CA Versailles, ch. soc. 4-3, 17 mars 2025, n° 24/01408
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
Chambre sociale 4-3
Renvoi après cassation
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 17 MARS 2025
N° RG 24/01408
N° Portalis DBV3-V-B7I-WQLZ
AFFAIRE :
[L] [X]
C/
S.A. CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Février 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
N° Section : E
N° RG : F18/00017
Copies certifiées conformes et exécutoires délivrées
à :
Me Anne-Laure DUMEAU
Me Audrey HINOUX
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX SEPT MARS DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
La Cour d'appel de Versailles a été saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la cour de cassation du 13 mars 2024 cassant et annulant partiellement l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles le 06 juillet 2022
Monsieur [L] [X]
né le 05 Février 1967 à [Localité 5] (FRANCE)
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Anne-Laure DUMEAU de la SELASU ANNE-LAURE DUMEAU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 628
Plaidant : Me Florence LAUSSUCQ-CASTON de l'AARPI LCG Avocats,, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E2034,
DEMANDEUR DEVANT LA COUR DE RENVOI
****************
DÉFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI
S.A. CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK
N° SIRET : 304 187 701
Prise en la personne de son représentant légal domicilié au siège social
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Audrey HINOUX de la SELARL LX PARIS- VERSAILLES- REIMS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2477
Plaidant : Me Philippe ROGEZ de la SELARL RACINE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L301,
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 janvier 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Florence SCHARRE, Conseillère chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Laurence SINQUIN, Présidente,
Madame Florence SCHARRE, Conseillère,
Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère,
Greffier placé lors des débats : Madame Solène ESPINAT
FAITS ET PROCEDURE
La société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank (ci-après dénommée CA-CIB) est une société anonyme du Groupe Crédit Agricole.
Par contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er mars 1991, M. [X] a été engagé par la banque Indosuez, aux droits de laquelle vient le Groupe Crédit Agricole, en qualité de responsable de risques marchés, statut cadre, à temps plein, à compter du 1er mars 1991.
Par contrat de travail à durée indéterminée en date du 25 novembre 2013, M. [X] a été engagé par la société CA-CIB en qualité de chargé de mission dans le département Global Market Division (GMD), statut cadre, niveau hors classe.
Par lettre d'affectation du 4 décembre 2013, M. [X] a été affecté à [Localité 6] pour y exercer la fonction de responsable GMD-Asie pour une prise de poste le 1er février 2014 et renouvellement possible à compter du 31 janvier 2017.
Par lettre du 1er février 2017, le contrat prévoyant l'expatriation du salarié a été prorogé au 31 janvier 2018.
La relation contractuelle était régie par les dispositions de la convention collective nationale de la Banque.
Par lettre du 20 octobre 2017, M. [X] a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, avec mise à pied conservatoire à effet immédiat.
L'entretien s'est tenu le 9 novembre 2017, en présence d'un délégué syndical.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 15 novembre 2017, la société CA-CIB a notifié à M. [X] son licenciement pour faute grave, en ces termes :
« Monsieur,
Nous vous avons convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'à un licenciement pour faute grave le 9 novembre 2017 à 11 heures. Cette convocation était assortie d'une mise à pied conservatoire à effet immédiat.
Lors de cet entretien, durant lequel vous étiez assisté par Monsieur [D] [G], Délégué Syndical National, nous vous avons exposé les raisons nous conduisant à envisager cette mesure et avons recueilli vos explications, qui ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.
Vous avez été embauché le 1er mars 1991 et exerciez en dernier lieu et depuis le 1er février 2014, les fonctions de Responsable GMD Asie Pacifique. Vous étiez affecté, à ce titre, au sein de notre succursale de [Localité 6].
Au cours du mois d'octobre 2017, la Direction des ressources humaines de CA CIB France a été informée de la survenance de faits susceptibles de laisser supposer l'existence d'un comportement inadapté de votre part à l'égard de plusieurs collaboratrices du Groupe.
Une enquête interne a été diligentée afin de recenser et d'évaluer de façon précise les agissements dénoncés.
A l'issue de celle-ci, nous avons découvert que vous aviez adopté, à plusieurs reprises et depuis plusieurs années, un comportement déplacé et inapproprié à l'égard d'au moins 8 salariés de sexe féminin travaillant dans plusieurs succursales du Groupe faisant partie de votre périmètre de responsabilité.
Vous avez notamment envoyé de façon répétée, parfois en dehors des heures de travail, des emails sur la messagerie professionnelle de plusieurs salariées, des SMS ainsi que des messages personnels via des messageries instantanées locales à accès restreint.
Le contenu de ces messages est inacceptable compte tenu de votre positionnement hiérarchique.
A titre d'exemple, vous avez donné à plusieurs collaboratrices votre numéro de téléphone portable personnel, et cela sans qu'elles ne vous l'aient demandé.
Dans le même sens, vous n'avez pas hésité à demander à plusieurs d'entre elles leur numéro de téléphone personnel ou leurs coordonnées de messageries instantanées et cela afin d'échanger avec elles sur des sujets que vous avez-vous-même qualifiés de non-professionnels.
Plus grave encore, vous avez fait des compliments déplacés et totalement inappropriés sur la tenue vestimentaire d'au moins une collaboratrice.
Ne prenant visiblement pas la mesure de vos propos dépassant très largement les limites d'une relation professionnelle, nous avons découvert que vous avez demandé à une salariée à une heure tardive de la soirée et par le biais d'une messagerie instantanée si elle vous « aimait bien ».
Nous avons également découvert que vous aviez invité plusieurs collaboratrices, et parfois de façon insistante, à vous retrouver en dehors du temps et du lieu de travail afin de boire un verre, voire même afin de vous accompagner dans votre chambre d'hôtel.
Plus généralement, plusieurs salariées placées dans votre périmètre de responsabilité ont déploré des regards insistants sur certaines parties de leur corps telles que leur poitrine, ou encore, que vous ayez tenté d'obtenir des renseignements par le biais d'interrogations et d'allusions sur leur vie privée, et plus particulièrement sur leurs relations amoureuses.
Ces comportements déplacés, dégradants et équivoques confinant au harcèlement sexuel sont particulièrement graves compte tenu de votre niveau de responsabilité au sein de GMD Asie Pacifique ainsi que du positionnement des salariées concernées, qui sont majoritairement de jeunes femmes ayant peu d'ancienneté dans l'entreprise ou titulaires d'un contrat précaire.
Ces dernières se sont trouvées dans l'impossibilité manifeste de vous indiquer que votre comportement les dérangeait et générait chez elles un sentiment de panique. A ce titre, plusieurs salariées ont exprimé ne pas avoir su quoi répondre à vos avances de peur que cela ait un impact sur leur carrière professionnelle.
Ces comportements sont d'autant plus inacceptables que vous avez déjà été alerté sur le fait d'avoir tenu à deux salariées des propos déplacés et équivoques, ce qui vous avait conduit à présenter vos excuses à ces deux collaboratrices fin 2016 et début 2017.
Or, force est de constater que malgré cette mise en garde, vous n'avez pas jugé utile de modifier votre comportement et avez continué à tenir des propos déplacés à l'égard des collaboratrices du Groupe.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, nous vous notifions votre licenciement pour faute grave en application de l'article 27 de la Convention collective de la banque.
Votre licenciement prend effet immédiatement, sans préavis ni indemnité de licenciement. Votre période de mise à pied à titre conservatoire ne vous sera pas rémunérée. ».
Par requête introductive reçue au greffe en date du 3 janvier 2018, M. [X] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre d'une demande tendant à ce que son licenciement pour faute grave soit jugé comme étant sans cause réelle et sérieuse, et à obtenir le versement de dommages et intérêts et de diverses sommes à titre de rappel de salaires.
Par jugement rendu le 06 février 2020, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Nanterre a :
Constaté que la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank a fait preuve d'une réaction proportionnée à la gravité des faits dès lors que ceux-ci ont été portés à sa connaissance,
Dit et jugé que les faits de harcèlement sexuel de la part de M. [X] sont clairement établis,
Dit et jugé que les éléments permettant de caractériser la faute grave sont réunis,
Dit et jugé que le licenciement de M. [X] par la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
Dit et jugé que la condition de présence de M. [X] dans l'entreprise au 31 décembre de l'année pour bénéficier des bonus, prévue par le contrat, est valide pour les années 2014, 2015 et 2016,
Dit et jugé que les éléments de bonus acquis au titre des années 2014, 2015 et 2017 par M. [X] sont dus par la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank,
En conséquence, le Conseil,
Déboute M. [X] de ses demandes :
de rappel de salaire sur mise à pied pour la période du 20 octobre au 18 décembre 2017, et de congés payés afférents,
d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents,
d'indemnité légale de licenciement,
d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et préjudice d'image,
de remboursement des frais de logement à [Localité 6] pour la période du 20 octobre au 10 janvier 2018,
de remboursement des frais de déménagement en vue du retour de M. [X] en France,
de remboursement des frais de scolarité de M. [X] [R], fils de M. [X],
Débouté M. [X] de sa demande de paiement du bonus au titre de l'année 2017, la condition de présence au 31 décembre de l'année de M. [X] dans l'entreprise, prévue par contrat, n'étant pas remplie,
Condamné la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank à verser à M. [X] les sommes suivantes :
58 290 euros au titre de la rémunération différée pour l'année 2014,
175 011 euros au titre de la rémunération différée pour l'année 2015,
253 759 euros au titre de la rémunération différée pour l'année 2016,
Dit et jugé que, conformément à l'article 14 de l'accord fiscal entre la France et [Localité 6] du 21 octobre 2010, ces sommes dues au titre des bonus, qui sont la contrepartie d'une activité entièrement exercée à [Localité 6], seront imposées à [Localité 6] et ne pourront faire l'objet d'un prélèvement à la source en France,
Ordonné à la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank de remettre à M. [X] un certificat de travail, des bulletins de salaire, et une attestation Pôle Emploi, conformes à la décision intervenue, c'est-à-dire incluant les bonus dus,
Débouté M. [X] de ses demandes d'intérêts légaux et d'anatocisme,
Débouté M. [X] de sa demande d'exécution provisoire,
Débouté M. [X] et la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamné M. [X] aux entiers dépens de l'instance.
Par déclarations d'appel, reçues respectivement au greffe le 3 et 12 juin 2020, M. [X] et la société CA-CIB ont interjeté appel de ce jugement.
