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Décisions

CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 19 mars 2025, n° 23/02119

TOULOUSE

Arrêt

Autre

CA Toulouse n° 23/02119

19 mars 2025

19/03/2025

ARRÊT N° 114 /25

N° RG 23/02119

N° Portalis DBVI-V-B7H-PQLP

MD - SC

Décision déférée du 15 Mai 2023

TJ de TOULOUSE - 23/00516

M. MICHEL

INFIRMATION

Grosse délivrée

le 19/03/2025

à

Me Françoise DUVERNEUIL

Me Christophe DULON

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU DIX NEUF MARS DEUX MILLE VINGT CINQ

***

APPELANTS

POLE EMPLOI, actuellement dénommé FRANCE TRAVAIL et sa direction POLE EMPLOI SERVICES, actuellement dénommée FRANCE TRAVAIL SERVICES, représentée par son directeur en exercice

[Adresse 1]

[Localité 6]

POLE EMPLOI OCCITANIE, actuellement denommé FRANCE TRAVAIL OCCITANIE, représenté par son directeur en exercice

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentés par Me Françoise DUVERNEUIL de l'ASSOCIATION VACARIE - DUVERNEUIL, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIME

Monsieur [Y] [K]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représenté par Me Christophe DULON, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 juin 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. DEFIX, Président, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. DEFIX, président

C. ROUGER, conseillère

A.M. ROBERT, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière : lors des débats N.DIABY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par M. DEFIX, président et par M. POZZOBON, greffièr

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La Sarl Beauzelene de Préfabrication et de construction (société SBPC) a été constituée entre M. [X] [O] [K] et ses fils dont M. [Y] [K]. Mme [E] [G] [J] [A], épouse de M. [X] [O] [K], a été désignée gérante de cette société ayant pour objet social la préfabrication de dalles, planchers, ainsi que tous travaux de maçonnerie.

Suivant une assemblée générale extraordinaire du 27 novembre 2014, la société est devenue une Sas dont Mme [E] [G] [O] [K] est devenue la présidente.

Les époux [E] [G] et [X] [O] [K] ont par la suite constitué une société civile dénommée 'Carregal Invest', devenue propriétaire de 469 des 500 actions de la société SBPC.

M. [X] [O] [K] étant décédé le 4 mars 2015, M. [Y] [K] est devenu actionnaire de la société SBPC à hauteur de 1/6ème de la nue-propriété de 31 actions sur les 500 qui composaient le capital la succession.

Mme [K] a confié la fonction de directeur général de la société SBPC à M. [Y] [K] qui était salarié de cette entreprise depuis le 4 janvier 1999 en qualité de « chef de chantier » statut ETAM puis, à compter du 1er février 2007, en tant que «conducteur de travaux» statut Cadre pour lequel il percevait un salaire de base de 9 665,06 euros brut au dernier état de la relation contractuelle.

Par Jugement rendu le 9 novembre 2021, le tribunal de commerce de Toulouse a prononcé la liquidation judiciaire de la société SBPC et a désigné la Selarl [L] [H] prise en la personne de Maître [L] [H] ès qualités de mandataire liquidateur.

Procédant aux licenciements, ce dernier a été établi un certificat de travail et les bulletins de paie de novembre 2021 et décembre 2021 pour solde de tout compte, mentionnant

M. [Y] [K] comme étant employé en tant que directeur général et non en tant que conducteur de travaux.

Le 4 avril 2022, Pôle Emploi a notifié à M. [Y] [K] un refus d'octroi de l'allocation d'Aide au Retour à l'Emploi (ARE) au motif que l'examen du dossier faisait apparaître l'absence de lien de subordination dans l'accomplissement des fonctions de l'intéressé au sein de l'entreprise, cet élément caractéristique du contrat de travail faisant en l'espèce défaut.

-:-:-:-

Autorisé par ordonnance du président du tribunal judiciaire de Toulouse rendue le 23 janvier 2023, M. [Y] [K] a fait assigner Pôle Emploi devant cette juridiction aux fins d'annulation de cette décision de refus de lui octroyer le bénéfice de l'allocation d'aide au retour à l'emploi et en paiement du montant total de ses droits qui s'élevait à 102 397,32 euros

bruts sur 730 jours à compter du 14 décembre 2021 à parfaire au jour de la décision à intervenir et de dommages intérêts en réparation du préjudice subi par la faute reprochée à Pôle Emploi.

