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Décisions

CA Besançon, 1re ch., 13 mars 2025, n° 24/01004

BESANÇON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

AB Concept (SARL), AJRS (SELARL)

Défendeur :

Valnet (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Wachter

Conseillers :

Mme Manteaux, M. Saunier

Avocats :

Me Mordefroy, Me Chardonnens

TJ Besançon, du 18 juin 2024, n° 24/0007…

18 juin 2024

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La SCI Valnet a consenti à la SARL AB Concept trois baux portant sur des locaux nécessaires à l'activité commerciale de cette dernière situés [Adresse 1] à [Localité 6].

un bail du 19 avril 2014 portant sur des locaux d'une surface de 2 000 m² situés [Adresse 1] à [Localité 6] (lot n°4)

un bail du 9 avril 2015 portant sur des locaux d'une surface de 300 m² (lot n°3)

un bail précaire du 28 février 2023 portant sur des locaux d'une surface de 270 m² (lot n°2).

Par actes du 25 août 2023, la société Valnet a fait signifier à la société AB Concept deux commandements de payer visant la clause résolutoire des deux baux pour non paiement de loyers et défaut d'assurance.

Par acte introductif du 20 octobre 2023, la société Valnet a saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Besançon d'une demande dirigée contre la société AB Concept aux fins notamment de résiliation des baux par acquisition des clauses résolutoires et condamnation par provision de son locataire à lui verser les loyers impayés relatifs aux trois baux.

Par jugement du tribunal de commerce de Besançon du 6 décembre 2023, la société AB Concept a été placée en redressement judiciaire. La SELARL [Z] Associés a été désignée en qualité de mandataire judiciaire et la SELARL AJRS en qualité d'administrateur judiciaire avec mission d'assister le débiteur pour tous les actes de gestion.

Par ordonnance du 19 décembre 2023, le juge des référés a constaté l'interruption de l'instance.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 janvier 2024, la société Valnet a procédé à la déclaration de sa créance auprès du mandataire judiciaire.

Par jugement du 24 janvier 2024, le tribunal de commerce a autorisé la poursuite d'activité jusqu'au 6 juin 2024.

Par jugement du 20 novembre 2024, le tribunal de commerce a arrêté le plan de redressement de la société AB Concept et désigné la SELARL [Z] Associés en qualité de commissaire à l'exécution du plan, tout en maintenant la SELARL AJRS en qualité de mandataire judiciaire jusqu'à l'établissement définitif de l'état des créances.

Par actes du 20 février 2024, la société Valnet a fait assigner les sociétés AJRS et [Z], ès qualités. Par ordonnance du 9 avril 2024, les procédures ont été jointes.

Le bail précaire du 28 février 2023 portant sur des locaux d'une surface de 270 m² (lot n°2) a été résilié et les locaux restitués le 29 février 2024.

Par ordonnance de référé rendue le 18 juin 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Besançon a :

- constaté la résiliation du bail du 19 avril 2014 portant sur les locaux de 2 000 m² (lot n° 4) et ordonné l'expulsion de la société AB Concept et de tous occupant de son chef, au besoin avec le concours de la force publique ; dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte ;

- constaté la résiliation du bail du 9 avril 2015 portant sur les locaux de 300 m² (lot n° 3) et ordonné l'expulsion de la société AB Concept et de tous occupant de son chef, au besoin avec le concours de la force publique ; dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte ;

- rejeté la demande de délai de la société AB Concept ;

- rejeté les demandes de fixation de créance de la société Valnet à inscrire au passif de la procédure collective de la société AB Concept pour la somme de 110 230,12 euros représentant les loyers impayés au 25 septembre 2023 concernant les baux des 19 avril 2014 et 9 avril 2015 ;

- condamné la société AB Concept à payer à la société Valnet la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société AB Concept aux dépens.

Pour parvenir à cette décision, le juge de première instance a considéré que :

- la résiliation ne pouvait qu'être constatée et l'expulsion prononcée pour absence de production d'attestations d'assurance pour ces deux baux dans le délai d'un mois des commandements ;

- l'instance de référé n'étant pas, à la différence d'une instance au fond, une instance en cours, elle ne peut faire l'objet d'une reprise conformément à l'article L. 622-21 du code de commerce et le juge des référés ne peut fixer la créance qui doit être soumise à la procédure de vérification des créances et décision du juge commissaire.

