CA Rennes, 7e ch prud'homale, 13 mars 2025, n° 22/03425
RENNES
Arrêt
Autre
7ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°86/2025
N° RG 22/03425 - N° Portalis DBVL-V-B7G-SZSK
S.A. HEMARINA
C/
Mme [A] [N] épouse [G]
RG CPH : 20/00029
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MORLAIX
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Copie certifiée conforme délivrée
le:
à:
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 13 MARS 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 02 Décembre 2024 devant Madame Isabelle CHARPENTIER, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
En présence de Madame [M], médiateur judiciaire,
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 13 Mars 2025 par mise à disposition au greffe, date à laquelle a été prorogé le délibéré initialement fixé au 06 Février 2025 puis au 6 Mars 2025
****
APPELANTE :
S.A. HEMARINA
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par son dirigeant Monsieur [Y], assisté de Me Alexandra LORBER LANCE de la SELARL CAPSTAN LMS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Audrey BELMONT, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
Madame [A] [N] épouse [G]
née le 23 Novembre 1975 à [Localité 2]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Richard FILIPIAK de la SELARL FILIPIAK LACOSTE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de POITIERS
EXPOSÉ DU LITIGE
La SA Hemarina, présidée par son fondateur M.[K] [Y], exploite un laboratoire biopharmaceutique menant des recherches afin de développer des produits de santé susceptibles de constituer des innovations thérapeutiques pour le traitement de diverses affections. Les recherches ont pour objectif d'exploiter les propriétés d'un ver marin (molécules d'hémoglobines) dans des applications thérapeutiques et industrielles, comme le transport de greffons ou le traitement d'affections respiratoires.
La société dont le siège social est fixé à [Localité 4] (29) exploite une ferme marine sur l'île de Noirmoutier (85) où elle élève les vers marins.
La ferme marine et le site de [Localité 4] bénéficient du fait de l'intérêt fondamental de leurs travaux scientifiques d'un classement par l'Etat en zone Régime Restrictif ( ZRR) créé par arrêté ministériel du 12 septembre 2019, au titre du dispositif de protection du potentiel scientifique et technique de la Nation ( PPST).
La société Hemarina applique la convention collective de la fabrication et commerce de produits à usage pharmaceutique, parapharmaceutique et produits vétérinaire et emploie plus de 11 salariés (22 au 31 décembre 2019).
Le 1er avril 2019, Mme [A] [G] a été embauchée en qualité de 'Responsable Qualité du site de Noirmoutier' , statut cadre niveau 5, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée par la SA Hemarina jusqu'au 30 septembre 2019, en raison d'un accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise lié à la mise en place et au suivi de l'assurance qualité sur le site de Noirmoutier.
Son lieu de travail était fixé à la Ferme Marine de Noirmoutier, à [Localité 3] (85)
Le 1er octobre 2019, les parties ont conclu un second contrat à durée déterminée jusqu'au 31 mars 2020.
Le 1er avril 2020, elles ont régularisé un contrat de travail à durée indéterminée.
Le 1er septembre 2020, Mme [G] a été convoquée à un entretien préalable à licenciement fixé le 11 septembre suivant avec mise à pied à titre conservatoire.
Le 19 septembre 2020, Mme [G] s'est vue notifier son licenciement pour faute grave dans un courrier ainsi libellé :
« Vous avez pour mission de veiller à la bonne application, par nos différents services, des normes et procédures définies par l'entreprise et de participer à leur amélioration, afin de garantir la qualité et l'efficience de nos méthodes de travail et de nos produits.
Votre fonction est essentielle à l'activité biopharmaceutique de notre entreprise compte tenu de ses enjeux
sanitaires majeurs et ce, tout particulièrement en cette période où notre entreprise pourrait mener des tests cliniques dans le cadre de la lutte thérapeutique contre l'épidémie de Covid-19.
Compte tenu de votre mission, justifiant au demeurant l'attribution du statut de Cadre, vous êtes tenue par une obligation particulière de loyauté à l'égard de notre entreprise.
Or, nous avons découvert que vous avez manqué gravement à cette obligation à de multiples occasions, notamment :
a) Nous avons été informés que vous vous absentiez régulièrement de votre poste de travail, sans que ces absences n'aient été autorisées par notre entreprise ni ne soient justifiées par la réalisation de votre travail pour le compte d'HEMARINA.
Ces absences ont été constatées par plusieurs de vos collègues de travail, notamment lorsqu'ils ont tenté d'organiser des réunions auxquelles votre participation était requise. Vos collègues se sont interrogés légitimement sur vos allées et venues qui semblaient bénéficier d'une certaine complaisance, voire protection, de la part de votre supérieur hiérarchique, qui s'avère également être votre époux, Monsieur [O] [G].
Vous vous êtes ainsi affranchie des règles d'organisation du travail qui vous étaient applicables, alors même que votre fonction vous amène à contrôler leur bonne application par les autres.
b) Vous avez supprimé et/ou exporté de votre messagerie professionnelle tous les échanges et toutes les analyses qualité auxquelles vous avez participé et qui sont la propriété d'HEMARINA.
Ces échanges contiennent des données stratégiques de traçabilité de notre entreprise que vous avez sciemment détruites.
Leur suppression comme leur exportation à l'extérieur de notre société matérialisent une violation des règles en vigueur au sein de notre société, dont vous deviez, là encore, veiller à la bonne application.
De tels agissements sont en outre susceptibles d'être extrêmement préjudiciables à HEMARINA compte
tenu de son activité hautement concurrentielle, exposée à un risque important d'espionnage industriel. »
***
Mme [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Morlaix par requête en date du 13 octobre 2020 afin de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et de voir condamner la SA Hemarina à lui verser notamment :
- 1703,77 euros brut au titre du rappel de salaire durant la mise à pied et les congés payés afférents,
- 8 939,07 euros brut au titre de l'indemnité de préavis (3mois) et les congés payés afférents,
- 1 117,38 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement
- 5969,38 euros de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (2 mois);
- 12 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral.
La SA Hemarina a demandé au conseil de prud'hommes de :
A titre principal :
- Débouter Mme [G] de l'intégralité de ses demandes à titre subsidiaire :
- Limiter l'indemnité compensatrice de préavis à la somme de 8100 euros bruts, outre les congés payés afférents,
- Limiter l'indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 985,50 euros,
- Débouter Mme [G] du surplus de ses demandes à titre très subsidiaire :
- Limiter l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 24249 euros bruts ;
- Débouter Mme [G] du surplus de ses demandes :
A titre reconventionnel :
- Condamner Mme [G] à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive, et 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par jugement en date du 27 mai 2022, le conseil de prud'hommes de Morlaix a :
- Rejeté les notes en délibéré des 11 mars 2022 et 7 avril 2022 déposées par Mme [G];
- Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- Condamné la SA Hemarina à payer à Mme [G] :
- le salaire de la mise à pied conservatoire pour 1 703,77 euros brut, ainsi que 170,37 euros brut au titre des congés payés afférents ;
- une indemnité compensatrice de préavis de 8 939,07 euros brut, ainsi que 893,90 euros brut au titre des congés payés y afférents ;
- une indemnité de licenciement de 1 117,38 euros net;
- 5 969,38 euros net de dommages intérêts en réparation du préjudice résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Disposé que les sommes allouées seront porteuses des intérêts de droit à compter de la demande en justice pour les montants à caractère salarial (date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation par la partie défenderesse, soit le 15 octobre 2020), à compter du prononcé par mise à disposition au greffe (soit le 27 mai 2022) pour les dommages et intérêts,
- Débouté Mme [G] de sa demande de réparation d'un préjudice moral,
- Débouté Mme [G] de ses autres demandes,
- Débouté la SA Hemarina de toutes ses demandes,
- Enjoint la SA Hemarina de remettre à Mme [G], le bulletin de salaire et les documents de fins de contrat de travail rectifiés.
- Rappelé l'exécution provisoire de droit (article R 1454-28 du code du travail) à laquelle sera assorti le présent jugement,
- Laissé les dépens à la charge de chacune des parties pour ceux par elles exposés.
