CA Montpellier, ch. com., 18 mars 2025, n° 24/03677
MONTPELLIER
Arrêt
Autre
ARRÊT n°
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 18 MARS 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 24/03677 - N° Portalis DBVK-V-B7I-QJ6Z
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance du 20 JUIN 2024
TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER
N° RG 2023 021215
APPELANTE :
HOLDING SAS [T] prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social
[Adresse 9]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Célia VILANOVA, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Philippe SENMARTIN de la SELARL CSA, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMES :
Monsieur [P] [E]
né le [Date naissance 2] 1977 à [Localité 7] (34)
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Maxime ASCENCIO, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Fabrice BABOIN de la SELARL PVB SOCIÉTÉ D'AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER
Madame [B] [V]
née le [Date naissance 3] 1982 à [Localité 7] (34)
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Maxime ASCENCIO, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Fabrice BABOIN de la SELARL PVB SOCIÉTÉ D'AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 28 Janvier 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 FEVRIER 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
M. Fabrice VETU, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Audrey VALERO
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Audrey VALERO, greffière.
FAITS ET PROCEDURE':
Par acte sous-seing-privé en date du 14 novembre 2022, M. [P] [E] et Mme [B] [V] ont cédé à la S.A.S. Holding [T] la totalité des 747 actions qu'ils détenaient au sein de la S.A.S. Pro Mad, sous la réalisation de plusieurs conditions suspensives.
Le 1er janvier 2023, M. [E] et Mme [V] ont signé avec Mme [Z] [T], présidente de la société Holding [T], un protocole de cession des actions de la société Pro Mad au prix de 390'000 euros, déterminé sur la base du bilan arrêté au 31 décembre 2021 faisant ressortir un montant de capitaux propres de 400'690 euros.
Par assemblée générale extraordinaire du 1er janvier 2023, les associés de la société pro Mad ont agréé la cession de leurs titres et la désignation de Mme [T] en qualité de présidente de la société Pro Mad.
Par exploit du 5 juin 2023, la société Pro Mad a fait assigner M. [E] et Mme [V] devant le tribunal de commerce de Montpellier aux fins de voir juger que M. [E] a commis des fautes de gestion et condamner au paiement de la somme de 121'613, 74 euros sur les exercices 2020 à 2022, et ordonner une expertise judiciaire comptable et financière sur tous les exercices depuis la création de la société Pro Mad.
Cette assignation a donné lieu à un jugement du 29 novembre 2023 qui a notamment':
- dit que l'action en responsabilité n'est pas prescrite,
- dit que si l'ensemble des documents comptables et financiers de la société Pro Mad ont été transférés à Mme [T], en sa qualité de présidente de la société depuis le 1er janvier 2023, seul un audit comptable contradictoire permet de révéler la valeur des capitaux propres au 31 décembre 2022,
- dit qu'en l'état de l'audit non contradictoire diligenté par la société d'expertise comptable Imex, le tribunal ne peut pas statuer sur le fond de ce litige dans cette instance, savoir, si M. [E] n'aurait pas pu dissimuler les faits qui lui sont reprochés à sa propre société qui ont affecté la valeur des capitaux propres,
- dit recevable et bien fondée la demande d'expertise judiciaire sollicitée par la société Pro Mad,
- rejeté la demande d'expertise judiciaire sur la période du 27 mars 2010 au 14 février 2023 et limité l'examen des comptes arrêtés au 31 décembre aux seules années des exercices clos de 2020, 2021 et 2022 ;
- ordonné une expertise et désignera pour y procéder un expert spécialisé en matière comptable et financières.
Auparavant et en parallèle, par exploit d'huissier du 19 octobre 2023, la société Holding [T], estimant que le bilan au regard duquel avait été fixé le prix de cession était erroné et que M. [E] avait, en sa qualité de président, usé des fonds de la société à des fins personnelles, a assigné M. [E] et Mme [V] en référé-expertise avec pour mission donnée à l'expert d'arrêter la situation comptable de la société Pro Mad à la date de cession de cette dernière.
