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Décisions

CA Reims, ch.-1 civ. et com., 18 mars 2025, n° 23/01878

REIMS

Arrêt

Autre

CA Reims n° 23/01878

18 mars 2025

ARRET N°

du 18 mars 2025

N° RG 23/01878 - N° Portalis DBVQ-V-B7H-FNMO

S.A. BANQUE CIC EST

c/

[T]

Formule exécutoire le :

à :

la SELARL SF CONSEIL ET ASSOCIES

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRET DU 18 MARS 2025

APPELANTE :

d'un jugement rendu le 07 novembre 2023 par le tribunal de commerce de TROYES

La Banque CIC EST, société anonyme immatriculée au registre du commerce et des sociétés de STRASBOURG sous le N° 754 800 712 dont le siège social est [Adresse 3] à [Localité 5], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés de droit au siège social,

Représentée par Me Florence SIX de la SCP HERMINE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS

INTIME :

Monsieur [N] [T]

Né le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 6]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représenté par Me Aurélien CASAUBON de la SELARL SF CONSEIL ET ASSOCIES, avocat au barreau de l'AUBE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :

Madame PILON, conseillère, a entendu les plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées ; en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre

Madame Sandrine PILON, conseillère

Madame Anne POZZO DI BORGO, conseillère

GREFFIER :

Madame Jocelyne DRAPIER, greffier lors des débats et de la mise à disposition,

DEBATS :

A l'audience publique du 3 février 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 18 mars 2025

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 18 mars 2025 et signé par Madame Sandrine PILON, conseillère, en remplacement de la présidente de chambre régulièrement empêchée, et Madame Jocelyne DRAPIER, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

Suivant offre préalable acceptée le 26 février 2020, la SA Banque CIC Est a consenti à la SAS Axase Invest un prêt professionnel de 135 000 euros d'une durée de 89 mois, au taux nominal d'intérêt de 1,85% l'an.

Par acte du même jour, M. [N] [T], président de la société Axase Invest, s'est porté caution solidaire des engagements de cette dernière dans la limite de la somme de 81 000 euros, couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard, pour une durée correspondant à celle du crédit majorée de 24 mois.

La durée du prêt a été prorogée par deux avenants des 18 novembre 2020 et 27 janvier 2022, avec toutes conséquences sur celle du cautionnement.

Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société Axase Invest par jugement du tribunal de commerce de Troyes du 21 juin 2022, qui a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 19 juillet 2022.

La SA Banque CIC Est a actualisé sa déclaration de créance, la portant à la somme de 129 837,86 euros.

La SA Banque CIC Est a fait assigner M. [T] devant le tribunal de commerce de Troyes par acte du 28 septembre 2022 afin d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 64 918,93 euros en exécution de son engagement de caution.

Par jugement du 7 novembre 2023, le tribunal a :

- Dit que le cautionnement souscrit le 26 février 2020 par M. [T] au profit de la SA Banque CIC Est lui est inopposable,

- Débouté la Banque CIC Est de l'intégralité de ses demandes,

- Débouté M. [T] du surplus,

- Condamné la Banque CIC Est à payer à M. [T] la somme de 500 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- Laissé les entiers dépens à la charge de la Banque CIC Est,

- Liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 69,59 euros dont 11,60 euros de TVA.

La SA Banque CIC Est a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 29 novembre 2023.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 24 janvier 2025, elle demande à la cour de :

- Infirmer le jugement en ce qu'il dit que le cautionnement est inopposable à M. [T], la déboute de l'intégralité de ses demandes, la condamne au paiement d'une indemnité de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

Statuant à nouveau,

- Condamner M. [T], en sa qualité de caution de la société Axase Invest à lui payer la somme de 64 918,93 euros avec les intérêts majorés au taux de 4,85% et capitalisés à compter du 13 août 2022, date de la mise en demeure,

- Débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, y compris de son appel incident,

- En conséquence, confirmer le jugement en ce qu'il le déboute de sa demande de dommages intérêts pour violation du devoir de mise en garde du banquier et subsidiairement, pour le cas où sa demande serait accueillie en cause d'appel, la réduire dans les plus amples proportions,

- Condamner M. [T] à lui payer une indemnité de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- La décharger de l'indemnité au paiement de laquelle elle a été condamnée en première instance ainsi que des dépens,

- Condamner M. [T] aux dépens tant de première instance, en ce compris les frais de greffe liquidés, que d'appel.

