CA Montpellier, ch. com., 18 mars 2025, n° 24/04158
MONTPELLIER
Arrêt
Autre
ARRÊT n°
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 18 MARS 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 24/04158 - N° Portalis DBVK-V-B7I-QLAF
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 16 JUILLET 2024
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE CARCASSONNE
N° RG 24/00184
APPELANTS :
Monsieur [W] [N] [Z]
né le [Date naissance 5] 1936 à [Localité 12] (09)
[Adresse 8]
[Localité 1]
Représenté par Me Eric NEGRE, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Marie Camille PEPRATX NEGRE de la SCP ERIC NEGRE, MARIE CAMILLE PEPRATX NEGRE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représenté par Me Jean IGLESIS, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant
Madame [V] [X] épouse [Z]
née le [Date naissance 3] 1942 à [Localité 10] (92)
de nationalité Française
[Adresse 8]
[Localité 1]
Représenté par Me Eric NEGRE, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Marie Camille PEPRATX NEGRE de la SCP ERIC NEGRE, MARIE CAMILLE PEPRATX NEGRE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représenté par Me Jean IGLESIS, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant
INTIMEES :
Monsieur [G] [W]-[Y]
[Adresse 13]
[Localité 2]
Représentée par Me Célia VILANOVA, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Philippe SENMARTIN de la SELARL CSA, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représentée par Me Timothée DE HEAULME, avocat au barreau de PARIS substituant Me Yves-Marie LE CORFF, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
S.E.L.A.S. EGIDE ès qualités de mandataire liquidateur de la société PME ASSURANCES
[Adresse 6]
[Localité 1]
Représentée par Me Laurent SALLELES, avocat au barreau de MONTPELLIER
SCP CAVIGLIOLI BARON [O] prise en la personne de son représentant légal, Me [O], domicilié audit siège en cette qualité, en qualité de mandataire ad hoc de la société PME ASSURANCES
[Adresse 4]
[Localité 9]
Assignée le 12 septembre 2024 à personne habilitée
PARTIE INTERVENANTE :
MINISTERE PUBLIC
en son Parquet Cour d'Appel
[Localité 7]
Représenté à l'audience par M. Damien KINCHER, avocat général
Ordonnance de clôture du 28 Janvier 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 FEVRIER 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
M. Fabrice VETU, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Audrey VALERO
Ministère public :
L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté par M. Damien KINCHER, avocat général, lors des débats.
ARRET :
- Réputé contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Audrey VALERO, greffière.
FAITS ET PROCEDURE':
M. [W]-[N] [Z], courtier d'assurance, et Mme [V] [X] épouse [Z], agent général, ont constitué un groupe familial dans le domaine de l'assurance.
Ils détenaient 100% du capital de la holding du groupe, la SA PME Investissements, laquelle détenait 33,1 % du capital de la SA PME Gestion et 97,9 % du capital de la SA [Z] Expansion, elle-même société mère de la SA PME Assurances et de la société PME Gestion, dont elle détenait 99,9 % et 65,8 % de leurs capitaux respectifs.
La société PME Assurances a été constituée en 1982 et avait pour objet social toutes les opérations d'assurance définie à l'article R. 321-1 du code des assurances. Elle s'est spécialisée dans l'assurance de transport routier collectif de voyageurs.
La société PME Gestion a été constituée en 1984 avec pour objet social la gestion administrative des sinistres automobiles pour le compte d'entreprises ayant souscrit des polices responsabilité civile automobile avec franchise.
M. et Mme [Z], dans la perspective d'une prise de contrôle d'une société d'assurance espagnole Reunion Grupo 86 sise à [Localité 11], ont constitué la SA Compagnie Européenne d'Investissement (ci-après CEI), dont le capital à hauteur de 124'200 000 Fr. a été réparti entre la société PME Gestion et la société PME Assurances.
Le projet de prise de contrôle par la société CEI devait se réaliser par un rachat d'actions fin juin 1991 à hauteur de 12 millions de francs environ suivis d'une augmentation de capital réservée à la société CEI pour un montant de 280 millions de francs, l'engagement de souscrire étant pris en août 1991.
La société CEI n'ayant pu boucler le montage financier de l'opération dans les temps requis, et afin de lui permettre de procéder au premier versement en septembre 1991, la société PME Assurances a consenti le 13 septembre 1991 un prêt d'un montant de 22 millions de francs et des avances en compte courant à hauteur de 24'668'629 Fr., supportant ainsi l'essentiel du financement mis à disposition de la société CEI.
La prise de contrôle envisagée a finalement échoué, le groupe [Z] n'ayant pas pu obtenir les financements nécessaires et l'assureur espagnol Reunion Grupo ayant connu d'importantes difficultés financières conduisant à sa liquidation judiciaire.
En 1992, la société PME Assurances a fait l'objet d'un redressement fiscal d'un montant de 66 millions de francs, l'administration fiscale lui reprochant de ne payer les taxes d'assurance qu'à l'encaissement au lieu de l'émission, ce qui modifiait totalement le montant de son bénéfice imposable.
La société PME Gestion et M. et Mme [Z] ont fait également l'objet d'un redressement.
Les sociétés et les époux ont subi les voies d'exécution de l'administration fiscale.
Puis, la société PME Assurances a été l'objet d'un contrôle de la Commission de contrôle des assurances qui lui a retiré son agrément le 14 décembre 1992.
Statuant sur requête de ladite commission, par ordonnance du 23 décembre 1992, le président du tribunal de commerce de Foix a ouvert une procédure de liquidation judiciaire, sur le fondement des articles L.'326-2 et suivant du code des assurances, à l'égard de la société PME Assurances et désigné M. [W]-[Y] [G] en qualité de liquidateur.
Par jugement du 16 mars 1993, le tribunal de commerce de Foix a étendu cette procédure aux filiales de ladite société, la SCI Assurance 1 et la SCI Assurances 2.
Par arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Toulouse en date du 22 octobre 1998, M. et Mme [Z] ont été déclarés coupables d'abus de confiance, faux et usage de faux, abus de biens sociaux au préjudice de la PME Assurances, et sur l'action civile, ils ont été condamnés à payer la somme de 100'000 Fr. à maître [G] ès qualités.
La cour d'appel de Toulouse, par arrêt civil en date du 13 mars 2002, a condamné M. et Mme [Z] à payer à la société PME Assurances la somme de 15'194'622 € en comblement de l'insuffisance d'actif de cette société.
Par jugement en date du 4 août 2003, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 12 octobre 2004, le tribunal de commerce de Foix a ordonné que les opérations de liquidation se poursuivent selon les dispositions de droit commun, maintenu Me [G] en qualité de liquidateur, et nommé [W]-[N] [Z] en qualité de mandataire ad hoc.
Par jugement du 27 septembre 2004, le tribunal de commerce de Foix a dessaisi M. [W]-[N] [Z] de ses fonctions de mandataire ad hoc, et nommé la SCP Caviglioi-Baron-[O], en la personne de M. [O], en qualité de mandataire ad hoc.
Par jugement du 8 novembre 2004, le tribunal de commerce de Foix a étendu la procédure de liquidation judicaire aux sociétés PME Gestion et PME Investissements.
Les opérations de liquidation sont toujours en cours, plus de 30 ans après l'ouverture de la procédure, et elles sont désormais confiées au cabinet Egide suite à la retraite de Me [G].
Reprochant à Me [G] diverses fautes dans l'exercice de son mandat, par exploit du 11 janvier 2019, M. et Mme [Z] et la SCP Caviglioi-Baron-[O], agissant en sa qualité de mandataire ad hoc de la société PME Assurances, ont assigné M. [W]-[Y] [G] en responsabilité civile professionnelle.
Par ordonnance du 26 janvier 2023, le juge de la mise en état, saisi par le défendeur d'un incident de nullité de l'assignation et de prescription de l'action, a :
- débouté M. [W] [Y] [G] de sa demande tendant à la nullité de l'assignation ;
- déclaré les époux [Z] irrecevables en leur demande de condamnation de M. [W]-[Y] [G] au paiement de la somme de 132'441'520 euros en réparation du préjudice subi par la liquidation judiciaire des sociétés PME Assurances et du groupe CEI, sur le fondement des articles L.'622-20 et L.'641-1 du code de commerce ;
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée M. [G] et la SELAS Egide tirée d'un défaut de qualité à agir des époux [Z] s'agissant de l'indemnisation de leur préjudice moral ;
- réservé les dépens ;
- et enjoint aux époux demandeurs d'avoir à conclure au fond.
Pour déclarer les époux [Z] irrecevables en leur demande de condamnation de M. [W]-[Y] [G] au paiement de la somme de 132'441'520 euros en réparation du préjudice subi par la liquidation judiciaire des sociétés PME Assurances et du groupe CEI, sur le fondement des articles L.'622-20 et L.'641-1 du code de commerce, le magistrat de la mise en état retient en ses motifs que M. et Mme [Z] ne justifient pas agir en réparation d'un préjudice personnel distinct de celui subi par ces différentes sociétés en liquidation judiciaire, et donc sont dépourvus de qualité à agir de ce chef ; et qu'en revanche, ils sont recevables à agir en réparation du préjudice moral qu'ils allèguent avoir personnellement subi.
Sur la prescription, le juge de la mise en état relève que les époux [Z] sont fondés à retenir comme point de départ de leur délai d'action en responsabilité contre le liquidateur l'audience qui s'est tenue le 9 janvier 2017 pour la clôture des opérations de liquidation pour insuffisance d'actif, les moyens développés par M. et Mme [Z] étant différents de ceux développés à l'appui de l'assignation à l'origine de l'instance ayant conduit à l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 13 mars 2002.
Par exploit du 14 décembre 2021, la SELARL Egide, ès qualités de liquidateur de la société PME Assurances, a été attraite en la cause.
Par jugement contradictoire en date du 16 juillet 2024 (le jugement déféré), le tribunal judiciaire de Carcassonne a':
- prononcé la mise hors de cause de la société Egide, ès qualités';
- débouté M. [W]-[N] [Z] et Mme [V] [X] épouse [Z] ainsi que la société Caviglioli Baron [O], ès qualités, de l'intégralité de leurs demandes';
- condamné in solidum M. [W]-[N] [Z] et Mme [V] [X] épouse [Z] à payer à M. [W]-[Y] [G] la somme de 10'000 euros en réparation de son préjudice moral'et celle de 8'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile'et à la société Egide la somme de 2'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile'ainsi qu'aux entiers dépens';
- et ordonné l'exécution provisoire.
Le 6 août 2024, M. [W]-[N] [Z] et Mme [V] [X] épouse [Z] ont relevé appel de ce jugement.
L'affaire a été fixée à bref délai.
Par conclusions du 19 septembre 2024, ils demandent à la cour :
- de réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions';
- de juger les fautes commises par M. [W]-[Y] [G] dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société PME Assurances et des sociétés du groupe CEI';
- de statuer ce que de droit sur la demande formulée par la société Egide, ès qualités de mandataire ad hoc de la société PME Assurances';
- de condamner M. [W]-[Y] [G] au paiement de la somme de 1'000'000 d'euros en réparation de leur préjudice moral'et la somme de 135'000'000 d'euros en réparation du préjudice résultant de la perte de gains futurs consécutifs à ses fautes';
- de le condamner à payer à M. [W]-[N] [Z] la somme de 2'484'456 euros en réparation de ses pertes de revenus et la somme de 400'000 euros en réparation de ses pertes de droit retraite ;
- de le condamner à payer à Mme [V] [X] épouse [Z] la somme de 4'368'768 euros en réparation de ses pertes de revenus et la somme de 1'000'000 euros en réparation de ses pertes de droit retraite';
- et de le condamner à leur payer la somme de 30'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, avec distraction.
Par conclusions du 16 octobre 2024, M. [W]-[Y] [G] demande à la cour :
- de confirmer le jugement entrepris sauf sur la recevabilité de la demande au titre de la perte de gains futurs et sur le montant des dommages et intérêts pour procédure abusive';
- de l'infirmer de ces chefs ;
- de déclarer irrecevable pour défaut de qualité à agir la demande de condamnation à payer la somme de 135'000'000 euros au titre de la perte de gains futurs des sociétés du groupe PME Assurances';
- de condamner in solidum les époux [Z] à lui payer la somme de 20'000 euros en réparation de son préjudice moral';
À titre subsidiaire,
- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions';
- de débouter M. [W]-[N] [Z] et Mme [V] [X] épouse [Z] de l'ensemble de leurs demandes';
Et en tout état de cause,
- de les condamner in solidum à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions du 11 octobre 2024, la SELARL Egide, prise en la personne de M. [J] [F], agissant en sa qualité de liquidateur de la SA PME Assurances, demande à la cour, au visa des articles 564, 789 du code de procédure civile et de l'article 55 du décret n° 2019-1333, de':
À titre principal,
- de constater, le cas échéant, le caractère nouveau des demandes qui seraient formées à son encontre';
- de déclarer irrecevable toute demande visant à la mettre purement et simplement hors de cause';
À titre subsidiaire,
- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions';
- de la mettre hors de cause';
Et en tout état de cause,
- de condamner les époux [Z] à lui payer la somme de 10'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La SCP Caviglioli-Baron-[O], prise en sa qualité de mandataire ad hoc de la SA PME Assurances, assignée le 12 septembre 2024 à personne habilitée, n'a pas constitué avocat.
Le ministère public, qui a reçu communication, a déposé des conclusions écrites dont les parties ont eu connaissance par RPVA le 13 janvier 2025, reprises oralement à l'audience de plaidoirie, par lesquelles il sollicite la confirmation du jugement entrepris, nonobstant la durée anormale de la procédure collective, motif pris de l'absence de faute démontrée clairement imputable au liquidateur et ayant directement causé un préjudice aux époux [Z], lesquels, par le montage complexe de leurs affaires, leur engagement téméraire et leur attitude obstructive, y ont concouru.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est datée du 28 janvier 2025.
MOTIFS :
Il convient de relever en premier lieu, sur le moyen d'irrecevabilité soulevé par le liquidateur, tiré d'un défaut de qualité à agir de M. et Mme [Z] pour solliciter sa condamnation à leur payer la somme de 135'000'000 euros au titre de la perte de gains futurs des sociétés du groupe PME Assurances,'que cette fin de non-recevoir apparaissant procéder d'une confusion entre recevabilité et bien fondé de l'action, doit être rejetée.
1. Sur la gestion des provisions et le paiement des franchises
M. et Mme [Z] font valoir que M. [Z] a été convoqué à la fin de l'année 2017 en chambre du conseil du tribunal de commerce pour envisager la clôture des opérations de liquidation ; qu'à cette occasion, il a pris connaissance du montant du passif de la liquidation s'élevant à 23'452'098 €; que M. [Z] a appris alors que les sinistres avaient été réglés au premier euro malgré les franchises contractuelles qui devaient être appliquées ; que maître [G] a fait augmenter les provisions sans autre justification que de pouvoir se faire délivrer des fonds par le Fonds de garantie étant rappelé que les honoraires de maître [G] sont indexés sur le sinistre (1100 Fr. par dossier) ; que l'intérêt du mandataire liquidateur était donc d'ouvrir le plus grand nombre de dossiers sans se préoccuper du montant réglé et de la justification du sinistre ; qu'il a réglé ainsi, sans discussion, l'ensemble des sinistres déclarés, au premier euro, sans appliquer les franchises contractuelles et sans agir dans le délai de la prescription biennale pour tenter de récupérer auprès des assurés le montant de ces franchises ; qu'il a engagé au mois de décembre 1994 seulement une série de procédures pour tenter de récupérer le montant des franchises dues ; que ces faits ont eu pour conséquence d'alourdir considérablement le passif des sociétés PME Assurances et Gestion, d'un différentiel de 14'218'229 €.
Les appelants ajoutent, pour répondre aux moyens du liquidateur, que M. [Z] lui-même était dessaisi de la gestion de la société ; que sa condamnation pénale est totalement étrangère aux faits postérieurs à la procédure de liquidation qui sont reprochés à maître [G] ; même dans l'hypothèse où les liens entre PME Assurances et PME Gestion auraient été coupés, comme le tribunal l'a retenu, le liquidateur avait tout loisir de mettre en 'uvre les procédures utiles contre la société PME Gestion et contre les assurés pour récupérer les franchises dans le délai de prescription.
Mais le tribunal judiciaire a déjà exactement répondu aux époux [Z] par les motifs développés qui méritent d'être ci-après reproduits in extenso :
« Il convient de rappeler à titre liminaire que la société PME Assurances proposait à des clients, qui étaient exclusivement des entreprises publiques ou privées de transports collectifs de personnes, un contrat d'assurance portant sur leur flotte de véhicules ainsi qu'un contrat de gestion de la franchise. Ces entreprises ne s'assuraient donc jamais pour la totalité du risque, mais restaient leur propre assureur, en vertu de l'article L. 121-1 du code des assurances et dans une limite fixée soit par sinistre, soit en fonction d'un montant annuel.
Lorsque le sinistre ne dépassait pas le montant de la franchise, il était géré par PME Gestion qui procédait également au règlement.
S'agissant des sinistres qui excédaient le montant de la franchise, PME Assurances réglait à la victime la totalité de l'indemnité due, en ce compris le montant de la franchise, à charge pour elle d'obtenir remboursement de la part de PME Gestion.
Il résulte des nombreuses décisions de justice versées aux débats, et notamment de l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse en date du 14 octobre 2008, qu'il existait des flux anormaux entre les sociétés PME Assurances et PME Gestion ; et que les activités des deux sociétés étaient extrêmement imbriquées et interdépendantes, avec mise en commun de leurs moyens de gestion.
Cet arrêt, qui se fonde sur les motifs de l'arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Toulouse du 22 octobre 1998, établit qu'après 1993, le lien économique et fonctionnel entre PME Assurances et PME Gestion a été coupé, à la suite d'une autre décision de la cour d'appel de Toulouse ayant confirmé uniquement la fictivité de deux SCI filiales de la société PME assurance, les SCI ASSURANCE 1 et SCI ASSURANCE 2, et sursis à statuer sur la fictivité des autres sociétés dans l'attente de la décision sur l'action publique.
Cette coupure du lien entre les deux sociétés a ainsi privé le liquidateur de la connaissance et de l'accès aux franchises déposées par la clientèle de PME Gestion, ce qui a perturbé le règlement des sinistres en cours, et permis aux dirigeants des deux sociétés de mettre en place divers procédés destinés à favoriser PME Gestion, demeurée in bonis, dans ses relations avec PME Assurances en liquidation.
M. et Mme [Z] ne rapportent donc pas la preuve qui leur incombe de la faute commise par le liquidateur dans la gestion des provisions techniques, la mission de maître [G] ayant été rendue particulièrement complexe en raison du manque de lisibilité sur la comptabilité de la société et l'obstruction de ses dirigeants, qui ont cherché à favoriser PME Gestion, demeurée in bonis, au détriment de PME assurances, ces comportements ayant été sanctionnés pénalement.
Il ne saurait davantage être reproché à maître [G] de ne pas être parvenu à recouvrer le montant des franchises.
En effet, les productions établissent que le liquidateur a engagé diverses actions en justice pour obtenir le paiement par les assurés de la franchise en lieu et place de PME Gestion, alors dirigée par M. [W]-[N] [Z], qui, une fois appelée dans la cause par les assurés, n'hésitait pas à soulever divers moyens tendant à l'irrecevabilité des demandes de PME Assurances.
C'est d'ailleurs parce que le tribunal de commerce de Foix a retenu l'existence d'un conflit d'intérêts total entre M. [Z], ès qualités de dirigeant de la société PME Gestion, et en sa qualité de mandataire ad hoc de la société PME Assurances pour la défense des intérêts propres de la société non concernés par la liquidation, qu'il a été démis de sa fonction d'administrateur ad hoc et qu'il a été remplacé par maître [O] par décision du 27 septembre 2004.
Ainsi, la seule production par les demandeurs de deux attestations de salariés aux termes desquelles des consignes auraient été données par maître [G] pour accélérer le traitement des sinistres est insuffisant à la preuve d'une faute du mandataire liquidateur. »
La présente cour ajoute que M. et Mme [Z] ne rapportent pas la preuve de ce qu'en dépit de ces circonstances, maître [G] aurait pu engager l'action pour recouvrer les montants des franchises dans le délai de la prescription biennale et qu'il aurait fait perdre une chance de les recouvrer, et encore moins causé ainsi un dommage spécifique à M. et Mme [Z] ; aucun préjudice personnel à ces derniers n'est en lien de causalité direct et certain avec l'inertie fautive reprochée à tort au liquidateur.
La faute du liquidateur est d'autant moins caractérisée qu'en réalité celui-ci, s'est heurté aux man'uvres frauduleuses de M. [Z] qui ne respectait plus les mécanismes financiers qu'il avait lui-même mis en place, à savoir de rembourser à PME Assurances le montant des franchises payées par cette dernière à PME Gestion, laquelle ne pouvait pas assurer les engagements pris dans le contrat de gestion de franchise, alors que l'action qu'il est reproché au liquidateur d'avoir engagée tardivement, consistait concrètement à venir demander aux assurés de payer une deuxième fois la franchise qu'ils avaient déjà réglée à la société PME Gestion.
Les appelants ne discutent pas la circonstance que la société PME Gestion étant à cette période encore gérée par M. [Z] en qualité mandataire ad hoc, c'est M. [Z] qui a soulevé en premier lieu la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action, qui fut reprise par les assurés à leur compte pour résister aux demandes de la société PME Assurances ; et que c'est précisément ce conflit d'intérêts qui a conduit le tribunal de commerce de Foix à dessaisir M. [Z] de ses fonctions de mandataire ad hoc par le jugement du 27 septembre 2004.
Aucune faute de la part du liquidateur ne peut être retenue sur ce point.
2. Sur l'absence d'action dirigée contre l'État
M. et Mme [Z] reprochent ensuite à maître [G] de ne pas avoir engagé une procédure contre l'État car selon eux, le redressement opéré par l'administration fiscale, qui a par la suite donné lieu à des dégrèvements, serait à l'origine directe du retrait d'agrément et du placement de PME Assurances en liquidation judiciaire.
Mais il résulte des motifs des différentes décisions judiciaires rendues, tant de l'arrêt correctionnel du 22 octobre 1998, que de l'arrêt civil de la cour d'appel de Toulouse du 13 mars 2002 ayant confirmé le jugement condamnant solidairement M. et Mme [Z], sur le fondement de l'article L. 328-13 du code des assurances, à payer à la société PME assurances la somme de 15'194'622 €, que le placement en liquidation judiciaire de PME Assurances résulte des seules malversations financières des époux [Z] et de la tentative de reprise avortée de l'assureur Réunion Grupo, et non du redressement fiscal de la société et de M. et Mme [Z] à titre personnel.
À l'opposé, il est établi que la déconfiture du groupe et la liquidation judiciaire de la société PME Assurances résultent, non pas du redressement fiscal, mais des agissements de ses dirigeants, qui ont délibérément choisi de faire supporter à la société PME Assurances, à l'occasion du projet de rachat de la société Réunion Grupo, un risque hors de proportion avec ses capacités financières, et ce, sans contrepartie réelle pour la société PME Assurances.
Par conséquent, la responsabilité civile de maître [G] ne peut être recherchée à ce titre pour ne pas avoir engagé une procédure hasardeuse contre l'État à raison des poursuites fiscales.
Il convient d'observer que les décisions de dégrèvement, et notamment celle du « directeur régional des impôts de [Localité 14] du 27 avril 1995 » mentionnée en pièce n° 7 des appelants, et leurs motifs, qui ne sont pas même précisés par M. et Mme [Z] dans leurs écritures, ne sont pas versées aux débats pour expliciter les motifs exacts des avis de dégrèvement invoqués.
Contrairement à ce qui est soutenu par les appelants, les redressements fiscaux notifiés et les garanties qui ont été prises n'étant pas "nécessairement fautifs", du seul fait qu'ils ont donné lieu ensuite à dégrèvements.
La faute du liquidateur en ce qu'il s'est abstenu d'engager une action contre l'État n'est donc pas établie.
3. Sur le montant des honoraires perçus par liquidateur
Les demandeurs soutiennent que maître [G] a procédé à des prélèvements d'honoraires inconsidérés, sans autorisation pour la plupart, notamment à hauteur de 2'038'635 € depuis l'année 1993 jusqu'en 2000, qui sont venus aggraver le passif ; et que la perception de ces honoraires est sans doute l'une des raisons de la longueur de la procédure de liquidation judiciaire.
Mais les appelants produisent eux-mêmes la contestation par M. [Z] des honoraires du liquidateur ayant donné lieu à un arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 24 novembre 1993 émondant de 25 % le montant de la facturation de maître [G] jugée excessive.
Maître [G] verse pour sa part les décisions rendues sur requête successivement par le président du tribunal de commerce de Foix, les 13 janvier 2000, 23 avril 2002, 3 juin 2002 et 30 septembre 2003 ayant autorisé les honoraires prélevés ; les appelants n'ont fait aucune réplique précise sur ce point et ne fournissent aucune indication sur les dates et montants qui auraient été indûment prélevés sans autorisation ; il appartenait à M. et Mme [Z] de contester en premier lieu les ordonnances de taxation d'honoraires rendues.
Ce grief ne saurait donc prospérer.
4. Sur la transaction en matière de réassurance
M. [Z] et Mme [Z] contestent les conditions dans lesquelles maître [G] a transigé avec les réassureurs, exposant qu'il a reçu autorisation en ce sens par le juge-commissaire suivant ordonnance du 13 janvier 1997 ; et que cette transaction, si elle a permis de recouvrer sans délai une somme de 16121943 F, soit 3'133'500 €, soit près de trois quarts de la créance de PME Assurances, représentant la différence entre la prime due au réassureur et celle représentant le montant de leur couverture ; qu'elle s'est effectuée au détriment des créanciers ; et qu'une telle transaction est interdite par le code des assurances qui dispose en son article L.326-10 la faculté de transiger uniquement sur les dettes de la société.
Mais maître [G], s'il a négocié, présenté et négocié l'opération soutenue, est fondé à invoquer l'autorisation qui lui a été donnée par le juge-commissaire, cette autorisation judiciaire, devenue définitive en l'absence de recours contre l'ordonnance du 19 janvier 1997, rompant tout lien de causalité, et excluant qu'une supposée faute du liquidateur puisse conduire à l'octroi de quelques dommages-intérêts.
5. Sur le défaut de diligences quant au recouvrement des sommes séquestrées en Espagne
Le tribunal de commerce a exactement retenu qu'il ne saurait être reproché à maître [G] de ne pas avoir engagé d'action pour recouvrer les fonds versés en 1991 pour acquérir l'assureur Réunion Grupo, dès lors que les diverses décisions de justice, notamment les arrêts de la cour d'appel de Toulouse en date des 22 octobre 1998 et 12 octobre 2004, montrent que les 40 000 000 F ont été versés, non pas directement par PME Assurances, mais par la société CEI, entreprise distincte, demeurée in bonis.
C'est cette société CEI qui était titulaire de la créance et qui a vainement tenté de recouvrer ces fonds devant les juridictions espagnoles.
6. Sur le moyen tiré d'irrégularités affectant la procédure de liquidation de la société PME Assurances
Contrairement à ce qui est soutenu, le tribunal a écarté les griefs formulés par M. et Mme [Z] concernant la gestion des opérations de liquidation par maître [G], dans la mesure où il est établi :
- par la production d'un procès-verbal de constat d'huissier du 24 mars 2021, que le liquidateur a établi les rapports hebdomadaires pendant toute la période durant laquelle la procédure de liquidation judiciaire était ouverte sur le fondement de l'article L.326-2 du code des assurances puis les rapports semestriels une fois que la procédure s'est poursuivie selon les dispositions de droit commun';
- qu'il a été dispensé, par ordonnance du juge-commissaire en date du 4 novembre 1993, de convoquer l'assemblée générale';
- et que les autres supposés fautes de gestion reprochées à maître [G] ont été écartées supra.
Le reproche des appelants relatif à l'absence de négociation du fonds de commerce de PME assurances et de PME gestion "équivalait sans doute au moins 100 millions de francs" n'est étayé par aucun document probant.
En ce qui concerne le moyen des appelants relatif à l'absence de négociation du logiciel informatique de gestion de la "particulièrement innovant", avancé sans davantage de preuve, le liquidateur réplique en outre, sans être contredit, que ce matériel informatique n'appartenait pas à PME Assurances, mais à PME Gestion, et qu'il ne pouvait dès lors le vendre avant que l'extension de la procédure soit ordonnée le 8 novembre 2004. Il est apparu alors que M. [Z] avait dépouillé PME Gestion de ce logiciel qu'il avait lui-même vendu, de sorte que le grief ne manque pas d'audace.
En ce qui concerne le licenciement "de manière inconsidérée des salariés de l'entreprise ayant exposé l'entreprise à de lourdes condamnations", ce grief n'est pas davantage précisément articulé, alors que la faute de Maître [G] ne résulte pas de la seule production des arrêts de la Cour de cassation du 21 janvier 1998 et 31 mars 1999.
7. Sur les fonds versés par le Fonds de Garantie
M. et Mme [Z] reprochent à nouveau en cause d'appel à maître [G] de ne pas avoir déduit les montants qui ont été réglés par le Fonds de Garantie en raison de la défaillance de PME Gestion et de PME Assurances, conduisant, selon eux, le tribunal de commerce de Foix à prononcer une liquidation judiciaire qui n'aurait pas eu lieu d'être.
Or le tribunal lui a déjà exactement répondu que maître [G] fait valoir à bon droit que le Fonds de Garantie est subrogé dans les droits du créancier de la société d'assurance et que ce paiement n'a pas pour effet d'éteindre la créance ; que ce moyen a d'ores et déjà été tranché par la cour d'appel de Toulouse dans son arrêt du 12 octobre 2004 ; et qu'il convient de rappeler que le Fonds de Garantie, instauré par l'article L. 421-1 du code des assurances, intervient pour le compte de la société en liquidation, sans que son intervention ne diminue le passif et qu'il ne saurait être assimilé à un réassureur.
Aucune faute du liquidateur ne peut être relevée de ce chef.
8. Sur les autres griefs en lien avec l'extension de la procédure
Ces griefs ne sauraient prospérer, la décision d'extension de la procédure ayant fait l'objet d'une décision de justice passée en force de chose jugée.
En définitive, les appelants, auxquels la charge de la preuve incombe, échouent à rapporter la preuve d'un quelconque manquement commis par maître [G] dans l'exécution de sa mission.
Celui-ci fait valoir que la durée des opérations de liquidation, toujours en cours n'est imputable qu' aux agissements de M. et Mme [Z], qui ont organisé leur insolvabilité pour échapper des sommes importantes mises à leur charge, notamment par le succès de l'action dirigée contre eux en comblement de passif.
Le jugement qui a rejeté toutes les demandes indemnitaires des époux [Z], dépourvues de fondement, doit être entièrement approuvé.
Sur la demande reconventionnelle tendant à l'octroi de dommages-intérêts
Aucun abus du droit d'ester en justice ouvrant droit à l'octroi de dommages-intérêts n'est toutefois suffisamment caractérisé de la part de M. et Mme [Z], d'où il suit la réformation du jugement déféré en ce qu'il les a condamnés à verser à M. [W]-[Y] [G] la somme de 10 000 euros en réparation de préjudice moral.
M. et Mme [Z] succombant devront supporter la charge des dépens d'appel, et verser en équité à maître [G] encore la somme de 8 000 € et à la société Egide la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ne pouvant eux-mêmes prétendre au bénéfice de ce texte.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rejette la fin de non-recevoir soulevée ;
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné in solidum M. [W]-[N] [Z] et Mme [V] [X] épouse [Z] à payer à M. [W]-[Y] [G] la somme de 10'000 euros en réparation de son préjudice moral';
Statuant à nouveau du chef infirmé et ajoutant,
Déboute M. [W]-[Y] [G] de sa demande tendant à l'octroi de dommages et intérêts ;
Condamne in solidum M. [W]-[N] [Z] et Mme [V] [X] épouse [Z] aux entiers dépens, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. [W]-[N] [Z] et Mme [V] [X] épouse [Z] à payer à M. [W]-[Y] [G] la somme de 8'000 euros et à la SELARL Egide, en la personne de Me [J] [G], pris en sa qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société PME Assurances, la somme de 2'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et rejette leur demande de ce chef.
Le greffier, La présidente,
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 18 MARS 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 24/04158 - N° Portalis DBVK-V-B7I-QLAF
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 16 JUILLET 2024
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE CARCASSONNE
N° RG 24/00184
APPELANTS :
Monsieur [W] [N] [Z]
né le [Date naissance 5] 1936 à [Localité 12] (09)
[Adresse 8]
[Localité 1]
Représenté par Me Eric NEGRE, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Marie Camille PEPRATX NEGRE de la SCP ERIC NEGRE, MARIE CAMILLE PEPRATX NEGRE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représenté par Me Jean IGLESIS, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant
Madame [V] [X] épouse [Z]
née le [Date naissance 3] 1942 à [Localité 10] (92)
de nationalité Française
[Adresse 8]
[Localité 1]
Représenté par Me Eric NEGRE, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Marie Camille PEPRATX NEGRE de la SCP ERIC NEGRE, MARIE CAMILLE PEPRATX NEGRE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représenté par Me Jean IGLESIS, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant
INTIMEES :
Monsieur [G] [W]-[Y]
[Adresse 13]
[Localité 2]
Représentée par Me Célia VILANOVA, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Philippe SENMARTIN de la SELARL CSA, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représentée par Me Timothée DE HEAULME, avocat au barreau de PARIS substituant Me Yves-Marie LE CORFF, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
S.E.L.A.S. EGIDE ès qualités de mandataire liquidateur de la société PME ASSURANCES
[Adresse 6]
[Localité 1]
Représentée par Me Laurent SALLELES, avocat au barreau de MONTPELLIER
SCP CAVIGLIOLI BARON [O] prise en la personne de son représentant légal, Me [O], domicilié audit siège en cette qualité, en qualité de mandataire ad hoc de la société PME ASSURANCES
[Adresse 4]
[Localité 9]
Assignée le 12 septembre 2024 à personne habilitée
PARTIE INTERVENANTE :
MINISTERE PUBLIC
en son Parquet Cour d'Appel
[Localité 7]
Représenté à l'audience par M. Damien KINCHER, avocat général
Ordonnance de clôture du 28 Janvier 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 FEVRIER 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
M. Fabrice VETU, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Audrey VALERO
Ministère public :
L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté par M. Damien KINCHER, avocat général, lors des débats.
ARRET :
- Réputé contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Audrey VALERO, greffière.
FAITS ET PROCEDURE':
M. [W]-[N] [Z], courtier d'assurance, et Mme [V] [X] épouse [Z], agent général, ont constitué un groupe familial dans le domaine de l'assurance.
Ils détenaient 100% du capital de la holding du groupe, la SA PME Investissements, laquelle détenait 33,1 % du capital de la SA PME Gestion et 97,9 % du capital de la SA [Z] Expansion, elle-même société mère de la SA PME Assurances et de la société PME Gestion, dont elle détenait 99,9 % et 65,8 % de leurs capitaux respectifs.
La société PME Assurances a été constituée en 1982 et avait pour objet social toutes les opérations d'assurance définie à l'article R. 321-1 du code des assurances. Elle s'est spécialisée dans l'assurance de transport routier collectif de voyageurs.
La société PME Gestion a été constituée en 1984 avec pour objet social la gestion administrative des sinistres automobiles pour le compte d'entreprises ayant souscrit des polices responsabilité civile automobile avec franchise.
M. et Mme [Z], dans la perspective d'une prise de contrôle d'une société d'assurance espagnole Reunion Grupo 86 sise à [Localité 11], ont constitué la SA Compagnie Européenne d'Investissement (ci-après CEI), dont le capital à hauteur de 124'200 000 Fr. a été réparti entre la société PME Gestion et la société PME Assurances.
Le projet de prise de contrôle par la société CEI devait se réaliser par un rachat d'actions fin juin 1991 à hauteur de 12 millions de francs environ suivis d'une augmentation de capital réservée à la société CEI pour un montant de 280 millions de francs, l'engagement de souscrire étant pris en août 1991.
La société CEI n'ayant pu boucler le montage financier de l'opération dans les temps requis, et afin de lui permettre de procéder au premier versement en septembre 1991, la société PME Assurances a consenti le 13 septembre 1991 un prêt d'un montant de 22 millions de francs et des avances en compte courant à hauteur de 24'668'629 Fr., supportant ainsi l'essentiel du financement mis à disposition de la société CEI.
La prise de contrôle envisagée a finalement échoué, le groupe [Z] n'ayant pas pu obtenir les financements nécessaires et l'assureur espagnol Reunion Grupo ayant connu d'importantes difficultés financières conduisant à sa liquidation judiciaire.
En 1992, la société PME Assurances a fait l'objet d'un redressement fiscal d'un montant de 66 millions de francs, l'administration fiscale lui reprochant de ne payer les taxes d'assurance qu'à l'encaissement au lieu de l'émission, ce qui modifiait totalement le montant de son bénéfice imposable.
La société PME Gestion et M. et Mme [Z] ont fait également l'objet d'un redressement.
Les sociétés et les époux ont subi les voies d'exécution de l'administration fiscale.
Puis, la société PME Assurances a été l'objet d'un contrôle de la Commission de contrôle des assurances qui lui a retiré son agrément le 14 décembre 1992.
Statuant sur requête de ladite commission, par ordonnance du 23 décembre 1992, le président du tribunal de commerce de Foix a ouvert une procédure de liquidation judiciaire, sur le fondement des articles L.'326-2 et suivant du code des assurances, à l'égard de la société PME Assurances et désigné M. [W]-[Y] [G] en qualité de liquidateur.
Par jugement du 16 mars 1993, le tribunal de commerce de Foix a étendu cette procédure aux filiales de ladite société, la SCI Assurance 1 et la SCI Assurances 2.
Par arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Toulouse en date du 22 octobre 1998, M. et Mme [Z] ont été déclarés coupables d'abus de confiance, faux et usage de faux, abus de biens sociaux au préjudice de la PME Assurances, et sur l'action civile, ils ont été condamnés à payer la somme de 100'000 Fr. à maître [G] ès qualités.
La cour d'appel de Toulouse, par arrêt civil en date du 13 mars 2002, a condamné M. et Mme [Z] à payer à la société PME Assurances la somme de 15'194'622 € en comblement de l'insuffisance d'actif de cette société.
Par jugement en date du 4 août 2003, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 12 octobre 2004, le tribunal de commerce de Foix a ordonné que les opérations de liquidation se poursuivent selon les dispositions de droit commun, maintenu Me [G] en qualité de liquidateur, et nommé [W]-[N] [Z] en qualité de mandataire ad hoc.
Par jugement du 27 septembre 2004, le tribunal de commerce de Foix a dessaisi M. [W]-[N] [Z] de ses fonctions de mandataire ad hoc, et nommé la SCP Caviglioi-Baron-[O], en la personne de M. [O], en qualité de mandataire ad hoc.
Par jugement du 8 novembre 2004, le tribunal de commerce de Foix a étendu la procédure de liquidation judicaire aux sociétés PME Gestion et PME Investissements.
Les opérations de liquidation sont toujours en cours, plus de 30 ans après l'ouverture de la procédure, et elles sont désormais confiées au cabinet Egide suite à la retraite de Me [G].
Reprochant à Me [G] diverses fautes dans l'exercice de son mandat, par exploit du 11 janvier 2019, M. et Mme [Z] et la SCP Caviglioi-Baron-[O], agissant en sa qualité de mandataire ad hoc de la société PME Assurances, ont assigné M. [W]-[Y] [G] en responsabilité civile professionnelle.
Par ordonnance du 26 janvier 2023, le juge de la mise en état, saisi par le défendeur d'un incident de nullité de l'assignation et de prescription de l'action, a :
- débouté M. [W] [Y] [G] de sa demande tendant à la nullité de l'assignation ;
- déclaré les époux [Z] irrecevables en leur demande de condamnation de M. [W]-[Y] [G] au paiement de la somme de 132'441'520 euros en réparation du préjudice subi par la liquidation judiciaire des sociétés PME Assurances et du groupe CEI, sur le fondement des articles L.'622-20 et L.'641-1 du code de commerce ;
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée M. [G] et la SELAS Egide tirée d'un défaut de qualité à agir des époux [Z] s'agissant de l'indemnisation de leur préjudice moral ;
- réservé les dépens ;
- et enjoint aux époux demandeurs d'avoir à conclure au fond.
Pour déclarer les époux [Z] irrecevables en leur demande de condamnation de M. [W]-[Y] [G] au paiement de la somme de 132'441'520 euros en réparation du préjudice subi par la liquidation judiciaire des sociétés PME Assurances et du groupe CEI, sur le fondement des articles L.'622-20 et L.'641-1 du code de commerce, le magistrat de la mise en état retient en ses motifs que M. et Mme [Z] ne justifient pas agir en réparation d'un préjudice personnel distinct de celui subi par ces différentes sociétés en liquidation judiciaire, et donc sont dépourvus de qualité à agir de ce chef ; et qu'en revanche, ils sont recevables à agir en réparation du préjudice moral qu'ils allèguent avoir personnellement subi.
Sur la prescription, le juge de la mise en état relève que les époux [Z] sont fondés à retenir comme point de départ de leur délai d'action en responsabilité contre le liquidateur l'audience qui s'est tenue le 9 janvier 2017 pour la clôture des opérations de liquidation pour insuffisance d'actif, les moyens développés par M. et Mme [Z] étant différents de ceux développés à l'appui de l'assignation à l'origine de l'instance ayant conduit à l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 13 mars 2002.
Par exploit du 14 décembre 2021, la SELARL Egide, ès qualités de liquidateur de la société PME Assurances, a été attraite en la cause.
Par jugement contradictoire en date du 16 juillet 2024 (le jugement déféré), le tribunal judiciaire de Carcassonne a':
- prononcé la mise hors de cause de la société Egide, ès qualités';
- débouté M. [W]-[N] [Z] et Mme [V] [X] épouse [Z] ainsi que la société Caviglioli Baron [O], ès qualités, de l'intégralité de leurs demandes';
- condamné in solidum M. [W]-[N] [Z] et Mme [V] [X] épouse [Z] à payer à M. [W]-[Y] [G] la somme de 10'000 euros en réparation de son préjudice moral'et celle de 8'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile'et à la société Egide la somme de 2'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile'ainsi qu'aux entiers dépens';
- et ordonné l'exécution provisoire.
Le 6 août 2024, M. [W]-[N] [Z] et Mme [V] [X] épouse [Z] ont relevé appel de ce jugement.
L'affaire a été fixée à bref délai.
Par conclusions du 19 septembre 2024, ils demandent à la cour :
- de réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions';
- de juger les fautes commises par M. [W]-[Y] [G] dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société PME Assurances et des sociétés du groupe CEI';
- de statuer ce que de droit sur la demande formulée par la société Egide, ès qualités de mandataire ad hoc de la société PME Assurances';
- de condamner M. [W]-[Y] [G] au paiement de la somme de 1'000'000 d'euros en réparation de leur préjudice moral'et la somme de 135'000'000 d'euros en réparation du préjudice résultant de la perte de gains futurs consécutifs à ses fautes';
- de le condamner à payer à M. [W]-[N] [Z] la somme de 2'484'456 euros en réparation de ses pertes de revenus et la somme de 400'000 euros en réparation de ses pertes de droit retraite ;
- de le condamner à payer à Mme [V] [X] épouse [Z] la somme de 4'368'768 euros en réparation de ses pertes de revenus et la somme de 1'000'000 euros en réparation de ses pertes de droit retraite';
- et de le condamner à leur payer la somme de 30'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, avec distraction.
Par conclusions du 16 octobre 2024, M. [W]-[Y] [G] demande à la cour :
- de confirmer le jugement entrepris sauf sur la recevabilité de la demande au titre de la perte de gains futurs et sur le montant des dommages et intérêts pour procédure abusive';
- de l'infirmer de ces chefs ;
- de déclarer irrecevable pour défaut de qualité à agir la demande de condamnation à payer la somme de 135'000'000 euros au titre de la perte de gains futurs des sociétés du groupe PME Assurances';
- de condamner in solidum les époux [Z] à lui payer la somme de 20'000 euros en réparation de son préjudice moral';
À titre subsidiaire,
- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions';
- de débouter M. [W]-[N] [Z] et Mme [V] [X] épouse [Z] de l'ensemble de leurs demandes';
Et en tout état de cause,
- de les condamner in solidum à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions du 11 octobre 2024, la SELARL Egide, prise en la personne de M. [J] [F], agissant en sa qualité de liquidateur de la SA PME Assurances, demande à la cour, au visa des articles 564, 789 du code de procédure civile et de l'article 55 du décret n° 2019-1333, de':
À titre principal,
- de constater, le cas échéant, le caractère nouveau des demandes qui seraient formées à son encontre';
- de déclarer irrecevable toute demande visant à la mettre purement et simplement hors de cause';
À titre subsidiaire,
- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions';
- de la mettre hors de cause';
Et en tout état de cause,
- de condamner les époux [Z] à lui payer la somme de 10'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La SCP Caviglioli-Baron-[O], prise en sa qualité de mandataire ad hoc de la SA PME Assurances, assignée le 12 septembre 2024 à personne habilitée, n'a pas constitué avocat.
Le ministère public, qui a reçu communication, a déposé des conclusions écrites dont les parties ont eu connaissance par RPVA le 13 janvier 2025, reprises oralement à l'audience de plaidoirie, par lesquelles il sollicite la confirmation du jugement entrepris, nonobstant la durée anormale de la procédure collective, motif pris de l'absence de faute démontrée clairement imputable au liquidateur et ayant directement causé un préjudice aux époux [Z], lesquels, par le montage complexe de leurs affaires, leur engagement téméraire et leur attitude obstructive, y ont concouru.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est datée du 28 janvier 2025.
MOTIFS :
Il convient de relever en premier lieu, sur le moyen d'irrecevabilité soulevé par le liquidateur, tiré d'un défaut de qualité à agir de M. et Mme [Z] pour solliciter sa condamnation à leur payer la somme de 135'000'000 euros au titre de la perte de gains futurs des sociétés du groupe PME Assurances,'que cette fin de non-recevoir apparaissant procéder d'une confusion entre recevabilité et bien fondé de l'action, doit être rejetée.
1. Sur la gestion des provisions et le paiement des franchises
M. et Mme [Z] font valoir que M. [Z] a été convoqué à la fin de l'année 2017 en chambre du conseil du tribunal de commerce pour envisager la clôture des opérations de liquidation ; qu'à cette occasion, il a pris connaissance du montant du passif de la liquidation s'élevant à 23'452'098 €; que M. [Z] a appris alors que les sinistres avaient été réglés au premier euro malgré les franchises contractuelles qui devaient être appliquées ; que maître [G] a fait augmenter les provisions sans autre justification que de pouvoir se faire délivrer des fonds par le Fonds de garantie étant rappelé que les honoraires de maître [G] sont indexés sur le sinistre (1100 Fr. par dossier) ; que l'intérêt du mandataire liquidateur était donc d'ouvrir le plus grand nombre de dossiers sans se préoccuper du montant réglé et de la justification du sinistre ; qu'il a réglé ainsi, sans discussion, l'ensemble des sinistres déclarés, au premier euro, sans appliquer les franchises contractuelles et sans agir dans le délai de la prescription biennale pour tenter de récupérer auprès des assurés le montant de ces franchises ; qu'il a engagé au mois de décembre 1994 seulement une série de procédures pour tenter de récupérer le montant des franchises dues ; que ces faits ont eu pour conséquence d'alourdir considérablement le passif des sociétés PME Assurances et Gestion, d'un différentiel de 14'218'229 €.
Les appelants ajoutent, pour répondre aux moyens du liquidateur, que M. [Z] lui-même était dessaisi de la gestion de la société ; que sa condamnation pénale est totalement étrangère aux faits postérieurs à la procédure de liquidation qui sont reprochés à maître [G] ; même dans l'hypothèse où les liens entre PME Assurances et PME Gestion auraient été coupés, comme le tribunal l'a retenu, le liquidateur avait tout loisir de mettre en 'uvre les procédures utiles contre la société PME Gestion et contre les assurés pour récupérer les franchises dans le délai de prescription.
Mais le tribunal judiciaire a déjà exactement répondu aux époux [Z] par les motifs développés qui méritent d'être ci-après reproduits in extenso :
« Il convient de rappeler à titre liminaire que la société PME Assurances proposait à des clients, qui étaient exclusivement des entreprises publiques ou privées de transports collectifs de personnes, un contrat d'assurance portant sur leur flotte de véhicules ainsi qu'un contrat de gestion de la franchise. Ces entreprises ne s'assuraient donc jamais pour la totalité du risque, mais restaient leur propre assureur, en vertu de l'article L. 121-1 du code des assurances et dans une limite fixée soit par sinistre, soit en fonction d'un montant annuel.
Lorsque le sinistre ne dépassait pas le montant de la franchise, il était géré par PME Gestion qui procédait également au règlement.
S'agissant des sinistres qui excédaient le montant de la franchise, PME Assurances réglait à la victime la totalité de l'indemnité due, en ce compris le montant de la franchise, à charge pour elle d'obtenir remboursement de la part de PME Gestion.
Il résulte des nombreuses décisions de justice versées aux débats, et notamment de l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse en date du 14 octobre 2008, qu'il existait des flux anormaux entre les sociétés PME Assurances et PME Gestion ; et que les activités des deux sociétés étaient extrêmement imbriquées et interdépendantes, avec mise en commun de leurs moyens de gestion.
Cet arrêt, qui se fonde sur les motifs de l'arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Toulouse du 22 octobre 1998, établit qu'après 1993, le lien économique et fonctionnel entre PME Assurances et PME Gestion a été coupé, à la suite d'une autre décision de la cour d'appel de Toulouse ayant confirmé uniquement la fictivité de deux SCI filiales de la société PME assurance, les SCI ASSURANCE 1 et SCI ASSURANCE 2, et sursis à statuer sur la fictivité des autres sociétés dans l'attente de la décision sur l'action publique.
Cette coupure du lien entre les deux sociétés a ainsi privé le liquidateur de la connaissance et de l'accès aux franchises déposées par la clientèle de PME Gestion, ce qui a perturbé le règlement des sinistres en cours, et permis aux dirigeants des deux sociétés de mettre en place divers procédés destinés à favoriser PME Gestion, demeurée in bonis, dans ses relations avec PME Assurances en liquidation.
M. et Mme [Z] ne rapportent donc pas la preuve qui leur incombe de la faute commise par le liquidateur dans la gestion des provisions techniques, la mission de maître [G] ayant été rendue particulièrement complexe en raison du manque de lisibilité sur la comptabilité de la société et l'obstruction de ses dirigeants, qui ont cherché à favoriser PME Gestion, demeurée in bonis, au détriment de PME assurances, ces comportements ayant été sanctionnés pénalement.
Il ne saurait davantage être reproché à maître [G] de ne pas être parvenu à recouvrer le montant des franchises.
En effet, les productions établissent que le liquidateur a engagé diverses actions en justice pour obtenir le paiement par les assurés de la franchise en lieu et place de PME Gestion, alors dirigée par M. [W]-[N] [Z], qui, une fois appelée dans la cause par les assurés, n'hésitait pas à soulever divers moyens tendant à l'irrecevabilité des demandes de PME Assurances.
C'est d'ailleurs parce que le tribunal de commerce de Foix a retenu l'existence d'un conflit d'intérêts total entre M. [Z], ès qualités de dirigeant de la société PME Gestion, et en sa qualité de mandataire ad hoc de la société PME Assurances pour la défense des intérêts propres de la société non concernés par la liquidation, qu'il a été démis de sa fonction d'administrateur ad hoc et qu'il a été remplacé par maître [O] par décision du 27 septembre 2004.
Ainsi, la seule production par les demandeurs de deux attestations de salariés aux termes desquelles des consignes auraient été données par maître [G] pour accélérer le traitement des sinistres est insuffisant à la preuve d'une faute du mandataire liquidateur. »
La présente cour ajoute que M. et Mme [Z] ne rapportent pas la preuve de ce qu'en dépit de ces circonstances, maître [G] aurait pu engager l'action pour recouvrer les montants des franchises dans le délai de la prescription biennale et qu'il aurait fait perdre une chance de les recouvrer, et encore moins causé ainsi un dommage spécifique à M. et Mme [Z] ; aucun préjudice personnel à ces derniers n'est en lien de causalité direct et certain avec l'inertie fautive reprochée à tort au liquidateur.
La faute du liquidateur est d'autant moins caractérisée qu'en réalité celui-ci, s'est heurté aux man'uvres frauduleuses de M. [Z] qui ne respectait plus les mécanismes financiers qu'il avait lui-même mis en place, à savoir de rembourser à PME Assurances le montant des franchises payées par cette dernière à PME Gestion, laquelle ne pouvait pas assurer les engagements pris dans le contrat de gestion de franchise, alors que l'action qu'il est reproché au liquidateur d'avoir engagée tardivement, consistait concrètement à venir demander aux assurés de payer une deuxième fois la franchise qu'ils avaient déjà réglée à la société PME Gestion.
Les appelants ne discutent pas la circonstance que la société PME Gestion étant à cette période encore gérée par M. [Z] en qualité mandataire ad hoc, c'est M. [Z] qui a soulevé en premier lieu la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action, qui fut reprise par les assurés à leur compte pour résister aux demandes de la société PME Assurances ; et que c'est précisément ce conflit d'intérêts qui a conduit le tribunal de commerce de Foix à dessaisir M. [Z] de ses fonctions de mandataire ad hoc par le jugement du 27 septembre 2004.
Aucune faute de la part du liquidateur ne peut être retenue sur ce point.
2. Sur l'absence d'action dirigée contre l'État
M. et Mme [Z] reprochent ensuite à maître [G] de ne pas avoir engagé une procédure contre l'État car selon eux, le redressement opéré par l'administration fiscale, qui a par la suite donné lieu à des dégrèvements, serait à l'origine directe du retrait d'agrément et du placement de PME Assurances en liquidation judiciaire.
Mais il résulte des motifs des différentes décisions judiciaires rendues, tant de l'arrêt correctionnel du 22 octobre 1998, que de l'arrêt civil de la cour d'appel de Toulouse du 13 mars 2002 ayant confirmé le jugement condamnant solidairement M. et Mme [Z], sur le fondement de l'article L. 328-13 du code des assurances, à payer à la société PME assurances la somme de 15'194'622 €, que le placement en liquidation judiciaire de PME Assurances résulte des seules malversations financières des époux [Z] et de la tentative de reprise avortée de l'assureur Réunion Grupo, et non du redressement fiscal de la société et de M. et Mme [Z] à titre personnel.
À l'opposé, il est établi que la déconfiture du groupe et la liquidation judiciaire de la société PME Assurances résultent, non pas du redressement fiscal, mais des agissements de ses dirigeants, qui ont délibérément choisi de faire supporter à la société PME Assurances, à l'occasion du projet de rachat de la société Réunion Grupo, un risque hors de proportion avec ses capacités financières, et ce, sans contrepartie réelle pour la société PME Assurances.
Par conséquent, la responsabilité civile de maître [G] ne peut être recherchée à ce titre pour ne pas avoir engagé une procédure hasardeuse contre l'État à raison des poursuites fiscales.
Il convient d'observer que les décisions de dégrèvement, et notamment celle du « directeur régional des impôts de [Localité 14] du 27 avril 1995 » mentionnée en pièce n° 7 des appelants, et leurs motifs, qui ne sont pas même précisés par M. et Mme [Z] dans leurs écritures, ne sont pas versées aux débats pour expliciter les motifs exacts des avis de dégrèvement invoqués.
Contrairement à ce qui est soutenu par les appelants, les redressements fiscaux notifiés et les garanties qui ont été prises n'étant pas "nécessairement fautifs", du seul fait qu'ils ont donné lieu ensuite à dégrèvements.
La faute du liquidateur en ce qu'il s'est abstenu d'engager une action contre l'État n'est donc pas établie.
3. Sur le montant des honoraires perçus par liquidateur
Les demandeurs soutiennent que maître [G] a procédé à des prélèvements d'honoraires inconsidérés, sans autorisation pour la plupart, notamment à hauteur de 2'038'635 € depuis l'année 1993 jusqu'en 2000, qui sont venus aggraver le passif ; et que la perception de ces honoraires est sans doute l'une des raisons de la longueur de la procédure de liquidation judiciaire.
Mais les appelants produisent eux-mêmes la contestation par M. [Z] des honoraires du liquidateur ayant donné lieu à un arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 24 novembre 1993 émondant de 25 % le montant de la facturation de maître [G] jugée excessive.
Maître [G] verse pour sa part les décisions rendues sur requête successivement par le président du tribunal de commerce de Foix, les 13 janvier 2000, 23 avril 2002, 3 juin 2002 et 30 septembre 2003 ayant autorisé les honoraires prélevés ; les appelants n'ont fait aucune réplique précise sur ce point et ne fournissent aucune indication sur les dates et montants qui auraient été indûment prélevés sans autorisation ; il appartenait à M. et Mme [Z] de contester en premier lieu les ordonnances de taxation d'honoraires rendues.
Ce grief ne saurait donc prospérer.
4. Sur la transaction en matière de réassurance
M. [Z] et Mme [Z] contestent les conditions dans lesquelles maître [G] a transigé avec les réassureurs, exposant qu'il a reçu autorisation en ce sens par le juge-commissaire suivant ordonnance du 13 janvier 1997 ; et que cette transaction, si elle a permis de recouvrer sans délai une somme de 16121943 F, soit 3'133'500 €, soit près de trois quarts de la créance de PME Assurances, représentant la différence entre la prime due au réassureur et celle représentant le montant de leur couverture ; qu'elle s'est effectuée au détriment des créanciers ; et qu'une telle transaction est interdite par le code des assurances qui dispose en son article L.326-10 la faculté de transiger uniquement sur les dettes de la société.
Mais maître [G], s'il a négocié, présenté et négocié l'opération soutenue, est fondé à invoquer l'autorisation qui lui a été donnée par le juge-commissaire, cette autorisation judiciaire, devenue définitive en l'absence de recours contre l'ordonnance du 19 janvier 1997, rompant tout lien de causalité, et excluant qu'une supposée faute du liquidateur puisse conduire à l'octroi de quelques dommages-intérêts.
5. Sur le défaut de diligences quant au recouvrement des sommes séquestrées en Espagne
Le tribunal de commerce a exactement retenu qu'il ne saurait être reproché à maître [G] de ne pas avoir engagé d'action pour recouvrer les fonds versés en 1991 pour acquérir l'assureur Réunion Grupo, dès lors que les diverses décisions de justice, notamment les arrêts de la cour d'appel de Toulouse en date des 22 octobre 1998 et 12 octobre 2004, montrent que les 40 000 000 F ont été versés, non pas directement par PME Assurances, mais par la société CEI, entreprise distincte, demeurée in bonis.
C'est cette société CEI qui était titulaire de la créance et qui a vainement tenté de recouvrer ces fonds devant les juridictions espagnoles.
6. Sur le moyen tiré d'irrégularités affectant la procédure de liquidation de la société PME Assurances
Contrairement à ce qui est soutenu, le tribunal a écarté les griefs formulés par M. et Mme [Z] concernant la gestion des opérations de liquidation par maître [G], dans la mesure où il est établi :
- par la production d'un procès-verbal de constat d'huissier du 24 mars 2021, que le liquidateur a établi les rapports hebdomadaires pendant toute la période durant laquelle la procédure de liquidation judiciaire était ouverte sur le fondement de l'article L.326-2 du code des assurances puis les rapports semestriels une fois que la procédure s'est poursuivie selon les dispositions de droit commun';
- qu'il a été dispensé, par ordonnance du juge-commissaire en date du 4 novembre 1993, de convoquer l'assemblée générale';
- et que les autres supposés fautes de gestion reprochées à maître [G] ont été écartées supra.
Le reproche des appelants relatif à l'absence de négociation du fonds de commerce de PME assurances et de PME gestion "équivalait sans doute au moins 100 millions de francs" n'est étayé par aucun document probant.
En ce qui concerne le moyen des appelants relatif à l'absence de négociation du logiciel informatique de gestion de la "particulièrement innovant", avancé sans davantage de preuve, le liquidateur réplique en outre, sans être contredit, que ce matériel informatique n'appartenait pas à PME Assurances, mais à PME Gestion, et qu'il ne pouvait dès lors le vendre avant que l'extension de la procédure soit ordonnée le 8 novembre 2004. Il est apparu alors que M. [Z] avait dépouillé PME Gestion de ce logiciel qu'il avait lui-même vendu, de sorte que le grief ne manque pas d'audace.
En ce qui concerne le licenciement "de manière inconsidérée des salariés de l'entreprise ayant exposé l'entreprise à de lourdes condamnations", ce grief n'est pas davantage précisément articulé, alors que la faute de Maître [G] ne résulte pas de la seule production des arrêts de la Cour de cassation du 21 janvier 1998 et 31 mars 1999.
7. Sur les fonds versés par le Fonds de Garantie
M. et Mme [Z] reprochent à nouveau en cause d'appel à maître [G] de ne pas avoir déduit les montants qui ont été réglés par le Fonds de Garantie en raison de la défaillance de PME Gestion et de PME Assurances, conduisant, selon eux, le tribunal de commerce de Foix à prononcer une liquidation judiciaire qui n'aurait pas eu lieu d'être.
Or le tribunal lui a déjà exactement répondu que maître [G] fait valoir à bon droit que le Fonds de Garantie est subrogé dans les droits du créancier de la société d'assurance et que ce paiement n'a pas pour effet d'éteindre la créance ; que ce moyen a d'ores et déjà été tranché par la cour d'appel de Toulouse dans son arrêt du 12 octobre 2004 ; et qu'il convient de rappeler que le Fonds de Garantie, instauré par l'article L. 421-1 du code des assurances, intervient pour le compte de la société en liquidation, sans que son intervention ne diminue le passif et qu'il ne saurait être assimilé à un réassureur.
Aucune faute du liquidateur ne peut être relevée de ce chef.
8. Sur les autres griefs en lien avec l'extension de la procédure
Ces griefs ne sauraient prospérer, la décision d'extension de la procédure ayant fait l'objet d'une décision de justice passée en force de chose jugée.
En définitive, les appelants, auxquels la charge de la preuve incombe, échouent à rapporter la preuve d'un quelconque manquement commis par maître [G] dans l'exécution de sa mission.
Celui-ci fait valoir que la durée des opérations de liquidation, toujours en cours n'est imputable qu' aux agissements de M. et Mme [Z], qui ont organisé leur insolvabilité pour échapper des sommes importantes mises à leur charge, notamment par le succès de l'action dirigée contre eux en comblement de passif.
Le jugement qui a rejeté toutes les demandes indemnitaires des époux [Z], dépourvues de fondement, doit être entièrement approuvé.
Sur la demande reconventionnelle tendant à l'octroi de dommages-intérêts
Aucun abus du droit d'ester en justice ouvrant droit à l'octroi de dommages-intérêts n'est toutefois suffisamment caractérisé de la part de M. et Mme [Z], d'où il suit la réformation du jugement déféré en ce qu'il les a condamnés à verser à M. [W]-[Y] [G] la somme de 10 000 euros en réparation de préjudice moral.
M. et Mme [Z] succombant devront supporter la charge des dépens d'appel, et verser en équité à maître [G] encore la somme de 8 000 € et à la société Egide la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ne pouvant eux-mêmes prétendre au bénéfice de ce texte.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rejette la fin de non-recevoir soulevée ;
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné in solidum M. [W]-[N] [Z] et Mme [V] [X] épouse [Z] à payer à M. [W]-[Y] [G] la somme de 10'000 euros en réparation de son préjudice moral';
Statuant à nouveau du chef infirmé et ajoutant,
Déboute M. [W]-[Y] [G] de sa demande tendant à l'octroi de dommages et intérêts ;
Condamne in solidum M. [W]-[N] [Z] et Mme [V] [X] épouse [Z] aux entiers dépens, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. [W]-[N] [Z] et Mme [V] [X] épouse [Z] à payer à M. [W]-[Y] [G] la somme de 8'000 euros et à la SELARL Egide, en la personne de Me [J] [G], pris en sa qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société PME Assurances, la somme de 2'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et rejette leur demande de ce chef.
Le greffier, La présidente,