CA Bordeaux, 1re ch. civ., 13 mars 2025, n° 24/03871
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
De Fabrication D'appareils Scientifiques (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Poirel
Conseillers :
Mme Vallée, Mme Lamarque
Avocats :
Me Cuif, Me Grignon Dumoulin, Me Le Barazer
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
La SA de fabrication d'appareils scientifiques (SAFAS), société PME monégasque industrielle, conçoit, fabrique et commercialise des instruments scientifiques d'analyse tels que spectrophotomètres, fluxmètres, luminomètres...
Par contrat verbal en 1994, elle a engagé M. [T] en qualité d'agent commercial en France.
Par lettre recommandée du 7 septembre 2022, elle a notifié à M. [T] la fin des relations contractuelles pour faute grave de ce dernier.
Par acte du 14 février 2023, M. [P] [T] a fait assigner la SA de fabrication d'appareils scientifiques (SAFAS), devant le tribunal judiciaire de Bergerac aux fins, notamment, d'obtenir sa condamnation à lui payer les sommes de :
- 62 824,47 euros TTC sauf à parfaire au titre de l'arriéré des commissions ;
- 6 053,06 euros TTC sauf à parfaire au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;
- 43 363,12 euros au titre de l'indemnité de cessation de contrat ;
- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du caractère abusif de la rupture.
Ainsi que sa condamnation à lui remettre un extrait des comptes clients des secteurs public et privé, hormis les distributeurs, dans le territoire de la Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Provence-Alpes-Côtes d'Azur, Auvergne, Centre Val de Loire, Pays de la Loire, Bretagne, Normandie, Hauts-de-France et la Belgique, certifié par commissaire aux comptes sur les exercices des années 2017 à 2021, lui permettant de vérifier le montant de sa rémunération, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.
Par conclusions d'incident déposées le 5 décembre 2023, la SAFAS a saisi le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bergerac d'une demande de sursis à statuer dans l'attente de l'issue d'une procédure pénale engagée devant le juge d'instruction de la Principauté de Monaco, à l'encontre de M. [T].
La SAFAS allègue que la faute grave de M. [T] a justifié la rupture de son contrat d'agent commercial. Il serait auteur d'un détournement massif de clientèle accompli pour le compte personnel du mandateur, constitutif du délit d'abus de confiance dénoncé dans la plainte déposée devant le juge monégasque.
Par ordonnance contradictoire du 12 juillet 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bergerac a :
- sursis à statuer sur les demandes de condamnation formées par M. [T] selon assignation du 14 février 2023, dans l'attente d'une décision définitive rendue suite à la plainte avec constitution de partie civile de la SAFAS à l'encontre de M. [T] devant le juge d'instruction de la Principauté de Monaco ;
- ordonné à la SAFAS de consigner par provision la somme de 31 412,24 euros auprès de la Caisse des dépôts et consignation, au titre des commissions dues à M. [T] ;
- fait injonction à la SAFAS d'adresser à M. [T] les documents comptables ou subsidiairement les statistiques de ventes informatiques, portant sur la période allant de septembre 2019 à septembre 2022, pour les régions Nouvelle-Aquitaine, Occitanie,
Hauts-de-France et Provence-Alpes-Côte d'Azur, sans qu'il y ait lieu à astreinte de ce chef ;
- condamné M. [T] à verser à la SAFAS, par provision, la somme de 115 270 euros au titre du stock de consignation qu'il détient ;
- débouté chaque partie de sa demande au titre des frais irrépétibles ;
- dit que les dépens de l'incident suivront le sort des dépens au fond.