Elle estime que d'autres éléments devaient être pris en compte pour apprécier la proportionnalité du cautionnement que l'avis d'imposition de M. [T], pris en considération par le tribunal.

Elle affirme que la situation patrimoniale actuelle de M. [T] lui permet de faire face à son obligation au jour où il est appelé en paiement.

Elle s'oppose à la demande reconventionnelle de M. [T] aux motifs que celui-ci est une caution avertie et qu'il n'existait pas de risque d'endettement excessif par la souscription du cautionnement. Elle estime en outre qu'il conviendrait, si M. [T] était reçu en son argumentation relative à la disproportion du cautionnement, qu'il démontre l'existence d'un autre préjudice afin de se voir allouer des dommages intérêts pour violation du devoir de mise en garde du banquier. Elle fait valoir que la Cour de cassation refuse que le préjudice subi par la caution soit qualifié comme celui de devoir faire face au remboursement du prêt à concurrence du montant de l'engagement, toute libération totale par compensation étant ainsi exclue.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 janvier 2025, M. [T] sollicite :

- La confirmation du jugement en ce qu'il déclare que le cautionnement lui est inopposable en raison de sa disproportion à ses biens et revenus,

- L'infirmation du jugement en ce qu'il le déboute de sa demande indemnitaire au titre du manquement commis par la SA Banque CIC Est à son devoir de conseil,

Et, la cour statuant à nouveau,

- La condamnation de la SA Banque CIC Est à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages intérêts en raison de son manquement à son devoir de mise en garde,

- La condamnation de la SA Banque CIC Est à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Il affirme que sa situation financière et patrimoniale ne lui permettait pas, au jour de la souscription du cautionnement, d'honorer son engagement envers la SA Banque CIC Est et que celle-ci ne démontre pas qu'au moment où elle l'a appelé, son patrimoine lui permettait de faire face à son obligation.

Il soutient que la banque a manqué à son devoir de mise en garde dès lors qu'il était acquis qu'il serait dans l'incapacité matérielle et financière d'honorer son engagement de caution.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 janvier 2025, l'affaire étant renvoyée à l'audience du 3 février 2025 pour être plaidée.

MOTIFS

Sur la disproportion du cautionnement

L'article L332-1 du code de la consommation en vigueur jusqu'au 1er janvier 2022 dispose : « Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ».

Selon une fiche patrimoniale signée le 17 septembre 2019, M. [T] percevait à cette date un salaire mensuel de 1 580 euros et disposait d'une épargne de 20 000 euros. Il avait deux enfants à charge, en résidence alternée, réglait un loyer mensuel de 520 euros et devait rembourser un prêt dont le capital restant dû était de 3 000 euros.

Son avis d'impôt établi en 2020 sur les revenus de 2019 mentionne des revenus constitués de salaires pour 18 906 euros, soit 1 575,50 euros, ce qui confirme les termes de la fiche précitée.

La société Banque CIC Est estime qu'il est assez surprenant que l'épargne de M. [T] se soit limitée au montant déclaré alors que celui-ci a pratiqué le football de façon institutionnalisée durant de nombreuses années, notamment dans l'équipe rémunératrice troyenne de l'ESTAC.

Elle ne produit cependant aucun élément de nature à confirmer une telle supposition.

La banque se prévaut d'un dossier prévisionnel établi en vue de la création de la société +2 Foot (enseigne de la SAS Axase Invest), faisant apparaître que M [T] devait apporter 10 000 euros au capital de la société, outre 17 000 euros en compte courant d'associé.

Si ces éléments doivent être pris en compte pour l'appréciation des biens et revenus de M. [T] à la date de la souscription de son engagement, ils ne permettent pas de considérer que ceux-ci pouvaient lui permettre de faire face audit engagement, souscrit à hauteur de 81 000 euros.

La société Banque CIC Est fait encore valoir que M. [T] s'est marié en [Date mariage 4] 2022 avec une personne qui avait prévu de lui prêter 6 000 euros pour permettre à la société de débuter son activité. Mais un tel prêt constitue une charge de la société débitrice principale et non un élément du patrimoine de M. [T]. Il n'y a pas non plus lieu de tenir compte du capital ainsi prêté au titre du patrimoine du conjoint de la caution, puisque M. [T] n'était pas encore marié à la date de souscription de son engagement.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que M. [T] se trouvait, au jour où le cautionnement a été souscrit, dans l'impossibilité manifeste de faire face à un tel engagement avec ses biens et revenus.

La SA Banque CIC Est entend faire la preuve que celui-ci était revenu à meilleure fortune lorsqu'elle l'a appelé en faisant valoir que son mariage permet à M. [T] de partager ses charges. Elle en veut pour preuve le solde créditeur de son compte courant de plus de 9 000 euros au 21 janvier 2023 et encore de 5 000 euros au mois d'avril 2023.

M. [T] fait observer qu'il était de 3 517.05 euros au mois de mai 2023.

Il ne peut donc être tiré aucune conclusion de l'évolution du solde du compte courant de M. [T] quant à la capacité de celui-ci, supposée plus importante depuis son mariage, de faire face à ses charges courantes.

La SA Banque CIC Est ajoute que M. [T] a été embauché par une société de gestion immobilière en qualité de commercial transactions et que son contrat de travail prévoit la perception de commissions mensuelles, ainsi qu'une gratification dite du 13ème mois. Elle en conclut que les gains possibles sont conséquents.

Or, M. [T] produit ses bulletins de paie pour l'année 2024, qui font apparaître un salaire mensuel d'environ 1 716 euros, primes incluses. Son avis d'impôt sur les revenus de 2023 mentionne des revenus de 23 104 euros, soit 1 925 euros environ par mois.

La société Banque CIC Est fait en outre valoir que M. [T] a acquis un immeuble, le 1er mars 2024. Néanmoins, celui-ci justifie qu'il doit faire face à trois emprunts, dont l'un, de plus de 57 000 euros qui, s'il ne peut être rattaché avec certitude au financement de l'acquisition immobilière précitée, n'en grève pas moins le patrimoine de M. [T]. Les sommes de 12 440.62 et 2 777.28 euros restaient dues au titre de deux autres prêts au mois de septembre 2024.

Il ne résulte pas de l'ensemble de ces éléments que le patrimoine de M. [T] lui permette à l'heure actuelle de faire face à la somme de 64 918.93 euros qui lui est réclamée au titre de son obligation.

En conséquence, la SA Banque CIC Est ne peut se prévaloir de l'engagement de caution de M. [T] et doit être déboutée de sa demande en paiement formulée contre ce dernier en exécution dudit engagement, le jugement étant confirmé de ce chef.

Sur le devoir de mise en garde

La banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou qu'il existe un risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.

Pour justifier de l'obligation qui pesait sur la société Banque CIC Est de l'alerter quant à un risque d'endettement excessif, M. [T] fait valoir les éléments mêmes qu'il a invoqués pour justifier du caractère disproportionné de son engagement.

Le préjudice résultant d'un manquement de la banque à son devoir de mise en garde de la caution consiste dans la perte de chance de ne pas contracter l'engagement de caution.

La disproportion du cautionnement a été précédemment admise et la banque ne peut se prévaloir de l'engagement de M. [T].

Celui-ci ne justifie pas de ce qu'un préjudice résultant du défaut de mise en garde qu'il invoque subsisterait pour lui après cette sanction.

Sa demande indemnitaire doit donc être rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Le sort des dépens et frais irrépétibles de première instance a été exactement réglé par le premier juge.

La société Banque CIC Est, qui succombe en son appel, doit supporter les dépens de cette procédure et sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile est donc rejetée.

Il est équitable d'allouer à M. [T] la somme de 2 000 euros pour ses frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant contradictoirement,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la SA Banque CIC Est aux dépens d'appel,

Condamne la SA Banque CIC Est à payer à M. [N] [T] la somme de 2 000 euros pour ses frais irrépétibles d'appel,

Déboute la SA Banque CIC Est de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier La conseillère en remplacement de la

présidente régulièrement empêchée

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