Par un arrêt rendu le 6 juillet 2022, la Cour d'appel de Versailles a :
Débouté M. [X] de sa demande tendant à voir écarter des débats les pièces 18 à 25 communiquées par la société CA CIB,
Infirmé partiellement le jugement,
Statuant à nouveau,
Dit que le harcèlement sexuel n'est pas constitué,
Dit que le licenciement de M. [X] repose sur une cause réelle et sérieuse,
Condamne la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank à verser à M. [X] les sommes suivantes :
- 136 433 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied,
- 13 643,30 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- 211 705 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 21 170,50 euros bruts à titre de congés payés afférents,
- 570 428 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,
- 25 582 euros au titre de remboursement des frais de logement pour la période du 20 octobre 2017 au 18 décembre 2017,
- 12 500 euros au titre du remboursement des frais de déménagement,
- 3 736 euros au titre de remboursement des frais de scolarité du fils [R] de M. [X],
- 51 533 euros au titre de la rémunération différée de l'année 2014,
- 144 883 euros au titre de la rémunération différée de l'année 2015,
- 195 096 euros au titre de la rémunération différée de l'année 2016,
- 435 000 euros au titre de la part variable pour l'année 2017,
Dit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur l'application de l'article 14 de l'accord fiscal entre la France et [Localité 6] du 21 octobre 2010, ces sommes et sur le paiement des cotisations sociales,
Rappelle que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et d'orientation et les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Ordonne la capitalisation des intérêts dès lors qu'ils seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite,
Ordonne à la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank de remettre à M. [X] un certificat de travail, des bulletins de paye et l'attestation Pôle Emploi rectifiés,
Confirme le jugement pour le surplus,
Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
Condamne la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank à payer à M. [X] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance en cause d'appel,
Condamne la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank aux dépens.
La société CA-CIB a formé un pourvoi en cassation.
M. [X] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Par un arrêt de cassation partielle en date du 13 mars 2024 (pourvoi n°22-20.970), auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, la chambre sociale de la Cour de cassation a :
Rejeté le pourvoi incident ;
Cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il dit que le harcèlement sexuel n'est pas constitué et que le licenciement de M. [X] repose sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il condamne la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank à payer à M. [X] les sommes de 136 433 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied outre la somme de 13 643,30 euros bruts au titre des congés payés afférents, de 211 705 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 21 170,50 euros bruts à titre de congés payés afférents, 570 428 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, 25 582 euros au titre de remboursement des frais de logement pour la période du 20 octobre 2017 au 18 décembre 2017 et de 12 500 euros au titre du remboursement des frais de déménagement, l'arrêt rendu le 6 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Par déclaration de saisine du 6 mai 2024, M. [X] a saisi la Cour d'appel de Versailles.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 11 décembre 2024.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 3 décembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [X], appelant, demande à la cour de :
Déclarer Monsieur [L] [X] recevable et bien fondé en son appel,
Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
Constaté que la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank a fait preuve d'une réaction proportionnée à la gravité des faits dès lors que ceux-ci ont été portés à sa connaissance,
Dit et jugé que les faits de harcèlement sexuel de la part de Monsieur [X] [L] sont clairement établis,
Dit et jugé que les éléments permettant de caractériser la faute grave sont réunis,
Dit et jugé que le licenciement de Monsieur [X] [L] par la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
Débouté Monsieur [X] [L] de ses demandes :
- de rappel de salaire sur mise à pied pour la période du 20 octobre au 18 décembre 2017, et de congés payés afférents,
- d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents,
- d'indemnité légale de licenciement,
- d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- de remboursement des frais de logement à [Localité 6] pour la période du 20 octobre au 10 janvier 2018,
- de remboursement des frais de déménagement en vue du retour de Monsieur [X] [L] en France,
- de ses demandes d'intérêts légaux et d'anatocisme,
Condamné Monsieur [X] [L] aux entiers dépens.
Ce faisant,
Requalifier le licenciement pour faute grave de Monsieur [X] en licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,
Sur les conséquences financières du licenciement
Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [X] de ses demandes indemnitaires afférentes à la rupture du contrat de travail
Condamner la Société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank à verser à Monsieur [X] les sommes suivantes au titre :
de l'indemnité compensatrice de préavis : 211 705 euros,
des congés payés sur préavis : 21 170,5 euros,
de l'indemnité légale de licenciement : 570 428 euros,
du licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse : 1 305 515 euros,
des salaires sur mise à pied pour la période du 20 octobre 2017 au 18 décembre 2017: 136 433 euros,
des congés payés afférents : 13 643,30 euros,
du remboursement des frais de logement à [Localité 6] pour la période du 20 octobre 2017 au 10 janvier 2018 : 30 290 euros,
du remboursement des frais de déménagement en vue de son retour en France :
12 500 euros,
Assortir les condamnations des intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud'hommes de Nanterre,
Ordonner la remise du certificat de travail, des bulletins de salaire et de l'attestation Pôle Emploi conformes à la décision à intervenir,
Ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du Code Civil,
Condamner la Société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank à verser à Monsieur [X] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile,
Condamner la Société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 9 décembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société CA-CIB, intimée, demande à la cour de :
A titre liminaire, de déclarer irrecevables :
la demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire et préjudice d'image ;
la prétention nouvelle tirée d'une prétendue violation de l'article 27.1. de la convention collective nationale des banques, et la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse formulée à ce titre.
A titre principal, de confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :
constaté que la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank avait fait preuve d'une réaction proportionnée à la gravité des faits dès lors que ceux-ci ont été portés à sa connaissance ;
dit et jugé que les faits de harcèlement sexuel de la part de Monsieur [L] [X] sont clairement établis ;
dit et jugé que les éléments permettant de caractériser la faute grave sont réunis ;
dit et jugé que le licenciement de Monsieur [L] [X] par la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
débouté Monsieur [L] [X] de ses demandes visant à voir condamner la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank à lui verser :
136 433,00 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied pour la période du 20 octobre 2017 au 18 décembre 2017,
13 643,30 euros au titre des congés payés afférents,
211 705,00 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
21 170,50 euros au titre des congés payés sur préavis,
570 428,00 euros à titre de l'indemnité légale de licenciement,
1 305 515,00 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
30 290,00 euros au titre du remboursement des frais de logement à [Localité 6] pour la période du 20 octobre 2017 au 10 janvier 2018,
12 500,00 euros au titre du remboursement des frais de déménagement en vue de son retour en France,
5 000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
des intérêts légaux et de l'anatocisme.
En conséquence,
Débouter Monsieur [X] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
En tout état de cause, de :
Condamner Monsieur [X] à verser à la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner Monsieur [X] aux entiers dépens de la présente instance.
MOTIFS
1/ Sur le périmètre de la cassation
L'étendue de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt et s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire (article 624 du code de procédure civile).
Il y lieu de souligner qu'en l'espèce la cour de cassation a consacré un paragraphe spécifique à la portée et aux conséquences de la cassation en indiquant que : « La cassation du chef de dispositif ayant dit que le harcèlement sexuel n'est pas constitué et que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse n'emporte pas celle du chef de dispositif de l'arrêt condamnant la société au remboursement des frais de scolarité du fils du salarié, qui ne s'y rattache ni par un lien d'indivisibilité ni par un lien de dépendance nécessaire, la cour d'appel ayant retenu que l'article 10 du contrat qui détermine les conditions de paiement des frais de scolarité des enfants n'exclut pas leur remboursement en cas de licenciement du salarié.
La cassation du chef de dispositif ayant dit que le harcèlement sexuel n'est pas constitué et que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci et non remises en cause. ».
La cour de cassation a par suite cassé et annulé l'arrêt précédemment rendu « mais seulement en ce qu'il dit que le harcèlement sexuel n'est pas constitué et que le licenciement de M. [X] repose sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il condamne la société Crédit agricole Corporate and Investment Bank à payer à M. [X] les sommes de 136 433 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied outre la somme de 13 643,30 euros bruts au titre des congés payés afférents, de 211 705 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 21 170,50 euros au titre des congés payés afférents, 570 428 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, 25 582 euros au titre du remboursement des frais de logement pour la période du 20 octobre 2017 au 18 décembre 2017 et de 12 500 euros au titre du remboursement des frais de déménagement, l'arrêt rendu le 6 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée. ».
En l'espèce, La société CA-CIB soulève in limine litis l'irrecevabilité des chefs de demandes formées par l'appelant en dehors du périmètre de saisine de la cour d'appel de renvoi et qui sont relatives d'une part aux dommages-intérêts sollicités pour licenciement vexatoire et préjudice d'image (100 000 euros) et à celles faites sur le fondement de l'article 27.1 de la convention collective des banques. La société intimée considère que la cour de renvoi n'est saisie que sur deux points à savoir l'existence du harcèlement sexuel et la qualification de la faute en découlant.
M. [X] lui oppose que la société intimée confond les notions de prétentions et de moyens. Il en déduit que l'argument tiré de la violation de l'article 27-1 de la convention collective vient au soutien de sa prétention visant à juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il estime être ainsi libre de développer devant la juridiction de renvoi tout moyen nouveau au soutien de cette prétention. Il précise d'ailleurs ne pas l'avoir fait figurer dans le dispositif de ses conclusions. Il ne répond pas sur l'irrecevabilité qui lui est opposée relative aux dommages et intérêts pour licenciement vexatoire.
Concernant les dommages et intérêts pour licenciement vexatoire
Il y a lieu d'observer en premier lieu que devant la présente cour de renvoi, M. [X] ne forme pas dans le dispositif de ses conclusions une demande concernant les dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et préjudice d'image.
En application de l'article 964 du CPC, la cour n'étant pas saisie de demande à ce titre, il n'y a pas lieu de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par la société.
Concernant l'interprétation de la convention collective des banques (article 27-1)
L'article 563 du code de procédure civile prévoit que pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer de nouveaux moyens.
Dans le cadre des dispositions spécifiques aux effets du pourvoi en cassation, l'article 632 du même code ajoute que les parties peuvent invoquer de nouveaux moyens à l'appui de leurs prétentions.
Il convient d'examiner si M. [X] forme ou non des prétentions spécifiques dans le cadre du moyen qu'il développe autour de la violation de l'article 27-1 de la convention collective des banques (sur le caractère suspensif du recours devant la commission paritaire de recours interne) pour déterminer ensuite si cette demande se rattache ou non par un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
Or, il ne ressort pas du dispositif des conclusions de M. [X] que celui-ci formule une demande spécifique découlant de son interprétation de la convention collective puisque le moyen invoqué l'est au soutien de sa discussion sur le caractère réel et sérieux du licenciement.
Il ne s'agit donc pas d'une demande nouvelle qui serait hors du champ de la cassation.
Il s'en suit que M. [X] ne formule donc pas de demande qui ne serait pas dans le périmètre de la cassation. La fin de non-recevoir sera donc rejetée.
2/ Sur la nullité du licenciement pour violation du droit au respect de l'intimité de la vie privée
M. [X] sollicite à titre principal la nullité de son licenciement. Cette demande pour la première fois en appel, estime que celle-ci tend aux mêmes fins que celles visant à obtenir le prononcé d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, invoque, sur le fondement des articles L.1121-1 du code du travail et 9 du code civil, la nullité de son licenciement en raison d'une violation du droit au respect de l'intimité de la vie privée.