M. [T] a relevé appel de cette ordonnance par déclaration du 19 août 2024, en toutes ses dispositions.
Par dernières conclusions déposées le 14 janvier 2025, M. [T] demande à la cour de :
- infirmer l'ordonnance dont appel, en ce qu'il a :
- sursis à statuer sur les demandes de condamnation formées par M. [T] selon assignation datée du 14 février 2023, dans l'attente d'une décision définitive rendue suite à la plainte avec constitution de partie civile de la SAFAS à l'encontre de M. [T] devant le juge d'instruction de la Principauté de Monaco ;
- ordonné à la SAFAS de consigner par provision la somme de 31 412,24 euros auprès de la Caisse des Dépôts et Consignation, au titre des commissions dues à M. [T] ;
- fait injonction à la SAFAS d'adresser à M. [T] les documents comptables ou subsidiairement les statistiques de ventes informatiques, portant sur la période allant de septembre 2019 à septembre 2022, pour les régions Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Hauts de France et Provence-Alpes-Côte d'Azur, sans qu'il y ait lieu à astreinte de ce chef ;
- condamné M. [T] à verser à la SAFAS, par provision, la somme de 115 270 euros au titre du stock de consignation qu'il détient ;
- débouté chaque partie de sa demande au titre des frais irrépétibles ;
- dit que les dépens de l'incident suivront le sort des dépens au fond.
Statuant à nouveau :
- rejeter l'exception de sursis à statuer soulevée par la SAFAS ;
- rejeter la demande de remboursement de la valeur du stock de consignation comme excédent le pouvoir du Juge de la Mise en Etat, outre qu'elle est infondée et dépourvue de justificatifs ;
- condamner par provision la SAFAS à payer à M. [T] la somme de 62 824,47 euros TTC au titre de l'arriéré des commissions dont l'obligation n'est pas sérieusement contestable ni contestée ;
- condamner la SAFAS à remettre à M. [T] un extrait des comptes clients des secteurs public et privé, hormis les distributeurs, dans le territoire de la nouvelle Aquitaine, Occitanie, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Auvergne, Centre Val de Loire, Pays de la Loire, Bretagne, Normandie, Hauts-de-France et la Belgique certifié par commissaire aux comptes sur les exercices des années 2021, 2020, 2019, 2018 et 2017 lui permettant de vérifier le montant de sa rémunération, et ce sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir.
En tout état de cause :
- débouter la SAFAS de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'encontre de M. [T] ;
- condamner la SAFAS à payer à M. [T] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SAFAS aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel dont distraction au profit de Me Frédéric Cuif en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions déposées le 15 janvier 2025, la SAFAS demande à la cour de :
- confirmer dans toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bergerac le 12 juillet 2024.
Y ajoutant :
- condamner M. [T] à payer à la SAFAS la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
- débouter M. [T] de ses demandes formulées à ce titre.
En tout état de cause :
- débouter M. [T] de toutes ses demandes plus amples ou contraires.
L'affaire a été fixée à bref délai à l'audience rapporteur du 30 janvier 2025, avec clôture de la procédure au 16 janvier 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I - Sur la demande de sursis à statuer
L'appelant sollicite l'infirmation de l'ordonnance qui a sursis à statuer sur ses demandes de condamnation contre la SAFAS dans l'attente d'une décision définitive à intervenir rendue suite à la plainte avec la constitution de parte civile de la SAFAS à son encontre devant le juge d'instruction de la Principauté de Monaco, soutenant que la condition de mise en mouvement de l'action publique n'est pas remplie en l'absence de plainte préalable d'une part et au regard des manoeuvres dilatoires de la SAFAS, la plainte avec constitution de partie civile ne portant pas sur les mêmes causes que la lettre de licenciement qui lui a été notifiée le 7 septembre 2022. Il fait valoir les manoeuvres dilatoires de la SAFAS.
L'intimée, confirme avoir déposé plainte avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction du tribunal de première instance de la principauté de Monaco en date du 22 novembre 2023 contre M. [T] pour abus de confiance, faux, usage de faux en écritures privées, faux dans les certificats, délit relatif aux systèmes d'information et contrefaçons de marque et de droits d'auteur et avoir réglé le montant de la consignation.
En application de l'article 4 du code de procédure pénale, 'l'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction prévue par l'article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique.
Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.
La mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil.'
Selon les articles 378 et 379 du code de procédure civile , 'la décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine.
Le sursis à statuer ne dessaisit pas le juge. A l'expiration du sursis, l'instance est poursuivie à l'initiative des parties ou à la diligence du juge, sauf la faculté d'ordonner, s'il y a lieu, un nouveau sursis.
Le juge peut, suivant les circonstances, révoquer le sursis ou en abréger le délai.'
En l'espèce, l'action engagée par M. [T] porte sur la condamnation de son ancien employeur à lui verser les commissions dues au titre de son contrat d'agent commercial, outre des indemnités en raison du caractère qu'il juge abusif de la procédure de licenciement à son encontre, comme constituant une mesure de représailles.