Par ordonnance de référé du 20 juin 2024, le délégataire du président du tribunal de commerce de Montpellier a':
- débouté M. [E] et Mme [V] de leur demande de nullité de l'assignation du 19 octobre 2023 délivrée aux intérêts de la société Holding [T]';
- déclaré irrecevables les demandes de la société Holding [T] en raison de la violation de la clause de médiation préalable prévue à l'acte de cession des titres de la société Pro Mad du 1er janvier 2023 ;
- débouté la société Holding [T] de l'ensemble de ses demandes y compris les demandes faites au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
- et laissé les dépens à la charge de M. [E] et Mme [V].
Par déclaration du 15 juillet 2024, la société Holding [T] a relevé appel limité de cette ordonnance, en ce qu'elle a déclaré irrecevables ses demandes en raison de la violation de la clause de médiation préalable prévue à l'acte de cession des titres de la société Pro Mad du 1er janvier 2023 et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes y compris les demandes faites au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions du 27 janvier 2025, la SAS Holding [T] demande à la cour, au visa de l'article 1103 du code civil et de l'article 145 du code de procédure civile :
- d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré irrecevables ses demandes en raison de la violation de la clause de médiation préalable prévue à l'acte de cession des titres de la société Pro Mad du 1er janvier 2023, et l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes';
- de déclarer ses demandes recevables ;
- de nommer tel expert-comptable qu'il plaira à la cour avec pour mission'd'établir définitivement la situation comptable de la société Pro Mad à arrêter à la date de cession des actions de cette dernière ;
- de dire que l'expert rendra ses conclusions dans les trente jours de sa saisine, sans recours possible';
- de déterminer le montant de la provision à valoir sur les frais d'expertise ;
- de débouter M. [P] [E] et Mme [B] [V] de l'ensemble de leurs demandes ;
- et de les condamner à lui payer la somme de 7'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions du 17 janvier 2025, formant appel incident, M. [P] [E] et Mme [B] [V] demandent à la cour, au visa des articles 32-1, 56, 112 et suivants, 122 et suivants, 143 et suivants du code de procédure civile et de l'article 1240 du code civil':
In limine litis,
- d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle les a déboutés de leur demande de nullité de l'assignation du 19 octobre 2023';
- de la déclarer nulle l'assignation et l'ordonnance entreprise';
À titre principal,
- de confirmer en conséquence l'ordonnance entreprise pour le surplus';
- de juger que les demandes de la société Holding [T] sont formulées en violation d'une clause de règlement amiable préalable des différends inscrite à l'acte de cession';
- de juger qu'elle se contredit à leur détriment';
- de déclarer irrecevables ses demandes sans examen au fond';
À titre subsidiaire,
- de juger que sa demande d'expertise présentée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile est dépourvue de motifs légitimes'et qu'elle est indissociable de l'expertise judiciaire en cours ordonnée sur demande de la société Pro Mad';
- de la débouter en conséquence de l'ensemble de ses demandes';
Et en tout état de cause,
- de la condamner à leur payer la somme de 5'000 euros en réparation de leur préjudice moral tiré de l'abus de son droit d'action'et celle de 5'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est datée du 28 janvier 2025.
MOTIFS :
Sur la nullité de l'assignation
La société Holding [T] a fait délivrer le 19 octobre 2023 à M. [E] et Mme [V] une assignation en référé devant le président du tribunal de commerce de Montpellier en sollicitant la désignation d'un expert-comptable avec pour mission d'arrêter à la date de cession de la société Pro Mad la situation comptable de cette dernière.
Or, d'une part, si l'assignation ne contient effectivement aucun fondement juridique, les intimés ne démontrent pas qu'un grief en serait résulté dans la mesure où la société Holding [T] a précisé le fondement juridique de sa demande dès ses premières conclusions en réponse, en invoquant l'article 145 du code de procédure civile.
D'autre part, la procédure de référé était explicitement mentionnée dans l'assignation du 19 octobre 2023, contrairement à ce que soutiennent les intimés.
Il en résulte que les intimés ont pu utilement organiser leur défense, de sorte que l'assignation n'encourt aucun motif de nullité.
La décision sera confirmée.
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'absence de médiation préalable
Le protocole de cession des titres de la société Pro Mad contient une clause de médiation aux termes de laquelle :
«'Tout différend qui naîtrait de l'interprétation, de l'exécution, de l'inexécution, ou des suites, ou conséquences de la présente convention, sera soumis à médiation, préalablement à toute action judiciaire ou arbitrale'».
Cependant, la société Holding [T] sollicite une expertise in futurum et la désignation d'un expert-comptable pour arrêter la situation comptable de la société à la date de la cession.
Elle ne conteste donc pas le prix de cession des actions qui a été fixé dans le protocole de cession à la somme de 390'000 euros, puisqu'elle demande uniquement la vérification de l'exactitude du bilan comptable qui a permis de déterminer ce prix de cession.
Ainsi, sa demande d'expertise est dissociée de tout litige ou de tout différend au sens de la clause de médiation'précitée, en ce qu'elle ne concerne pas le prix de cession des actions qui n'est, à ce stade, pas contesté.
En outre, de manière générale, une clause de médiation préalable ne fait pas obstacle à une demande d'expertise fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, c'est-à-dire in futurum, avant tout procès.
Or, la procédure initiée par l'acte introductif d'instance du 5 janvier 2023 qui a donné lieu au jugement du 29 novembre 2023, concerne les allégations de fautes de gestion de M. [E] dans l'utilisation des capitaux propres de la société Pro Mad, et non pas la fixation du prix de cession des actions de cette dernière société.
Elle ne concerne donc pas le même litige, même si les opérations d'expertise peuvent avoir le même objet que celui de la présente procédure.
Il n'existe ainsi pas de procès en cours faisant obstacle à la demande d'expertise in futurum présentée par la société Holding [T].
De surcroît, la société Holding [T] possède un intérêt et un motif légitimes à l'organisation d'une telle mesure d'expertise comptable puisque, comme rappelé, le prix de cession des actions a été fixé sur la base du bilan arrêté à la date du 31 décembre 2021.
En outre, l'expertise qui a été ordonnée par le tribunal de commerce de Montpellier à la demande de la société Pro Mad et qui porte effectivement également sur le bilan arrêté à la date du 31 décembre 2021 ne concerne pas les mêmes parties, de sorte qu'elle ne fait pas double emploi avec celle sollicitée par la société Holding [T] dans le cadre de la présente procédure.
Enfin, les intimés sont défaillants à démontrer que l'appelante méconnaîtrait dans ses écritures le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui, et qu'ils auraient été induits en erreur sur ses intentions.
En effet, la société Holding [T] n'invoque dans la présente instance que la nécessité de vérifier la réalité du bilan comptable de la société Pro Mad qui a permis de déterminer le prix de cession des actions de cette dernière société, et non pas un préjudice devant être réparé du fait des fautes commises par M. [E] qui fait l'objet de l'instance distincte ayant donné lieu au jugement du 29 novembre 2023.
Aucun manquement à un principe de loyauté procédurale du fait de la société Holding [T] leur faisant grief n'est ainsi établi.
En conséquence, la fin de non-recevoir soulevée par les intimés et tenant à l'irrecevabilité de la demande d'expertise présentée par la société Holding [T] sera rejetée.
Il convient d'ordonner une mesure d'expertise comptable sollicitée.
L'ordonnance sera infirmée.
