. Il résulte du rapport d'enquête privée [Localité 7] que se trouvaient le 13 mars 2019 huit containers frigorifiques positionnés devant huit quais de l'entrepôt H en position parking, dont les câbles électriques sortis au niveau de la partie moteur frigorifique étaient dirigés vers les quais et l'intérieur du bâtiment H, et que le 14 mars 2019, les mêmes faits étaient constatés. Les photos satellite Pléiade Airbus en date des 3 mars 2019, 11 décembre 2019, 15 décembre 2019, 21 janvier 2020, 17 février 2020, 10 avril 2020, 1er mai et 19 mai 2020 attestent de la poursuite de l'occupation du parking et selon procès-verbal d'huissier de justice en date du 13 août 2020, à cette date se trouvaient de nombreux semi-remorques sur le parking du bâtiment H, raccordées aux bornes électriques installées sur le parking, l'huissier précisant entendre les groupes froid fonctionner, une des remorques portant le marquage publicitaire Condigel, M. [A] [I] indiquant que son entreprise utilise le parking pour ses propres besoins, reconnaissant en outre avoir fait visiter les lieux en vue d'une relocation.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il est avéré que la bailleresse a repris possession des lieux donnés à bail concernant le bâtiment H dès le mois de mars 2019, elle ne peut être admise à faire valoir que le stationnement sur le parking ne vaut pas exploitation du bâtiment alors que les lieux donnés à bail sont à usage d'entrepôt, de chargement, de déchargement et d'attente ainsi que le tribunal l'a souligné , le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande en paiement de loyers postérieurs au mois de mars 2019.
Sur la demande en indemnisation d'un préjudice de jouissance
Le tribunal a estimé que les éléments produits établissaient que le locataire avait subi un préjudice de jouissance. La société Seafrigo Logistique sollicitait en première instance la somme de 436 140€. Il a été fait droit à la demande de dommages et intérêts à hauteur de 35 % du loyer contractuel hors charges pour les sites C et H et ce à compter du 29 juin 2017, de sorte que l'indemnisation a été fixée à 347 700,50 € soit 34 060 € + 14 400 € x 35% sur 20,5 mois, du 29 juin 2017 au mois de mars 2019.
La société Condigel sollicite l'infirmation du jugement, faisant valoir qu'aucun préjudice de jouissance n'est démontré, qu'elle n'a commis aucun manquement à son obligation de délivrance puisque les intimées n'ont jamais été dans l'impossibilité d'exploiter les bâtiments C et H, qu'au contraire elle est intervenue à chaque fois que la société Seafrigo Logistique a fait état d'un dysfonctionnement. Elle souligne que dès juin 2017, la locataire a fait part de son intention de poursuivre les locations, que Seafrigo logistique a elle-même refusé le contrat de maintenance qui lui avait été proposé par Johnson Controls Industries, qu'elle n'a connu aucune perte de marchandises et n'a pas subi de pénalités de ses clients pour des marchandises qui auraient été mal conservées. Elle ajoute qu'au contraire elle a fait procéder à chaque fois aux réparations nécessaires ainsi qu'aux grosses réparations, a fait réaliser des travaux pour remédier aux fuites, notamment sur les toitures des bâtiments C et H. Elle souligne que si un constat d'huissier lors de la remise des clefs montre des flaques au sol, ce constat n'établit pas la date d'apparition des désordres et surtout l'origine des dégradations, que la société Seafrigo n'a sollicité aucune expertise judiciaire car son départ des lieux n'était pas motivé par une impossibilité d'exploiter ou un préjudice de jouissance, qu'ainsi sa demande d'indemnisation est mal fondée.
Les intimées répliquent que nonobstant les violations contractuelles graves qu'elles ont subies, elles admettent que les premiers juges ont pu faire une juste appréciation de leur trouble de jouissance en condamnant le bailleur à leur régler une somme sur la base de 35 % des loyers payés. Elles font valoir que les violations des contrats ont trait à la production du froid et à l'entretien lourd des structures bâties.
