CA Paris, Pôle 6 - ch. 4, 19 mars 2025, n° 21/09124
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 4
ARRET DU 19 MARS 2025
(n° /2025, 1 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09124 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CETII
Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Octobre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° F 17/02028
APPELANTE
S.A.S. WABEL, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Sandra OHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050
INTIMEE
Madame [K] [X]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Thibault LAFORCADE, avocat au barreau de BORDEAUX, toque : 37
PARTIES INTERVENANTES
SELARL AXYME prise en la personne de Maître [D] [W] ès qualité de mandataire liquidateur de la société WABEL
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Sandra OHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050
AGS CGEA IDF OUEST agissant en la personne du Directeur Général de l'AGS, Monsieur [Z] [S], dûment habilité à cet effet
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Anne-France DE HARTINGH, avocat au barreau de PARIS, toque : R1861
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Janvier 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sonia NORVAL-GRIVET, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Mme MEUNIER Guillemette, présidente de chambre
Mme NORVAL-GRIVET Sonia, conseillère rédactrice
Mme MARQUES Florence, conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Clara MICHEL
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre, et par Clara MICHEL, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet le 1er juillet 2014, Mme [K] [X] a été embauchée par la société Wabel, spécialisée dans le secteur d'activité de la recherche, développement, et exploitation de services informatiques et internet, en qualité de responsable commercial, statut cadre moyennant un salaire initial de 35 000 euros pour un forfait de 218 jours travaillés par an, hors commissions. Mme [X] disposait d'une rémunération variable définie pour l'année 2014 par un plan de commissionnement annexé à son contrat de travail.
La relation contractuelle était soumise à la convention collective applicable aux salariés des Bureaux d'Études Techniques, des Cabinets d'Ingénieurs-Conseils et des Sociétés de Conseils (SYNTEC).
Par avenant au contrat de travail en date du 28 août 2015, le salaire annuel brut de Mme [X] a été augmenté et est passé à 48 000 euros.
En juillet 2016, Mme [X] a refusé de signer un nouvel avenant à son contrat de travail.
Mme [X] a été en congés du 14 au 22 novembre 2016.
Le barème de commissionnement a été modifié au cours de l'année 2016.
Par courriel du 11 décembre 2016, Mme [X] a refusé de modifier son plan de commissionnement.
Mme [X] a été placée en arrêt de travail le 14 décembre 2016.
Le 23 décembre 2016, la société Wabel a convoqué Mme [X] à un entretien préalable fixé au 6 janvier 2017.
Par courrier en date du 26 décembre 2016, reçu le 27 décembre suivant, le syndicat CFE-CGC a adressé à l'employeur une demande d'organisation d'élection des représentants du personnel, désignant Mme [X] comme mandataire afin de le représenter.
Mme [X] s'est vu notifier son licenciement pour faute grave le 12 janvier 2017, son employeur lui reprochant plusieurs manquements dans les termes suivants : « Nous avons eu à déplorer de votre part des agissements constitutifs de fautes graves, à savoir :
- Vous avez abandonné votre poste de travail du 14 au 21 novembre 2016, partant en « congés » sans en informer votre employeur et a fortiori sans aucune autorisation de votre hiérarchie (').
- Alors que vous étiez en congés maladie, vous vous êtes introduit dans le logiciel de relation client de la société Wabel (le « CRM») les 26 et 27 décembre 2016 et avez procédé frauduleusement à l'extraction de plusieurs milliers de fichiers client appartenant à la Société (').
- Vous avez également extrait du serveur Google de la Société l'ensemble de vos données organisationnelles, à savoir : Calendrier, groupes, discussions, courriels, cartes, tâches, contacts, ainsi que l'ensemble des fichiers de travail communs à la Société stockés dans le « Google Drive » ('). ».
Le 8 mars 2017, Mme [X] a par l'intermédiaire de son conseil mis en demeure M. [B], directeur de la société Wabel, de la réintégrer au sein de l'entreprise.
Par acte du 17 mars 2017, la société Wabel a assigné Mme [X] devant le Conseil de prud'hommes de Paris aux fins de voir condamner la salariée au paiement de dommages et intérêts en raison de l'extraction frauduleuse de données et de la production d'un faux témoignage. L'affaire a été enregistrée sous le n° de RG F 17/02028.