L'expertise étant ordonnée à la demande de la société Holding [T] et dans son intérêt pour lui permettre ultérieurement et éventuellement d'engager une action, il y a lieu de mettre à sa charge les dépens de la procédure de référé.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement,
Infirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Ordonne une expertise judiciaire de la situation comptable de la S.A.S. Pro Mad arrêtée à la date de cession des actions de cette dernière,
Commet pour y procéder M. [R] [Y], expert-comptable,
[Adresse 5] à [Localité 8],
lequel aura pour mission, dans le respect du contradictoire, de se faire communiquer tous documents et pièces utiles, le cas échéant en produisant le présent arrêt,
Dit que l'expert accomplira sa mission conformément aux articles 232 à 248 et 263 à 284-1 du code de procédure civile et qu'il déposera un rapport de ses opérations au greffe de la cour d'appel de Montpellier avant le 30 novembre 2025,
Dit que lors de la première ou, au plus tard, de la deuxième réunion des parties, l'expert dressera un programme de ses investigations et évaluera d'une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et de ses débours et qu'à l'issue de cette réunion, l'expert fera connaître au juge et aux parties la somme globale qui lui paraît nécessaire pour garantir la totalité du recouvrement de ses honoraires et de ses débours'; il sollicitera, le cas échéant, le versement d'une consignation complémentaire, après avoir laissé aux parties un délai de quinze jours, après réception de sa demande, pour faire valoir leurs éventuelles observations'écrites,
Dit que l'expert déposera un pré-rapport, document remis aux parties ou à leurs conseils pour leurs éventuels dires ou observations à formuler dans un délai impératif et y apporter une réponse techniquement motivée dans son rapport,
Dit que l'expert est autorisé à s'adjoindre tout technicien de son choix dans une spécialité autre que la sienne et à se faire assister dans l'accomplissement de sa mission par la personne de son choix qui intervient sous son contrôle et sa responsabilité,
Dit que l'expertise aura lieu aux frais avancés de la S.A.S. Holding [T] qui consignera au greffe de la cour, avant le 30 mai 2025, la somme de 4'000 euros à titre de provision à valoir sur les frais et horaires de l'expert,
Rappelle qu'à défaut de consignation dans le délai et selon les modalités imparties, la désignation de l'expert sera caduque à moins que le juge, à la demande d'une des parties se prévalant d'un motif légitime, ne décide une prorogation ou un relevé de la caducité,
Désigne le président la chambre commerciale de la cour ou tout délégataire à l'effet de contrôler l'exécution de la présente mesure d'instruction,
Condamne la S.A.S. Holding [T] aux dépens de première instance et d'appel,
Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
le greffier, la présidente,
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 18 MARS 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 24/03677 - N° Portalis DBVK-V-B7I-QJ6Z
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance du 20 JUIN 2024
TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER
N° RG 2023 021215
APPELANTE :
HOLDING SAS [T] prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social
[Adresse 9]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Célia VILANOVA, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Philippe SENMARTIN de la SELARL CSA, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMES :
Monsieur [P] [E]
né le [Date naissance 2] 1977 à [Localité 7] (34)
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Maxime ASCENCIO, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Fabrice BABOIN de la SELARL PVB SOCIÉTÉ D'AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER
Madame [B] [V]
née le [Date naissance 3] 1982 à [Localité 7] (34)
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Maxime ASCENCIO, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Fabrice BABOIN de la SELARL PVB SOCIÉTÉ D'AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 28 Janvier 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 FEVRIER 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
M. Fabrice VETU, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Audrey VALERO
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Audrey VALERO, greffière.
FAITS ET PROCEDURE':
Par acte sous-seing-privé en date du 14 novembre 2022, M. [P] [E] et Mme [B] [V] ont cédé à la S.A.S. Holding [T] la totalité des 747 actions qu'ils détenaient au sein de la S.A.S. Pro Mad, sous la réalisation de plusieurs conditions suspensives.
Le 1er janvier 2023, M. [E] et Mme [V] ont signé avec Mme [Z] [T], présidente de la société Holding [T], un protocole de cession des actions de la société Pro Mad au prix de 390'000 euros, déterminé sur la base du bilan arrêté au 31 décembre 2021 faisant ressortir un montant de capitaux propres de 400'690 euros.
Par assemblée générale extraordinaire du 1er janvier 2023, les associés de la société pro Mad ont agréé la cession de leurs titres et la désignation de Mme [T] en qualité de présidente de la société Pro Mad.
Par exploit du 5 juin 2023, la société Pro Mad a fait assigner M. [E] et Mme [V] devant le tribunal de commerce de Montpellier aux fins de voir juger que M. [E] a commis des fautes de gestion et condamner au paiement de la somme de 121'613, 74 euros sur les exercices 2020 à 2022, et ordonner une expertise judiciaire comptable et financière sur tous les exercices depuis la création de la société Pro Mad.
Cette assignation a donné lieu à un jugement du 29 novembre 2023 qui a notamment':
- dit que l'action en responsabilité n'est pas prescrite,
- dit que si l'ensemble des documents comptables et financiers de la société Pro Mad ont été transférés à Mme [T], en sa qualité de présidente de la société depuis le 1er janvier 2023, seul un audit comptable contradictoire permet de révéler la valeur des capitaux propres au 31 décembre 2022,
- dit qu'en l'état de l'audit non contradictoire diligenté par la société d'expertise comptable Imex, le tribunal ne peut pas statuer sur le fond de ce litige dans cette instance, savoir, si M. [E] n'aurait pas pu dissimuler les faits qui lui sont reprochés à sa propre société qui ont affecté la valeur des capitaux propres,
- dit recevable et bien fondée la demande d'expertise judiciaire sollicitée par la société Pro Mad,
- rejeté la demande d'expertise judiciaire sur la période du 27 mars 2010 au 14 février 2023 et limité l'examen des comptes arrêtés au 31 décembre aux seules années des exercices clos de 2020, 2021 et 2022 ;
- ordonné une expertise et désignera pour y procéder un expert spécialisé en matière comptable et financières.
Auparavant et en parallèle, par exploit d'huissier du 19 octobre 2023, la société Holding [T], estimant que le bilan au regard duquel avait été fixé le prix de cession était erroné et que M. [E] avait, en sa qualité de président, usé des fonds de la société à des fins personnelles, a assigné M. [E] et Mme [V] en référé-expertise avec pour mission donnée à l'expert d'arrêter la situation comptable de la société Pro Mad à la date de cession de cette dernière.
Par ordonnance de référé du 20 juin 2024, le délégataire du président du tribunal de commerce de Montpellier a':
- débouté M. [E] et Mme [V] de leur demande de nullité de l'assignation du 19 octobre 2023 délivrée aux intérêts de la société Holding [T]';
- déclaré irrecevables les demandes de la société Holding [T] en raison de la violation de la clause de médiation préalable prévue à l'acte de cession des titres de la société Pro Mad du 1er janvier 2023 ;
- débouté la société Holding [T] de l'ensemble de ses demandes y compris les demandes faites au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
- et laissé les dépens à la charge de M. [E] et Mme [V].
Par déclaration du 15 juillet 2024, la société Holding [T] a relevé appel limité de cette ordonnance, en ce qu'elle a déclaré irrecevables ses demandes en raison de la violation de la clause de médiation préalable prévue à l'acte de cession des titres de la société Pro Mad du 1er janvier 2023 et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes y compris les demandes faites au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions du 27 janvier 2025, la SAS Holding [T] demande à la cour, au visa de l'article 1103 du code civil et de l'article 145 du code de procédure civile :
- d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré irrecevables ses demandes en raison de la violation de la clause de médiation préalable prévue à l'acte de cession des titres de la société Pro Mad du 1er janvier 2023, et l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes';
- de déclarer ses demandes recevables ;
- de nommer tel expert-comptable qu'il plaira à la cour avec pour mission'd'établir définitivement la situation comptable de la société Pro Mad à arrêter à la date de cession des actions de cette dernière ;
- de dire que l'expert rendra ses conclusions dans les trente jours de sa saisine, sans recours possible';
- de déterminer le montant de la provision à valoir sur les frais d'expertise ;
- de débouter M. [P] [E] et Mme [B] [V] de l'ensemble de leurs demandes ;
- et de les condamner à lui payer la somme de 7'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions du 17 janvier 2025, formant appel incident, M. [P] [E] et Mme [B] [V] demandent à la cour, au visa des articles 32-1, 56, 112 et suivants, 122 et suivants, 143 et suivants du code de procédure civile et de l'article 1240 du code civil':
In limine litis,
- d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle les a déboutés de leur demande de nullité de l'assignation du 19 octobre 2023';
- de la déclarer nulle l'assignation et l'ordonnance entreprise';
À titre principal,
- de confirmer en conséquence l'ordonnance entreprise pour le surplus';
- de juger que les demandes de la société Holding [T] sont formulées en violation d'une clause de règlement amiable préalable des différends inscrite à l'acte de cession';
- de juger qu'elle se contredit à leur détriment';
- de déclarer irrecevables ses demandes sans examen au fond';
À titre subsidiaire,
- de juger que sa demande d'expertise présentée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile est dépourvue de motifs légitimes'et qu'elle est indissociable de l'expertise judiciaire en cours ordonnée sur demande de la société Pro Mad';
- de la débouter en conséquence de l'ensemble de ses demandes';
Et en tout état de cause,
- de la condamner à leur payer la somme de 5'000 euros en réparation de leur préjudice moral tiré de l'abus de son droit d'action'et celle de 5'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est datée du 28 janvier 2025.
MOTIFS :
Sur la nullité de l'assignation
La société Holding [T] a fait délivrer le 19 octobre 2023 à M. [E] et Mme [V] une assignation en référé devant le président du tribunal de commerce de Montpellier en sollicitant la désignation d'un expert-comptable avec pour mission d'arrêter à la date de cession de la société Pro Mad la situation comptable de cette dernière.
Or, d'une part, si l'assignation ne contient effectivement aucun fondement juridique, les intimés ne démontrent pas qu'un grief en serait résulté dans la mesure où la société Holding [T] a précisé le fondement juridique de sa demande dès ses premières conclusions en réponse, en invoquant l'article 145 du code de procédure civile.
D'autre part, la procédure de référé était explicitement mentionnée dans l'assignation du 19 octobre 2023, contrairement à ce que soutiennent les intimés.
Il en résulte que les intimés ont pu utilement organiser leur défense, de sorte que l'assignation n'encourt aucun motif de nullité.
La décision sera confirmée.
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'absence de médiation préalable
Le protocole de cession des titres de la société Pro Mad contient une clause de médiation aux termes de laquelle :
«'Tout différend qui naîtrait de l'interprétation, de l'exécution, de l'inexécution, ou des suites, ou conséquences de la présente convention, sera soumis à médiation, préalablement à toute action judiciaire ou arbitrale'».
Cependant, la société Holding [T] sollicite une expertise in futurum et la désignation d'un expert-comptable pour arrêter la situation comptable de la société à la date de la cession.
Elle ne conteste donc pas le prix de cession des actions qui a été fixé dans le protocole de cession à la somme de 390'000 euros, puisqu'elle demande uniquement la vérification de l'exactitude du bilan comptable qui a permis de déterminer ce prix de cession.
Ainsi, sa demande d'expertise est dissociée de tout litige ou de tout différend au sens de la clause de médiation'précitée, en ce qu'elle ne concerne pas le prix de cession des actions qui n'est, à ce stade, pas contesté.
En outre, de manière générale, une clause de médiation préalable ne fait pas obstacle à une demande d'expertise fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, c'est-à-dire in futurum, avant tout procès.
Or, la procédure initiée par l'acte introductif d'instance du 5 janvier 2023 qui a donné lieu au jugement du 29 novembre 2023, concerne les allégations de fautes de gestion de M. [E] dans l'utilisation des capitaux propres de la société Pro Mad, et non pas la fixation du prix de cession des actions de cette dernière société.
Elle ne concerne donc pas le même litige, même si les opérations d'expertise peuvent avoir le même objet que celui de la présente procédure.
Il n'existe ainsi pas de procès en cours faisant obstacle à la demande d'expertise in futurum présentée par la société Holding [T].
De surcroît, la société Holding [T] possède un intérêt et un motif légitimes à l'organisation d'une telle mesure d'expertise comptable puisque, comme rappelé, le prix de cession des actions a été fixé sur la base du bilan arrêté à la date du 31 décembre 2021.
En outre, l'expertise qui a été ordonnée par le tribunal de commerce de Montpellier à la demande de la société Pro Mad et qui porte effectivement également sur le bilan arrêté à la date du 31 décembre 2021 ne concerne pas les mêmes parties, de sorte qu'elle ne fait pas double emploi avec celle sollicitée par la société Holding [T] dans le cadre de la présente procédure.
Enfin, les intimés sont défaillants à démontrer que l'appelante méconnaîtrait dans ses écritures le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui, et qu'ils auraient été induits en erreur sur ses intentions.
En effet, la société Holding [T] n'invoque dans la présente instance que la nécessité de vérifier la réalité du bilan comptable de la société Pro Mad qui a permis de déterminer le prix de cession des actions de cette dernière société, et non pas un préjudice devant être réparé du fait des fautes commises par M. [E] qui fait l'objet de l'instance distincte ayant donné lieu au jugement du 29 novembre 2023.
Aucun manquement à un principe de loyauté procédurale du fait de la société Holding [T] leur faisant grief n'est ainsi établi.
En conséquence, la fin de non-recevoir soulevée par les intimés et tenant à l'irrecevabilité de la demande d'expertise présentée par la société Holding [T] sera rejetée.
Il convient d'ordonner une mesure d'expertise comptable sollicitée.
L'ordonnance sera infirmée.
L'expertise étant ordonnée à la demande de la société Holding [T] et dans son intérêt pour lui permettre ultérieurement et éventuellement d'engager une action, il y a lieu de mettre à sa charge les dépens de la procédure de référé.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement,
Infirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Ordonne une expertise judiciaire de la situation comptable de la S.A.S. Pro Mad arrêtée à la date de cession des actions de cette dernière,
Commet pour y procéder M. [R] [Y], expert-comptable,
[Adresse 5] à [Localité 8],
lequel aura pour mission, dans le respect du contradictoire, de se faire communiquer tous documents et pièces utiles, le cas échéant en produisant le présent arrêt,
Dit que l'expert accomplira sa mission conformément aux articles 232 à 248 et 263 à 284-1 du code de procédure civile et qu'il déposera un rapport de ses opérations au greffe de la cour d'appel de Montpellier avant le 30 novembre 2025,
Dit que lors de la première ou, au plus tard, de la deuxième réunion des parties, l'expert dressera un programme de ses investigations et évaluera d'une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et de ses débours et qu'à l'issue de cette réunion, l'expert fera connaître au juge et aux parties la somme globale qui lui paraît nécessaire pour garantir la totalité du recouvrement de ses honoraires et de ses débours'; il sollicitera, le cas échéant, le versement d'une consignation complémentaire, après avoir laissé aux parties un délai de quinze jours, après réception de sa demande, pour faire valoir leurs éventuelles observations'écrites,
Dit que l'expert déposera un pré-rapport, document remis aux parties ou à leurs conseils pour leurs éventuels dires ou observations à formuler dans un délai impératif et y apporter une réponse techniquement motivée dans son rapport,
Dit que l'expert est autorisé à s'adjoindre tout technicien de son choix dans une spécialité autre que la sienne et à se faire assister dans l'accomplissement de sa mission par la personne de son choix qui intervient sous son contrôle et sa responsabilité,
Dit que l'expertise aura lieu aux frais avancés de la S.A.S. Holding [T] qui consignera au greffe de la cour, avant le 30 mai 2025, la somme de 4'000 euros à titre de provision à valoir sur les frais et horaires de l'expert,
Rappelle qu'à défaut de consignation dans le délai et selon les modalités imparties, la désignation de l'expert sera caduque à moins que le juge, à la demande d'une des parties se prévalant d'un motif légitime, ne décide une prorogation ou un relevé de la caducité,
Désigne le président la chambre commerciale de la cour ou tout délégataire à l'effet de contrôler l'exécution de la présente mesure d'instruction,
Condamne la S.A.S. Holding [T] aux dépens de première instance et d'appel,
Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
le greffier, la présidente,