Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 14 mars 2025, n° 22/14082

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Interson Protac (SASU)

Défendeur :

Orosound (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme L'Eleu de La Simone, Mme Guillemain

Avocats :

Me Bouzidi-Fabre, Me Poncin, Me Gaury

FAITS ET PROCEDURE

La SASU Interson Protac (la société Interson) a notamment pour activité la fabrication et la vente de prothèses et de protections auditives.

La SAS Orosound est une start-up créée en 2015, spécialisée dans la conception de produits électroniques dans le domaine de l'acoustique.

Au mois de juin 2019, ces deux sociétés se sont rapprochées en vue de conclure un partenariat tendant à développer et commercialiser un dispositif de protection auditive. Un accord de confidentialité a ainsi été conclu entre les parties le 28 juin 2019.

Les parties ont signé une lettre d'intention (LOI), le 13 décembre 2019, rappelant leur souhait de mettre en place un partenariat, dans l'objectif de développer un produit permettant une atténuation du bruit active par filtrage numérique et la possibilité pour les utilisateurs de communiquer dans le bruit. Il était précisé que la technologie de la société Orosound devait être adaptée afin d'être intégrée par la société Interson dans des embouts sur mesure prévus à cet effet, et que la société Interson commercialiserait le produit auprès des clients industriels.

Les parties étaient convenues que la société Interson s'acquitterait de la somme totale de 199.750 € auprès de la société Orosound en contrepartie de ses travaux de développement. Conformément à l'échéancier prévu, la société Interson a effectué un premier règlement de 47.940 € entre les mains de la société Orosound, au jour de la signature de la lettre d'intention.

Il était, enfin, stipulé qu'un contrat définitif devrait être signé au plus tard le 14 février 2020, à peine de caducité de la lettre d'intention, sauf à proroger ce délai d'un commun accord entre les parties.

Les négociations ayant échoué, aucun contrat n'a finalement été formalisé.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, en date du 8 février 2021, la société Interson a mis en demeure la société Orosound de lui rembourser la somme de 47.940 €.

N'ayant pas obtenu satisfaction, suivant exploit du 8 avril 2021, la société Interson a fait assigner en paiement la société Orosound devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement en date du 29 juin 2022, le tribunal a :

- Débouté la société Interson de l'ensemble de ses demandes ;

- Débouté la société Orosound de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamné la société Interson à verser à la société Orosound la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société Interson aux dépens ;

- Rappelé que l'exécution provisoire était de droit.

La société Interson a formé appel du jugement, par déclaration du 22 juillet 2022.

Par conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats, le 30 novembre 2022, la société Orosound a interjeté un appel incident.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique, le 5 août 2024, la SASU Interson Protac demande à la Cour, au visa des articles 1103, 1112, 1240 et 1231-6 du code civil et des articles 696 et 700 du code de procédure civile, de :

« RECEVOIR la société INTERSON PROTAC en son appel et ses demandes et les dire bien fondées.

En conséquence

INFIRMER le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 29 juin 2022 en ce qu'il a :

- Débouté la SAS INTERSON PROTAC de l'ensemble de ses demandes tendant à :

RECEVOIR la société INTERSON PROTAC en ses demandes et l'y dire bien fondée.

En conséquence

REJETER l'intégralité des demandes, fins, moyens et prétentions de la société OROSOUND.

CONDAMNER la société OROSOUND à payer à la société INTERSON PROTAC une somme de 47.940,00 euros au principal.

CONDAMNER la société OROSOUND à payer à la société INTERSON PROTAC une somme de 104,80 euros au titre de ses intérêts, à parfaire.

CONDAMNER la société OROSOUND à payer à la société INTERSON PROTAC une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts résultant de la rupture des pourparlers.

CONDAMNER la société OROSOUND à payer à la société INTERSON PROTAC une somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts résultant de la résistance abusive d'OROSOUND.

CONDAMNER la société OROSOUND à payer à la société INTERSON PROTAC la somme de 10.000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

CONDAMNER la société OROSOUND aux entiers dépens.

