CA Nîmes, 5e ch. soc. ph, 17 mars 2025, n° 23/02367
NÎMES
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 23/02367 - N° Portalis DBVH-V-B7H-I4KZ
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NIMES
16 juin 2023
RG:F 20/00388
[C]
C/
Société SPAP LUMIERE & JOIE
Grosse délivrée le 17 MARS 2025 à :
- Me MARCE
- Me LANOY
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 17 MARS 2025
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NIMES en date du 16 Juin 2023, N°F 20/00388
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Nathalie ROCCI, Présidente,
Mme Leila REMILI, Conseillère,
M. Michel SORIANO, Conseiller,
GREFFIER :
Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 5ème chambre sociale, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS :
A l'audience publique du 10 Janvier 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 17 Mars 2025.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANT :
Monsieur [E] [C]
né le 20 Mars 1966 à
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Jean jacques MARCE de la SCP MARCE ANDRIEU CARAMEL, avocat au barreau de NIMES
Représenté par Me Sylvie SERGENT de la SELARL DELRAN BARGETON DYENS SERGENT ALCALDE, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉE :
Société SPAP LUMIERE & JOIE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Patrick LANOY de la SELARL CAPSTAN PYTHEAS, avocat au barreau de NIMES
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Nathalie ROCCI, Présidente, le 17 Mars 2025, par mise à disposition au greffe de la cour.
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
M. [E] [C] (le salarié) a été embauché le 15 mai 2004 par l'association UPPANIGARD suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, en qualité de directeur adjoint de l'Ehpad '[4]'.
Le contrat est soumis aux dispositions de la convention collective des établissements hospitaliers à but non lucratif du 31 octobre 1951.
Par avenant du 4 juillet 2005, le contrat de travail du salarié a été transféré à l'association Société Protestante des Amis des Pauvres (SPAP, l'employeur), et le salarié a été nommé au poste de directeur de l'établissement '[4]'.
A compter du 07 mars 2019, M. [C] a été placé en arrêt de travail pour maladie jusqu'au 05 avril 2019.
Le 22 mars 2019, M. [C] a informé la Présidente de l'association qu'il connaissait une situation de dégradation de ses conditions de travail, et qu'il se voyait dans l'impossibilité d'exercer ses missions ce qui entraînait une dégradation de son état de santé.
L'employeur a répondu au salarié par courrier du 28 mars 2019.
Le 13 mai 2019, le salarié a été déclaré inapte à son poste avec dispense de reclassement.
Le 16 mai 2019, l'association SPAP a notifié à M. [C] l'impossibilité de le reclasser au sein de l'entreprise.
Le 20 mai 2019, M. [C] a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement.
Le 06 juin 2019, M. [C] a été licencié par l'association SPAP pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Par lettre du 26 juin 2019 adressée à son employeur, le salarié a contesté son solde de tout compte et son licenciement.
Par requête du 04 juin 2020, M. [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Nîmes aux fins de voir prononcer la nullité de son licenciement au titre du harcèlement moral et d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices.
Par jugement contradictoire du 16 juin 2023, le conseil de prud'hommes de Nîmes a :
'
- débouté Monsieur [E] [C] de l'ensemble de ses demandes,
- condamné Monsieur [E] [C] au paiement de 700 € en application de l'article 700 du CPC,
- mis les dépens à la charge du demandeur.'
Par acte du 11 juillet 2023, M. [C] a régulièrement interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 19 juin 2023.
En l'état de ses dernières écritures en date du 05 octobre 2023, le salarié demande à la cour de :
'
- Recevoir l'appel et le dire bien-fondé,
- Infirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu le 16 juin 2023 par le Conseil de Prud'hommes de Nîmes
Statuant à nouveau
- Constater l'existence d'un harcèlement moral à l'encontre de M. [C].
- Requalifier le licenciement pour inaptitude en licenciement NUL.
En conséquence
- Condamner l'Association Société Protestante des Amis des Pauvres à lui payer les sommes suivantes :
- 36.677 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
- 79.467,80 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
- 3.000,00 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner l'Association Société Protestante des Amis des Pauvres aux entiers dépens, en ce compris ceux de première instance.'
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 02 août 2024, l'employeur demande à la cour de :
'
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré
En conséquence,
- Débouter Monsieur [E] [C] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner Monsieur [E] [C] à payer à L'association SOCIETE PROTESTANTE DES AMIS DES PAUVRES (SPAP) la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.'
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
Par ordonnance en date du 19 septembre 2024, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 10 décembre 2024. L'affaire a été fixée à l'audience du 10 janvier 2025.
MOTIFS
- Sur le harcèlement moral:
M. [C] soutient que pour assurer ses missions, et conformément à l'article 2 de son contrat de travail, il bénéficiait:
- d'une délégation permanente de pouvoirs et de responsabilités rédigée comme suit :
« En tant que Directeur d'établissement, M. [C] est habilité par le Conseil d'administration à prendre toute décision dans les domaines faisant l'objet de ses prérogatives techniques (financières, budgétaires et gestion du personnel ».
- d'un document unique de délégation de pouvoirs, le dernier datant de 2007, lequel reprend les missions telles que définies dans la fiche de poste;
- ponctuellement, d'une délégation de signature sur des domaines précis.
Il soutient que lorsque Mme [B] est devenue président, le document unique de délégation de pouvoirs n'a pas été actualisé, qu'il a été démis d'un certain nombre de ses fonctions et que les relations avec la présidente de l'association sont devenues de plus en plus tendues. Il cite à titre d'exemple:
- en décembre 2018: le reproche qui lui a été fait de ne pas avoir sanctionné le comportement répréhensible d'une salariée de l'Ehpad;
- le 8 janvier 2019: l'engagement par Mme [B] d'une procédure disciplinaire contre Mme [K], comptable sans l'en informer et dans le seul but de le déstabiliser;
- le 8 janvier 2019: refus de Mme [B] d'appliquer la solution de remplacement d'un infirmier qu'il proposait;
- le fait qu'il devait désormais gérer la phase administrative des procédures de recrutement et de rupture conventionnelle avec la présidente de l'association, sans être associé aux décisions finales;
- Mme [B] se plaisait à le solliciter pour obtenir des documents dont elle disposait déjà, dans la volonté de l'humilier;
- le courrier de Mme [B] du 28 mars 2019, alors qu'il vient d'être placé en arrêt maladie et qui montre qu'elle ne se soucie aucunement de son état de santé.
Le salarié s'appuie sur les témoignages de plusieurs anciens administrateurs MM [D], [A], [R], Mme [Y], M. [G], soulignant que 7 administrateurs ont démissionné entre 2017 et 2018 en raison de la politique menée par la présidente.
