CA Lyon, ch. soc. a, 19 mars 2025, n° 21/08314
LYON
Arrêt
Autre
'
AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 21/08314 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N6IQ
[U]
C/
S.A.S. MECAPOLE
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 21 Octobre 2021
RG :
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 19 MARS 2025
APPELANT :
[P] [U]
né le 30 Septembre 1974 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représenté par Me Xavier BONTOUX de la SAS BDO AVOCATS LYON, avocat au barreau de LYON substitué par Me Quentin TIROLE, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
SOCIETE MECAPOLE
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant,
Me Christophe BIDAL de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Xavier BLUNAT, avocat au même barreau
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 02 Décembre 2024
Présidée par Antoine-Pierre D'USSEL, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Catherine MAILHES, présidente
- Anne BRUNNER, conseillère
- Antoine-Pierre D'USSEL, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 19 Mars 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MAILHES, Présidente et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
EXPOSE DU LITIGE
La société Mécapole est une holding tête de groupe détenant notamment les sociétés HFBC (devenu Héphaïstos [U]) et [U], et qui vient aux droits de la société Héphaïstos Groupe.
Le 29 août 2016, une lettre d'intention a été adressée à M. [U] aux fins de l'acquisition des titres de la société HFBC et de sa filiale [U] pour lesquels il était l'actionnaire majoritaire et le dirigeant mandataire social du groupe familial [U].
Cette lettre d'intention a été par la suite précisée par deux lettres-avenant :
- Une lettre du 18 octobre 2016 détaillant notamment le calendrier juridique ;
- Une lettre du 18 novembre 2016 levant les conditions suspensives, dont un engagement de non-concurrence.
Ainsi, il a été formalisé le 17 janvier 2017 :
- La cession des actions des sociétés HFBC et [U], moyennant un prix de cession pour M. [P] [U] de 470 000 euros, outre l'attribution à ce dernier d'actions de la société Héphaïstos Groupe pour 600 000 euros ;
- Un avenant au pacte des associés de la société Héphaïstos Groupe prévoyant dans son article 10 un engagement de non-concurrence par application des dispositions de l'article 9 du pacte en date du 28 juin 2010.
Par contrat à durée indéterminée en date du 17 janvier 2017, M. [U] (ci-après le salarié) a été embauché par la société Hephaistos Groupe, aux droits de laquelle vient la société Mécapole (ci-après l'employeur, ou la société), en qualité de directeur de développement aéronautique, coefficient 240 dans le cadre d'un forfait jours. Son ancienneté a été reprise au 1er août 1998.
La convention collective applicable est celle des ingénieurs et cadres de la métallurgie.
M. [U] a démissionné de son mandat de président de la société [U] le 2 mars 2018, tout en proposant une rupture conventionnelle de son contrat de travail avec la société Héphaïstos Groupe. Le contrat de travail a été rompu dans le cadre d'une rupture conventionnelle le 30 avril 2018.
Le 19 décembre 2018, M. [U] a contesté le non-versement de plusieurs sommes, dont une contrepartie financière liée à l'obligation de non-concurrence.
Par requête reçue au greffe le 24 juin 2019, M. [U] a saisi le conseil des prud'hommes de Lyon aux fins d'obtenir une contrepartie à la clause de non-concurrence à laquelle il était astreint, et a sollicité le paiement de cette clause de non-concurrence (211 615,46 euros, outre une somme mensuelle de 15 115,49 euros). A titre subsidiaire il a sollicité des dommages et intérêts pour respect d'une clause de non-concurrence illicite (362 769,36 euros). En tout état de cause, il a demandé le paiement d'un rappel de salaire (66 500 euros, outre 6 650 euros de congés payés afférents), des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail (40 000 euros), ainsi qu'une indemnité de procédure (4 000 euros), et l'exécution provisoire du jugement.
Par jugement du 21 octobre 2021, le conseil des prud'hommes de Lyon a :
- Dit et jugé qu'il est incompétent pour statuer sur l'engagement de non-concurrence prévu dans le pacte d'actionnaires ;
- Renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Lyon pour statuer sur l'engagement de non-concurrence prévue dans le pacte d'actionnaires ;
- Condamné la société Mécapole à payer à M. [U] la somme de 6 500 euros de rappel de rémunération variable sur objectifs au titre de l'exercice budgétaire 2017-2018, outre 650 euros de congés payés afférents ;
- Dit et jugé que M. [U] n'est pas fondé à demander des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
- Débouté M. [U] de toute demande à ce titre ;
- Dit et jugé que la société Mécapole n'a pas démontré avoir épuisé tous les moyens de recours suite à la notification du redressement sur la CSG et la CRDS liées à la rupture conventionnelle de M. [U] ;
- Débouté la société Mécapole de toutes demandes à ce titre ;
- Débouté M. [U] de sa demande d'exécution provisoire ;
- Rappelé qu'aux termes des dispositions de l'article R. 1454-28 du code du travail, sont exécutoires de droit à titre provisoire, les jugements ordonnant la délivrance de toute pièces que l'employeur est tenu de remettre (bulletins de paye, certificat de travail') ainsi que les jugements ordonnant le paiement des sommes au titre des rémunérations et indemnités visées à l'article R. 1454-14 du code travail dans la limite de 9 mensualités, étant précisé que la moyenne brute des salaires des 3 derniers mois doit être fixée à la somme de 30 230,77 euros ;
- Condamné la société Mécapole à verser à M. [U] la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- Condamne la société Mécapole aux entiers dépens de l'instance.
Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 19 novembre 2021, M. [U] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :
- Dit et jugé que le conseil des prud'hommes de Lyon est incompétent pour statuer sur l'engagement de non-concurrence prévu dans le pacte d'actionnaires ;
- Renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Lyon ;
- Condamné la société Mécapole à lui payer la somme de 6 500 euros de rappel de rémunération variable sur objectifs au titre de l'exercice budgétaire 2017 - 2018, outre 650 euros de congés payés afférents ;
- Dit et jugé qu'il n'est pas fondé à demander des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
- L'a débouté de toutes demandes à ce titre.
Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 22 octobre 2024, M. [U] demande à la cour de :
Infirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes en ce qu'il a :
- Dit et jugé que le conseil des prud'hommes de Lyon est incompétent pour statuer sur l'engagement de non-concurrence prévu dans le pacte d'actionnaires ;
- Renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Lyon ;
- Condamné la société Mécapole à lui payer la somme de 6 500 euros de rappels de rémunération variable sur objectifs au titre de l'exercice budgétaire 2017 - 2018, outre 650 euros de congés payés afférents ;
- Dit et jugé qu'il n'est pas fondé à demander des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
L'a débouté de toutes demandes à ce titre.
Confirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes en ce qu'il a :
- Dit et jugé qu'il est fondé à demander un rappel de rémunération variable sur objectifs au titre de l'exercice budgétaire 2017-2018 ;
- Dit et jugé que la société Mécapole n'a pas démontré avoir épuisé tous les moyens de recours suite à la notification du redressement sur la CSG et la CRDS liées à la rupture conventionnelle le concernant ;
- Débouté la SAS Mécapole de toutes demandes à ce titre ;
Condamné la société Mécapole à lui verser la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société Mécapole aux entiers dépens de l'instance.