Par jugement rendu le 15 mai 2023, le tribunal judiciaire de Toulouse a :

- dit que M. [Y] [K] est éligible au bénéfice de l'allocation d'aide au retour à l'emploi ;

Avant dire droit,

- ordonné la réouverture des débats à l'audience du 18 septembre 2023, 14h00, afin que

Pôle Emploi, prise en sa direction régionale Pôle Emploi Occitanie et Pôle Emploi, prise en sa direction Pôle Emploi Services produisent le montant justifié et détaillé de la créance de Monsieur [Y] [K] au titre de l'ARE ;

- enjoint Pôle Emploi, prise en sa direction régionale Pôle Emploi Occitanie et Pôle Emploi, prise en sa direction Pôle Emploi Services de conclure avant le 30 juin 2023 ;

- enjoint M. [Y] [K] de conclure avant le 30 juillet 2023 ;

- sursis à statuer sur les autres demandes formées ;

- réservé les dépens.

Pour statuer ainsi, le tribunal a d'abord rappelé que le bénéfice du revenu de remplacement prévu par l'assurance chômage ne peut être octroyé qu'aux personnes ayant exercé les fonctions de salarié et que l'absence d'incompatibilité entre les fonctions de salarié et celle de directeur général suppose le maintien sous la subordination de la société même si en fait, dans l'exercice effectif de tâches distinctes de la direction générale d'une société, il ne reçoit pas d'ordres et cumule alors un contrat de travail avec son mandat.

Le tribunal a considéré qu'il n'était pas démontré par Pôle Emploi ayant la charge de la preuve, que la présidente et associée majoritaire de la société ayant de longue date exercé la gérance puis la présidence de celle-ci n'ait pas disposé d'un pouvoir de sanction à l'égard de M. [K] dans les différentes fonctions exercées par ce dernier qui pouvait être révoqué à tout moment de celles de directeur général sans motif. Il a en outre relevé que :

- malgré la réponse de celui-ci au questionnaire de Pôle Emploi en indiquant qu'il ne recevait pas d'instruction dans le cadre de l'organisation de ses activités et que celles-ci n'étaient pas contrôlées, il n'était qu'administrateur, ne disposant d'aucune procuration bancaire et rendait compte de ses activités,

- le caractère élevé de la rémunération de M. [K], l'assemblée générale avait décidé que celle-ci fixée avant sa nomination en qualité de directeur général serait maintenue sans rémunération complémentaire pour les fonctions supplémentaires ainsi conférées,

- aucun dépassement de pouvoir n'a été établi même pour le dépôt de bilan de l'entreprise.

-:-:-:-

Par déclaration du 13 juin 2023, l'Établissement Public Pôle Emploi et l'Établissement Public Pôle Emploi Service ont interjeté appel à l'encontre de ce jugement en toutes ses dispositions.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans les dernières conclusions transmises à la cour par voie électronique le 13 octobre 2023 et prises au nom de Pôle Emploi, institution nationale publique, (issue de la loi du 13 février 2008 relative à la réforme du service public de l'emploi) pris en sa direction régionale Pôle Emploi Occitanie, représentée par son directeur en exercice, et l'Établissement Public Pôle Emploi Services, représenté par son directeur en exercice, appelants, il est demandé à la cour, au visa de l'article 1er du règlement général annexé à la convention relative au régime de l'assurance chômage annexé au décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 et des articles L. 5422-3 du code du travail et 'L. 11221-1 du code du travail', de:

- déclarer recevable l'appel formé par Pôle Emploi prise en sa direction régionale Pôle Emploi Occitanie et sa direction Pôle Emploi Services ;

- réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Toulouse le 15 mai 2023 en toutes ses dispositions ;

- valider et confirmer la décision de refus de droits à l'ARE du 4 avril 2022 notifiée par Pôle Emploi à M. [K] qui est bien fondée,

- débouter en conséquence M. [Y] [K] de son appel incident et de sa demande d'évocation,

à titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire, la Cour confirmait le jugement dont appel.