L'association SPAP s'oppose à cette demande, soutenant que M. [C] n'apporte aucun élément de nature à laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral dés lors qu'il ne produit, à l'appui de sa demande que ses propres écrits par emails ou par courriers, des attestations d'anciens administrateurs, et un certificat du Docteur [M] du 30 avril 2019 qui est contraire aux dispositions de l'article 4127-28 du Code de la santé publique, en ce qu'il se prononce sur l'origine professionnelle du syndrome psycho traumatique constaté chez son patient sur les seules déclarations de ce dernier.
L'association expose que Mme [B], présidente de l'association à l'époque des faits visés par M. [C] et précédemment salariée de l'association en qualité d'assistante sociale spécialisée enfance inadaptée, d'octobre 1986 à décembre 2009, a par courrier du 26 janvier 2018 rappelé le salarié à ses missions et obligations vis-à-vis du conseil d'administration compte tenu de certaines difficultés de fonctionnement, exerçant ainsi son pouvoir de direction en dehors de tout harcèlement.
L'association soutient qu'aucune responsabilité ne lui a été retirée et que M. [C] a toujours conservé ses attributions en matière de gestion du personnel et notamment pour l'exercice du pouvoir disciplinaire.
****
Lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il en résulte que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article
L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, il résulte de la correspondance entre Mme [B] et M. [C], les faits suivants:
- Mme [B] invoque plusieurs critiques relatives à la décision de M. [C] de confier à la comptable Mme [K] la maîtrise du planning de l'équipe soignante, alors que la réalisation de ce planning incombe au cadre infirmier conformément à la délégation de ce dernier. Mme [B] justifie ainsi sa décision d'inviter Mme [K] à la rencontrer 'pour un contact exploratoire', précisant qu'aucune procédure disciplinaire n'a été engagée, que Mme [K] a souhaité être accompagnée par une déléguée du personnel et que peu de temps après, Mme [K] à souhaité une rupture conventionnelle;
- Sur la demande de Mme [X] [F], aide-soignante ayant réussi le concours d'infirmière, de voir sa formation prise en charge par l'établissement, M. [C] expose qu'il a formalisé un dossier de prise en charge; qu'il s'est avéré que la moitié du financement devait être assuré par l'établissement, à hauteur de 65 000 euros. M. [C] a en conséquence signifié à Mme [F] l'impossibilité pour l'Ehpad de prendre en charge une telle somme, tandis que dans le même temps, Mme [B], sollicitée directement par Mme [F], lui donnait injonction de trouver une solution pour l'année prochaine;
- S'agissant des modalités de tarification de l'établissement pour l'année 2019, il apparaît que c'est Mme [B] qui a réuni en présence de M. [C], l'expert-comptable, la chef de file de service des Ehpad ainsi que la directrice de la direction d'appui du conseil départemental, pour fixer les modalités de tarification de l'établissement pour 2019;
- Enfin, il résulte de l'échange entre Mme [B] et M. [C] que par email du 7 décembre 2018, l'expert comptable de l'association a fait valoir qu'il avait pris contact avec la direction territoriale de l'ARS à [Localité 5] pour la signature d'une convention avec le Préfet du [Localité 3], et Mme [B] indique que compte tenu de l'importance de cette convention, il lui a paru nécessaire de mobiliser leurs interlocuteurs, avec l'accord du conseil d'administration pour l'obtention rapide de cette convention signée par le Préfet du [Localité 3] le 4 janvier 2019.
Il résulte par ailleurs des attestations concordantes de plusieurs administrateurs qu'ils ont observé:
- la réduction de la délégation dont le personnel avait connaissance était préjudiciable, affaiblissait l'autorité de M. [C], mettant en cause sa liberté d'agir pleinement ( M. [R]);
- 'une sorte de stratégie afin de déstabiliser le directeur, ou du moins qui ne pouvait avoir que cet effet :
- Contacts directs entre la présidente de l'association et certains salariés de l'EHPAD,
- Convocation apparemment disciplinaire, hors de toute information du directeur, de la comptable devant trois administrateurs, sans que les autres en soient informé, avec à son terme une rupture conventionnelle sur demande de la salariée,
- Embauche d'un nouveau comptable par une commission, alors que cette embauche relevait de la seule compétence du directeur,
- Exclusion du directeur dans les rapports avec les autorités de tutelle. » ( M. [G])
Enfin, M. [C] verse aux débats plusieurs pièces médicales:
- l'attestation de son médecin traitant, le docteur [U], qui indique avoir pris M. [C] en charge pour une symptomatologie anxio-dépressive avec une perte de poids de 8 kg en un an;
- le certificat du docteur [O] qui lui a prescrit un traitement pour l'insomnie en janvier 2019;
- les courriers du médecin du travail qui a recueilli des doléances relatives à un mal être au travail dés le mois de novembre 2018 et qui a orienté le salarié vers le psychologue du travail lequel a été consulté à deux reprises par M. [C].
Ces éléments révèlent l'interventionnisme important de la présidente de l'association dans les attributions et compétences de son directeur, tant en ce qui concerne la gestion du personnel que s'agissant des relations avec les autorités de tutelle, ainsi que la disqualification de décisions prises par M. [C], notamment en ce qui concerne le conflit avec Mme [K] ou encore la question de la prise en charge de la formation de Mme [F].
Ces éléments sont corroborés par les témoignages des anciens administrateurs et la dégradation spectaculaire de l'état de santé du salarié résulte des nombreuses pièces médicales lesquelles font notamment état d'une perte de poids entre 8 et 10 kgs en une année, sans autre cause que la symptomatologie anxio-dépressive.
Ces éléments laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral et il appartient en conséquence à l'association SPAP de justifier ses décisions par des éléments étrangers à tout harcèlement moral.
S'agissant des attributions du directeur, l'association soutient qu'aucune responsabilité, ni attribution n'a été retirée à M. [C] tout en soutenant, de façon contradictoire, que Mme [B] a dû intervenir à plusieurs reprises au regard des tâches que M. [C] n'accomplissait pas.
Il résulte ainsi des pièces versées aux débats, que le salarié a été convoqué à plusieurs reprises au cours du second semestre 2018 pour rendre compte de plusieurs situations telles que le refus d'une formation à une salariée, le traitement d'une situation de violence par une infirmière sur un pensionnaire de l'établissement, la présidente reprochant à son directeur de ne pas l'avoir informée de cette situation. M. [C] a encore été convoqué le 17 décembre 2018 avec le secrétaire de l'association et un administrateur délégué de l'association afin de remettre l'organigramme de l'Ehpad '[4]'.
L'association SPAP invoque l'exercice par Mme [B] de son pouvoir de direction et produit le courrier qu'elle a adressé à M. [C] le 26 janvier 2018, libellé comme suit:
' Suite à l'entretien que vous avez eu avec le bureau élargi du Conseil d'Administration, nous tenions à vous préciser par écrit vos missions fixées par votre contrat de travail au sein de l'association SPAP, votre employeur.
Tout d'abord, vous devez respecter la hiérarchie, vos fonctions ne vous autorisent pas à passer outre le Conseil d'Administration pour quelques raisons que ce soit (Cf. Rendez-vous avec la D.G.A.A du conseil départemental, carte de voeux : aucune mention du conseil d'administration et de la Présidente).