En conséquence, statuant à nouveau :
À titre principal :
Condamner la société Mécapole à lui payer la somme de 362 769,36 euros à titre de paiement de la clause de non-concurrence ;
À titre subsidiaire :
Condamner la société Mécapole à lui payer la somme de 362 769,36 euros à titre de dommages et intérêts pour respect d'une clause de non-concurrence illicite ;
En tout état de cause :
Condamner la société Mécapole à lui payer les sommes suivantes :
- 66 500 euros à titre de rappel de salaire, ainsi que 6 650 euros de congés payés afférents ;
- 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
- 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Débouter la société Mécapole de ses demandes.
Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 4 juillet 2024, la société Mecapole, venant aux droits de la société Hephaistos Groupe demande à la cour de :
In limine litis :
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- Dit et jugé que le conseil de prud'hommes de Lyon est incompétent pour statuer sur l'engagement de non-concurrence prévue dans le pacte d'actionnaires ;
- Renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Lyon pour statuer sur l'engagement de non-concurrence prévue dans le pacte d'actionnaires ;
Sur le fond :
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- Dit et jugé que M. [U] n'est pas fondé à demander des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
- Débouté M. [U] de toutes demandes à ce titre ;
Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- Dit et jugé que M. [U] est fondé à demander un rappel de rémunération variable sur objectifs au titre de l'exercice budgétaire 2017 - 2018 ;
- Condamné la société Mécapole à payer à M. [U] la somme de 6 500 euros de rappels sur rémunération variable sur objectifs au titre de l'exercice budgétaire 2017 2018, outre 650 euros de congés payés afférents ;
- Dit et jugé qu'elle n'a pas démontré avoir épuisé tous les moyens de recours suite à la notification du redressement CSG et la CRDS liée à la rupture conventionnelle de M. [U];
- L'a déboutée de toutes demandes à ce titre ;
- Fixé la moyenne brute des salaires des 3 derniers mois à la somme de 30 237,77 euros ;
- L'a condamnée à verser à M. [U] la somme de 1800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant de nouveau, sur ces chefs infirmés :
- Débouter M. [U] de l'intégralité de ses demandes ;
- Le condamner à lui rembourser la somme de 7 105 euros au titre de la régularisation des cotisations et contributions recouvrées par les URSSAF ;
En tout état de cause,
- Condamner M. [U] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Le condamner aux entiers dépens de l'instance.
La clôture des débats a été ordonnée le 24 octobre 2024 et l'affaire a été évoquée à l'audience du 2 décembre 2024.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.
MOTIFS
A titre liminaire, il sera rappelé que les " demandes " tendant à voir " constater " ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; il en est de même des " demandes " tendant à voir " dire et juger " lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.
I - Sur l'exception d'incompétence portant sur la demande relative à la clause de non-concurrence.
Au soutien de l'exception d'incompétence qu'il soulève, l'employeur fait valoir qu'une demande indemnitaire ne relevant pas d'un contrat de travail mais d'un pacte d'actionnaires relève de la compétence du tribunal de commerce ; qu'en l'espèce, il ne résulte pas des actes produits la commune intention d'attacher l'obligation de non-concurrence à un contrat de travail en un tout indivisible avec le pacte d'associés, lequel est de surcroît antérieur au contrat de travail; que celui-ci ne comporte aucune clause de non-concurrence ; qu'enfin, l'acte de cession des actions prévoit la compétence du tribunal de commerce de Lyon.
Pour sa part, le salarié objecte que, contrairement à ce que soutient la société, la signature de l'engagement de non-concurrence est postérieure à l'existence du contrat de travail, dans la mesure où il était engagé avec une filiale depuis le 1er août 1998, ce qui a entraîné une reprise d'ancienneté dans son contrat de travail. En outre, l'engagement de non-concurrence s'impose à lui en sa qualité de salarié, et n'est assorti d'aucune clause attributive de compétence. Il rappelle qu'il avait à la fois qualité de salarié et d'actionnaire de la société. Il considère que, bien qu'incluse au sein du pacte d'actionnaires, la clause de non-concurrence influe sur sa relation de travail et son activité professionnelle.
Sur ce,
Aux termes des articles L. 1411-1 et 4, la juridiction prud'homale a compétence exclusive pour connaître des différents qui s'élèvent à l'occasion de tout contrat de travail.
En l'occurrence, le contrat de travail du 17 janvier 2017 ne comporte en lui-même aucune mention ou référence relative à une clause de non-concurrence. Il précise qu' " eu égard à ses antécédents dans le groupe [U], filiale de la société, [l'ancienneté du salarié] est reprise au 1er août 1998 ".
Il résulte des éléments versés au débat que le souhait de voir l'opération de cession de la société HFBC et de sa filiale la société [U] assortie d'une obligation de non-concurrence a été mentionné dès la lettre de déclaration d'intérêt du 29 août 2016 (P 2 employeur), souhait repris par la lettre avenant du 18 octobre 2016 (P3 employeur) puis le 18 novembre 2016 (P4 employeur) ; que cet engagement est visé dans l'acte de cession des actions de la société HFBC et de la société [U] du 17 janvier 2017.
Par ailleurs, l'article 10 de l'avenant n°1 au pacte des associés de la société Héphaïstos Groupe du 28 juin 2010, établi le 17 janvier 2017, précise que " M. [P] [U] déclare reprendre à sa charge les dispositions de l'article 9 du pacte ", sous réserve de ses engagements préexistants dans d'autres sociétés (P3 salarié). Ledit article 9 du pacte des associés interdit " d'entreprendre, de participer en capital ou par son travail, à titre gratuit ou onéreux, d'exercer personnellement ou par personne physique ou morale interposée, direction ou indirectement, toute activité industrielle ou commercial concurrente de l'activité développée par les sociétés du Groupe Héphaïstos Développement. Cet engagement est valable tant que M. (X) sera associé de la société et pendant une durée de trois (3) ans à compter de la perte de cette qualité, et ce, sur l'ensemble du territoire de l'Espace Economique Européen (') ".
En outre, l' " engagement de non-concurrence " du 17 janvier 2017 conclu entre MM. [P] et [L] [U] dénommés " les cédants " d'une part, et la société Hépahïstos Groupe, dénommée " le cessionnaire " d'autre part, précise que cette dernière a acquis la totalité des actions composant le capital société de la société, et qu'au titre des engagements complémentaires sans lequel elle n'aurait pas accepté de se porter cessionnaire des titres, les parties ont convenu la conclusion de l'engagement de non-concurrence par lequel les cédants s'engagent à ne pas exercer d'activité susceptible d'entrer en concurrence avec celle de la société cédée.
Il est précisé que " le présent engagement entre en vigueur à compter de ce jour pour une durée couvrant celle durant laquelle (') M. [P] [U], directement ou indirectement, conserver[a] la qualité d'associé, de mandataire, de salarié, de consultant ou prestataire de la société Héphaïstos Groupe et/ou de la société et/ou de la filiale (') et pendant une durée de trois (3) années entières et consécutives suivant celle de la cessation de la qualité d'associé et/ou de toutes les fonctions de mandataire social, de salarié (') de l'intéressé au sein des sociétés Héphaïstos Groupe (') ".