Toutefois, la SAFAS conteste devoir ces commissions, lui opposant son licenciement pour faute grave, ne pouvant réclamer les commissions qui porteraient sur des sommes détournées par lui à son profit.
Par la lettre du 7 septembre 2022 mettant fin à la relation des parties, sur 4 pages, il est reproché à M. [T] la négligence totale de suivi d'affaires apportées par la SAFAS en 2020 ayant fait perdre des ventes importantes, l'absence totale de prospection pour le compte du mandant, les informations incomplètes ou fausses quant au suivi de certains appels d'offres et contrats, la disparition inexpliquée d'une partie du stock de consignation confiée puis la découverte en août 2022 d'une activité concurrente à celle de son mandant par le détournement de deux kits d'étalons certifiés et raccordés au profit du CHU de [Localité 9] permettant de se faire payer l'intervention à titre personnel.
Elle explique avoir eu pleinement connaissance de l'ancienneté et du volume des affaires effectuées par M. [T] en détournement de mandants pour son compte personnel après plusieurs mois d'investigations postérieurs à la notification de son licenciement : CHU de [Localité 9] en 2022, INRAE de [Localité 6] en 2022, CHU [11] de [Localité 6] en 2013, 2016, 2018, 2020 et 2021, laboratoire OENOTEAM de [Localité 8] en 2020, CNRS/ IBGC de [Localité 6] en 2017, 2018, 2019 et 2020, TWB de [Localité 14] en 2021 et 2022, à L'IRAE de [Localité 12] en 2015, 2019 et 2022, au Lycée [4] de [Localité 5] en 2017, 2018 et 2022, Université de [Localité 6] en 2013 et 2023
Par ailleurs la plainte avec constitution de partie civile en date du 22 novembre 2023, de 70 pages, porte sur des faits d'abus de confiance, de faux et usage de faux en écriture privée, d'établissement d'attestations ou de certificats faisant état de faits matériellement inexacts, d'accès frauduleux à un système d'information et de contrefaçons de marque et de droits d'auteur avec une évaluation de son préjudice entre 25 à 30 millions d'euros. Ces faits prévoient des peines allant au-delà de trois ans d'emprisonnement.
La SAFAS démontre ainsi le lien de connexité suffisant entre ces deux procédures, M. [T] n'apportant aucun élément contraire, pour qu'il soit sursis à statuer, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice
Il n'appartient pas au juge de la mise en état d'apprécier la recevabilité de la constitution de partie civile , laquelle, selon le droit monégasque prévoit en l'article 74 du code de procédure monégasque qu'une plainte devant les services de police préalablement à la constitution de partie civile est une condition de recevabilité seulement lorsque la peine maximale encourue est inférieure ou égale à trois ans d'emprisonnement, et statuer sur la qualification des faits retenue par la SAFAS dans son dépôt de plainte, qui la dispense de ce préalable devant les services de police.
L'ordonnance déférée sera confirmée de ce chef.
II - Sur la demande en paiement des provisions des commissions impayées
L'appelant sollicite l'infirmation de l'ordonnance déférée en ce qu'elle a condamné la SAFAS a consigner par provision la somme de 31.412,24 euros auprès de la caisse des dépôts et de consignation au titre des commissions dues uniquement pour 50% de la demande.
Il conteste la position de la SAFAS d'opérer compensation entre une créance de commission non contestée en son principe, exigible et liquide avec une éventuelle créance de dommages et intérêts non déterminée ni déterminable.
Se basant sur la moyenne annuelle des commissions versées sur les 10 années qui s'élèvent à 24.000 euros TTC, il demande que la condamnation à provision soit portée au montant de 62.824 euros TTC.
Cette créance ayant une nature alimentaire, il demande la condamnation ne soit pas versée en garantie à la caisse des dépôts et de consignation.
Enfin, il conteste l'application de l'article 781 du code de procédure civile faite à tort par le juge de la mise en état, lequel pour fixer le montant de la provision des commissions dues a retenu l'hypothétique réparation du préjudice qui serait subi par la SAFAS, revenait de ce fait à trancher les questions de responsabilité au fond.