Le Conseil d'Administration doit étre informé sans restriction de la vie de l'établissement.
Nous vous demandons instamment de respecter vos missions (cf. document ci-joint en date du 6/10/2008).
Concernant la politique associative, à savoir les relations avec les élus départementaux et municipaux, le conseil départemental, l'ARS et autres, seule la présidente ou les membres du Conseil d'Administration désignés ou mandatés sont aptes à les solliciter et à les rencontrer.
La communication extérieure est soumise aux mêmes règles sus citées.
Employé de la SPAP, nous vous demandons de nous adresser vos demandes d'absence et de congé. Durant votre absence, la Présidente et le Conseil d'Administration sont responsables du bon fonctionnement de la structure, ceci implique un rendu compte.
Nous ne doutons pas de votre capacité à respecter et prendre en compte ces consignes.
Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, nos meilleurs salutations.
Est également produit le courrier que Mme [B] a adressé à M. [C] le 28 mars 2019 en réponse au courrier du salarié du 22 mars 2019, par lequel elle apporte une réponse à chacun des griefs opposés par le salarié. Ainsi, Mme [B] indique : 'Il peut arriver que mes fonctions de Présidente de la SPAP soient sollicitées par le personnel de l'Ehpad lorsque ce dernier est heurté par l'ambiance qui règne au sein de l'établissement' propos suivis par les exemples de traitement du cas de Mme [K] et de Mme [F].
Mme [B] termine sa lettre de la façon suivante:
' Je crois Monsieur le Directeur avoir répondu à l'ensemble des remarques précisées dans votre lettre du 22 mars 2019 et je reste à votre disposition pour de nouvelles sollicitations si vous les estimez utiles.
Qu'il me soit cependant permis de vous préciser que votre 'décrédibilisation régulière et permanente' n'est aucunement un but poursuivi par l'institution que je préside, mais la lecture de vos griefs me donne effectivement à penser que vous êtes surtout dans le genre accusatoire sans que jamais ne soient évoquées les améliorations que vous pourriez apporter à la bonne marche de l'Institution.'
Il résulte de ces éléments que sans jamais qu'une quelconque insuffisance lui ait été notifiée, M. [C] s'est vu reprocher le traitement de plusieurs dossiers relevant de sa responsabilité à l'occasion de sa demande d'explications sur le périmètre de ses missions et délégations.
Si Mme [B] justifie ses interventions par le fait qu'elle aurait été directement sollicitée par les personnels, l'association n'en justifie pas et il est constant que c'est M. [C] qui a pris l'initiative et ce à plusieurs reprises, d'attirer l'attention de sa direction sur le contenu de ses délégations, ainsi qu'en atteste le courrier de Mme [B] du 18 février 2019 aux termes duquel elle indique en outre que les délégations de M. [C] demeurent inchangées, mais qu'elles demandent à être réécrites et sûrement actualisées, ce qui n'a jamais été fait.
L'association verse aux débats le courrier de M. [I], administrateur, selon lequel "le constat est clair et sans appel. Monsieur [C], Directeur de la maison de retraite, s'est inscrit dans une opposition radicale, synonyme d'occlusion. Il n'accepte aucune discussion, aucune remise en cause."
Or, il résulte des débats que contrairement à une position d'occlusion, M. [C] a sollicité, en vain, une clarification des missions de chacun en interrogeant de façon récurrente sa direction sur ses délégations.
Et un autre membre du conseil d'administration faisait le constat exactement inverse de celui de M. [I], 'du reproche infondé par certains membres du CA que le climat régnant au sein de son établissement laissait penser que des tensions existaient entre les agents, sans qu'explicitement on connaisse quels étaient les reproches réels et leurs auteurs, quels étaient le ou les agents qui jouaient ce jeu trouble de ses confier à la Présidence, sans informer le Directeur (...)'.( Cf. attestation de M. [J] [R])
Par ailleurs, l'association ne justifie pas davantage la nécessité d'écarter M. [C] du processus de décision dans le traitement des situations de Mme [K] et de Mme [F]. Dans le cas de cette dernière, il a été reproché à M. [C] de lui avoir refusé à tort la prise en charge de sa formation, ce qui a obligé Mme [B] a intervenir pour demander à son directeur de trouver une solution positive pour l'année prochaine. L'association ne justifie cependant ni qu'elle avait les moyens de prendre en charge la formation de cette dernière, ni que Mme [F] a finalement obtenu cette prise en charge en sorte que le désaveu de M. [C] sur cette question n'est pas justifié.
S'agissant de la convocation de Mme [K], Mme [B] invoque 'un contact exploratoire sans qu'aucune procédure disciplinaire ne soit engagée'. Si Mme [B] a indiqué dans son courrier du 28 mars 2019, que c'est bien M. [C] qui a initié peu de temps après une procédure de rupture conventionnelle avec cette salariée, en sorte qu'il n'a pas été dépossédé de ce dossier, force est de constater que M. [C] n'a pas été associé à cette démarche et ce sans aucune explication et qu'il a été contraint, par courriel du 8 janvier 2019, de sommer sa présidente de lui fournir une réponse écrite quant au motif de la convocation de Mme [K] dont la nature était équivoque et sur laquelle il n'était pas en mesure de renseigner la déléguée syndicale qui accompagnait la comptable et qui souhaitait des explications.
Il apparaît encore que M. [C] a fait l'objet de demandes récurrentes de documents qui étaient déjà en possession de la direction tels que la liste de ses délégations, ou encore un plan de masse cadastré de parcelles propriété de l'association.
Enfin, l'association soutient que M. [C] peut d'autant moins soutenir qu'il a été mis à l'écart, qu'il avait exprimé son souhait de quitter l'association. Ainsi, le compte-rendu des conseils d'administration du 6 septembre 2018 notait:
' Les membres du conseil d'administration ont été informés par mail par M. [E] [C] le 20/08/18 de son souhait envisageant de postuler vers un nouvel emploi.
Le directeur de l'Ehpad assure une bonne gestion de l'établissement mais des difficultés relationnelles avec le personnel apparaissent. Cette constatation n'est pas partagée par l'ensemble des administrateurs.
Plusieurs suggestions ont été émises pour réponde à son courrier, charge aux administrateurs qui l'ont suggéré, de le formaliser (...)'
Mais cette circonstance ne laisse en rien présumer que M. [C] n'aurait pas subi une mise à l'écart, sauf à considérer que le salarié se serait lui-même mis à l'écart, ce qui ne résulte nullement des éléments du débat.
Il en résulte que les interventions systématiques de Mme [B] dans le traitement de situations relatives à des personnels de l'Ehpad, sans que M. [C] ne soit associé à ses démarches, les demandes récurrentes de documents censés être en possession de la direction, l'invalidation à plusieurs reprises des décisions prises par le salarié, ne sont justifiées par aucun élément étranger à une situation de harcèlement moral et le salarié produit d'une part des témoignages confirmant l'existence d'une relation conflictuelle entre Mme [B] et lui, d'autre part, des éléments médicaux révélant une dégradation de ses conditions de travail ayant altéré sa santé physique et mentale et compromis son avenir professionnel.
