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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 4-2, 14 mars 2025, n° 21/07161

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 21/07161

14 mars 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-2

ARRÊT AU FOND

DU 14 MARS 2025

N° 2025/

Rôle N° RG 21/07161 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHOHE

S.A.S. CARREFOUR HYPERMARCHES

C/

[K] [D] [B] épouse [B]

Copie exécutoire délivrée

le : 14/03/2025

à :

Me Nicolas DRUJON D'ASTROS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

(vest 4)

Me Nathalie BEHAIS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

(vest 200)

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX-EN-PROVENCE en date du 16 Mars 2021 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 18/00518.

APPELANTE

S.A.S. CARREFOUR HYPERMARCHES agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Nicolas DRUJON D'ASTROS de la SCP DRUJON D'ASTROS & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

Madame [K] [D] [B], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Nathalie BEHAIS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 15 Janvier 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Muriel GUILLET, Conseillère, chargée du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre

M. Guillaume KATAWANDJA, Conseiller

Madame Muriel GUILLET, Conseillère

Greffier lors des débats : Mme Cyrielle GOUNAUD.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Mars 2025.

Délibéré prorogé au 14 Mars 2025

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Mars 2025

Signé par Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre et Mme Caroline POTTIER, adjointe administrative faisant fonction de greffier , auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Madame [K] [D] [B] a été embauchée par la SAS Carrefour Hypermarchés par contrat à durée indéterminée à compter du 1er octobre 2001. Dans le dernier état de la relation contractuelle, elle occupait les fonctions de conseillère des ventes, statut employée, position 3B. La relation contractuelle est régie par la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire et la convention collective d'entreprise Carrefour.

Le 26 février 2018, l'employeur a convoqué Madame [K] [D] [B] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 6 mars 2018, avec mise à pied conservatoire.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 mars 2018, la SAS Carrefour Hypermarchés a licencié Madame [K] [D] [B] pour faute grave, en ces termes :

« Vous avez été convoqué le 6 mars 2018 à 10 heures par courrier remis en mains propres, en vue d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement. Vous vous êtes présentée assistée de Madame [E] [I], déléguée du personnel. Les explications que vous avez données ne nous ont pas permis de modifier notre position.

Lundi 26 février 2018, lors de son arrivée au magasin, Monsieur [U], responsable sécurité, vous a croisé dans le couloir de l'entrée du personnel à 3h36, alors que vous sortiez en direction des machines à cafés où il vous a vu vous asseoir en compagnie de Monsieur [J], employé au rayon Epicerie, pour prendre votre pause.

Monsieur [U] vous a vu environ 10 minutes plus tard vous diriger vers la pointeuse qui se trouve dans le couloir de la réserve PGC. Monsieur [U] a donc supposé que vous aviez pointé votre retour de pause, comme cela est obligatoire.

Avant l'ouverture du magasin, comme il le fait régulièrement, Monsieur [Y] [U] a procédé à un contrôle des pointages des collaborateurs présents en poste, en vérifiant notamment les pointages d'arrivées et de pauses.

Il s'est aperçu que vous êtes arrivée au magasin à 3h23, que vous en êtes ressortie pour prendre votre pause à 3h36 (au moment où vous avez croisé Monsieur [U] qui entrait), et que vous êtes revenu à 3h45.

Or, d'une part, les pauses ne peuvent pas être prises dès l'arrivée en poste mais au cours de la plage médiane de l'horaire de travail, et d'autre part, vous n'avez pointé ni votre départ en pause, ni votre retour.

Cette absence de pointage de pause se retrouve également en date du 10 février 2018.

Cela est en totale contradiction avec les obligations que vous impose le règlement intérieur du magasin qui stipule dans son article 16 que :« Pour les salariés concernés par un décompte horaire de leur temps de travail, le calcul du temps de travail effectif implique que chaque prise ou fin de poste ainsi que les débuts ou fins de pause donnent lieu obligatoirement au pointage. »

Pire encore, Monsieur [U] a pu constater qu'à 3h47, alors que vous passiez à la pointeuse, ce n'est pas votre retour de pause que vous pointiez comme il l'avait supposé, mais la prise de poste de Monsieur [F], employé dans le même rayon que le vôtre, qui, pour sa part, n'était pas encore arrivé au magasin, en utilisant sa carte de pointage.

En effet, le 26 février 2018, Monsieur [F] n'est arrivé au magasin qu'à 3h55. Monsieur [U] avait lui-même croisé Monsieur [F] qui entrait dans le magasin à 3h55 alors qu'il réalisait son inspection du magasin.

Monsieur [U] a donc procédé à des vérifications plus approfondies pour s'assurer que ces irrégularités demeuraient une exception.

Cependant, il a pu constater que cette fraude s'est reproduite plusieurs fois en février 2018 :

- Le mardi 13 février 2018, l'heure de pointage de Monsieur [F] indique 3h46 et le vôtre 3h46 également. Or Monsieur [F] ne s'est présenté à l'entrée du personnel qu'à 4h14 ce jour-là et n'est passé devant la pointeuse en direction de la réserve qu'à 4h17. Il est donc impossible qu'il ait pointé à 3h46, ce que vous avez fait pour lui en même temps que pour vous.

- Le mercredi 14 février 2018, l'heure de pointage de Monsieur [F] indique 3h38. Or, alors que vous avez déjà pointé votre prise de poste à 3h34, vous vous arrêtez à nouveau à l'espace de pointage pendant quelques secondes à 3h38 pour pointer la prise de poste de Monsieur [F] avant d'entrer dans la réserve et en ressortir avec un tire palette. En effet, Monsieur [F] ne s'est présenté à l'entrée du personnel qu'à 4h09 ce jour-là et n'est passé devant la pointeuse en direction de la réserve qu'à 4h12. Il est donc impossible qu'il ait pointé à 3h38, ce que vous avez fait pour lui.

- Le jeudi 15 février 2018, l'heure de pointage de Monsieur [F] indique 3h45. Or, alors que vous avez déjà pointé votre prise de poste à 3h38, vous vous arrêtez à l'espace de pointage pendant quelques secondes à 3h45 pour pointer la prise de poste de Monsieur [F], avant de repartir de la réserve avec un tire palette. En effet, ce jour-là Monsieur [F] ne s'est présenté à l'entrée du personnel qu'à 4h15 et n'est passé devant la pointeuse en direction de la réserve qu'à 4h31. Il est donc impossible qu'il ait pointé à 3h45, ce que vous avez fait pour lui.

Il s'avère donc de façon certaine que vous avez utilisé la carte de pointage de Monsieur [F] afin de pointer fictivement sa prise de poste, avant même qu'il soit arrivé au magasin.

Ainsi,

- Le lundi 26 février 2018, Monsieur [F] est effectivement arrivé en poste à 3h55, alors que vous aviez déjà pointé sa prise de poste depuis 3h47,

- Le mardi 13 février 2018, Monsieur [F] est effectivement arrivé en poste à 4h14, alors que vous aviez déjà pointé sa prise de poste depuis 3h46,

- Le mercredi 14 février 2018, Monsieur [F] est effectivement arrivé en poste à 4h09, alors que vous aviez déjà pointé sa prise de poste depuis 3h38,

- Le jeudi 15 février 2018, Monsieur [F] est effectivement arrivé en poste à 4h15, alors que vous aviez déjà pointé sa prise de poste depuis 3h45.

Cette fraude manifeste opérée dans l'intention de tromper votre direction représente une grave violation des règles élémentaires de loyauté dont vous devez faire preuve dans l'exécution de votre contrat de travail ainsi que du règlement intérieur de notre magasin qui prévoit expressément en son article 16 que: « Les salariés doivent se trouver à leur poste de travail, à l'heure fixée pour le début du travail jusqu'à celle prévue pour la fin de celui-ci. Le pointage doit se faire en tenue de travail sur l'appareil désigné à cet effet au salarié par son supérieur hiérarchique. Il est interdit de prêter son badge de pointage ou de pointer pour un autre salarié ».

Nous considérons que ces agissements tendant à tromper sciemment votre employeur rendent impossible votre maintien, même temporaire, dans l'entreprise.

Lors de l'entretien préalable, vous avez d'ailleurs expressément reconnu les faits ci-dessus exposés et déclaré au surplus que ce procédé remontait à une période antérieure.

En conséquence, nous avons le regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave étant précisé que celle-ci est soumise aux dispositions de l'article R.1232-13 du Code du travail. Votre licenciement sera donc effectif dès la première présentation de cette lettre, sans préavis ni indemnité de rupture. Nous vous précisons qu'en raison de la gravité des faits qui vous sont reprochés, le salaire correspondant à la période pendant laque le nous vous avons mise à pied à titre conservatoire ne vous sera pas versé. »

Contestant notamment la qualification de son licenciement, Madame [K] [D] [B] a, par requête reçue le 24 juillet 2018, saisi le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence, lequel, par jugement du 16 mars 2021 a :

Dit que les enregistrements de vidéo surveillance sont licites,

Dit la procédure de licenciement régulière,

Dit le licenciement de [K] [D] [B] pour cause réelle et sérieuse,

Fixé la moyenne des salaires de [K] [D] [B] à 2 050,68€ bruts mensuels,

Condamné la société CARREFOUR à verser à [K] [D] [B]:

' Trois mille six cent vingt-quatre €uros et 40 cts (3 624,40€) à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

' Trois cent soixante-deux €uros et 44 cts (362,44€) de congés payés afférents,

' Neuf mille six cent soixante-sept €uros et 98 cts (9 667,98€) à titre d'indemnité légale de licenciement,

' Six cent soixante-quatre €uros et 15 cts (664,15€) au titre de prime de fin d'année,

'Trois cent soixante-quatre €uros et 17 cts (364,17€) au titre de complément de prime de vacances,

'Mille deux cents €uros (1 200€) au titre de l'article 700 du CPC

Dit que ces sommes seront augmentées des intérêts à taux légal à compter du prononcé du présent jugement,

Ordonné la remise de documents de fin de contrat rectifiés, et ce sous astreinte de cinquante €uros (50€) par jour de retard à compter du 15ème jour suivant le prononcé du présent jugement,

S'est réservé le droit de liquider ladite astreinte,

Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement sur le fondement de l'article 515 du CPC,

Dit que les entiers dépens sont à la charge de la société CARREFOUR, y compris les frais éventuels d'exécution forcée de la présente décision.

Par déclaration électronique du 11 mai 2021, la SAS Carrefour Hypermarchés a interjeté appel de ce jugement, aux fins de son infirmation, en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse, l'a condamnée à payer les sommes de 3 624,40 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 362,44€ de congés payés afférents, 9 667,98 € à titre d'indemnité légale de licenciement, 664,15 € au titre de prime de fin d'année, 364,17 € au titre de complément de prime de vacances, 1 200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, a ordonné que ces sommes soient augmentées des intérêts à taux légal à compter du prononcé du jugement, fixé la moyenne des salaires à la somme de 2 050,68€ bruts mensuels, ordonné la remise des documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte, s'est réservé le droit de liquider cette astreinte, l'a condamnée aux dépens, y compris les frais éventuels d'exécution forcée.

Par conclusions déposées et notifiées par RPVA le 2 janvier 2025, la SAS Carrefour Hypermarchés demande à la cour de :

Sur l'appel principal

- RECEVOIR la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES en son appel

- INFIRMER le jugement rendu le 16 mars 2021 par le conseil de prud'hommes d'Aix en Provence:

- En ce qu'il a jugé que les faits reprochés à Mme [B] n'étaient pas constitutifs d'une faute grave mais d'une simple cause réelle et sérieuse de licenciement et qu'il a condamné de ce chef la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES au paiement de :

- 3 624,40€ à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 362,44€ de congés payés afférents,

- 9 667,98€ à titre d'indemnité légale de licenciement,

- En ce qu'il a jugé Mme [B] bien fondée à réclamer le paiement de la prime de fin d'année et condamné l'appelante au paiement de la somme de 664, 15 € à ce titre ;

- En ce qu'il a jugé Mme [B] bien fondée à réclamer le paiement d'un complément de prime de vacances et condamné l'appelante au paiement de la somme de 364,17 € à ce titre;

- En ce qu'il a condamné l'appelante au paiement de la somme de 1200€ au titre de l'article 700 CPC,

- En ce qu'il a ordonné que ces sommes soient augmentées des intérêts à taux légal à compter du prononcé du jugement,

- En ce qu'il a ordonné la remise de documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 50€ par jour de retard à compter du 15ème jour suivant le prononcé du jugement et s'est réservé le droit de liquider ladite astreinte,

- En ce qu'il a condamné la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES au paiement des entiers dépens.

Et statuant à nouveau :

- DEBOUTER Madame [B] de l'ensemble de ses demandes ;

- FIXER le salaire de référence mensuel à 1.683,79 €

Reconventionnellement :

- CONDAMNER Madame [K] [D] [B] au paiement d'une somme de 2.500 € au titre de l'article 700 CPC pour les frais de première instance ;

- CONDAMNER Madame [D] [B] au paiement d'une somme de 2.000 € au titre de l'article 700 CPC pour les frais d'appel

- CONDAMNER Madame [K] [D] [B] au paiement des entiers dépens de première instance et d'appel.

Sur l'appel incident :

- CONFIRMER le jugement dont appel en ce qu'il a :

- retenu comme licite les images de vidéosurveillances versées aux débats

- débouté Mme [B] de sa demande de voir écarté des débats toutes les pièces ayant un rapport avec les enregistrements vidéo ;

- débouté Mme [B] de sa demande en paiement d'une indemnité pour procédure irrégulière de licenciement à hauteur de 2.050,68 €;

- débouté Mme [B] de sa demande en paiement de la somme de 4.000€ pour préjudice moral du fait des conditions vexatoires du licenciement

- débouté Mme [B] de sa demande au titre de l'article 700 CPC

- débouté Mme [B] de sa demande de fixer le point de départ des intérêts au taux légal au jour de la saisine du conseil de prud'hommes ;

- DEBOUTER par conséquent Mme [B] de l'ensemble de ses demandes au titre de son appel incident.

Par conclusions déposées et notifiées par RPVA le 30 décembre 2024, Madame [K] [D] [B] demande à la cour de :

- Débouter la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES de toutes ses demandes, fins et prétentions,

- Confirmer le jugement rendu le 16 Mars 2021 par le Conseil de Prud'hommes d'AIX-EN- PROVENCE en ce qu'il a :

- requalifié le licenciement pour faute grave intervenu à l'encontre de Madame [D] [B] en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

- fixé le salaire moyen mensuel de Madame [D] [B] à la somme de 2 050,68 € bruts,

- dit Madame [D] [B] bien fondée en ses demandes en paiement de la prime de fin d'année et de complément de prime de vacances,

- condamné la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES à payer à Madame [D] [B] les sommes suivantes :

' 3 624,40 € à titre d'indemnité de préavis,

' 362,44 € de congés payés afférents,

' 9 667,98 € à titre d'indemnité légale de licenciement,

' 664,15 € au titre de prime de fin d'année,

' 364,17 € au titre du complément de prime de vacances,

- condamné la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES à payer à Madame [D] [B] la somme de 1200 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- ordonné la remise de documents de fin de contrat rectifiés, et ce sous astreinte de 50€ par jour de retard à compter du 15ème jour suivant le prononcé du jugement s'est réservé le droit de liquider ladite astreinte,

- dit que les entiers dépens sont à la charge de la société CARREFOUR, y compris les frais éventuels d'exécution forcée de la présente décision,

- Infirmer ou réformer partiellement le jugement en ce qu'il a :

- dit que les enregistrements de vidéo surveillance sont licites et, en conséquence, débouté Madame [D] [B] de sa demande de voir écarter des débats toutes pièces ayant un rapport avec ce dispositif,

- dit régulière la procédure de licenciement,

- fixé le point des intérêts au taux légal sur les condamnations ayant une nature salariale au jour du prononcé du jugement,

- débouté Madame [D] [B] de ses demandes en paiement d'une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, de congés payés sur le complément de prime de vacances et de dommages et intérêts pour préjudice moral,

Et statuant à nouveau :

- Dire et juger que les enregistrements de vidéosurveillance invoqués par la Société CARREFOUR sont illicites et, en conséquence, écarter des débats toute pièce faisant état du contenu de ces enregistrements et, notamment, le constat établi par Maître [N] [X], Huissier de Justice à AIX-EN-PROVENCE le 27 Février 2018,

- Dire et juger irrégulière la procédure de licenciement

- Fixer le point de départ des intérêts au taux légal à compter de la date de saisine par Madame [D] [B] du Conseil de Prud'hommes d'AIX-EN-PROVENCE, en application des articles 1231-6 et 1344-1 du Code Civil,

- Dire et juger que le licenciement de Madame [D] [B] est intervenu dans des conditions vexatoires,

- En conséquence, condamner la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES à verser Madame [D] [B] les sommes suivantes :

' 2 050,68 € à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement sur le fondement de l'article L 1235-2 du Code du Travail,

' 36,48 € au titre des congés payés sur le complément de prime de vacances,

' 4 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait des conditions vexatoires du licenciement,

- Condamner la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES à verser à Madame [D] [B] la somme complémentaire de 2 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- Condamner la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais éventuels d'exécution forcée de la décision à intervenir.

L'ordonnance de clôture de la procédure est en date du 13 janvier 2025.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

I-Sur la rupture du contrat de travail

Aux termes de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. L'article L.1235-1 du code du travail dispose qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La lettre de licenciement fixe les limites des débats et doivent être examinés tous les griefs qui y sont énoncés, lesquels doivent être précis, objectifs et matériellement vérifiables. Les faits doivent être établis et constituer la véritable cause du licenciement. Ils doivent par ailleurs être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement.

Il appartient au juge, qui n'est pas lié par la qualification donnée au licenciement, de vérifier la réalité des faits reprochés au salarié et de les qualifier puis de décider s'ils constituent une cause réelle et sérieuse au sens de l'article précité.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il incombe à l'employeur d'en rapporter la preuve.

1-Sur la recevabilité des moyens de preuve

Selon l'article L1121-1 du code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. Aux termes de l'article 1222-4 du même code, aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été préalablement porté à sa connaissance.

Il résulte des articles 6 et 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que l'illicéité d'un moyen de preuve portant atteinte à la vie privée d'un salarié n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats , le juge devant apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie privée du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée du salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

En l'espèce, l'employeur produit au débat un constat de Me [X], huissier de justice, en date du 27 février 2018, consistant en l'exploitation, pour les dates des 13, 14, 15, 26 février 2018, de relevés de pointage et d'images de deux caméras de vidéosurveillance, n°65 pointée sur l'entrée du personnel et n°161, filmant l'entrée de la réserve et permettant incidemment d'observer les personnes se rendant dans un espace situé sur la gauche, où se trouve la pointeuse sans que cette dernière ne soit visible.

Il est constant que ce système de vidéosurveillance a été autorisé par le préfet de police des Bouches-du-Rhône, déclaré à la CNIL et que l'employeur en a informé le comité d'entreprise lors de la réunion du 31 janvier 2017, la finalité exposée de ce dispositif étant la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens. L'employeur indiquait alors expressément qu'il ne s'agissait pas de surveiller le travail des salariés.

Madame [K] [D] [B] conteste avoir été informée d'une possible utilisation disciplinaire du dispositif, et l'employeur ne justifie pas du contraire.

Il s'ensuit que le moyen de preuve tiré de l'exploitation à des fins disciplinaires des données issues du dispositif de vidéosurveillance est illicite et la cour infirme en conséquence le jugement déféré en ce qu'il l'a dit licite. Cependant, l'exploitation de ces données était l'unique moyen de confirmer les soupçons de Monsieur [U], qui, au vu des moments où il avait croisé Madame [K] [D] [B] en pause puis dans la zone de pointage, et ensuite Monsieur [F], en avait déduit mais sans certitude une possible fraude aux pointages le 26 février 2018. Elle était aussi l'unique moyen d'établir les faits antérieurs, pour lesquels aucune constatation de témoin ne permettait de soupçonner un comportement fautif.

Madame [K] [D] [B] reconnaît d'ailleurs dans ses écritures qu' « il ne peut être sérieusement contesté que le seul examen des relevés et pointage de Madame [D] [B] et de Monsieur [F] ainsi que les constatations visuelles de Monsieur [U] ne peuvent pas justifier le grief reproché à Madame [D] [B] tenant au fait d'avoir pointé le 26 février 2018 la prise de poste de Monsieur [F] » (page 11 de ses écritures) et que « la preuve de la faute au pointage reproché à Madame [D] [B] repose essentiellement sur le visionnage des enregistrements de vidéosurveillance ».

Le caractère indispensable de l'exploitation de ces données pour l'exercice du droit à la preuve de l'employeur de faits qui, à défaut, seraient demeurés à l'état de soupçons est donc établi.

La cour considère que l'atteinte portée à la liberté d'aller et venir et à la vie privée de la salariée est proportionnée au but poursuivi et ne contrevient pas au caractère équitable de la procédure.

La cour retient ainsi comme recevables les pièces faisant état de l'exploitation des images de vidéosurveillance, notamment le procès-verbal de constat d'huissier de justice.

2-Sur le bien-fondé du licenciement

a-Sur l'absence de pointage des pauses

L'obligation pour le salarié soumis à un décompte horaire de son temps de travail de pointer les débuts et fins de ses pauses, qui doivent se situer dans la plage médiane de la période de travail, est établie par l'article 5-4.2 de la convention collective d'entreprise Carrefour et par l'article 16 du règlement intérieur du magasin.

Dans son courrier du 30 mars 2018, adressé à l'employeur, Madame [K] [D] [B] reconnaît avoir pris une pause le 10 février 2018 vers 9 heures, mais conteste ne pas avoir procédé au pointage de ses début et fin. Or, il résulte de la pièce 7 communiquée par la SAS Carrefour Hypermarchés que la salariée a pointé une prise de poste à 3h50 et une fin de poste à 10h45, sans interruption, ce qui établit qu'elle n'a pas effectué le pointage de sa pause.

La combinaison de l'attestation de Monsieur [U], qui indique l'avoir vue le 26 février 2018 se diriger avec Monsieur [J] vers la sortie du magasin à 3h36, s'asseoir avec lui vers les machines à café et entrer à nouveau dans le magasin à 3h45, et du relevé montrant un pointage de prise de poste à 3h29 et une sortie à 8h, sans interruption (pièce 13) établit ce grief.

b-Sur les pointages frauduleux

L'interdiction de prêter son badge de pointage et de pointer à la place d'un autre salarié est rappelée par l'article 16 du règlement intérieur du magasin.

Il est établi par :

- l'exploitation des caméras de vidéosurveillance n°65 et 161, montrant l'arrivée de Monsieur [F] sur le lieu de son travail à des horaires postérieurs à ceux de son pointage théorique, horaires au cours desquels Madame [K] [D] [B] se trouvait dans le local de la pointeuse, alors qu'elle avait antérieurement procéder au badgeage de ses propres prises de poste, pour les 13, 14, 15 et 26 février 2018

- la reconnaissance par Monsieur [F] lors de sa propre procédure de licenciement de ce qu'il avait demandé à sa collègue de pointer à sa place « 3 à 4 fois »

que Madame [K] [D] [B] a frauduleusement utilisé le badge de Monsieur [F] à 4 reprises en quelques jours pour tromper l'employeur sur la présence au travail de ce dernier.

Le comportement répété ainsi reproché à Madame [K] [D] [B], qui trompe son employeur non seulement sur son temps de travail mais également sur celui d'un collègue, à de multiples reprises sur une durée de deux semaines, amenant la SAS Carrefour Hypermarchés à rémunérer des périodes de travail non accomplies, revêtent un caractère de gravité suffisant pour que le licenciement constitue une mesure disciplinaire proportionnée, et dont le degré de gravité rendait impossible le maintien de la salariée dans l'entreprise.

Par infirmation du jugement déféré, la cour déboute Madame [K] [D] [B] de l'ensemble de ses demandes au titre de la requalification de la rupture du contrat de travail en licenciement pour cause réelle et sérieuse.

3-Sur les dommages et intérêts pour licenciement vexatoire

En application de l'article 1231-1 du code civil, le licenciement, même justifié par une faute grave du salarié, peut causer à celui-ci, en raison des circonstances vexatoires qui l'ont accompagné, un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi et dont il est fondé à demander réparation. Il incombe au salarié de rapporter la preuve d'une faute de l'employeur dans les circonstances entourant le licenciement et celle d'un préjudice qui en est résulté pour lui.

Madame [K] [D] [B] reproche à ce titre à l'employeur de l'avoir interrogée de façon insistante tant lors d'un entretien informel le 26 février 2018 que lors de l'entretien préalable, de lui avoir répété qu'elle mentait et d'avoir exercé à son encontre une forme de chantage en lui déclarant que le fait de mentir ne jouait pas en sa faveur.

Elle produit un compte-rendu de l'entretien préalable du 6 mars 2018 (pièce 4) dont la cour constate qu'il n'est signé ni de son auteur (invoqué comme étant Madame [I], déléguée du personnel), ni par la salariée et l'employeur, et ne suffit donc pas à faire la preuve des propos y ayant été tenus. De plus, le fait pour un employeur de questionner en ces termes une salariée : « vous ne me dîtes pas la vérité, c'est systématique, vous trichez dans vos pointages et vous continuez à me mentir, j'attends des explications » puis « le fait de mentir ne joue pas en votre faveur » ne caractérise pas une faute de la SAS Carrefour Hypermarchés dans les circonstances entourant un licenciement par ailleurs justifié.

La cour confirme en conséquence le jugement déféré en ce qu'il a débouté Madame [K] [D] [B] de sa demande à ce titre.

4-Sur l'irrégularité de la procédure de licenciement

Aux termes de l'article L1232-3 du code du travail, au cours de l'entretien préalable, l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié.

En application de l'article L1235-2 du même code, lorsqu'une irrégularité est commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement du salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L1232-2, L1232-3, L1232-4, L1233-11, L1233-12 et L1233-13 ait été observée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire. Le juge apprécie l'existence et l'étendue du préjudice.

En l'espèce, Madame [K] [D] [B] reproche à l'employeur de ne pas avoir évoqué lors de l'entretien préalable au licenciement la prétendue absence de pointage de ses départs et retours de pause des 10 et 26 février 2018. Elle produit à ce titre un compte-rendu de l'entretien préalable du 6 mars 2018 (pièce 4) dont la cour constate qu'il n'est signé ni de son auteur (invoqué comme étant Madame [I], déléguée du personnel), ni par la salariée et l'employeur, et ne suffit donc pas à faire la preuve des propos y ayant été tenus. De plus, s'agissant d'un entretien noté comme ayant débuté à 10h et s'étant terminé à 10h30, le compte-rendu produit est particulièrement succinct, ce qui montre qu'il ne relate pas l'intégralité des propos tenus.

La cour note que, même dans ce compte-rendu partiel, il est indiqué que l'employeur a précisé à la salariée que le 26 février, elle avait pointé à son arrivée à 3h29, était ensuite sortie à l'extérieur et rentrée de nouveau à 3h47, pour mentionner plus loin « vous trichez dans vos pointages », et retient en conséquence que la question abordée concernait également celle de l'absence de pointage des pauses de la salariée.

Enfin, la salariée n'invoque aucun préjudice au supposé manquement de l'employeur, étant précisé qu'elle s'est expliquée en tout état de cause dans sa lettre du 30 mars 2018.

La cour confirme en conséquence le jugement déféré en ce qu'il a débouté Madame [K] [D] [B] de sa demande à ce titre.

II-Sur les demandes de rappels de salaires

1-Sur la prime de fin d'année

Aux termes de l'article 2-2.3 de la convention collective d'entreprise Carrefour, « les salariés, ayant une ancienneté d'au moins 12 mois au 1er décembre de l'année considérée, bénéficient d'une prime de fin d'année calculée sur une mensualité de leur dernier salaire mensuel de base. En cas de cessation du contrat de travail ou d'absences en cours de semestre, autres que celles autorisées conventionnellement ou ayant donné lieu à un complément de salaire par l'entreprise, le montant de la prime est réduit à raison de 1/180ème par jour calendaire d'absence au cours du second semestre». Il s'ensuit que les salariés, non présents dans l'effectif au 1er décembre, ne bénéficie d'une prime, réduite, que si la cessation du contrat de travail est intervenue au cours du second semestre, ce qui n'est pas le cas de Madame [K] [D] [B], licenciée pour faute grave le 21 mars 2018.

La cour infirme en conséquence le jugement déféré, en ce qu'il a condamné la SAS Carrefour Hypermarchés à payer à ce titre à Madame [K] [D] [B] la somme de 664,15 euros.

2-Sur la prime de vacances

Aux termes de l'article 2-2.1 de la convention collective d'entreprise Carrefour, « les salariés titulaires d'un contrat de travail ayant une ancienneté d'au moins 12 mois au 1er juin de l'année considérée, bénéficient d'une prime de vacances calculée sur une demi mensualité de leur dernier salaire mensuel de base. En cas de cessation du contrat de travail ou d'absences en cours de semestre, autres que celles autorisées conventionnellement, le montant de la prime est réduit à raison de 1/180ème par jour calendaire d'absence au cours du premier semestre».

L'employeur a versé à ce titre à Madame [K] [D] [B] la somme de 299,34 euros, en considération de son absence au sein de l'entreprise à compter du 27 février 2018.

Le calcul de Madame [K] [D] [B] est basé sur la requalification du licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse, induisant l'existence d'un préavis. Or, la cour a infirmé le jugement du conseil de prud'hommes qui avait opéré cette requalification.

La cour valide le calcul effectué par l'employeur et infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SAS Carrefour Hypermarchés à lui payer la somme de 364,17 euros à titre de complément de prime de vacances.

La cour infirme également le jugement déféré en ce qu'il a condamné sous astreinte la SAS Carrefour Hypermarchés à rectifier les documents de fin de contrat, l'a condamnée aux dépens et à payer à Madame [K] [D] [B] la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La cour condamne Madame [K] [D] [B] aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la SAS Carrefour Hypermarchés la somme totale de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe et contradictoirement,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence du 16 mars 2021, en ce qu'il a débouté Madame [K] [D] [B] de ses demandes en dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et en dommages et intérêts pour procédure de licenciement irrégulière ;

L'infirme en toutes ses autres dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

Dit illicite le moyen de preuve tiré de l'exploitation à des fins disciplinaires des données issues du dispositif de vidéosurveillance mais déclare recevables les pièces en étant issues ;

Déboute Madame [K] [D] [B] de l'ensemble de ses demandes ;

Condamne Madame [K] [D] [B] à payer à la SAS Carrefour Hypermarchés la somme totale de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Madame [K] [D] [B] aux dépens de première instance et d'appel ;

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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