S'agissant du froid, elles indiquent que l'obligation de Condigel était de garantir un froid constant et stable, qu'une partie des denrées alimentaires destinées à l'export était qualifiée de très périssable, visant les fromages, des produits à base de viande et des fruits, que leur stockage comme leur réception et leur exportation répond à une réglementation très stricte et que ces produits ne peuvent souffrir aucune variation de température, que le rapport d'expert qu'elles produisent souligne la sensibilité importante notamment des fromages et les risques encourus en cas de variation de température, que les pannes des systèmes de production de froid ont été nombreuses et ce alors que la bailleresse leur interdisait d'assurer la maintenance de la production de froid que les pièces établissent le défaut d'entretien de l' équipement de production de froid, qu'il s'agit donc de manquements aux obligations de délivrance et d'entretien.
S'agissant des bâtiments, elles font valoir que des infiltrations ont été signalées dès novembre 2015 en raison de fuites importantes au niveau de la toiture, qu'ainsi de l'eau était présente sur le sol de sorte qu'un cariste a glissé en 2015, qu'en 2017 et 2018, il a été constaté que des infiltrations d'eau touchaient toutes les zones ainsi qu'un écoulement d'eau au niveau du tableau électrique, ces fuites d'eau nécessitant le déplacement de palettes sans qu'il soit remédié à ces difficultés, qu'en outre des éléments de poutre en béton sont tombés ce qui démontre encore l'état de délabrement et le défaut d'entretien, que la société Condigel ne peut s'exonérer de sa responsabilité en alléguant que les locaux pouvaient être exploités et qu'il n'y a pas eu de perte de marchandises.
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L'article 1719 du code civil met à la charge du bailleur une obligation de délivrance de la chose louée et en matière commerciale, le bailleur est tenu de délivrer au preneur un local en état de servir à sa destination.
Le bailleur doit en outre entretenir le bien loué en l'état de servir à l'usage pour lequel il a été loué, il est tenu des grosses réparations afférentes à la structure et à la toiture.
Les locaux en cause sont des entrepôts frigorifiques et il n'est pas contesté que la société Seafrigo Logistique y entreposait des marchandises périssables, fragiles, dont le stockage répond à une réglementation stricte et pour lesquelles la température de stockage doit être constante. La société Condigel ne méconnait pas qu'elle avait en charge la maintenance des systèmes de production de froid, or il résulte des rapports d'incidents que des alertes liées à une montée anormale de la température ont été relevées à de nombreuses reprises notamment en 2017 et 2018, ces faits ont été corroborés par des attestations d'employés qui font état également de difficultés pour faire intervenir le personnel de maintenance, M. [H] indique notamment
« nous avons eu également des soucis d'alarme de température, les chambres froides montaient en température , parfois les moteurs frigos s'arrêtaient complétement , il fallait attendre que le frigoriste intervienne pour redémarrer le moteur », M. [N] « de l'année 2016 à 2018, j'ai reçu des alarmes du bâtiment H (') du mois de mai jusqu'à mi -août pendant la période des grosses chaleurs. J'appelais la maintenance (') on me répondait le plus souvent qu'ils allaient arriver, au bout de 2 heures ils étaient sur place, des fois j'avais du mal à avoir quelqu'un au bout du fil », M. [M] faisant état d'une alarme de température en juillet 2018 et d'un arrêt complet de la salle des machines. Ces faits sont également corroborés par M. [S] et M. [R], ce dernier indiquant avoir dû lui-même relancer le groupe froid après voir contacté en vain la personne chargée de la maintenance, en outre un message du 23 mai 2018 indique l'existence « d'un problème avec l'un des compresseurs du bâtiment H qui a entrainé un arrêt de la réfrigération et une remontée des températures en fin d'après- midi », l'installation ayant été remise en route ensuite.
Par ailleurs il a été souligné à plusieurs reprises la présence de fuites d'eau au cours des années 2017 et 2018 tant dans le bâtiment C que dans le bâtiment H, fuites provenant du plafond ainsi que des évaporateurs, la présence d'un écoulement d'eau au niveau du tableau électrique, et si des réparations ont pu être effectuées, ces écoulements d'eau ont perduré, un message du 22 janvier 2018 indiquant « nous avons beaucoup d'eau dans le bâtiment (...) nous passons la raclette depuis ce matin mais ça glisse énormément et ça devient très dangereux », un autre message du 30 avril 2018 indiquant « nous avons des fuites importantes sur le côté USA ce matin. Nous avons déplacé des palettes mais nous allons avoir du mal à stocker toute de l'autre côté de la chambre USA ». Enfin a été signalé en mars 2017 que des morceaux d'une poutre en béton tombaient.