La situation de harcèlement est caractérisée. Le jugement qui a débouté M. [C] de sa demande à ce titre est infirmé et l'association est condamnée à payer à M. [C] la somme de 10 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.
- Sur la nullité du licenciement:
Le salarié soutient que:
- son licenciement pour inaptitude étant dû au harcèlement moral dont il était victime, il est fondé à en solliciter la nullité;
- ce harcèlement a eu des conséquences sur sa santé mentale et physique;
- aujourd'hui encore, il n'est pas entièrement guéri et ce indépendamment du fait qu'il ait retrouvé un emploi de directeur au sein de l'Association ARTES.
L'association entend rappeler que la règle de preuve de l'article L.1154-1 du code du travail ne s'applique qu'au harcèlement, et non aux demandes subséquentes, en sorte que, conformément aux règles de droit commun, il appartient au salarié qui soutient l'existence d'un lien de causalité entre un harcèlement allégué et le constat d'une inaptitude, d'en apporter la preuve, point sur lequel, M. [C] est totalement défaillant.
L'association ajoute que:
- l'avis du médecin du travail du 13 mai 2019 est définitif, en l'absence de recours exercé dans le délai de 15 jours et M. [C] a été déclaré inapte à son poste avec dispense de reclassement en application de l'article L. 1226-2-1 du code du travail;
- dés lors que le médecin du travail estime que l'inaptitude est susceptible d'être d'origine professionnelle, il remet au salarié le formulaire prévu à l'article D.433-2 du code de la sécurité sociale, ce qui n'a pas été le cas pour M. [C], lequel n'a du reste jamais engagé de démarche pour faire reconnaître le caractère professionnel de ses arrêts de travail;
- le licenciement, régulier en la forme est donc nécessairement régulier sur le fond au regard des conclusions du médecin du travail qui s'imposent aux parties.
***
L'article L1235-3-1 du Code du travail énonce:
'L'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :
1° La violation d'une liberté fondamentale ;
2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 ;
3° Un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L. 1132-4 et L. 1134-4 ;
4° Un licenciement consécutif à une action en justice en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l'article L. 1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits ;
5° Un licenciement d'un salarié protégé mentionné aux articles L. 2411-1 et L. 2412-1 en raison de l'exercice de son mandat ;
6° Un licenciement d'un salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L. 1226-13.
L'indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu'il est dû en application des dispositions de l'article L. 1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre Ier du Titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l'indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle. »
Le 13 mai 2019, M. [C] a fait l'objet, à l'issue d'une visite de reprise, d'un avis d'inaptitude précisant:
' Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.'
Que le salarié n'ait pas engagé de démarches aux fins de faire reconnaître le caractère professionnel de ses arrêts de travail est indifférent dés lors que le lien entre l'inaptitude ayant conduit au licenciement et le harcèlement moral ne résulte pas de la reconnaissance du caractère professionnel des arrêts de travail, les deux procédures étant autonomes.
En l'espèce, le salarié produit de nombreuses pièces médicales, dont son dossier auprès de la médecine du travail, dont il résulte qu'il a été arrêté du 8 mars 2019 au 19 avril 2019 pour trouble anxieux avec les commentaires suivants
- ' arrêt établi par le gliste.moins 13 kg.tr du sommeil. A été orienté vers un med psychiatre ( Dr [M]) qui n'a pas instauré de suivi ( pas de ttemt, pas de rdv fixé) conseil tt même une 'rupture de contrat' qui constituerait le ttemt le plus efficace. Doit rencontrer un administrateur cet AM. Courrier préparé avec un conseiller juridique' demande de rupture'.'
- 'Plaintes spontanément exprimées comme en lien avec le travail:
- troubles de l'humeur
- commentaire: séparation récente: 140 jours de congés à prendre, surinvestissement prof.
- trouble du sommeil
Commentaire: réveils nocturnes.
Echelle de satisfaction globale:4
mauvaises conditions matérielles (partage son bureau)
échelle de stress profesionnel:8
en difficulté à la gouvernance associative ( présidente Mme [B], ancienne AS), relations qui se dégradent depuis 4 ans, selon lui ingérence. Convocations chaque lundi...notamment/gestion des salariés, financement ( refus de départ en formation)... (...) '
Il produit également une attestation du docteur [U], médecin coordonnateur à l'Ehpad '[4]' qui atteste que pendant la période de décembre 2018 à janvier 2019, il a été frappé par le changement brutal dans l'apparence physique et le comportement de M. [C], et il avait repéré la'triade des 3A', soit Asthénie, Apathie et Amaigrissement.
Le lien entre l'état de santé de M. [C] ayant conduit à son inaptitude et la situation de harcèlement caractérisée ci-avant est établi en sorte que le salarié est fondé à solliciter la nullité de son licenciement ainsi que son indemnisation en application des dispositions de l'article L. 1235-3-1 du code du travail.
Compte tenu de l'effectif de l'association, dont il n'est pas contesté qu'il est habituellement de plus de onze salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [C] âgé de 52 ans lors de la rupture, de son ancienneté de 15 années complètes, de ce qu'il a pu retrouver un nouvel emploi de directeur au sein de l'association Artes depuis le 12 juin 2019, soit dans la semaine suivant son licenciement, la cour estime que le préjudice résultant pour ce dernier de la rupture doit être indemnisé par la somme de 40 000 euros. En conséquence, le jugement qui l'a débouté de sa demande est infirmé et l'association est condamnée à lui payer la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif au caractère abusif du licenciement, sur la base d'un salaire moyen mensuel brut de 6 112, 91 euros non remis en cause, même à titre subsidiaire, par l'employeur.
- Sur les demandes accessoires:
Les dépens de première instance et d'appel, suivant le principal, seront supportés par l'association Société Protestante des Amis des Pauvres ( SPAP) .
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile;
Dans la limite de la dévolution,
Infirme le jugement déféré
Statuant à nouveau
Dit que l'inaptitude ayant conduit au licenciement de M. [C] résulte d'une situation de harcèlement moral
Dit que licenciement notifié par l'association Société Protestante des Amis des Pauvres ( SPAP) à M. [C] est nul en raison du harcèlement moral
Condamne l'association Société Protestante des Amis des Pauvres ( SPAP) à payer à M. [C] les sommes suivantes:
- 10 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral
- 40 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de l'emploi
Dit que les intérêts au taux légal sur les créances de nature indemnitaires courent à compter du présent arrêt s'agissant de dispositions infirmatives du jugement déféré
Condamne l'association Société Protestante des Amis des Pauvres ( SPAP) à verser à M. [C] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Condamne l'association Société Protestante des Amis des Pauvres ( SPAP) aux dépens de première instance et de l'appel.