La SAFAS conteste l'exigibilité de la créance de M. [T], rappelle qu'elle ne peut établir la facturation des commissions seulement qu'après vérification du relevé transmis par l'agent commercial, avec les factures correspondantes desquelles elle opère un contrôle. En l'absence de respect de la procédure par M. [T], elle n'a pas été en mesure de faire ces contrôles, émettant ensuite des doutes sur leur caractère certain et liquide dès lors qu'elle lui oppose de s'être montré défaillant dans la recherche et le suivi de nouveaux prospects, le suivi des clients, le traitement des commandes, la qualité des réparations effectuées et des détournements de clientèle. Elle rappelle au surplus qu'elle est en droit de déduire la valeur du stock de consignation des commissions dues.
***
Aux termes de l'article 789 du code de procédure civile , 'lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour : (...) 3° Accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l'exécution de sa décision à la constitution d'une garantie dans les conditions prévues aux articles 514-5,517 et 518 à 522 .'
Si la qualification de la relation des parties relève du juge du fond, les deux sollicitent devant le juge de la mise en état l'application des dispositions du code du commerce. Son article R.134-3 fait obligation au mandant de remettre à l'agent commercial un relevé des commissions dues, au plus tard le dernier jour du mois suivant le trimestre au cours duquel elles sont acquises. L'agent commercial a le droit d'exiger de son mandant qu'il lui fournisse toutes les informations en particulier un extrait des documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions qui lui sont dues
L'article L. 134-6 du même code stipule que 'pour toute opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission définie à l'article L. 134-5 lorsqu'elle a été conclue grâce à son intervention ou lorsque l'opération a été conclue avec un tiers dont il a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre'.
Contrairement à ce que soutient M. [T], il n'est pas établi que sa créance soit à ce jour en totalité certaine, exigible et liquide, la SAFAS ayant relevé des erreurs dans les relevés de commissions pour l'année 2020, transmise le 11 février 2022, puis rectifiée le 13 juin 2022, ayant à plusieurs reprises sollicité M. [T] pour obtenir des factures de commissions qui étaient inexploitables les 11 avril 2022, 13 mai 2022 et 27 mai 2022 aux fins d'établir ensuite le chiffre d'affaires et facturation des commissions, mais encore 23 et 24 juin 2022 et M. [T] ne produisant qu'une liste de 10 commissions entre 2012 et 2022 (tableau en pièce 84 de la SAFAS), ayant transmis les relevés de commissions de l'année 2021 le 12 septembre 2022 après la rupture de la relation de travail, n'ayant pas transmis celles relative à l'année 2022 et ayant enfin produit de nombreuses factures sur lesquelles il existe un désaccord au sujet d'un éventuel détournement de clientèle à son profit.
La SAFAS reconnaît ne pas avoir réglé les commissions des années 2020 à 2022 à M. [T], leur montant est contestable au vu des factures litigieuses qui opposent les parties, les courriels de transmission et de réception des relevés de factures produites aux débats faisant état de demandes de rectifications pour erreur de M. [T] chaque année depuis 2013.
C'est donc par une juste appréciation des demandes de chacune des parties que le premier juge a ordonné le versement provisionnel des commissions en garantie à la CDC, cette consignation ne s'opposant pas aux droits de M. [T] dans le recouvrement de créances alimentaires sur lesquelles le juge n'a pas encore statué au fond et alors que conformément à l'article 519 du code de procédure civile auquel fait référence l'article 789 pré-cité, il s'agit de permettre toute restitution ou réparation et de préserver les droits de chaque partie dans le litige les opposants.
Toutefois, en raison de l'obligation première et non contestable du mandant de remettre le relevé des commissions dues à l'agent commercial en ce qu'il détient les justificatifs du fait générateur du droit à commission de l'agent commercial et de l'exigibilité de son règlement, conformément à l'article R. 134-3 du code de commerce, et de son absence de comptabilité exacte à ce jour, il convient d'ordonner le versement par la SAFAS de la totalité de la somme sollicitée.
Le jugement déféré sera infirmé du quantum de la provision mis à la charge de la SAFAS.
III - Sur la demande de la remise par la SAFAS d'un extrait des comptes clients
L'appelant sollicite l'infirmation de la décision qui a limité l'obligation faite par la SAFAS de lui communiquer les comptes clients sur les seules régions Nouvelle Aquitaine, Occitanie, Hauts de France et Provence-Alpes-Côte d'Azur, soutenant être intervenu dans toute la France. Il produit la liste de clients figurant dans ses relevés de chiffre d'affaires sur lesquels il a été commissionné sur toute la France. Il réitère sa demande de communication sous astreinte ayant besoin de ces éléments pour évaluer son droit à commission.