***
La SA Hemarina a interjeté appel de la décision par déclaration au greffe en date du 1er juin 2022.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 1er septembre 2022, la SA Hemarina demande à la cour de :
A titre principal :
- Infirmer le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement de Mme [G] sans cause réelle et sérieuse et condamné la SA Hemarina à lui verser diverses sommes à ce titre;
- Débouter Mme [G] de l'intégralité de ses demandes ;
- Condamner Mme [G] à rembourser à la SA Hemarina les sommes suivantes :
- 1 703,77 euros à titre de salaire sur mise à pied conservatoire;
- 170,37 euros à titre de congés payés afférents au salaire sur mise à pied conservatoire ;
- 8 939,07 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis;
- 893,90 euros à titre de congés payés sur préavis ;
- 1 227,38 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;
- 718,89 euros au titre de l'intérêt au taux légal ;
- Condamner Mme [G] à verser à la SA Hemarina la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
- Condamner Mme [G] à verser à la SA Hemarina la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner Mme [G] aux entiers dépens.
A titre subsidiaire :
- Infirmer le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement de Mme [G] sans cause réelle et sérieuse et condamné la SA Hemarina à lui verser diverses sommes à ce titre;
- Limiter l'indemnité compensatrice de préavis à la somme de 8 100 euros bruts, outre 810 euros bruts au titre des congés payés afférents ;
- Limiter l'indemnité légale de licenciement à la somme de 985,50 euros ;
- Débouter Mme [G] du surplus de ses demandes ;
- Condamner Mme [G] à rembourser à la SA Hemarina les sommes suivantes :
- 1 703,77 euros à titre de salaire sur mise à pied conservatoire;
- 170,37 euros à titre de congés payés afférents au salaire sur mise à pied conservatoire ;
- 839,07 euros à titre de trop-versé sur l'indemnité compensatrice de préavis ;
- 83,90 euros à titre de trop-versé sur les congés payés sur préavis ;
- 241,88 euros à titre de trop-versé sur l'indemnité légale de licenciement ;
- Condamner Mme [G] à verser à la SA Hemarina la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner Mme [G] aux entiers dépens.
A titre très subsidiaire :
- Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SA Hemarina au paiement de la somme de 5 969,38 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- Limiter l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse allouée à Mme [G] à la somme de 2 700 euros bruts ;
- Débouter Mme [G] du surplus de ses demandes ;
- Condamner Mme [G] à rembourser à la SA Hemarina les sommes suivantes :
- 1 703,77 euros à titre de salaire sur mise à pied conservatoire;
- 170,37 euros à titre de congés payés afférents au salaire sur mise à pied conservatoire ;
- Condamner Mme [G] à verser à la SA Hemarina la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner Mme [G] aux entiers dépens.
En tout état de cause :
- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [G] de sa demande à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 28 novembre 2022, Mme [G] demande à la cour de :
- Confirmer le jugement ;
- Débouter la SA Hemarina de l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions; - Condamner la SA Hemarina à lui verser 5 000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens.
***
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 26 novembre 2024 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 2 décembre 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement pour faute grave
L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse. La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail. La faute grave privative du préavis prévu à l'article L. 1234-1 du même code est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
Elle suppose une réaction rapide de l'employeur, qui doit engager la procédure de licenciement dans un délai restreint, dès lors qu'il a connaissance des fautes et qu'aucune vérification n'est nécessaire.
La charge de la preuve de la faute grave repose exclusivement sur l'employeur.
Aux termes de la lettre de licenciement du 19 septembre 2020 qui fixe les limites du litige, l'employeur reproche à Mme [G] les manquements suivants :
- des absences non autorisées de son poste de travail
- la diffusion et la destruction des données confidentielles de l'entreprise.
1 - sur les absences non autorisées de son poste de travail
Il ne fait pas débat que Mme [G], domiciliée à [Localité 5], travaillait en qualité de Responsable Assurance Qualité du site de la Ferme Marine de Noirmoutier depuis son recrutement le 1er avril 2019 ; qu'elle occupait un poste, nouvellement créé lors de la mise en place et le suivi de l'assurance qualité sur le site de Noirmoutier, implanté à 400 km du siège social de la société Hemarina;
que la salariée était placée sous l'autorité hiérarchique de son mari, M.[O] [G], occupant le poste de Responsable Assurance Qualité et Affaires réglementaires dont le poste de travail était situé au siège social.
La société Hemarina fait valoir que :
- la salariée, Responsable Qualité du Site de Noimoutier, affectée à la Ferme Marine était assujettie à l'horaire collectif de l'entreprise en tant que cadre non autonome.
- l'employeur a été informé que Mme [G] s'absentait régulièrement de son poste de travail antérieurement à la Charte du Télétravail mise en place en septembre 2020 ;
- la salariée justifiait ses absences auprès des autres salariés par un aménagement de temps de travail en télétravail, sous couvert de l'accord de M. [P] , Directeur adjoint et DRH, et du Président M.[Y], alors que le dirigeant, travaillant au sein du Laboratoire de [Localité 4], était maintenu dans l'ignorance totale de cette organisation et avait déjà refusé le Télétravail avant la Charte mise en oeuvre en septembre 2020,
- l'activité de la salariée n'était pas par nature télétravaillable alors qu'elle ne pouvait pas concrètement s'assurer de la mise en oeuvre des règles sans être présente sur le site.
- Mme [G] ne justifie pas avoir obtenu une autorisation conforme aux dispositions de l'article L 1222-9 du code du travail auprès de M.[P] qui seul disposait d'une délégation de pouvoirs en matière de ressources humaines.
- l'employeur a découvert le 28 août 2020 que la salariée consacrait, sans l'en informer ni solliciter un congé, du temps de travail à des séances de formations durant les années 2019 et 2020 et à la constitution de son dossier de validation des acquis de l'expérience (vae)
- le conseil de prud'hommes a considéré à tort que le recours au télétravail en dehors de tout cadre légal n'était pas fautif, la présence permanente de la salariée n'étant pas impérative.
Mme [G] s'étonne de ce grief alors que :
- elle était autorisée à télétravailler par son supérieur hiérarchique direct, par ailleurs son mari, et par le Directeur général adjoint M.[P],
- son emploi de Responsable qualité du site de Noirmoutier était télétravaillable puisqu'il lui appartenait de réaliser des audits, et pas de s'occuper de l'élevage des vers marins.
- son employeur savait qu'elle télétravaillait puisqu'elle signalait ses jours de présence sur le site ,
- il n'est pas démontré que son télétravail a perturbé le bon fonctionnement de l'entreprise.
- elle conteste s'être absentée de son travail le 10 juillet 2020 pour suivre un examen, qui s'est tenu en visioconférence, et avoir rédigé son dossier de VAE pendant son travail.
Pour soutenir que la salariée s'est délibérément affranchie de l'organisation collective du travail et a profité de ses absences pour se consacrer à un projet personnel durant son temps de travail, la société Hemarina verse aux débats:
- ses contrats de travail fixant le lieu de travail de la salariée sur le site de la Ferme marine de Noirmoutier, sur la base de l'horaire collectif de 39 heures par semaine,
- le témoignage de M.[X] , Responsable du site de production aquacole, tout en rappelant qu'il n'exerçait aucune autorité hiérarchique à l'égard de Mme [G] Responsable Qualité 'détachée' sur la ferme marine depuis avril 2019, il avait constaté que la présence de celle-ci était 'très irrégulière, passant de 5 jours par semaine dans ses débuts à la Ferme à 2-3 jours puis à une journée durant le confinement lié au Covid. Il a ajouté que la salariée, joignable par téléphone, avait placé un calendrier au mur de son bureau sur lequel elle notait ses présences au mois le mois'. Elle expliquait que domiciliée à [Localité 5], elle avait un enfant handicapé exigeant la présence permanente de l'un des deux parents et que M.[P] DRH était informé de cet arrangement avec l'assentiment de M.[Y] , Président.
- les documents se rapportant au dossier de Validation des Acquis de l'Expérience ( VAE) déposé en 2019 par Mme [G] auprès de l'Université de [Localité 7] et présenté le 10 juillet 2020 en vue de l'obtention du diplôme de Licence Professionnelle Animateur Qualité Sécurité Environnement.