Il résulte de ces éléments que M. [U] a exercé concurremment, à compter du 17 janvier 2017, les fonctions de salarié et d'associé ; que si l'engagement de non-concurrence a été envisagé dès la lettre d'intention, le pacte d'actionnaires précité, en faisant référence à la qualité de salarié de l'intéressé, a eu pour effet de lier cette obligation à ce second statut. Autrement dit, l'obligation de non-concurrence aurait perduré pendant une durée de 3 années suivant la fin du contrat de travail, même si le pacte d'actionnaires avait été rompu préalablement au contrat de travail. Ainsi, l'engagement de non-concurrence présente un lien avec l'exécution du contrat de travail.
Dès lors c'est à tort que le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent. Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.
En outre, dans la mesure où les parties ont toutes deux conclu au fond sur la demande de paiement au titre de la clause de non-concurrence sans solliciter de renvoi devant le premier juge au cas d'infirmation du jugement, il convient, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'évoquer cette demande en application de l'article 568 du code de procédure civile.
II - Sur la demande de paiement au titre de l'engagement de non-concurrence.
M. [U] soutient à titre principal que l'engagement de non-concurrence est licite et n'a pas été dénoncé par l'employeur au moment de la rupture du contrat ; qu'il l'a respectée ; que, dans la mesure où aucune contrepartie financière n'est prévue au contrat, il convient d'appliquer les stipulations de l'article 28 de la convention collective applicable.
Si la cour venait à considérer que la clause est illicite, le salarié réclame à titre subsidiaire des dommages et intérêts pour l'avoir respectée pendant deux ans, et fait valoir qu'il n'a pu retrouver d'emploi pendant deux ans, ses mandats de présidents d'une SCI et d'une autre société exercés pendant cette période ne lui ayant procuré aucun revenu.
Pour sa part, au visa de l'article 122 du code de procédure civile, l'employeur conteste en premier lieu l'intérêt à agir de l'intéressé dans la mesure où, dans le cadre de l'homologation de la rupture conventionnelle intervenue le 6 avril 2018, il s'est déclaré rempli de l'intégralité de ses droits " de quelque nature que ce soit ".
De surcroît, l'employeur soulève la nullité de la clause dans la mesure où elle est dépourvue de contrepartie financière. Or, dans ces conditions, il revient au salarié de démontrer son préjudice, ce qu'il ne fait pas dans la mesure où il demeure le gérant ou le dirigeant de trois sociétés, et qu'il s'est vu octroyer plus de 470 000 euros au titre de la cession de ses actions des sociétés HFBC et [U], outre l'attribution pour 600000 euros d'actions de la société Héphaïstos Groupe.
Sur ce,
Aux termes de l'article 32 du code de procédure civile, est irrecevable toute prétention émise par une personne dépourvue du droit d'agir.
L'article 1104 du code civil dispose que les contrats doivent être formés et exécutés de bonne foi.
En premier lieu, après avoir rappelé que l'employeur ne démontre pas avoir renoncé à l'exécution de l'engagement de non-concurrence au plus tard à la date de la rupture, il convient de considérer que, dans la mesure où cet engagement survit à la fin de la relation de travail, le salarié ne peut renoncer au moment de celle-ci, par anticipation, à toute action à ce titre ; que, dès lors, il conserve un intérêt à agir sur ce fondement malgré la rupture conventionnelle appliquée.
Au surplus, ainsi qu'il le soutient, le salarié est le seul à pouvoir se prévaloir de la nullité de la clause de non-concurrence en application de l'article 1104 du code civil précité ; la solution inverse reviendrait à donner à l'employeur ou à la société qui a la charge de la rédiger la possibilité de se prévaloir de sa propre carence.
Or, M. [U] soutient à titre principal la licéité de l'engagement. Il n'y a donc pas lieu d'examiner la question de sa validité.
En l'absence de contrepartie financière dans le pacte d'actionnaires, il convient de se reporter à la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie, à laquelle renvoie le contrat de travail. Celle-ci prévoit en son article 28 relatif au " secret professionnel - clause de non-concurrence " que lorsqu'une telle clause est prévue, " l'interdiction ne peut excéder une durée de 1 an, renouvelable une fois, et a comme contrepartie, pendant la durée de non-concurrence, une indemnité mensuelle spéciale égale à 5/10 de la moyenne mensuelle des appointements ainsi que des avantages et gratifications contractuels dont (...) le cadre a bénéficié au cours de ses 12 derniers mois de présence dans l'établissement ".
Au vu des bulletins de salaires produits (P8 employeur), le montant correspondant aux 5/10èmes de la somme des salaires, avantages et gratifications contractuels perçus sur les 12 derniers mois s'élève à 8 980,46 euros.
Dès lors, dans la mesure où le montant de l'indemnité est égal à 24 mois - inférieure aux trois ans prévus par l'engagement de non-concurrence précité du 17 janvier 2017 -, la contrepartie financière de l'engagement de non-concurrence s'élève à 215 531,10 euros.
L'employeur sera condamné à payer cette somme au salarié, le jugement entrepris étant réformé sur ce point.
III - Sur la demande de rappel de salaires.
Au soutien de sa demande, le salarié fait valoir qu'il n'a été que partiellement payé de sa rémunération variable au titre de l'exercice 2017-2018 alors qu'il estime avoir atteint ses objectifs, sans que l'employeur n'explique la raison de ce paiement seulement partiel, ni ne produise les éléments permettant de vérifier le montant de sa rémunération variable.
Pour sa part, l'employeur estime qu'il revient au salarié ne justifier de ses résultats, ce qu'il ne fait pas, alors qu'il avait reconnu dans ses écritures de première instance n'avoir atteint que " certains " de ses objectifs.
Sur ce,
Aux termes de l'article 1353 du code civil, " celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ".
En application de ce texte, la charge du paiement de la partie variable du salaire, contractuellement prévue, incombe à l'employeur.
En l'espèce, le contrat de travail prévoit qu'outre sa rémunération annuelle brute de 175 000 euros, le salarié percevra " une rémunération variable, plafonnée à quatre-vingt dix mille euros (90 000 euros) par an, assise sur une combinaison de critères de performance financière et de de critères d'atteinte d'objectifs qualitatifs, qui seront définis chaque année, dans les semaines suivant l'arrêté des comptes de l'année antérieure ".
Ces objectifs ont été définis, pour l'exercice 2017-2018, par une lettre du 13 novembre 2017 détaillant des objectifs financiers, stratégiques et opérationnels (P8 salarié). Le bulletin de salaire de janvier 2018 mentionne le versement de 23 500 euros au titre de la " rémunération variable 2017 ".
L'employeur ne produit ni explication relative à la limitation de la prime variable ainsi opérée, ni document justifiant l'insuffisance des résultats du salarié, alors qu'il en a la disposition et que cette preuve lui incombe.
En conséquence, il sera condamné à payer au salarié le solde de la rémunération variable due, soit 66 500 euros outre 6 650 euros au titre des congés payés afférents, le jugement entrepris étant infirmé sur ce point.