Par déclaration du 8 juillet 2024, la société AB Concept et les sociétés AJRS et [Z], ès qualités, ont interjeté appel de cette ordonnance. La société Valnet a relevé appel incident par conclusions du 27 août 2024.

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises le 23 décembre 2024, la société AB Concept et la société [Z] ès qualités, concluent à l'infirmation de l'ordonnance en toutes ses dispositions sauf en celles qui ont rejeté les demandes demande d'astreintes et les demandes de fixation de créances de la société Valnet ; elles demandent à la cour, statuant à nouveau, de :

> à titre principal :

- juger que les deux commandements délivrés le 25 août 2023 d'avoir à communiquer une attestation d'assurance ne visaient pas la clause résolutoire pour ce motif ;

> subsidiairement :

- accorder des délais à la société AB Concept pour produire le justificatif d'assurance ;

- constater la production aux débats d'un justificatif d'assurance par la société AB Concept ;

- constater que les clauses résolutoires contenues aux baux commerciaux du 19 avril 2014 et du 9 avril 2015 sont privées d'effets ;

> en tout état de cause :

- débouter la société Valnet de sa demande de résiliation des deux baux consentis à la société AB Concept les 19 avril 2014 et 9 avril 2015 portant sur les locaux de 2 000 m² et 300 m² situés [Adresse 1] à [Localité 6] ;

- débouter la société Valnet de sa demande d'expulsion de la société AB Concept et de tous occupants de son chef de ces locaux ;

- condamner la société Valnet à verser à la société AB Concept la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Valnet aux entiers dépens ;

> sur l'appel incident ;

- débouter la société Valnet de sa demande d'astreinte ;

- débouter la société Valnet de ses demandes relatives à la condamnation de la société AB Concept au paiement d'une indemnité d'occupation provisionnelle et de fixation des créances de loyers et d'indemnité d'occupation.

Elles font valoir que :

- dans les commandements, la clause résolutoire n'était invoquée que pour le défaut de paiement des loyers et non pas pour le défaut d'assurance ;

- dans les baux également, seul le défaut de paiement de loyer est expressément visé comme cause résolutoire du bail ;

- le juge des référés n'est pas compétent pour apprécier la validité et l'efficacité des clauses résolutoires qui ne visent pas expressément l'absence de justification d'assurance mais contiennent une formulation imprécise des manquements entraînant la résolution pour une autre cause que le non paiement des loyers ;

- le juge a toujours la possibilité, en accordant des délais, de suspendre les effets de la clause résolutoire ;

- l'effectivité d'une assurance est désormais prouvée ; le délai de transmission des justificatifs n'est pas suffisamment grave pour justifier la résiliation des baux et l'expulsion de la société AB Concept ;

- l'expulsion de la société AB Concept de ces locaux serait particulièrement inopportune pour la société AB Concept et ses 20 salariés puisqu'elle ne pourrait poursuivre l'activité qui lui a été accordée par le tribunal de commerce dans le plan de redressement ;

- l'astreinte serait sans intérêt puisque si la résiliation n'est pas effective, elle continuera à payer, comme elle le fait, les loyers courants ;

- le juge des référés n'a pas le pouvoir de fixer les créances de la société Valnet, ni de la condamner à payer des provisions que ce soit pour les arriérés de loyers ou pour les indemnités d'occupation ;

- la demande de la société Valnet de condamner la société AB Concept à une indemnité provisionnelle d'occupation est non seulement irrecevable puis hors champ de compétence du juge des référés mais infondée puisque les loyers courants sont payés régulièrement.