Arrêt signé par la présidente et par le greffier.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 23/02367 - N° Portalis DBVH-V-B7H-I4KZ
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NIMES
16 juin 2023
RG:F 20/00388
[C]
C/
Société SPAP LUMIERE & JOIE
Grosse délivrée le 17 MARS 2025 à :
- Me MARCE
- Me LANOY
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 17 MARS 2025
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NIMES en date du 16 Juin 2023, N°F 20/00388
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Nathalie ROCCI, Présidente,
Mme Leila REMILI, Conseillère,
M. Michel SORIANO, Conseiller,
GREFFIER :
Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 5ème chambre sociale, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS :
A l'audience publique du 10 Janvier 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 17 Mars 2025.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANT :
Monsieur [E] [C]
né le 20 Mars 1966 à
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Jean jacques MARCE de la SCP MARCE ANDRIEU CARAMEL, avocat au barreau de NIMES
Représenté par Me Sylvie SERGENT de la SELARL DELRAN BARGETON DYENS SERGENT ALCALDE, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉE :
Société SPAP LUMIERE & JOIE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Patrick LANOY de la SELARL CAPSTAN PYTHEAS, avocat au barreau de NIMES
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Nathalie ROCCI, Présidente, le 17 Mars 2025, par mise à disposition au greffe de la cour.
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
M. [E] [C] (le salarié) a été embauché le 15 mai 2004 par l'association UPPANIGARD suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, en qualité de directeur adjoint de l'Ehpad '[4]'.
Le contrat est soumis aux dispositions de la convention collective des établissements hospitaliers à but non lucratif du 31 octobre 1951.
Par avenant du 4 juillet 2005, le contrat de travail du salarié a été transféré à l'association Société Protestante des Amis des Pauvres (SPAP, l'employeur), et le salarié a été nommé au poste de directeur de l'établissement '[4]'.
A compter du 07 mars 2019, M. [C] a été placé en arrêt de travail pour maladie jusqu'au 05 avril 2019.
Le 22 mars 2019, M. [C] a informé la Présidente de l'association qu'il connaissait une situation de dégradation de ses conditions de travail, et qu'il se voyait dans l'impossibilité d'exercer ses missions ce qui entraînait une dégradation de son état de santé.
L'employeur a répondu au salarié par courrier du 28 mars 2019.
Le 13 mai 2019, le salarié a été déclaré inapte à son poste avec dispense de reclassement.
Le 16 mai 2019, l'association SPAP a notifié à M. [C] l'impossibilité de le reclasser au sein de l'entreprise.
Le 20 mai 2019, M. [C] a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement.
Le 06 juin 2019, M. [C] a été licencié par l'association SPAP pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Par lettre du 26 juin 2019 adressée à son employeur, le salarié a contesté son solde de tout compte et son licenciement.
Par requête du 04 juin 2020, M. [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Nîmes aux fins de voir prononcer la nullité de son licenciement au titre du harcèlement moral et d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices.
Par jugement contradictoire du 16 juin 2023, le conseil de prud'hommes de Nîmes a :
'
- débouté Monsieur [E] [C] de l'ensemble de ses demandes,
- condamné Monsieur [E] [C] au paiement de 700 € en application de l'article 700 du CPC,
- mis les dépens à la charge du demandeur.'
Par acte du 11 juillet 2023, M. [C] a régulièrement interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 19 juin 2023.
En l'état de ses dernières écritures en date du 05 octobre 2023, le salarié demande à la cour de :
'
- Recevoir l'appel et le dire bien-fondé,
- Infirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu le 16 juin 2023 par le Conseil de Prud'hommes de Nîmes
Statuant à nouveau
- Constater l'existence d'un harcèlement moral à l'encontre de M. [C].
- Requalifier le licenciement pour inaptitude en licenciement NUL.
En conséquence
- Condamner l'Association Société Protestante des Amis des Pauvres à lui payer les sommes suivantes :
- 36.677 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
- 79.467,80 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
- 3.000,00 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner l'Association Société Protestante des Amis des Pauvres aux entiers dépens, en ce compris ceux de première instance.'
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 02 août 2024, l'employeur demande à la cour de :
'
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré
En conséquence,
- Débouter Monsieur [E] [C] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner Monsieur [E] [C] à payer à L'association SOCIETE PROTESTANTE DES AMIS DES PAUVRES (SPAP) la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.'
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
Par ordonnance en date du 19 septembre 2024, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 10 décembre 2024. L'affaire a été fixée à l'audience du 10 janvier 2025.
MOTIFS
- Sur le harcèlement moral:
M. [C] soutient que pour assurer ses missions, et conformément à l'article 2 de son contrat de travail, il bénéficiait:
- d'une délégation permanente de pouvoirs et de responsabilités rédigée comme suit :
« En tant que Directeur d'établissement, M. [C] est habilité par le Conseil d'administration à prendre toute décision dans les domaines faisant l'objet de ses prérogatives techniques (financières, budgétaires et gestion du personnel ».
- d'un document unique de délégation de pouvoirs, le dernier datant de 2007, lequel reprend les missions telles que définies dans la fiche de poste;
- ponctuellement, d'une délégation de signature sur des domaines précis.
Il soutient que lorsque Mme [B] est devenue président, le document unique de délégation de pouvoirs n'a pas été actualisé, qu'il a été démis d'un certain nombre de ses fonctions et que les relations avec la présidente de l'association sont devenues de plus en plus tendues. Il cite à titre d'exemple:
- en décembre 2018: le reproche qui lui a été fait de ne pas avoir sanctionné le comportement répréhensible d'une salariée de l'Ehpad;
- le 8 janvier 2019: l'engagement par Mme [B] d'une procédure disciplinaire contre Mme [K], comptable sans l'en informer et dans le seul but de le déstabiliser;
- le 8 janvier 2019: refus de Mme [B] d'appliquer la solution de remplacement d'un infirmier qu'il proposait;
- le fait qu'il devait désormais gérer la phase administrative des procédures de recrutement et de rupture conventionnelle avec la présidente de l'association, sans être associé aux décisions finales;
- Mme [B] se plaisait à le solliciter pour obtenir des documents dont elle disposait déjà, dans la volonté de l'humilier;
- le courrier de Mme [B] du 28 mars 2019, alors qu'il vient d'être placé en arrêt maladie et qui montre qu'elle ne se soucie aucunement de son état de santé.
Le salarié s'appuie sur les témoignages de plusieurs anciens administrateurs MM [D], [A], [R], Mme [Y], M. [G], soulignant que 7 administrateurs ont démissionné entre 2017 et 2018 en raison de la politique menée par la présidente.
L'association SPAP s'oppose à cette demande, soutenant que M. [C] n'apporte aucun élément de nature à laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral dés lors qu'il ne produit, à l'appui de sa demande que ses propres écrits par emails ou par courriers, des attestations d'anciens administrateurs, et un certificat du Docteur [M] du 30 avril 2019 qui est contraire aux dispositions de l'article 4127-28 du Code de la santé publique, en ce qu'il se prononce sur l'origine professionnelle du syndrome psycho traumatique constaté chez son patient sur les seules déclarations de ce dernier.