Si la société Condigel produit des factures d'entretien et de réparations, il n'en demeure pas moins qu'elle n'a pas remédié de façon suffisante et appropriée aux désordres constatés, ce qui constitue une faute contractuelle, son locataire a subi un trouble de jouissance compte tenu notamment de la récurrence des infiltrations et des dysfonctionnements des systèmes de froid qui ont nécessité des aménagements ainsi que la mobilisation du personnel de Seafrigo logistique, parfois en urgence, pour remédier aux pannes ou aux fuites, ce préjudice est établi nonobstant l'absence de pertes de marchandises, ce qui oblige le bailleur à réparation. Il sera justement réparé en accordant des dommages et intérêts non pas à hauteur de 35 % du loyer contractuel hors charges pour les sites C et H mais à hauteur de 20 % soit 34 060 € + 14 400 € x 20% sur 20,5 mois (du 29 juin 2017 au mois de mars 2019) = 198 686 € .
Sur les demandes en paiement des sommes de 165 133, 98 € et de 5 800 €
La société Condigel sollicite le paiement de la somme de 165 644, 29 € au titre de la remise en état complète du palettier du bâtiment E1.
Elle fait valoir que la société Seafrigo Logistique a occupé ce bâtiment du 1er septembre 2015 au 31 août 2018, que lors de l'état des lieux d'entrée ce palettier était en bon état, que l'état des lieux de sortie a démontré que cet équipement avait été laissé en très mauvais état, que la locataire consciente de cette situation a demandé un devis après audit qui s'est élevé à 324 918,55 € puis a demandé un devis minoré lequel était de 159 274,26 € qu'elle a accepté de régler, mais que ce montant ne couvre pas tous les travaux à réaliser, qu'il est donc dû la différence soit 165 644,29€.
Les intimées répondent que le tribunal a à juste titre estimé que le remplacement d'un seul convoyeur était dû de sorte que seule la somme de 2 230 € devait être mise à sa charge. Elles ajoutent que la somme de 324 918,55 € correspond à une remise à neuf du palettier, ce qui n'est pas dû, Seafrigo Logistique a réglé la somme de 159 274, 26 € au titre des réparations nécessaires, outre celle de 2 230 € fixée par le jugement et que la société Condigel ne démontre pas que ces travaux ne sont pas satisfactoires.
Ainsi que le tribunal l'a constaté , le procès-verbal du 25 août 2015 mentionne page 11 que plusieurs lisses et montants du palettier étaient tordus à l'entrée dans les lieux, une trentaine selon un employé de la société, le fonctionnement du palettier n'ayant pas été vérifié, la société Condigel ne rapporte pas la preuve que la remise en état complète de cet équipement s'imposait lorsque le locataire a quitté les lieux au vu des constatations opérées initialement, le règlement par la société Seafrigo Logistique de la somme de 159 274, 26 € est donc satisfactoire. Elle a en outre réglé à Condigel selon copies de chèques produites le coût de réparation de la porte coulissante défectueuse (1 796, 40 €) et celui nécessité par le coffrage d'impression (3 816 €), c'est à juste titre que les premiers juges ont mis à sa charge le remplacement d'un convoyeur soit 2 230 € et non la somme réclamée de 5 800 € HT, le jugement sera confirmé .
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement sera confirmé en ses dispositions afférentes aux frais irrépétibles et aux dépens, il y a lieu de prononcer des mesures identiques en appel, les dépens d'appel seront partagés par moitié entre les parties, chacune gardant à sa charge ses propres frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions à l'exception de la somme fixée en réparation du préjudice de jouissance ,
Statuant à nouveau,
Condamne la SAS Condigel à payer à la société Entrepôts et Transport [I] , la SASU Seafrigo Logistique et la SASU SD Log la somme de 198 686 € en réparation du préjudice de jouissance de la société Seafrigo Logistique.
Condamne la SASU Seafrigo Logistique, la Sa Entrepôts et Transport [I] et la SASU SD Log d'une part, et la SAS Condigel d'autre part aux dépens d'appel lesquels seront partagés par moitié.
Déboute les parties du surplus de leurs demandes.