La société Valnet a répliqué en dernier lieu par conclusions transmises le 9 décembre 2024 pour demander à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle dit n'y avoir lieu à prononcé d'une astreinte et en ce qu'elle a rejeté sa demande de fixation de sa créance ; elle demande à la cour, statuant à nouveau et y ajoutant, de :

- assortir l'expulsion de la société AB Concept et de tous occupants de son chef, des locaux dont le bail a été résilié, d'une astreinte de 200 euros par jour de retard, et d'une autorisation de requérir l'assistance de tout officier ministériel, de la force publique et d'un serrurier, le tout aux frais du requis défaillant ;

- fixer provisoirement sa créance à inscrire au passif de la société AB Concept à la somme de 110 230,12 euros TTC exigible au 25 septembre 2023 pour les 2 baux soumis au statut et au 29 février 2024 pour le bail dérogatoire, outre intérêts au taux légal à compter des dates d'exigibilité successives des montant dus jusqu'à la date du 6 décembre 2023, date d'ouverture de la procédure collective ;

- fixer à la somme de 11 100,36 euros mensuelle le montant de l'indemnité d'occupation due par

la société AB Concept pour l'occupation persistante et indue des lots n°3 et 4 ;

- condamner par provision la société AB Concept à lui payer la somme de 11 100,36 euros TTC par mois d'occupation indue des locaux précédemment loués, à compter du 26 septembre 2023, et jusqu'à leur libération ;

- condamner par provision solidairement les sociétés appelantes à lui payer la somme globale de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais d'appel ;

- débouter les parties appelantes de toutes autres prétentions ;

- condamner solidairement les parties appelantes aux entiers dépens d'appel.

Elle fait valoir que :

- les commandements de payer visaient bien l'obligation de justifier de la souscription d'une assurance pour les locaux dans le délai d'un mois et la clause résolutoire s'y rapportait aussi ;

- la transmission d'une attestation en cours de procédure au-delà du délai d'un mois donné par le commandement de justifier ne suffit pas à contrer la résiliation ;

- l'attestation produite n'est ni datée ni signée et couvre sept d'années d'exercice mais seulement pour une assiette partielle de ses obligations à couverture ;

- le juge des référés est compétent pour apprécier à titre provisoire une créance au passif de la société AB Concept ;

- l'indemnité mensuelle d'occupation, qui répare son préjudice de voir la société AB Concept se maintenir dans les lieux malgré la résiliation des baux, s'élève au total à 11 100,36 euros (soit 9 514,80 euros pour le lot n° 4 et 1 585,56 euros pour le lot n° 3) à compter du 25 septembre 2023, date de la résiliation des baux.

Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 janvier 2025 et l'affaire a été appelée à l'audience du 16 janvier 2024 suivant et mise en délibéré au 13 mars 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- Sur la résiliation des baux :

L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit du bail commercial ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Le bail commercial du 19 avril 2014 et le bail commercial du 9 avril 2015 contiennent tous deux un article A15 « clause résolutoire » ainsi rédigé : « Si bon semble au Bailleur, à défaut de paiement à son échéance exacte de tout ou partie d'un seul terme de loyer, charges et accessoires et de manière plus générale, du règlement ou du remboursement d'une somme quelconque due en vertu du présent bail ou de l'occupation des lieux loués (indemnités d'occupation et autres), comme en cas d'inexécution constatée d'une seule des conditions du présent bail et trente jours après un simple commandement de payer ou d'exécuter resté infructueux et contenant déclaration par le Bailleur de son intention d'user du bénéfice de la présente clause, les présentes seraient résiliées de plein droit sans qu'il soit besoin de formalité judiciaire. Il en serait de même en cas de paiement ou d'exécution postérieur à l'expiration du délai ci-dessus. »

Les commandements délivrés par la société Valnet à la société AB Concept le 25 août 2023, relatifs aux deux baux du 19 avril 2014 et 9 avril 2015, s'ils sont intitulés « commandement de payer les loyers et de fournir l'attestation d'assurance visant la clause résolutoire » sont divisés en deux parties :

> l'une commence par la mention « je vous fais commandement de payer dans le délai d'un mois » suivie des sommes à payer au titre des loyers puis de la mention « je vous informe que faute de règlement des sommes sus indiquées, le demandeur entend expressément se prévaloir de la clause résolutoire insérée dans le bail conformément aux dispositions de l'article L. 145-41 du code de commerce [suit la mention intégrale de l'article A15 « clause résolutoire » du bail ci-dessus évoquée et celle de l'article L. 145-1 du code de commerce] ;

