CA Paris, Pôle 4 ch. 13, 18 mars 2025, n° 22/00869
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Graphik Art (SAS)
Défendeur :
Graphik Art (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Valay-Briere
Conseillers :
Mme d'Ardailhon Miramon, Mme Moreau
Avocats :
Me Guyonnet, Me Fedida, Me Gleizes, Me Etevenard, Me Guerard
***
La société par actions simplifiées Graphik Art, présidée par M. [KY] [G], était spécialisée dans la vente d'antiquités et d'oeuvres d'art.
[D] [Y] a acquis auprès de cette société, par l'intermédiaire, selon lui, de M. [T] [G] deux oeuvres d'[I] [P], le 22 mai 2016, une huile sur papier collé sur un carton à dessin, intitulée 'portrait de [XT]' au prix de 500 000 euros et le 22 décembre 2016, une huile sur le même support intitulée 'Portrait de [O]', au prix de 350 000 euros.
[D] [Y] ayant émis des doutes sur l'authenticité des tableaux, la société Graphik Art, par acte du 26 juillet 2018, l'a fait assigner devant le président du tribunal judiciaire de Paris, en référé, aux fins de voir ordonner une expertise.
[D] [Y], s'opposant à cette mesure qu'il estimait inutile, a sollicité reconventionnellement la résiliation des ventes, avec restitution du prix et dommages et intérêts.
Le juge des référés a ordonné cette mesure d'instruction par décision du 17 octobre 2018 mais a dit n'y avoir lieu à référé s'agissant de la demande de résiliation.
Mme [U] [R] a déposé son rapport d'expertise judiciaire le 10 octobre 2019.
Par ordonnance du 4 décembre 2019, le président du tribunal de grande instance devenu le tribunal judiciaire de Paris a fait droit à la demande d'inscription provisoire de nantissement judiciaire sollicitée par [D] [Y] à l'égard de la société Graphik Art.
[D] [Y] a procédé à cette inscription auprès du greffe du tribunal de commerce de Paris le 23 décembre 2019 et a dénoncé le dépôt de cette inscription à la société Graphik Art le 24 décembre 2019.
C'est dans ces circonstances que, par acte du 14 janvier 2020, [D] [Y] a fait assigner la société Graphik Art et M. [T] [G] devant le tribunal judiciaire de Paris, aux fins de voir, à titre principal, prononcer la nullité des deux contrats de vente pour dol et, à titre subsidiaire, pour erreur sur la substance.
Par jugement du 20 octobre 2021, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la société Graphik Art, avec désignation de la Scp BTSG, prise en la personne de M. [ZS] [K] mandataire judiciaire, en qualité de liquidateur judiciaire.
Par jugement du 4 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :
- rejeté la demande de nullité du rapport d'expertise judiciaire,
- prononcé la nullité des contrats de vente des 22 mai et 22 décembre 2016 portant sur les tableaux'La tête de [XT]'et'Portrait de [O]',
- condamné solidairement la société Graphik Art et M. [G] à payer à [D] [Y] la somme de 850 000 euros en remboursement des prix de vente,
- dit n'y avoir lieu à astreinte,
- ordonné à [D] [Y] de restituer les deux tableaux dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision,
- rejeté la demande de radiation de l'inscription du nantissement,
- condamné la société Graphik Art à payer à [D] [Y] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Graphik Art aux dépens,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de sa décision,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Par déclaration du 5 janvier 2022, M. [G] a interjeté appel de cette décision.
Par acte du 1er juillet 2022, [D] [Y] a formé un appel provoqué avec assignation en intervention forcée à l'encontre de la Scp BTSG en qualité de liquidateur de la société Graphik Art.
[D] [Y] est décédé le 26 octobre 2022.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 28 septembre 2022, M. [T] [G] demande à la cour de :
- le déclarer recevable et bien fondé en son appel,
- infirmer le jugement en ce qu'il :
a rejeté la demande de nullité du rapport d'expertise judiciaire,
a prononcé la nullité des contrats de vente des 22 mai 2016 et 22 décembre 2016,
l'a condamné solidairement avec la société Graphik Art à payer à [D] [Y] la somme de 850 000 euros en remboursement du prix de vente,
l'a débouté de toutes ses demandes,
statuant à nouveau,
- prononcer la nullité du rapport d'expertise rendu le 10 octobre 2019 par Mme [R],
- constater que le consentement de [D] [Y] n'a été ni vicié par des manoeuvres dolosives ni par une erreur sur les qualités des choses vendues, soit deux peintures de l'artiste [I] [P],
- rejeter toutes les demandes de [D] [Y],
- condamner [D] [Y] au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner [D] [Y] aux entiers dépens de l'instance.