Par acte du 26 mai 2017, Mme [X] a assigné la société Wabel devant le conseil de prud'hommes de Paris aux fins de voir, notamment, juger son licenciement nul et ordonner sa réintégration à titre principal et à titre subsidiaire juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner son employeur à lui verser diverses sommes relatives à l'exécution et à la rupture de la relation contractuelle sous le RG F 17/03992.
Parallèlement, la société Wabel a déposé une plainte auprès du procureur de la République de Paris contre Mme [X] du chef d'atteinte aux systèmes de traitement automatisé des données le 25 janvier 2017, plainte classée sans suite le 14 mars 2018.
A la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par la société Wabel, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu le 25 février 2020, infirmée par la chambre d'instruction de la Cour d'appel de Paris le 11 mai 2021 qui a ordonné la poursuite de l'information. Une nouvelle ordonnance de non-lieu a été rendue le 5 avril 2024.
Par jugement du 15 octobre 2021, le conseil de prud'hommes de Paris, en formation de départage a statué en ces termes :
- Prononce la jonction de l'affaire enregistrée sous le numéro RG F 17/03992 avec l'affaire enregistrée sous le RG F 17/02028 ;
- Ordonne la réintégration de Mme [K] [X] au sein des effectifs de la société Wabel, soit à son poste soit à un poste équivalent ;
- Dit que cette obligation sera assortie d'une astreinte de 150 euros par jour qui courra quinze jours après la notification du jugement, pour une durée de six mois ;
- Dit que la juridiction prud'homale se réserve la liquidation de l'astreinte ;
- Dit que la société Wabel versera à Mme [K] [X] les sommes suivantes :
* 92 072 euros à titre de provision, calculée sur le salaire du 12 janvier 2017 au 9 juillet
2018 ;
* 9 207 euros au titre des congés payés afférents ;
* 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Ordonne l'exécution provisoire de la décision :
* sur la réintégration,
* sur l'astreinte ;
* sur le versement de la provision à hauteur de neuf mois de salaire, soit 48 528 euros.
- Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
- Dit que les dépens seront supportés par la société.
Par déclaration du 4 novembre 2021, la société Wabel a interjeté appel de ce jugement.
La société Wabel a fait l'objet d'un redressement judiciaire, prononcé par jugement du 30 mars 2023.
Par jugement du 16 juin 2023, a été prononcée la liquidation judiciaire de la société Wabel comprenant un plan de cession. La SELARL Axyme, prise en la personne de Me [D] [W] a été désignée mandataire liquidateur de la société Wabel et a procédé au licenciement de Mme [X] pour motif économique.
L'ordonnance de clôture initialement prononcée au 7 janvier 2025 a été révoquée et fixée au 13 janvier 2025 avec l'accord des parties, afin de permettre la régularisation des conclusions du liquidateur.
Par message adressé via RPVA le 27 janvier 2025, la cour a invité les parties à présenter des observations, dans l'hypothèse d'une confirmation de la nullité du licenciement, sur la demande de réintégration de Mme [X] au regard de la procédure de liquidation avec plan de cession prononcée par jugement du 16 juin 2023 et de la circonstance, évoquée dans les écritures de l'intimée, qu'elle a été licenciée pour motif économique par le liquidateur au mois d'août 2023, compte tenu des dispositions de l'article L. 1235-3-1 du code du travail dont il résulte que la réintégration est de droit à moins qu'elle ne soit impossible.
Le conseil de Mme [X] a répondu par un message reçu le 27 février 2025, maintenant sa demande de réintégration dès lors que la liquidation n'a en l'état pas fait disparaître juridiquement la société et que le choix mandataire de la licencier ne caractérise pas une impossibilité matérielle
EXPOSE DES PRETENTIONS DES PARTIES
Par conclusions notifiées par voie électronique le 3 août 2022, la société Wabel demande à la cour de :
Dire la société Wabel recevable et bien fondée en toutes ses prétentions ;
' Infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
Et, statuant à nouveau :
' Dire que Mme [X] ne bénéficiait pas, au jour de son licenciement, du statut protecteur institué par l'article L 2411-7 du code du travail ;
' Dire que le licenciement pour faute grave de Mme [X] est fondé sur une cause réelle et sérieuse de licenciement constituant une faute grave de la salariée ;
' Rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de Mme [X] ;
' Condamner Mme [X] à verser à la société Wabel la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts suite à l'extraction frauduleuse de données ;
' Condamner Mme [X] à verser à la société Wabel la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts suite à la production d'un faux témoignage ;
' Condamner Mme [X] à verser à la société Wabel la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 10 janvier 2025, la SELARL Axyme, prise en la personne de Me [D] [W], en qualité de mandataire liquidateur de la société Wabel, demande à la cour de :
Infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
Et, statuant à nouveau :
' Dire que Mme [X] ne bénéficiait pas, au jour de son licenciement, du statut protecteur institué par l'article L. 2411-7 du code du travail ;
' Dire que le licenciement pour faute grave de Mme [X] est fondé sur une cause réelle et sérieuse de licenciement constituant une faute grave de la salariée ;
' Rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de Mme [X] ;
' Condamner Mme [X] à verser à la société SELARL AXYME, la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts suite à l'extraction frauduleuse de données ;
' Condamner Mme [X] à verser à la société SELARL AXYME la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts suite à la production d'un faux témoignage ;
' Condamner Mme [X] à verser à la société SELAR AXYME la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 19 septembre 2024, Mme [X] demande à la cour de :
A titre liminaire :
- Juger recevables les interventions forcées de :
' la société Axyme, es qualité de liquidateur de la Société Wabel ;
' l'Unedic délégation AGS d'Ile-de-France Ouest ;
A titre principal :
- Confirmer le jugement de première instance rendu le 15 octobre 2021 par le conseil de prud'hommes de Paris sous le n° RG 17/02028 en ce qu'il:
' Annule le licenciement de Mme [K] [X] du fait de la violation de son statut protecteur ;
Et en conséquence a,
' Ordonne la réintégration de Mme [K] [X] dans son poste de travail sous peine d'astreinte de 150 euros par jour de retard dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt, le cour se réservant le pouvoir de procéder à la liquidation de l'astreinte ;
- Réformer le jugement de première instance dans son quantum et, en conséquence :
' Condamner la société Wabel représentée par la société Axyme, es qualité de mandataire, à verser à Mme [K] [X] le montant des salaires dus jusqu'à la réintégration ;
' Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la Société Wabel la somme de 407 122 euros, arrêtée au 3 mai 2022, qui devra être réajustée à la date de la notification de l'arrêt, outre intérêts au taux légal à compter de la date d'échéance mensuelle de chacun des salaires compris dans cette somme; ainsi que les congés payés afférents, soit 40 712euros que devront être réajustés de la même manière. La déduction sera faite de sommes déjà perçues par Mme [X] au regard de sa réintégration prononcée par le juge de première instance ;
' Réformer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté Mme [X] de ses demandes relatives au versement de ses commissions non perçues, et en conséquence :
' Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la Société Wabel la somme de 130 000 euros au titre des commissions qu'elle aurait dû percevoir ;
A titre subsidiaire et uniquement si la cour ne confirmait pas la nullité du licenciement :
' Dire et juger que le licenciement de Mme [K] [X] est sans cause réelle et sérieuse ;
En conséquence:
' Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la Société Wabel la somme de 407 122 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
' Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la Société Wabel la somme de 4 240,88 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;
' Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la Société Wabel la somme de 19 083,99 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 1 908,39 euros de congés payés afférents ;
En tout état de cause :
- Réformer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté Mme [X] de ses autres demandes et statuant de nouveau :
' Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la Société Wabel la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice découlant du harcèlement moral ;
' Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la Société Wabel la somme de 38 167,98 euros en réparation du préjudice moral distinct ;
' Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la Société Wabel la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice d'atteinte au droit fondamental d'accès à la justice ;
Le tout avec intérêt légal à compter du jour de l'introduction de la demande,
- Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :
' Condamné la société Wabel au paiement d'une somme en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Réformer le jugement de première instance dans son quantum et statuant à nouveau :
' Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la Société Wabel la somme de 5 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