- Condamné la SAS INTERSON PROTAC à verser à la SAS OROSOUND la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

- Condamné la SAS INTERSON PROTAC aux dépens

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit

ET STATUANT A NOUVEAU :

CONDAMNER la société OROSOUND à payer à la société INTERSON PROTAC une somme de 47 940 euros TTC au principal.

CONDAMNER la société OROSOUND à payer à la société INTERSON PROTAC les intérêts au taux légal, soit un montant de 850,33 euros à actualiser au jour du prononcé de la décision ;

CONDAMNER la société OROSOUND à payer à la société INTERSON PROTAC une somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts résultant de la résistance abusive d'OROSOUND.

CONDAMNER la société OROSOUND à payer à la société INTERSON PROTAC une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts résultant de la rupture abusive des négociations.

DEBOUTER la société OROSOUND de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

CONDAMNER la société OROSOUND à rembourser à la société INTERSON PROTAC la somme de 3 072,78 euros et de lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

CONDAMNER la société OROSOUND aux entiers dépens.»

Dans ses dernières conclusions, transmises par voie électronique, le 6 septembre 2024, la SAS Orosound demande à la Cour, sur le fondement des articles 1104, 1106, 1128, 1171 et 1304-1 du code civil, et de l'article L. 442-1 du code de commerce, de :

« ' CONFIRMER le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 26 juin 2022 en ce qu'il :

- DEBOUTE SAS INTERSON PROTAC de l'ensemble de ses demandes ;

- CONDAMNE SAS INTERSON PROTAC à verser à SAS OROSOUND la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNE SAS INTERSON PROTAC à supporter les entier dépens de la présente instance, dont ceux à recouvrer par e greffe liquidés à la somme de 70,86 euros dont 11,60 euros de TVA ;

- RAPPELLE que l'exécution provisoire est de droit.

' INFIRMER le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 26 juin 2022 en ce qu'il :

- DEBOUTE SAS OROSOUND de l'ensemble de ses demandes ;

' ET STATUANT À NOUVEAU

A TITRE PRINCIPAL

- JUGER que les conditions de commercialisation du produit envisagées par la société INTERSON PROTAC et la société OROSOUND étaient soumises à négociation ;

- JUGER que les conditions exigées par la société INTERSON PROTAC étaient contraires aux dispositions de l'article L. 442-1 du Code de commerce ;

- DEBOUTER la société INTERSON PROTAC de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

A TITRE SUBSIDIAIRE

- JUGER que la clause invoquée par la société INTERSON PROTAC au soutien de sa demande en paiement constitue une clause potestative et déséquilibrée et doit être considérée comme nulle';

- PRONONCER la nullité de ladite clause ;

- DEBOUTER la société INTERSON PROTAC de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

EN TOUT ETAT DE CAUSE

- DECLARER irrecevable la demande de dommages et intérêts fondée sur l'article 1240 du Code civil ;

- DECLARER irrecevable la demande de dommages et intérêts fondée sur une rupture des pourparlers ;

- DEBOUTER la société INTERSON PROTAC de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

- CONDAMNER la société INTERSON PROTAC à payer à la société OROSOUND la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société INTERSON PROTAC aux entiers dépens de première instance et d'appel.»

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties susvisées quant à l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens respectifs.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de la société Interson portant sur le remboursement de la somme réglée lors de la signature de la lettre d'intention