Dans leurs dernières conclusions, notifiées et déposées le 7 avril 2023, Mmes [H], [C], [Z] et [B] [Y], M. [X] [Y] et Mme [S] [E] (les consorts [Y]) , intervenant volontairement en leur qualité d'héritiers de [D] [Y], demandent à la cour de :
à titre principal,
- prendre acte de leur intervention volontaire en qualité d'ayants droit de [D] [Y] et les déclarer recevables et bien fondés en cette intervention volontaire et faire droit à l'intégralité de leurs demandes,
- débouter M. [G] et la Scp BTSG agissant en qualité de liquidateur de la société Graphik Art de l'ensemble de leurs demandes,
- dire et juger que M. [G] a commis un dol viciant le consentement de [D] [Y] dans la conclusion des contrats de vente des 22 mai et 22 décembre 2016,
- condamner M. [G] à leur payer la somme de 850 000 euros au titre du prix de vente,
- condamner M. [G] à leur payer une astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la signification de l'arrêt à intervenir,
- condamner M. [G] à leur payer la somme de 40 000 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice économique,
à titre subsidiaire,
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
prononcé la nullité des contrats de vente des 22 mai et 22 décembre 2016,
condamné M. [G] à payer à [D] [Y] la somme de 850 000 euros au titre du prix de vente,
- condamner en conséquence M. [G] à leur payer la somme de 850 000 euros au titre du prix de vente,
en toute hypothèse,
- fixer leur créance au passif de la société Graphik Art à la somme de 850 000 euros,
- condamner M. [G] à leur payer la somme de 25 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [G] aux entiers dépens.
La Scp BTSG ès qualités, à qui l'acte d'appel provoqué avec assignation en intervention forcée a été remis le 1er juillet 2022 à personne, n'a pas constitué avocat.
SUR CE,
Sur l'intervention volontaire des consorts [Y]
L'intervention volontaire des consorts [Y] en qualité d'héritiers de [D] [Y] est recevable.
Sur la demande de nullité du rapport d'expertise
Le tribunal a rejeté la demande de nullité du rapport d'expertise judiciaire aux motifs que :
- la société Graphik Art et M. [G] reprochent à tort à l'expert d'avoir désigné un laboratoire sans que les parties puissent en débattre et de ne pas avoir rendu contradictoire le libellé exact et précis de la mission, puisque :
- il résulte du compte-rendu de la première réunion d'expertise, intervenue le 15 janvier 2019 en présence du président de la société Graphik Art et des deux autres parties, qu'il a été suggéré que le plus efficace serait que les oeuvres soient l'objet de recherches scientifiques et que l'expert a précisé avoir consulté différents laboratoires et proposé le devis qu'il estimait le plus adapté, lequel, détaillant la mission confiée au laboratoire CARAA, était joint au compte-rendu,
- l'expert a rappelé dans son rapport le caractère contradictoire de cette décision prise lors de la première réunion en présence des parties ou de leur conseil,
- les parties ont pu formuler des dires auxquels il a été répondu dans le rapport,
- l'expert a rempli personnellement sa mission puisqu'il a conservé la maîtrise intellectuelle de ses conclusions quant à l'attribution contestée des 'uvres, la mesure purement scientifique liée à la datation et à l'origine des pigments et sollicitée conformément à la mission d'expertise ne constituant qu'un élément de son analyse dont il ne peut lui être reproché d'avoir remis en cause les résultats,
- l'absence d'impartialité du laboratoire CARAA n'est pas caractérisée puisqu'aucun texte n'interdit à une partie de régler les frais d'un spécialiste intervenant à la demande de l'expert, étant précisé que la société Graphik Art et M. [G] n'avaient pas souhaité prendre en charge ces frais,
- les défendeurs ont été en mesure, dans le cadre des débats, de contester les conclusions du rapport d'expertise.