- rejeter la demande d'évocation qui n'est pas opportune au vu de son opposition à la demande de sursis à statuer en première instance et d'un risque de décision contradictoire,

- surseoir à statuer sur l'appel incident dans l'attente du jugement à intervenir,

Si par impossible, il était décidé de statuer par évocation,

Vu le décompte des calculs détaillés de Pôle Emploi aux présentes conformes à la réglementation d'assurance chômage,

Vu la convention du 26 janvier 2015 relative au contrat de sécurisation professionnelle,

- débouter M. [K] de ses prétentions financières telles que calculées par M. [K], ainsi que de ses demandes de condamnation de Pôle Emploi à lui payer la somme de 125 457,30 euros bruts au titre des ASP et ARE au 30 juillet 2023 avant déduction des cotisations et contributions sociales assortie des intérêts légaux de droit à compter du 14 décembre 2021 et à parfaire au jour de la décision,

- débouter M. [K] de ses plus amples demandes formées sous astreinte au titre de son reliquat de droits de 137 jours,

- statuer ce que de droit sur l'arriéré d'ASP jusqu'au 16 mai 2022 soit 35.811,90 brut sur la période du 14 décembre 2021 au 15 mai 2022, date de sortie du CSP, 16 880,38 euros brut d'IDR dues pour sa période de reprise en mai, juin et juillet 2022 au titre des prestations d'accompagnement et 38 421,45 euros brut d'ARE sur la période d'indemnisation du 14 décembre 2022 au 30 juin 2023, au jour de la décision judiciaire à intervenir au profit de M. [Y] [K] en application de la réglementation d'assurance chômage,

- débouter M. [Y] [K] de ses plus amples demandes fins et conclusions n'étant pas démontré ni de manquement des services de Pôle Emploi dans la gestion du dossier de M. [K], ni de lien de causalité entre la décision de refus d'ouverture de droits aux ARE et les préjudices allégués,

- débouter en conséquence M. [K] de ses prétentions indemnitaires en réparation du préjudice subi par la faute de Pôle Emploi en l'absence d'une telle faute,

- débouter M. [Y] [K] de ses plus amples demandes, fins et conclusions à des dommages et intérêts au titre des soi-disant propos injurieux et diffamatoires et de suppression des passages en rapport avec les dits propos,

- débouter M.[K] de ses plus amples demandes,

- condamner M. [K] à payer à Pôle Emploi Services et Pôle Emploi Occitanie la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises à la cour par voie électronique le 14 août 2023, M. [Y] [K], intimé, demande à la cour, au visa des articles L. 5421-1 et suivants du code du travail, du règlement d'assurance chômage annexé au décret n°2019-797 du 26 juillet 2019, des articles 1240 du code civil, 41, alinéa 5, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 568 du code de procédure civile et les décisions jurisprudentielles visées, de :

rejetant toutes conclusions, fins et prétentions contraires comme injustes et infondées,

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que M. [Y] [K] est éligible au bénéfice de l'allocation d'aide au retour à l'emploi ;

- l'infirmer pour le surplus,

et statuant à nouveau en procédant par évocation,

- annuler la décision de Pôle Emploi de refuser à M. [Y] [K] le bénéfice des allocations d'aide au retour à l'emploi ;

- 'dire, juger et constater' que le montant total des droits de M. [K] au titre des allocations de sécurisation professionnelle (ASP) et allocations d'aide au retour à l'emploi (ARE) s'élève à un montant de 125 457,30 euros au 30 juillet 2023, avec à cette date un reliquat de 137 jours à 175,55 euros bruts journaliers ;

- condamner Pôle Emploi à payer à M. [Y] [K] cette somme de 125 457,30 euros, au titre des allocations de sécurisation professionnelle (ASP) et allocations d'aide au retour à l'emploi (ARE), purgées des cotisations et contributions sociales, assortie des intérêts légaux à compter du 14 décembre 2021, et à parfaire au jour de la décision à intervenir ;

- ordonner à Pôle Emploi de verser à M. [Y] [K] tout reliquat de droits, de 137 jours au 30 juillet 2023 à 175,55 euros bruts journaliers, à la date de leur exigibilité, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard, commençant à courir 30 jours après la réception d'une LRAR de mise en demeure envoyée en cas de non-paiement dudit reliquat de droits ;

- condamner Pôle Emploi à payer à M. [Y] [K] une somme de 40 000 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la faute de Pôle Emploi ;

- ordonner le retrait des passages injurieux et diffamatoires suivants des conclusions de Pôle Emploi :

« Page 17 : Pour ce faire, le tribunal s'est en effet référé à tort aux seuls dires de l'intimé dans

ses dernières conclusions notifiées le 17 mars 2023 qui semblaient se référer au PV d'assemblée générale du 19 novembre 2015 de nomination de monsieur [Y] [K] (pièce adverse 5) aux fonctions de directeur général qui selon ses écritures , aurait indiqué qu'il conserve le bénéfice de son contrat de travail au titre duquel il perçoit une rémunération nette mensuelle de 7500 € payable sur 12 mois alors qu'il ne résulte nullement de la lecture de la pièce adverse n°5 communiquée par son Conseil , une telle mention qui résulte uniquement des allégations de l'intimé dans ses conclusions devant le premier juge dans un encart grisé et d'une pièce de toute évidence falsifiée qui avait été transmise à POLE EMPLOI par monsieur [K] lors de l'étude de ses droits ( pièce 4).

Page 18 : Cette indication en son jugement par le tribunal résulte - ce qui est mis en relief dans le cadre de cette procédure d'appel (la procédure à jour fixe ne l'ayant pas permis vu l'urgence en première instance) - d'une falsification de pièce transmise en son temps dans le cadre de l'enquête mandataire par monsieur [Y] [K] à POLE EMPLOI (voir pièce 4)

La simple comparaison du PV d'assemblée générale de la société SBPC en date du 19 novembre 2015 transmis à POLE EMPLOI dans le cadre de l'étude de ses droits (pièce 4) par monsieur [Y] [K] avec l'exemplaire communiqué par son Conseil (pièce adverse n°5) qui est la pièce authentique revêtue du tampon du greffe du tribunal de commerce de Toulouse, établit que le PV de l'assemblée générale du 19 novembre 2015 désignant monsieur [Y] [K] aux fonctions de directeur général et tel que communiquée à POLE EMPLOI est une falsification de l'original déposé au greffe.

L'exemplaire déposé au greffe du tribunal de commerce (pièce adverse 5) ne mentionne nullement de fixation de rémunération et notamment que « monsieur [S] [K] conserve le bénéfice de son contrat de travail au titre duquel il perçoit une rémunération nette

mensuelle de 7500 € payable sur 12 mois. Il continue de bénéficier des avantages sociaux au

même titre que tous les salariés de la société. Il ne sera pas rémunéré pour l'exercice de son

mandat de directeur général ». Il s'agit d'une mention rajoutée dans la version transmise lors de l'étude de ses droits par monsieur [K] à POLE EMPLOI qui ne s'en est alors pas aperçu.

La simple comparaison de la teneur de ces deux pièces apparemment ayant le même objet

l'établit, ce qui est particulièrement grave et suffit à exclure monsieur [K] du droit

au bénéfice de l'allocation chômage.

Pièce 4

Acte constatant les décisions unanimes des associées du 19 novembre 2015 (nomination de

monsieur [K] comme directeur général)

Pièce adverse 5 PV d'AG du 19/11/2015 nommant monsieur [Y] [K] directeur général

(')

Page 19 : ce qui démontre qu'il était en réalité rémunéré au dernier état de ses salaires versés au débat pour ses nouvelles fonctions de mandataire social sous couvert d'un contrat de travail fictif contrairement à la motivation du jugement dont appel qui indique à tort sur la base d'une

falsification du PV d'AG du 19 novembre 2015 qu'il est donc acquis qu'antérieurement à sa nomination en tant que directeur général, monsieur [K] percevait déjà la même rémunération qu'au moment de la liquidation judiciaire de la société SBPC soit 9 660,06 € bruts (équivalent aux 7500 € nets visés par la décision des associés), ce qui résulte d'une falsification de document. »,

- condamner Pôle Emploi à payer à M. [Y] [K] une somme de 4 000 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des propos injurieux et diffamatoires retranscrits en pages 17, 18 et 19 des conclusions d'appelant de Pôle Emploi,

- débouter Pôle Emploi de l'intégralité de ses demandes ;

- condamner Pôle Emploi à payer à M. [Y] [K] la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,

- condamner Pôle Emploi aux entiers dépens de première instance et d'appel.

MOTIVATION DE LA DÉCISION

1. À titre liminaire, il convient de relever qu'en application de l'article 6 de la loi n° 2023-1196 du 18 décembre 2023 pour le plein emploi, Pôle Emploi est devenu France Travail à compter du 1er janvier 2024, cette transformation n'emporte pas la création d'une nouvelle personne morale qui viendrait aux droits et obligations de la précédente dans l'instance, l'Etablissement public à caractère administratif. Pour la simplification de l'exposé, la dénomination Pôle Emploi en usage durant la période du présent litige sera conservée dans le corps de la motivation.

2. L'article 1er du règlement général annexé de la convention d'assurance chômage annexé au décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 dispose que 'Le régime d'assurance chômage assure un revenu de remplacement dénommé « allocation d'aide au retour à l'emploi », pendant une durée déterminée, aux salariés qui remplissent des conditions relatives au motif de fin du contrat de travail et à la durée d'affiliation, ainsi que des conditions d'âge, d'aptitude physique, de chômage, d'inscription comme demandeur d'emploi et de recherche d'emploi.'

3. Le bénéfice de l'allocation est, dans le présent dossier, conditionné à la qualité de salarié involontairement privé d'emploi du demandeur. Il est de principe que le salarié est celui qui accomplit un travail pour un employeur dans un lien de subordination, celui-ci étant caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Il est également de principe que l'existence d'une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle (Soc. 17 avril 1991, n° 88-40.121).

4. En présence d'un contrat de travail apparent, il incombe à celui qui en invoque le caractère fictif d'en rapporter la preuve (Soc. 18 octobre 2007, n° 06-46.188), une telle preuve impliquant celle de l'absence de tout lien de subordination et ne peut résulter du seul exercice d'une qualité de dirigeant social qui n'est pas nécessairement exclusive de celle de salarié (Soc. 11 mai 2005, n° 03-40.497).

5. En l'espèce, M. [Y] [K] a été nommé directeur général de la société

SBPC le 19 novembre 2015, pour une durée illimitée suivant acte des associés précisant que ce dernier pouvait notamment 'accomplir tous actes de direction opérationnelle, de gestion quotidienne et d'administration courante de la société, dans le cadre de la politique générale définie par le Président. Il pourra notamment signer tout contrat ou acte engageant la société dans les domaines suivants :

.toutes propositions commerciale,

.tous appels d'offres pour les marchés publics et privés,

.tous contrats et commandes clients,

.toutes commandes fournisseurs.

Il pourra réaliser tous investissements nécessaires à l'activité de la société.

Il pourra réaliser les opérations bancaires suivantes :

.réalisation de virements bancaires et notamment virement bancaires entre les banques de la société,

.ouverture de comptes à termes et gestion desdits comptes,

.toutes opérations de gestion de la trésorerie de la société.'.

Ledit acte de nomination énonce des pouvoirs en matière d'hygiène et de sécurité, d'environnement et de santé au travail, en matière de ressources humaines, assurant la gestion du personnel tant dans les rapports individuels que collectifs du travail de l'embauche à la rupture des contrats de travail suivant une liste présentée comme non limitative. Il est ajouté : 'Toutes autres opérations non définies ci-dessus relèvent du pouvoir exclusif du président'.

6. Il résulte du rapport d'ouverture de la liquidation judiciaire de la société SPBC, établi le 18 novembre 2021 par Maître [L] [H], liquidateur qui a reçu M. [Y] [K] alors qu'il avait convoqué Mme [K] [O], que 'la présidence de la société a été confiée à Madame [E] [K] qui se chargeait de la partie administrative tandis que son époux est devenu directeur général de la structure et travaillait sur le terrain. La société a prospéré normalement pendant de nombreuses années. Fort de leur succès et pour asseoir leur position, les époux [K] ont monté en mars 1998 la Sarl 3T Construction pour réaliser les travaux de la société SBPC en sous-traitance. Au fur et à mesure, les rôles se sont inversés et la société SPBC est devenue la sous-traitante de la Sarl 3T Construction (montant de la sous-traitance de 475 462,79 € en 2020 et 898 691,08 € en 2019) [...] En 2010, suite au retrait de Monsieur [X] [K], son fils Monsieur [Y] [K] lui a succédé à la tête de la Sarl 3T Construction et est en parallèle devenu directeur général de la société SBPC toujours présidée par Madame [K]'. M. [Y] [K] a déclaré la cessation de paiement tant de la Sarl 3T Construction dont il était le gérant et de la Sas SBPC, eût-il eu un pouvoir de sa mère pour cette dernière démarche. Il avait la signature sur les comptes ouverts au nom de la SBPC dans trois établissements bancaires.

7. Gérant non salarié et associé minoritaire de la société 3T Construction et caution de celle-ci de deux engagements bancaires à hauteur respectivement de 480 000 euros et 360.000 euros, M. [Y] [K] avait en cette qualité de gérant signé des conventions de refacturation d'intérimaires à la société SBPC pour 365 522 euros et de béton pour 223 760 euros au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2019 (rapport spécial du gérant sur les conventions visées par l'article L. 223-19 du code de commerce).

8. Il résulte de ses derniers bulletins de salaires que M. [Y] [K], mentionnant une ancienneté de 22 ans et demi pour être entré dans l'entreprise SBPC le 4 janvier 1999, percevait un salaire net avant impôt sur le revenu de 7 160,85 euros par mois en qualité de conducteur de travaux, position B, échelon 2, coefficient 108 relevant de la convention collective du Bâtiment (Cadres), ayant bénéficié d'un avenant daté du 31 janvier 2007 au contrat de travail du 4 janvier 1999 qui portait, selon les énonciations de cet avenant, sur un emploi de chef de chantier, statut Etam pour lequel il n'est pas produit le contrat de travail initial. Cet avenant produit en pièce n° 3 du dossier de l'intimé précise que M. [K] percevrait une rémunération 'forfaitaire' de 3 000 euros pour l'exercice de ses nouvelles fonctions de conducteur de travaux à compter du 1er février 2007 sans que l'appelant apporte les justificatifs expliquant le montant du salaire qu'il percevait à la date du licenciement alors que la décision des associés datée du 19 novembre 2015 le nommant directeur général et produite en pièce n° 4 avait précisé qu'il ne bénéficierait pas d'une augmentation de rémunération liée à ses fonctions de direction.

8.1. Cette dernière pièce produite par Pôle Emploi, signée par Mme [K] pour elle-même et en représentation des deux autres associés, mentionne : 'M. [K] conserve au titre duquel il perçoit une rémunération nette mensuelle de 7.500 euros payable sur 12 mois. Il continue à bénéficier des avantages sociaux au même titre que tous les salariés de la société. Il ne sera pas rémunéré pour l'exercice de son mandat de Directeur Général. Il aura droit, sur justificatifs, au remboursement de ses frais de déplacement et de représentation engendrés pour l'exercice des fonctions de Directeur Générale dans l'intérêt de la société'. Pôle Emploi indique que cette pièce avait été transmise à ses services dans le cadre de l'étude des droits de M. [K] et que la version communiquée au greffe du tribunal de commerce ne porte pas cette mention (pièce n° 5 du dossier de l'appelant).

8.2. M. [K] affirme dans ses écritures que le document qu'il suppose avoir été transmis à Pôle Emploi par le mandataire liquidateur est 'vraisemblablement' l'original que l'appelant produit en copie en pièce 32 de son dossier et que le document publié n'est qu'un extrait de ce procès-verbal ainsi que cela est mentionné sur ce document, l'avocate de la société SPBC attestant dans la présente procédure avoir établi cet extrait en ne faisant figurer que les éléments indispensables à la réalisation des formalités de publicité consécutives à la nomination du directeur général 'comme il est d'usage en droit des sociétés [...] les dirigeants n'appréciant guère que certains éléments et notamment leur rémunération puissent être établis sur ces sites', l'attestante faisant référence à Infogreffe et Pappers.

8.3. En tout état de cause, M. [K] qui produit en phase d'appel trois bulletins de son salaire dont le plus ancien date du 1er février 2015 mentionnant un salaire net mensuel de 7.500,01 euros, n'apporte aucune précision sur l'évolution de sa rémunération antérieure à 2007 concernant un emploi non documenté et l'articulation des mentions figurant sur l'avenant de 2007 et le salaire perçu depuis.

9. Dans le questionnaire relatif à la définition de la fonction occupée que Pôle Emploi a demandé à M. [K] de remplir, ce dernier avait, le 15 février 2022, coché la case 'non' à la question : 'Receviez-vous des instructions dans le cadre de vos activités ''. Il a répondu 'oui' aux questions suivantes : 'deviez-vous organiser l'activité de l'entreprise '', 'engagez-vous le personnel '', 'disposiez-vous d'un pouvoir disciplinaire '', 'élaboriez-vous le budget de l'entreprise '' tout en indiquant qu'il devait rendre compte à Mme [K].

10. L'attestation dactylographiée de Mme [K] et ne portant pas toutes les mentions exigées par l'article 202 du code de procédure civile, assure que son fils 'n'a jamais défini la politique générale de la société, n'a jamais pris part à la signature des contrats conclus au nom et pour le compte de la société. Il n'a jamais généré la comptabilité, ni procéder à l'arrêté de compte de la Société. Il n'a même jamais eu la signature bancaire de la Société, ni disposé des pouvoirs pour signer le moindre chèque ou engagement bancaire pour la Société. Ses pouvoirs étaient strictement limités à me seconder dans la gestion du personnel sur les chantiers quand c'était nécessaire et en sus de l'exécution de son contrat de travail' (attestation datée du 14 décembre 2021, pièce n° 14 du dossier de l'appelant). S'il n'est pas discuté que Mme [K] a pu exercer du vivant de son mari et même après le décès de ce dernier des pouvoirs administratifs au sein de la société, les affirmations contenues dans cette attestation sont contredites par les constatations qui précèdent spécialement sur les délégations de signature reçues notamment en matière bancaire ou sur l'exercice complet des attributions de l'employeur.

11. Enfin, s'il n'est pas contestable que M. [K] avait les compétences pour participer à des réunions de chantier et que s'il n'existait pas de liens capitalistiques directs entre la société SBPC et la société 3T Construction, il ressort des pièces produites au dossier l'existence d'une communauté d'associés, d'un fondateur commun qui était le père de M. [K], de conventions démontrant des liens économiques constatés par le mandataire liquidateur qui avait reçu M. [Y] [K] avec l'avocat de ce dernier.

12. Il suit du tout que, compte tenu du contexte familial de cette société dont l'historique est décrit par le mandataire liquidateur dans son rapport à la juridiction commerciale, après entretien avec M. [K] lui-même, que la fonction salariée qui a pu exister aux débuts de son activité au sein de l'entreprise, n'a pu subsister, perdant les éléments constitutifs de sa qualification juridique, tant en raison du niveau de rémunération inusité dans la classification déclarée que de la situation de dépendance économique inversée entre la société au sein de laquelle il était devenu le directeur général et la société dont il était le gérant et caution personnelle, devenant ainsi de fait un donneur d'ordre rendant illusoire le lien de subordination à l'égard de la présidente de la société SBPC et mère de l'intéressé. Même en qualité d'associé minoritaire, M. [K] qui certes possédait des compétences techniques conformes à l'emploi apparent, disposait des outils de gestion pour exercer les pouvoirs de fait les plus larges en matière commerciale, sociale et bancaire rendant sans portée effective les réserves écrites tant dans l'avenant de 2007 que dans sa nomination de 2015, selon lesquelles il exercerait ses pouvoirs sous l'autorité et dans le cadre des instructions données par son supérieur hiérarchique.

