CA Amiens, ch. économique, 13 mars 2025, n° 24/02459
AMIENS
Arrêt
Autre
ARRET
N°
S.A. ETABLISSEMENTS [L]
C/
[W] VEUVE [L]
[L]
S.E.L.A.R.L. V&V SELARL
copie exécutoire
le 13 mars 2025
à
Me Morer
Me Levy
VD
COUR D'APPEL D'AMIENS
CHAMBRE ÉCONOMIQUE
ARRET DU 13 MARS 2025
N° RG 24/02459 - N° Portalis DBV4-V-B7I-JDIE
ORDONNANCE DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE COMPIEGNE DU 09 AVRIL 2024 (référence dossier N° RG 2024R00021)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
S.A.S ETABLISSEMENT [L] agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me Xavier D'HELLENCOURT de l'ASSOCIATION CABINET D HELLENCOURT, avocat au barreau d'AMIENS substitué par Me Alexandre COUTEL, avocat au barreau D'AMIENS, postulant
Ayant pour avocat plaidant Me Stéphane MORER de la SELARL BAYET ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
ET :
INTIMEES
Madame [F] [W] veuve [L]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AVOCATS, avocat au barreau d'AMIENS substitué par Me Eric POILLY, avocat au barreau D'AMIENS, postulant
Ayant pour avocat plaidant Me Grégory LEVY de l'AARPI NGO JUNG & PARTNERS, avocat au barreau de PARIS
Madame [Z] [L]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AVOCATS, avocat au barreau d'AMIENS substitué par Me Eric POILLY, avocat au barreau D'AMIENS, postulant
Ayant pour avocat plaidant Me Grégory LEVY de l'AARPI NGO JUNG & PARTNERS, avocat au barreau de PARIS avocat au barreau D'AMIENS
ET
PARTIE INTERVENANTE
S.E.L.A.R.L. V&V ès qualités de mandataire ad'hoc de la société ETABLISSEMENTS [L] en la personne de Maître [M] [H]
[Adresse 7]
[Localité 8]
Assignée à personne le 29 août 2024
***
DEBATS :
A l'audience publique du 12 Décembre 2024 devant :
Mme Odile GREVIN, présidente de chambre,
Mme Florence MATHIEU, présidente de chambre,
et Mme Valérie DUBAELE, conseillère,
qui en ont délibéré conformément à la loi, la présidente a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 13 Mars 2025.
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 804 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Madame Malika RABHI
PRONONCE :
Le 13 Mars 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ; Mme Odile GREVIN, présidente de chambre a signé la minute avec Madame Marie-Estelle CHAPON, greffière.
*
* *
DECISION
Monsieur [U] [L] et son épouse Madame [F] [W], mariés sous le régime de la communauté universelle, ont créé la SAS Etablissement [L] au capital social de 1.200.000 euros ayant pour objet social le négoce de pneumatiques dans le domaine automobile.
Ils ont eu deux enfants, M. [J] [L] marié à Mme [S] [V], et Mme [Z] [L].
Le 11 juillet 2005 ils ont donné à leur fils [J] :
- 35.982 actions en pleine propriété,
- 39.000 actions en nue-propriété, se réservant l'usufruit de ces parts jusqu'au décès du survivant des donateurs.
M. [J] [L] a été nommé président de la société à compter du 1er janvier 2014 en remplacement de son père qui a été désigné directeur général.
A la suite d'autres cessions non rappelées par les parties, dont donation de M. [U] [L] à M. [J] [L] de 1510 actions en usufruit agréée lors de l'assemblée générale du 17 mai 2018, les 75.000 actions de cette société étaient réparties ainsi qu'il suit en 2021 :
- M. [U] [L] : 37490 parts en usufruit,
- M. [J] [L] : 37504 parts en pleine propriété et 37490 parts en nue-propriété,
- Mme [S] [V] épouse [L] : 3 parts,
- Mlle [Z] [L] : 3 parts.
Monsieur [U] [L] est décédé le 26 mai 2022. Aucun directeur général n'a été désigné en remplacement.
Le 30 juin 2022 M. [J] [L] et son épouse [S] [V] épouse [L] en association avec leurs deux enfants ont créé la SAS Lad-Invest, immatriculée le 6 juillet 2022, holding de la société Etablissements [L] et de la SCI des Rainettes et lui ont fait apport de leurs actions dans la société Etablissement [L].
Ainsi la société Lad-Invest est devenue propriétaire de 37507 actions en pleine propriété et de 37490 actions en nue-propriété, Mme [F] [W] veuve [L] étant à la tête de 37490 actions en usufruit et sa fille [Z] [L] de 3 actions en pleine propriété.
Lors de l'assemblée générale ordinaire annuelle du 30 juin 2022 les associés, à l'unanimité, ont décidé d'affecter le bénéfice de l'année 2021 s'élevant à 358.832 euros en totalité au report à nouveau.
Lors de l'assemblée générale ordinaire annuelle du 9 juin 2023, l'associé majoritaire avec un total de 37507 voix a décidé d'affecter le bénéfice de l'année 2022 s'élevant à 406.315 euros en totalité au poste « autres réserves », les deux associés minoritaires Mesdames [F] et [Z] [L] avec un total de 37493 voix ayant voté contre.
Par courrier daté du 23 novembre 2023 les associés ont été convoqués en assemblée générale ordinaire le 8 décembre 2023 à 8 heures pour se prononcer sur les décisions suivantes :
- résolution n°1 : « L'assemblée générale décide de prélever la somme de 4.143.811 euros sur le poste « report à nouveau » et d'affecter cette somme au poste « autres réserves ».
- résolution n°2 : « l'assemblée générale décide de procéder à une distribution de réserves de 2.025.000 euros en prélevant ladite somme sur le poste « autres réserves ».
Par requête du 6 décembre déposée le 7 décembre 2023, Mesdames [F] et [Z] [L] ont saisi par requête le président du tribunal de commerce de Compiègne au visa des articles 493 et suivants, 874 et 875 du code de procédure civile, afin qu'il :
« -constate qu'elles sont bien fondées à ne pas appeler la partie adverse concernée par la mesure,
- nomme de toute urgence tel mandataire ad'hoc qu'il lui plaira au bénéfice de la SAS Etablissements [L], lequel aura pour mission de :
* reporter à une date ultérieure l'assemblée générale ordinaire fixée le 8 décembre 2023 avec le même ordre du jour,
* représenter M. [J] [L] à l'assemblée générale ordinaire nouvellement fixée,
* voter au nom de ce dernier dans le sens des décisions conformes à l'intérêt social mais ne portant pas atteinte à l'intérêt légitime des associés,
Et ce pour une durée de 6 mois qui pourra, en cas de besoin justifié, être prorogée par une ordonnance rendue sur simple requête du mandataire ad hoc,
- autorise le mandataire ad hoc désigné à se faire assister par tout sapiteur de son choix,
- dire qu'en cas d'empêchement il sera pourvu à son remplacement par ordonnance sur requête,
- dire qu'il en sera référé à la juridiction de céans en cas de difficulté. »
Par ordonnance sur requête rendue le 8 décembre 2023 au visa des articles 493 et suivants, 874 et 875 du code de procédure civile, la requête et les pièces produites à l'appui, le président du tribunal de commerce a fait partiellement droit à la requête a nommé la SELARL V&V en la personne de Maitre [M] [H] en qualité mandataire ad hoc de la société Etablissements [L] avec pour seule mission de reporter, le temps de la durée de la mission, l'assemblée générale ordinaire fixée le 8 décembre 2023, pour permettre à la partie requérante d'engager toute procédure qu'elle estime nécessaire dans le respect du contradictoire, et de rencontrer les associés et leur conseil afin d'établir un accord entre eux ;
Et ce pour une durée de 3 mois qui pourra, en cas de besoin justifié, être prorogée par une ordonnance rendue sur simple requête du mandataire ad hoc,
Et précisant que :
- le mandataire ad'hoc devra rendre compte au terme de sa mission,
- il pourra se faire assister par tout sapiteur de son choix,
- en cas d'empêchement il sera pourvu à son remplacement par ordonnance sur requête,
- il sera référé à la juridiction de céans en cas de difficulté,
- une provision sera préalablement versée par Mme [F] [L] et Mme [Z] [L] d'un montant de 1000 euros TTC,
- la présente ordonnance est exécutoire au seul vu de la minute,
- les dépens devront être supportés par la partie requérante,
- les dépens à recouvrer par le greffe sont liquidés à la somme de 16,76 euros.