Enoncé des moyens

La société Interson rappelle que la LOI précisait que le défaut de signature du contrat définitif devait entraîner sa caducité et qu'elle prévoyait, en pareille hypothèse, l'obligation mutuelle de restituer les sommes et documents reçus de l'autre partie, ce dont elle déduit que la société Orosound est tenue de lui rembourser la somme de 47.940 €. Elle objecte que ce règlement ne correspond pas au paiement d'une prestation de la société Orosound, mais à une avance qui devait être versée au jour de la signature de la LOI, d'un montant de 20 % à valoir sur le coût total des développements restant à réaliser dans le cadre du partenariat à intervenir. Elle fait valoir que la lettre d'intention formalisait ainsi un accord de volonté ayant une valeur contractuelle, et que la rupture des pourparlers en vue de conclure le contrat final ne remet pas en cause son caractère obligatoire. Elle réplique que la clause de résiliation prévue en cas d'échec de la phase 2 du calendrier avait uniquement vocation à s'appliquer dans le cadre de l'exécution du contrat définitif. Elle poursuit en expliquant que les livrables éventuellement réalisés par la société Orosound n'ont pu lui être d'aucune utilité en l'absence d'aboutissement du projet, en vue duquel elle a également investi des moyens humains et financiers en pure perte. Selon elle, la négociation a échoué en raison du comportement de la société Orosound, qui a refusé de conclure le contrat, de sorte que celle-ci n'est pas fondée à prétendre que la clause de caducité présentait un caractère potestatif.

Elle considère que la clause d'exclusivité ne présentait aucun caractère abusif, dès lors qu'elle était circonscrite aux composants Orosound et limitée dans le temps et dans l'espace, pas plus que la clause de pérennité qui lui permettait de se prémunir en cas de défaillance de son cocontractant.

La société appelante réfute le caractère prétendument déséquilibré du contrat, en faisant valoir qu'elle ne disposait pas davantage de visibilité sur la rentabilité du volume minimal d'achat, que les obligations mises à la charge de la société Orosound n'étaient pas dépourvues de contrepartie et que celle-ci avait l'habitude de négocier avec de grands groupes.

Pour sa part, la société Orosound prétend que la lettre d'intention, rédigée de la seule initiative de la société Interson, est dénuée de valeur contractuelle concernant les conditions de la commercialisation. Elle fait valoir, à cet égard, que le contrat définitif n'a pas été signé, alors que les parties étaient toujours en négociation, en soulignant que la société Interson lui impute une rupture abusive des pourparlers, ce dont elle déduit que celle-ci reconnaît l'absence de valeur contractuelle de la lettre d'intention.

Elle soutient que les obligations mises à sa charge caractérisaient un déséquilibre significatif, au sens de l'article L. 442-1 du code du commerce, en raison de l'absence de visibilité sur la rentabilité du volume minimal d'achat, de l'absence de symétrie entre les engagements réciproques des parties et de la mise à sa charge des risques liés au contrat. Elle estime qu'elle était fondée, en conséquence, à refuser de signer le contrat définitif. Elle ajoute que les conditions que tentait de lui imposer la société Interson auraient rendu impossible la poursuite de son activité du fait de l'appropriation de l'intégralité de ses droits de propriété intellectuelle, de l'obligation de non-concurrence mise à charge et de la clause d'exclusivité au profit de son cocontractant, de la clause de pérennité et de la fixation d'un prix fixe pour un petit volume de produit.

Pour s'opposer à la demande de remboursement, la société Orosound invoque le bénéfice de la clause de la lettre d'intention prévoyant que seuls les paiements correspondant aux travaux réalisés seront dus par la société Interson qui, selon son interprétation, ne circonscrit pas le paiement des travaux réalisés pour ceux concernant uniquement la phase 2. Elle ajoute que la société Interson n'a jamais contesté les prestations qu'elle a réalisées et que le paiement de la somme de 47.940 € ne correspondait pas à une fraction forfaitaire du prix futur, mais à la rémunération d'un travail dans le cadre d'une phase du projet. Elle soutient qu'à supposer que la lettre d'intention puisse être interprétée autrement, son obligation de paiement était soumise à une condition potestative, devant être annulée, dans la mesure où elle était soumise à la volonté de la société Interson de refuser de signer le contrat à des conditions équilibrées.

Réponse de la Cour

L'article 1113 du code civil dispose :

« Le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager.

Cette volonté peut résulter d'une déclaration ou d'un comportement non équivoque de son auteur. »

L'article 1114 du même code dispose que l'offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d'être lié en cas d'acceptation, et qu'à défaut, il y a seulement invitation à entrer en négociation.

En application de l'article 1118, alinéa 1er, l'acceptation est la manifestation de volonté de son auteur d'être lié dans les termes de l'offre.

L'article 1112, relatif aux négociations précédant la conclusion du contrat, précise :

« L'initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi.

En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d'obtenir ces avantages. »

En l'occurrence, la lettre d'intention signée le 13 décembre 2019 précise de façon liminaire, au titre du rappel du contexte : « Les parties souhaitent conclure un contrat encadrant les modalités de développement et de commercialisation du Produit, les droits des Parties sur les développements réalisés ainsi que leurs obligations et responsabilités respectives (ci après «le Contrat »). Les Parties se sont déjà accordées sur les conditions détaillées ci-après.»

Elle prévoit, en vue du développement du projet, que les Parties établiront à l'avenir un planning et des spécifications détaillées et que les livrables devront être validés par les deux parties, avec la mise en place d'un comité de pilotage, tout en précisant que :

« A ce stade, les Parties envisagent les étapes suivantes réalisées par OROSOUND :

- Phase 1 : qualification (du 01/12/2019 au 31/01/2020 et au plus tard au 14/02/2020)

o Choix des options A, B et/ou C en accord avec les attentes de prospects clefs

o Choix de l'interface homme-machine (tactile, sans contact, vocale)

o Si option B, choix du protocole de télécommunication

o Livrable : version initiale du cahier des charges.

- Phase 2 : définition (du 01/02/2020 au 30/04/2020)

o Qualification des segments de marché, validation des fonctionnalités

o Livrables : cahier des charges fonctionnel, design esthétique, maquette produit et fixation du prix définitif

En cas d'échec, les Parties pourront mettre un terme au Contrat à l'issue de la Phase 2. Seuls les paiements correspondant aux travaux effectivement réalisés seront dus par INTERSON (sous réserve de la bonne exécution de ses obligations par OROSOUND).

- Phase 3 : développement (du 01/05/2020 au 30/10/2020)

o Intégration du logiciel embarqué, fabrication de séries de prototypes (X10, 20 et 30)

o Livrables : 10 prototypes et design pour l'industrialisation (BFM)

- Phase 4 : pré-industrialisation (du 01/11/2020 au 31/03/2021)

o Préséries industrielles (X30, 50 et 100), tests de robustesse, qualification produit

o Livrables : 30 préséries, certifications produit ».

Il est précisé ensuite que, dans le cadre de l'exploitation, la société Interson achètera les composants Orosound (tels que mis au point pendant le développement), fabriquera le produit et le commercialisera auprès des clients finaux.

La LOI inclut, par ailleurs, des clauses d'exclusivité et de concession des droits de propriété intellectuelle au profit de la société Interson.

Concernant les « PRIX ET PAIEMENT », il est indiqué que :

« Les Parties conviennent qu'en contrepartie des travaux de développement réalisés par OROSOUND détaillés ci-dessus, INTERSON paiera à OROSOUND la somme totale de 199 750 euros HT, selon l'échéancier suivant :

- 20% à la signature de la LOI

- 30% à la fin de la phase 1 et conditionné à la signature du contrat

- 30% à la fin de la phase 2

- 20% à la réception du premier batch de produits finaux

Le prix indicatif des Composants OROSOUND est de 134 euros HT / pièce ('). Le prix pourra être modifié dans une limite de plus ou moins 10 % jusqu'à l'issue de la phase 2 lors de laquelle le prix définitif devra être arrêté (30 avril 2020).»

La lettre d'intention contient, en outre, des précisions quant à la quantité minimale de commande projetée, ainsi qu'une clause faisant référence à l'accord préalable de confidentialité, dont il est indiqué qu'il s'appliquera à la fois pendant la durée de la lettre d'intention et celle du contrat, outre une durée minimum de cinq ans après l'expiration de celui-ci.

Enfin, il est stipulé dans un paragraphe intitulé « DUREE ET PORTEE DE LA PRESENTE LOI » que :

« La présente Lettre d'intention, au contenu non exhaustif, représente la volonté commune des Parties de discuter et conclure le Contrat.

(')

Elle fixe le cadre des négociations dudit Contrat et présente les premières conditions sur lesquelles les Parties se sont accordées.

Elle constitue un engagement ferme de contracter aux conditions énoncées.

Elle est valable à compter de sa date de signature jusqu'à la signature du Contrat. Les Parties conviennent que celle-ci devra intervenir au plus tard le 14 février 2020, date qui pourra être prorogée d'un commun accord par les Parties. A défaut de conclusion du Contrat dans le délai, la présente Lettre d'intention sera caduque et les Parties devront se restituer mutuellement toutes sommes ou documents reçus de l'autre Partie. Nonobstant ce qui précède, la clause de confidentialité et la clause relative aux règlements des litiges demeureront en vigueur.

Pendant la durée de la Lettre d'intention, les Parties s'interdisent de discuter d'un projet similaire avec des tiers.»

La LOI précise, enfin, que le contrat inclura, outre les clauses d'ores et déjà prévues, des stipulations « déterminant les obligations de collaboration des Parties, les délais de livraison, les garanties applicables aux Produits et conséquences des non-conformités, le support fourni par OROSOUND, les modalités de mise à disposition et de maintenance de la Plateforme, les obligations applicables aux données des clients finaux, la durée (qui sera au minimum égale à la durée des développements et une durée de 5 ans à compter de la date de commercialisation) et les modalités de résiliation du Contrat, les modalités de transfert du Contrat, les clauses relatives aux règlements des litiges (similaire à celle prévue dans la présente Lettre d'intention) ainsi que toutes autres clauses que les Parties agréeraient dans le cadre de la négociation du Contrat ».

Il est constant que cette lettre d'intention n'imposait pas de conclure le contrat projeté, les parties demeurant libres de rompre les pourparlers dans les conditions prévues à l'article 1112 du code civil.

Bien qu'elle n'ait pas valeur d'un contrat définitif, la LOI n'en conserve pas moins, en l'espèce, une valeur contractuelle. Il résulte, en effet, des termes employés que les parties ont entendu fixer le cadre de leurs négociations, en prévoyant des obligations accessoires, à l'image des clauses de confidentialité et d'exclusivité dans la négociation, et en rappelant les objectifs qu'elles se proposaient d'atteindre, tout en formalisant d'ores et déjà plusieurs points d'accord. La lettre d'intention fixe, en outre, de véritables obligations aux parties quant au paiement du prix convenu et à la restitution éventuelle des sommes reçues. Ces stipulations sont susceptibles en tant que telles de faire l'objet d'une exécution forcée ou d'engager la responsabilité contractuelle des contrevenants, indépendamment d'une rupture abusive éventuelle des pourparlers.

Il est patent que, selon la commune intention des parties, le contrat avait ainsi vocation à se former par étapes, la société Orosound n'étant pas fondée à prétendre qu'il pouvait être uniquement négocié dans son intégralité.

Dans les faits, les négociations, se sont poursuivies au-delà du terme du 14 février 2020, fixé pour formaliser le contrat, comme le révèle le prolongement des échanges de courriels jusqu'au 12 novembre 2020. Cependant, ces négociations n'ont pas abouti, sans que les parties conviennent de proroger au-delà la date d'échéance. Le contrat définitif n'ayant jamais été signé, la lettre d'intention est, dès lors, devenue caduque.

Ainsi qu'il a été sus-énoncé, la LOI stipule que, dans ce cas, « les Parties devront se restituer mutuellement toutes sommes ou documents reçus de l'autre Partie ».

La somme de 47.940 €, réglée par la société Interson, correspond à une fraction forfaitaire du prix qui était dû à la société Orosound « en contrepartie des travaux de développement », soit 20 % de la somme totale de 199.750 €. Il s'agissait, par hypothèse, d'une avance à valoir sur le montant total des développements restant à réaliser dans le cadre du partenariat à intervenir, dans la mesure où il était prévu que ce paiement devait être effectué au jour de la signature de la LOI, et que la deuxième échéance de paiement était fixée à l'issue de la phase 1, elle-même conditionnée à la signature du contrat qui devait intervenir au plus tard à la même date, le 14 février 2020.

En l'absence de signature du contrat définitif, prévue avant l'issue de la phase 1, la société Orosound était donc tenue de restituer l'avance réglée par la société Interson, étant souligné que les travaux de développement, qui devaient se poursuivre dans le cadre du partenariat futur n'étaient pas achevés. Le moyen tiré de l'exécution des prestations, non contestée par la société Interson, est ainsi inopérant. La société Orosound ne produit, en tout état de cause, aucune facture justifiant de l'achèvement des travaux et ne justifie pas que la société Interson aurait pu en retirer un quelconque profit compte tenu de l'abandon du projet.

Contrairement à ce que prétend la société Orosound, la clause insérée dans le paragraphe consacré au projet de développement, qui prévoit que « En cas d'échec, les Parties pourront mettre un terme au Contrat à l'issue de la phase 2. Seuls les paiements correspondants aux travaux effectivement réalisés seront dus par Interson (sous réserve de la bonne exécution de ses obligations par OROSOUND)», qu'elle ne cite pas complètement, n'a pas vocation à s'appliquer en cas d'échec des négociations. Cette stipulation correspond, en effet, à une condition de résiliation du contrat final, sur laquelle parties se sont déjà accordées, en vue de l'insérer dans la version définitive du projet. La clause dont il s'agit figure ainsi aussitôt après la description de la phase 2, qui devait prendre fin le 30 avril 2020, soit après la signature du contrat. Celui-ci n'étant pas entré en vigueur, la société Orosound ne peut, dès lors, utilement se prévaloir des conséquences de sa fin prématurée.

C'est en vain également que la société Orosound prétend que les obligations mises à sa charge caractérisaient un déséquilibre significatif, au sens de l'article L. 442-1 du code du commerce. Dans sa version issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, applicable aux faits de la cause, ce texte dispose, dans un paragraphe I, 2°, que :

« I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services :

2° De soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. »

Même si elle souligne que la lettre d'intention a été rédigée par le conseil de la société Interson, l'intimée ne fait ainsi état d'aucun élément de contexte sur les conditions de négociation du contrat qu'elle prétend déséquilibré, cependant qu'elle ne justifie pas qu'il s'agirait d'un contrat-type, ni d'aucune preuve établissant l'absence de négociation, de sorte que la première condition visée par le texte tenant à une soumission ou une tentative de soumission n'est pas remplie. Comme il a été dit, les nombreux échanges de mails révèlent, au contraire, que les négociations se sont poursuivies jusqu'au 12 novembre 2020, étant précisé que celles-ci avaient débuté le 14 novembre 2019, et que, même si aucun accord n'a pu être trouvé, la société Interson a, néanmoins, accepté d'examiner les propositions de modification soumises par la société Orosound, qui lui avait adressé plusieurs projets de contrat rectificatif (mails des 5 et 24 février et 18 mars 2020). La circonstance que la société Orosound se présente comme une "jeune start-up" ne permet pas d'établir qu'elle n'aurait pas été en mesure de négocier le contrat.

A titre surabondant, il n'apparaît pas non plus que la convention ait été significativement déséquilibrée. Comme le fait valoir la société Interson, celle-ci ne disposait pas davantage de visibilité sur la rentabilité du volume minimum d'achat et supportait également les risques inhérents au projet ; elle souligne, à juste titre, que le prix et le volume minimum d'achat avaient, de surcroît, été fixés par la société Orosound dans la proposition qu'elle lui avait adressée initialement le 25 juin 2019, et que sa suggestion de conclure un contrat d'approvisionnement était consécutive à l'échec des négociations. De même, les obligations mises à la charge la société Orosound notamment au titre des droits de propriété intellectuelle, qu'elle ne cédait qu'en partie, ou de la clause de non-concurrence, constituaient la contrepartie de l'investissement réalisé par la société Interson à hauteur de 199.750 € pour financer les travaux de développement, afin de lui permettre de commercialiser le produit, aucun élément ne permettant d'établir que ce montant aurait dû être plus important.