13. Ainsi, la cour relevant l'émancipation de M. [K] des contraintes imposées pour l'exécution du travail, et l'absence de subordination juridique effective à la date du licenciement, infirmera donc le jugement en toutes ses dispositions en rejetant la demande d'annulation de la décision de Pôle Emploi du 4 avril 2022 ayant refusé à M. [Y] [K] le bénéfice des allocations d'aide au retour à l'emploi.

14. Sur la demande de retrait de passages des conclusions de Pôle Emploi que M. [K] estime être injurieux et diffamatoires à son égard et la demande subséquente en paiement de dommages et intérêts à ce titre, il convient de rappeler à titre liminaire que la possibilité pour une juridiction de prononcer la suppression des termes outrageants, diffamatoire ou injurieux tenus à l'audience ou dans les conclusions des parties, en vertu des dispositions de l'article 41, al. 5 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, impose au juge de rechercher si les propos, aussi graves fussent-ils, sont étrangers à la cause pour pouvoir en déduire qu'ils échappent au champ de l'immunité judiciaire édictée par ce texte et peuvent entrainer réparation (Civ. 1ère, 25 févr. 2016, n° 15-12.150 - Civ., 1ère, 28 septembre 2022, n° 20-16.139). Les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1240 du code civil (Civ., 1ère, 7 décembre 2016, n° 15-27.755).

14.1. En l'espèce, il s'agit de l'évocation dans les conclusions de Pôle Emploi du caractère falsifié d'un document qui lui a été communiqué dans le cadre de l'étude des droits de M. [K] au titre de l'éligibilité revendiquée par ce dernier aux allocations d'aide au retour à l'emploi, en comparaison avec une pièce ayant le même objet et versée au dossier de la procédure judiciaire au cours de laquelle la sincérité de la pièce litigieuse a été débattue. L'arrêt produit par M. [K] en pièce n° 31 de son dossier et visant l'article 41 précité ne censure une décision de cour d'appel que pour avoir rejeté une demande de retrait au seul motif que les conclusions antérieures portant les propos argués de diffamation étaient réputées abandonnées par les dernières conclusions qui ne les reprenaient pas, référence jurisprudentielle sans portée sur l'analyse du bien fondé de la demande dans le présent dossier.

14.2. Il suit de ce seul constat que les allégations prétendument diffamatoires imputées à Pôle Emploi dans des conclusions déposées devant la cour d'appel ne sont nullement étrangères à la cause de sorte qu'en pareille circonstance, M. [K] doit être débouté de sa demande de retrait et de condamnation à des dommages et intérêts.

15. Par l'effet de l'infirmation totale du jugement entrepris rendant sans objet la réouverture des débats ordonnée par le premier juge, la cour met fin à l'instance introduite par M. [K] de sorte que la demande d'évocation est elle-même devenue sans objet.

16. M. [Y] [K], partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, sera condamné aux dépens de de première instance et d'appel.

17. Pôle Emploi devenu France Travail est en droit de réclamer l'indemnisation des frais non compris dans les dépens qu'il a été contraint d'exposer. M. [K] sera condamné à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [K], tenu aux entiers dépens, ne peut prétendre au bénéfice de ces mêmes dispositions.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 15 mai 2023 par le tribunal judiciaire de Toulouse.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute M. [Y] [K] de sa demande d'annulation de la décision de Pôle Emploi du 4 avril 2022 lui ayant refusé le bénéfice des allocations d'aide au retour à l'emploi et de l'ensemble de ses demandes subséquentes au titre de ces allocations et en paiement de dommages et intérêts.

Déboute M. [Y] [K] de sa demande aux fins de retrait de passages des conclusions de Pôle Emploi devenu France Travail et en paiement de dommages et intérêts.

Condamne M. [Y] [K] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Condamne M. [Y] [K] à payer à Pôle Emploi devenu France Travail, la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.

La greffière Le président

M. POZZOBON M. DEFIX

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