M. [G] maintient sa demande de nullité du rapport d'expertise judiciaire aux motifs que :
- le principe du contradictoire n'a pas été respecté puisque l'expert a désigné un laboratoire sans que les parties puissent débattre de sa désignation et du libellé de sa mission,
- le laboratoire CARAA n'était pas impartial puisque [D] [Y] a de sa propre initiative réglé ses frais alors que rien n'avait été prévu en ce sens et que ce dernier a été chargé de répondre aux questions d'une expertise à laquelle [D] [Y] s'était précédemment opposé avec la plus grande énergie,
- le rapport d'expertise ne fait aucune analyse critique de l'étude du laboratoire, se contentant d'en tirer des conclusions et de renvoyer les parties à la lecture de ces analyses, en violation de l'article 233 du code de procédure civile,
- la nullité d'un rapport d'expertise pour violation du principe du contradictoire ne saurait être conditionnée à la preuve de l'existence d'un grief.
Les consorts [Y] répliquent que :
- les parties ont accepté de laisser à l'expert le choix du laboratoire en charge des prélèvements et de solliciter un devis,
- à la réception du premier compte-rendu, M. [G] et la société Graphik Art n'ont absolument pas remis en cause ni la décision de principe de faire appel à un laboratoire ni l'intervention du laboratoire CARAA,
- aucune violation du principe d'impartialité n'est caractérisée, en ce que :
- le laboratoire CARAA n'intervenait pas en tant qu'expert sapiteur à la demande du tribunal mais en tant que spécialiste des prélèvements de pigments, choisi par l'expert à la lumière de ses connaissances, ce qui est tout à fait admis et usuel,
- ce choix était tout à fait conforme à la mission confiée à l'expert par le juge des référés,
- aucun texte n'interdit ni n'empêche une partie de régler les frais d'intervention d'un spécialiste intervenant à la demande de l'expert, l'interdiction de recevoir des paiements par une partie prévue à l'article 248 du code de procédure civile visant l'expert uniquement,
- aucun manquement aux dispositions de l'article 233 du code de procédure civile n'est caractérisé puisque l'avis du laboratoire s'agissant des pigments employés, utile pour élaborer un début de datation des oeuvres, n'a fait que confirmer, scientifiquement, la position de l'expert découlant de l'ensemble de son analyse visuelle des oeuvres et des autres documents versés aux débats,
- M. [G] ne peut justifier d'un grief puisque le rapport a uniquement pour objet d'établir la vérité.
Les irrégularités affectant le déroulement des opérations d'expertise, en ce comprises celles résultant d'un manquement à l'article 233 du code de procédure civile, sont sanctionnées selon les dispositions de l'article 175 du code de procédure civile qui renvoient aux règles régissant la nullité des actes de procédure, et notamment aux irrégularités de forme de l'article 114 du code de procédure civile, dont l'inobservation ne peut être sanctionnée par la nullité qu'à charge de prouver un grief.
Aux termes de l'article 233 du code de procédure civile, le technicien investi de ses pouvoirs par le juge en raison de sa qualification, doit remplir personnellement la mission qui lui est confiée.
L'expert peut, toutefois, confier à un tiers qui dispose des instruments appropriés, l'exécution d'investigations à caractère technique, sans manquer pour autant à son obligation de remplir personnellement sa mission et sans méconnaître les exigences du procès équitable.(2e Civ., 16 mai 2002, pourvoi n° 00-20.050 publié).
Cette jurisprudence a été consacrée en 2005 par l'article 278-1 du code de procédure civile qui dispose que l'expert peut se faire assister dans l'accomplissement de sa mission par la personne de son choix qui intervient sous son contrôle et sa responsabilité.
Le juge des référés a, au surplus, inclus dans la mission de l'expert de mettre en 'uvre tous les moyens techniques utilisés habituellement en la matière et faire toutes les recherches adéquates et nécessaires.
Il entrait donc dans les prérogatives de Mme [R], expert, de désigner un laboratoire technique aux fins d'identifier la palette picturale des pigments présents dans les peintures afin de vérifier leur cohérence avec la date présumée d'exécution des tableaux et elle n'avait pas à solliciter l'accord des parties ni sur la désignation du laboratoire ni sur la mission confiée.