L'association expose que Mme [B], présidente de l'association à l'époque des faits visés par M. [C] et précédemment salariée de l'association en qualité d'assistante sociale spécialisée enfance inadaptée, d'octobre 1986 à décembre 2009, a par courrier du 26 janvier 2018 rappelé le salarié à ses missions et obligations vis-à-vis du conseil d'administration compte tenu de certaines difficultés de fonctionnement, exerçant ainsi son pouvoir de direction en dehors de tout harcèlement.
L'association soutient qu'aucune responsabilité ne lui a été retirée et que M. [C] a toujours conservé ses attributions en matière de gestion du personnel et notamment pour l'exercice du pouvoir disciplinaire.
****
Lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il en résulte que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article
L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, il résulte de la correspondance entre Mme [B] et M. [C], les faits suivants:
- Mme [B] invoque plusieurs critiques relatives à la décision de M. [C] de confier à la comptable Mme [K] la maîtrise du planning de l'équipe soignante, alors que la réalisation de ce planning incombe au cadre infirmier conformément à la délégation de ce dernier. Mme [B] justifie ainsi sa décision d'inviter Mme [K] à la rencontrer 'pour un contact exploratoire', précisant qu'aucune procédure disciplinaire n'a été engagée, que Mme [K] a souhaité être accompagnée par une déléguée du personnel et que peu de temps après, Mme [K] à souhaité une rupture conventionnelle;
- Sur la demande de Mme [X] [F], aide-soignante ayant réussi le concours d'infirmière, de voir sa formation prise en charge par l'établissement, M. [C] expose qu'il a formalisé un dossier de prise en charge; qu'il s'est avéré que la moitié du financement devait être assuré par l'établissement, à hauteur de 65 000 euros. M. [C] a en conséquence signifié à Mme [F] l'impossibilité pour l'Ehpad de prendre en charge une telle somme, tandis que dans le même temps, Mme [B], sollicitée directement par Mme [F], lui donnait injonction de trouver une solution pour l'année prochaine;
- S'agissant des modalités de tarification de l'établissement pour l'année 2019, il apparaît que c'est Mme [B] qui a réuni en présence de M. [C], l'expert-comptable, la chef de file de service des Ehpad ainsi que la directrice de la direction d'appui du conseil départemental, pour fixer les modalités de tarification de l'établissement pour 2019;
- Enfin, il résulte de l'échange entre Mme [B] et M. [C] que par email du 7 décembre 2018, l'expert comptable de l'association a fait valoir qu'il avait pris contact avec la direction territoriale de l'ARS à [Localité 5] pour la signature d'une convention avec le Préfet du [Localité 3], et Mme [B] indique que compte tenu de l'importance de cette convention, il lui a paru nécessaire de mobiliser leurs interlocuteurs, avec l'accord du conseil d'administration pour l'obtention rapide de cette convention signée par le Préfet du [Localité 3] le 4 janvier 2019.
Il résulte par ailleurs des attestations concordantes de plusieurs administrateurs qu'ils ont observé:
- la réduction de la délégation dont le personnel avait connaissance était préjudiciable, affaiblissait l'autorité de M. [C], mettant en cause sa liberté d'agir pleinement ( M. [R]);
- 'une sorte de stratégie afin de déstabiliser le directeur, ou du moins qui ne pouvait avoir que cet effet :
- Contacts directs entre la présidente de l'association et certains salariés de l'EHPAD,
- Convocation apparemment disciplinaire, hors de toute information du directeur, de la comptable devant trois administrateurs, sans que les autres en soient informé, avec à son terme une rupture conventionnelle sur demande de la salariée,
- Embauche d'un nouveau comptable par une commission, alors que cette embauche relevait de la seule compétence du directeur,
- Exclusion du directeur dans les rapports avec les autorités de tutelle. » ( M. [G])
Enfin, M. [C] verse aux débats plusieurs pièces médicales:
- l'attestation de son médecin traitant, le docteur [U], qui indique avoir pris M. [C] en charge pour une symptomatologie anxio-dépressive avec une perte de poids de 8 kg en un an;
- le certificat du docteur [O] qui lui a prescrit un traitement pour l'insomnie en janvier 2019;
- les courriers du médecin du travail qui a recueilli des doléances relatives à un mal être au travail dés le mois de novembre 2018 et qui a orienté le salarié vers le psychologue du travail lequel a été consulté à deux reprises par M. [C].
Ces éléments révèlent l'interventionnisme important de la présidente de l'association dans les attributions et compétences de son directeur, tant en ce qui concerne la gestion du personnel que s'agissant des relations avec les autorités de tutelle, ainsi que la disqualification de décisions prises par M. [C], notamment en ce qui concerne le conflit avec Mme [K] ou encore la question de la prise en charge de la formation de Mme [F].
Ces éléments sont corroborés par les témoignages des anciens administrateurs et la dégradation spectaculaire de l'état de santé du salarié résulte des nombreuses pièces médicales lesquelles font notamment état d'une perte de poids entre 8 et 10 kgs en une année, sans autre cause que la symptomatologie anxio-dépressive.
Ces éléments laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral et il appartient en conséquence à l'association SPAP de justifier ses décisions par des éléments étrangers à tout harcèlement moral.
S'agissant des attributions du directeur, l'association soutient qu'aucune responsabilité, ni attribution n'a été retirée à M. [C] tout en soutenant, de façon contradictoire, que Mme [B] a dû intervenir à plusieurs reprises au regard des tâches que M. [C] n'accomplissait pas.
Il résulte ainsi des pièces versées aux débats, que le salarié a été convoqué à plusieurs reprises au cours du second semestre 2018 pour rendre compte de plusieurs situations telles que le refus d'une formation à une salariée, le traitement d'une situation de violence par une infirmière sur un pensionnaire de l'établissement, la présidente reprochant à son directeur de ne pas l'avoir informée de cette situation. M. [C] a encore été convoqué le 17 décembre 2018 avec le secrétaire de l'association et un administrateur délégué de l'association afin de remettre l'organigramme de l'Ehpad '[4]'.
L'association SPAP invoque l'exercice par Mme [B] de son pouvoir de direction et produit le courrier qu'elle a adressé à M. [C] le 26 janvier 2018, libellé comme suit:
' Suite à l'entretien que vous avez eu avec le bureau élargi du Conseil d'Administration, nous tenions à vous préciser par écrit vos missions fixées par votre contrat de travail au sein de l'association SPAP, votre employeur.
Tout d'abord, vous devez respecter la hiérarchie, vos fonctions ne vous autorisent pas à passer outre le Conseil d'Administration pour quelques raisons que ce soit (Cf. Rendez-vous avec la D.G.A.A du conseil départemental, carte de voeux : aucune mention du conseil d'administration et de la Présidente).