IV - Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
Au soutien de sa demande, le salarié fait valoir qu'il a été mis à l'écart de l'entreprise par la majorité des actionnaires, et déclassé des fonctions de directeur général à celles de simple directeur de bureau, ce qui l'a d'autant plus touché qu'il exerçait ses fonctions depuis 1998 dans le groupe. Au surplus, il a été affecté par le litige l'opposant à l'employeur s'agissant de sa rémunération variable. Ces difficultés ont eu un retentissement négatif sur son état de santé, et l'ont conduit à entamer un suivi psychiatrique à compter de juillet 2018. L'expertise psychiatrique qu'il produit permet d'établir le lien entre son état de santé et son activité professionnelle.
Pour sa part, l'employeur fait valoir que le salarié n'a formulé aucune doléance sur ses conditions de travail au cours de son exécution ; que l'expertise psychiatrique, seul élément qu'il produit, est postérieure à la rupture et ne fait que reprendre les dires du salarié ; qu'au surplus, elle fait état d'une anxiété en lien avec des difficultés personnelles. Dès lors, la demande ne peut qu'être rejetée.
Sur ce,
L'article L. 1222-1 du code du travail dispose que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
En l'occurrence, le salarié ne produit pour étayer sa demande que la seule expertise réalisée par le Dr [Y], psychiatre, le 28 janvier 2019 (P9 salarié). Celle-ci commence par une phase de présentation, que le médecin reprend en mentionnant : " il nous dit qu'il a été mis à l'écart de la direction de l'entreprise par la majorité des actionnaires et il a été déclassé de directeur général à simple directeur d'un bureau. Et cette dégradation de son poste a eu une conséquence grave sur son état psychique et surtout en janvier 2018 il a reçu un email de la part de ses actionnaires pour lui demander de cesser toutes ses activités ".
A la suite de cette phase de présentation, figure celle de l'examen psychiatrique proprement dit, lequel détermine un état dépressif important pour lequel il est suivi et sous traitement depuis juillet 2018, et une absence de consolidation au jour de l'examen. Au-delà des difficultés professionnelles, sont mentionnées des difficultés familiales et de santé.
En l'absence de tout autre élément, la cour relève que les mentions de l'expertise relatives aux difficultés professionnelles de M. [U] ressortent de ses seules déclarations au psychiatre, et ne sauraient dès lors être considérées comme suffisantes pour établir la matérialité des faits invoqués, et, en conséquence, le manquement à l'obligation de loyauté dans l'exécution du contrat.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande à ce titre.
V - Sur la demande de l'employeur au titre du redressement des cotisations sociales.
A titre reconventionnel, l'employeur sollicite la condamnation du salarié à lui payer la régularisation des cotisations et contributions CSG et CRDS recouvrées par les URSSAF sur les sommes versées au titre de la rupture conventionnelle, conformément à son engagement. Il soutient que la motivation retenue par le premier juge tendant à dire qu'il n'a pas épuisé toutes les voies de recours pour contester le redressement intervenu ne peut être suivi, dans la mesure où cette créance de l'administration est désormais certaine et exigible, en l'absence de recours possible désormais.
Le salarié s'oppose à cette demande en soulignant que l'employeur ne démontre pas s'être réellement défendu par rapport à ce redressement, dans le but de lui nuire compte-tenu de son propre engagement à le prendre en charge. Cependant, dans la mesure où la société ne l'a pas informé de ce redressement, il n'a pas été en mesure de contester dans le délai imparti alors qu'il lui aurait été simple de justifier de son ancienneté auprès de l'URSSAF. Dès lors, la société ne saurait faire reposer sur lui les conséquences de sa propre inaction.
Sur ce,
L'article 1103 du code civil dispose que " les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ", l'article 1104 de même code précisant qu'ils doivent être exécutés de bonne foi.
Les parties s'accordent pour expliquer que, dans le cadre de la rupture conventionnelle intervenue le 30 avril 2018, est survenue une divergence d'interprétation entre elles sur le point de savoir s'il fallait retenir au titre de l'ancienneté du salarié, la date de signature du contrat de travail (17 janvier 2017) ou celle de la reprise d'ancienneté (1er août 1998).
L'ancienneté du 1er août 1998 minorant le montant de l'assiette de la CSG et de la CRDS a finalement été retenue, avec l'engagement de M. [U] de " (') prendre à sa charge le redressement de sécurité sociale qui pourrait en résulter, en cas de contrôle, dès lors que la créance de l'administration serait devenue certaine et exigible, soit après épuisement de toutes les voies de recours envisageables (observations à l'URSSAF, saisine de la commission de recours amiable, TASS et cour d'appel, si besoin) " (P19 employeur).
Suite à un contrôle de l'URSSAF, un redressement a été notifié le 9 décembre 2019 pour un montant de 7 105 euros (P18 employeur).
En l'occurrence, l'employeur ne verse au débat aucun élément démontrant qu'il a contesté le redressement ainsi intervenu. Dès lors, il ne peut prétendre à l'application de la garantie qu'il invoque, n'en ayant pas levé la condition. Au surplus, l'exigence d'exécution de bonne foi lui imposait d'avertir le salarié du redressement intervenu - ce qu'il ne démontre pas avoir fait -, afin que celui-ci puisse éventuellement le contester dans les délais s'il n'entendait pas lui-même y procéder.
Ainsi, le jugement entrepris sera-t-il confirmé en ce qu'il a débouté l'employeur de sa demande à ce titre.
VI - Sur les autres demandes.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Succombant à l'instance, la société sera déboutée de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.
L'équité commande de la condamner à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, outre les entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant contradictoirement et publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile,
Dans la limite de la dévolution,
Infirme le jugement rendu le 21 octobre 2021 par le conseil de prud'hommes de Lyon dans le litige opposant M. [U] et la société Mécapole en ce qu'il a :
- Dit et jugé qu'il est incompétent pour statuer sur l'engagement de non-concurrence prévu dans le pacte d'actionnaires, et renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Lyon pour statuer sur ledit engagement ;
- Condamné la société Mécapole à payer à M. [U] la somme de 6 500 euros au titre du rappel de rémunération variable sur objectifs au titre de l'exercice budgétaire 2017-2018, outre 650 euros au titre des congés payés afférents ;
Confirme ledit jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau, dans cette limite,
- Rejette l'exception d'incompétence au profit du tribunal de commerce soulevée par l'employeur s'agissant de la demande relative à l'engagement de non-concurrence ;
- Condamne la société Mécapole, venant aux droits de la société Héphaïstos Groupe, à payer à M. [U] les sommes suivantes :
o 215 531,10 euros au titre de la contrepartie financière de l'engagement de non-concurrence ;
o 66 500 euros au titre du rappel de rémunération variable sur objectifs au titre de l'exercice budgétaire 2017-2018, outre 6 650 euros au titre des congés payés afférents ;
- Rappelle que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut ;
Y ajoutant,
- Condamne la société Mécapole, venant aux droits de la société Héphaïstos Groupe, à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
- Déboute les parties de leurs autres demandes ;
- Condamne la société Mécapole aux entiers dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 21/08314 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N6IQ
[U]
C/
S.A.S. MECAPOLE
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 21 Octobre 2021
RG :
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 19 MARS 2025
APPELANT :
[P] [U]
né le 30 Septembre 1974 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représenté par Me Xavier BONTOUX de la SAS BDO AVOCATS LYON, avocat au barreau de LYON substitué par Me Quentin TIROLE, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
SOCIETE MECAPOLE
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant,
Me Christophe BIDAL de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Xavier BLUNAT, avocat au même barreau
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 02 Décembre 2024
Présidée par Antoine-Pierre D'USSEL, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Catherine MAILHES, présidente
- Anne BRUNNER, conseillère
- Antoine-Pierre D'USSEL, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 19 Mars 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MAILHES, Présidente et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
EXPOSE DU LITIGE
La société Mécapole est une holding tête de groupe détenant notamment les sociétés HFBC (devenu Héphaïstos [U]) et [U], et qui vient aux droits de la société Héphaïstos Groupe.
