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Décisions

CA Montpellier, ch. com., 18 mars 2025, n° 24/04936

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

La Promenade (SARL)

Défendeur :

Annonis (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Demont

Conseillers :

M. Graffin, M. Vetu

Avocats :

Me Apollis, Me Pepin, Me Fulachier

T. com. Carcassonne, du 18 sept. 2024, n…

18 septembre 2024

FAITS ET PROCEDURE :

Par jugement du 8 septembre 2021, le tribunal de commerce de Carcassonne a ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à l'égard de la SARL La Promenade et désigné la SELARL [M] [Z], prise en la personne de M. [M] [Z], en qualité de liquidateur.

Le 1er décembre 2021, M. [C] [Y] a déposé une offre stipulée expressément "ferme et définitive", le prix étant "d'ores et déjà financé dans sa totalité", d'acquisition du fonds de commerce d'épicerie de la société La Promenade au prix de 25 000 euros.

Le juge-commissaire a autorisé cette vente par ordonnance en date du 13 décembre 2021 rectifiée par ordonnance du 4 janvier 2022, la vente devant intervenir avant le 31 juillet 2022 ( et non "2021" comme indiqué par erreur matérielle), puis par une ordonnance du 25 février 2022 ayant rectifié cette fois l'adresse du fonds de commerce.

En avril 2022, M. [Y] a créé la SARL Annonis dont il est le gérant afin qu'elle le substitue dans l'acquisition du fonds de commerce de la société La Promenade.

Par ordonnance du 17 mai 2022, le juge-commissaire lui a accordé cette faculté de substitution.

Relancé à plusieurs reprises, successivement les 14 juin, 2 août et 6 août 2022, par le liquidateur pour que l'acte de cession soit finalisé, le notaire choisi par M. [Y] devant instrumenter la vente, dressait le 30 septembre 2022 un procès-verbal de difficulté, M. [Y] ayant indiqué par écrit dès le 8 août 2022, ne plus vouloir plus acquérir, en faisant état se trouver « dans l'incapacité financière et organisationnelle à effectuer de prendre ce fonds de commerce et envisager plutôt de reprendre un poste de salarié », alors que par une ordonnance du 7 septembre 2022 le juge-commissaire avait prolongé la date butoir de signature jusqu'au 31 octobre 2022.

Suite au procès-verbal de carence, le liquidateur a résilié le bail commercial pour faire cesser le cours des loyers et procédé à la vente des actifs de la société La Promenade pour un montant de 600 euros, occasionnant 260,72 euros de frais, laissant ainsi la somme de 339,28 euros à la liquidation au lieu des 25 000 euros promis par M. [C] [Y].

Par exploit du 21 novembre 2023, le liquidateur a assigné M. [C] [Y] et la société Annonis en responsabilité du fait de leur refus de réitérer l'acquisition dudit fonds de commerce.

Par jugement contradictoire du 18 septembre 2024, le tribunal de commerce de Carcassonne a débouté la société [M] [Z], ès qualités, de l'ensemble de ses demandes dirigées contre M. [C] [Y] et la société Annonis, et l'a condamnée à payer la somme de 1 000 euros à M. [Y] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Le tribunal de commerce retient en ses motifs que l'ordonnance du 7 septembre 2022 ayant prolongé le délai butoir pour signer l'acte de vente n'a fait l'objet d'aucune notification à M. [Y] ; que cette ordonnance, ayant modifié unilatéralement la date butoir pour signer l'acte de vente, ne saurait donc être opposée à M. [Y] faute de lui avoir été notifiée. Cette ordonnance n'a donc pas acquis force de chose jugée ; que la Cour de cassation juge que « si la vente de gré à gré d'un immeuble compris dans l'actif du débiteur en liquidation judiciaire n'est réalisée que par l'accomplissement d'actes postérieurs à la décision du juge-commissaire qui autorise, sur le fondement du texte susvisé, la cession de ce bien, celle-ci n'en est pas moins parfaite dès l'ordonnance, sous la condition suspensive que la décision acquière force de chose jugée » (Cass.Com. 11 Juin 2014, no 13-16.194 ; no 13-20.375) ; que M. [Y] s'était engagé à acquérir le fonds de commerce pour l'exploiter dès la saison estivale 2022, cette notion était également prise en compte par sa banque pour lui accorder le financement. Tenant le retard pris pour formaliser la vente, M. [Y] ne disposait plus du financement nécessaire ; que M. [Y], par mail du 8 août 2022 a rétracté son offre, soit postérieurement à l'expiration du délai fixé au 31 juillet 2022 par l'ordonnance du juge-commissaire ; et qu'il ne saurait donc se voir opposer les conditions d'une ordonnance postérieure à cette rétractation.

Par déclaration du 30 septembre 2024 la SELARL [M] [Z], en la personne de M. [M] [Z], agissant en sa qualité de liquidateur de la SARL La Promenade a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions du 5 novembre 2024, le liquidateur demande à la cour, au visa des articles 1103 et suivants, 1231-1 et suivants et 1240 et suivants du code civil :

- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- de condamner in solidum la société Annonis et M. [C] [Y] à lui payer la somme de 25 910,72 euros en réparation du préjudice causé par leur refus d'acquérir le fonds de commerce ;

- de les débouter de l'ensemble de leurs demandes reconventionnelles ;

- et de les condamner in solidum à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions du 25 novembre 2024, la SARL Annonis et M. [C] [Y] demandent à la cour, au visa de l'article R. 621-21 du code de commerce :

À titre principal,

- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

À titre subsidiaire,

- de juger que la demande indemnitaire présentée par la société [M] [Z], ès qualités, s'analyse en une clause pénale, laquelle est excessive ; que seule la somme de 5 000 euros sera supportée par M. [Y] en réparation de son prétendu préjudice ;

À titre infiniment subsidiaire,

- de juger qu'ils bénéficieront de délais de paiement sur une période de 24 mois afin de lui permettre de s'acquitter des sommes qui seraient mises à sa charge ;

Et en tout état de cause,

- de la débouter de l'ensemble de ses demandes ;

- et de la condamner à leur payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est datée du 30 janvier 2025.

MOTIFS :

Le liquidateur fait valoir au soutien de son recours qu'il est de jurisprudence constante que l'ordonnance qui autorise la cession de gré à gré d'un bien conformément aux modalités d'une offre déterminée rend impossible la rétractation de son consentement par l'auteur de l'offre (cf. notamment Cass com. 14 novembre 2019 n° 18-1571) ; que le refus de finaliser la cession du fonds de commerce par M. [Y] et la société Annonis retranscrit dans le PV de difficultés de Me [F], notaire, est donc abusif ; que la liquidation ne pouvant pas se permettre de continuer à payer le loyer de 625 € par mois, le temps de trouver un nouvel éventuel acquéreur du fonds de commerce, il a été mis fin au contrat de bail ; que le préjudice subi par la liquidation du fait de la dévalorisation de l'actif, dans la mesure où le liquidateur n'a perçu, suite à la vente aux enchères les éléments mobiliers 600 € dont à déduire le règlement des frais de vente, que la somme de 339,28 € s'élève donc à la somme de (25 000 -339,28 €) 24 660,72 € ; et que l'appelant a fait toutes les diligences possibles, notamment auprès du notaire qui avait été choisi par M. [Y] lui-même, pour permettre aux intimés de respecter leur obligation d'acquisition.

M. [Y] et la société Annonis répondent que l'offre d'achat formulée n'avait de sens économiquement qu'à la condition que la vente puisse permettre la réalisation de la saison estivale 2022 ; qu'au 31 juillet 2022 date butoir pour la signature de l'acte, aucune signature de l'acte de vente était intervenue, M. [Y] n'ayant reçu aucune demande ni aucune convocation en ce sens aux fins de finaliser la vente a considéré que son offre d'achat était caduque ; ce n'est que le 30 septembre 2022 qu'il a été invité à signer l'acte d'acquisition ; ayant subi des difficultés financières postérieurement à sa volonté d'acquérir le fonds de commerce et après la prolongation du délai pour signer l'acte de vente, il n'a pas pu honorer l'offre d'achat qu'il avait formalisée dix mois plus tôt le 1er décembre 2021 ; que l'ordonnance ayant modifié unilatéralement la date-butoir pour signer l'acte de vente ne lui est pas opposable, n'ayant pas acquis force de chose jugée, faute de lui avoir été notifiée ; que le liquidateur a pris du retard pour formaliser la vente, l'intimé ne disposait plus du financement nécessaire alors qu'il aurait dû exploiter le fond de la saison estivale 2022 ; et qu'il valablement rétracté de son offre le 8 août 2022.

Mais la circonstance que les intimés aient bénéficié d'un délai supplémentaire pour signer l'acte de cession et qu'ils en aient eu connaissance ou non de l'ordonnance rendue ayant prolongé le délai de signature est sans emport sur le manquement des intimés à leurs engagements contractuels, dans la mesure où la vente devant être réitérée par acte authentique avant le 31 juillet 2022, le liquidateur n'ayant plus qu'à apposer sa signature.

Le moyen tiré de l'absence prétendue de diligence de la part du liquidateur doit être écarté.

L'engagement souscrit par M. [Y] le 1er décembre 2021 de faire l'acquisition du fonds de commerce par l'offre d'achat ferme et définitive sans stipulation d'une quelconque condition suspensive, notamment d'obtenir un financement, lequel était annoncé à l'offre comme déjà acquis au cessionnaire, a été acceptée par l'ordonnance du 13 décembre 2021, avec faculté de substitution au profit de la société Annonis accordée par une ordonnance du 17 mai 2022.

La vente de gré à gré autorisée étant parfaite depuis le 13 décembre 2021, nonobstant la réalisation par l'accomplissement d'actes postérieurs, le défaut de réitération imputable aux intimés caractérise l'existence d'une faute ouvrant droit à l'octroi de dommages-intérêts.

L'indemnité sollicitée par le liquidateur, dont il justifie le calcul du montant, destinée à la réparation sans perte ni profit du préjudice causé à la liquidation, ne s'analyse pas en rien en une clause pénale comminatoire au sens de l'article 1226 du code civil.

Ce moyen sera également rejeté.

Par ailleurs M. [Y] et la SARL Annonis ne démontrent pas avoir versé un dépôt de garantie d'un montant de 5000 € qui serait à déduire de la condamnation prononcée.

Leur demande subsidiaire tendant à l'octroi de délai de grâce sera écartée, les intimés ayant bénéficié de longs délais de fait.

En définitive le jugement déféré sera entièrement réformé.

Les intimés succombant devront supporter la charge des dépens de première instance et d'appel, et verser en équité à l'appelant la somme de 2000 € pour la procédure de première instance et la même somme pour celle de d'appel, soit la somme totale de 4000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ne pouvant eux-mêmes prétendre au bénéfice de ce texte.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et ajoutant

Condamne in solidum M. [Y] et la SARL Annonis à payer à la SELARL [M] [Z], pris en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL La promenade la somme de 25 910,72 € à titre de dommages-intérêts, ainsi qu'aux entiers dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. [Y] et de la SARL Annonis, et les condamne in solidum à payer à la SELARL [M] [Z], pris en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société La promenade, la somme de 4000 €.

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