Il ne peut dès lors être reproché à l'expert de ne pas avoir respecté le principe de la contradiction à ce titre alors que non seulement, elle a informé dès la première réunion les parties le 15 janvier 2019, de son intention de faire appel à un laboratoire technique puis adressé dans son compte-rendu de cette réunion, le devis du Centre d'analyses et de recherche en art et archéologie (CARAA) qu'elle avait choisi détaillant de manière très précise le contenu des analyses physico-chimiques envisagées à savoir des analyses élémentaires par spectroscopie de fluorescence X, non invasives, sur cinq couleurs et des analyses moléculaires par microscopie Raman (vert, bleu) puis adressé en réponse au dire de l'avocat de la société Graphik Art du 11 mars 2019, la copie de sa lettre du 4 février 2019 au laboratoire CARAA précisant le libellé précis des travaux envisagés à savoir, dans un premier temps des analyses physico-chimiques non invasives et deux micro-prélèvements de couleur tels que les verts et les bleus et dans un second temps une analyse du médium, en cas de résultats négatifs mais encore, organisé une seconde réunion d'expertise le 9 mai 2019 au cours de laquelle la société CARAA a procédé à l'analyse non invasive des pigments et réalisé des micro-prélèvements sur deux pigments et enfin, communiqué aux parties les résultats de ces analyses et laissé aux parties jusqu'au 20 septembre 2019 pour présenter des dires sur ces analyses ainsi que sur ses propres conclusions.
A l'envoi de son compte-rendu de la première réunion d'expertise, le 22 février 2019, l'expert a joint le devis pour les analyses scientifiques et la copie de sa demande de consignation complémentaire adressée au juge du contrôle des expertises.
Dans son dire n°3 du 10 avril 2019, l'avocat de la société Graphik Art a indiqué que celle-ci n'entendait pas procéder à la consignation complémentaire destinée à pourvoir aux émoluments du laboratoire et M. [G] qui a assisté à la première réunion d'expertise alors qu'il n'était pas partie à l'ordonnance de référé ayant ordonné la mesure d'instruction, ne peut déduire du seul fait que [D] [Y] a accepté de régler le montant du devis que le laboratoire CARAA n'a pas réalisé son analyse technique de manière impartiale.
Les premiers juges ont estimé de manière pertinente que l'expert a rempli personnellement sa mission puisqu'il a conservé la maîtrise intellectuelle de l'expertise quant à l'attribution contestée des 'uvres, par son analyse stylistique des oeuvres (style, signature, support etc...) et son appréciation sur les certificats versés aux débats et le défaut de documentation de l'origine de propriété invoquée par la société venderesse, l'analyse purement scientifique des pigments utilisés et de leur incidence sur la dation des oeuvres ne constituant qu'un élément de son analyse et il ne peut lui être reproché d'avoir remis en cause ses résultats alors qu'aucune des parties ne les a contestés.
Dès lors, aucune irrégularité des opérations d'expertise n'est établie et, en tout état de cause, M. [G] ne justifie d'aucun grief et le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du rapport d'expertise.
Sur les demandes de nullité des contrats de vente des tableaux et de dommages et intérêts fondées sur le dol
Le tribunal a débouté [D] [Y] de sa demande de nullité des ventes fondée sur le dol et par voie de conséquence de ses demandes indemnitaires au titre de ses préjudices moral et économique en ce que :
- le certificat établi par M. [NH], effectivement problématique, a été remis à l'acquéreur et non dissimulé, de même qu'une attestation produite par M. [DL], vice-président des archives légales [I] [P], établissant le caractère authentique des deux tableaux, et une copie de la page Wikipédia reproduisant le portrait de [L] [XT],
- l'absence de mention des deux tableaux dans un catalogue raisonné et de certification de l'origine de propriété n'est pas constitutive d'une dissimulation puisque ces lacunes étaient dans le champ contractuel et que le fait qu'elles accréditent a posteriori la thèse d'un défaut d'authenticité ne fait la preuve ni d'une intention ni d'une réticence dolosive.
Les consorts [Y], ayant formé un appel incident de ce chef et invoquant à titre principal la nullité des ventes pour dol, font valoir que :
- M. [G] est l'auteur de manoeuvres et mensonges constitutifs d'un dol, en ce que :
- les tableaux ont été présentés comme étant, sans réserve, des tableaux originaux,
- il a menti quant à l'origine de propriété des oeuvres annoncée, dont il s'avère qu'elle a été inventée de toute pièce,
- il a utilisé, à l'appui de ces mensonges, de faux certificats d'authenticité, l'un d'eux allant même jusqu'à mentionner que l'oeuvre vendue serait un 'Nu', sans attirer l'attention de [D] [Y] sur ce point ou émettre une quelconque réserve,
- il a menti pour justifier le prix de vente, en prétendant que les propriétaires des tableaux, la 'fratrie [M]', avaient un besoin urgent de les vendre,
- M. [G] est l'auteur d'une réticence dolosive puisqu'il a :
- manqué à son obligation pré-contractuelle d'information,
- dissimulé de manière intentionnelle les informations déterminantes suivantes : l'absence de référencement des oeuvres dans un catalogue raisonné, ce qu'il ne pouvait ignorer, et l'absence de certification de l'origine de propriété des oeuvres,
- M. [G] échoue à rapporter la preuve de sa bonne foi.
Ils sollicitent, en conséquence de la nullité prononcée, la condamnation de M. [G] à restituer les prix de vente perçus soit 850 000 euros.
Ils ajoutent que les manoeuvres de M. [G] ont causé un préjudice économique à [D] [Y] devant être réparé à hauteur de 40 000 euros et constitué par :
- la réalisation à ses frais d'une expertise par l'Institut Restellini pour un montant de 25 000 euros TTC,
- le financement des études scientifiques au cours de l'expertise par le laboratoire CARAA, pour un montant de 3 516 euros,
- des frais de conseil pour l'assister dans le cadre de ces procédures, au-delà des frais de l'article 700 du code de procédure civile exposés dans le cadre de la présente procédure,
- l'immobilisation de la somme de 850 000 euros depuis près de sept ans, à laquelle la seule application du taux de l'intérêt légal permet de calculer un manque à gagner de plus de 180 000 euros.
M. [G] soutient que :
- les consorts [Y] ne prouvent ni qu'il a effectué des manoeuvres dolosives ou dissimulé une information, ni qu'il a agi intentionnellement, ni que ces manoeuvres ou dissimulation sont la cause de son engagement,
- l'absence des deux tableaux dans plusieurs catalogues raisonnés ne les rend pas insusceptibles de revente sur le marché de l'art,
- M. [NH] n'a été mis en cause que dans une seule affaire pour faux certificat et a été relaxé,
- il a agi en toute bonne foi et reste convaincu de l'authenticité des oeuvres,
- même s'il s'avérait que les tableaux n'étaient pas authentiques, aucun élément ne prouve que lui et la société Graphik Art avaient connaissance de cette information et ont agi intentionnellement, puisqu'ils ont au contraire fait confiance à plusieurs experts particulièrement reconnus s'agissant de l'oeuvre d'[I] [P].
Il ne conclut pas sur le préjudice allégué.
Le tableau intitulé 'Portrait de [L] [XT]' vendu le 22 mais 2016 était accompagné d'un certificat d'authenticité daté du 8 juin 1990 établi par [GF] [TA] [DL] au nom des 'Archives legales [I] [P] + [Localité 18]' et d'un extrait de ces mêmes archives établi à [Localité 18] le 21 mai 2004 par [N] [NH], archiviste, mentionnant que l'oeuvre peinte en 1918 était répertoriée sous le numéro 314/18 et citait au titre des provenances '[L] [XT], [Localité 18], et [J] [PR], [Localité 18]'.
La vente du tableau intitulé 'Portrait de [O]' du 22 décembre 2016 était accompagnée d'un certificat d'authenticité établi par [GF] [TA] [DL] le 7 août 1990 en qualité de vice-président des 'Archives legales [I] [P]', d'un extrait de ces mêmes archives établi à [Localité 18] le 19 janvier 2001 par [N] [NH], archiviste, mentionnant que l'oeuvre peinte en 1916 était répertoriée sous le numéro 49/16 sous le titre 'Nu' et citait au titre des provenances '[V] [W], [Localité 18] et collection privée, [Localité 17]' et une lettre datée du 18 mars 2011 de [VJ] [F], président de l'institut européen de promotion des arts contemporains en italien et non traduite.
La première vente est régie par les dispositions de l'article 1116 ancien du code civil selon lequel le dol est une cause de nullité d'une convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté, lequel ne se présume pas et doit être prouvé.
La jurisprudence a admis que le dol pouvait également résulter d'une réticence dolosive.
La seconde vente, postérieure au 1er octobre 2016, est régie par l'article 1136 nouveau du code civil lequel prévoit que :
Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des man'uvres ou des mensonges.
Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.
Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation.
L'article 1138 du même code précise que le dol est également constitué s'il émane du représentant, gérant d'affaires, préposé ou porte-fort du contractant ou encore lorsqu'il émane d'un tiers de connivence.
Les consorts [Y] affirment sans aucun élément de preuve à l'appui que M. [G] aurait menti à leur ayant droit en lui disant que les frères [M] dont le nom n'a été révélé qu'en 2017 à [D] [Y] étaient pressés de vendre afin de l'inciter à acquérir le second tableau de [P].
Le fait que les tableaux ont été présentés comme des tableaux originaux sans aucune réserve n'est pas constitutif d'une dissimulation intentionnelle de la part de M. [G] dans la mesure où il n'est pas établi qu'il avait connaissance, à la date des ventes, d'un doute sur leur authenticité comme sur la fiabilité des certificats présentés, notamment ceux établis par M. [NH], auteur d'ouvrages consacrés à l'artiste et proche de sa fille, ayant longtemps fait autorité concernant l'oeuvre de [P], s'agissant de leur contenu, en ce compris les provenances mentionnées.
Les consorts [Y] ne produisent aucun élément de nature à établir que M. [G] a dissimulé de manière intentionnelle les informations relatives à l'absence de référencement des oeuvres dans un catalogue raisonné et à l'absence de certification de l'origine de propriété des oeuvres ni que ces informations avaient un caractère déterminant pour l'acquéreur, alors que celui-ci n'a formulé aucune demande à ce titre avant 2017.
Le certificat d'authentification présenté lors de la vente du 'Portrait de [O]' mentionnant comme titre 'Nu' a été remis à l'acquéreur au moment de son achat et ne peut constituer une dissimulation a fortiori intentionnelle.
Il en résulte que les consorts [Y] échouent à démontrer la preuve d'un dol et doivent être déboutés de leur demande de nullité des deux ventes à ce titre et de leur demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique de [D] [Y], en confirmation du jugement.
Sur la demande de nullité des ventes pour erreur
Le tribunal a annulé les contrats de vente des 22 mai et 22 décembre 2016, après avoir retenu une erreur sur la qualité substantielle des tableaux vendus ayant vicié le consentement de [D] [Y], en ce que :
- selon l'expert judiciaire, ni les portraits ni les signatures ne peuvent être qualifiées d'oeuvres originales de [P],
- les certificats accompagnant les oeuvres sont approximatifs et présentent des erreurs, la provenance étant une suite de noms nullement étayée par des factures ou une attestation,
- s'agissant du portrait féminin, la dénomination 'Nu', figurant sur le certificat d'authenticité établi par M. [N] [NH], expert et président de l'Institut [P], n'est pas exacte, le personnage étant vêtu,
- l'expertise amiable diligentée par [D] [Y] conforte l'existence d'un faux,
- la société Graphik Art n'a pas été en mesure d'étayer par de nouveaux éléments l'origine des oeuvres,
- le simple doute sur son authenticité suffit à justifier l'annulation de la vente d'une oeuvre d'art.
Le tribunal a jugé que les factures versées au débat et le possible lien familial entre M. [T] [G] et le président de la société Graphik Art, M. [KY] [G], révèlent une complète confusion s'agissant de la qualité de vendeur des tableaux entre M. [G] et la société Graphik Art, justifiant que soit réclamée la restitution du prix de vente des tableaux solidairement à la société Graphik Art et à M. [G], ce dernier ne pouvant être considéré comme un simple salarié de la société Graphik Art, contrairement à ce qu'il prétend.
M. [G] soutient que l'existence de simples doutes sur l'authenticité des deux tableaux ne saurait justifier l'annulation des ventes sur le fondement de l'erreur et qu'aucun élément ne permet de démontrer que les oeuvres sont des faux, en ce que :
- les deux rapports d'expertise ne peuvent à eux seuls établir l'absence d'authenticité des oeuvres litigieuses puisque :
- le rapport de l'institut Restellini a été demandé de manière unilatérale par [D] [Y] et son insuffisance a été reconnue par le juge des référés qui a fait droit à sa demande de nomination d'un expert,
- le rapport d'expert judiciaire est entaché de nullité pour non-respect du principe du contradictoire et absence d'impartialité du laboratoire CARAA,
- les certificats produits lors de la vente, établis respectivement par M. [NH] et M. [DL], n'ont pas fait l'objet d'une contestation quant à leur origine, alors même qu'ils sont indissociables de la substance de la chose vendue en ce qu'ils authentifient les oeuvres litigieuses et par conséquent ils ne peuvent avoir égaré l'acheteur sur la substance de la chose.
Il ne conclut pas sur la demande de restitution prononcée à son encontre dont il demande le débouté.
Les consorts [Y] répliquent qu'une erreur sur la substance a vicié le consentement de leur ayant droit en ce que :
- il ressort de l'ensemble des éléments versés aux débats et notamment de l'expertise judiciaire que les oeuvres litigieuses sont des faux grossiers alors que [D] [Y] pensait acquérir des oeuvres authentiques de [P],
- l'inauthenticité des tableaux n'a été découverte par [D] [Y] que postérieurement à la vente.
Ils soutiennent que M. [G] doit être condamné personnellement au paiement des sommes qu'ils réclament, en raison de la confusion et de l'imbrication totale existant entre M. [G] et la société Graphik Art, motifs pris de ce que :
- il s'est toujours présenté comme le dirigeant de la société Graphik Art et a été le seul et unique interlocuteur de [D] [Y],
- c'est tout d'abord sans en-tête puis sur en-tête de la société Graphik Art que deux factures ont été éditées lors de la première vente par M. [G], qui y a inséré ses coordonnées bancaires personnelles,
- il a perçu directement sur son compte bancaire la somme de 300 000 euros dans le cadre de la première vente et le solde via la société écran Graphik Art dont [KY] [G] est le gérant de paille,
- les prétendus courriers envoyés à M. [NH] sont sur en-tête personnelle de M. [G],
- c'est M. [G] qui était présent lors de la réunion d'expertise et non le représentant légal de la société Graphik Art.
Ils réclament enfin la fixation de leur créance au passif de la société Graphik Art à la somme de 850 000 euros.
L'article 1109 ancien du code civil applicable à la date de la vente du premier tableau dispose qu'il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur et l'article 1110 ancien énonce, en son alinéa 1er que l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet.
L'erreur n'emporte la nullité du contrat que si elle a été déterminante du consentement de l'acquéreur.
L'article 1132 nouveau du code civil applicable à la date de la vente du second tableau dispose que l'erreur de droit ou de fait, à moins qu'elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu'elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant.
L'article 1133 nouveau du même code précise que :
Les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté.
L'erreur est une cause de nullité qu'elle porte sur la prestation de l'une ou de l'autre partie.
L'acceptation d'un aléa sur une qualité de la prestation exclut l'erreur relative à cette qualité.
Il appartient à l'acquéreur qui sollicite l'annulation de la vente de prouver l'existence de doutes réels et sérieux sur l'authenticité de l''uvre.
Il ressort des conclusions du laboratoire CARAA que :
- s'agissant des deux tableaux, les analyses ont montré que si certains pigments sont parfaitement compatibles avec une date de réalisation antérieure à 1920 (date de la mort de l'artiste), la présence de blanc de titane sous forme rutile n'était pas compatible avec l'utilisation du pigment industriel produit à compter de 1938, l'utilisation de rutile d'origine naturelle, bien que jamais constatée sur une oeuvre peinte, ne pouvait être définitivement exclue,
- s'agissant du tableau intitulé 'Portait de [XT]', la présence du bleu de phtalocyanine de type PB15:3 est totalement anachronique avec une attribution à [P] et traduit une réalisation ou une intervention postérieure à la production industrielle de ce pigment en 1936,
- s'agissant du tableau intitulé 'Portrait de [O] ', certains pigments fréquemment utilisés par [P] sont absents de l'oeuvre et certains utilisés ne semblent jamais avoir été signalés sur une de ses oeuvres.
L'expert a considéré, après comparaison avec diverses signatures authentiques du peintre, que celles portées sur les deux tableaux ne pouvaient pas lui être attribuées, relevé que [P] ne peignait plus sur carton à la date présumée des oeuvres, que la peinture était naïve, maladroite, comportait des erreurs grossières dont celle relative à la raie de la chevelure de [XT] et que chaque détail d'exécution révélait l'absence de similitude avec la peinture de [P].
Les provenances pourtant prestigieuses mentionnées dans les attestations de [N] [NH] n'ont pu être confirmées.
L'attestation de M. [NH] concernant le 'Portrait de [O]' est douteuse puisqu'elle se réfère à un 'Nu' alors que le tableau est un portrait de femme habillée.
L'expertise amiable du tableau 'Portrait de [O]' par l'Institut Restellini sollicitée par [D] [Y] en 2018 mentionne qu'en 1916, [P] ne peignait plus sur carton car ses marchands, [AI] [A] puis [L] [XT], l'approvisionnaient en toiles et en couleurs et que par simple comparaison avec des oeuvres authentiques, tous les détails d'exécution du portrait étudié prouvent l'imitation grossière.
Il se déduit de l'ensemble de ces éléments l'existence de doutes réels et sérieux sur l'authenticité des oeuvres attribuées à [P].
Les prix auxquels [D] [Y] a acheté ces tableaux établissent que l'attribution des oeuvres à [P], s'agissant de la première vente, était la cause déterminante de son consentement et, s'agissant de la seconde, constituait une qualité essentielle de la prestation en considération de laquelle il a contracté.
En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité des deux ventes et ordonné la restitution du prix.
La société Graphik Art ayant été mise en liquidation judiciaire et la créance de [D] [Y] ayant été admise au passif pour un montant de 854 000 euros, il y a lieu de fixer la créance des consorts [Y] à la somme de 850 000 euros.
Une première facture portant le n° 012/09/2016 a été établie le 22 mai 2016 pour la vente du tableau 'Portrait de [L] [XT]' pour un prix de 500 000 euros dont un acompte de 200 000 euros par virement bancaire laquelle n'émane pas de la société Graphik Art mais porte la mention du compte bancaire de [T] [G] en Belgique.
Une seconde facture portant le même numéro et la même date a été établie à l'entête de la société 'Galerie Graphik Art Sas' et non de la société Graphik Art et porte la mention dactylographiée suivante:
'réglé un acompte de 200 000 euros par chèque certifié remis ce jour le 27/09/2016, le tableau est remis ce jour à M. [Y]. Le tableau deviendra la propriété de M. [Y] après que le compte soit crédité du solde par virement bancaire fait ce jour le 27/09/16".
Les coordonnées du compte bancaire de Graphik Art sont rayées et remplacées manuellement par celles de [T] [G].
Alors que M. [T] [G] n'est ni associé ni salarié de la société Graphik Art, il se déduit de ces éléments qu'il est le vendeur du tableau dont il a perçu le prix et qu'il doit être condamné à le rembourser.
La seconde facture du 22 décembre 2016 portant sur la vente du tableau 'Portrait de [O]' pour un prix de 350 000 euros n'est pas établie à l'entête de la société Graphik Art et mentionne seulement en bas le nom d'une banque, la caisse d'Epargne et le nom du compte Graphik Art sans RIB ni BIC.
1ère version
M. [G] ne donne aucune explication à ce titre et compte-tenu du fait qu'il a été le seul interlocuteur de [D] [Y], tant avant qu'après la vente et qu'il était présent à la réunion d'expertise alors même qu'il n'était pas partie à la procédure de référé, il y a lieu de considérer qu'il a également été le bénéficiaire du prix de cette vente et qu'il doit le rembourser aux consorts [Y].
En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu'il a condamné M. [G] à payer la somme de 850 000 euros, sans qu'il y ait lieu d'ordonner cette condamnation d'une astreinte.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dispositions relatives aux dépens et aux frais de procédure de première instance sont confirmées, sauf à fixer au passif de la procédure collective de la société Graphik Art les dépens de l'instance et à la somme de 4 000 euros la créance allouée aux consorts [Y] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens d'appel doivent incomber à M. [T] [G], partie perdante, lequel est également condamné à payer aux consorts [Y] une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour
Reçoit l'intervention volontaire de Mmes [H], [C], [Z] et [B] [Y], M. [X] [Y] et Mme [S] [E] en leur qualité d'héritiers de [D] [Y],
Confirme le jugement sauf en ce qu'il a :
- condamné solidairement la société Graphik Art et M. [G] à payer à [D] [Y] la somme de 850 000 euros en remboursement des prix de vente,
- condamné la société Graphik Art à payer à [D] [Y] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Graphik Art aux dépens,
Infirme le jugement en ses autres dispositions,
Statuant à nouveau, dans cette limite,
Fixe à la somme de 850 000 euros la créance de Mmes [H], [C], [Z] et [B] [Y], M. [X] [Y] et Mme [S] [E] au passif de la procédure collective de la Sas Graphik Art représentée par la Scp BTSG, prise en la personne de M. [ZS] [K] mandataire judiciaire, en qualité de liquidateur judiciaire,
Condamne M. [T] [G] in solidum avec la Sas Graphic Art à payer à Mmes [H], [C], [Z] et [B] [Y], M. [X] [Y] et Mme [S] [E] la somme de 850 000 euros en remboursement des prix de vente,
Fixe les dépens de première instance et à la somme de 4 000 euros la créance allouée aux consorts [Y] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au passif de la procédure collective de la Sas Graphik Art représentée par la Scp BTSG, prise en la personne de M. [ZS] [K] mandataire judiciaire, en qualité de liquidateur judiciaire,
Condamne M. [T] [G] aux dépens d'appel,
Condamne M. [T] [G] à payer à Mmes [H], [C], [Z] et [B] [Y], M. [X] [Y] et Mme [S] [E] une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.