> l'autre commence par «je vous fais également commandement d'avoir à fournir les justificatifs de la souscription d'une assurance » « dans le délai d'un mois et ce conformément à la clause A.7. 2 du bail ''Assurances souscrites par le preneur'' » dont le texte est entièrement reproduit et qui ne concerne que l'obligation de s'assurer ; vient ensuite la formule « je vous informe qu'en raison de l'inexécution de votre obligation de payer les loyers, charges, taxes et de fournir l'attestation d'assurance, le bailleur se réserve le droit de vous refuser le renouvellement de votre bail à son expiration, sans être tenu de vous payer une indemnité d'éviction. Le présent commandement valant mise en demeure d'exécuter vos obligations au sens de l'article L. 145-17 du code de commerce » [suit la reproduction intégrale de cet article qui ne concerne que le refus de renouvellement du bail et non pas la résiliation du bail par le jeu de la clause résolutoire].

Ainsi, sans même à avoir à évoquer l'existence et la validité, dans les baux litigieux, d'une clause résolutoire visant le défaut d'assurance, la cour relève que les commandements de payer sont circonscrits à la résiliation du bail par le jeu de la clause résolutoire dans le seul cas de défaut de paiement du loyer.

Or, les demandes de résiliation des baux par la société Valnet ne se fondent, aux termes de ses dernières conclusions, que sur le défaut d'assurance.

Dès lors, infirmant l'ordonnance entreprise, la cour déboute la société Valnet de ses demandes de résiliation des deux baux litigieux et d'expulsion de la société AB Concept et confirme le rejet de ses demandes subséquentes d'astreinte.

Par voie de conséquences, les demandes de la société Valnet qui tendent à la fixation du montant d'une indemnité d'occupation et à la condamnation provisionnelle de cette indemnité d'occupation et la demande de la société AB Concept tendant à obtenir des délais pour justifier des attestations d'assurance deviennent sans objet.

- Sur les demandes de fixation des créances provisionnelles sur les loyers dus par la société AB Concept jusqu'au 6 décembre 2023, date de son jugement d'ouverture de la procédure collective :

L'article L. 622-21, I du code de commerce dispose notamment que le jugement d'ouverture d'une procédure collective interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent.

En outre, selon l'article L. 622-24 du même code, les créances nées antérieurement au jugement d'ouverture doivent faire l'objet d'une déclaration.

Les créances objets de l'instance en référé doivent être déclarées pour être soumises à la procédure de vérification des créances et à la décision du juge-commissaire.

Or, aux termes de l'article 488 du code de procédure civile, l'ordonnance de référé n'a pas, au principal, l'autorité de la chose jugée. Dès lors, le juge commissaire ne serait pas davantage tenu par la décision du juge des référés que la juridiction de fond de droit commun (Com., 23 mars 2022, n° 20-22.753) ; ainsi, la décision en référé provision qui, à la différence d'une instance au fond, n'a pas pour objet d'établir l'existence et le montant de la créance mais d'octroyer une provision au créancier, est donc définitivement paralysée par le jugement d'ouverture de la procédure collective.

Au vu de ces observations, la cour infirme la décision de première instance qui a rejeté les demandes de fixation de créance de la société Valnet pour les déclarer irrecevables et non infondées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique :

Infirme l'ordonnance de référé rendue entre les parties le 18 juin 2024 par le tribunal judiciaire de Besançon sauf en ce qu'elle a rejeté les demandes d'astreinte ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Déboute la SCI Valnet de ses demandes de résiliation des baux et d'expulsion de la SARL AB Concept ;

Déclare la SCI Valnet irrecevable devant le juge des référés en ses demandes de fixation de créances provisionnelles de loyers impayés antérieurs au jugement ouvrant pour la SARL AB Concept une procédure collective ;

Condamne la SCI Valnet aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Et, vu l'article 700 du code de procédure civile, déboute la SCI Valnet de ses demandes tant en première instance qu'en appel et la condamne à payer à la SARL AB Concept la somme globale de 3 000 euros.

Ledit arrêt a été signé par M. Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Fabienne Arnoux, greffier.

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