La requête et l'ordonnance ainsi rendue ont été signifiées à la SAS Etablissements [L] le 8 décembre 2023 à 12h07, les actes étant remis à son président [J] [L].
Mais entre-temps l'assemblée générale s'était réunie comme prévu le 8 décembre 2023 à 8 heures, et en l'absence des deux associées minoritaires dûment convoquées, les deux résolutions ont été adoptées, l'associé majoritaire ayant voté pour.
Par acte en date du 15 mars 2024, la SA Etablissements [L] a fait assigner Mme [F] [W] et Mme [Z] [L] devant le président du tribunal de commerce de Compiègne saisi comme en matière de référé sur le fondement des articles 496 et 497 du code de procédure civile.
Par une ordonnance rendue le 9 avril 2024, le président du tribunal de commerce de Compiègne a :
Dit la SAS Etablissement [L] recevable mais mal fondée en sa demande de rétractation de l'ordonnance du 8 décembre 2023, l'en déboute ;
Dit les consorts [L] recevables et bien fondées en leur demande.
En conséquence :
Modifie la mission assignée à la SELARL V&V, administrateur judiciaire, en la personne de Maitre [M] [H], en ces termes :
Convoquer l'AG des associés de la SAS Etablissements [L] dans un délai d'un mois à compter de la présente ordonnance, ayant pour ordre du jour :
1ère résolution : l'AG décide d'annuler les deux résolutions adoptées le 8 décembre 2023 ;
2ème résolution : l'AG décide de prélever la somme de 4.143.811 euros sur le poste « Autres réserves » et de l'affecter sur le poste « Report à nouveau ».
Représenter Monsieur [J] [L] à l'AG ordinaire nouvellement fixée ;
Voter au nom de ce dernier dans le sens des décisions conformes à l'intérêt social mais ne portant pas atteinte à l'intérêt légitime des associés ;
Confirme l'ordonnance du 8 décembre 2023 en ce qu'elle a désigné la SELARL V&V, administrateur judiciaire, en la personne de Maitre [M] [H] en qualité de mandataire ad' hoc de la SA Etablissements [L] et ce pour une durée de 3 mois, qui pourra, en cas de besoin justifié, être prorogée par une ordonnance rendue sur simple requête du mandataire ad' hoc.
Condamne la SA Etablissements [L] à payer la somme de 3.000 euros aux consorts [L] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les consorts [L] de leur demande de provision (à valoir sur des dommages et intérêts pour abus de majorité);
Dit que la SA Etablissements [L] aura la charge des dépens de la présente instance ;
Liquide les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 57,65 euros dont TVA à 20%.
Par une déclaration en date 4 juin 2024, la SA Etablissements [L] a interjeté appel de ladite ordonnance.
Par assignation et conclusions dénoncées à personne morale le 20 août 2024, les intimées ont attrait en intervention forcée la SELARL V&V, en sa qualité de mandataire ad' hoc de la SA Etablissements [L], qui n'a pas constitué avocat.
Dans son deuxième jeu de conclusions en date du 16 septembre 2024, l'appelant demande à la cour de :
Infirmer l'ordonnance du 9 avril 2024 sauf en ce qu'elle a débouté les consorts [L] de leur demande de provision.
Statuant à nouveau :
Rétracter l'ordonnance rendue le 8 décembre 2023 par le président du tribunal de commerce de Compiègne à la requête des consorts [L] en raison tant de l'absence de motivation au sens de l'article 495 du code de procédure civile et en l'absence de preuve d'urgence et de circonstances exigeant que des mesures ne soient pas prises contradictoirement au sens de l'article 875 du code de procédure civile ;
Infirmer la décision en ce qu'elle a nommé, sur le fondement de l'article 875 du code de procédure civile, un mandataire ad' hoc avec pour mission, relevant uniquement des dispositions de l'article 873 du code de procédure civile, de convoquer l'assemblée générale ordinaire des associés de la société [L] dans un délai d'un mois à compter de la présente ordonnance, ayant pour ordre du jour (') ;
Débouter les consorts [L] de l'ensemble de leurs demandes tant à titre principal que subsidiaire tant dans le cadre de leurs conclusions d'appel que dans le cadre de leur assignation en appel incident ;
A titre subsidiaire, condamner les consorts [L] à régler les frais du mandataire ad' hoc ;
Dire et juger qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la SAS Etablissements [L] les frais irrépétibles qu'il a été contraint d'exposer en justice aux fins de défendre ses intérêts ;
Condamner solidairement les consorts [L] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner les consorts [L] aux entiers dépens.
Dans leur dernier jeu de conclusions en date du 29 août 2024 formant appel incident, Mesdames [F] et [Z] [L] demandent à la cour d'appel d'Amiens de :
Juger la SA Etablissements [L] mal fondée en son appel et la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.
En conséquence :
Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 9 avril 2024 par le président du tribunal de commerce de Compiègne ;
Débouter la SA Etablissements [L] de toutes ses demandes, fins, moyens et conclusions.
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour de céans ne devait pas confirmer l'ordonnance du 9 avril 2024 en ce qu'elle a modifié la mission assignée à la SELARL V&V administrateur judiciaire :
Faire droit, dans ce cas, à l'appel incident subsidiaire des concluantes et :
Modifier la mission assignée à la SELARL V&V administrateur judiciaire, en la personne de Maitre [M] [H] en qualité de mandataire ad' hoc de la SA Etablissements [L] en ces termes :
Convoquer l'AG ordinaire des associés de la SA Etablissements [L] dans un délai d'un mois à compter de la présente ordonnance, ayant pour ordre du jour la résolution suivante : l'AG décide de suspendre tous les effets des deux résolutions adoptées le 8 décembre 2023 ;
Représenter Monsieur [J] [L] à l'AG ordinaire nouvellement fixée ;
Voter au nom de ce dernier dans le sens des décisions conformes à l'intérêt social mais ne portant pas atteinte à l'intérêt légitime des associés.
Débouter la SA Etablissements [L] de toutes ses demandes, fins, moyens et conclusions.
En tout état de cause :
Juger que la provision versée au mandataire ad' hoc sera préalablement versée par la SA Etablissements [L] ;
Débouter la SA Etablissements [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
Condamner la SA Etablissements [L] à verser la somme de 5.000 euros aux consorts [L] selon l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel selon l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 novembre 2024.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête :
La SAS Etablissement [L] appelante fait valoir que :
- dans leur requête Mesdames [L] n'ont justifié ni de l'urgence ni de circonstances précises et circonstanciées permettant de déroger au principe de la contradiction ne faisant valoir que des motifs imprécis, généraux et stéréotypés, et l'ordonnance ne renferme aucune motivation relative à ces deux conditions, l'ordonnance doit par conséquent être rétractée sans qu'il soit besoin de se prononcer sur un motif légitime,
- le défaut de débat contradictoire a simplement permis aux consorts [L] de présenter de manière trompeuse le litige en cours notamment en prétendant faussement qu'un accord existe sur la distribution annuelle de dividendes à l'usufruitière ce qui n'est pas le cas.