Les documents regroupent, outre la présentation du dossier ( 161 pages / pièce 16), le calendrier des prestations d'accompagnement suivies par la salariée à concurrence de 22 heures ( 19 heures juin à décembre 2019 et 3 heures de janvier à juin 2020),
- sa réservation d'une visioconférence prévue le 10 juillet 2010 à 10 H30 et durant 3 heures de sa présentation de son dossier VAE au jury en visioconférence,
- un échange de courriels le 6 décembre 2019 à 15h29 avec son mari M.[G] faisant apparaître que la salariée venait de terminer la rédaction d'un document en lien avec la VAE.
- les demandes de congés de Mme [G] et les plannings de congés durant les mois de mai 2019 à août 2019, de décembre 2019 à janvier 2020, la semaine du 6 mars 2020 et deux semaines à compter du 27 juillet 2010.
- les bulletins de salaires faisant mention de congés payés de deux semaines en août 2019 et d'une semaine en décembre 2019,
- la charte de Télétravail en date du 20 juillet 2020, mise en place à compter du 1er septembre 2020 et comportant des modifications dans sa version mise à jour le 30 novembre 2020.
- le témoignage de M.[U], Responsable Préchimique travaillant au siège social de l'entreprise, expliquant que le dirigeant M.[Y] lui avait opposé plusieurs refus à sa demande de télétravail lors de son recrutement en janvier 2019, que la possibilité de télétravail ne lui a été offerte que depuis la Charte de septembre 2020.
- la lettre de licenciement pour faute grave notifiée le 19 septembre 2020 à M.[P], Directeur Général adjoint et DRH de la société Hemarina en raison de manquements à son obligation de loyauté, de détournement des moyens de l'entreprise dans son intérêt personnel et de divulgation d'informations couvertes par le secret professionnel.
La salariée expliquant ses absences régulières à son poste de travail par du télétravail, verse aux débats :
- ses contrats de travail.
- sa fiche de poste, signée le 25 août 2019 par la salariée et par son supérieur hiérarchique, M.[O] [G], son mari.
- l'attestation délivrée le 6 octobre 2020 par M.[O] [G] selon lequel'Mme [G] disposait bien de l'autorisation d'exercer son activité en télétravail lorsque nécessaire et ce notamment du fait des conditions de travail de la Ferme marine ainsi que des capacités informatiques et de débit internet du site ne permettant pas une utilisation optimale du serveur informatique; que Mme [G] a reçu pour dotation un ordinateur portable et un téléphone portable ainsi qu'un accès au VPN de la société Hermarina. Si la Direction n'avait pas accepté le télétravail et avait imposé une présence sur site en permanence, elle aurait reçu un ordinateur fixe et une ligne téléphonique fixe comme c'est le cas des autres collaborateurs. Cette disposition a été prise lors de l'embauche de Mme [G] en CDD en avril 2019 et la Direction d'Hemarina en avait totalement connaissance lors de son passage en CDI en mars 2020 à la demande de M.[Y], PDG.
Mme [G] disposait de l'autorisation de son supérieur hiérarchique - M.[G] lui-même- et de celle ce M.[P] Directeur Général adjoint er Responsable des ressources humaines.
M.[G] considère qu'avant la Charte du 24 juillet 2020 réglementant le télétravail au sein de l'entreprise, l'organigramme hiérarchique prévalait de sorte qu'il n'était pas nécessaire d'obtenir l'accord de la Direction pour le télétravail d'un salarié.
A son retour de congé le 17 août 2020, Mme [G] n'étant pas éligible au télétravail selon la nouvelle Charte entrée en vigueur, s'est rendue tous les jours sur site jusqu'au 31 août 2020, date à laquelle elle a reçu sa convocation pour licenciement .'
L'article L 1222-9 du code du travail relatif au télétravail dispose qu'en l'absence d'accord collectif ou de charte lorsque le salarié et l'employeur conviennent de recourir au télétravail, ils formalisent leur accord par tout moyen.
Pour la période antérieure au mois d'août 2020, Mme [G] dont il est constant qu'elle n'avait formalisé aucun accord de télétravail avec son employeur au sens de l'article L 1222-9 du code du travail et qu'elle devait respecter les dispositions contractuelles de fixation de son lieu de travail dans la ferme marine de Noirmoutier ainsi que l'horaire collectif de l'entreprise de 39 heures en tant que cadre non autonome, a toutefois bénéficié d'une tolérance pour télétravailler de sa hiérarchie directe, en l'espèce de son propre mari et de M.[P] Directeur adjoint et DRH; la salariée affichait ainsi dans son bureau le planning de ses jours de présence sur le site, mois par mois, sous couvert d'un accord de la Direction. Cet arrangement perdurant depuis de nombreux mois au vu et au su des autres salariés du site, grâce à sa hiérarchie directe et à M.[P] dont il n'est pas contesté qu'il disposait d'une délégation de pouvoirs en matière de ressources humaines l'habilitant à représenter l'employeur, est opposable à la société Hemarina. La société appelante n'est donc pas fondée à reprocher à la salariée de télétravailler à partir de son domicile nantais au regard de la tolérance dont elle a bénéficié depuis de nombreux mois.
Concernant la période ultérieure à compter du 17 août 2020, la salariée soutient, sans être démentie, qu'elle s'est rendue tous les jours sur son poste de travail dans la ferme marine de Noirmoutier, son emploi n'étant pas éligible au télétravail aux termes de la Charte de Télétravail nouvellement créée au sein de l'entreprise et applicable à compter du 1er septembre 2020.
En revanche, comme l'employeur le soutient à juste titre, la salariée ne démontre pas avoir informé son employeur et obtenu l'autorisation de ce dernier pour se consacrer durant ses jours et son temps de travail à des travaux personnels en vue de la validation d'un diplôme lors de séances de formation et d'accompagnement les 1er juin (1 heure) et 24 juin 2020 (1 heure) et lors d'un entretien en visio conférence avec un jury d'examen universitaire le 10 juillet 2020 à 10 h30 durant 3 heures.
L'employeur rapporte ainsi la preuve que Mme [G] a manqué à son obligation contractuelle d'exécution de son contrat de travail en se consacrant à des activités étrangères à l'exécution de son contrat de travail durant son temps de travail, sans avoir sollicité ni obtenu de congé permettant de couvrir ses absences durant ces périodes.
Le grief est donc matériellement établi.
Sur la diffusion et la destruction des données confidentielles de l'entreprise
Concernant la diffusion des données de la société Hemarina, l'employeur soutient que Mme [G] a présenté dans un rapport personnel déposé auprès de l'université de [8] des données extraites de fichiers informatiques de son employeur dont le caractère confidentiel est établi.
L'employeur verse aux débats :
- le rapport établi par Mme [G] ,de plus de 160 pages, en vue de sa transmission à l'Université dont le jury s'est réuni le 10 juillet 2020.
- les attestations de deux collègues de travail Mme [I] et Mme [E] confirmant que le dossier de VAE ouvert le 3 juin 2019 par Mme [G] contient des extractions de documents Hemarina pour lesquels aucune demande d'autorisation écrite n'a été obtenu , s'agissant de photographies issues du manuel Hemarina, d'extraits d'une spécification technique , de la gestion des risques process , en dépit des mentions figurant sur les documents ' propriété de la société Hemarina'
- la Charte informatique dans sa version mise à jour au 15 septembre 2016 stipulant :
- des droits de propriété de son employeur mentionnés dans les articles 4.1 et 4.2 de la Charte informatique concernant le matériel, les bases de données et autres informations y compris programmes informatiques, les ressources informatiques restant la propriété de l'entreprise ' le salarié s'interdisant de faire des copies ou reproductions sur quelque support que ce soit pour son usage personnel ou tout autre usage sauf autorisation expresse de la société Hemarina', concernant les bases de données et autres informations, les ressources informatiques ( pièce 11).
- des règles d'utilisation, de sécurité et de bon usage édictées dans la charte informatique, en son article 4.8 .