Il considère que les messages émis et reçus par lui entre le 1er février 2014 et le 31 octobre 2017, extraits de sa boîte mail professionnelle en mars 2019, soit près d'un an et demi après le licenciement et communiqués par CA-CIB le 31 mai 2019 , s'inscrivaient dans le cadre d'échanges privés, qui n'avaient pas vocation à devenir publics et n'ont été connus de l'employeur qu'à la suite d'une recherche systématique de preuves destinées à justifier a posteriori son licenciement pour faute grave. Il soutient ainsi que Mmes [P] [U], [A] [GI], [K] [T], [B] [IS] sont étrangères à la société CA CIB et qu'elles ne sont ni clientes, ni prestataires de service de la société CA-CIB. Il ajoute que Mme [M] [C] est une amie personnelle de Monsieur et Madame [X], tout comme Mme [KI] [I].
Il demande à la cour de juger que ces conversations de nature privée n'étaient pas destinées à être rendues publique et ne constituaient pas un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail. Il en déduit l'existence d'un caractère illicite du motif de son licenciement fondé en partie sur le contenu de messages personnels émis par le salarié grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, en violation du droit au respect de l'intimité de sa vie privée, liberté fondamentale.
La société CA-CIB souligne que cette extraction a été faite conformément aux dispositions applicables à l'époque à savoir la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés et que le contenu de ces messages justifie son licenciement pour faute grave. L'employeur souligne que tous les contenus de mails extraits de la messagerie professionnelle de M. [X] proviennent de sa messagerie professionnelle et que la société est en droit de les produire puisqu'ils ne sont pas identifiés comme personnels et sont à ce titre présumés professionnels.
En l'espèce,
L'article 5 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés dispose que « sont soumis à la présente loi les traitements de données à caractère personnel : 1° Dont le responsable est établi sur le territoire français. Le responsable d'un traitement qui exerce une activité sur le territoire français dans le cadre d'une installation, quelle que soit sa forme juridique, y est considéré comme établi ['] ».
En vertu des dispositions de l'article L 1121 ' 1 du code du travail nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionné au but recherché.
La cour de cassation considère qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (Assemblée plénière, 22 décembre 2023, n°21-11.330) ou si ce fait se rattache à la vie professionnelle de l'intéressé (Cass. Soc. 6 février 2002 n° 99-45.418 ; Cass. Soc. 26 juin 2013 n° 12-16.564).
Il est constant que les messages émis et reçus par le salarié entre le 1er février 2014 et le 31 octobre 2017, extraits de sa boîte mail professionnelle en mars 2019, et supports de la faute grave invoquée par l'employeur, étaient destinés à des collaboratrices, intérimaires, stagiaires ou consultantes, salariées du groupe ou des succursales ont été envoyés pendant le temps de travail et se rattachent à la vie professionnelle de l'intéressé. En outre, le salarié n'a pas fait de mention expresse dans ces messages de leur caractère privé et ne démontre dans le cadre des débats qu'ils se rattacheraient à sa vie privée.
En conséquence, la cour retient qu'il n'est pas établi la preuve de la violation par l'employeur d'une liberté fondamentale justifiant la nullité du licenciement.
La cour en déduit qu'il convient dès lors de débouter M. [X] de sa demande de nullité du licenciement, ainsi que de sa demande de dommages-intérêts en découlant.
3/ Sur le licenciement
Sur le moyen tiré du licenciement sans cause réelle et sérieuse et la violation de l'article 27-1 de la Convention collective des banques
L'article 27.1 de la Convention collective de la Banque, relatif au licenciement disciplinaire dispose: « Le salarié dispose d'un délai de 5 jours calendaires à compter de la notification du licenciement pour, au choix et s'il le souhaite, saisir par lettre recommandée avec accusé de réception :
- la commission paritaire de recours interne à l'entreprise (')
- ou la commission paritaire de la banque (')
Ces recours sont suspensifs, sauf si le salarié a fait l'objet d'un licenciement pour faute lourde.
Toutefois ce caractère suspensif ne saurait se prolonger au-delà d'une durée de 30 jours calendaires à partir de la date de la saisine de l'instance de recours interne ou de la commission paritaire de la banque. Le licenciement ne pourra donc être effectif qu'après avis de la commission saisie s'il a été demandé par le salarié sanctionné. L'avis devra être communiqué dans les 30 jours calendaires qui suivent la saisine. ».
M. [X] invoque à titre subsidiaire, et au soutien de ce que son licenciement est privé de cause réelle et sérieuse, le moyen tiré de la violation de l'article 27-1 de la convention collective des banques.
Il considère qu'une irrégularité a été commise dans le déroulement de la procédure disciplinaire, en ce que la société a procédé à son remplacement le 16 novembre 2017 avant même que la commission paritaire ait communiqué son avis le 8 décembre 2017.Il estime qu'il s'agit d'une garantie de fond puisqu'elle l'a privé des droits de sa défense et qu'elle a pu avoir une influence sur la décision finale de l'employeur et sollicite que son licenciement soit considéré comme sans cause réelle et sérieuse.
La société intimée lui oppose que le mail du 16 novembre 2017 fait état d'un remplacement temporaire de M. [X].
Elle verse aux débats une traduction de ce mail, faite par un traducteur assermenté, et souligne que l'emploi du terme « acting » dans le mail signifie temporaire. Elle en déduit que l'annonce ainsi faite ne permet pas d'en déduire une quelconque violation des dispositions conventionnelles et partant considère que cela n'a aucune incidence sur le caractère sans cause réelle et sérieuse du licenciement intervenu.
En l'espèce, le salarié a été valablement informé des dispositions résultant de l'article 27.1 de la convention collective par son employeur. Il a saisi la commission ainsi prévue par les dispositions conventionnelles le 22 novembre 2017, soit dans le délai de 5 jours calendaires du prononcé de la sanction décidée par l'employeur le 15 novembre 2017. Cette commission a ensuite rendu son avis le 8 décembre 2017.
La cour constate que le mail du 16 novembre 2017 dont la traduction en français produit aux débats par l'employeur indique : « nous sommes ravis d'annoncer que [BA] [W] a été nommé directeur régional par intérim des marchés globaux de l'Asie-Pacifique. Il prend le relais de [L] [X] qui n'est plus à ce poste ». Les pièces versées aux débats par la société démontrent la nature temporaire de ce remplacement, Monsieur [W] continuant à exercer ses missions de directeur commercial pour l'Asie et de directeur des ventes et institutions financières pour l'Asie en même temps que cette mission d'intérim et ce n'est que le 23 avril 2018 qu'il a été définitivement affecté à son poste.
La cour constate en conséquence qu'à la date de l'avis de la commission M. [X] n'avait pas été définitivement remplacé et que M. [X] a pu bénéficier des dispositions de l'article 27-1.
Il s'en suit que le licenciement de M. [X] ne peut être de ce chef dit comme étant sans cause réelle et sérieuse.
le harcèlement sexuel au soutien de la faute grave
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifie son départ immédiat.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
Les articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail disposent que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
Enfin, il y a lieu de rappeler que la règle probatoire, prévue par l'article L. 1154-1 du code du travail, n'est pas applicable lorsque survient un litige relatif à la mise en cause d'un salarié auquel sont reprochés des agissements de harcèlement sexuel ou moral (Soc., 29 juin 2022, pourvoi n °21-11.437, publié).
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, évoque :
des comportements inadaptés, déplacés, dégradants confiant au harcèlement sexuel (contenu de messages inacceptables, envoi du numéro personnel de M. [X] à ces salariées sans qu'elles ne lui aient demandé, échange sur des sujets non-professionnels, compliments déplacés et inappropriés sur la tenue vestimentaire d'une collaboratrice dépassant les limites d'une relation professionnelle, invitations à venir prendre un verre ou à accompagner M.[X] dans sa chambre d'hôtel, des regards insistants sur certaines partie de leurs corps telles que la poitrine ou des allusions sur leur vie privée et leurs relations amoureuses ), à plusieurs reprises et depuis plusieurs années, à l'égard de 8 collaboratrices du groupe faisant partie de du périmètre de responsabilité du salarié, avec un envoi de façon répétée, parfois en dehors des heures de travail d'emails sur les messageries professionnelles de plusieurs salariées, de SMS ainsi que des messages personnels via des messageries instantanées locales à accès restreint et une impossibilité manifeste de ces collaboratrices d'indiquer à M. [X] que son comportement les dérangeaient et généraient un sentiment de panique, de peur ou de crainte pour leur carrière professionnelle ;
La mise en place d'une enquête interne a permis d'évaluer de façon précise les agissements dénoncés.
Le fait que M. [X] ait déjà été alerté sur son comportement et ses propos déplacés et équivoques l'ayant conduit à présenter ses excuses à deux collaboratrices fin 2016 et début 2017.
L'article L. 1153-1 du Code du travail dans sa version applicable au litige précise qu' « aucun salarié ne doit subir des faits :
1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. ».
L'article L.1153-5, dans sa version applicable au litige, ajoute que « l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d'y mettre un terme et de les sanctionner.
Dans les lieux de travail ainsi que dans les locaux ou à la porte des locaux où se fait l'embauche, les personnes mentionnées à l'article L. 1153-2 sont informées par tout moyen du texte de l'article 222-33 du code pénal ainsi que des actions contentieuses civiles et pénales ouvertes en matière de harcèlement sexuel et des coordonnées des autorités et services compétents. La liste de ces services est définie par décret. »
M. [X], qui sollicite l'infirmation du jugement du conseil de prud'hommes, conteste la faute grave qui lui est reprochée. Il reproche au conseil de prud'hommes d'avoir jugé que « les faits de harcèlement sexuel de la part de Monsieur [X] sont clairement établis », alors que la lettre de licenciement invoque : « un comportement déplacé et inapproprié'confinant au harcèlement sexuel », se livrant ainsi à une dénaturation des faits et une substitution de motifs.
Il rappelle que, salarié détaché à [Localité 6] depuis le 1er février 2014, il exerçait la fonction de responsable sur les marchés de capitaux dans la zone Asie Pacifique et qu'il dirigeait à ce titre 300 salariés, répartis sur 8 pays.
Il soutient que ses conditions de travail ont commencé à se dégrader à compter de la fin de l'année 2015 après que Mme [N] [F], nouvelle responsable des marchés de capitaux Asie, ait mis en place des méthodes de management qui ont exposées le salarié à de fortes tensions. Il en déduit que, dans ce contexte de grande instabilité des équipes, de restructuration, de brutalité dans la gestion des ressources humaines, il a été subitement mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable en vue d'un licenciement disciplinaire qui s'est tenu le 9 novembre 2017. A compter de cette date, son employeur a cessé de prendre en charge ses frais de logement et la scolarité de son fils à [Localité 6]. Il dit avoir été choqué du mail du 16 novembre 2017 adressé à 250 personnes, jusque-là placées sous son autorité, qui indiquait que M. [BA] [W] « succède à [L] [X] qui n'occupe plus ce poste ».