Le Conseil d'Administration doit étre informé sans restriction de la vie de l'établissement.
Nous vous demandons instamment de respecter vos missions (cf. document ci-joint en date du 6/10/2008).
Concernant la politique associative, à savoir les relations avec les élus départementaux et municipaux, le conseil départemental, l'ARS et autres, seule la présidente ou les membres du Conseil d'Administration désignés ou mandatés sont aptes à les solliciter et à les rencontrer.
La communication extérieure est soumise aux mêmes règles sus citées.
Employé de la SPAP, nous vous demandons de nous adresser vos demandes d'absence et de congé. Durant votre absence, la Présidente et le Conseil d'Administration sont responsables du bon fonctionnement de la structure, ceci implique un rendu compte.
Nous ne doutons pas de votre capacité à respecter et prendre en compte ces consignes.
Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, nos meilleurs salutations.
Est également produit le courrier que Mme [B] a adressé à M. [C] le 28 mars 2019 en réponse au courrier du salarié du 22 mars 2019, par lequel elle apporte une réponse à chacun des griefs opposés par le salarié. Ainsi, Mme [B] indique : 'Il peut arriver que mes fonctions de Présidente de la SPAP soient sollicitées par le personnel de l'Ehpad lorsque ce dernier est heurté par l'ambiance qui règne au sein de l'établissement' propos suivis par les exemples de traitement du cas de Mme [K] et de Mme [F].
Mme [B] termine sa lettre de la façon suivante:
' Je crois Monsieur le Directeur avoir répondu à l'ensemble des remarques précisées dans votre lettre du 22 mars 2019 et je reste à votre disposition pour de nouvelles sollicitations si vous les estimez utiles.
Qu'il me soit cependant permis de vous préciser que votre 'décrédibilisation régulière et permanente' n'est aucunement un but poursuivi par l'institution que je préside, mais la lecture de vos griefs me donne effectivement à penser que vous êtes surtout dans le genre accusatoire sans que jamais ne soient évoquées les améliorations que vous pourriez apporter à la bonne marche de l'Institution.'
Il résulte de ces éléments que sans jamais qu'une quelconque insuffisance lui ait été notifiée, M. [C] s'est vu reprocher le traitement de plusieurs dossiers relevant de sa responsabilité à l'occasion de sa demande d'explications sur le périmètre de ses missions et délégations.
Si Mme [B] justifie ses interventions par le fait qu'elle aurait été directement sollicitée par les personnels, l'association n'en justifie pas et il est constant que c'est M. [C] qui a pris l'initiative et ce à plusieurs reprises, d'attirer l'attention de sa direction sur le contenu de ses délégations, ainsi qu'en atteste le courrier de Mme [B] du 18 février 2019 aux termes duquel elle indique en outre que les délégations de M. [C] demeurent inchangées, mais qu'elles demandent à être réécrites et sûrement actualisées, ce qui n'a jamais été fait.
L'association verse aux débats le courrier de M. [I], administrateur, selon lequel "le constat est clair et sans appel. Monsieur [C], Directeur de la maison de retraite, s'est inscrit dans une opposition radicale, synonyme d'occlusion. Il n'accepte aucune discussion, aucune remise en cause."
Or, il résulte des débats que contrairement à une position d'occlusion, M. [C] a sollicité, en vain, une clarification des missions de chacun en interrogeant de façon récurrente sa direction sur ses délégations.
Et un autre membre du conseil d'administration faisait le constat exactement inverse de celui de M. [I], 'du reproche infondé par certains membres du CA que le climat régnant au sein de son établissement laissait penser que des tensions existaient entre les agents, sans qu'explicitement on connaisse quels étaient les reproches réels et leurs auteurs, quels étaient le ou les agents qui jouaient ce jeu trouble de ses confier à la Présidence, sans informer le Directeur (...)'.( Cf. attestation de M. [J] [R])
Par ailleurs, l'association ne justifie pas davantage la nécessité d'écarter M. [C] du processus de décision dans le traitement des situations de Mme [K] et de Mme [F]. Dans le cas de cette dernière, il a été reproché à M. [C] de lui avoir refusé à tort la prise en charge de sa formation, ce qui a obligé Mme [B] a intervenir pour demander à son directeur de trouver une solution positive pour l'année prochaine. L'association ne justifie cependant ni qu'elle avait les moyens de prendre en charge la formation de cette dernière, ni que Mme [F] a finalement obtenu cette prise en charge en sorte que le désaveu de M. [C] sur cette question n'est pas justifié.
S'agissant de la convocation de Mme [K], Mme [B] invoque 'un contact exploratoire sans qu'aucune procédure disciplinaire ne soit engagée'. Si Mme [B] a indiqué dans son courrier du 28 mars 2019, que c'est bien M. [C] qui a initié peu de temps après une procédure de rupture conventionnelle avec cette salariée, en sorte qu'il n'a pas été dépossédé de ce dossier, force est de constater que M. [C] n'a pas été associé à cette démarche et ce sans aucune explication et qu'il a été contraint, par courriel du 8 janvier 2019, de sommer sa présidente de lui fournir une réponse écrite quant au motif de la convocation de Mme [K] dont la nature était équivoque et sur laquelle il n'était pas en mesure de renseigner la déléguée syndicale qui accompagnait la comptable et qui souhaitait des explications.
Il apparaît encore que M. [C] a fait l'objet de demandes récurrentes de documents qui étaient déjà en possession de la direction tels que la liste de ses délégations, ou encore un plan de masse cadastré de parcelles propriété de l'association.
Enfin, l'association soutient que M. [C] peut d'autant moins soutenir qu'il a été mis à l'écart, qu'il avait exprimé son souhait de quitter l'association. Ainsi, le compte-rendu des conseils d'administration du 6 septembre 2018 notait:
' Les membres du conseil d'administration ont été informés par mail par M. [E] [C] le 20/08/18 de son souhait envisageant de postuler vers un nouvel emploi.
Le directeur de l'Ehpad assure une bonne gestion de l'établissement mais des difficultés relationnelles avec le personnel apparaissent. Cette constatation n'est pas partagée par l'ensemble des administrateurs.
Plusieurs suggestions ont été émises pour réponde à son courrier, charge aux administrateurs qui l'ont suggéré, de le formaliser (...)'
Mais cette circonstance ne laisse en rien présumer que M. [C] n'aurait pas subi une mise à l'écart, sauf à considérer que le salarié se serait lui-même mis à l'écart, ce qui ne résulte nullement des éléments du débat.
Il en résulte que les interventions systématiques de Mme [B] dans le traitement de situations relatives à des personnels de l'Ehpad, sans que M. [C] ne soit associé à ses démarches, les demandes récurrentes de documents censés être en possession de la direction, l'invalidation à plusieurs reprises des décisions prises par le salarié, ne sont justifiées par aucun élément étranger à une situation de harcèlement moral et le salarié produit d'une part des témoignages confirmant l'existence d'une relation conflictuelle entre Mme [B] et lui, d'autre part, des éléments médicaux révélant une dégradation de ses conditions de travail ayant altéré sa santé physique et mentale et compromis son avenir professionnel.
La situation de harcèlement est caractérisée. Le jugement qui a débouté M. [C] de sa demande à ce titre est infirmé et l'association est condamnée à payer à M. [C] la somme de 10 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.
- Sur la nullité du licenciement:
Le salarié soutient que:
- son licenciement pour inaptitude étant dû au harcèlement moral dont il était victime, il est fondé à en solliciter la nullité;
- ce harcèlement a eu des conséquences sur sa santé mentale et physique;
- aujourd'hui encore, il n'est pas entièrement guéri et ce indépendamment du fait qu'il ait retrouvé un emploi de directeur au sein de l'Association ARTES.
L'association entend rappeler que la règle de preuve de l'article L.1154-1 du code du travail ne s'applique qu'au harcèlement, et non aux demandes subséquentes, en sorte que, conformément aux règles de droit commun, il appartient au salarié qui soutient l'existence d'un lien de causalité entre un harcèlement allégué et le constat d'une inaptitude, d'en apporter la preuve, point sur lequel, M. [C] est totalement défaillant.
L'association ajoute que:
- l'avis du médecin du travail du 13 mai 2019 est définitif, en l'absence de recours exercé dans le délai de 15 jours et M. [C] a été déclaré inapte à son poste avec dispense de reclassement en application de l'article L. 1226-2-1 du code du travail;
- dés lors que le médecin du travail estime que l'inaptitude est susceptible d'être d'origine professionnelle, il remet au salarié le formulaire prévu à l'article D.433-2 du code de la sécurité sociale, ce qui n'a pas été le cas pour M. [C], lequel n'a du reste jamais engagé de démarche pour faire reconnaître le caractère professionnel de ses arrêts de travail;
- le licenciement, régulier en la forme est donc nécessairement régulier sur le fond au regard des conclusions du médecin du travail qui s'imposent aux parties.
***
L'article L1235-3-1 du Code du travail énonce:
'L'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :
1° La violation d'une liberté fondamentale ;
2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 ;
3° Un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L. 1132-4 et L. 1134-4 ;
4° Un licenciement consécutif à une action en justice en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l'article L. 1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits ;
5° Un licenciement d'un salarié protégé mentionné aux articles L. 2411-1 et L. 2412-1 en raison de l'exercice de son mandat ;
6° Un licenciement d'un salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L. 1226-13.
L'indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu'il est dû en application des dispositions de l'article L. 1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre Ier du Titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l'indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle. »
Le 13 mai 2019, M. [C] a fait l'objet, à l'issue d'une visite de reprise, d'un avis d'inaptitude précisant:
' Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.'
Que le salarié n'ait pas engagé de démarches aux fins de faire reconnaître le caractère professionnel de ses arrêts de travail est indifférent dés lors que le lien entre l'inaptitude ayant conduit au licenciement et le harcèlement moral ne résulte pas de la reconnaissance du caractère professionnel des arrêts de travail, les deux procédures étant autonomes.
En l'espèce, le salarié produit de nombreuses pièces médicales, dont son dossier auprès de la médecine du travail, dont il résulte qu'il a été arrêté du 8 mars 2019 au 19 avril 2019 pour trouble anxieux avec les commentaires suivants
- ' arrêt établi par le gliste.moins 13 kg.tr du sommeil. A été orienté vers un med psychiatre ( Dr [M]) qui n'a pas instauré de suivi ( pas de ttemt, pas de rdv fixé) conseil tt même une 'rupture de contrat' qui constituerait le ttemt le plus efficace. Doit rencontrer un administrateur cet AM. Courrier préparé avec un conseiller juridique' demande de rupture'.'
- 'Plaintes spontanément exprimées comme en lien avec le travail:
- troubles de l'humeur
- commentaire: séparation récente: 140 jours de congés à prendre, surinvestissement prof.
- trouble du sommeil
Commentaire: réveils nocturnes.
Echelle de satisfaction globale:4
mauvaises conditions matérielles (partage son bureau)
échelle de stress profesionnel:8
en difficulté à la gouvernance associative ( présidente Mme [B], ancienne AS), relations qui se dégradent depuis 4 ans, selon lui ingérence. Convocations chaque lundi...notamment/gestion des salariés, financement ( refus de départ en formation)... (...) '
Il produit également une attestation du docteur [U], médecin coordonnateur à l'Ehpad '[4]' qui atteste que pendant la période de décembre 2018 à janvier 2019, il a été frappé par le changement brutal dans l'apparence physique et le comportement de M. [C], et il avait repéré la'triade des 3A', soit Asthénie, Apathie et Amaigrissement.
Le lien entre l'état de santé de M. [C] ayant conduit à son inaptitude et la situation de harcèlement caractérisée ci-avant est établi en sorte que le salarié est fondé à solliciter la nullité de son licenciement ainsi que son indemnisation en application des dispositions de l'article L. 1235-3-1 du code du travail.
Compte tenu de l'effectif de l'association, dont il n'est pas contesté qu'il est habituellement de plus de onze salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [C] âgé de 52 ans lors de la rupture, de son ancienneté de 15 années complètes, de ce qu'il a pu retrouver un nouvel emploi de directeur au sein de l'association Artes depuis le 12 juin 2019, soit dans la semaine suivant son licenciement, la cour estime que le préjudice résultant pour ce dernier de la rupture doit être indemnisé par la somme de 40 000 euros. En conséquence, le jugement qui l'a débouté de sa demande est infirmé et l'association est condamnée à lui payer la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif au caractère abusif du licenciement, sur la base d'un salaire moyen mensuel brut de 6 112, 91 euros non remis en cause, même à titre subsidiaire, par l'employeur.
- Sur les demandes accessoires:
Les dépens de première instance et d'appel, suivant le principal, seront supportés par l'association Société Protestante des Amis des Pauvres ( SPAP) .
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile;
Dans la limite de la dévolution,
Infirme le jugement déféré
Statuant à nouveau
Dit que l'inaptitude ayant conduit au licenciement de M. [C] résulte d'une situation de harcèlement moral
Dit que licenciement notifié par l'association Société Protestante des Amis des Pauvres ( SPAP) à M. [C] est nul en raison du harcèlement moral
Condamne l'association Société Protestante des Amis des Pauvres ( SPAP) à payer à M. [C] les sommes suivantes:
- 10 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral
- 40 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de l'emploi
Dit que les intérêts au taux légal sur les créances de nature indemnitaires courent à compter du présent arrêt s'agissant de dispositions infirmatives du jugement déféré
Condamne l'association Société Protestante des Amis des Pauvres ( SPAP) à verser à M. [C] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Condamne l'association Société Protestante des Amis des Pauvres ( SPAP) aux dépens de première instance et de l'appel.
Arrêt signé par la présidente et par le greffier.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE