CA Aix-en-Provence, ch. 4-2, 14 mars 2025, n° 21/10100
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-2
ARRÊT AU FOND
DU 14 MARS 2025
N°2025/
Rôle N° RG 21/10100 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHX6R
[L] [G] épouse [V]
C/
S.A.S. COCA-COLA EUROPEAN PARTNERS FRANCE
Copie exécutoire délivrée
le : 14/03/2025
à :
Me Nathalie CAMPAGNOLO de la SELARL NCAMPAGNOLO, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Romain CHERFILS de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
(vest 352)
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX-EN-PROVENCE en date du 15 Juin 2021 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 19/00525.
APPELANTE
Madame [L] [G] épouse [V], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Nathalie CAMPAGNOLO de la SELARL NCAMPAGNOLO, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Cyril BOUDAULT, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
S.A.S. COCA-COLA EUROPEAN PARTNERS FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités au siège, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Christophe PLAGNIOL de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 08 Janvier 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Guillaume KATAWANDJA, Conseiller, et Mme Muriel GUILLET, Conseillère chargés du rapport.
Madame Muriel GUILLET, Conseillère, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre
M. Guillaume KATAWANDJA, Conseiller
Madame Muriel GUILLET, Conseillère
Greffier lors des débats : Mme Cyrielle GOUNAUD.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Février 2025.
Délibéré prorogé au 14 Mars 2025
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Mars 2025.
Signé par Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre et Mme Caroline POTTIER, adjointe administrative faisant fonction de greffier,auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Madame [L] [G] a été embauchée par la SAS Coca Cola European Partners France, désormais Coca-Cola Europacific Partners France, par contrat à durée indéterminée à compter du 14 janvier 2002, avec reprise d'ancienneté au 14 octobre 2001, en qualité de gestionnaire de stock.
Au dernier état de la relation contractuelle et suivant avenant du 22 octobre 2015, elle occupait un emploi de manager responsable service client et logistique, avec mise en 'uvre d'une convention de forfait de 210 jours de travail par an, pour un salaire de base brut annuel de 48 000 euros.
La convention collective applicable est celle des activités de production des eaux embouteillées, de boissons rafraîchissantes sans alcool et de bière.
En mars 2018, un accord collectif majoritaire sur les mesures sociales d'accompagnement du projet Transformation France de Coca Cola European Partners a été adopté.
Le 24 mai 2018, la salariée et l'employeur ont signé une convention de rupture d'un commun accord pour motif économique, dans le cadre d'une demande de départ volontaire validée le 20 avril 2018 par la commission de suivi, prévoyant notamment une rupture du contrat de travail au 30 juin 2018.
Par ordonnance du 30 mai 2018, signifiée à l'employeur le 18 juin 2018, le juge des référés de Nanterre a suspendu la procédure du plan de sauvegarde de l'emploi. Par arrêt du 12 juillet 2018, la cour d'appel de Versailles a infirmé cette décision.
Le 17 juillet 2018, la SAS Coca Cola European Partners France a adressé à Madame [L] [G] épouse [V] une version actualisée de la convention de rupture d'un commun accord pour motif économique dans le cadre d'un départ volontaire, se substituant en tous ses termes à la précédente, que la salariée a acceptée.
Madame [L] [G] épouse [V] a perçu une indemnité de rupture totale de 77 218,19 euros, incluant l'indemnité de licenciement, outre 18 000 euros pour la création de son entreprise.
Considérant notamment que la rupture s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse du fait du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement et que la convention de forfait jours était nulle, elle a saisi le 12 juillet 2019 le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence, lequel par jugement du 15 juin 2021:
CONSTATE l'exécution déloyale par la SAS COCA COLA EUROPEAN PARTNERS FRANCE de la convention de forfait jours.
CONSTATE la nullité de la convention de forfait jours.
En conséquence,
CONDAMNE la SAS COCA COLA EUROPEAN PARTNERS FRANCE à verser à Madame [L] [V] les sommes suivantes:
- QUATRE MILLE CINQ CENTS EUROS (4.500 €) au titre de l'exécution déloyale de la convention de forfait jours entachée de nullité
- MILLE EUROS (1.000 €) au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
DEBOUTE Madame [L] [V] du surplus de ses demandes.
DEBOUTE la SAS COCA COLA EUROPEAN PARTNERS FRANCE de sa demande reconventionnelle.
Condamne la SAS COCA COLA EUROPEAN PARTNERS France aux entiers dépens.
Par déclarations électroniques des 19 et 22 juillet 2021, dont les procédures ont été jointes par ordonnance du 3 septembre 2021, Madame [L] [G] épouse [V] a interjeté appel de ce jugement, aux fins de son infirmation partielle, en ce qu'il l'a déboutée du surplus de ses demandes, à savoir : Dire et juger que la société COCA COLA EUROPEAN PARTNERS France a manqué à son obligation de reclassement ; dire et juger que la rupture du contrat de travail pour motif économique emporte les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ; dire et juger que la société COCA COLA EUROPEAN PARTNERS France a manqué à son obligation de loyauté ; en conséquence, condamner la société COCA COLA EUROPEAN PARTNERS France à lui payer les sommes de 71 869,28 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 5 000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, assortir les sommes des intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil, outre l'anatocisme.
Par conclusions déposées et notifiées par RPVA le 15 février 2024, Madame [L] [G] épouse [V] demande à la cour de :
INFIRMER le jugement rendu le 15 juin 2021 par le Conseil de Prud'hommes d'Aix-en- Provence, en ce que Madame [L] [G] épouse [V] a été déboutée de ses demandes de dommages et intérêts résultant des manquements par la société COCA COLA EUROPEAN PARTNERS FRANCE (nouvellement dénommée COCA-COLA EUROPACIFIC PARTNERS FRANCE) à son obligation de reclassement et à son obligation d'exécuter loyalement le contrat de travail.
LE CONFIRMER pour le surplus sauf à tenir compte de la nouvelle dénomination de la société COCA-COLA EUROPACIFIC PARTNERS FRANCE.
STATUER A NOUVEAU ET Y AJOUTER :
- DIRE ET JUGER que la société COCA-COLA EUROPACIFIC PARTNERS FRANCE a manqué à son obligation de reclassement
- DIRE ET JUGER que la rupture du contrat de travail pour motif économique de Madame [V] emporte les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse
- DIRE ET JUGER que la société COCA-COLA EUROPACIFIC PARTNERS FRANCE a manqué à son obligation de loyauté
En conséquence,
- CONDAMNER la Société COCA-COLA EUROPACIFIC PARTNERS FRANCE à payer à Madame [L] [G] épouse [V] la somme de 71.869,28 euros de dommages et intérêts pour la rupture du contrat de travail emportant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse
- CONDAMNER la Société COCA-COLA EUROPACIFIC PARTNERS FRANCE à verser à Madame [L] [G] épouse [V] la somme de 5.000,00 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
- CONDAMNER la Société COCA-COLA EUROPACIFIC PARTNERS FRANCE à verser à Madame [L] [G] épouse [V] la somme de 4 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens
- ASSORTIR les sommes des intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil de prud'hommes, outre l'anatocisme.
Par conclusions déposées et notifiées par RPVA le 14 novembre 2024, la SAS Coca-Cola Europacific Partners France demande à la cour de :
DECLARER l'appel formé par Madame [L] [G] épouse [V] à l'encontre du jugement rendu le 15 juin 2021 par le Conseil de Prud'hommes d'Aix-en-Provence mal fondé ;
CONFIRMER le jugement rendu le 15 juin 2021 par le Conseil de Prud'hommes d'Aix-en-Provence en ce que Madame [L] [G] épouse [V] a été déboutée de sa demande de 71.869,28 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de celle de 5 000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
En conséquence,
DEBOUTER Madame [L] [V] de l'intégralité de ses demandes en cause d'appel ;
CONDAMNER Madame [L] [V] à verser à la société COCA COLA EUROPACIFIC PARTNERS FRANCE (anciennement dénommée COCA COLA EUROPEAN PARTNERS RANCE) la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture de la procédure est en date du 17 décembre 2024.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
I-Sur la rupture du contrat de travail
Madame [L] [G] soutient :
- qu'elle a été personnellement informée de la suppression de son poste le 19 octobre 2017
- que la convention de départ volontaire signée par elle faisait expressément état de ce que son poste appartenait à une catégorie professionnelle faisant l'objet de plusieurs suppressions
- que la société était donc tenue d'exécuter à son égard l'obligation de reclassement, en lui proposant des emplois disponibles dans les sociétés du groupe adaptés à sa situation individuelle, de manière écrite et personnalisée
- que cette obligation est expressément prévue par le PSE et n'a pas été respectée par la société
- que les dispositions de l'article L1233-3 du code du travail, invoquées par l'employeur, ne sont pas applicables à l'espèce
- qu'elle n'a pas renoncé à ses droits dans la convention de rupture, qui n'est pas une transaction
- que le non-respect de l'obligation de reclassement selon les dispositions du PSE ne constitue pas une irrégularité de forme mais emporte les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
- que les dispositions de l'article L1235-3 du code du travail sont inconventionnelles, en ce qu'elles ne permettent pas au juge d'accorder une indemnité adéquate à la réparation du préjudice subi, en violation de l'article 10 de la convention 158 de l'OIT et de l'article 24 de la charte européenne du 3 mai 1996 ratifiée par la France le 7 mai 1999
- que la perte de son emploi a été abusive, brutale, vexatoire ; qu'elle disposait d'une ancienneté de 16 ans et 11 mois, au cours de laquelle elle a subi 3 plans sociaux ; que le deuxième plan social a entraîné le licenciement de son époux et sa propre rétrogradation sur un poste avec des responsabilités moindres ; que ces plans ont conduit à des arrêts de travail ; que l'employeur lui a fait perdre les avantages sociaux de l'entreprise (tickets restaurant ou restaurant d'entreprise, chèques vacances, chèques Noël, prise en charge des transports, accès à des prix préférentiels pour les vacances, Noël des enfants, prime de participation et intéressements) ; qu'elle a également perdu le bénéfice d'une couverture santé et prévoyance ; qu'elle s'est trouvée dans une situation extrêmement délicate pour elle et sa famille du fait « des malversations de son employeur » ; qu'elle n'a perçu aucune rémunération de la gérance de sa société et est toujours indemnisée par Pôle Emploi; qu'elle doit rembourser d'importantes sommes au titre de ses crédits ; qu'elle a subi un préjudice moral ; qu'elle est donc fondée à solliciter une indemnité équivalente à 16 mois de salaire.
La SAS Coca-Cola Europacific Partners France soutient :
- que les chefs de demandes de Madame [L] [G] sont irrecevables, en application du dernier alinea de l'article L1233-3 du code du travail, dès lors que son contrat de travail a été rompu d'un commun accord entre les parties
- que ses demandes sont mal fondées, alors qu'elle a déclaré à deux reprises avoir été intégralement remplie de ses droits, tant en ce qui concerne l'exécution que la rupture de son contrat de travail
- que Madame [L] [G] n'a pas fait l'objet d'un licenciement ; que la rupture de son contrat de travail est intervenue à son initiative, dans la mesure où elle s'est portée volontaire pour quitter la société alors qu'elle avait engagé des démarches pour créer une entreprise dès février 2018, soit avant l'ouverture de la période de volontariat qui a débuté le 20 avril 2018 ; qu'elle a réitéré à de multiples reprises le souhait de quitter la société pour mener à bien son nouveau projet professionnel ; que dès le 20 février 2018, elle était titulaire d'une licence exclusive sur les Bouches du Rhône délivrée par l'enseigne Nature Dog ; qu'elle a insisté pour que son dossier de départ volontaire passe en premier devant la commission de suivi ; qu'il est donc « osé de [sa] part de reprocher à la société ['] une prétendue méconnaissance de son obligation de reclassement, alors qu'elle aurait manifestement refusé n'importe quel poste qui lui aurait été proposé et qu'elle ne peut alléguer d'aucun préjudice à ce titre »
- qu'elle avait à sa disposition, comme l'ensemble du personnel de la société, un « manager accompagnement du changement » ; qu'elle a eu connaissance des coordonnées du Point Information Conseil et de l'Espace Reclassement ainsi que des modalités pour accéder à la liste actualisée des postes disponibles au sein du groupe ; que cette formalité est suffisante pour satisfaire à l'obligation légale de reclassement prévue par l'article L1233-3 du code du travail ; que le non-respect éventuel du formalisme prévu par le PSE ne saurait faire produire à une rupture amiable du contrat de travail pour motif économique les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'il s'agit d'une simple irrégularité de forme
- que par deux avis rendus le 17 juillet 2019, la cour de cassation a confirmé la conventionnalité du barème énoncé par l'article L1235-3 du code du travail ; que l'absence de rémunération de Madame [L] [G] au titre de la gérance de sa société résulte d'une décision prise par l'ensemble des associés (majoritairement elle et son mari) et n'est pas motivée ; qu'elle bénéficie des allocations d'ARE d'un montant moyen de 2 286,06 euros ; que les crédits qu'elle invoque sont ceux de SCI dont le gérant est son mari ; qu'elle n'a jamais bénéficié de tickets restaurant ou de prise en charge de frais de déplacement
- qu'elle invoque un prétendu préjudice moral alors que c'est elle qui a manifesté son souhait de quitter la société pour concrétiser un projet de création d'entreprise ; que la réorganisation de 2011 n'a donné lieu à aucun plan social et que son époux a quitté la société dans le cadre d'une rupture conventionnelle ; que la cause des arrêts de travail de Madame [L] [G] délivrés le 18 décembre 2017 ( soit près de deux mois après l'annonce de la mise en place d'un PSE), 30 décembre 2017, 5 février 2018 demeure indéterminée
- qu'elle passe sous silence les mesures prévues par le PSE dont elle a bénéficié ; qu'elle a perçu plus de 17 mois de salaire, avec une indemnité de rupture majorée ; qu'elle a en outre bénéficié d'un congé de reclassement au cours duquel elle a perçu une allocation mensuelle correspondant à 75% de son salaire mensuel brut moyen, outre le prorata du 13è mois, les primes d'ancienneté et de postes, ainsi qu'une indemnité pour incitation au reclassement rapide et une aide pour création d'entreprise de 18 000 euros ; que la société lui a financé une formation de gestion d'une entreprise d'un montant de 6 000 euros HT.
Sur ce :
A-Sur le droit à agir de Madame [L] [G]
1-Sur l'application du dernier alinea de l'article L1233-3 du code du travail
L'article L1233-3 du code du travail, inclus dans le chapitre III sur le licenciement pour motif économique, définit le motif économique et prévoit en son dernier alinea que « Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l'une des causes énoncées au présent article, à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L1237-11 et suivants et de la rupture d'un commun accord dans le cadre d'un accord collectif visée aux articles L1237-17 et suivants ».
Cette exclusion ne concerne pas les salariés, dont le licenciement est envisagé par un plan de sauvegarde de l'emploi et qui quittent l'entreprise dans le cadre d'un départ volontaire prévu par ce plan, dès lors que celui-ci n'inclut pas d'engagement de ne pas les licencier si l'objectif de réduction des effectifs fixé dans le plan n'est pas atteint au moyen des ruptures amiables des contrats de travail des intéressés, ces salariés conservant la possibilité de contester ultérieurement le respect par l'employeur de son obligation de reclassement.
La cour constate que les demandes de Madame [L] [G] sont bien développées sur ce fondement.
2- Sur la reconnaissance par la salariée d'avoir été remplie de ses droits
Par combinaison des articles L1231-4 du code du travail, selon lequel l'employeur et le salarié ne peuvent renoncer par avance au droit de se prévaloir des règles prévues par le présent titre relatif aux ruptures des contrats à durée indéterminée, et 2044 du code civil relatif à la transaction ayant pour objet de mettre fin par des concessions réciproques à toute contestation née ou à naître, un acte unique ne peut à la fois rompre le contrat de travail et transiger sur ses conséquences.
En l'espèce, l'employeur ne peut se référer aux termes de la convention signée le 24 mai 2018 alors que celle du 17 juillet 2018 s'y « substitue dans toutes ses dispositions ».
L'employeur invoque la clause de l'article 7 de la convention du 17 juillet 2018, aux termes de laquelle la salariée accepte la rupture d'un commun accord de son contrat de travail pour motif économique, conformément aux dispositions du plan de sauvegarde de l'emploi, et « se déclare ['] sous la seule réserve de la parfaite exécution de cet accord, remplie de l'intégralité de ses droits [' ] pouvant résulter tant de l'exécution que de la rupture de son contrat de travail ». Conformément aux dispositions légales précitées, cette clause ne peut valoir renonciation par Madame [L] [G] à faire valoir ses droits issus du titre III du code du travail.
B- Sur l'obligation de reclassement
Lorsque les départs volontaires, prévus dans un plan de sauvegarde de l'emploi, s'adressent aux salariés dont le licenciement est envisagé en raison de la réduction d'effectifs, sans engagement de ne pas les licencier si l'objectif n'est pas atteint au moyen des ruptures amiables, l'employeur est tenu, à l'égard de ces salariés, d'exécuter au préalable l'obligation de reclassement prévue dans le plan, en leur proposant des emplois disponibles dans les sociétés du groupe et adaptés à leur situation personnelle.
Il résulte du PSE que sont éligibles au départ volontaire externe les salariés qui « occupent au sein d'un établissement concerné par des suppressions de poste un poste appartenant à une catégorie professionnelle faisant l'objet d'une ou plusieurs suppressions». La convention de rupture d'un commun accord signée par Madame [L] [G] et l'employeur précise que la salariée « occupe au sein de l'établissement [Localité 3] usine le poste de « responsable service clients » appartenant à une catégorie professionnelle faisant l'objet de plusieurs suppressions ».
L'employeur ne conteste pas que le PSE ne comporte pas d'engagement de ne pas licencier les salariés ainsi concernés si l'objectif de réduction des effectifs n'est pas atteint par les ruptures amiables.
Il s'ensuit que la SAS Coca-Cola Europacific Partners France était tenue d'exécuter au préalable l'obligation de reclassement prévue par le plan, le débat sur la présomption d'un refus systématique de la salariée compte tenu des conditions de sa candidature au départ volontaire étant sans incidence sur l'exigence de respect de cette condition.
L'article 1.5 « reclassement interne des salariés volontaires » du titre III de l'accord collectif de mars 2018 est ainsi rédigé : « Préalablement à la signature de leur convention de rupture d'un commun accord, les salariés candidats au départ volontaire, dont le départ aura été validé par la commission de suivi, se verront proposer, dans la limite des postes disponibles au sein du système Coca Cola en France des postes de reclassement interne. Dans ce cadre, la direction de CCEP France s'engage à identifier les postes qui, parmi ceux vacants à ce jour ou susceptibles d'être créés avant la date de départ volontaire, correspondraient aux caractéristiques et compétences professionnelles des salariés concernés. Pour cela, les postes de reclassement identifiés feront l'objet d'une proposition écrite et précise auprès des salariés volontaires dont le départ volontaire externe aura été validé et dont les qualifications peuvent convenir ou être adaptées. Ils pourront le cas échéant être de qualification inférieure. Si la recherche de reclassement n'a pas abouti (absence de poste correspondant à la catégorie du salarié ou refus du salarié des propositions formulées), le salarié pourra quitter l'entreprise dans le cadre d'une convention de rupture d'un commun accord ['] ».
L'accord collectif impose donc que l'employeur forme des propositions de reclassement, ou constate l'absence de poste utile, auprès de chaque salarié candidat au départ volontaire, de manière écrite, précise et individualisée, l'employeur ne pouvant pas invoquer pour s'en dispenser les dispositions de l'article L1233-4 du code du travail prévoyant, en cas de licenciement pour motif économique, une alternative aux offres personnalisées de reclassement à chaque salarié par la diffusion par tout moyen d'une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés.
L'employeur ne conteste pas ne pas avoir adressé d'offres de reclassement individualisées à Madame [L] [G] ou avoir constaté l'absence de poste correspondant à sa qualification.
La cour retient que l'employeur n'a en conséquence pas exécuté, préalablement à la signature de la convention, son obligation de reclassement telle que prévue dans le plan. Cette violation ne constitue pas, comme le soutient la SAS Coca-Cola Europacific Partners France, une irrégularité de forme mais concerne une garantie de fond. La rupture du contrat de travail produit donc les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
C- Sur l'indemnisation
Selon les dispositions de l'article L1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge lui octroie une indemnité à la charge de l'employeur dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux, en fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans l'entreprise.
La cour rappelle que l'instauration du barème d'indemnisation prévu à l'article 1235-3 du code du travail a été jugé conforme à la constitution par le conseil constitutionnel le 21 mars 2018.
Ensuite, eu égard à l'importance de la marge d'appréciation laissée aux parties contractantes par les termes de la charte européenne révisée du 3 mai 1996 ratifiée par la France le 7 mai 1999, les dispositions de son article 24 ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.
L'article 10 de la convention internationale du travail n°158 de l'OIT est en revanche d'application directe en droit interne. Les dispositions de l'article L1235-3 du code du travail ne sont cependant pas, en elles-mêmes, incompatibles avec les stipulations de cet article 10.
En effet, elles réservent la possibilité d'une réintégration du salarié ; la marge d'appréciation au regard du barème est suffisamment large pour tenir compte d'autres critères que celui de l'ancienneté (comme l'âge, la situation de famille, la difficulté à retrouver un emploi) et le principe d'une assiette de calcul fondée sur le salaire brut adapté à la situation spécifique du salarié privé de rémunération permet d'individualiser la réparation. Par ailleurs, le barème est écarté lorsque le licenciement est entaché de nullité.
La cour considère donc que le barème fixé à l'article L1235-3 du code du travail permet de réparer le préjudice invoqué par Madame [L] [G] par une indemnisation adéquate et qu'il convient de faire application de celui-ci.
Pour une ancienneté par années entières de 16 ans, et une entreprise employant habituellement au moins 11 salariés, cet article prévoit une indemnité comprise entre 3 et 13,5 mois de salaire.
Madame [L] [G] ne caractérise en quoi la rupture de son contrat de travail aurait été « brutale et vexatoire », alors qu'elle expose avoir été informée du risque de suppression de son poste en octobre 2017, a rapidement fait connaître sa candidature à un départ volontaire dans le cadre du PSE, s'est plainte de ne pas pouvoir quitter suffisamment vite l'entreprise pour poursuivre son projet personnel après l'ordonnance du juge des référés de Nanterre ayant suspendu l'exécution du PSE et a bénéficié de diverses aides dans le cadre de son projet, construit depuis février 2018, de création d'entreprise. Elle ne caractérise pas davantage les « malversations » de son employeur, la cour rappelant qu'elle ne soutient pas que son consentement à la convention de départ volontaire a été vicié.
La cour n'a pas à prendre à considération les circonstances de plans sociaux antérieurs pour évaluer le préjudice résultant de la seule rupture du contrat de travail soumise à son appréciation.
La salariée verse au débat un procès-verbal de l'assemblée générale de la SARL Dog Horse 13 du 2 janvier 2020, comportant une résolution unique selon laquelle les gérants, dont elle-même, ne percevront pas de rémunération au titre de leur mandat en 2020. Aucun élément relatif à la situation financière de la société n'est communiqué. Madame [L] [G] justifie avoir bénéficié de l'ARE entre avril et août 2020 mais ne fournit aucun document postérieur de sa situation financière et professionnelle. Les seuls crédits dont elle justifie concernent une SCI et elle n'en est donc pas débitrice. Alors qu'elle invoque la perte de différents avantages et le surcoût que cela engendre pour elle, elle ne verse notamment pas au débat le montant de la mutuelle santé qu'elle paierait. La cour note que le procès-verbal précité de l'assemblée générale de la SARL Dog Horse prévoit la prise en charge par la société des « cotisations obligatoires et facultatives des gérants ».
L'attestation de Madame [P] [U], amie de la salariée, est insuffisante à établir que celle-ci a subi un préjudice moral résultant de la perte de son emploi au sein de la SAS Coca Cola European Partners France, aucun autre élément n'étant communiqué par Madame [L] [G] à ce titre.
La cour rappelle enfin que Madame [L] [G] a perçu une indemnité de rupture totale de 77 218,19 euros.
Sur la base d'un salaire mensuel moyen brut de 4 491,83 euros, la cour, par infirmation du jugement du conseil de prud'hommes, alloue en conséquence à Madame [L] [G] une indemnité de 13 476 euros, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt. La capitalisation des intérêts est de droit, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.
II-Sur le manquement à l'obligation de loyauté de l'employeur
Madame [L] [G] reproche à l'employeur d'avoir manqué à son obligation de loyauté, en la « privant de toute information quant à la rupture de son contrat de travail :
- information hâtive de la suppression de son poste dès le 19 octobre 2017 soit un mois avant les instances représentatives du personnel
- absence d'informations quant aux suites de la procédure : [elle] restera sans nouvelle de l'employeur suite à cette annonce et jusqu'au mois de mars 2019
- absence d'informations sur la situation individuelle de la salariée suite à la suspension du PSE
- man'uvres de l'employeur pour régulariser la situation de la salariée entre la date initiale de la rupture et la date de la rupture au 17 juillet 2018»
et soutient que cette situation a été très éprouvante et angoissante.
L'intimée répond qu'aucun manquement ne peut lui être reproché et que la salariée est « incapable de rapporter le moindre commencement de preuve de l'existence et de l'étendue du préjudice qu'elle prétend avoir subi ».
Sur ce:
Au vu des éléments communiqués au débat, la cour retient que le calendrier conduisant à la rupture du contrat de travail de la salariée a été le suivant :
- accord collectif de mars 2018 sur le plan de sauvegarde de l'emploi
- signature le 16 avril 2018 de la fiche de projet de création d'entreprise de Madame [L] [G]
- validation le 20 avril 2018 par la commission de suivi de la demande de départ volontaire formée par Madame [L] [G]
- courrier du 3 mai 2018 de l'employeur en informant la salariée
- signature le 24 mai 2018 d'une convention de rupture d'un commun accord pour motif économique, dans le cadre d'une demande de départ volontaire, prévoyant notamment une rupture du contrat de travail au 30 juin 2018
- ordonnance du 30 mai 2018, signifiée à l'employeur le 18 juin 2018, du juge des référés de Nanterre suspendant la procédure du plan de sauvegarde de l'emploi
- entretien le 22 juin 2018 avec la salariée pour l'en informer et lettre récapitulative de l'employeur du même jour, lui précisant que la décision judiciaire empêche la mise en 'uvre de la convention de rupture, que le point de départ de son congé de reclassement est ainsi reporté, ce qu'il regrette, et qu'il a interjeté appel de la décision, une audience étant fixée au 4 juillet 2018
- arrêt du 12 juillet 2018 de la cour d'appel de Versailles infirmant l'ordonnance ayant suspendu la procédure du plan de sauvegarde de l'emploi
- lettre de l'employeur du 17 juillet 2018, soumettant à la salariée une convention de rupture actualisée
- lettre de l'employeur du 10 août 2018, portant réponse à celle de la salariée du 30 juillet 2018, lui rappelant qu'elle avait indiqué par mail du 19 juin 2018 être en congés payés à compter du 22 juin et quitter le territoire national jusqu'au 23 juillet et que la période du 1er au 17 juillet 2018 était donc une période de congés payés, et non « une suspension autorisée et rémunérée de son contrat de travail » comme elle le revendiquait en « condition suspensive » de son accord pour l'acceptation de la nouvelle convention.
La cour considère ainsi que l'employeur n'a commis aucune violation de son obligation de loyauté, telle que définie à l'article L1222-1 du code du travail, dans l'information de la salariée relative au suivi de la rupture de son contrat de travail et n'a commis aucune « man'uvre pour régulariser la situation » entre le 1er et 17 juillet 2018.
La cour confirme en conséquence le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a débouté Madame [L] [G] de sa demande à ce titre.
La cour condamne la SAS Coca-Cola Europacific Partners France aux dépens d'appel et à payer à Madame [L] [G] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile .
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement du conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence du 15 juin 2021, en ce qu'il a débouté Madame [L] [G] de sa demande au titre d'un manquement de l'employeur à l'obligation de loyauté ;
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence du 15 juin 2021, en ce qu'il a débouté Madame [L] [G] de sa demande au titre de la rupture du contrat de travail ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que la rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la SAS Coca-Cola Europacific Partners France à payer à Madame [L] [G] la somme de 13 476 euros au titre de la rupture du contrat de travail;
Dit que les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Ordonne la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;
Condamne la SAS Coca-Cola Europacific Partners France à payer à Madame [L] [G] la somme de 1 500 euros au titre de de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Coca-Cola Europacific Partners France aux dépens d'appel ;
LE GREFFIER LE PRESIDENT
Chambre 4-2
ARRÊT AU FOND
DU 14 MARS 2025
N°2025/
Rôle N° RG 21/10100 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHX6R
[L] [G] épouse [V]
C/
S.A.S. COCA-COLA EUROPEAN PARTNERS FRANCE
Copie exécutoire délivrée
le : 14/03/2025
à :
Me Nathalie CAMPAGNOLO de la SELARL NCAMPAGNOLO, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Romain CHERFILS de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
(vest 352)
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX-EN-PROVENCE en date du 15 Juin 2021 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 19/00525.
APPELANTE
Madame [L] [G] épouse [V], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Nathalie CAMPAGNOLO de la SELARL NCAMPAGNOLO, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Cyril BOUDAULT, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
S.A.S. COCA-COLA EUROPEAN PARTNERS FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités au siège, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Christophe PLAGNIOL de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 08 Janvier 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Guillaume KATAWANDJA, Conseiller, et Mme Muriel GUILLET, Conseillère chargés du rapport.
Madame Muriel GUILLET, Conseillère, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre
M. Guillaume KATAWANDJA, Conseiller
Madame Muriel GUILLET, Conseillère
Greffier lors des débats : Mme Cyrielle GOUNAUD.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Février 2025.
Délibéré prorogé au 14 Mars 2025
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Mars 2025.
Signé par Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre et Mme Caroline POTTIER, adjointe administrative faisant fonction de greffier,auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Madame [L] [G] a été embauchée par la SAS Coca Cola European Partners France, désormais Coca-Cola Europacific Partners France, par contrat à durée indéterminée à compter du 14 janvier 2002, avec reprise d'ancienneté au 14 octobre 2001, en qualité de gestionnaire de stock.
Au dernier état de la relation contractuelle et suivant avenant du 22 octobre 2015, elle occupait un emploi de manager responsable service client et logistique, avec mise en 'uvre d'une convention de forfait de 210 jours de travail par an, pour un salaire de base brut annuel de 48 000 euros.
La convention collective applicable est celle des activités de production des eaux embouteillées, de boissons rafraîchissantes sans alcool et de bière.
En mars 2018, un accord collectif majoritaire sur les mesures sociales d'accompagnement du projet Transformation France de Coca Cola European Partners a été adopté.
Le 24 mai 2018, la salariée et l'employeur ont signé une convention de rupture d'un commun accord pour motif économique, dans le cadre d'une demande de départ volontaire validée le 20 avril 2018 par la commission de suivi, prévoyant notamment une rupture du contrat de travail au 30 juin 2018.
Par ordonnance du 30 mai 2018, signifiée à l'employeur le 18 juin 2018, le juge des référés de Nanterre a suspendu la procédure du plan de sauvegarde de l'emploi. Par arrêt du 12 juillet 2018, la cour d'appel de Versailles a infirmé cette décision.
Le 17 juillet 2018, la SAS Coca Cola European Partners France a adressé à Madame [L] [G] épouse [V] une version actualisée de la convention de rupture d'un commun accord pour motif économique dans le cadre d'un départ volontaire, se substituant en tous ses termes à la précédente, que la salariée a acceptée.
Madame [L] [G] épouse [V] a perçu une indemnité de rupture totale de 77 218,19 euros, incluant l'indemnité de licenciement, outre 18 000 euros pour la création de son entreprise.
Considérant notamment que la rupture s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse du fait du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement et que la convention de forfait jours était nulle, elle a saisi le 12 juillet 2019 le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence, lequel par jugement du 15 juin 2021:
CONSTATE l'exécution déloyale par la SAS COCA COLA EUROPEAN PARTNERS FRANCE de la convention de forfait jours.
CONSTATE la nullité de la convention de forfait jours.
En conséquence,
CONDAMNE la SAS COCA COLA EUROPEAN PARTNERS FRANCE à verser à Madame [L] [V] les sommes suivantes:
- QUATRE MILLE CINQ CENTS EUROS (4.500 €) au titre de l'exécution déloyale de la convention de forfait jours entachée de nullité
- MILLE EUROS (1.000 €) au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
DEBOUTE Madame [L] [V] du surplus de ses demandes.
DEBOUTE la SAS COCA COLA EUROPEAN PARTNERS FRANCE de sa demande reconventionnelle.
Condamne la SAS COCA COLA EUROPEAN PARTNERS France aux entiers dépens.
Par déclarations électroniques des 19 et 22 juillet 2021, dont les procédures ont été jointes par ordonnance du 3 septembre 2021, Madame [L] [G] épouse [V] a interjeté appel de ce jugement, aux fins de son infirmation partielle, en ce qu'il l'a déboutée du surplus de ses demandes, à savoir : Dire et juger que la société COCA COLA EUROPEAN PARTNERS France a manqué à son obligation de reclassement ; dire et juger que la rupture du contrat de travail pour motif économique emporte les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ; dire et juger que la société COCA COLA EUROPEAN PARTNERS France a manqué à son obligation de loyauté ; en conséquence, condamner la société COCA COLA EUROPEAN PARTNERS France à lui payer les sommes de 71 869,28 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 5 000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, assortir les sommes des intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil, outre l'anatocisme.
Par conclusions déposées et notifiées par RPVA le 15 février 2024, Madame [L] [G] épouse [V] demande à la cour de :
INFIRMER le jugement rendu le 15 juin 2021 par le Conseil de Prud'hommes d'Aix-en- Provence, en ce que Madame [L] [G] épouse [V] a été déboutée de ses demandes de dommages et intérêts résultant des manquements par la société COCA COLA EUROPEAN PARTNERS FRANCE (nouvellement dénommée COCA-COLA EUROPACIFIC PARTNERS FRANCE) à son obligation de reclassement et à son obligation d'exécuter loyalement le contrat de travail.
LE CONFIRMER pour le surplus sauf à tenir compte de la nouvelle dénomination de la société COCA-COLA EUROPACIFIC PARTNERS FRANCE.
STATUER A NOUVEAU ET Y AJOUTER :
- DIRE ET JUGER que la société COCA-COLA EUROPACIFIC PARTNERS FRANCE a manqué à son obligation de reclassement
- DIRE ET JUGER que la rupture du contrat de travail pour motif économique de Madame [V] emporte les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse
- DIRE ET JUGER que la société COCA-COLA EUROPACIFIC PARTNERS FRANCE a manqué à son obligation de loyauté
En conséquence,
- CONDAMNER la Société COCA-COLA EUROPACIFIC PARTNERS FRANCE à payer à Madame [L] [G] épouse [V] la somme de 71.869,28 euros de dommages et intérêts pour la rupture du contrat de travail emportant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse
- CONDAMNER la Société COCA-COLA EUROPACIFIC PARTNERS FRANCE à verser à Madame [L] [G] épouse [V] la somme de 5.000,00 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
- CONDAMNER la Société COCA-COLA EUROPACIFIC PARTNERS FRANCE à verser à Madame [L] [G] épouse [V] la somme de 4 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens
- ASSORTIR les sommes des intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil de prud'hommes, outre l'anatocisme.
Par conclusions déposées et notifiées par RPVA le 14 novembre 2024, la SAS Coca-Cola Europacific Partners France demande à la cour de :
DECLARER l'appel formé par Madame [L] [G] épouse [V] à l'encontre du jugement rendu le 15 juin 2021 par le Conseil de Prud'hommes d'Aix-en-Provence mal fondé ;
CONFIRMER le jugement rendu le 15 juin 2021 par le Conseil de Prud'hommes d'Aix-en-Provence en ce que Madame [L] [G] épouse [V] a été déboutée de sa demande de 71.869,28 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de celle de 5 000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
En conséquence,
DEBOUTER Madame [L] [V] de l'intégralité de ses demandes en cause d'appel ;
CONDAMNER Madame [L] [V] à verser à la société COCA COLA EUROPACIFIC PARTNERS FRANCE (anciennement dénommée COCA COLA EUROPEAN PARTNERS RANCE) la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture de la procédure est en date du 17 décembre 2024.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
I-Sur la rupture du contrat de travail
Madame [L] [G] soutient :
- qu'elle a été personnellement informée de la suppression de son poste le 19 octobre 2017
- que la convention de départ volontaire signée par elle faisait expressément état de ce que son poste appartenait à une catégorie professionnelle faisant l'objet de plusieurs suppressions
- que la société était donc tenue d'exécuter à son égard l'obligation de reclassement, en lui proposant des emplois disponibles dans les sociétés du groupe adaptés à sa situation individuelle, de manière écrite et personnalisée
- que cette obligation est expressément prévue par le PSE et n'a pas été respectée par la société
- que les dispositions de l'article L1233-3 du code du travail, invoquées par l'employeur, ne sont pas applicables à l'espèce
- qu'elle n'a pas renoncé à ses droits dans la convention de rupture, qui n'est pas une transaction
- que le non-respect de l'obligation de reclassement selon les dispositions du PSE ne constitue pas une irrégularité de forme mais emporte les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
- que les dispositions de l'article L1235-3 du code du travail sont inconventionnelles, en ce qu'elles ne permettent pas au juge d'accorder une indemnité adéquate à la réparation du préjudice subi, en violation de l'article 10 de la convention 158 de l'OIT et de l'article 24 de la charte européenne du 3 mai 1996 ratifiée par la France le 7 mai 1999
- que la perte de son emploi a été abusive, brutale, vexatoire ; qu'elle disposait d'une ancienneté de 16 ans et 11 mois, au cours de laquelle elle a subi 3 plans sociaux ; que le deuxième plan social a entraîné le licenciement de son époux et sa propre rétrogradation sur un poste avec des responsabilités moindres ; que ces plans ont conduit à des arrêts de travail ; que l'employeur lui a fait perdre les avantages sociaux de l'entreprise (tickets restaurant ou restaurant d'entreprise, chèques vacances, chèques Noël, prise en charge des transports, accès à des prix préférentiels pour les vacances, Noël des enfants, prime de participation et intéressements) ; qu'elle a également perdu le bénéfice d'une couverture santé et prévoyance ; qu'elle s'est trouvée dans une situation extrêmement délicate pour elle et sa famille du fait « des malversations de son employeur » ; qu'elle n'a perçu aucune rémunération de la gérance de sa société et est toujours indemnisée par Pôle Emploi; qu'elle doit rembourser d'importantes sommes au titre de ses crédits ; qu'elle a subi un préjudice moral ; qu'elle est donc fondée à solliciter une indemnité équivalente à 16 mois de salaire.
La SAS Coca-Cola Europacific Partners France soutient :
- que les chefs de demandes de Madame [L] [G] sont irrecevables, en application du dernier alinea de l'article L1233-3 du code du travail, dès lors que son contrat de travail a été rompu d'un commun accord entre les parties
- que ses demandes sont mal fondées, alors qu'elle a déclaré à deux reprises avoir été intégralement remplie de ses droits, tant en ce qui concerne l'exécution que la rupture de son contrat de travail
- que Madame [L] [G] n'a pas fait l'objet d'un licenciement ; que la rupture de son contrat de travail est intervenue à son initiative, dans la mesure où elle s'est portée volontaire pour quitter la société alors qu'elle avait engagé des démarches pour créer une entreprise dès février 2018, soit avant l'ouverture de la période de volontariat qui a débuté le 20 avril 2018 ; qu'elle a réitéré à de multiples reprises le souhait de quitter la société pour mener à bien son nouveau projet professionnel ; que dès le 20 février 2018, elle était titulaire d'une licence exclusive sur les Bouches du Rhône délivrée par l'enseigne Nature Dog ; qu'elle a insisté pour que son dossier de départ volontaire passe en premier devant la commission de suivi ; qu'il est donc « osé de [sa] part de reprocher à la société ['] une prétendue méconnaissance de son obligation de reclassement, alors qu'elle aurait manifestement refusé n'importe quel poste qui lui aurait été proposé et qu'elle ne peut alléguer d'aucun préjudice à ce titre »
- qu'elle avait à sa disposition, comme l'ensemble du personnel de la société, un « manager accompagnement du changement » ; qu'elle a eu connaissance des coordonnées du Point Information Conseil et de l'Espace Reclassement ainsi que des modalités pour accéder à la liste actualisée des postes disponibles au sein du groupe ; que cette formalité est suffisante pour satisfaire à l'obligation légale de reclassement prévue par l'article L1233-3 du code du travail ; que le non-respect éventuel du formalisme prévu par le PSE ne saurait faire produire à une rupture amiable du contrat de travail pour motif économique les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'il s'agit d'une simple irrégularité de forme
- que par deux avis rendus le 17 juillet 2019, la cour de cassation a confirmé la conventionnalité du barème énoncé par l'article L1235-3 du code du travail ; que l'absence de rémunération de Madame [L] [G] au titre de la gérance de sa société résulte d'une décision prise par l'ensemble des associés (majoritairement elle et son mari) et n'est pas motivée ; qu'elle bénéficie des allocations d'ARE d'un montant moyen de 2 286,06 euros ; que les crédits qu'elle invoque sont ceux de SCI dont le gérant est son mari ; qu'elle n'a jamais bénéficié de tickets restaurant ou de prise en charge de frais de déplacement
- qu'elle invoque un prétendu préjudice moral alors que c'est elle qui a manifesté son souhait de quitter la société pour concrétiser un projet de création d'entreprise ; que la réorganisation de 2011 n'a donné lieu à aucun plan social et que son époux a quitté la société dans le cadre d'une rupture conventionnelle ; que la cause des arrêts de travail de Madame [L] [G] délivrés le 18 décembre 2017 ( soit près de deux mois après l'annonce de la mise en place d'un PSE), 30 décembre 2017, 5 février 2018 demeure indéterminée
- qu'elle passe sous silence les mesures prévues par le PSE dont elle a bénéficié ; qu'elle a perçu plus de 17 mois de salaire, avec une indemnité de rupture majorée ; qu'elle a en outre bénéficié d'un congé de reclassement au cours duquel elle a perçu une allocation mensuelle correspondant à 75% de son salaire mensuel brut moyen, outre le prorata du 13è mois, les primes d'ancienneté et de postes, ainsi qu'une indemnité pour incitation au reclassement rapide et une aide pour création d'entreprise de 18 000 euros ; que la société lui a financé une formation de gestion d'une entreprise d'un montant de 6 000 euros HT.
Sur ce :
A-Sur le droit à agir de Madame [L] [G]
1-Sur l'application du dernier alinea de l'article L1233-3 du code du travail
L'article L1233-3 du code du travail, inclus dans le chapitre III sur le licenciement pour motif économique, définit le motif économique et prévoit en son dernier alinea que « Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l'une des causes énoncées au présent article, à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L1237-11 et suivants et de la rupture d'un commun accord dans le cadre d'un accord collectif visée aux articles L1237-17 et suivants ».
Cette exclusion ne concerne pas les salariés, dont le licenciement est envisagé par un plan de sauvegarde de l'emploi et qui quittent l'entreprise dans le cadre d'un départ volontaire prévu par ce plan, dès lors que celui-ci n'inclut pas d'engagement de ne pas les licencier si l'objectif de réduction des effectifs fixé dans le plan n'est pas atteint au moyen des ruptures amiables des contrats de travail des intéressés, ces salariés conservant la possibilité de contester ultérieurement le respect par l'employeur de son obligation de reclassement.
La cour constate que les demandes de Madame [L] [G] sont bien développées sur ce fondement.
2- Sur la reconnaissance par la salariée d'avoir été remplie de ses droits
Par combinaison des articles L1231-4 du code du travail, selon lequel l'employeur et le salarié ne peuvent renoncer par avance au droit de se prévaloir des règles prévues par le présent titre relatif aux ruptures des contrats à durée indéterminée, et 2044 du code civil relatif à la transaction ayant pour objet de mettre fin par des concessions réciproques à toute contestation née ou à naître, un acte unique ne peut à la fois rompre le contrat de travail et transiger sur ses conséquences.
En l'espèce, l'employeur ne peut se référer aux termes de la convention signée le 24 mai 2018 alors que celle du 17 juillet 2018 s'y « substitue dans toutes ses dispositions ».
L'employeur invoque la clause de l'article 7 de la convention du 17 juillet 2018, aux termes de laquelle la salariée accepte la rupture d'un commun accord de son contrat de travail pour motif économique, conformément aux dispositions du plan de sauvegarde de l'emploi, et « se déclare ['] sous la seule réserve de la parfaite exécution de cet accord, remplie de l'intégralité de ses droits [' ] pouvant résulter tant de l'exécution que de la rupture de son contrat de travail ». Conformément aux dispositions légales précitées, cette clause ne peut valoir renonciation par Madame [L] [G] à faire valoir ses droits issus du titre III du code du travail.
B- Sur l'obligation de reclassement
Lorsque les départs volontaires, prévus dans un plan de sauvegarde de l'emploi, s'adressent aux salariés dont le licenciement est envisagé en raison de la réduction d'effectifs, sans engagement de ne pas les licencier si l'objectif n'est pas atteint au moyen des ruptures amiables, l'employeur est tenu, à l'égard de ces salariés, d'exécuter au préalable l'obligation de reclassement prévue dans le plan, en leur proposant des emplois disponibles dans les sociétés du groupe et adaptés à leur situation personnelle.
Il résulte du PSE que sont éligibles au départ volontaire externe les salariés qui « occupent au sein d'un établissement concerné par des suppressions de poste un poste appartenant à une catégorie professionnelle faisant l'objet d'une ou plusieurs suppressions». La convention de rupture d'un commun accord signée par Madame [L] [G] et l'employeur précise que la salariée « occupe au sein de l'établissement [Localité 3] usine le poste de « responsable service clients » appartenant à une catégorie professionnelle faisant l'objet de plusieurs suppressions ».
L'employeur ne conteste pas que le PSE ne comporte pas d'engagement de ne pas licencier les salariés ainsi concernés si l'objectif de réduction des effectifs n'est pas atteint par les ruptures amiables.
Il s'ensuit que la SAS Coca-Cola Europacific Partners France était tenue d'exécuter au préalable l'obligation de reclassement prévue par le plan, le débat sur la présomption d'un refus systématique de la salariée compte tenu des conditions de sa candidature au départ volontaire étant sans incidence sur l'exigence de respect de cette condition.
L'article 1.5 « reclassement interne des salariés volontaires » du titre III de l'accord collectif de mars 2018 est ainsi rédigé : « Préalablement à la signature de leur convention de rupture d'un commun accord, les salariés candidats au départ volontaire, dont le départ aura été validé par la commission de suivi, se verront proposer, dans la limite des postes disponibles au sein du système Coca Cola en France des postes de reclassement interne. Dans ce cadre, la direction de CCEP France s'engage à identifier les postes qui, parmi ceux vacants à ce jour ou susceptibles d'être créés avant la date de départ volontaire, correspondraient aux caractéristiques et compétences professionnelles des salariés concernés. Pour cela, les postes de reclassement identifiés feront l'objet d'une proposition écrite et précise auprès des salariés volontaires dont le départ volontaire externe aura été validé et dont les qualifications peuvent convenir ou être adaptées. Ils pourront le cas échéant être de qualification inférieure. Si la recherche de reclassement n'a pas abouti (absence de poste correspondant à la catégorie du salarié ou refus du salarié des propositions formulées), le salarié pourra quitter l'entreprise dans le cadre d'une convention de rupture d'un commun accord ['] ».
L'accord collectif impose donc que l'employeur forme des propositions de reclassement, ou constate l'absence de poste utile, auprès de chaque salarié candidat au départ volontaire, de manière écrite, précise et individualisée, l'employeur ne pouvant pas invoquer pour s'en dispenser les dispositions de l'article L1233-4 du code du travail prévoyant, en cas de licenciement pour motif économique, une alternative aux offres personnalisées de reclassement à chaque salarié par la diffusion par tout moyen d'une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés.
L'employeur ne conteste pas ne pas avoir adressé d'offres de reclassement individualisées à Madame [L] [G] ou avoir constaté l'absence de poste correspondant à sa qualification.
La cour retient que l'employeur n'a en conséquence pas exécuté, préalablement à la signature de la convention, son obligation de reclassement telle que prévue dans le plan. Cette violation ne constitue pas, comme le soutient la SAS Coca-Cola Europacific Partners France, une irrégularité de forme mais concerne une garantie de fond. La rupture du contrat de travail produit donc les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
C- Sur l'indemnisation
Selon les dispositions de l'article L1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge lui octroie une indemnité à la charge de l'employeur dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux, en fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans l'entreprise.
La cour rappelle que l'instauration du barème d'indemnisation prévu à l'article 1235-3 du code du travail a été jugé conforme à la constitution par le conseil constitutionnel le 21 mars 2018.
Ensuite, eu égard à l'importance de la marge d'appréciation laissée aux parties contractantes par les termes de la charte européenne révisée du 3 mai 1996 ratifiée par la France le 7 mai 1999, les dispositions de son article 24 ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.
L'article 10 de la convention internationale du travail n°158 de l'OIT est en revanche d'application directe en droit interne. Les dispositions de l'article L1235-3 du code du travail ne sont cependant pas, en elles-mêmes, incompatibles avec les stipulations de cet article 10.
En effet, elles réservent la possibilité d'une réintégration du salarié ; la marge d'appréciation au regard du barème est suffisamment large pour tenir compte d'autres critères que celui de l'ancienneté (comme l'âge, la situation de famille, la difficulté à retrouver un emploi) et le principe d'une assiette de calcul fondée sur le salaire brut adapté à la situation spécifique du salarié privé de rémunération permet d'individualiser la réparation. Par ailleurs, le barème est écarté lorsque le licenciement est entaché de nullité.
La cour considère donc que le barème fixé à l'article L1235-3 du code du travail permet de réparer le préjudice invoqué par Madame [L] [G] par une indemnisation adéquate et qu'il convient de faire application de celui-ci.
Pour une ancienneté par années entières de 16 ans, et une entreprise employant habituellement au moins 11 salariés, cet article prévoit une indemnité comprise entre 3 et 13,5 mois de salaire.
Madame [L] [G] ne caractérise en quoi la rupture de son contrat de travail aurait été « brutale et vexatoire », alors qu'elle expose avoir été informée du risque de suppression de son poste en octobre 2017, a rapidement fait connaître sa candidature à un départ volontaire dans le cadre du PSE, s'est plainte de ne pas pouvoir quitter suffisamment vite l'entreprise pour poursuivre son projet personnel après l'ordonnance du juge des référés de Nanterre ayant suspendu l'exécution du PSE et a bénéficié de diverses aides dans le cadre de son projet, construit depuis février 2018, de création d'entreprise. Elle ne caractérise pas davantage les « malversations » de son employeur, la cour rappelant qu'elle ne soutient pas que son consentement à la convention de départ volontaire a été vicié.
La cour n'a pas à prendre à considération les circonstances de plans sociaux antérieurs pour évaluer le préjudice résultant de la seule rupture du contrat de travail soumise à son appréciation.
La salariée verse au débat un procès-verbal de l'assemblée générale de la SARL Dog Horse 13 du 2 janvier 2020, comportant une résolution unique selon laquelle les gérants, dont elle-même, ne percevront pas de rémunération au titre de leur mandat en 2020. Aucun élément relatif à la situation financière de la société n'est communiqué. Madame [L] [G] justifie avoir bénéficié de l'ARE entre avril et août 2020 mais ne fournit aucun document postérieur de sa situation financière et professionnelle. Les seuls crédits dont elle justifie concernent une SCI et elle n'en est donc pas débitrice. Alors qu'elle invoque la perte de différents avantages et le surcoût que cela engendre pour elle, elle ne verse notamment pas au débat le montant de la mutuelle santé qu'elle paierait. La cour note que le procès-verbal précité de l'assemblée générale de la SARL Dog Horse prévoit la prise en charge par la société des « cotisations obligatoires et facultatives des gérants ».
L'attestation de Madame [P] [U], amie de la salariée, est insuffisante à établir que celle-ci a subi un préjudice moral résultant de la perte de son emploi au sein de la SAS Coca Cola European Partners France, aucun autre élément n'étant communiqué par Madame [L] [G] à ce titre.
La cour rappelle enfin que Madame [L] [G] a perçu une indemnité de rupture totale de 77 218,19 euros.
Sur la base d'un salaire mensuel moyen brut de 4 491,83 euros, la cour, par infirmation du jugement du conseil de prud'hommes, alloue en conséquence à Madame [L] [G] une indemnité de 13 476 euros, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt. La capitalisation des intérêts est de droit, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.
II-Sur le manquement à l'obligation de loyauté de l'employeur
Madame [L] [G] reproche à l'employeur d'avoir manqué à son obligation de loyauté, en la « privant de toute information quant à la rupture de son contrat de travail :
- information hâtive de la suppression de son poste dès le 19 octobre 2017 soit un mois avant les instances représentatives du personnel
- absence d'informations quant aux suites de la procédure : [elle] restera sans nouvelle de l'employeur suite à cette annonce et jusqu'au mois de mars 2019
- absence d'informations sur la situation individuelle de la salariée suite à la suspension du PSE
- man'uvres de l'employeur pour régulariser la situation de la salariée entre la date initiale de la rupture et la date de la rupture au 17 juillet 2018»
et soutient que cette situation a été très éprouvante et angoissante.
L'intimée répond qu'aucun manquement ne peut lui être reproché et que la salariée est « incapable de rapporter le moindre commencement de preuve de l'existence et de l'étendue du préjudice qu'elle prétend avoir subi ».
Sur ce:
Au vu des éléments communiqués au débat, la cour retient que le calendrier conduisant à la rupture du contrat de travail de la salariée a été le suivant :
- accord collectif de mars 2018 sur le plan de sauvegarde de l'emploi
- signature le 16 avril 2018 de la fiche de projet de création d'entreprise de Madame [L] [G]
- validation le 20 avril 2018 par la commission de suivi de la demande de départ volontaire formée par Madame [L] [G]
- courrier du 3 mai 2018 de l'employeur en informant la salariée
- signature le 24 mai 2018 d'une convention de rupture d'un commun accord pour motif économique, dans le cadre d'une demande de départ volontaire, prévoyant notamment une rupture du contrat de travail au 30 juin 2018
- ordonnance du 30 mai 2018, signifiée à l'employeur le 18 juin 2018, du juge des référés de Nanterre suspendant la procédure du plan de sauvegarde de l'emploi
- entretien le 22 juin 2018 avec la salariée pour l'en informer et lettre récapitulative de l'employeur du même jour, lui précisant que la décision judiciaire empêche la mise en 'uvre de la convention de rupture, que le point de départ de son congé de reclassement est ainsi reporté, ce qu'il regrette, et qu'il a interjeté appel de la décision, une audience étant fixée au 4 juillet 2018
- arrêt du 12 juillet 2018 de la cour d'appel de Versailles infirmant l'ordonnance ayant suspendu la procédure du plan de sauvegarde de l'emploi
- lettre de l'employeur du 17 juillet 2018, soumettant à la salariée une convention de rupture actualisée
- lettre de l'employeur du 10 août 2018, portant réponse à celle de la salariée du 30 juillet 2018, lui rappelant qu'elle avait indiqué par mail du 19 juin 2018 être en congés payés à compter du 22 juin et quitter le territoire national jusqu'au 23 juillet et que la période du 1er au 17 juillet 2018 était donc une période de congés payés, et non « une suspension autorisée et rémunérée de son contrat de travail » comme elle le revendiquait en « condition suspensive » de son accord pour l'acceptation de la nouvelle convention.
La cour considère ainsi que l'employeur n'a commis aucune violation de son obligation de loyauté, telle que définie à l'article L1222-1 du code du travail, dans l'information de la salariée relative au suivi de la rupture de son contrat de travail et n'a commis aucune « man'uvre pour régulariser la situation » entre le 1er et 17 juillet 2018.
La cour confirme en conséquence le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a débouté Madame [L] [G] de sa demande à ce titre.
La cour condamne la SAS Coca-Cola Europacific Partners France aux dépens d'appel et à payer à Madame [L] [G] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile .
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement du conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence du 15 juin 2021, en ce qu'il a débouté Madame [L] [G] de sa demande au titre d'un manquement de l'employeur à l'obligation de loyauté ;
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence du 15 juin 2021, en ce qu'il a débouté Madame [L] [G] de sa demande au titre de la rupture du contrat de travail ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que la rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la SAS Coca-Cola Europacific Partners France à payer à Madame [L] [G] la somme de 13 476 euros au titre de la rupture du contrat de travail;
Dit que les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Ordonne la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;
Condamne la SAS Coca-Cola Europacific Partners France à payer à Madame [L] [G] la somme de 1 500 euros au titre de de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Coca-Cola Europacific Partners France aux dépens d'appel ;
LE GREFFIER LE PRESIDENT