- son contrat de travail en son article 10, Clause de confidentialité selon laquelle 'la salariée est tenue à une obligation de discrétion et de secret professionnel pour tout ce qui a trait aux ' Informations confidentielles d'Hemarina et dont elle aura connaissance du fait de ses activités. L'expression 'informations confidentielles' signifie toute information appartenant à Hemarina, données techniques, secrets de fabrique ou savoir-faire y compris notamment toute information concernant les recherches, projets, études, méthodologies, produits, analyses, services, informations concernant les partenaires, clients et prospects(..), marchés, réalisations,développements, inventions, procédés, formules, technologies, ingénierie, architecture et configuration du matériel, marketing, finance ou toute autre information commerciale qui auront été révélées à la salariée par Hemarina à l'occasion de l'exécution de ses fonctions et/ou pendant la durée du contrat .(..) La salariée reconnaît que la divulgation d'informations confidentielles est de nature à porter préjudice aux intérêts d'Hemarina . En conséquence, la salariée s'engage à ne communiquer à qui que ce soit aucune information confidentielle et à plus forte raison à ne pas utiliser pour son compte personnel ou le pour le compte de tiers les connaissances acquises à leur sujet.
Toute violation de la présente clause constitue une faute grave justifiant un licenciement immédiat sans indemnité.(..)'.
Mme [G] se borne à soutenir que les témoignages de Mme [I] et de Mme [E] sont identiques comme s'ils avaient été dictés et que son employeur était parfaitement informé de ce que la salariée avait entamé une VAE avec l'université de [Localité 7] pour avoir le niveau Licence Professionnel ; qu'elle était suivie à distance par une accompagnatrice et rendait compte de la diffusion des documents à son mari pour qu'il évalue la criticité des informations données pour ne pas porter préjudice à l'entreprise; que les informations figurant dans les documents sont normées, de sorte qu'il convient d'expliquer en quoi elles seraient critiques pour l'entreprise ; qu'au surplus, un stagiaire en BTS avait déjà utilisé des documents sans opposition de la société Hemarina.
Il résulte des pièces produites que Mme [G] a présenté le 10 juillet 2020 au jury d'examen de l'Université [8] un dossier personnel dans le cadre d'une VAE en vue de l'obtention d'une licence professionnelle et a transmis à l'appui de sa demande, un dossier complet de plus de 160 pages, intégrant des photographies, des plans du site de la ferme marine, des formulaires techniques de produits chimiques, et plus généralement des documents de travail issus de la société Hemarina, auxquels elle a accès dans le cadre de l'exécution de son activité professionnelle; qu'elle ne justifie pas avoir informé son employeur de l'utilisation à des fins personnelles des documents reproduits dans son dossier de VAE et transmis à des tiers. La diffusion et l'exploitation de ces données appartenant à son employeur, sans l'autorisation expresse de ce dernier, constitue une violation flagrante de la clause de confidentialité par la salariée.
Sous couvert de l'affirmation selon laquelle son mari en tant que supérieur hiérarchique aurait validé cette diffusion , ce dont elle ne justifie pas au demeurant étant précisé que M.[G] ne bénéficiait d'aucune délégation de pouvoir pour se substituer à l'employeur à ce titre, et qu'un ancien stagiaire étudiant en BTS aurait également reproduit des données de l'entreprise 'qui n'aurait pas fait de difficulté', Mme [G] ne saurait s'affranchir de ses propres obligations contractuelles alors que, soumise à la clause de confidentialité figurant dans son contrat de travail, elle ne justifie d'aucun accord explicite de la Direction pour divulguer à des tiers les données appartenant à l'entreprise, alors qu'elle n'ignorait pas de surcroît, en sa qualité de cadre responsable qualité d'un des sites de l'entreprise, l'importance de la dite clause au regard de l'activité de la société Hemarina, spécialisée dans un domaine scientifique novateur en vue du développement de produits de santé susceptibles de constituer des innovations thérapeutiques pour le traitement de diverses affections.
Aucun élément objectif ne permet de remettre en cause les constatations personnelles de ses collègues, Mmes [I] et de [E], dont les témoignages rédigés dans des termes distincts sont non équivoques quant à la nature confidentielle des données divulguées par Mme [G] en méconnaissance du droit de propriété de l'entreprise.
Le grief de la divulgation non autorisée de données confidentielles de l'entreprise est ainsi caractérisé.
Concernant la destruction de données confidentielles de l'entreprise, la société Hemarina fait valoir que Mme [G] juste avant d'être convoquée à l'entretien préalable fixé le 1er septembre, s'est empressée de détruire le 28 août 2020 des données confidentielles sur sa messagerie professionnelle.
Elle verse à l'appui l'attestation de [D][S] prestataire de la société informatique, mandaté par l'employeur pour cloner la messagerie professionnelle de Mme [G], lequel a constaté le 28 août 2020 que la messagerie avait été quasiment vidée par son utilisatrice; qu'il a procédé sur la demande du dirigeant M.[Y] à la restauration des messages supprimés et affacés par l'utilisatrice ce qui lui a permis de récupérer plusieurs centaines de messages échangés sur la période contractuelle de 16 mois.
Affirmant dans un premier temps que rien ne lui interdisait de détruire ses mails avant de soutenir qu'elle n'était pas à l'origine de la destruction totale de ses messages, Mme [G] dont les allégations fluctuantes sont difficilement crédibles, ne fournit aucune explication sérieuse au fait que 99 % des messages se trouvant dans sa messagerie professionnelle depuis sa prise de poste en avril 2019 ont été supprimés et effacés à la fin du mois d'août 2020 et ce en méconnaissance de son obligation de préserver des données appartenant à l'entreprise selon la charte informatique. La cour observe au surplus que , depuis son retour de congé le 17 août 2020, Mme [G] n'a signalé à aucun moment auprès de son employeur avant le 28 août 2020 la disparition brutale et inexpliquée des données se trouvant dans sa messagerie professionnelle.
En l'absence de l'autorisation préalable de son employeur, le fait pour Mme [G] , à la veille d'un entretien préalable à son licenciement, de détruire de manière délibérée l'ensemble des données contenues dans sa messagerie professionnelle, s'analyse comme un manquement à son obligation d'exécuter de bonne foi son contrat de travail et comme la violation de son engagement de préserver les informations de nature à assurer la poursuite de l'activité de l'entreprise.
Compte tenu de son emploi de cadre travaillant dans une entreprise bénéficiant d'un dispositif de protection du potentiel scientifique et technique de la Nation, Mme [G] a adopté des manquements répétés aux obligations résultant de son contrat de travail rendant impossible son maintien dans l'entreprise durant la période de préavis.
Elle sera en conséquence déboutée de ses demandes liées à la rupture de son contrat de travail , notamment de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse , d'indemnité légale de licenciement , d'indemnité compensatrice de préavis et de rappel de salaire durant sa mise à pied conservatoire, par voie d'infirmation du jugement.
Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral
La société Hemarina demande la confirmation du jugement ayant rejeté la demande de Mme [G] de dommages et intérêts pour préjudice moral.
La salariée n'ayant pas formé appel incident des dispositions du jugement ayant rejeté sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, il n'y a pas lieu de se prononcer de ce chef.
Sur la demande reconventionnelle de la société Hemarina pour procédure abusive
L'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à des dommages-intérêts qu'en cas de malice, mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol.
La société Hemarina dénonce un recours abusif de la salariée à poursuivre sur le plan judiciaire son employeur alors qu'elle a manqué à ses obligations contractuelles les plus élémentaires à l'égard de son employeur dont l'activité a justifié la protection de l'Eat avec un classement en zone à régime restrictif.
Toutefois, aucun élément ne permet de caractériser le caractère abusif du droit d'ester en justice de Mme [G], quand bien même son appel se solde par un échec après avoir obtenu gain de cause devant les premiers juges. La demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive sera rejetée par voie de confirmation du jugement.
Sur les autres demandes et les dépens
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société Hemarina les frais non compris dans les dépens en appel. Mme [G] sera condamnée à lui payer la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, le jugement déféré étant infirmé en ses dispositions relatives de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [G] qui sera déboutée de sa demande d'indemnité de procédure sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
- Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société Hemarina de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
- Dit que le licenciement de Mme [G] pour faute grave était justifiée
- Déboute Mme [G] de l'ensemble de ses demandes.
- Condamne Mme [G] à payer à la SA Hemarina la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamne Mme [G] aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier Le Président
ARRÊT N°86/2025
N° RG 22/03425 - N° Portalis DBVL-V-B7G-SZSK
S.A. HEMARINA
C/
Mme [A] [N] épouse [G]
RG CPH : 20/00029
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MORLAIX
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Copie certifiée conforme délivrée
le:
à:
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 13 MARS 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 02 Décembre 2024 devant Madame Isabelle CHARPENTIER, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
En présence de Madame [M], médiateur judiciaire,
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 13 Mars 2025 par mise à disposition au greffe, date à laquelle a été prorogé le délibéré initialement fixé au 06 Février 2025 puis au 6 Mars 2025
****
APPELANTE :
S.A. HEMARINA
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par son dirigeant Monsieur [Y], assisté de Me Alexandra LORBER LANCE de la SELARL CAPSTAN LMS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Audrey BELMONT, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
Madame [A] [N] épouse [G]
née le 23 Novembre 1975 à [Localité 2]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Richard FILIPIAK de la SELARL FILIPIAK LACOSTE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de POITIERS
EXPOSÉ DU LITIGE
La SA Hemarina, présidée par son fondateur M.[K] [Y], exploite un laboratoire biopharmaceutique menant des recherches afin de développer des produits de santé susceptibles de constituer des innovations thérapeutiques pour le traitement de diverses affections. Les recherches ont pour objectif d'exploiter les propriétés d'un ver marin (molécules d'hémoglobines) dans des applications thérapeutiques et industrielles, comme le transport de greffons ou le traitement d'affections respiratoires.
La société dont le siège social est fixé à [Localité 4] (29) exploite une ferme marine sur l'île de Noirmoutier (85) où elle élève les vers marins.
La ferme marine et le site de [Localité 4] bénéficient du fait de l'intérêt fondamental de leurs travaux scientifiques d'un classement par l'Etat en zone Régime Restrictif ( ZRR) créé par arrêté ministériel du 12 septembre 2019, au titre du dispositif de protection du potentiel scientifique et technique de la Nation ( PPST).
La société Hemarina applique la convention collective de la fabrication et commerce de produits à usage pharmaceutique, parapharmaceutique et produits vétérinaire et emploie plus de 11 salariés (22 au 31 décembre 2019).
Le 1er avril 2019, Mme [A] [G] a été embauchée en qualité de 'Responsable Qualité du site de Noirmoutier' , statut cadre niveau 5, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée par la SA Hemarina jusqu'au 30 septembre 2019, en raison d'un accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise lié à la mise en place et au suivi de l'assurance qualité sur le site de Noirmoutier.
Son lieu de travail était fixé à la Ferme Marine de Noirmoutier, à [Localité 3] (85)
Le 1er octobre 2019, les parties ont conclu un second contrat à durée déterminée jusqu'au 31 mars 2020.
Le 1er avril 2020, elles ont régularisé un contrat de travail à durée indéterminée.
Le 1er septembre 2020, Mme [G] a été convoquée à un entretien préalable à licenciement fixé le 11 septembre suivant avec mise à pied à titre conservatoire.
Le 19 septembre 2020, Mme [G] s'est vue notifier son licenciement pour faute grave dans un courrier ainsi libellé :
« Vous avez pour mission de veiller à la bonne application, par nos différents services, des normes et procédures définies par l'entreprise et de participer à leur amélioration, afin de garantir la qualité et l'efficience de nos méthodes de travail et de nos produits.
Votre fonction est essentielle à l'activité biopharmaceutique de notre entreprise compte tenu de ses enjeux
sanitaires majeurs et ce, tout particulièrement en cette période où notre entreprise pourrait mener des tests cliniques dans le cadre de la lutte thérapeutique contre l'épidémie de Covid-19.
Compte tenu de votre mission, justifiant au demeurant l'attribution du statut de Cadre, vous êtes tenue par une obligation particulière de loyauté à l'égard de notre entreprise.
Or, nous avons découvert que vous avez manqué gravement à cette obligation à de multiples occasions, notamment :
a) Nous avons été informés que vous vous absentiez régulièrement de votre poste de travail, sans que ces absences n'aient été autorisées par notre entreprise ni ne soient justifiées par la réalisation de votre travail pour le compte d'HEMARINA.
Ces absences ont été constatées par plusieurs de vos collègues de travail, notamment lorsqu'ils ont tenté d'organiser des réunions auxquelles votre participation était requise. Vos collègues se sont interrogés légitimement sur vos allées et venues qui semblaient bénéficier d'une certaine complaisance, voire protection, de la part de votre supérieur hiérarchique, qui s'avère également être votre époux, Monsieur [O] [G].
Vous vous êtes ainsi affranchie des règles d'organisation du travail qui vous étaient applicables, alors même que votre fonction vous amène à contrôler leur bonne application par les autres.
b) Vous avez supprimé et/ou exporté de votre messagerie professionnelle tous les échanges et toutes les analyses qualité auxquelles vous avez participé et qui sont la propriété d'HEMARINA.
Ces échanges contiennent des données stratégiques de traçabilité de notre entreprise que vous avez sciemment détruites.
Leur suppression comme leur exportation à l'extérieur de notre société matérialisent une violation des règles en vigueur au sein de notre société, dont vous deviez, là encore, veiller à la bonne application.
De tels agissements sont en outre susceptibles d'être extrêmement préjudiciables à HEMARINA compte
tenu de son activité hautement concurrentielle, exposée à un risque important d'espionnage industriel. »
***
Mme [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Morlaix par requête en date du 13 octobre 2020 afin de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et de voir condamner la SA Hemarina à lui verser notamment :
- 1703,77 euros brut au titre du rappel de salaire durant la mise à pied et les congés payés afférents,
- 8 939,07 euros brut au titre de l'indemnité de préavis (3mois) et les congés payés afférents,
- 1 117,38 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement
- 5969,38 euros de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (2 mois);
- 12 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral.
La SA Hemarina a demandé au conseil de prud'hommes de :
A titre principal :
- Débouter Mme [G] de l'intégralité de ses demandes à titre subsidiaire :
- Limiter l'indemnité compensatrice de préavis à la somme de 8100 euros bruts, outre les congés payés afférents,
- Limiter l'indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 985,50 euros,
- Débouter Mme [G] du surplus de ses demandes à titre très subsidiaire :
- Limiter l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 24249 euros bruts ;
- Débouter Mme [G] du surplus de ses demandes :
A titre reconventionnel :
- Condamner Mme [G] à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive, et 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par jugement en date du 27 mai 2022, le conseil de prud'hommes de Morlaix a :
- Rejeté les notes en délibéré des 11 mars 2022 et 7 avril 2022 déposées par Mme [G];
- Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- Condamné la SA Hemarina à payer à Mme [G] :
- le salaire de la mise à pied conservatoire pour 1 703,77 euros brut, ainsi que 170,37 euros brut au titre des congés payés afférents ;
- une indemnité compensatrice de préavis de 8 939,07 euros brut, ainsi que 893,90 euros brut au titre des congés payés y afférents ;
- une indemnité de licenciement de 1 117,38 euros net;
- 5 969,38 euros net de dommages intérêts en réparation du préjudice résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Disposé que les sommes allouées seront porteuses des intérêts de droit à compter de la demande en justice pour les montants à caractère salarial (date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation par la partie défenderesse, soit le 15 octobre 2020), à compter du prononcé par mise à disposition au greffe (soit le 27 mai 2022) pour les dommages et intérêts,
- Débouté Mme [G] de sa demande de réparation d'un préjudice moral,
- Débouté Mme [G] de ses autres demandes,
- Débouté la SA Hemarina de toutes ses demandes,
- Enjoint la SA Hemarina de remettre à Mme [G], le bulletin de salaire et les documents de fins de contrat de travail rectifiés.
- Rappelé l'exécution provisoire de droit (article R 1454-28 du code du travail) à laquelle sera assorti le présent jugement,
- Laissé les dépens à la charge de chacune des parties pour ceux par elles exposés.
***
La SA Hemarina a interjeté appel de la décision par déclaration au greffe en date du 1er juin 2022.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 1er septembre 2022, la SA Hemarina demande à la cour de :
A titre principal :
- Infirmer le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement de Mme [G] sans cause réelle et sérieuse et condamné la SA Hemarina à lui verser diverses sommes à ce titre;
- Débouter Mme [G] de l'intégralité de ses demandes ;
- Condamner Mme [G] à rembourser à la SA Hemarina les sommes suivantes :
- 1 703,77 euros à titre de salaire sur mise à pied conservatoire;
- 170,37 euros à titre de congés payés afférents au salaire sur mise à pied conservatoire ;
- 8 939,07 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis;
- 893,90 euros à titre de congés payés sur préavis ;
- 1 227,38 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;
- 718,89 euros au titre de l'intérêt au taux légal ;
- Condamner Mme [G] à verser à la SA Hemarina la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
- Condamner Mme [G] à verser à la SA Hemarina la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner Mme [G] aux entiers dépens.
A titre subsidiaire :
- Infirmer le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement de Mme [G] sans cause réelle et sérieuse et condamné la SA Hemarina à lui verser diverses sommes à ce titre;
- Limiter l'indemnité compensatrice de préavis à la somme de 8 100 euros bruts, outre 810 euros bruts au titre des congés payés afférents ;
- Limiter l'indemnité légale de licenciement à la somme de 985,50 euros ;
- Débouter Mme [G] du surplus de ses demandes ;
- Condamner Mme [G] à rembourser à la SA Hemarina les sommes suivantes :
- 1 703,77 euros à titre de salaire sur mise à pied conservatoire;
- 170,37 euros à titre de congés payés afférents au salaire sur mise à pied conservatoire ;
- 839,07 euros à titre de trop-versé sur l'indemnité compensatrice de préavis ;
- 83,90 euros à titre de trop-versé sur les congés payés sur préavis ;
- 241,88 euros à titre de trop-versé sur l'indemnité légale de licenciement ;
- Condamner Mme [G] à verser à la SA Hemarina la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner Mme [G] aux entiers dépens.
A titre très subsidiaire :
- Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SA Hemarina au paiement de la somme de 5 969,38 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- Limiter l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse allouée à Mme [G] à la somme de 2 700 euros bruts ;
- Débouter Mme [G] du surplus de ses demandes ;
- Condamner Mme [G] à rembourser à la SA Hemarina les sommes suivantes :
- 1 703,77 euros à titre de salaire sur mise à pied conservatoire;
- 170,37 euros à titre de congés payés afférents au salaire sur mise à pied conservatoire ;
- Condamner Mme [G] à verser à la SA Hemarina la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner Mme [G] aux entiers dépens.
En tout état de cause :
- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [G] de sa demande à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 28 novembre 2022, Mme [G] demande à la cour de :
- Confirmer le jugement ;
- Débouter la SA Hemarina de l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions; - Condamner la SA Hemarina à lui verser 5 000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens.
***
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 26 novembre 2024 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 2 décembre 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement pour faute grave
L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse. La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail. La faute grave privative du préavis prévu à l'article L. 1234-1 du même code est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
Elle suppose une réaction rapide de l'employeur, qui doit engager la procédure de licenciement dans un délai restreint, dès lors qu'il a connaissance des fautes et qu'aucune vérification n'est nécessaire.
La charge de la preuve de la faute grave repose exclusivement sur l'employeur.
Aux termes de la lettre de licenciement du 19 septembre 2020 qui fixe les limites du litige, l'employeur reproche à Mme [G] les manquements suivants :
- des absences non autorisées de son poste de travail
- la diffusion et la destruction des données confidentielles de l'entreprise.
1 - sur les absences non autorisées de son poste de travail
Il ne fait pas débat que Mme [G], domiciliée à [Localité 5], travaillait en qualité de Responsable Assurance Qualité du site de la Ferme Marine de Noirmoutier depuis son recrutement le 1er avril 2019 ; qu'elle occupait un poste, nouvellement créé lors de la mise en place et le suivi de l'assurance qualité sur le site de Noirmoutier, implanté à 400 km du siège social de la société Hemarina;
que la salariée était placée sous l'autorité hiérarchique de son mari, M.[O] [G], occupant le poste de Responsable Assurance Qualité et Affaires réglementaires dont le poste de travail était situé au siège social.
La société Hemarina fait valoir que :
- la salariée, Responsable Qualité du Site de Noimoutier, affectée à la Ferme Marine était assujettie à l'horaire collectif de l'entreprise en tant que cadre non autonome.
- l'employeur a été informé que Mme [G] s'absentait régulièrement de son poste de travail antérieurement à la Charte du Télétravail mise en place en septembre 2020 ;
- la salariée justifiait ses absences auprès des autres salariés par un aménagement de temps de travail en télétravail, sous couvert de l'accord de M. [P] , Directeur adjoint et DRH, et du Président M.[Y], alors que le dirigeant, travaillant au sein du Laboratoire de [Localité 4], était maintenu dans l'ignorance totale de cette organisation et avait déjà refusé le Télétravail avant la Charte mise en oeuvre en septembre 2020,
- l'activité de la salariée n'était pas par nature télétravaillable alors qu'elle ne pouvait pas concrètement s'assurer de la mise en oeuvre des règles sans être présente sur le site.
- Mme [G] ne justifie pas avoir obtenu une autorisation conforme aux dispositions de l'article L 1222-9 du code du travail auprès de M.[P] qui seul disposait d'une délégation de pouvoirs en matière de ressources humaines.
- l'employeur a découvert le 28 août 2020 que la salariée consacrait, sans l'en informer ni solliciter un congé, du temps de travail à des séances de formations durant les années 2019 et 2020 et à la constitution de son dossier de validation des acquis de l'expérience (vae)
- le conseil de prud'hommes a considéré à tort que le recours au télétravail en dehors de tout cadre légal n'était pas fautif, la présence permanente de la salariée n'étant pas impérative.
Mme [G] s'étonne de ce grief alors que :
- elle était autorisée à télétravailler par son supérieur hiérarchique direct, par ailleurs son mari, et par le Directeur général adjoint M.[P],
- son emploi de Responsable qualité du site de Noirmoutier était télétravaillable puisqu'il lui appartenait de réaliser des audits, et pas de s'occuper de l'élevage des vers marins.
- son employeur savait qu'elle télétravaillait puisqu'elle signalait ses jours de présence sur le site ,
- il n'est pas démontré que son télétravail a perturbé le bon fonctionnement de l'entreprise.
- elle conteste s'être absentée de son travail le 10 juillet 2020 pour suivre un examen, qui s'est tenu en visioconférence, et avoir rédigé son dossier de VAE pendant son travail.
Pour soutenir que la salariée s'est délibérément affranchie de l'organisation collective du travail et a profité de ses absences pour se consacrer à un projet personnel durant son temps de travail, la société Hemarina verse aux débats:
- ses contrats de travail fixant le lieu de travail de la salariée sur le site de la Ferme marine de Noirmoutier, sur la base de l'horaire collectif de 39 heures par semaine,
- le témoignage de M.[X] , Responsable du site de production aquacole, tout en rappelant qu'il n'exerçait aucune autorité hiérarchique à l'égard de Mme [G] Responsable Qualité 'détachée' sur la ferme marine depuis avril 2019, il avait constaté que la présence de celle-ci était 'très irrégulière, passant de 5 jours par semaine dans ses débuts à la Ferme à 2-3 jours puis à une journée durant le confinement lié au Covid. Il a ajouté que la salariée, joignable par téléphone, avait placé un calendrier au mur de son bureau sur lequel elle notait ses présences au mois le mois'. Elle expliquait que domiciliée à [Localité 5], elle avait un enfant handicapé exigeant la présence permanente de l'un des deux parents et que M.[P] DRH était informé de cet arrangement avec l'assentiment de M.[Y] , Président.
- les documents se rapportant au dossier de Validation des Acquis de l'Expérience ( VAE) déposé en 2019 par Mme [G] auprès de l'Université de [Localité 7] et présenté le 10 juillet 2020 en vue de l'obtention du diplôme de Licence Professionnelle Animateur Qualité Sécurité Environnement.
Les documents regroupent, outre la présentation du dossier ( 161 pages / pièce 16), le calendrier des prestations d'accompagnement suivies par la salariée à concurrence de 22 heures ( 19 heures juin à décembre 2019 et 3 heures de janvier à juin 2020),
- sa réservation d'une visioconférence prévue le 10 juillet 2010 à 10 H30 et durant 3 heures de sa présentation de son dossier VAE au jury en visioconférence,
- un échange de courriels le 6 décembre 2019 à 15h29 avec son mari M.[G] faisant apparaître que la salariée venait de terminer la rédaction d'un document en lien avec la VAE.
- les demandes de congés de Mme [G] et les plannings de congés durant les mois de mai 2019 à août 2019, de décembre 2019 à janvier 2020, la semaine du 6 mars 2020 et deux semaines à compter du 27 juillet 2010.
- les bulletins de salaires faisant mention de congés payés de deux semaines en août 2019 et d'une semaine en décembre 2019,
- la charte de Télétravail en date du 20 juillet 2020, mise en place à compter du 1er septembre 2020 et comportant des modifications dans sa version mise à jour le 30 novembre 2020.
- le témoignage de M.[U], Responsable Préchimique travaillant au siège social de l'entreprise, expliquant que le dirigeant M.[Y] lui avait opposé plusieurs refus à sa demande de télétravail lors de son recrutement en janvier 2019, que la possibilité de télétravail ne lui a été offerte que depuis la Charte de septembre 2020.
- la lettre de licenciement pour faute grave notifiée le 19 septembre 2020 à M.[P], Directeur Général adjoint et DRH de la société Hemarina en raison de manquements à son obligation de loyauté, de détournement des moyens de l'entreprise dans son intérêt personnel et de divulgation d'informations couvertes par le secret professionnel.
La salariée expliquant ses absences régulières à son poste de travail par du télétravail, verse aux débats :
- ses contrats de travail.
- sa fiche de poste, signée le 25 août 2019 par la salariée et par son supérieur hiérarchique, M.[O] [G], son mari.
- l'attestation délivrée le 6 octobre 2020 par M.[O] [G] selon lequel'Mme [G] disposait bien de l'autorisation d'exercer son activité en télétravail lorsque nécessaire et ce notamment du fait des conditions de travail de la Ferme marine ainsi que des capacités informatiques et de débit internet du site ne permettant pas une utilisation optimale du serveur informatique; que Mme [G] a reçu pour dotation un ordinateur portable et un téléphone portable ainsi qu'un accès au VPN de la société Hermarina. Si la Direction n'avait pas accepté le télétravail et avait imposé une présence sur site en permanence, elle aurait reçu un ordinateur fixe et une ligne téléphonique fixe comme c'est le cas des autres collaborateurs. Cette disposition a été prise lors de l'embauche de Mme [G] en CDD en avril 2019 et la Direction d'Hemarina en avait totalement connaissance lors de son passage en CDI en mars 2020 à la demande de M.[Y], PDG.
Mme [G] disposait de l'autorisation de son supérieur hiérarchique - M.[G] lui-même- et de celle ce M.[P] Directeur Général adjoint er Responsable des ressources humaines.
M.[G] considère qu'avant la Charte du 24 juillet 2020 réglementant le télétravail au sein de l'entreprise, l'organigramme hiérarchique prévalait de sorte qu'il n'était pas nécessaire d'obtenir l'accord de la Direction pour le télétravail d'un salarié.
A son retour de congé le 17 août 2020, Mme [G] n'étant pas éligible au télétravail selon la nouvelle Charte entrée en vigueur, s'est rendue tous les jours sur site jusqu'au 31 août 2020, date à laquelle elle a reçu sa convocation pour licenciement .'
L'article L 1222-9 du code du travail relatif au télétravail dispose qu'en l'absence d'accord collectif ou de charte lorsque le salarié et l'employeur conviennent de recourir au télétravail, ils formalisent leur accord par tout moyen.
Pour la période antérieure au mois d'août 2020, Mme [G] dont il est constant qu'elle n'avait formalisé aucun accord de télétravail avec son employeur au sens de l'article L 1222-9 du code du travail et qu'elle devait respecter les dispositions contractuelles de fixation de son lieu de travail dans la ferme marine de Noirmoutier ainsi que l'horaire collectif de l'entreprise de 39 heures en tant que cadre non autonome, a toutefois bénéficié d'une tolérance pour télétravailler de sa hiérarchie directe, en l'espèce de son propre mari et de M.[P] Directeur adjoint et DRH; la salariée affichait ainsi dans son bureau le planning de ses jours de présence sur le site, mois par mois, sous couvert d'un accord de la Direction. Cet arrangement perdurant depuis de nombreux mois au vu et au su des autres salariés du site, grâce à sa hiérarchie directe et à M.[P] dont il n'est pas contesté qu'il disposait d'une délégation de pouvoirs en matière de ressources humaines l'habilitant à représenter l'employeur, est opposable à la société Hemarina. La société appelante n'est donc pas fondée à reprocher à la salariée de télétravailler à partir de son domicile nantais au regard de la tolérance dont elle a bénéficié depuis de nombreux mois.
Concernant la période ultérieure à compter du 17 août 2020, la salariée soutient, sans être démentie, qu'elle s'est rendue tous les jours sur son poste de travail dans la ferme marine de Noirmoutier, son emploi n'étant pas éligible au télétravail aux termes de la Charte de Télétravail nouvellement créée au sein de l'entreprise et applicable à compter du 1er septembre 2020.
En revanche, comme l'employeur le soutient à juste titre, la salariée ne démontre pas avoir informé son employeur et obtenu l'autorisation de ce dernier pour se consacrer durant ses jours et son temps de travail à des travaux personnels en vue de la validation d'un diplôme lors de séances de formation et d'accompagnement les 1er juin (1 heure) et 24 juin 2020 (1 heure) et lors d'un entretien en visio conférence avec un jury d'examen universitaire le 10 juillet 2020 à 10 h30 durant 3 heures.
L'employeur rapporte ainsi la preuve que Mme [G] a manqué à son obligation contractuelle d'exécution de son contrat de travail en se consacrant à des activités étrangères à l'exécution de son contrat de travail durant son temps de travail, sans avoir sollicité ni obtenu de congé permettant de couvrir ses absences durant ces périodes.
Le grief est donc matériellement établi.
Sur la diffusion et la destruction des données confidentielles de l'entreprise
Concernant la diffusion des données de la société Hemarina, l'employeur soutient que Mme [G] a présenté dans un rapport personnel déposé auprès de l'université de [8] des données extraites de fichiers informatiques de son employeur dont le caractère confidentiel est établi.
L'employeur verse aux débats :
- le rapport établi par Mme [G] ,de plus de 160 pages, en vue de sa transmission à l'Université dont le jury s'est réuni le 10 juillet 2020.
- les attestations de deux collègues de travail Mme [I] et Mme [E] confirmant que le dossier de VAE ouvert le 3 juin 2019 par Mme [G] contient des extractions de documents Hemarina pour lesquels aucune demande d'autorisation écrite n'a été obtenu , s'agissant de photographies issues du manuel Hemarina, d'extraits d'une spécification technique , de la gestion des risques process , en dépit des mentions figurant sur les documents ' propriété de la société Hemarina'
- la Charte informatique dans sa version mise à jour au 15 septembre 2016 stipulant :
- des droits de propriété de son employeur mentionnés dans les articles 4.1 et 4.2 de la Charte informatique concernant le matériel, les bases de données et autres informations y compris programmes informatiques, les ressources informatiques restant la propriété de l'entreprise ' le salarié s'interdisant de faire des copies ou reproductions sur quelque support que ce soit pour son usage personnel ou tout autre usage sauf autorisation expresse de la société Hemarina', concernant les bases de données et autres informations, les ressources informatiques ( pièce 11).
- des règles d'utilisation, de sécurité et de bon usage édictées dans la charte informatique, en son article 4.8 .
- son contrat de travail en son article 10, Clause de confidentialité selon laquelle 'la salariée est tenue à une obligation de discrétion et de secret professionnel pour tout ce qui a trait aux ' Informations confidentielles d'Hemarina et dont elle aura connaissance du fait de ses activités. L'expression 'informations confidentielles' signifie toute information appartenant à Hemarina, données techniques, secrets de fabrique ou savoir-faire y compris notamment toute information concernant les recherches, projets, études, méthodologies, produits, analyses, services, informations concernant les partenaires, clients et prospects(..), marchés, réalisations,développements, inventions, procédés, formules, technologies, ingénierie, architecture et configuration du matériel, marketing, finance ou toute autre information commerciale qui auront été révélées à la salariée par Hemarina à l'occasion de l'exécution de ses fonctions et/ou pendant la durée du contrat .(..) La salariée reconnaît que la divulgation d'informations confidentielles est de nature à porter préjudice aux intérêts d'Hemarina . En conséquence, la salariée s'engage à ne communiquer à qui que ce soit aucune information confidentielle et à plus forte raison à ne pas utiliser pour son compte personnel ou le pour le compte de tiers les connaissances acquises à leur sujet.
Toute violation de la présente clause constitue une faute grave justifiant un licenciement immédiat sans indemnité.(..)'.
Mme [G] se borne à soutenir que les témoignages de Mme [I] et de Mme [E] sont identiques comme s'ils avaient été dictés et que son employeur était parfaitement informé de ce que la salariée avait entamé une VAE avec l'université de [Localité 7] pour avoir le niveau Licence Professionnel ; qu'elle était suivie à distance par une accompagnatrice et rendait compte de la diffusion des documents à son mari pour qu'il évalue la criticité des informations données pour ne pas porter préjudice à l'entreprise; que les informations figurant dans les documents sont normées, de sorte qu'il convient d'expliquer en quoi elles seraient critiques pour l'entreprise ; qu'au surplus, un stagiaire en BTS avait déjà utilisé des documents sans opposition de la société Hemarina.
Il résulte des pièces produites que Mme [G] a présenté le 10 juillet 2020 au jury d'examen de l'Université [8] un dossier personnel dans le cadre d'une VAE en vue de l'obtention d'une licence professionnelle et a transmis à l'appui de sa demande, un dossier complet de plus de 160 pages, intégrant des photographies, des plans du site de la ferme marine, des formulaires techniques de produits chimiques, et plus généralement des documents de travail issus de la société Hemarina, auxquels elle a accès dans le cadre de l'exécution de son activité professionnelle; qu'elle ne justifie pas avoir informé son employeur de l'utilisation à des fins personnelles des documents reproduits dans son dossier de VAE et transmis à des tiers. La diffusion et l'exploitation de ces données appartenant à son employeur, sans l'autorisation expresse de ce dernier, constitue une violation flagrante de la clause de confidentialité par la salariée.
Sous couvert de l'affirmation selon laquelle son mari en tant que supérieur hiérarchique aurait validé cette diffusion , ce dont elle ne justifie pas au demeurant étant précisé que M.[G] ne bénéficiait d'aucune délégation de pouvoir pour se substituer à l'employeur à ce titre, et qu'un ancien stagiaire étudiant en BTS aurait également reproduit des données de l'entreprise 'qui n'aurait pas fait de difficulté', Mme [G] ne saurait s'affranchir de ses propres obligations contractuelles alors que, soumise à la clause de confidentialité figurant dans son contrat de travail, elle ne justifie d'aucun accord explicite de la Direction pour divulguer à des tiers les données appartenant à l'entreprise, alors qu'elle n'ignorait pas de surcroît, en sa qualité de cadre responsable qualité d'un des sites de l'entreprise, l'importance de la dite clause au regard de l'activité de la société Hemarina, spécialisée dans un domaine scientifique novateur en vue du développement de produits de santé susceptibles de constituer des innovations thérapeutiques pour le traitement de diverses affections.
Aucun élément objectif ne permet de remettre en cause les constatations personnelles de ses collègues, Mmes [I] et de [E], dont les témoignages rédigés dans des termes distincts sont non équivoques quant à la nature confidentielle des données divulguées par Mme [G] en méconnaissance du droit de propriété de l'entreprise.
Le grief de la divulgation non autorisée de données confidentielles de l'entreprise est ainsi caractérisé.
Concernant la destruction de données confidentielles de l'entreprise, la société Hemarina fait valoir que Mme [G] juste avant d'être convoquée à l'entretien préalable fixé le 1er septembre, s'est empressée de détruire le 28 août 2020 des données confidentielles sur sa messagerie professionnelle.
Elle verse à l'appui l'attestation de [D][S] prestataire de la société informatique, mandaté par l'employeur pour cloner la messagerie professionnelle de Mme [G], lequel a constaté le 28 août 2020 que la messagerie avait été quasiment vidée par son utilisatrice; qu'il a procédé sur la demande du dirigeant M.[Y] à la restauration des messages supprimés et affacés par l'utilisatrice ce qui lui a permis de récupérer plusieurs centaines de messages échangés sur la période contractuelle de 16 mois.
Affirmant dans un premier temps que rien ne lui interdisait de détruire ses mails avant de soutenir qu'elle n'était pas à l'origine de la destruction totale de ses messages, Mme [G] dont les allégations fluctuantes sont difficilement crédibles, ne fournit aucune explication sérieuse au fait que 99 % des messages se trouvant dans sa messagerie professionnelle depuis sa prise de poste en avril 2019 ont été supprimés et effacés à la fin du mois d'août 2020 et ce en méconnaissance de son obligation de préserver des données appartenant à l'entreprise selon la charte informatique. La cour observe au surplus que , depuis son retour de congé le 17 août 2020, Mme [G] n'a signalé à aucun moment auprès de son employeur avant le 28 août 2020 la disparition brutale et inexpliquée des données se trouvant dans sa messagerie professionnelle.
En l'absence de l'autorisation préalable de son employeur, le fait pour Mme [G] , à la veille d'un entretien préalable à son licenciement, de détruire de manière délibérée l'ensemble des données contenues dans sa messagerie professionnelle, s'analyse comme un manquement à son obligation d'exécuter de bonne foi son contrat de travail et comme la violation de son engagement de préserver les informations de nature à assurer la poursuite de l'activité de l'entreprise.
Compte tenu de son emploi de cadre travaillant dans une entreprise bénéficiant d'un dispositif de protection du potentiel scientifique et technique de la Nation, Mme [G] a adopté des manquements répétés aux obligations résultant de son contrat de travail rendant impossible son maintien dans l'entreprise durant la période de préavis.
Elle sera en conséquence déboutée de ses demandes liées à la rupture de son contrat de travail , notamment de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse , d'indemnité légale de licenciement , d'indemnité compensatrice de préavis et de rappel de salaire durant sa mise à pied conservatoire, par voie d'infirmation du jugement.
Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral
La société Hemarina demande la confirmation du jugement ayant rejeté la demande de Mme [G] de dommages et intérêts pour préjudice moral.
La salariée n'ayant pas formé appel incident des dispositions du jugement ayant rejeté sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, il n'y a pas lieu de se prononcer de ce chef.
Sur la demande reconventionnelle de la société Hemarina pour procédure abusive
L'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à des dommages-intérêts qu'en cas de malice, mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol.
La société Hemarina dénonce un recours abusif de la salariée à poursuivre sur le plan judiciaire son employeur alors qu'elle a manqué à ses obligations contractuelles les plus élémentaires à l'égard de son employeur dont l'activité a justifié la protection de l'Eat avec un classement en zone à régime restrictif.
Toutefois, aucun élément ne permet de caractériser le caractère abusif du droit d'ester en justice de Mme [G], quand bien même son appel se solde par un échec après avoir obtenu gain de cause devant les premiers juges. La demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive sera rejetée par voie de confirmation du jugement.
Sur les autres demandes et les dépens
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société Hemarina les frais non compris dans les dépens en appel. Mme [G] sera condamnée à lui payer la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, le jugement déféré étant infirmé en ses dispositions relatives de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [G] qui sera déboutée de sa demande d'indemnité de procédure sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
- Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société Hemarina de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
- Dit que le licenciement de Mme [G] pour faute grave était justifiée
- Déboute Mme [G] de l'ensemble de ses demandes.
- Condamne Mme [G] à payer à la SA Hemarina la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamne Mme [G] aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier Le Président