Elle soutient encore que le premier juge a fait droit aux demandes de Mesdames [F] et [Z] [L] alors que rien ne justifie la nomination d'un administrateur ad'hoc en urgence et sans débat préalable si bien que l'ordonnance sur requête ne peut être que rétractée dans la mesure où :
- elles n'ignorent pas que M. [J] [L] travaille dans la société depuis 1984 et qu'il en est le président depuis plus de 10 ans, alors qu'elles-mêmes n'y ont jamais travaillé et n'ont pour seul objectif que de percevoir des dividendes sans s'intéresser aux nécessités d'investissements de la société ;
- elles ne démontrent pas l'existence d'un différend du fait de M. [J] [L], ne se déplacent quasi jamais aux AG et ne votent guère plus les résolutions proposées hormis lors de l'AG du 9 juin 2023 ; elles ne justifient pas d'une mésentente mettant en péril la gestion de la société ; elles n'ont pas voté lors de l'assemblée générale litigieuse du 8 décembre 2023 à laquelle elles ne se sont pas présentées ;
- elles ne démontrent pas l'existence d'un accord relatif à une distribution annuelle des dividendes ; aucun dividende n'a été versé l'exercice précédent (en 2022) sans que cela ne génère aucune réaction de la part des requérantes et sur les 11 exercices précédents, des dividendes n'ont été distribués qu'à 6 reprises,
- lors de l'AG de juin 2024, elles ont voté contre un projet de distribution partielle des bénéfices annuels et sollicité une distribution de l'intégralité des dividendes alors même qu'il leur a été expliqué et justifié que le carnet de commandes de la société a, sur le premier trimestre 2024, baissé de 10% par rapport à 2023 et de 40% sur l'ensemble du premier semestre, si bien qu'il est de l'intérêt de la société de conserver ses résultats afin de faire face, en 2024, à la situation économique actuelle sur un marché fortement baissier ;
- elles ne justifient pas davantage d'un grave différend entre associés ou la volonté de M. [J] [L] de détourner le fruit de son travail, alors qu'il a toujours géré la société en bon père de famille et dans l'intérêt social ;
- elles font état du fait que la distribution de réserves a pour objet de spolier Mme [F] [L] et de détourner des sommes qui devraient être redistribuées dans le cadre de la succession à Mme [Z] [L], mais n'ont engagé aucune action en abus de majorité contre l'associé majoritaire ou contre la société contrairement à ce qui était indiqué dans l'ordonnance sur requête et l'ouverture de la succession de Mme [F] [L] n'est pas à l'ordre du jour ;
- en tout état de cause la distribution de réserves à Lad-Invest a pour objet de financer une partie d'un projet de construction de bâtiments industriels sur une parcelle voisine appartenant à la SCI des Rainettes qui sera également financé par Lad-Invest, pour entreposer notamment des stocks de pneus de la société Etablissement [L] par une mise à disposition à titre grâcieux, conformément à la législation environnementale, ce projet ayant été discuté entre associés du vivant de M. [U] [L], l'absence de [Z] [L] aux assemblées générales pouvant expliquer sa prétendue ignorance du projet ;
- si Mme [F] [L] en qualité d'usufruitière n'a pas vocation à percevoir le fruit de la distribution des réserves, il n'en est pas de même de Mme [Z] [L] qui bénéficiera de cette réserve à proportion de ses parts, si bien que la distribution des réserves n'est pas limitée à Lad-Invest ;
- au demeurant Mme [F] [L] jouit d'une situation financière et patrimoniale confortable : pensions de retraite de 4298 euros par mois, propriété en Normandie et appartement en région parisienne, épargne d'environ un million d'euros ; entre la distribution de dividendes sur 10 ans et la vente du bien immobilier, elle et son époux ont perçu une somme de 2,5 millions d'euros, soit un budget annuel de 250000 euros ;
- si M. [J] [L], dirigeant en bon père de famille, a préféré suspendre toute mise en 'uvre de la résolution adoptée jusqu'à l'arrêt de la présente cour, et de reporter la procédure d'appel d'offres auprès des entrepreneurs, cela ne vaut pas reconnaissance du caractère frauduleux de la distribution de réserves ;
Elle soutient encore que :
- le juge de la rétractation a excédé ses pouvoirs en désignant un administrateur ad hoc pour convoquer une AG aux fins d'annuler des délibérations régulièrement votées, décision qui ne relève pas du juge des référés qui peut seulement en suspendre les effets,
- les nouvelles résolutions sollicitées tant à titre principal que subsidiaire obligeraient la juridiction de céans à s'immiscer dans la gestion de la société ; elles visent M. [J] [L] qui n'a pas été attrait en la cause alors que les intimées visent elles-mêmes, dans leurs écritures, un arrêt du 9 mars 1993 qui démontrent que pour une telle mesure les actionnaires doivent être dans la cause ;
- la suspension des effets d'une résolution régulièrement votée ne relève pas du pouvoir du juge de la rétractation qui se limite à l'objet de l'ordonnance sur requête.
La société fait enfin valoir que contrairement à celle d'un administrateur provisoire, la désignation d'un mandataire ad hoc n'est subordonnée ni au fonctionnement anormal de la société, ni à la menace d'un péril imminent ou d'un trouble manifestement illicite et la demande doit être présentée, aux frais des demandeurs, au président du tribunal de commerce statuant en référé (article R.225-65 alinéa 1er du code de commerce), si bien que la provision devrait être préalablement versée par Mesdames [F] et [Z] [L].
Mesdames [F] et [Z] [L] soutiennent qu'il y avait urgence à nommer un administrateur ad hoc, d'une part du fait de la grave mésentente avec [J] depuis le décès de [U] [L] après lequel il a refusé de distribuer des dividendes, et d'autre part du fait que Monsieur [J] [L] agit uniquement dans son intérêt personnel en s'arrogeant les résultats de la société accumulés depuis les 10 dernières années, au détriment de Mme [F] [L] qui est ainsi spoliée de son droit à dividendes, mais également de la société elle-même.
Elles ajoutent que les circonstances permettant de déroger à un débat préalable sur cette mesure étaient également réunies dans la mesure où il était à craindre que M. [J] [L], informé dans le cadre d'une procédure contradictoire, mette en 'uvre les moyens lui permettant de tenir l'assemblée générale ordinaire du 8 décembre 2023, de voter pour les résolutions inscrites à l'ordre du jour et in fine s'arroge les fonds d'un montant non négligeable de 2.025.000 euros, risques qu'elles ont exposés dans leur requête.
Elles se prévalent d'agissements abusifs de M. [J] [L], représentant de la société Lad-Invest qui est associé majoritaire.