Le 29 août 2016, une lettre d'intention a été adressée à M. [U] aux fins de l'acquisition des titres de la société HFBC et de sa filiale [U] pour lesquels il était l'actionnaire majoritaire et le dirigeant mandataire social du groupe familial [U].
Cette lettre d'intention a été par la suite précisée par deux lettres-avenant :
- Une lettre du 18 octobre 2016 détaillant notamment le calendrier juridique ;
- Une lettre du 18 novembre 2016 levant les conditions suspensives, dont un engagement de non-concurrence.
Ainsi, il a été formalisé le 17 janvier 2017 :
- La cession des actions des sociétés HFBC et [U], moyennant un prix de cession pour M. [P] [U] de 470 000 euros, outre l'attribution à ce dernier d'actions de la société Héphaïstos Groupe pour 600 000 euros ;
- Un avenant au pacte des associés de la société Héphaïstos Groupe prévoyant dans son article 10 un engagement de non-concurrence par application des dispositions de l'article 9 du pacte en date du 28 juin 2010.
Par contrat à durée indéterminée en date du 17 janvier 2017, M. [U] (ci-après le salarié) a été embauché par la société Hephaistos Groupe, aux droits de laquelle vient la société Mécapole (ci-après l'employeur, ou la société), en qualité de directeur de développement aéronautique, coefficient 240 dans le cadre d'un forfait jours. Son ancienneté a été reprise au 1er août 1998.
La convention collective applicable est celle des ingénieurs et cadres de la métallurgie.
M. [U] a démissionné de son mandat de président de la société [U] le 2 mars 2018, tout en proposant une rupture conventionnelle de son contrat de travail avec la société Héphaïstos Groupe. Le contrat de travail a été rompu dans le cadre d'une rupture conventionnelle le 30 avril 2018.
Le 19 décembre 2018, M. [U] a contesté le non-versement de plusieurs sommes, dont une contrepartie financière liée à l'obligation de non-concurrence.
Par requête reçue au greffe le 24 juin 2019, M. [U] a saisi le conseil des prud'hommes de Lyon aux fins d'obtenir une contrepartie à la clause de non-concurrence à laquelle il était astreint, et a sollicité le paiement de cette clause de non-concurrence (211 615,46 euros, outre une somme mensuelle de 15 115,49 euros). A titre subsidiaire il a sollicité des dommages et intérêts pour respect d'une clause de non-concurrence illicite (362 769,36 euros). En tout état de cause, il a demandé le paiement d'un rappel de salaire (66 500 euros, outre 6 650 euros de congés payés afférents), des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail (40 000 euros), ainsi qu'une indemnité de procédure (4 000 euros), et l'exécution provisoire du jugement.
Par jugement du 21 octobre 2021, le conseil des prud'hommes de Lyon a :
- Dit et jugé qu'il est incompétent pour statuer sur l'engagement de non-concurrence prévu dans le pacte d'actionnaires ;
- Renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Lyon pour statuer sur l'engagement de non-concurrence prévue dans le pacte d'actionnaires ;
- Condamné la société Mécapole à payer à M. [U] la somme de 6 500 euros de rappel de rémunération variable sur objectifs au titre de l'exercice budgétaire 2017-2018, outre 650 euros de congés payés afférents ;
- Dit et jugé que M. [U] n'est pas fondé à demander des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
- Débouté M. [U] de toute demande à ce titre ;
- Dit et jugé que la société Mécapole n'a pas démontré avoir épuisé tous les moyens de recours suite à la notification du redressement sur la CSG et la CRDS liées à la rupture conventionnelle de M. [U] ;
- Débouté la société Mécapole de toutes demandes à ce titre ;
- Débouté M. [U] de sa demande d'exécution provisoire ;
- Rappelé qu'aux termes des dispositions de l'article R. 1454-28 du code du travail, sont exécutoires de droit à titre provisoire, les jugements ordonnant la délivrance de toute pièces que l'employeur est tenu de remettre (bulletins de paye, certificat de travail') ainsi que les jugements ordonnant le paiement des sommes au titre des rémunérations et indemnités visées à l'article R. 1454-14 du code travail dans la limite de 9 mensualités, étant précisé que la moyenne brute des salaires des 3 derniers mois doit être fixée à la somme de 30 230,77 euros ;
- Condamné la société Mécapole à verser à M. [U] la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- Condamne la société Mécapole aux entiers dépens de l'instance.
Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 19 novembre 2021, M. [U] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :
- Dit et jugé que le conseil des prud'hommes de Lyon est incompétent pour statuer sur l'engagement de non-concurrence prévu dans le pacte d'actionnaires ;
- Renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Lyon ;
- Condamné la société Mécapole à lui payer la somme de 6 500 euros de rappel de rémunération variable sur objectifs au titre de l'exercice budgétaire 2017 - 2018, outre 650 euros de congés payés afférents ;
- Dit et jugé qu'il n'est pas fondé à demander des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
- L'a débouté de toutes demandes à ce titre.
Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 22 octobre 2024, M. [U] demande à la cour de :
Infirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes en ce qu'il a :
- Dit et jugé que le conseil des prud'hommes de Lyon est incompétent pour statuer sur l'engagement de non-concurrence prévu dans le pacte d'actionnaires ;
- Renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Lyon ;
- Condamné la société Mécapole à lui payer la somme de 6 500 euros de rappels de rémunération variable sur objectifs au titre de l'exercice budgétaire 2017 - 2018, outre 650 euros de congés payés afférents ;
- Dit et jugé qu'il n'est pas fondé à demander des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
L'a débouté de toutes demandes à ce titre.
Confirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes en ce qu'il a :
- Dit et jugé qu'il est fondé à demander un rappel de rémunération variable sur objectifs au titre de l'exercice budgétaire 2017-2018 ;
- Dit et jugé que la société Mécapole n'a pas démontré avoir épuisé tous les moyens de recours suite à la notification du redressement sur la CSG et la CRDS liées à la rupture conventionnelle le concernant ;
- Débouté la SAS Mécapole de toutes demandes à ce titre ;
Condamné la société Mécapole à lui verser la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société Mécapole aux entiers dépens de l'instance.
En conséquence, statuant à nouveau :
À titre principal :
Condamner la société Mécapole à lui payer la somme de 362 769,36 euros à titre de paiement de la clause de non-concurrence ;
À titre subsidiaire :
Condamner la société Mécapole à lui payer la somme de 362 769,36 euros à titre de dommages et intérêts pour respect d'une clause de non-concurrence illicite ;
En tout état de cause :
Condamner la société Mécapole à lui payer les sommes suivantes :
- 66 500 euros à titre de rappel de salaire, ainsi que 6 650 euros de congés payés afférents ;
- 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
- 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Débouter la société Mécapole de ses demandes.
Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 4 juillet 2024, la société Mecapole, venant aux droits de la société Hephaistos Groupe demande à la cour de :
In limine litis :
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- Dit et jugé que le conseil de prud'hommes de Lyon est incompétent pour statuer sur l'engagement de non-concurrence prévue dans le pacte d'actionnaires ;
- Renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Lyon pour statuer sur l'engagement de non-concurrence prévue dans le pacte d'actionnaires ;
Sur le fond :
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- Dit et jugé que M. [U] n'est pas fondé à demander des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
- Débouté M. [U] de toutes demandes à ce titre ;
Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- Dit et jugé que M. [U] est fondé à demander un rappel de rémunération variable sur objectifs au titre de l'exercice budgétaire 2017 - 2018 ;
- Condamné la société Mécapole à payer à M. [U] la somme de 6 500 euros de rappels sur rémunération variable sur objectifs au titre de l'exercice budgétaire 2017 2018, outre 650 euros de congés payés afférents ;
- Dit et jugé qu'elle n'a pas démontré avoir épuisé tous les moyens de recours suite à la notification du redressement CSG et la CRDS liée à la rupture conventionnelle de M. [U];
- L'a déboutée de toutes demandes à ce titre ;
- Fixé la moyenne brute des salaires des 3 derniers mois à la somme de 30 237,77 euros ;
- L'a condamnée à verser à M. [U] la somme de 1800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant de nouveau, sur ces chefs infirmés :
- Débouter M. [U] de l'intégralité de ses demandes ;
- Le condamner à lui rembourser la somme de 7 105 euros au titre de la régularisation des cotisations et contributions recouvrées par les URSSAF ;
En tout état de cause,
- Condamner M. [U] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Le condamner aux entiers dépens de l'instance.
La clôture des débats a été ordonnée le 24 octobre 2024 et l'affaire a été évoquée à l'audience du 2 décembre 2024.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.
MOTIFS
A titre liminaire, il sera rappelé que les " demandes " tendant à voir " constater " ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; il en est de même des " demandes " tendant à voir " dire et juger " lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.
I - Sur l'exception d'incompétence portant sur la demande relative à la clause de non-concurrence.
Au soutien de l'exception d'incompétence qu'il soulève, l'employeur fait valoir qu'une demande indemnitaire ne relevant pas d'un contrat de travail mais d'un pacte d'actionnaires relève de la compétence du tribunal de commerce ; qu'en l'espèce, il ne résulte pas des actes produits la commune intention d'attacher l'obligation de non-concurrence à un contrat de travail en un tout indivisible avec le pacte d'associés, lequel est de surcroît antérieur au contrat de travail; que celui-ci ne comporte aucune clause de non-concurrence ; qu'enfin, l'acte de cession des actions prévoit la compétence du tribunal de commerce de Lyon.
Pour sa part, le salarié objecte que, contrairement à ce que soutient la société, la signature de l'engagement de non-concurrence est postérieure à l'existence du contrat de travail, dans la mesure où il était engagé avec une filiale depuis le 1er août 1998, ce qui a entraîné une reprise d'ancienneté dans son contrat de travail. En outre, l'engagement de non-concurrence s'impose à lui en sa qualité de salarié, et n'est assorti d'aucune clause attributive de compétence. Il rappelle qu'il avait à la fois qualité de salarié et d'actionnaire de la société. Il considère que, bien qu'incluse au sein du pacte d'actionnaires, la clause de non-concurrence influe sur sa relation de travail et son activité professionnelle.
Sur ce,
Aux termes des articles L. 1411-1 et 4, la juridiction prud'homale a compétence exclusive pour connaître des différents qui s'élèvent à l'occasion de tout contrat de travail.
En l'occurrence, le contrat de travail du 17 janvier 2017 ne comporte en lui-même aucune mention ou référence relative à une clause de non-concurrence. Il précise qu' " eu égard à ses antécédents dans le groupe [U], filiale de la société, [l'ancienneté du salarié] est reprise au 1er août 1998 ".
Il résulte des éléments versés au débat que le souhait de voir l'opération de cession de la société HFBC et de sa filiale la société [U] assortie d'une obligation de non-concurrence a été mentionné dès la lettre de déclaration d'intérêt du 29 août 2016 (P 2 employeur), souhait repris par la lettre avenant du 18 octobre 2016 (P3 employeur) puis le 18 novembre 2016 (P4 employeur) ; que cet engagement est visé dans l'acte de cession des actions de la société HFBC et de la société [U] du 17 janvier 2017.
Par ailleurs, l'article 10 de l'avenant n°1 au pacte des associés de la société Héphaïstos Groupe du 28 juin 2010, établi le 17 janvier 2017, précise que " M. [P] [U] déclare reprendre à sa charge les dispositions de l'article 9 du pacte ", sous réserve de ses engagements préexistants dans d'autres sociétés (P3 salarié). Ledit article 9 du pacte des associés interdit " d'entreprendre, de participer en capital ou par son travail, à titre gratuit ou onéreux, d'exercer personnellement ou par personne physique ou morale interposée, direction ou indirectement, toute activité industrielle ou commercial concurrente de l'activité développée par les sociétés du Groupe Héphaïstos Développement. Cet engagement est valable tant que M. (X) sera associé de la société et pendant une durée de trois (3) ans à compter de la perte de cette qualité, et ce, sur l'ensemble du territoire de l'Espace Economique Européen (') ".
En outre, l' " engagement de non-concurrence " du 17 janvier 2017 conclu entre MM. [P] et [L] [U] dénommés " les cédants " d'une part, et la société Hépahïstos Groupe, dénommée " le cessionnaire " d'autre part, précise que cette dernière a acquis la totalité des actions composant le capital société de la société, et qu'au titre des engagements complémentaires sans lequel elle n'aurait pas accepté de se porter cessionnaire des titres, les parties ont convenu la conclusion de l'engagement de non-concurrence par lequel les cédants s'engagent à ne pas exercer d'activité susceptible d'entrer en concurrence avec celle de la société cédée.
Il est précisé que " le présent engagement entre en vigueur à compter de ce jour pour une durée couvrant celle durant laquelle (') M. [P] [U], directement ou indirectement, conserver[a] la qualité d'associé, de mandataire, de salarié, de consultant ou prestataire de la société Héphaïstos Groupe et/ou de la société et/ou de la filiale (') et pendant une durée de trois (3) années entières et consécutives suivant celle de la cessation de la qualité d'associé et/ou de toutes les fonctions de mandataire social, de salarié (') de l'intéressé au sein des sociétés Héphaïstos Groupe (') ".
Il résulte de ces éléments que M. [U] a exercé concurremment, à compter du 17 janvier 2017, les fonctions de salarié et d'associé ; que si l'engagement de non-concurrence a été envisagé dès la lettre d'intention, le pacte d'actionnaires précité, en faisant référence à la qualité de salarié de l'intéressé, a eu pour effet de lier cette obligation à ce second statut. Autrement dit, l'obligation de non-concurrence aurait perduré pendant une durée de 3 années suivant la fin du contrat de travail, même si le pacte d'actionnaires avait été rompu préalablement au contrat de travail. Ainsi, l'engagement de non-concurrence présente un lien avec l'exécution du contrat de travail.
Dès lors c'est à tort que le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent. Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.
En outre, dans la mesure où les parties ont toutes deux conclu au fond sur la demande de paiement au titre de la clause de non-concurrence sans solliciter de renvoi devant le premier juge au cas d'infirmation du jugement, il convient, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'évoquer cette demande en application de l'article 568 du code de procédure civile.
II - Sur la demande de paiement au titre de l'engagement de non-concurrence.
M. [U] soutient à titre principal que l'engagement de non-concurrence est licite et n'a pas été dénoncé par l'employeur au moment de la rupture du contrat ; qu'il l'a respectée ; que, dans la mesure où aucune contrepartie financière n'est prévue au contrat, il convient d'appliquer les stipulations de l'article 28 de la convention collective applicable.
Si la cour venait à considérer que la clause est illicite, le salarié réclame à titre subsidiaire des dommages et intérêts pour l'avoir respectée pendant deux ans, et fait valoir qu'il n'a pu retrouver d'emploi pendant deux ans, ses mandats de présidents d'une SCI et d'une autre société exercés pendant cette période ne lui ayant procuré aucun revenu.
Pour sa part, au visa de l'article 122 du code de procédure civile, l'employeur conteste en premier lieu l'intérêt à agir de l'intéressé dans la mesure où, dans le cadre de l'homologation de la rupture conventionnelle intervenue le 6 avril 2018, il s'est déclaré rempli de l'intégralité de ses droits " de quelque nature que ce soit ".
De surcroît, l'employeur soulève la nullité de la clause dans la mesure où elle est dépourvue de contrepartie financière. Or, dans ces conditions, il revient au salarié de démontrer son préjudice, ce qu'il ne fait pas dans la mesure où il demeure le gérant ou le dirigeant de trois sociétés, et qu'il s'est vu octroyer plus de 470 000 euros au titre de la cession de ses actions des sociétés HFBC et [U], outre l'attribution pour 600000 euros d'actions de la société Héphaïstos Groupe.
Sur ce,
Aux termes de l'article 32 du code de procédure civile, est irrecevable toute prétention émise par une personne dépourvue du droit d'agir.
L'article 1104 du code civil dispose que les contrats doivent être formés et exécutés de bonne foi.
En premier lieu, après avoir rappelé que l'employeur ne démontre pas avoir renoncé à l'exécution de l'engagement de non-concurrence au plus tard à la date de la rupture, il convient de considérer que, dans la mesure où cet engagement survit à la fin de la relation de travail, le salarié ne peut renoncer au moment de celle-ci, par anticipation, à toute action à ce titre ; que, dès lors, il conserve un intérêt à agir sur ce fondement malgré la rupture conventionnelle appliquée.
Au surplus, ainsi qu'il le soutient, le salarié est le seul à pouvoir se prévaloir de la nullité de la clause de non-concurrence en application de l'article 1104 du code civil précité ; la solution inverse reviendrait à donner à l'employeur ou à la société qui a la charge de la rédiger la possibilité de se prévaloir de sa propre carence.
Or, M. [U] soutient à titre principal la licéité de l'engagement. Il n'y a donc pas lieu d'examiner la question de sa validité.
En l'absence de contrepartie financière dans le pacte d'actionnaires, il convient de se reporter à la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie, à laquelle renvoie le contrat de travail. Celle-ci prévoit en son article 28 relatif au " secret professionnel - clause de non-concurrence " que lorsqu'une telle clause est prévue, " l'interdiction ne peut excéder une durée de 1 an, renouvelable une fois, et a comme contrepartie, pendant la durée de non-concurrence, une indemnité mensuelle spéciale égale à 5/10 de la moyenne mensuelle des appointements ainsi que des avantages et gratifications contractuels dont (...) le cadre a bénéficié au cours de ses 12 derniers mois de présence dans l'établissement ".
Au vu des bulletins de salaires produits (P8 employeur), le montant correspondant aux 5/10èmes de la somme des salaires, avantages et gratifications contractuels perçus sur les 12 derniers mois s'élève à 8 980,46 euros.
Dès lors, dans la mesure où le montant de l'indemnité est égal à 24 mois - inférieure aux trois ans prévus par l'engagement de non-concurrence précité du 17 janvier 2017 -, la contrepartie financière de l'engagement de non-concurrence s'élève à 215 531,10 euros.
L'employeur sera condamné à payer cette somme au salarié, le jugement entrepris étant réformé sur ce point.
III - Sur la demande de rappel de salaires.
Au soutien de sa demande, le salarié fait valoir qu'il n'a été que partiellement payé de sa rémunération variable au titre de l'exercice 2017-2018 alors qu'il estime avoir atteint ses objectifs, sans que l'employeur n'explique la raison de ce paiement seulement partiel, ni ne produise les éléments permettant de vérifier le montant de sa rémunération variable.
Pour sa part, l'employeur estime qu'il revient au salarié ne justifier de ses résultats, ce qu'il ne fait pas, alors qu'il avait reconnu dans ses écritures de première instance n'avoir atteint que " certains " de ses objectifs.
Sur ce,
Aux termes de l'article 1353 du code civil, " celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ".
En application de ce texte, la charge du paiement de la partie variable du salaire, contractuellement prévue, incombe à l'employeur.
En l'espèce, le contrat de travail prévoit qu'outre sa rémunération annuelle brute de 175 000 euros, le salarié percevra " une rémunération variable, plafonnée à quatre-vingt dix mille euros (90 000 euros) par an, assise sur une combinaison de critères de performance financière et de de critères d'atteinte d'objectifs qualitatifs, qui seront définis chaque année, dans les semaines suivant l'arrêté des comptes de l'année antérieure ".
Ces objectifs ont été définis, pour l'exercice 2017-2018, par une lettre du 13 novembre 2017 détaillant des objectifs financiers, stratégiques et opérationnels (P8 salarié). Le bulletin de salaire de janvier 2018 mentionne le versement de 23 500 euros au titre de la " rémunération variable 2017 ".
L'employeur ne produit ni explication relative à la limitation de la prime variable ainsi opérée, ni document justifiant l'insuffisance des résultats du salarié, alors qu'il en a la disposition et que cette preuve lui incombe.
En conséquence, il sera condamné à payer au salarié le solde de la rémunération variable due, soit 66 500 euros outre 6 650 euros au titre des congés payés afférents, le jugement entrepris étant infirmé sur ce point.
IV - Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
Au soutien de sa demande, le salarié fait valoir qu'il a été mis à l'écart de l'entreprise par la majorité des actionnaires, et déclassé des fonctions de directeur général à celles de simple directeur de bureau, ce qui l'a d'autant plus touché qu'il exerçait ses fonctions depuis 1998 dans le groupe. Au surplus, il a été affecté par le litige l'opposant à l'employeur s'agissant de sa rémunération variable. Ces difficultés ont eu un retentissement négatif sur son état de santé, et l'ont conduit à entamer un suivi psychiatrique à compter de juillet 2018. L'expertise psychiatrique qu'il produit permet d'établir le lien entre son état de santé et son activité professionnelle.
Pour sa part, l'employeur fait valoir que le salarié n'a formulé aucune doléance sur ses conditions de travail au cours de son exécution ; que l'expertise psychiatrique, seul élément qu'il produit, est postérieure à la rupture et ne fait que reprendre les dires du salarié ; qu'au surplus, elle fait état d'une anxiété en lien avec des difficultés personnelles. Dès lors, la demande ne peut qu'être rejetée.
Sur ce,
L'article L. 1222-1 du code du travail dispose que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
En l'occurrence, le salarié ne produit pour étayer sa demande que la seule expertise réalisée par le Dr [Y], psychiatre, le 28 janvier 2019 (P9 salarié). Celle-ci commence par une phase de présentation, que le médecin reprend en mentionnant : " il nous dit qu'il a été mis à l'écart de la direction de l'entreprise par la majorité des actionnaires et il a été déclassé de directeur général à simple directeur d'un bureau. Et cette dégradation de son poste a eu une conséquence grave sur son état psychique et surtout en janvier 2018 il a reçu un email de la part de ses actionnaires pour lui demander de cesser toutes ses activités ".
A la suite de cette phase de présentation, figure celle de l'examen psychiatrique proprement dit, lequel détermine un état dépressif important pour lequel il est suivi et sous traitement depuis juillet 2018, et une absence de consolidation au jour de l'examen. Au-delà des difficultés professionnelles, sont mentionnées des difficultés familiales et de santé.
En l'absence de tout autre élément, la cour relève que les mentions de l'expertise relatives aux difficultés professionnelles de M. [U] ressortent de ses seules déclarations au psychiatre, et ne sauraient dès lors être considérées comme suffisantes pour établir la matérialité des faits invoqués, et, en conséquence, le manquement à l'obligation de loyauté dans l'exécution du contrat.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande à ce titre.
V - Sur la demande de l'employeur au titre du redressement des cotisations sociales.
A titre reconventionnel, l'employeur sollicite la condamnation du salarié à lui payer la régularisation des cotisations et contributions CSG et CRDS recouvrées par les URSSAF sur les sommes versées au titre de la rupture conventionnelle, conformément à son engagement. Il soutient que la motivation retenue par le premier juge tendant à dire qu'il n'a pas épuisé toutes les voies de recours pour contester le redressement intervenu ne peut être suivi, dans la mesure où cette créance de l'administration est désormais certaine et exigible, en l'absence de recours possible désormais.
Le salarié s'oppose à cette demande en soulignant que l'employeur ne démontre pas s'être réellement défendu par rapport à ce redressement, dans le but de lui nuire compte-tenu de son propre engagement à le prendre en charge. Cependant, dans la mesure où la société ne l'a pas informé de ce redressement, il n'a pas été en mesure de contester dans le délai imparti alors qu'il lui aurait été simple de justifier de son ancienneté auprès de l'URSSAF. Dès lors, la société ne saurait faire reposer sur lui les conséquences de sa propre inaction.
Sur ce,
L'article 1103 du code civil dispose que " les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ", l'article 1104 de même code précisant qu'ils doivent être exécutés de bonne foi.
Les parties s'accordent pour expliquer que, dans le cadre de la rupture conventionnelle intervenue le 30 avril 2018, est survenue une divergence d'interprétation entre elles sur le point de savoir s'il fallait retenir au titre de l'ancienneté du salarié, la date de signature du contrat de travail (17 janvier 2017) ou celle de la reprise d'ancienneté (1er août 1998).
L'ancienneté du 1er août 1998 minorant le montant de l'assiette de la CSG et de la CRDS a finalement été retenue, avec l'engagement de M. [U] de " (') prendre à sa charge le redressement de sécurité sociale qui pourrait en résulter, en cas de contrôle, dès lors que la créance de l'administration serait devenue certaine et exigible, soit après épuisement de toutes les voies de recours envisageables (observations à l'URSSAF, saisine de la commission de recours amiable, TASS et cour d'appel, si besoin) " (P19 employeur).
Suite à un contrôle de l'URSSAF, un redressement a été notifié le 9 décembre 2019 pour un montant de 7 105 euros (P18 employeur).
En l'occurrence, l'employeur ne verse au débat aucun élément démontrant qu'il a contesté le redressement ainsi intervenu. Dès lors, il ne peut prétendre à l'application de la garantie qu'il invoque, n'en ayant pas levé la condition. Au surplus, l'exigence d'exécution de bonne foi lui imposait d'avertir le salarié du redressement intervenu - ce qu'il ne démontre pas avoir fait -, afin que celui-ci puisse éventuellement le contester dans les délais s'il n'entendait pas lui-même y procéder.
Ainsi, le jugement entrepris sera-t-il confirmé en ce qu'il a débouté l'employeur de sa demande à ce titre.
VI - Sur les autres demandes.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Succombant à l'instance, la société sera déboutée de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.
L'équité commande de la condamner à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, outre les entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant contradictoirement et publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile,
Dans la limite de la dévolution,
Infirme le jugement rendu le 21 octobre 2021 par le conseil de prud'hommes de Lyon dans le litige opposant M. [U] et la société Mécapole en ce qu'il a :
- Dit et jugé qu'il est incompétent pour statuer sur l'engagement de non-concurrence prévu dans le pacte d'actionnaires, et renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Lyon pour statuer sur ledit engagement ;
- Condamné la société Mécapole à payer à M. [U] la somme de 6 500 euros au titre du rappel de rémunération variable sur objectifs au titre de l'exercice budgétaire 2017-2018, outre 650 euros au titre des congés payés afférents ;
Confirme ledit jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau, dans cette limite,
- Rejette l'exception d'incompétence au profit du tribunal de commerce soulevée par l'employeur s'agissant de la demande relative à l'engagement de non-concurrence ;
- Condamne la société Mécapole, venant aux droits de la société Héphaïstos Groupe, à payer à M. [U] les sommes suivantes :
o 215 531,10 euros au titre de la contrepartie financière de l'engagement de non-concurrence ;
o 66 500 euros au titre du rappel de rémunération variable sur objectifs au titre de l'exercice budgétaire 2017-2018, outre 6 650 euros au titre des congés payés afférents ;
- Rappelle que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut ;
Y ajoutant,
- Condamne la société Mécapole, venant aux droits de la société Héphaïstos Groupe, à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
- Déboute les parties de leurs autres demandes ;
- Condamne la société Mécapole aux entiers dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE