Cass. 3e civ., 20 mars 2025, n° 23-20.475
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Coheso (SCI)
Défendeur :
QBE Europe (Sté), Saulnier-Ponroy et associés (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
M. Zedda
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SCP Célice, Texidor, Périer
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société civile immobilière Coheso (la SCI) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Concept et décoration et la société Décoration et agencement.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 8 juin 2023), la SCI a confié à la société Décoration et agencement, assurée auprès de la société QBE Insurance Europe Limited, aux droits de laquelle vient la société QBE Europe, des travaux de construction de logements.
3. Elle a également confié à la société Concept étanchéité des travaux de construction d'une piscine.
4. Des travaux ont été facturés par la société Concept et décoration.
5. Se plaignant de malfaçons, le maître de l'ouvrage a assigné les sociétés Décoration et agencement, Concept et décoration et QBE Europe, ainsi que la société Saulnier-Ponroy, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Concept étanchéité, aux fins d'indemnisation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. La SCI fait grief à l'arrêt de condamner les seules sociétés Décoration et agencement et Concept et décoration, à l'exclusion de la société QBE Europe, à lui payer une certaine somme en réparation de son préjudice de jouissance, alors « que les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ; qu'en se bornant à énoncer que « au vu des pièces produites aux débats, aucune disposition contractuelle ne permet de mobiliser la garantie de la société QBE Europe dans le cadre de l'indemnisation de ce préjudice de jouissance, qui entre dans le champ des exclusions de garantie stipulées entre les parties », sans préciser quelles clauses elle appliquait ni comment elles étaient libellées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 113-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
7. La cour d'appel a mis la société QBE hors de cause au titre de la garantie décennale mais n'a pas rejeté, dans son dispositif, les autres demandes formées contre cet assureur.
8. Sous le couvert d'un grief de manque de base légale, le moyen critique, en réalité, une omission de statuer qui, pouvant être réparée par application des dispositions de l'article 463 du code de procédure civile, ne donne pas lieu à ouverture à cassation.
9. Le moyen est donc irrecevable.
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
10. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à voir prononcer la réception judiciaire, ou subsidiairement amiable, des travaux et mis en conséquence hors de cause la société QBE Europe au titre de la garantie décennale portant sur les logements concernés, alors « que la réception judiciaire des travaux peut être prononcée dès lors que les travaux sont en état d'être reçus, ce qui, s'agissant d'immeubles d'habitation, suppose seulement que l'immeuble soit habitable ; que la cour d'appel, tenue de déterminer si tel était le cas, ne pouvait se borner à relever pour ce qui concernait les appartements situés au [Adresse 7] "l'absence majoritaire de pose ou de raccordement des sanitaires, un défaut de finition du réseau électrique intérieur, l'absence de système de chauffage" pour considérer, contre l'avis de l'expert, que les appartements n'étaient pas habitables, sans préciser en quoi les défauts relevés interdisaient d'utiliser les lieux comme habitation ; qu'elle a ainsi violé l'article 1792-6 du code civil. »
Réponse de la Cour
11. La cour d'appel a constaté, au vu du rapport d'expertise judiciaire, l'absence majoritaire de pose ou de raccordement des sanitaires, un défaut de finition du réseau électrique intérieur, l'absence de système de chauffage, l'absence de certaines menuiseries/huisseries.
12. Elle a souverainement retenu que l'ampleur de ces seules malfaçons et non-façons, qui s'ajoutaient à de nombreux autres désordres relatifs à la charpente, aux menuiseries, au parquet, à la VMC et aux portes d'entrées empêchait que les appartements et la maison litigieux pussent être considérés comme habitables et, partant, en état d'être reçus.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
14. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à voir prononcer la réception judiciaire, ou subsidiairement amiable, des travaux et mis en conséquence hors de cause la société QBE Europe au titre de la garantie décennale portant sur les logements concernés, alors « que la prise de possession de l'ouvrage et le paiement des travaux font présumer la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de le recevoir avec ou sans réserves ; que dès lors, la cour d'appel ne pouvait comme elle l'a fait, se borner à énoncer que la preuve de la volonté non équivoque de recevoir l'ouvrage n'était pas rapportée, sans s'expliquer sur la prise de possession de l'ouvrage et le paiement des travaux qui étaient invoqués ; qu'elle a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792-6 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1792-6 du code civil :
15. Il est jugé, en application de ce texte, que le paiement de l'intégralité des travaux et la prise de possession par le maître de l'ouvrage valent présomption de réception tacite, laquelle n'est pas subordonnée à l'achèvement de l'ouvrage, mais peut être assortie de réserves.
16. Pour écarter l'existence d'une réception tacite des ouvrages, l'arrêt énonce qu'une telle réception est conditionnée par l'existence d'une volonté non équivoque de la part du maître de l'ouvrage de recevoir l'ouvrage et retient qu'une telle preuve n'est pas rapportée en l'espèce.
17. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la prise de possession des ouvrages et le paiement du montant des travaux réalisés ne laissaient pas présumer la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de recevoir celui-ci en l'état, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
18. La cassation prononcée ne s'étend pas au rejet de la demande de prononcé de la réception judiciaire, dès lors que les motifs censurés ne sont pas le soutien de cette décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société Coheso tendant à voir constater la réception amiable des travaux portant sur quatre logements du [Adresse 7] et sur la maison d'habitation du [Adresse 8], en ce qu'il met hors de cause la société QBE Europe au titre de la garantie décennale portant sur ces logements et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 8 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Condamne la société QBE Europe aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société QBE Europe et la condamne à payer à la société civile immobilière Coheso la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;