Il reproche à son employeur d'avoir accolé artificiellement des extraits de messages. Il évoque une carrière exemplaire au sein du groupe pendant 26 années, sans aucun reproche ou avertissement et il produit en ce sens ses évaluations annuelles. Il produit également aux débats des attestations de personnes avec lesquelles il est en relation, soit dans le cadre de son activité professionnelle, soit de celle découlant de la fondation qu'il a créée ou encore dans le cadre des 'uvres caritatives auxquelles il collabore.
Il en déduit que les motifs du licenciement invoqués par la société CA CIB ne sont pas établis et ne répondent pas à la qualification de harcèlement sexuel susceptible de caractériser une faute grave. Il estime que la société CA-CIB n'a pas diligenté une enquête interne impartiale et contradictoire en concertation avec les représentants du personnel et le CHSCT avant de procéder à son licenciement.
L'employeur, qui sollicite la confirmation du jugement de première instance, invoque la faute grave du salarié en raison du comportement inacceptable qui lui est reproché au travers d'agissements constitutifs de harcèlement sexuel à l'encontre de collaboratrices du groupe, dont certaines étaient placées sous sa subordination. L'employeur soutient que M. [X] a fait preuve de comportements déplacés, dégradants et équivoques confinant au harcèlement sexuel, mentionne avoir été informé d'agissements totalement inappropriés de son salarié et ajoute avoir fait diligenter une enquête interne en octobre 2017. Il considère que le comportement du salarié est parfaitement caractérisé et verse aux débats les attestations des collaboratrices concernées. L'employeur reproche à son salarié de s'être autorisé à faire des commentaires sur les tenues de plusieurs de ses collaboratrices, d'avoir exprimé des sentiments personnels qui ne peuvent pas être considérés comme étant de simples échanges professionnels cordiaux, d'avoir multiplié les invitations à dîner et/ou prendre des verres en tête à tête avec plusieurs jeunes collaboratrices, d'avoir adressé des messages dépassant le cadre professionnel dès le jour de la rencontre de certaines collaboratrices du groupe, mais également d'avoir fait des avances et tenu des propos ambigus en invitant une intérimaire à le rejoindre dans sa chambre d'hôtel et à une assistante à passer la nuit avec lui. L'employeur souligne que M. [X] avait déjà eu un comportement inapproprié lorsqu'il avait proposé à des salariés de la succursale de Corée du Sud d'établir un contact privé et leur demandant leurs coordonnées personnelles. Il précise qu'à cette occasion M. [X] s'était d'ailleurs excusé auprès de ces jeunes femmes.
La société CA-CIB en déduit que l'attitude et les propos de M. [X] à l'égard de plusieurs collaboratrices sont inappropriés et constituent un manquement grave aux obligations contractuelles du salarié, accentué par le fait que M. [X] bénéficiait de hautes responsabilités au sein du groupe.
***
Il ressort de l'analyse des pièces et des débats que les messages adressés par M. [X], à de jeunes femmes travaillant avec lui, à un niveau hiérarchique inférieur au sien et plutôt récemment arrivées dans l'entreprise, avaient pour support soit l'envoi de mails par sa messagerie professionnelle, soit l'envoi de sms via son téléphone professionnel.
Ces messages sont constitués par des propos à connotation sexuelle dès lors qu'il est constaté à la lecture des pièces que M. [X] a proposé à une jeune femme travaillant avec ses équipes de « boire une coupe de champagne au Park Hôtel le jeudi soir après mon diner ou dans ma chambre aujourd'hui au Park Hotel vers 18h00 -signé d'un smiley (il faudra que je parte vers 19h cependant) avec du champagne ' que choisissez-vous '».
De la même manière lorsqu'il écrit à une autre « j'aime bien votre façon de manger des bananes' très inspirante », ou bien « Vous m'aimez bien ' », mais aussi « Voulez-vous aller dans la chambre ' je peux la réserver de suite si vous voulez » et suite au refus opposé (en l'espèce par Mme [V]), M. [X] d'insister « Pourquoi ne viendriez-vous pas chez moi ce soir ' ».
Ces messages sont par ailleurs répétés à l'égard de sa secrétaire, Mme [E] [O] à l'égard de laquelle la cour constate qu'entre le 6 novembre 2015 et le 27 juillet 2017 M. [X] a adressé neuf messages dont un en ces termes et le 27 juillet 2017 : « Vous allez me prendre pour un fou ou trouver mon comportement déplacé mais j'adorerais passer le reste de la nuit avec vous. Une seule et unique fois », « Vos excuses sont bien acceptées... mais vous devriez chercher à obtenir le pardon ».
Sont également versés aux débats les témoignages de collaboratrices qui ont également reçu les messages suivants de M. [X] sur leur tenue vestimentaire comme par exemple : « j'adore ta robe », « j'aime comme vous étiez habillée ce soir », « J'ai apprécié votre charme et votre élégance. J'aimerais vous revoir si c'est possible », « Je ne sais pas pourquoi, mais j'aime bien quand vous dites ça' », « je suis pressé de te voir lundi », « tu m'as manqué », « je suis content de te voir ce matin », « Vous êtes merveilleuse'comme toujours », « J'espère vite vous voir », « Votre sourire vaut un million de soleils » ou encore évoquant la tenue vestimentaire d'une assistante et lui indiquant qu'il aimerait le revoir « avec votre tenue de samba ».
Ces jeunes femmes attestent en procédure du ressenti provoqué par de tels propos à leur endroit et témoignent unanimement de leur embarras.
Mme [Y] [Z], invitée à boire un verre dans un hôtel et à qui M. [X] a demandé si elle l'aimait bien, a témoigné : « J'étais tellement effrayée à l'idée de le voir arriver au bureau dans les jours à venir que je n'ai pas pu dormir cette nuit-là et des rougeurs me sont même apparues sur tout le corps à cause du stress ».
Mme [J] [S] [H] a quant à elle indiqué que le comportement de M. [X] l'a confrontée à une situation embarrassante et gênante compte tenu du poste occupé par M. [X] et du fait qu'ils pouvaient être amenés de nouveau à se croiser dans les locaux de l'entreprise.
Ce comportement récurrent du salarié, quand bien même il n'était pas accompagné de pressions graves dans le but d'obtenir un acte sexuel, caractérise le harcèlement sexuel au sens de l'article L.1153-1 du code du travail, dès lors qu'il a porté atteinte à la dignité des jeunes femmes concernées en raison de leur caractère dégradant ou humiliant et qu'il a créé à leur encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
Contrairement aux allégations de M. [X] ces témoignages, mêmes s'ils ont été obtenus après son licenciement, sont parfaitement probants et attestent de la gêne que le comportement de M. [X] a provoqué au regard de la situation qu'il a imposée à ses interlocutrices en sa qualité de supérieur hiérarchique. Ces messages ne sont pas accolés artificiellement pour les besoins de la procédure, comme soutenu par l'appelant, mais extraits de conversations écrites plutôt courtes dans lesquels ils apparaissent clairement. Ils ne sont pas davantage, comme également invoqué par M. [X], « sortis de leur contexte » mais résulte d'échanges qui n'avaient aucune nature professionnelle.
En outre, ni les attestations, ni les courriels, ni le compte rendu d'entretien préalable établi par M. [G], délégué syndical qui assistait le salarié, produits par ce dernier, ne démontrent que celui-ci aurait été une victime collatérale des méthodes de management de la nouvelle responsable des Marchés de Capitaux en Asie, Mme [F].
La violence évoquée par le salarié, qui soutient avoir été rapidement mis à l'écart au démarrage de la procédure de licenciement et qui reproche à son employeur d'en avoir informé ses collaborateurs, ne l'illustre pas davantage dès lors qu'une fois la mise à pied effective, l'employeur devait annoncer aux équipes un nouveau directeur intérimaire.
Enfin, contrairement à ce que soutient l'appelant, aucune disposition légale n'impose à l'employeur d'associer les représentants du personnel à l'enquête interne menée à la suite de la dénonciation d'un comportement inapproprié.
Il y a lieu d'en déduire que les propos et comportements de M. [X], n'avaient pas leur place dans une situation de travail, et ont créé une situation intimidante et offensante pour les jeunes femmes qui les ont reçus.
Ni l'ancienneté du salarié, ni sa carrière ou ses activités caritatives, invoquées par l'appelant, ne sauraient permettre de minimiser la gravité de la faute ainsi commise dans le cadre de l'exécution du contrat du travail. De la même manière, les nombreuses attestations versées aux débats par l'appelant, certes très favorables au salarié, ne donnent pas d'information sur les faits reprochés.
Le comportement de M. [X] est donc de nature à caractériser un harcèlement sexuel et à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
La cour, confirmant le jugement rendu par le conseil des prud'hommes, considère en conséquence que le licenciement pour faute grave du salarié est justifié.
4/ Sur les conséquences financières du licenciement et les autres demandes financières
L'issue du litige conduit à retenir que la mise à pied était justifiée, tout comme le fait de rappeler qu'en cas de licenciement pour faute grave le salarié n'a droit ni à l'indemnité compensatrice de préavis, ni à une quelconque indemnité de licenciement.
Quant au remboursement des frais de logement à [Localité 6] (20 octobre 2017 au 10 janvier 2018) ou aux frais de déménagement, le contrat de travail ayant été rompu pour faute grave le salarié ne peut prétendre bénéficier des dispositions de l'article 7 de son contrat de détachement.
Il convient par déduction du jugement critiqué de débouter l'appelant de l'ensemble de ses demandes à ce titre.
Il se déduit enfin de ce qui précède que la demande formulée au titre de la remise des documents sociaux rectifiés est donc sans objet.
5/ Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
M. [X] qui succombe en ses prétentions sera condamné aux dépens de première instance par voie de confirmation, ainsi qu'aux dépens d'appel, en ce compris ceux afférents à l'arrêt cassé.
Il sera en outre condamné à payer à la société CA-CIB, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles du renvoi après cassation, tandis que M. [X] sera débouté de sa demande sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :
Vu l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 6 juillet 2022 (RG 20/01052),
Vu l'arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 13 mars 2024 (pourvoi n° 22-20.970, publié),
Statuant dans les limites de la cassation prononcée par cet arrêt,
CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 6 février 2020,
Y ajoutant,
REJETTE le moyen tiré de l'irrecevabilité des demandes nouvelles invoqués par la société CA-CIB ;
DÉBOUTE M. [X] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul
CONDAMNE M. [X] à verser à la société CA-CIB la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel, et du renvoi après cassation,
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,
CONDAMNE M. [X] aux dépens d'appel, en ce compris ceux afférents à l'arrêt cassé.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère, pour la Présidente empêchée et par Madame Solène ESPINAT, Greffière placée, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière placée, Pour la Présidente,
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
Chambre sociale 4-3
Renvoi après cassation
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 17 MARS 2025
N° RG 24/01408
N° Portalis DBV3-V-B7I-WQLZ
AFFAIRE :
[L] [X]
C/
S.A. CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Février 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
N° Section : E
N° RG : F18/00017
Copies certifiées conformes et exécutoires délivrées
à :
Me Anne-Laure DUMEAU
Me Audrey HINOUX
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX SEPT MARS DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
La Cour d'appel de Versailles a été saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la cour de cassation du 13 mars 2024 cassant et annulant partiellement l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles le 06 juillet 2022
Monsieur [L] [X]
né le 05 Février 1967 à [Localité 5] (FRANCE)
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Anne-Laure DUMEAU de la SELASU ANNE-LAURE DUMEAU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 628
Plaidant : Me Florence LAUSSUCQ-CASTON de l'AARPI LCG Avocats,, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E2034,
DEMANDEUR DEVANT LA COUR DE RENVOI
****************
DÉFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI
S.A. CREDIT AGRICOLE CORPORATE AND INVESTMENT BANK
N° SIRET : 304 187 701
Prise en la personne de son représentant légal domicilié au siège social
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Audrey HINOUX de la SELARL LX PARIS- VERSAILLES- REIMS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2477
Plaidant : Me Philippe ROGEZ de la SELARL RACINE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L301,
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 janvier 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Florence SCHARRE, Conseillère chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Laurence SINQUIN, Présidente,
Madame Florence SCHARRE, Conseillère,
Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère,
Greffier placé lors des débats : Madame Solène ESPINAT
FAITS ET PROCEDURE
La société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank (ci-après dénommée CA-CIB) est une société anonyme du Groupe Crédit Agricole.
Par contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er mars 1991, M. [X] a été engagé par la banque Indosuez, aux droits de laquelle vient le Groupe Crédit Agricole, en qualité de responsable de risques marchés, statut cadre, à temps plein, à compter du 1er mars 1991.
Par contrat de travail à durée indéterminée en date du 25 novembre 2013, M. [X] a été engagé par la société CA-CIB en qualité de chargé de mission dans le département Global Market Division (GMD), statut cadre, niveau hors classe.
Par lettre d'affectation du 4 décembre 2013, M. [X] a été affecté à [Localité 6] pour y exercer la fonction de responsable GMD-Asie pour une prise de poste le 1er février 2014 et renouvellement possible à compter du 31 janvier 2017.
Par lettre du 1er février 2017, le contrat prévoyant l'expatriation du salarié a été prorogé au 31 janvier 2018.
La relation contractuelle était régie par les dispositions de la convention collective nationale de la Banque.
Par lettre du 20 octobre 2017, M. [X] a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, avec mise à pied conservatoire à effet immédiat.
L'entretien s'est tenu le 9 novembre 2017, en présence d'un délégué syndical.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 15 novembre 2017, la société CA-CIB a notifié à M. [X] son licenciement pour faute grave, en ces termes :
« Monsieur,
Nous vous avons convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'à un licenciement pour faute grave le 9 novembre 2017 à 11 heures. Cette convocation était assortie d'une mise à pied conservatoire à effet immédiat.
Lors de cet entretien, durant lequel vous étiez assisté par Monsieur [D] [G], Délégué Syndical National, nous vous avons exposé les raisons nous conduisant à envisager cette mesure et avons recueilli vos explications, qui ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.
Vous avez été embauché le 1er mars 1991 et exerciez en dernier lieu et depuis le 1er février 2014, les fonctions de Responsable GMD Asie Pacifique. Vous étiez affecté, à ce titre, au sein de notre succursale de [Localité 6].
Au cours du mois d'octobre 2017, la Direction des ressources humaines de CA CIB France a été informée de la survenance de faits susceptibles de laisser supposer l'existence d'un comportement inadapté de votre part à l'égard de plusieurs collaboratrices du Groupe.
Une enquête interne a été diligentée afin de recenser et d'évaluer de façon précise les agissements dénoncés.
A l'issue de celle-ci, nous avons découvert que vous aviez adopté, à plusieurs reprises et depuis plusieurs années, un comportement déplacé et inapproprié à l'égard d'au moins 8 salariés de sexe féminin travaillant dans plusieurs succursales du Groupe faisant partie de votre périmètre de responsabilité.
Vous avez notamment envoyé de façon répétée, parfois en dehors des heures de travail, des emails sur la messagerie professionnelle de plusieurs salariées, des SMS ainsi que des messages personnels via des messageries instantanées locales à accès restreint.
Le contenu de ces messages est inacceptable compte tenu de votre positionnement hiérarchique.
A titre d'exemple, vous avez donné à plusieurs collaboratrices votre numéro de téléphone portable personnel, et cela sans qu'elles ne vous l'aient demandé.
Dans le même sens, vous n'avez pas hésité à demander à plusieurs d'entre elles leur numéro de téléphone personnel ou leurs coordonnées de messageries instantanées et cela afin d'échanger avec elles sur des sujets que vous avez-vous-même qualifiés de non-professionnels.
Plus grave encore, vous avez fait des compliments déplacés et totalement inappropriés sur la tenue vestimentaire d'au moins une collaboratrice.
Ne prenant visiblement pas la mesure de vos propos dépassant très largement les limites d'une relation professionnelle, nous avons découvert que vous avez demandé à une salariée à une heure tardive de la soirée et par le biais d'une messagerie instantanée si elle vous « aimait bien ».
Nous avons également découvert que vous aviez invité plusieurs collaboratrices, et parfois de façon insistante, à vous retrouver en dehors du temps et du lieu de travail afin de boire un verre, voire même afin de vous accompagner dans votre chambre d'hôtel.
Plus généralement, plusieurs salariées placées dans votre périmètre de responsabilité ont déploré des regards insistants sur certaines parties de leur corps telles que leur poitrine, ou encore, que vous ayez tenté d'obtenir des renseignements par le biais d'interrogations et d'allusions sur leur vie privée, et plus particulièrement sur leurs relations amoureuses.
Ces comportements déplacés, dégradants et équivoques confinant au harcèlement sexuel sont particulièrement graves compte tenu de votre niveau de responsabilité au sein de GMD Asie Pacifique ainsi que du positionnement des salariées concernées, qui sont majoritairement de jeunes femmes ayant peu d'ancienneté dans l'entreprise ou titulaires d'un contrat précaire.
Ces dernières se sont trouvées dans l'impossibilité manifeste de vous indiquer que votre comportement les dérangeait et générait chez elles un sentiment de panique. A ce titre, plusieurs salariées ont exprimé ne pas avoir su quoi répondre à vos avances de peur que cela ait un impact sur leur carrière professionnelle.
Ces comportements sont d'autant plus inacceptables que vous avez déjà été alerté sur le fait d'avoir tenu à deux salariées des propos déplacés et équivoques, ce qui vous avait conduit à présenter vos excuses à ces deux collaboratrices fin 2016 et début 2017.
Or, force est de constater que malgré cette mise en garde, vous n'avez pas jugé utile de modifier votre comportement et avez continué à tenir des propos déplacés à l'égard des collaboratrices du Groupe.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, nous vous notifions votre licenciement pour faute grave en application de l'article 27 de la Convention collective de la banque.
Votre licenciement prend effet immédiatement, sans préavis ni indemnité de licenciement. Votre période de mise à pied à titre conservatoire ne vous sera pas rémunérée. ».
Par requête introductive reçue au greffe en date du 3 janvier 2018, M. [X] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre d'une demande tendant à ce que son licenciement pour faute grave soit jugé comme étant sans cause réelle et sérieuse, et à obtenir le versement de dommages et intérêts et de diverses sommes à titre de rappel de salaires.
Par jugement rendu le 06 février 2020, auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Nanterre a :
Constaté que la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank a fait preuve d'une réaction proportionnée à la gravité des faits dès lors que ceux-ci ont été portés à sa connaissance,
Dit et jugé que les faits de harcèlement sexuel de la part de M. [X] sont clairement établis,
Dit et jugé que les éléments permettant de caractériser la faute grave sont réunis,
Dit et jugé que le licenciement de M. [X] par la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
Dit et jugé que la condition de présence de M. [X] dans l'entreprise au 31 décembre de l'année pour bénéficier des bonus, prévue par le contrat, est valide pour les années 2014, 2015 et 2016,
Dit et jugé que les éléments de bonus acquis au titre des années 2014, 2015 et 2017 par M. [X] sont dus par la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank,
En conséquence, le Conseil,
Déboute M. [X] de ses demandes :
de rappel de salaire sur mise à pied pour la période du 20 octobre au 18 décembre 2017, et de congés payés afférents,
d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents,
d'indemnité légale de licenciement,
d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et préjudice d'image,
de remboursement des frais de logement à [Localité 6] pour la période du 20 octobre au 10 janvier 2018,
de remboursement des frais de déménagement en vue du retour de M. [X] en France,
de remboursement des frais de scolarité de M. [X] [R], fils de M. [X],
Débouté M. [X] de sa demande de paiement du bonus au titre de l'année 2017, la condition de présence au 31 décembre de l'année de M. [X] dans l'entreprise, prévue par contrat, n'étant pas remplie,
Condamné la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank à verser à M. [X] les sommes suivantes :
58 290 euros au titre de la rémunération différée pour l'année 2014,
175 011 euros au titre de la rémunération différée pour l'année 2015,
253 759 euros au titre de la rémunération différée pour l'année 2016,
Dit et jugé que, conformément à l'article 14 de l'accord fiscal entre la France et [Localité 6] du 21 octobre 2010, ces sommes dues au titre des bonus, qui sont la contrepartie d'une activité entièrement exercée à [Localité 6], seront imposées à [Localité 6] et ne pourront faire l'objet d'un prélèvement à la source en France,
Ordonné à la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank de remettre à M. [X] un certificat de travail, des bulletins de salaire, et une attestation Pôle Emploi, conformes à la décision intervenue, c'est-à-dire incluant les bonus dus,
Débouté M. [X] de ses demandes d'intérêts légaux et d'anatocisme,
Débouté M. [X] de sa demande d'exécution provisoire,
Débouté M. [X] et la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamné M. [X] aux entiers dépens de l'instance.
Par déclarations d'appel, reçues respectivement au greffe le 3 et 12 juin 2020, M. [X] et la société CA-CIB ont interjeté appel de ce jugement.
Par un arrêt rendu le 6 juillet 2022, la Cour d'appel de Versailles a :
Débouté M. [X] de sa demande tendant à voir écarter des débats les pièces 18 à 25 communiquées par la société CA CIB,
Infirmé partiellement le jugement,
Statuant à nouveau,
Dit que le harcèlement sexuel n'est pas constitué,
Dit que le licenciement de M. [X] repose sur une cause réelle et sérieuse,
Condamne la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank à verser à M. [X] les sommes suivantes :
- 136 433 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied,
- 13 643,30 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- 211 705 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 21 170,50 euros bruts à titre de congés payés afférents,
- 570 428 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,
- 25 582 euros au titre de remboursement des frais de logement pour la période du 20 octobre 2017 au 18 décembre 2017,
- 12 500 euros au titre du remboursement des frais de déménagement,
- 3 736 euros au titre de remboursement des frais de scolarité du fils [R] de M. [X],
- 51 533 euros au titre de la rémunération différée de l'année 2014,
- 144 883 euros au titre de la rémunération différée de l'année 2015,
- 195 096 euros au titre de la rémunération différée de l'année 2016,
- 435 000 euros au titre de la part variable pour l'année 2017,
Dit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur l'application de l'article 14 de l'accord fiscal entre la France et [Localité 6] du 21 octobre 2010, ces sommes et sur le paiement des cotisations sociales,
Rappelle que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et d'orientation et les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Ordonne la capitalisation des intérêts dès lors qu'ils seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite,
Ordonne à la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank de remettre à M. [X] un certificat de travail, des bulletins de paye et l'attestation Pôle Emploi rectifiés,
Confirme le jugement pour le surplus,
Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
Condamne la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank à payer à M. [X] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance en cause d'appel,
Condamne la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank aux dépens.
La société CA-CIB a formé un pourvoi en cassation.
M. [X] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Par un arrêt de cassation partielle en date du 13 mars 2024 (pourvoi n°22-20.970), auquel renvoie la cour pour l'exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, la chambre sociale de la Cour de cassation a :
Rejeté le pourvoi incident ;
Cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il dit que le harcèlement sexuel n'est pas constitué et que le licenciement de M. [X] repose sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il condamne la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank à payer à M. [X] les sommes de 136 433 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied outre la somme de 13 643,30 euros bruts au titre des congés payés afférents, de 211 705 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 21 170,50 euros bruts à titre de congés payés afférents, 570 428 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, 25 582 euros au titre de remboursement des frais de logement pour la période du 20 octobre 2017 au 18 décembre 2017 et de 12 500 euros au titre du remboursement des frais de déménagement, l'arrêt rendu le 6 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Par déclaration de saisine du 6 mai 2024, M. [X] a saisi la Cour d'appel de Versailles.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 11 décembre 2024.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 3 décembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [X], appelant, demande à la cour de :
Déclarer Monsieur [L] [X] recevable et bien fondé en son appel,
Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
Constaté que la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank a fait preuve d'une réaction proportionnée à la gravité des faits dès lors que ceux-ci ont été portés à sa connaissance,
Dit et jugé que les faits de harcèlement sexuel de la part de Monsieur [X] [L] sont clairement établis,
Dit et jugé que les éléments permettant de caractériser la faute grave sont réunis,
Dit et jugé que le licenciement de Monsieur [X] [L] par la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
Débouté Monsieur [X] [L] de ses demandes :
- de rappel de salaire sur mise à pied pour la période du 20 octobre au 18 décembre 2017, et de congés payés afférents,
- d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents,
- d'indemnité légale de licenciement,
- d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- de remboursement des frais de logement à [Localité 6] pour la période du 20 octobre au 10 janvier 2018,
- de remboursement des frais de déménagement en vue du retour de Monsieur [X] [L] en France,
- de ses demandes d'intérêts légaux et d'anatocisme,
Condamné Monsieur [X] [L] aux entiers dépens.
Ce faisant,
Requalifier le licenciement pour faute grave de Monsieur [X] en licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,
Sur les conséquences financières du licenciement
Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [X] de ses demandes indemnitaires afférentes à la rupture du contrat de travail
Condamner la Société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank à verser à Monsieur [X] les sommes suivantes au titre :
de l'indemnité compensatrice de préavis : 211 705 euros,
des congés payés sur préavis : 21 170,5 euros,
de l'indemnité légale de licenciement : 570 428 euros,
du licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse : 1 305 515 euros,
des salaires sur mise à pied pour la période du 20 octobre 2017 au 18 décembre 2017: 136 433 euros,
des congés payés afférents : 13 643,30 euros,
du remboursement des frais de logement à [Localité 6] pour la période du 20 octobre 2017 au 10 janvier 2018 : 30 290 euros,
du remboursement des frais de déménagement en vue de son retour en France :
12 500 euros,
Assortir les condamnations des intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud'hommes de Nanterre,
Ordonner la remise du certificat de travail, des bulletins de salaire et de l'attestation Pôle Emploi conformes à la décision à intervenir,
Ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du Code Civil,
Condamner la Société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank à verser à Monsieur [X] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile,
Condamner la Société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 9 décembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société CA-CIB, intimée, demande à la cour de :
A titre liminaire, de déclarer irrecevables :
la demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire et préjudice d'image ;
la prétention nouvelle tirée d'une prétendue violation de l'article 27.1. de la convention collective nationale des banques, et la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse formulée à ce titre.
A titre principal, de confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :
constaté que la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank avait fait preuve d'une réaction proportionnée à la gravité des faits dès lors que ceux-ci ont été portés à sa connaissance ;
dit et jugé que les faits de harcèlement sexuel de la part de Monsieur [L] [X] sont clairement établis ;
dit et jugé que les éléments permettant de caractériser la faute grave sont réunis ;
dit et jugé que le licenciement de Monsieur [L] [X] par la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
débouté Monsieur [L] [X] de ses demandes visant à voir condamner la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank à lui verser :
136 433,00 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied pour la période du 20 octobre 2017 au 18 décembre 2017,
13 643,30 euros au titre des congés payés afférents,
211 705,00 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
21 170,50 euros au titre des congés payés sur préavis,
570 428,00 euros à titre de l'indemnité légale de licenciement,
1 305 515,00 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
30 290,00 euros au titre du remboursement des frais de logement à [Localité 6] pour la période du 20 octobre 2017 au 10 janvier 2018,
12 500,00 euros au titre du remboursement des frais de déménagement en vue de son retour en France,
5 000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
des intérêts légaux et de l'anatocisme.
En conséquence,
Débouter Monsieur [X] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
En tout état de cause, de :
Condamner Monsieur [X] à verser à la société Crédit Agricole Corporate and Investment Bank la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner Monsieur [X] aux entiers dépens de la présente instance.
MOTIFS
1/ Sur le périmètre de la cassation
L'étendue de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt et s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire (article 624 du code de procédure civile).
Il y lieu de souligner qu'en l'espèce la cour de cassation a consacré un paragraphe spécifique à la portée et aux conséquences de la cassation en indiquant que : « La cassation du chef de dispositif ayant dit que le harcèlement sexuel n'est pas constitué et que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse n'emporte pas celle du chef de dispositif de l'arrêt condamnant la société au remboursement des frais de scolarité du fils du salarié, qui ne s'y rattache ni par un lien d'indivisibilité ni par un lien de dépendance nécessaire, la cour d'appel ayant retenu que l'article 10 du contrat qui détermine les conditions de paiement des frais de scolarité des enfants n'exclut pas leur remboursement en cas de licenciement du salarié.
La cassation du chef de dispositif ayant dit que le harcèlement sexuel n'est pas constitué et que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci et non remises en cause. ».
La cour de cassation a par suite cassé et annulé l'arrêt précédemment rendu « mais seulement en ce qu'il dit que le harcèlement sexuel n'est pas constitué et que le licenciement de M. [X] repose sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il condamne la société Crédit agricole Corporate and Investment Bank à payer à M. [X] les sommes de 136 433 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied outre la somme de 13 643,30 euros bruts au titre des congés payés afférents, de 211 705 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 21 170,50 euros au titre des congés payés afférents, 570 428 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, 25 582 euros au titre du remboursement des frais de logement pour la période du 20 octobre 2017 au 18 décembre 2017 et de 12 500 euros au titre du remboursement des frais de déménagement, l'arrêt rendu le 6 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée. ».
En l'espèce, La société CA-CIB soulève in limine litis l'irrecevabilité des chefs de demandes formées par l'appelant en dehors du périmètre de saisine de la cour d'appel de renvoi et qui sont relatives d'une part aux dommages-intérêts sollicités pour licenciement vexatoire et préjudice d'image (100 000 euros) et à celles faites sur le fondement de l'article 27.1 de la convention collective des banques. La société intimée considère que la cour de renvoi n'est saisie que sur deux points à savoir l'existence du harcèlement sexuel et la qualification de la faute en découlant.
M. [X] lui oppose que la société intimée confond les notions de prétentions et de moyens. Il en déduit que l'argument tiré de la violation de l'article 27-1 de la convention collective vient au soutien de sa prétention visant à juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il estime être ainsi libre de développer devant la juridiction de renvoi tout moyen nouveau au soutien de cette prétention. Il précise d'ailleurs ne pas l'avoir fait figurer dans le dispositif de ses conclusions. Il ne répond pas sur l'irrecevabilité qui lui est opposée relative aux dommages et intérêts pour licenciement vexatoire.
Concernant les dommages et intérêts pour licenciement vexatoire
Il y a lieu d'observer en premier lieu que devant la présente cour de renvoi, M. [X] ne forme pas dans le dispositif de ses conclusions une demande concernant les dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et préjudice d'image.
En application de l'article 964 du CPC, la cour n'étant pas saisie de demande à ce titre, il n'y a pas lieu de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par la société.
Concernant l'interprétation de la convention collective des banques (article 27-1)
L'article 563 du code de procédure civile prévoit que pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer de nouveaux moyens.
Dans le cadre des dispositions spécifiques aux effets du pourvoi en cassation, l'article 632 du même code ajoute que les parties peuvent invoquer de nouveaux moyens à l'appui de leurs prétentions.
Il convient d'examiner si M. [X] forme ou non des prétentions spécifiques dans le cadre du moyen qu'il développe autour de la violation de l'article 27-1 de la convention collective des banques (sur le caractère suspensif du recours devant la commission paritaire de recours interne) pour déterminer ensuite si cette demande se rattache ou non par un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
Or, il ne ressort pas du dispositif des conclusions de M. [X] que celui-ci formule une demande spécifique découlant de son interprétation de la convention collective puisque le moyen invoqué l'est au soutien de sa discussion sur le caractère réel et sérieux du licenciement.
Il ne s'agit donc pas d'une demande nouvelle qui serait hors du champ de la cassation.
Il s'en suit que M. [X] ne formule donc pas de demande qui ne serait pas dans le périmètre de la cassation. La fin de non-recevoir sera donc rejetée.
2/ Sur la nullité du licenciement pour violation du droit au respect de l'intimité de la vie privée
M. [X] sollicite à titre principal la nullité de son licenciement. Cette demande pour la première fois en appel, estime que celle-ci tend aux mêmes fins que celles visant à obtenir le prononcé d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, invoque, sur le fondement des articles L.1121-1 du code du travail et 9 du code civil, la nullité de son licenciement en raison d'une violation du droit au respect de l'intimité de la vie privée.
Il considère que les messages émis et reçus par lui entre le 1er février 2014 et le 31 octobre 2017, extraits de sa boîte mail professionnelle en mars 2019, soit près d'un an et demi après le licenciement et communiqués par CA-CIB le 31 mai 2019 , s'inscrivaient dans le cadre d'échanges privés, qui n'avaient pas vocation à devenir publics et n'ont été connus de l'employeur qu'à la suite d'une recherche systématique de preuves destinées à justifier a posteriori son licenciement pour faute grave. Il soutient ainsi que Mmes [P] [U], [A] [GI], [K] [T], [B] [IS] sont étrangères à la société CA CIB et qu'elles ne sont ni clientes, ni prestataires de service de la société CA-CIB. Il ajoute que Mme [M] [C] est une amie personnelle de Monsieur et Madame [X], tout comme Mme [KI] [I].
Il demande à la cour de juger que ces conversations de nature privée n'étaient pas destinées à être rendues publique et ne constituaient pas un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail. Il en déduit l'existence d'un caractère illicite du motif de son licenciement fondé en partie sur le contenu de messages personnels émis par le salarié grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, en violation du droit au respect de l'intimité de sa vie privée, liberté fondamentale.
La société CA-CIB souligne que cette extraction a été faite conformément aux dispositions applicables à l'époque à savoir la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés et que le contenu de ces messages justifie son licenciement pour faute grave. L'employeur souligne que tous les contenus de mails extraits de la messagerie professionnelle de M. [X] proviennent de sa messagerie professionnelle et que la société est en droit de les produire puisqu'ils ne sont pas identifiés comme personnels et sont à ce titre présumés professionnels.
En l'espèce,
L'article 5 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés dispose que « sont soumis à la présente loi les traitements de données à caractère personnel : 1° Dont le responsable est établi sur le territoire français. Le responsable d'un traitement qui exerce une activité sur le territoire français dans le cadre d'une installation, quelle que soit sa forme juridique, y est considéré comme établi ['] ».
En vertu des dispositions de l'article L 1121 ' 1 du code du travail nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionné au but recherché.
La cour de cassation considère qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (Assemblée plénière, 22 décembre 2023, n°21-11.330) ou si ce fait se rattache à la vie professionnelle de l'intéressé (Cass. Soc. 6 février 2002 n° 99-45.418 ; Cass. Soc. 26 juin 2013 n° 12-16.564).
Il est constant que les messages émis et reçus par le salarié entre le 1er février 2014 et le 31 octobre 2017, extraits de sa boîte mail professionnelle en mars 2019, et supports de la faute grave invoquée par l'employeur, étaient destinés à des collaboratrices, intérimaires, stagiaires ou consultantes, salariées du groupe ou des succursales ont été envoyés pendant le temps de travail et se rattachent à la vie professionnelle de l'intéressé. En outre, le salarié n'a pas fait de mention expresse dans ces messages de leur caractère privé et ne démontre dans le cadre des débats qu'ils se rattacheraient à sa vie privée.
En conséquence, la cour retient qu'il n'est pas établi la preuve de la violation par l'employeur d'une liberté fondamentale justifiant la nullité du licenciement.
La cour en déduit qu'il convient dès lors de débouter M. [X] de sa demande de nullité du licenciement, ainsi que de sa demande de dommages-intérêts en découlant.
3/ Sur le licenciement
Sur le moyen tiré du licenciement sans cause réelle et sérieuse et la violation de l'article 27-1 de la Convention collective des banques
L'article 27.1 de la Convention collective de la Banque, relatif au licenciement disciplinaire dispose: « Le salarié dispose d'un délai de 5 jours calendaires à compter de la notification du licenciement pour, au choix et s'il le souhaite, saisir par lettre recommandée avec accusé de réception :
- la commission paritaire de recours interne à l'entreprise (')
- ou la commission paritaire de la banque (')
Ces recours sont suspensifs, sauf si le salarié a fait l'objet d'un licenciement pour faute lourde.
Toutefois ce caractère suspensif ne saurait se prolonger au-delà d'une durée de 30 jours calendaires à partir de la date de la saisine de l'instance de recours interne ou de la commission paritaire de la banque. Le licenciement ne pourra donc être effectif qu'après avis de la commission saisie s'il a été demandé par le salarié sanctionné. L'avis devra être communiqué dans les 30 jours calendaires qui suivent la saisine. ».
M. [X] invoque à titre subsidiaire, et au soutien de ce que son licenciement est privé de cause réelle et sérieuse, le moyen tiré de la violation de l'article 27-1 de la convention collective des banques.
Il considère qu'une irrégularité a été commise dans le déroulement de la procédure disciplinaire, en ce que la société a procédé à son remplacement le 16 novembre 2017 avant même que la commission paritaire ait communiqué son avis le 8 décembre 2017.Il estime qu'il s'agit d'une garantie de fond puisqu'elle l'a privé des droits de sa défense et qu'elle a pu avoir une influence sur la décision finale de l'employeur et sollicite que son licenciement soit considéré comme sans cause réelle et sérieuse.
La société intimée lui oppose que le mail du 16 novembre 2017 fait état d'un remplacement temporaire de M. [X].
Elle verse aux débats une traduction de ce mail, faite par un traducteur assermenté, et souligne que l'emploi du terme « acting » dans le mail signifie temporaire. Elle en déduit que l'annonce ainsi faite ne permet pas d'en déduire une quelconque violation des dispositions conventionnelles et partant considère que cela n'a aucune incidence sur le caractère sans cause réelle et sérieuse du licenciement intervenu.
En l'espèce, le salarié a été valablement informé des dispositions résultant de l'article 27.1 de la convention collective par son employeur. Il a saisi la commission ainsi prévue par les dispositions conventionnelles le 22 novembre 2017, soit dans le délai de 5 jours calendaires du prononcé de la sanction décidée par l'employeur le 15 novembre 2017. Cette commission a ensuite rendu son avis le 8 décembre 2017.
La cour constate que le mail du 16 novembre 2017 dont la traduction en français produit aux débats par l'employeur indique : « nous sommes ravis d'annoncer que [BA] [W] a été nommé directeur régional par intérim des marchés globaux de l'Asie-Pacifique. Il prend le relais de [L] [X] qui n'est plus à ce poste ». Les pièces versées aux débats par la société démontrent la nature temporaire de ce remplacement, Monsieur [W] continuant à exercer ses missions de directeur commercial pour l'Asie et de directeur des ventes et institutions financières pour l'Asie en même temps que cette mission d'intérim et ce n'est que le 23 avril 2018 qu'il a été définitivement affecté à son poste.
La cour constate en conséquence qu'à la date de l'avis de la commission M. [X] n'avait pas été définitivement remplacé et que M. [X] a pu bénéficier des dispositions de l'article 27-1.
Il s'en suit que le licenciement de M. [X] ne peut être de ce chef dit comme étant sans cause réelle et sérieuse.
le harcèlement sexuel au soutien de la faute grave
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifie son départ immédiat.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
Les articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail disposent que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
Enfin, il y a lieu de rappeler que la règle probatoire, prévue par l'article L. 1154-1 du code du travail, n'est pas applicable lorsque survient un litige relatif à la mise en cause d'un salarié auquel sont reprochés des agissements de harcèlement sexuel ou moral (Soc., 29 juin 2022, pourvoi n °21-11.437, publié).
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, évoque :
des comportements inadaptés, déplacés, dégradants confiant au harcèlement sexuel (contenu de messages inacceptables, envoi du numéro personnel de M. [X] à ces salariées sans qu'elles ne lui aient demandé, échange sur des sujets non-professionnels, compliments déplacés et inappropriés sur la tenue vestimentaire d'une collaboratrice dépassant les limites d'une relation professionnelle, invitations à venir prendre un verre ou à accompagner M.[X] dans sa chambre d'hôtel, des regards insistants sur certaines partie de leurs corps telles que la poitrine ou des allusions sur leur vie privée et leurs relations amoureuses ), à plusieurs reprises et depuis plusieurs années, à l'égard de 8 collaboratrices du groupe faisant partie de du périmètre de responsabilité du salarié, avec un envoi de façon répétée, parfois en dehors des heures de travail d'emails sur les messageries professionnelles de plusieurs salariées, de SMS ainsi que des messages personnels via des messageries instantanées locales à accès restreint et une impossibilité manifeste de ces collaboratrices d'indiquer à M. [X] que son comportement les dérangeaient et généraient un sentiment de panique, de peur ou de crainte pour leur carrière professionnelle ;
La mise en place d'une enquête interne a permis d'évaluer de façon précise les agissements dénoncés.
Le fait que M. [X] ait déjà été alerté sur son comportement et ses propos déplacés et équivoques l'ayant conduit à présenter ses excuses à deux collaboratrices fin 2016 et début 2017.
L'article L. 1153-1 du Code du travail dans sa version applicable au litige précise qu' « aucun salarié ne doit subir des faits :
1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. ».
L'article L.1153-5, dans sa version applicable au litige, ajoute que « l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d'y mettre un terme et de les sanctionner.
Dans les lieux de travail ainsi que dans les locaux ou à la porte des locaux où se fait l'embauche, les personnes mentionnées à l'article L. 1153-2 sont informées par tout moyen du texte de l'article 222-33 du code pénal ainsi que des actions contentieuses civiles et pénales ouvertes en matière de harcèlement sexuel et des coordonnées des autorités et services compétents. La liste de ces services est définie par décret. »
M. [X], qui sollicite l'infirmation du jugement du conseil de prud'hommes, conteste la faute grave qui lui est reprochée. Il reproche au conseil de prud'hommes d'avoir jugé que « les faits de harcèlement sexuel de la part de Monsieur [X] sont clairement établis », alors que la lettre de licenciement invoque : « un comportement déplacé et inapproprié'confinant au harcèlement sexuel », se livrant ainsi à une dénaturation des faits et une substitution de motifs.
Il rappelle que, salarié détaché à [Localité 6] depuis le 1er février 2014, il exerçait la fonction de responsable sur les marchés de capitaux dans la zone Asie Pacifique et qu'il dirigeait à ce titre 300 salariés, répartis sur 8 pays.
Il soutient que ses conditions de travail ont commencé à se dégrader à compter de la fin de l'année 2015 après que Mme [N] [F], nouvelle responsable des marchés de capitaux Asie, ait mis en place des méthodes de management qui ont exposées le salarié à de fortes tensions. Il en déduit que, dans ce contexte de grande instabilité des équipes, de restructuration, de brutalité dans la gestion des ressources humaines, il a été subitement mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable en vue d'un licenciement disciplinaire qui s'est tenu le 9 novembre 2017. A compter de cette date, son employeur a cessé de prendre en charge ses frais de logement et la scolarité de son fils à [Localité 6]. Il dit avoir été choqué du mail du 16 novembre 2017 adressé à 250 personnes, jusque-là placées sous son autorité, qui indiquait que M. [BA] [W] « succède à [L] [X] qui n'occupe plus ce poste ».
Il reproche à son employeur d'avoir accolé artificiellement des extraits de messages. Il évoque une carrière exemplaire au sein du groupe pendant 26 années, sans aucun reproche ou avertissement et il produit en ce sens ses évaluations annuelles. Il produit également aux débats des attestations de personnes avec lesquelles il est en relation, soit dans le cadre de son activité professionnelle, soit de celle découlant de la fondation qu'il a créée ou encore dans le cadre des 'uvres caritatives auxquelles il collabore.
Il en déduit que les motifs du licenciement invoqués par la société CA CIB ne sont pas établis et ne répondent pas à la qualification de harcèlement sexuel susceptible de caractériser une faute grave. Il estime que la société CA-CIB n'a pas diligenté une enquête interne impartiale et contradictoire en concertation avec les représentants du personnel et le CHSCT avant de procéder à son licenciement.
L'employeur, qui sollicite la confirmation du jugement de première instance, invoque la faute grave du salarié en raison du comportement inacceptable qui lui est reproché au travers d'agissements constitutifs de harcèlement sexuel à l'encontre de collaboratrices du groupe, dont certaines étaient placées sous sa subordination. L'employeur soutient que M. [X] a fait preuve de comportements déplacés, dégradants et équivoques confinant au harcèlement sexuel, mentionne avoir été informé d'agissements totalement inappropriés de son salarié et ajoute avoir fait diligenter une enquête interne en octobre 2017. Il considère que le comportement du salarié est parfaitement caractérisé et verse aux débats les attestations des collaboratrices concernées. L'employeur reproche à son salarié de s'être autorisé à faire des commentaires sur les tenues de plusieurs de ses collaboratrices, d'avoir exprimé des sentiments personnels qui ne peuvent pas être considérés comme étant de simples échanges professionnels cordiaux, d'avoir multiplié les invitations à dîner et/ou prendre des verres en tête à tête avec plusieurs jeunes collaboratrices, d'avoir adressé des messages dépassant le cadre professionnel dès le jour de la rencontre de certaines collaboratrices du groupe, mais également d'avoir fait des avances et tenu des propos ambigus en invitant une intérimaire à le rejoindre dans sa chambre d'hôtel et à une assistante à passer la nuit avec lui. L'employeur souligne que M. [X] avait déjà eu un comportement inapproprié lorsqu'il avait proposé à des salariés de la succursale de Corée du Sud d'établir un contact privé et leur demandant leurs coordonnées personnelles. Il précise qu'à cette occasion M. [X] s'était d'ailleurs excusé auprès de ces jeunes femmes.
La société CA-CIB en déduit que l'attitude et les propos de M. [X] à l'égard de plusieurs collaboratrices sont inappropriés et constituent un manquement grave aux obligations contractuelles du salarié, accentué par le fait que M. [X] bénéficiait de hautes responsabilités au sein du groupe.
***
Il ressort de l'analyse des pièces et des débats que les messages adressés par M. [X], à de jeunes femmes travaillant avec lui, à un niveau hiérarchique inférieur au sien et plutôt récemment arrivées dans l'entreprise, avaient pour support soit l'envoi de mails par sa messagerie professionnelle, soit l'envoi de sms via son téléphone professionnel.
Ces messages sont constitués par des propos à connotation sexuelle dès lors qu'il est constaté à la lecture des pièces que M. [X] a proposé à une jeune femme travaillant avec ses équipes de « boire une coupe de champagne au Park Hôtel le jeudi soir après mon diner ou dans ma chambre aujourd'hui au Park Hotel vers 18h00 -signé d'un smiley (il faudra que je parte vers 19h cependant) avec du champagne ' que choisissez-vous '».
De la même manière lorsqu'il écrit à une autre « j'aime bien votre façon de manger des bananes' très inspirante », ou bien « Vous m'aimez bien ' », mais aussi « Voulez-vous aller dans la chambre ' je peux la réserver de suite si vous voulez » et suite au refus opposé (en l'espèce par Mme [V]), M. [X] d'insister « Pourquoi ne viendriez-vous pas chez moi ce soir ' ».
Ces messages sont par ailleurs répétés à l'égard de sa secrétaire, Mme [E] [O] à l'égard de laquelle la cour constate qu'entre le 6 novembre 2015 et le 27 juillet 2017 M. [X] a adressé neuf messages dont un en ces termes et le 27 juillet 2017 : « Vous allez me prendre pour un fou ou trouver mon comportement déplacé mais j'adorerais passer le reste de la nuit avec vous. Une seule et unique fois », « Vos excuses sont bien acceptées... mais vous devriez chercher à obtenir le pardon ».
Sont également versés aux débats les témoignages de collaboratrices qui ont également reçu les messages suivants de M. [X] sur leur tenue vestimentaire comme par exemple : « j'adore ta robe », « j'aime comme vous étiez habillée ce soir », « J'ai apprécié votre charme et votre élégance. J'aimerais vous revoir si c'est possible », « Je ne sais pas pourquoi, mais j'aime bien quand vous dites ça' », « je suis pressé de te voir lundi », « tu m'as manqué », « je suis content de te voir ce matin », « Vous êtes merveilleuse'comme toujours », « J'espère vite vous voir », « Votre sourire vaut un million de soleils » ou encore évoquant la tenue vestimentaire d'une assistante et lui indiquant qu'il aimerait le revoir « avec votre tenue de samba ».
Ces jeunes femmes attestent en procédure du ressenti provoqué par de tels propos à leur endroit et témoignent unanimement de leur embarras.
Mme [Y] [Z], invitée à boire un verre dans un hôtel et à qui M. [X] a demandé si elle l'aimait bien, a témoigné : « J'étais tellement effrayée à l'idée de le voir arriver au bureau dans les jours à venir que je n'ai pas pu dormir cette nuit-là et des rougeurs me sont même apparues sur tout le corps à cause du stress ».
Mme [J] [S] [H] a quant à elle indiqué que le comportement de M. [X] l'a confrontée à une situation embarrassante et gênante compte tenu du poste occupé par M. [X] et du fait qu'ils pouvaient être amenés de nouveau à se croiser dans les locaux de l'entreprise.
Ce comportement récurrent du salarié, quand bien même il n'était pas accompagné de pressions graves dans le but d'obtenir un acte sexuel, caractérise le harcèlement sexuel au sens de l'article L.1153-1 du code du travail, dès lors qu'il a porté atteinte à la dignité des jeunes femmes concernées en raison de leur caractère dégradant ou humiliant et qu'il a créé à leur encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
Contrairement aux allégations de M. [X] ces témoignages, mêmes s'ils ont été obtenus après son licenciement, sont parfaitement probants et attestent de la gêne que le comportement de M. [X] a provoqué au regard de la situation qu'il a imposée à ses interlocutrices en sa qualité de supérieur hiérarchique. Ces messages ne sont pas accolés artificiellement pour les besoins de la procédure, comme soutenu par l'appelant, mais extraits de conversations écrites plutôt courtes dans lesquels ils apparaissent clairement. Ils ne sont pas davantage, comme également invoqué par M. [X], « sortis de leur contexte » mais résulte d'échanges qui n'avaient aucune nature professionnelle.
En outre, ni les attestations, ni les courriels, ni le compte rendu d'entretien préalable établi par M. [G], délégué syndical qui assistait le salarié, produits par ce dernier, ne démontrent que celui-ci aurait été une victime collatérale des méthodes de management de la nouvelle responsable des Marchés de Capitaux en Asie, Mme [F].
La violence évoquée par le salarié, qui soutient avoir été rapidement mis à l'écart au démarrage de la procédure de licenciement et qui reproche à son employeur d'en avoir informé ses collaborateurs, ne l'illustre pas davantage dès lors qu'une fois la mise à pied effective, l'employeur devait annoncer aux équipes un nouveau directeur intérimaire.
Enfin, contrairement à ce que soutient l'appelant, aucune disposition légale n'impose à l'employeur d'associer les représentants du personnel à l'enquête interne menée à la suite de la dénonciation d'un comportement inapproprié.
Il y a lieu d'en déduire que les propos et comportements de M. [X], n'avaient pas leur place dans une situation de travail, et ont créé une situation intimidante et offensante pour les jeunes femmes qui les ont reçus.
Ni l'ancienneté du salarié, ni sa carrière ou ses activités caritatives, invoquées par l'appelant, ne sauraient permettre de minimiser la gravité de la faute ainsi commise dans le cadre de l'exécution du contrat du travail. De la même manière, les nombreuses attestations versées aux débats par l'appelant, certes très favorables au salarié, ne donnent pas d'information sur les faits reprochés.
Le comportement de M. [X] est donc de nature à caractériser un harcèlement sexuel et à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
La cour, confirmant le jugement rendu par le conseil des prud'hommes, considère en conséquence que le licenciement pour faute grave du salarié est justifié.
4/ Sur les conséquences financières du licenciement et les autres demandes financières
L'issue du litige conduit à retenir que la mise à pied était justifiée, tout comme le fait de rappeler qu'en cas de licenciement pour faute grave le salarié n'a droit ni à l'indemnité compensatrice de préavis, ni à une quelconque indemnité de licenciement.
Quant au remboursement des frais de logement à [Localité 6] (20 octobre 2017 au 10 janvier 2018) ou aux frais de déménagement, le contrat de travail ayant été rompu pour faute grave le salarié ne peut prétendre bénéficier des dispositions de l'article 7 de son contrat de détachement.
Il convient par déduction du jugement critiqué de débouter l'appelant de l'ensemble de ses demandes à ce titre.
Il se déduit enfin de ce qui précède que la demande formulée au titre de la remise des documents sociaux rectifiés est donc sans objet.
5/ Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
M. [X] qui succombe en ses prétentions sera condamné aux dépens de première instance par voie de confirmation, ainsi qu'aux dépens d'appel, en ce compris ceux afférents à l'arrêt cassé.
Il sera en outre condamné à payer à la société CA-CIB, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles du renvoi après cassation, tandis que M. [X] sera débouté de sa demande sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :
Vu l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 6 juillet 2022 (RG 20/01052),
Vu l'arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 13 mars 2024 (pourvoi n° 22-20.970, publié),
Statuant dans les limites de la cassation prononcée par cet arrêt,
CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 6 février 2020,
Y ajoutant,
REJETTE le moyen tiré de l'irrecevabilité des demandes nouvelles invoqués par la société CA-CIB ;
DÉBOUTE M. [X] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul
CONDAMNE M. [X] à verser à la société CA-CIB la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel, et du renvoi après cassation,
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,
CONDAMNE M. [X] aux dépens d'appel, en ce compris ceux afférents à l'arrêt cassé.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère, pour la Présidente empêchée et par Madame Solène ESPINAT, Greffière placée, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière placée, Pour la Présidente,