Elles font valoir à ce titre que :
- depuis le décès de [U] [L], une grave mésentente s'est installée entre elles et [J] [L] qui notamment au travers des résolutions mises au vote lors de l'AG du juin 2023 et du 8 décembre 2023, tente de détourner le capital de la société au profit de la société Lad-Invest, la distribution des réserves ne pouvant être faite qu'à son profit (et celui dérisoire de [Z] compte tenu du peu de parts dont elle est titulaire dans la société) au détriment de l'usufruitière qui n'a pas perçu de dividendes depuis 2022 en contravention avec l'accord qui avait été conclu du vivant de son époux qui était que les dividendes seraient redistribués aux associés (soit à raison de 49,98% pour Mme [F] [L]) lorsque le résultat le permet afin que M. [U] [L] et son épouse subviennent à leurs besoins, si bien qu'elle se trouve dans une situation financière délicate puisqu'à 84 ans elle doit faire face à de nombreuses charges liées à sa dépendance et l'entretien de ses immeubles ;
- le projet de construction ne justifie pas de la nécessité d'un investissement immobilier qui n'est pas décrit ni chiffré et serait fait dans le seul intérêt des associés de Led-Invest ce qui démontre de plus fort l'abus de M. [J] [L] qui au demeurant reconnaît le caractère frauduleux de son subterfuge puisqu'il admet avoir décidé de suspendre l'application de ces résolutions de sorte qu'aucun transfert sur le compte « autres réserves » n'a été effectué depuis l'assemblée du 8 décembre 2023 et les comptes de l'exercice 2023 ont été approuvés par M. [J] [L] lors de la dernière assemblée générale qui s'est tenue le 27 juin 2024 ;
- la jurisprudence rappelle que la mésentente entre associés peut suffire à justifier la désignation d'un mandataire ad hoc dont la mission consiste à effectuer une opération ponctuelle et limitée dans le temps (Cour appel Versailles, 13 octobre 2022, RG 21/07082) la désignation d'un mandataire ad hoc ne requiert pas la preuve d'une paralysie sociale mettant en péril l'avenir de la société (Com 21 septembre 2022, 2021416) et un mandataire ad hoc peut être chargé de voter à la place d'un groupe d'actionnaires, en cas d'abus (Com 9 mars 1993, 91-14.685) sans que ne puisse être fixé le sens de son vote (3ème Civ, 16 décembre 2009, n°09-10.209) ;
- elle affirme également que le président du tribunal de commerce, saisi par requête, peut statuer sur la demande de suspension des effets d'une telle délibération, telle que cela a été jugé à plusieurs reprises (CA Paris, 6 janvier 2022, 2110860) et il est admis par la cour de cassation qu'une telle mesure entre dans les pouvoirs du juge des référés (Com 13 janvier 2021- 1825713 et 1825730) ;
- l'assemblée générale s'étant tenue le 8 décembre 2023 et la société [L] affirmant que les résolutions ont été adoptées, elles ont sollicité comme le permet l'article 497 la modification des mesures pour que l'administrateur ad hoc puisse pleinement exercer sa mission.
L'article 875 du code de procédure civile relatif au tribunal de commerce dispose que :
« Le président peut ordonner sur requête, dans les limites de la compétence du tribunal, toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement. »
L'article 493 du code de procédure civile dispose que « L'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse. »
L'article 495 du code de procédure civile dispose que :
« L'ordonnance sur requête est motivée.
Elle est exécutoire au seul vu de la minute.
Copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée. »
Aux termes de l'article 497 du code de procédure civile, « Le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l'affaire. » Il est constant qu'il doit alors être saisi comme en matière de référé.
Sur la régularité de la saisine et sur l'existence de l'urgence et des circonstances permettant d'écarter le principe de la contradiction :
La cour rappelle que juge saisi d'une demande de rétractation d'une ordonnance sur requête doit s'assurer de l'existence dans la requête et l'ordonnance des circonstances justifiant que la mesure ne soit pas prise contradictoirement, mais il importe peu que l'ordonnance qui renvoie à la requête ne mentionne pas les circonstances justifiant qu'il soit dérogé au principe du contradictoire dès lors que la requête en justifie. Le défaut de motivation ne peut faire l'objet d'une régularisation a posteriori devant le juge de la rétractation.
En l'espèce la requête enregistrée au greffe le 7 décembre 2023 tendant à voir désigner un administrateur ad hoc aux fins de convoquer une assemblée générale pour voter l'ajournement de l'AG du 8 décembre 2023 expose des conditions d'urgence en indiquant que l'assemblée générale ordinaire est imminente et relate des circonstances exigeant de déroger au principe du débat contradictoire préalable en indiquant que :
-[J] [L] dûment avisé de leur démarche pourrait mettre en 'uvre les moyens lui permettant de tenir l'AG du 8 décembre et voter les résolutions inscrites à l'ordre du jour, entraînant des conséquences irrémédiables pour la société et les associés minoritaires,
- il existe un risque réel de disparition des sommes objet de la distribution envisagée, d'un montant non négligeable de 2.025.000 euros.
La requête est donc régulière en la forme et l'ordonnance qui renvoie à la requête est également suffisamment motivée.
L'urgence relative à la mesure de désignation d'un administrateur ad hoc aux fins de voter l'ajournement de l'assemblée générale est suffisamment caractérisée par l'imminence de cette assemblée convoquée pour le lendemain.
En revanche la cour estime que les circonstances permettant de désigner un administrateur ad hoc aux fins d'ajourner l'assemblée générale et de représenter M. [J] [L] et voter pour lui lors d'une prochaine assemblée générale ayant le même objet, sans débat contradictoire préalable, n'étaient pas caractérisées par les motifs indiqués dans la requête.
En effet le fait qu'un débat contradictoire ait lieu sur cet ajournement et l'éviction du président lors d'un prochain vote n'aurait pas eu pour effet de rendre vaines les mesures sollicitées dans la mesure où :
- l'assemblée générale était d'ores et déjà convoquée et devait se tenir le lendemain et M. [J] [L] ne pouvait pas prendre seul de décision relative à la distribution de réserves puisqu'elle relevait du seul pouvoir de l'assemblée générale,
- le risque de « disparition » des sommes objet de la distribution envisagée était hypothétique et n'aurait pu avoir lieu le cas échéant qu'après le vote prévu le lendemain.
Par ailleurs, les dissensions entre associés qui sont invoquées par Mesdames [L] ne justifiaient pas que les mesures demandées soient prises en dehors de tout débat contradictoire.
En tout état de cause la requête ne faisait état d'aucun projet de saisine du juge du fond aux fins de voir reconnaître un abus de majorité par M. [J] [L] ou la société Lad-Invest qu'il représentait, si bien qu'aucun risque d'annulation des délibérations à venir n'était avéré.
Dès lors il est justifié de rétracter l'ordonnance sur requête rendue le 8 décembre 2023 et d'infirmer l'ordonnance entreprise de ce chef.
Sur la demande de provision à valoir sur des dommages et intérêts pour abus de majorité :
La cour rappelle que les pouvoirs du juge de la rétractation s'exercent dans les limites de l'objet de la demande initiale et s'il peut aux termes de l'article 497 du code de procédure civile modifier son ordonnance c'est dans ces limites qui ne lui permettent ni de prendre une mesure nouvelle de même nature mais fondée sur une cause distincte, ni une mesure nouvelle de nature différente.
Cette demande formée pour la première fois devant le juge de la rétractation et qui est différente par sa nature de l'objet de la requête initiale est irrecevable, l'instance en rétractation ayant pour seul objet de soumettre à la vérification d'un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées et une telle demande n'entrant pas dans les pouvoirs de modification de l'ordonnance prévue par l'article 497 du code de procédure civile.
Il y a donc lieu de dire que cette demande est irrecevable.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Les intimées succombant à l'instance devront en supporter les dépens et frais hors dépens.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe,
Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé-rétractation entreprise rendue le 9 avril 2024 par le président du tribunal de commerce de Compiègne et,
Statuant à nouveau,
Rétracte l'ordonnance sur requête rendue le 8 décembre 2023 par le président du tribunal de commerce,
Déclare irrecevable la demande de dommages et intérêts provisionnels en réparation d'un abus de majorité,
Condamne in solidum Mme [F] [W] et Mme [Z] [L] à verser à la SAS Etablissement [L] 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Les condamne in solidum aux dépens de première instance et d'appel.
La Greffière, La Présidente,
N°
S.A. ETABLISSEMENTS [L]
C/
[W] VEUVE [L]
[L]
S.E.L.A.R.L. V&V SELARL
copie exécutoire
le 13 mars 2025
à
Me Morer
Me Levy
VD
COUR D'APPEL D'AMIENS
CHAMBRE ÉCONOMIQUE
ARRET DU 13 MARS 2025
N° RG 24/02459 - N° Portalis DBV4-V-B7I-JDIE
ORDONNANCE DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE COMPIEGNE DU 09 AVRIL 2024 (référence dossier N° RG 2024R00021)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
S.A.S ETABLISSEMENT [L] agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me Xavier D'HELLENCOURT de l'ASSOCIATION CABINET D HELLENCOURT, avocat au barreau d'AMIENS substitué par Me Alexandre COUTEL, avocat au barreau D'AMIENS, postulant
Ayant pour avocat plaidant Me Stéphane MORER de la SELARL BAYET ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
ET :
INTIMEES
Madame [F] [W] veuve [L]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AVOCATS, avocat au barreau d'AMIENS substitué par Me Eric POILLY, avocat au barreau D'AMIENS, postulant
Ayant pour avocat plaidant Me Grégory LEVY de l'AARPI NGO JUNG & PARTNERS, avocat au barreau de PARIS
Madame [Z] [L]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AVOCATS, avocat au barreau d'AMIENS substitué par Me Eric POILLY, avocat au barreau D'AMIENS, postulant
Ayant pour avocat plaidant Me Grégory LEVY de l'AARPI NGO JUNG & PARTNERS, avocat au barreau de PARIS avocat au barreau D'AMIENS
ET
PARTIE INTERVENANTE
S.E.L.A.R.L. V&V ès qualités de mandataire ad'hoc de la société ETABLISSEMENTS [L] en la personne de Maître [M] [H]
[Adresse 7]
[Localité 8]
Assignée à personne le 29 août 2024
***
DEBATS :
A l'audience publique du 12 Décembre 2024 devant :
Mme Odile GREVIN, présidente de chambre,
Mme Florence MATHIEU, présidente de chambre,
et Mme Valérie DUBAELE, conseillère,
qui en ont délibéré conformément à la loi, la présidente a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 13 Mars 2025.
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 804 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Madame Malika RABHI
PRONONCE :
Le 13 Mars 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ; Mme Odile GREVIN, présidente de chambre a signé la minute avec Madame Marie-Estelle CHAPON, greffière.
*
* *
DECISION
Monsieur [U] [L] et son épouse Madame [F] [W], mariés sous le régime de la communauté universelle, ont créé la SAS Etablissement [L] au capital social de 1.200.000 euros ayant pour objet social le négoce de pneumatiques dans le domaine automobile.
Ils ont eu deux enfants, M. [J] [L] marié à Mme [S] [V], et Mme [Z] [L].
Le 11 juillet 2005 ils ont donné à leur fils [J] :
- 35.982 actions en pleine propriété,
- 39.000 actions en nue-propriété, se réservant l'usufruit de ces parts jusqu'au décès du survivant des donateurs.
M. [J] [L] a été nommé président de la société à compter du 1er janvier 2014 en remplacement de son père qui a été désigné directeur général.
A la suite d'autres cessions non rappelées par les parties, dont donation de M. [U] [L] à M. [J] [L] de 1510 actions en usufruit agréée lors de l'assemblée générale du 17 mai 2018, les 75.000 actions de cette société étaient réparties ainsi qu'il suit en 2021 :
- M. [U] [L] : 37490 parts en usufruit,
- M. [J] [L] : 37504 parts en pleine propriété et 37490 parts en nue-propriété,
- Mme [S] [V] épouse [L] : 3 parts,
- Mlle [Z] [L] : 3 parts.
Monsieur [U] [L] est décédé le 26 mai 2022. Aucun directeur général n'a été désigné en remplacement.
Le 30 juin 2022 M. [J] [L] et son épouse [S] [V] épouse [L] en association avec leurs deux enfants ont créé la SAS Lad-Invest, immatriculée le 6 juillet 2022, holding de la société Etablissements [L] et de la SCI des Rainettes et lui ont fait apport de leurs actions dans la société Etablissement [L].
Ainsi la société Lad-Invest est devenue propriétaire de 37507 actions en pleine propriété et de 37490 actions en nue-propriété, Mme [F] [W] veuve [L] étant à la tête de 37490 actions en usufruit et sa fille [Z] [L] de 3 actions en pleine propriété.
Lors de l'assemblée générale ordinaire annuelle du 30 juin 2022 les associés, à l'unanimité, ont décidé d'affecter le bénéfice de l'année 2021 s'élevant à 358.832 euros en totalité au report à nouveau.
Lors de l'assemblée générale ordinaire annuelle du 9 juin 2023, l'associé majoritaire avec un total de 37507 voix a décidé d'affecter le bénéfice de l'année 2022 s'élevant à 406.315 euros en totalité au poste « autres réserves », les deux associés minoritaires Mesdames [F] et [Z] [L] avec un total de 37493 voix ayant voté contre.
Par courrier daté du 23 novembre 2023 les associés ont été convoqués en assemblée générale ordinaire le 8 décembre 2023 à 8 heures pour se prononcer sur les décisions suivantes :
- résolution n°1 : « L'assemblée générale décide de prélever la somme de 4.143.811 euros sur le poste « report à nouveau » et d'affecter cette somme au poste « autres réserves ».
- résolution n°2 : « l'assemblée générale décide de procéder à une distribution de réserves de 2.025.000 euros en prélevant ladite somme sur le poste « autres réserves ».
Par requête du 6 décembre déposée le 7 décembre 2023, Mesdames [F] et [Z] [L] ont saisi par requête le président du tribunal de commerce de Compiègne au visa des articles 493 et suivants, 874 et 875 du code de procédure civile, afin qu'il :
« -constate qu'elles sont bien fondées à ne pas appeler la partie adverse concernée par la mesure,
- nomme de toute urgence tel mandataire ad'hoc qu'il lui plaira au bénéfice de la SAS Etablissements [L], lequel aura pour mission de :
* reporter à une date ultérieure l'assemblée générale ordinaire fixée le 8 décembre 2023 avec le même ordre du jour,
* représenter M. [J] [L] à l'assemblée générale ordinaire nouvellement fixée,
* voter au nom de ce dernier dans le sens des décisions conformes à l'intérêt social mais ne portant pas atteinte à l'intérêt légitime des associés,
Et ce pour une durée de 6 mois qui pourra, en cas de besoin justifié, être prorogée par une ordonnance rendue sur simple requête du mandataire ad hoc,
- autorise le mandataire ad hoc désigné à se faire assister par tout sapiteur de son choix,
- dire qu'en cas d'empêchement il sera pourvu à son remplacement par ordonnance sur requête,
- dire qu'il en sera référé à la juridiction de céans en cas de difficulté. »
Par ordonnance sur requête rendue le 8 décembre 2023 au visa des articles 493 et suivants, 874 et 875 du code de procédure civile, la requête et les pièces produites à l'appui, le président du tribunal de commerce a fait partiellement droit à la requête a nommé la SELARL V&V en la personne de Maitre [M] [H] en qualité mandataire ad hoc de la société Etablissements [L] avec pour seule mission de reporter, le temps de la durée de la mission, l'assemblée générale ordinaire fixée le 8 décembre 2023, pour permettre à la partie requérante d'engager toute procédure qu'elle estime nécessaire dans le respect du contradictoire, et de rencontrer les associés et leur conseil afin d'établir un accord entre eux ;
Et ce pour une durée de 3 mois qui pourra, en cas de besoin justifié, être prorogée par une ordonnance rendue sur simple requête du mandataire ad hoc,
Et précisant que :
- le mandataire ad'hoc devra rendre compte au terme de sa mission,
- il pourra se faire assister par tout sapiteur de son choix,
- en cas d'empêchement il sera pourvu à son remplacement par ordonnance sur requête,
- il sera référé à la juridiction de céans en cas de difficulté,
- une provision sera préalablement versée par Mme [F] [L] et Mme [Z] [L] d'un montant de 1000 euros TTC,
- la présente ordonnance est exécutoire au seul vu de la minute,
- les dépens devront être supportés par la partie requérante,
- les dépens à recouvrer par le greffe sont liquidés à la somme de 16,76 euros.