La société Orosound n'est pas non plus fondée à soutenir que la société Interson aurait tenté de lui imposer des conditions économiquement non viables.

La clause prévoyant au profit de la société Interson une exclusivité de commercialisation du produit pendant une durée de cinq ans à compter de la date de commercialisation en France tout en faisant interdiction à la société Orosound de développer, promouvoir, commercialiser ou exploiter sous quelque forme que ce soit, directement ou indirectement, la technologie en vue de développer ou commercialiser des protections auditives sur mesure dans le domaine industriel ou un produit similaire au Produit, pendant la durée de la LOI et du contrat ainsi que pendant une dure'e de deux ans a' l'issue du Contrat, portait en effet uniquement sur les composants développés dans le cadre du projet, en même temps qu'elle était limitée dans le temps et dans l'espace, de sorte que la société Orosound ne peut valablement soutenir que l'application de cette clause l'aurait conduite à interrompre toute activité.

S'agissant de la clause de pérennité insérée dans la lettre d'intention, prévoyant le transfert des droits d'accès à la technologie en cas de défaillance, redressement et liquidation judiciaire de la société Orosound, celle-ci est destinée à permettre à la société Interson de poursuivre en pareil cas la fabrication et la commercialisation des produits et services, et n'apparaît pas disproportionnée ; en dépit de ce qui est soutenu, l'ajout dans la cinquième version du projet de contrat des hypothèses de manquements graves commis par la société Orosound, dûment constatés, hors cas de force majeure et faute de la société Interson, ne caractérise pas non plus une appropriation du travail de la société Orosound, dans la mesure où elle a pour finalité de permettre à la société Interson d'assurer l'intérim à l'égard de ses propres clients, le temps que la société Orosoud soit de nouveau en mesure de respecter ses obligations contractuelles.

Le moyen invoqué par la société Orosound tiré de ce que l'absence de signature du contrat serait imputable à la société Interson, qui aurait tenté de lui imposer des conditions à la fois illégales et économiquement inacceptables, sera donc écarté.

Dans ce prolongement, la société Orosound ne peut utilement soutenir que l'obligation de restitution des sommes versées, prévue dans la lettre d'intention, était dépendante de la décision de la société Interson, alors que la conclusion du contrat définitif dépendait de la volonté des deux parties.

La clause litigieuse n'inclut ainsi aucune condition potestative, au sens des articles 1170 et 1174 du code civil susceptible d'entraîner sa nullité. Elle est donc opposable à la société Orosound.

La demande de restitution a été formalisée par la société Interson pour la première fois dans un courriel du 23 décembre 2020, soit après la fin des négociations, dont elle avait pris acte dans un courriel du mois de novembre précédent, de sorte qu'elle ne présentait pas non plus de caractère prématuré.

Au vu de ces éléments, la société Orosound sera condamnée à payer à la société Interson la somme de 47.940 € TTC, laquelle portera intérêts au taux légal à compter du 8 février 2021, date de la mise en demeure. Le jugement sera corrélativement infirmé, en ce qu'il a débouté la société Orosound de ses demandes.

Sur la rupture abusive des pourparlers

Enoncé des moyens

Invoquant les dispositions de l'article 1112 du code civil, la société Interson estime avoir été victime d'une rupture abusive des pourparlers. Elle prétend que la société Orosound a ainsi refusé de signer le contrat définitif, en tentant de remettre en cause ses modalités essentielles, alors que celles-ci avaient été préalablement arrêtées dans la lettre d'intention. Elle considère qu'elle a subi un préjudice moral et un préjudice d'image auprès de ses clients. Elle objecte que sa demande d'indemnisation, fondée sur le caractère abusif de la rupture, ne procède pas d'un cumul de responsabilité.

La société Orosound soutient que la demande de dommages et intérêts, fondée sur un fait générateur identique, est irrecevable, en raison de la règle du non-cumul des deux ordres de responsabilité, délictuelle et contractuelle. Elle fait valoir que la rupture est imputable à la société Interson et que celle-ci ne justifie, en tout état de cause, d'aucun préjudice.

Réponse de la Cour

Le principe du non-cumul entre les responsabilités contractuelle et délictuelle, qui interdit au créancier d'une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle, ne prohibe pas, en l'occurrence, la présentation d'une demande distincte fondée sur l'article 1112 du code civil, qui tend à la réparation d'un préjudice résultant non pas d'un manquement contractuel en lien avec l'inexécution de la lettre d'intention, mais de la rupture abusive des pourparlers afférents à la conclusion du contrat final.

La demande de dommages et intérêts de la société Interson sera, dès lors, déclarée recevable.

Sur le fond, l'examen du projet de contrat soumis à l'approbation de la société Orosound, le 1er février 2020, révèle que les conditions contractuelles énoncées dans la lettre d'intention, qu'il s'agisse notamment des clauses d'exclusivité ou de cession des droits de propriété intellectuelle, avaient été complétées, de sorte que la société Interson ne peut lui faire grief de les avoir discutées, cela d'autant moins qu'elle avait accepté d'en débattre tout au long de leurs nombreux échanges, ayant duré plusieurs mois.

Pour le reste, la teneur des courriels permet tout au plus de comprendre que la société Interson et la société Orosound ne sont pas parvenues à s'entendre sur les termes du contrat définitif, sans qu'il soit possible d'imputer l'initiative de la rupture des pourparlers, à l'une ou l'autre parties.

Le jugement sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a débouté la société Interson de sa demande de dommages et intérêts, en retenant que la mauvaise foi de la société Orosound n'était pas établie.

Sur les autres demandes

La demande de dommages et intérêts de la société Interson au titre de la résistance abusive est recevable, la société Orosound n'étant pas fondée lui opposer le principe du non-cumul des deux ordres de responsabilité. Néanmoins, l'appelante ne démontre pas que la résistance de la société Orosound à l'action en justice introduite à son encontre aurait dégénéré en abus de droit. Il convient, dès lors, de confirmer le jugement l'ayant déboutée de sa demande d'indemnisation.

La société Orosound succombant au recours, le jugement sera infirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

Il y a lieu par conséquent de condamner la société Orosound aux dépens de première instance et d'appel. Il apparaît également équitable de condamner la société Orosound à payer à la société Interson la somme de 4.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt, infirmatif, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement, si bien qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de la société Interson portant sur la condamnation de la société Orosound à lui rembourser la somme de 3.072,78 € versée à ce titre.

PAR CES MOTIFS

DÉCLARE recevables les demandes d'indemnisation de la SASU Interson Protac au titre de la rupture abusive des pourparlers et de la résistance abusive,

INFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu'il a débouté la SASU Interson Protac de ses demandes de dommages et intérêts au titre de la rupture abusive des pourparlers et de la résistance abusive,

Statuant à nouveau,

Y ajoutant,

REJETTE la demande de la SAS Orosound portant sur l'annulation de la clause de la lettre d'intention du 13 décembre 2019 afférente à l'obligation de restituer les sommes reçues de l'autre partie,

CONDAMNE la SAS Orosound à payer à la SASU Interson Protac la somme de 47.940 € TTC avec intérêts au taux légal à compter du 8 février 2021,

CONDAMNE la SAS Orosound aux dépens de première instance et d'appel,

CONDAMNE la SAS Orosound à payer à la SASU Interson Protac la somme de 4.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT n'y avoir lieu à statuer sur la demande de la SASU Interson Protac portant sur le remboursement de la somme de 3.072,78 € versée à la SAS Orosound en exécution du jugement.