La SAFAS conteste l'intervention de M. [T] sur toute la France, ayant limité sa zone géographique sur le Sud-Ouest avant que de lui-même il étende certains de ses prospects plus loin. Elle relève le risque pour la société à transmettre les entraits des comptes clients pour toute la France alors qu'il exerce désormais chez un concurrent et eu égard à ses précédents détournements de clientèles alors qu'il était agent commercial de la SAFAS.
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Au terme de l'article 788 du code de procédure civile 'le juge de la mise en état exerce tous les pouvoirs nécessaires à la communication, à l'obtention et à la production des pièces'.
Selon l'article R. 134-3 du code du commerce prévoit en son alinéa 3 aux fins de la permettre à l'agent commercial de vérifier les informations comptables et le montant des commissions dues, que 'lorsqu'il est chargé d'un secteur géographique ou d'un groupe de personnes déterminé, l'agent commercial a également droit à la commission pour toute opération conclue pendant la durée du contrat d'agence avec une personne appartenant à ce secteur ou à ce groupe.'
M. [T] sollicite le versement par provision des commissions dues faisant référence à son activité sur l'ensemble du territoire français alors que la liste de ses clients qu'il a établi lui-même sur un fichier Excell sans numéro de client ni référence à une quelconque facture ne suffit pas à établir la réalité de la zone géographique couverte.
L'employeur de son côté ne conteste pas son intervention dans villes de [Localité 6], [Localité 8], [Localité 14], [Localité 5], [Localité 12], [Localité 9] et [Localité 10], sans produire d'attribution officielle de zone géographique d'intervention en sa qualité de commercial, la relation contractuelle de travail entre les parties étant verbale depuis 1994.
Il convient dès lors de confirmer l'ordonnance déférée qui a limité la communication des extraits de comptes clients aux régions non contestées dans lesquelles M. [T] est intervenu en qualité d'agent commercial, soit la Nouvelle Aquitaine, L'Occitane, les Hauts de France et Provence Côtes d'Azur.
La SAFAS ne justifie pas avoir communiqué les documents dont il lui a été fait injonction par le premier juge. Il convient dans ces conditions d'assortir cette obligation d'une astreinte dans les termes du dispositif de la présente décision.
IV - Sur la demande en remboursement de la valeur du stock de consignation
L'appelant sollicite l'infirmation de l'ordonnance qui l'a condamnée à rembourser à la SAFAS la somme de 115.270 euros en remboursement de la valeur du stock de consignation.
Il relève tout d'abord l'absence de respect du principe du contradictoire par le premier juge, cette demande n'ayant été formée par la SAFAS la veille de l'audience de mise en état devant le premier juge et M. [T] n'ayant pas été en mesure d'en discuter contradictoirement, le juge se reportant qui plus est dans sa motivation à l'absence de contestation de sa part.
Sur le fond, il conteste l'état du stock établi par la SAFAS en date du 16 décembre 2021 n'ayant pas pris en compte les modifications qui y ont été apportées le 11 avril 2022 par les différents bons de retour adressés à cette date.
Il relève que le tableau récapitulatif du stock du 16 décembre 2021, établi unilatéralement par la SAFAS fait état de matériels remis 10 ans auparavant, alors qu'il a assuré le service après vente des maintenances préventives des clients sous contrats de 3 ans 'avec remplacement des lampes visibles et Deutérium systématique'. Il conteste ainsi le tableau réactualisé produit en appel, les pièces ayant été livrées et facturées et des commissions lui ayant été versées en contrepartie de son intervention.
Enfin, il conteste la décision prise comme ne reposant sur aucun fondement, l'obligation de restitution impliquant la preuve préalable d'une mise en possession d'un stock par un bon de réception ou de consignation, l'intention des parties et la qualification de la convention portant sur les biens remis, le droit de rétention dont il dispose en vertu des articles 2286 et 1948 du code civil en sa qualité d'agent commercial dépositaire et l'obligation des articles 1915 et 1943 du code civil prévoyant la restitution dans le lieu même du dépôt.
La SAFAS rappelle au contraire que bien que ses dernières conclusions avec cette demande de condamnation à payer le montant du stock de consignation aient été transmises la veille de l'audience de mise en état, le premier juge a constaté que M. [T] n'a formulé aucune observation orale devant ce dernier ni sollicité de renvoi pour y répondre, ni proposé de chiffrage différent, malgré une contestation dans un courrier du 18 novembre 2022.
Elle conteste l'actualisation faite par M. [T] en date du 8 avril 2022, ce dernier ayant retiré de la liste des consignation le matériel qui n'était plus en sa possession mais sans justifier de l'emploi qu'il a pu en faire.
En appel, elle produit un tableau mis à jours de l'état des consignations, avec les devis et factures ainsi que les prix au tarif 2022 faisant état d'une augmentation par rapport au tarif indiqué en décembre 2021.
L'intimée fait enfin valoir l'insolvabilité organisée de M. [T], ayant procédé à plusieurs saisies attribution le 9 août 2024 et le 16 septembre 2024 restées infructueuses et ayant fait cité M. [T] en audience de conciliation devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Bergerac pour saisie des rémunérations.
***
Conformément aux articles 15 et 16 du code civil, le juge de la mise en état a relevé dans son ordonnance que la demande formulée par la SAFAS dans ses conclusions déposées la veille de l'audience n'ont fait l'objet d'aucune demande de renvoi pour réponse ni de contre-proposition orale à l'audience. M. [T], représenté, a donc été informé des demandes de la SAFAS et mis en mesure de faire valoir ses droits en défense. Le juge de la mise en état a par conséquent respecté le principe du contradictoire.
Les fonctions d 'agent commercial de M. [T] pour le compte de la SAFAS ne sont pas contestées, ni la nécessité pour lui de disposer d'un stock de consignation lui permettant d'intervenir pour le prospect, la vente et le service après vente composé d'un volume d'appareils, matériels, logiciels, consommables et pièces de rechanges, propriété de la SAFAS. Le matériel ainsi utilisé correspond à une facture éditée pour le compte de la SAFAS au nom du client justifiant le retrait du produit du stock de consignation ou la demande de renouvellement.
Il n'est pas non plus contesté qu'aucun inventaire n'a été établi avant décembre 2021 et que depuis 1994, la SAFAS ne produit aucun document de remise à son agent commercial d'appareils, matériels, logiciels et consommable. Si M. [T] confirme disposer d'un stock de consignation, son mandant n'est pas en mesure d'en établir le volume ni le montant depuis l'origine de la relation de travail.
A compter du 16 décembre 2021, un inventaire a été dressé avec mise en place de bon de prêt et de retour pour le matériel et feuille d'attachement pour les consommables, mais ce document a été établi unilatéralement par la SAFAS sans expliquer sur quelles données elle s'est fondée.
Par courrier du 16 décembre 2021, la SAFAS demandait M. [T] de comparer le tableau émis du stock de consignation avec son stock. Suite à la réponse faite, un nouveau courriel lui était adressé le 9 février 2022, constatant qu'il avait 'barré dans le tableau' certains matériels, la SAFAS s'en étonnant 'je suppose que vous n'êtes pas parvenu à retrouver dans votre stock les éléments suivants', suivi d'une liste de consommables, instruments et pièces détachés. Elle demandait à M. [T] de renseigner chaque ligne barrée avec justificatif.
Ce n'est que par échanges de courriels des 8 et 11 avril 2022 dans lesquels il a été demandé à M. [T] de faire retour de certains produits et de justifier de la concordance de l'inventaire que ce dernier a contesté Depuis, les éléments qu'il a retiré par versement de bons par courriel des 8 et 11 avril 2022 sont contestés par la SAFAS.
La relation de travail ayant pris fin entre les parties le 7 septembre 2022 M. [T] qui n'était que dépositaire du matériel devait le restituer sans qu'il puisse évoquer à ce jour un droit à rétention au titre du code civil, n'ayant au demeurant jamais contesté jusqu'à présent devoir restituer ce matériel en proposant à la SAFAS de venir le reprendre à son domicile dans son courrier du 12 octobre 2022.
Dans le courrier du 27 septembre 2022, la SAFAS a mis en demeure M. [T] de restituer tous les appareils, matériel et consommables en sa possession avec en annexe le tableau du 16 décembre 2021, puis par courrier du 14 novembre 2022, M. [T] a été mis en demeure d'établir pour le 18 novembre 2022 un listing à jour et de justifier les éventuelles absences de matériels.
La modification apportée à l'état du stock est discutée, M. [T] refusant de son côté de justifier d'un listing précis permettant de démontrer la facturation pour le compte de la SAFAS des produits qui n'y figureraient plus selon sa liste actualisée d'avril 2022.
En effet, les pièces produites par M. [T] dans ses courriels du 8 avril 2022 ne sauraient être retenues comme probantes comme ne correspondant pas aux justificatifs demandés par la SAFAS et cette dernière ayant par ailleurs retrouvé des lampes vendues à titre personnel à des clients SAFAS qui faisaient partie de son stock de consignation.
S'il produit des feuilles d'attachement en appel suite au dernier tableau mis à jours quant aux prix des produits uniquement, ces transmissions ne sont ni exhaustives, ni ne reflètent l'état du stock de consignation qu'il détient encore par rapport à l'activité réellement faite pour le compte de la SAFAS et ne fait de son côté aucun autre chiffrage de la valeur du stock qu'il évalue détenir.
La SAFAS justifie le montant demandé au regard des prix catalogues pratiqués et reportés pour chaque produit dans la liste de stock de consignation, mais M. [T] a barré de la liste plusieurs articles, sans faire de nouveau tableau chiffré.
En l'absence d'élément probant sur le stock de consignation détenu par M. [T] sur la seule base du tableau du 16 décembre 2021 établi par la SAFAS unilatéralement, mais en tenant compte des refus de M. [T] de justifier du stock qu'il continue de détenir, il convient d'ordonner à ce dernier le versement provisionnel de la somme de 57.635 euros correspondant représentant 50% du stock sollicité comme étant une base non contestable..
Conformément à l'article 789 3) du code de procédure civile faisant référence à l'arille 519 du code de procédure civile et afin de préserver les intérêts des parties dans le procès au fond, cette somme sera versée auprès de la caisse des dépôts et consignation.
L'ordonnance déférée sera confirmée sera infirmée quant au quantum retenu et quant aux modalités du versement provisionnel.
V - Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant en son recours, M. [T] en supportera les entiers dépens, le jugement étant confirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et frais irrépétibles de première instance, mais sera équitablement condamné à payer à la SAFAS une somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en appel, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :
- sursis à statuer sur les demandes de condamnation formées par M. [T] dans l'attente d'une décision définitive rendue suite à la plainte avec constitution de partie civile de la SAFAS à l'encontre de M. [T] devant le juge d'instruction de la Principauté de Monaco,
- condamné la SAFAS à verser une provision au titre des commissions restées impayées avec consignation auprès de la caisse des dépôts et consignations,
- condamné M. [T] à verser une provision au titre du stock de consignation,
- fait injonction à la SAFAS d'adresser à M. [T] les documents comptables ou subsidiairement les statistiques des ventes informatiques portant sur la période allant de septembre 2019 à septembre 2022, pour les régions Nouvelle Aquitaine, Occitane, Hauts de France et Provence-Côte d'Azur
- statué sur les dépens et les frais irrépétibles,
L'infirme dans les quantum alloués et dans les modalités de versement du stock de consignation par M. [T] ainsi que dans le prononcé d'une astreinte pour communication des documents comptables et statiques,
Statuant des chefs du jugement infirmés et y ajoutant,
- Ordonne à la SAFAS de consigner la somme de 62. 824,47 euros auprès de la caisse des dépôts et consignation au titre des commissions dues à M. [T],
- Ordonne à M [T] de consigner la somme de 57.635 euros auprès de la caisse des dépôts et consignation au titre du stock de consignation qu'il détient,
- Dit que l'injonction à la SAFAS d'adresser à M. [T] les documents comptables tels que visés dans le jugement déféré est assorti d'une astreinte de 50 euros par jour de retard dans les 15 jours de la signification de la présente décision et pendant une période de 2 mois,
Condamne M. [T] à verser à la SAFAS la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en appel,
Condamne M. [T] aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Paule POIREL, présidente, et par Vincent BRUGERE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.