La requête et l'ordonnance ainsi rendue ont été signifiées à la SAS Etablissements [L] le 8 décembre 2023 à 12h07, les actes étant remis à son président [J] [L].
Mais entre-temps l'assemblée générale s'était réunie comme prévu le 8 décembre 2023 à 8 heures, et en l'absence des deux associées minoritaires dûment convoquées, les deux résolutions ont été adoptées, l'associé majoritaire ayant voté pour.
Par acte en date du 15 mars 2024, la SA Etablissements [L] a fait assigner Mme [F] [W] et Mme [Z] [L] devant le président du tribunal de commerce de Compiègne saisi comme en matière de référé sur le fondement des articles 496 et 497 du code de procédure civile.
Par une ordonnance rendue le 9 avril 2024, le président du tribunal de commerce de Compiègne a :
Dit la SAS Etablissement [L] recevable mais mal fondée en sa demande de rétractation de l'ordonnance du 8 décembre 2023, l'en déboute ;
Dit les consorts [L] recevables et bien fondées en leur demande.
En conséquence :
Modifie la mission assignée à la SELARL V&V, administrateur judiciaire, en la personne de Maitre [M] [H], en ces termes :
Convoquer l'AG des associés de la SAS Etablissements [L] dans un délai d'un mois à compter de la présente ordonnance, ayant pour ordre du jour :
1ère résolution : l'AG décide d'annuler les deux résolutions adoptées le 8 décembre 2023 ;
2ème résolution : l'AG décide de prélever la somme de 4.143.811 euros sur le poste « Autres réserves » et de l'affecter sur le poste « Report à nouveau ».
Représenter Monsieur [J] [L] à l'AG ordinaire nouvellement fixée ;
Voter au nom de ce dernier dans le sens des décisions conformes à l'intérêt social mais ne portant pas atteinte à l'intérêt légitime des associés ;
Confirme l'ordonnance du 8 décembre 2023 en ce qu'elle a désigné la SELARL V&V, administrateur judiciaire, en la personne de Maitre [M] [H] en qualité de mandataire ad' hoc de la SA Etablissements [L] et ce pour une durée de 3 mois, qui pourra, en cas de besoin justifié, être prorogée par une ordonnance rendue sur simple requête du mandataire ad' hoc.
Condamne la SA Etablissements [L] à payer la somme de 3.000 euros aux consorts [L] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les consorts [L] de leur demande de provision (à valoir sur des dommages et intérêts pour abus de majorité);
Dit que la SA Etablissements [L] aura la charge des dépens de la présente instance ;
Liquide les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 57,65 euros dont TVA à 20%.
Par une déclaration en date 4 juin 2024, la SA Etablissements [L] a interjeté appel de ladite ordonnance.
Par assignation et conclusions dénoncées à personne morale le 20 août 2024, les intimées ont attrait en intervention forcée la SELARL V&V, en sa qualité de mandataire ad' hoc de la SA Etablissements [L], qui n'a pas constitué avocat.
Dans son deuxième jeu de conclusions en date du 16 septembre 2024, l'appelant demande à la cour de :
Infirmer l'ordonnance du 9 avril 2024 sauf en ce qu'elle a débouté les consorts [L] de leur demande de provision.
Statuant à nouveau :
Rétracter l'ordonnance rendue le 8 décembre 2023 par le président du tribunal de commerce de Compiègne à la requête des consorts [L] en raison tant de l'absence de motivation au sens de l'article 495 du code de procédure civile et en l'absence de preuve d'urgence et de circonstances exigeant que des mesures ne soient pas prises contradictoirement au sens de l'article 875 du code de procédure civile ;
Infirmer la décision en ce qu'elle a nommé, sur le fondement de l'article 875 du code de procédure civile, un mandataire ad' hoc avec pour mission, relevant uniquement des dispositions de l'article 873 du code de procédure civile, de convoquer l'assemblée générale ordinaire des associés de la société [L] dans un délai d'un mois à compter de la présente ordonnance, ayant pour ordre du jour (') ;
Débouter les consorts [L] de l'ensemble de leurs demandes tant à titre principal que subsidiaire tant dans le cadre de leurs conclusions d'appel que dans le cadre de leur assignation en appel incident ;
A titre subsidiaire, condamner les consorts [L] à régler les frais du mandataire ad' hoc ;
Dire et juger qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la SAS Etablissements [L] les frais irrépétibles qu'il a été contraint d'exposer en justice aux fins de défendre ses intérêts ;
Condamner solidairement les consorts [L] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner les consorts [L] aux entiers dépens.
Dans leur dernier jeu de conclusions en date du 29 août 2024 formant appel incident, Mesdames [F] et [Z] [L] demandent à la cour d'appel d'Amiens de :
Juger la SA Etablissements [L] mal fondée en son appel et la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.
En conséquence :
Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 9 avril 2024 par le président du tribunal de commerce de Compiègne ;
Débouter la SA Etablissements [L] de toutes ses demandes, fins, moyens et conclusions.
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour de céans ne devait pas confirmer l'ordonnance du 9 avril 2024 en ce qu'elle a modifié la mission assignée à la SELARL V&V administrateur judiciaire :
Faire droit, dans ce cas, à l'appel incident subsidiaire des concluantes et :
Modifier la mission assignée à la SELARL V&V administrateur judiciaire, en la personne de Maitre [M] [H] en qualité de mandataire ad' hoc de la SA Etablissements [L] en ces termes :
Convoquer l'AG ordinaire des associés de la SA Etablissements [L] dans un délai d'un mois à compter de la présente ordonnance, ayant pour ordre du jour la résolution suivante : l'AG décide de suspendre tous les effets des deux résolutions adoptées le 8 décembre 2023 ;
Représenter Monsieur [J] [L] à l'AG ordinaire nouvellement fixée ;
Voter au nom de ce dernier dans le sens des décisions conformes à l'intérêt social mais ne portant pas atteinte à l'intérêt légitime des associés.
Débouter la SA Etablissements [L] de toutes ses demandes, fins, moyens et conclusions.
En tout état de cause :
Juger que la provision versée au mandataire ad' hoc sera préalablement versée par la SA Etablissements [L] ;
Débouter la SA Etablissements [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
Condamner la SA Etablissements [L] à verser la somme de 5.000 euros aux consorts [L] selon l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel selon l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 novembre 2024.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête :
La SAS Etablissement [L] appelante fait valoir que :
- dans leur requête Mesdames [L] n'ont justifié ni de l'urgence ni de circonstances précises et circonstanciées permettant de déroger au principe de la contradiction ne faisant valoir que des motifs imprécis, généraux et stéréotypés, et l'ordonnance ne renferme aucune motivation relative à ces deux conditions, l'ordonnance doit par conséquent être rétractée sans qu'il soit besoin de se prononcer sur un motif légitime,
- le défaut de débat contradictoire a simplement permis aux consorts [L] de présenter de manière trompeuse le litige en cours notamment en prétendant faussement qu'un accord existe sur la distribution annuelle de dividendes à l'usufruitière ce qui n'est pas le cas.
Elle soutient encore que le premier juge a fait droit aux demandes de Mesdames [F] et [Z] [L] alors que rien ne justifie la nomination d'un administrateur ad'hoc en urgence et sans débat préalable si bien que l'ordonnance sur requête ne peut être que rétractée dans la mesure où :
- elles n'ignorent pas que M. [J] [L] travaille dans la société depuis 1984 et qu'il en est le président depuis plus de 10 ans, alors qu'elles-mêmes n'y ont jamais travaillé et n'ont pour seul objectif que de percevoir des dividendes sans s'intéresser aux nécessités d'investissements de la société ;
- elles ne démontrent pas l'existence d'un différend du fait de M. [J] [L], ne se déplacent quasi jamais aux AG et ne votent guère plus les résolutions proposées hormis lors de l'AG du 9 juin 2023 ; elles ne justifient pas d'une mésentente mettant en péril la gestion de la société ; elles n'ont pas voté lors de l'assemblée générale litigieuse du 8 décembre 2023 à laquelle elles ne se sont pas présentées ;
- elles ne démontrent pas l'existence d'un accord relatif à une distribution annuelle des dividendes ; aucun dividende n'a été versé l'exercice précédent (en 2022) sans que cela ne génère aucune réaction de la part des requérantes et sur les 11 exercices précédents, des dividendes n'ont été distribués qu'à 6 reprises,
- lors de l'AG de juin 2024, elles ont voté contre un projet de distribution partielle des bénéfices annuels et sollicité une distribution de l'intégralité des dividendes alors même qu'il leur a été expliqué et justifié que le carnet de commandes de la société a, sur le premier trimestre 2024, baissé de 10% par rapport à 2023 et de 40% sur l'ensemble du premier semestre, si bien qu'il est de l'intérêt de la société de conserver ses résultats afin de faire face, en 2024, à la situation économique actuelle sur un marché fortement baissier ;
- elles ne justifient pas davantage d'un grave différend entre associés ou la volonté de M. [J] [L] de détourner le fruit de son travail, alors qu'il a toujours géré la société en bon père de famille et dans l'intérêt social ;
- elles font état du fait que la distribution de réserves a pour objet de spolier Mme [F] [L] et de détourner des sommes qui devraient être redistribuées dans le cadre de la succession à Mme [Z] [L], mais n'ont engagé aucune action en abus de majorité contre l'associé majoritaire ou contre la société contrairement à ce qui était indiqué dans l'ordonnance sur requête et l'ouverture de la succession de Mme [F] [L] n'est pas à l'ordre du jour ;
- en tout état de cause la distribution de réserves à Lad-Invest a pour objet de financer une partie d'un projet de construction de bâtiments industriels sur une parcelle voisine appartenant à la SCI des Rainettes qui sera également financé par Lad-Invest, pour entreposer notamment des stocks de pneus de la société Etablissement [L] par une mise à disposition à titre grâcieux, conformément à la législation environnementale, ce projet ayant été discuté entre associés du vivant de M. [U] [L], l'absence de [Z] [L] aux assemblées générales pouvant expliquer sa prétendue ignorance du projet ;
- si Mme [F] [L] en qualité d'usufruitière n'a pas vocation à percevoir le fruit de la distribution des réserves, il n'en est pas de même de Mme [Z] [L] qui bénéficiera de cette réserve à proportion de ses parts, si bien que la distribution des réserves n'est pas limitée à Lad-Invest ;
- au demeurant Mme [F] [L] jouit d'une situation financière et patrimoniale confortable : pensions de retraite de 4298 euros par mois, propriété en Normandie et appartement en région parisienne, épargne d'environ un million d'euros ; entre la distribution de dividendes sur 10 ans et la vente du bien immobilier, elle et son époux ont perçu une somme de 2,5 millions d'euros, soit un budget annuel de 250000 euros ;
- si M. [J] [L], dirigeant en bon père de famille, a préféré suspendre toute mise en 'uvre de la résolution adoptée jusqu'à l'arrêt de la présente cour, et de reporter la procédure d'appel d'offres auprès des entrepreneurs, cela ne vaut pas reconnaissance du caractère frauduleux de la distribution de réserves ;
Elle soutient encore que :
- le juge de la rétractation a excédé ses pouvoirs en désignant un administrateur ad hoc pour convoquer une AG aux fins d'annuler des délibérations régulièrement votées, décision qui ne relève pas du juge des référés qui peut seulement en suspendre les effets,
- les nouvelles résolutions sollicitées tant à titre principal que subsidiaire obligeraient la juridiction de céans à s'immiscer dans la gestion de la société ; elles visent M. [J] [L] qui n'a pas été attrait en la cause alors que les intimées visent elles-mêmes, dans leurs écritures, un arrêt du 9 mars 1993 qui démontrent que pour une telle mesure les actionnaires doivent être dans la cause ;
- la suspension des effets d'une résolution régulièrement votée ne relève pas du pouvoir du juge de la rétractation qui se limite à l'objet de l'ordonnance sur requête.
La société fait enfin valoir que contrairement à celle d'un administrateur provisoire, la désignation d'un mandataire ad hoc n'est subordonnée ni au fonctionnement anormal de la société, ni à la menace d'un péril imminent ou d'un trouble manifestement illicite et la demande doit être présentée, aux frais des demandeurs, au président du tribunal de commerce statuant en référé (article R.225-65 alinéa 1er du code de commerce), si bien que la provision devrait être préalablement versée par Mesdames [F] et [Z] [L].
Mesdames [F] et [Z] [L] soutiennent qu'il y avait urgence à nommer un administrateur ad hoc, d'une part du fait de la grave mésentente avec [J] depuis le décès de [U] [L] après lequel il a refusé de distribuer des dividendes, et d'autre part du fait que Monsieur [J] [L] agit uniquement dans son intérêt personnel en s'arrogeant les résultats de la société accumulés depuis les 10 dernières années, au détriment de Mme [F] [L] qui est ainsi spoliée de son droit à dividendes, mais également de la société elle-même.
Elles ajoutent que les circonstances permettant de déroger à un débat préalable sur cette mesure étaient également réunies dans la mesure où il était à craindre que M. [J] [L], informé dans le cadre d'une procédure contradictoire, mette en 'uvre les moyens lui permettant de tenir l'assemblée générale ordinaire du 8 décembre 2023, de voter pour les résolutions inscrites à l'ordre du jour et in fine s'arroge les fonds d'un montant non négligeable de 2.025.000 euros, risques qu'elles ont exposés dans leur requête.
Elles se prévalent d'agissements abusifs de M. [J] [L], représentant de la société Lad-Invest qui est associé majoritaire.
Elles font valoir à ce titre que :
- depuis le décès de [U] [L], une grave mésentente s'est installée entre elles et [J] [L] qui notamment au travers des résolutions mises au vote lors de l'AG du juin 2023 et du 8 décembre 2023, tente de détourner le capital de la société au profit de la société Lad-Invest, la distribution des réserves ne pouvant être faite qu'à son profit (et celui dérisoire de [Z] compte tenu du peu de parts dont elle est titulaire dans la société) au détriment de l'usufruitière qui n'a pas perçu de dividendes depuis 2022 en contravention avec l'accord qui avait été conclu du vivant de son époux qui était que les dividendes seraient redistribués aux associés (soit à raison de 49,98% pour Mme [F] [L]) lorsque le résultat le permet afin que M. [U] [L] et son épouse subviennent à leurs besoins, si bien qu'elle se trouve dans une situation financière délicate puisqu'à 84 ans elle doit faire face à de nombreuses charges liées à sa dépendance et l'entretien de ses immeubles ;
- le projet de construction ne justifie pas de la nécessité d'un investissement immobilier qui n'est pas décrit ni chiffré et serait fait dans le seul intérêt des associés de Led-Invest ce qui démontre de plus fort l'abus de M. [J] [L] qui au demeurant reconnaît le caractère frauduleux de son subterfuge puisqu'il admet avoir décidé de suspendre l'application de ces résolutions de sorte qu'aucun transfert sur le compte « autres réserves » n'a été effectué depuis l'assemblée du 8 décembre 2023 et les comptes de l'exercice 2023 ont été approuvés par M. [J] [L] lors de la dernière assemblée générale qui s'est tenue le 27 juin 2024 ;
- la jurisprudence rappelle que la mésentente entre associés peut suffire à justifier la désignation d'un mandataire ad hoc dont la mission consiste à effectuer une opération ponctuelle et limitée dans le temps (Cour appel Versailles, 13 octobre 2022, RG 21/07082) la désignation d'un mandataire ad hoc ne requiert pas la preuve d'une paralysie sociale mettant en péril l'avenir de la société (Com 21 septembre 2022, 2021416) et un mandataire ad hoc peut être chargé de voter à la place d'un groupe d'actionnaires, en cas d'abus (Com 9 mars 1993, 91-14.685) sans que ne puisse être fixé le sens de son vote (3ème Civ, 16 décembre 2009, n°09-10.209) ;
- elle affirme également que le président du tribunal de commerce, saisi par requête, peut statuer sur la demande de suspension des effets d'une telle délibération, telle que cela a été jugé à plusieurs reprises (CA Paris, 6 janvier 2022, 2110860) et il est admis par la cour de cassation qu'une telle mesure entre dans les pouvoirs du juge des référés (Com 13 janvier 2021- 1825713 et 1825730) ;
- l'assemblée générale s'étant tenue le 8 décembre 2023 et la société [L] affirmant que les résolutions ont été adoptées, elles ont sollicité comme le permet l'article 497 la modification des mesures pour que l'administrateur ad hoc puisse pleinement exercer sa mission.
L'article 875 du code de procédure civile relatif au tribunal de commerce dispose que :
« Le président peut ordonner sur requête, dans les limites de la compétence du tribunal, toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement. »
L'article 493 du code de procédure civile dispose que « L'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse. »
L'article 495 du code de procédure civile dispose que :
« L'ordonnance sur requête est motivée.
Elle est exécutoire au seul vu de la minute.
Copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée. »
Aux termes de l'article 497 du code de procédure civile, « Le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l'affaire. » Il est constant qu'il doit alors être saisi comme en matière de référé.
Sur la régularité de la saisine et sur l'existence de l'urgence et des circonstances permettant d'écarter le principe de la contradiction :
La cour rappelle que juge saisi d'une demande de rétractation d'une ordonnance sur requête doit s'assurer de l'existence dans la requête et l'ordonnance des circonstances justifiant que la mesure ne soit pas prise contradictoirement, mais il importe peu que l'ordonnance qui renvoie à la requête ne mentionne pas les circonstances justifiant qu'il soit dérogé au principe du contradictoire dès lors que la requête en justifie. Le défaut de motivation ne peut faire l'objet d'une régularisation a posteriori devant le juge de la rétractation.
En l'espèce la requête enregistrée au greffe le 7 décembre 2023 tendant à voir désigner un administrateur ad hoc aux fins de convoquer une assemblée générale pour voter l'ajournement de l'AG du 8 décembre 2023 expose des conditions d'urgence en indiquant que l'assemblée générale ordinaire est imminente et relate des circonstances exigeant de déroger au principe du débat contradictoire préalable en indiquant que :
-[J] [L] dûment avisé de leur démarche pourrait mettre en 'uvre les moyens lui permettant de tenir l'AG du 8 décembre et voter les résolutions inscrites à l'ordre du jour, entraînant des conséquences irrémédiables pour la société et les associés minoritaires,
- il existe un risque réel de disparition des sommes objet de la distribution envisagée, d'un montant non négligeable de 2.025.000 euros.
La requête est donc régulière en la forme et l'ordonnance qui renvoie à la requête est également suffisamment motivée.
L'urgence relative à la mesure de désignation d'un administrateur ad hoc aux fins de voter l'ajournement de l'assemblée générale est suffisamment caractérisée par l'imminence de cette assemblée convoquée pour le lendemain.
En revanche la cour estime que les circonstances permettant de désigner un administrateur ad hoc aux fins d'ajourner l'assemblée générale et de représenter M. [J] [L] et voter pour lui lors d'une prochaine assemblée générale ayant le même objet, sans débat contradictoire préalable, n'étaient pas caractérisées par les motifs indiqués dans la requête.
En effet le fait qu'un débat contradictoire ait lieu sur cet ajournement et l'éviction du président lors d'un prochain vote n'aurait pas eu pour effet de rendre vaines les mesures sollicitées dans la mesure où :
- l'assemblée générale était d'ores et déjà convoquée et devait se tenir le lendemain et M. [J] [L] ne pouvait pas prendre seul de décision relative à la distribution de réserves puisqu'elle relevait du seul pouvoir de l'assemblée générale,
- le risque de « disparition » des sommes objet de la distribution envisagée était hypothétique et n'aurait pu avoir lieu le cas échéant qu'après le vote prévu le lendemain.
Par ailleurs, les dissensions entre associés qui sont invoquées par Mesdames [L] ne justifiaient pas que les mesures demandées soient prises en dehors de tout débat contradictoire.
En tout état de cause la requête ne faisait état d'aucun projet de saisine du juge du fond aux fins de voir reconnaître un abus de majorité par M. [J] [L] ou la société Lad-Invest qu'il représentait, si bien qu'aucun risque d'annulation des délibérations à venir n'était avéré.
Dès lors il est justifié de rétracter l'ordonnance sur requête rendue le 8 décembre 2023 et d'infirmer l'ordonnance entreprise de ce chef.
Sur la demande de provision à valoir sur des dommages et intérêts pour abus de majorité :
La cour rappelle que les pouvoirs du juge de la rétractation s'exercent dans les limites de l'objet de la demande initiale et s'il peut aux termes de l'article 497 du code de procédure civile modifier son ordonnance c'est dans ces limites qui ne lui permettent ni de prendre une mesure nouvelle de même nature mais fondée sur une cause distincte, ni une mesure nouvelle de nature différente.
Cette demande formée pour la première fois devant le juge de la rétractation et qui est différente par sa nature de l'objet de la requête initiale est irrecevable, l'instance en rétractation ayant pour seul objet de soumettre à la vérification d'un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées et une telle demande n'entrant pas dans les pouvoirs de modification de l'ordonnance prévue par l'article 497 du code de procédure civile.
Il y a donc lieu de dire que cette demande est irrecevable.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Les intimées succombant à l'instance devront en supporter les dépens et frais hors dépens.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe,
Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé-rétractation entreprise rendue le 9 avril 2024 par le président du tribunal de commerce de Compiègne et,
Statuant à nouveau,
Rétracte l'ordonnance sur requête rendue le 8 décembre 2023 par le président du tribunal de commerce,
Déclare irrecevable la demande de dommages et intérêts provisionnels en réparation d'un abus de majorité,
Condamne in solidum Mme [F] [W] et Mme [Z] [L] à verser à la SAS Etablissement [L] 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Les condamne in solidum aux dépens de première instance et d'appel.
La Greffière, La Présidente,