' Condamner la société Wabel représentée par la société Axyme, es qualité de mandataire, aux entiers dépens et frais d'exécution ;
' Débouter la société Wabel représentée par la société Axyme, es qualité de mandataire, de l'ensemble de ses demandes.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 16 décembre 2024, l'AGS CGEA Île-de-France Ouest demande à la cour de :
Juger l'AGS recevable et bien fondée en ses demandes, moyens et prétentions dont son appel incident et y faisant droit :
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
' Ordonné la réintégration de Mme [X] au sein des effectifs de la société Wabel, soit à son poste soit à un équivalent ;
' Dit que cette obligation sera assortie d'une astreinte de 150 euros par jour qui courra 15 jours après la notification du jugement, pour une durée de six moi ;
' Dit que la juridiction prud'homale se réserve la liquidation de l'astreinte
' Dit que la société Wabel versera à Mme [X] les sommes suivantes :
o 92 072 euros à titre de provision, calculée sur le salaire du 12 janvier 2017 au 9 juillet 2018
o 9 207 euros au titre des congés payés y afférent ;
o 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
' Ordonné l'exécution provisoire de la décision :
o Sur la réintégration
o Sur l'astreinte
o Sur le versement de la provision à hauteur de 9 mois de salaire, soit 48 528 euros
Et statuant à nouveau notamment des chefs dont l'infirmation est demandée :
- Juger que Mme [X] ne bénéficiait pas au jour de son licenciement, du statut protecteur prévu par l'article L2411-7 du code du travail
- Juger que le licenciement pour faute grave de Mme [X] est fondé sur une cause réelle et sérieuse de licenciement constituant une faute grave de la salariée
- Débouter Mme [X] de l'ensemble de ses demandes, moyens et prétentions
Subsidiairement et à défaut, réduire à de plus justes proportions l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Sur la garantie
- Juger, Ordonner et inscrire au dispositif de la décision à intervenir, qu'en tout état de cause, la garantie prévue aux dispositions de l'article L 3253-6 du code du travail ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat de travail au sens et dans les limites et conditions des articles L 3253-6 et suivants du code du travail dont l'article L 3253-8 du code du travail, les astreintes, dommages et intérêts, indemnités, mettant en 'uvre la responsabilité de droit commun de l'employeur ou article 700 du code de procédure civile et dépens étant ainsi exclus de la garantie.
- Juger et inscrire au dispositif de la décision à intervenir qu'en tout état de cause la garantie de l'AGS ne pourra excéder, toutes créances confondues, l'un des trois plafonds fixés, en vertu des dispositions des articles L 3253-17 et D 3253-5 du code du travail.
- Statuer ce que de droit quant aux frais d'instance sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'AGS.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique, en application de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Sur l'exécution du contrat de travail :
Sur la demande de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral :
Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L.1154-1 de ce code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs.
Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, le juge doit examiner les éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un tel harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier souverainement si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à un harcèlement et si ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs.
En l'espèce, Mme [X] soutient qu'elle a subi des agissements constitutifs de harcèlement moral dès lors qu'à la suite de son refus de signer l'avenant à son contrat de travail modifiant les conditions de sa rémunération variable en avril 2016, elle a subi un contexte de grande violence durant de nombreux mois, constitué par des menaces de rétrogradation voire de licenciement, des mises en cause de ses compétences professionnelles, des accès de colère à la demande de mise en place d'élections professionnelles ainsi que par la désactivation de sa boîte mails le 27 décembre 2016, soit deux semaines avant son licenciement. Elle ajoute que le harcèlement moral s'est poursuivi au-delà de son licenciement au regard des plaintes successivement déposées contre elle au pénal par son employeur.
Elle indique que son arrêt de travail du 14 décembre 2016 a eu lieu pour des raisons de santé en lien avec son activité professionnelle.
En premier lieu, s'agissant des menaces de rétrogradation voire de licenciement et des mises en cause de ses compétences professionnelles, contestées par l'employeur, la salariée ne produit aucun élément au soutien de ses allégations. Ces faits ne sont donc pas établis.
En deuxième lieu, s'agissant de ses allégations relatives à des accès de colère de l'employeur en réaction à sa demande de mise en place d'élections professionnelles, la salariée produit une attestation émanant de M. [V], salarié de la société, qui indique que : « lors d'une réunion organisée le 25/11/16 au sein de la société Wabel pour parler des prochains objectifs d'équipes, étaient présents avant l'arrivée de l'équipe Monsieur [A] [B], Madame [X] et moi-même. Il est alors 15h. Monsieur [B] a souhaité aborder le sujet de la rémunération variable des équipes, et en a profité pour demander d'être d'accord sur le nouveau barème de commissionnement. Madame [X] a soulevé que le nouveau barème n'était pas favorable pour l'équipe et qu'elle préférait que les choses soient faites en accord avec les salariés. [A] [B] a alors montré son mécontentement et a dit « ça ne se passera pas comme ça ». Madame [X] a alors demandé à organiser des élections du personnel et à se présenter pour défendre les intérêts de l'équipe. Monsieur [B] s'est levé, a annulé la réunion prévue et a quitté la pièce. ».
La valeur probante de cette attestation n'est démentie par aucune pièce du dossier.
L'existence d'une réaction de colère de l'employeur à l'annonce par la salariée de son intention de demander la mise en place d'élections professionnelles et de s'y présenter est donc établie.
En troisième lieu, s'agissant de la désactivation de sa boîte mails le 27 décembre 2016, ce fait est établi.
En quatrième lieu, s'agissant de la procédure pénale initiée par l'employeur le 25 janvier 2017, dont l'existence est établie, cette circonstance n'a pu avoir ni pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail de Mme [X], qui ne travaillait plus au sein de la société du fait de son licenciement le 12 janvier 2017. Ce grief ne relève donc pas des dispositions précitées de l'article L. 1152-1 du code du travail.
Sont ainsi établis les griefs relatifs à l'existence d'une réaction de colère de l'employeur à l'annonce par la salariée de son intention de demander la mise en place d'élections professionnelles et de s'y présenter et à la désactivation de sa boîte mails le 27 décembre 2016.
La salariée justifie en outre de son arrêt maladie du 14 décembre 2016.
Il en résulte que les éléments ainsi présentés par la salariée, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'existence d'agissements constitutifs de harcèlement étant donc présumée, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L'employeur ne produit aucun élément permettant de justifier que ses agissements sont étrangers à tout harcèlement moral et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs.
Le harcèlement moral allégué doit donc être regardé comme établi et le jugement doit être infirmé sur ce point.
Au regard de sa durée limitée et de ses circonstances, le harcèlement moral justifie l'allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi que la cour évalue à 800 euros.
Sur la rupture du contrat de travail :
Sur la nullité du licenciement pour méconnaissance du statut protecteur :
La société et le liquidateur soutiennent que Mme [X] ne pouvait bénéficier du statut applicable aux salariés protégés en qualité de candidate aux élections professionnelles, dès lors que l'employeur n'a eu connaissance de cette candidature que postérieurement à l'envoi de la convocation à l'entretien préalable au licenciement. Ils soutiennent que l'attestation produite par la salariée émanant de M. [V], qui était stagiaire et non pas « sourcing manager » comme indiqué, constitue un faux dont le contenu est en outre démenti par les pièces qu'ils produisent.
Mme [X] soutient que c'est à juste titre que le jugement a retenu qu'elle bénéficiait du statut applicable aux salariés protégés au regard de sa candidature aux élections professionnelles, dont la société a eu connaissance avant l'envoi de la convocation à l'entretien préalable.
Aux termes de l'article L. 2411-7 du code du travail, l'autorisation de licenciement est requise pendant six mois pour le candidat, au premier ou au deuxième tour, aux fonctions de membre élu de la délégation du personnel du comité social et économique, à partir de la publication des candidatures. La durée de six mois court à partir de l'envoi par lettre recommandée de la candidature à l'employeur.
Cette autorisation est également requise lorsque la lettre du syndicat notifiant à l'employeur la candidature aux fonctions de membre élu à la délégation du personnel du comité social et économique a été reçue par l'employeur ou lorsque le salarié a fait la preuve que l'employeur a eu connaissance de l'imminence de sa candidature avant que le candidat ait été convoqué à l'entretien préalable au licenciement.
Le salarié candidat aux élections professionnelles bénéficie du statut protecteur à condition que l'employeur ait été informé de cette candidature avant l'envoi de la convocation de l'intéressé à l'entretien préalable au licenciement.
En l'espèce, la convocation de Mme [X] à un entretien préalable date du 23 décembre 2016 et est donc antérieure de quelques jours à la réception par l'employeur, le 27 décembre suivant, de la lettre du syndicat CFE-CGC demandant l'organisation d'élection des représentants du personnel et désignant Mme [X] comme mandataire.
Toutefois, il ressort de l'attestation mentionnée plus haut établie par M. [V] que l'employeur a eu connaissance, le 25 novembre 2016, de l'imminence de la candidature de Mme [X].
Ainsi que l'a justement relevé le premier juge, par des motifs qu'il convient d'adopter, les éléments et argumentations développés par la société et, devant la cour, par le liquidateur judiciaire ne sont pas de nature à remettre en cause l'authenticité ni la valeur probante du contenu de cette attestation.
Il en résulte que l'employeur avait connaissance de l'imminence de sa candidature avant que le candidat ait été convoqué à l'entretien préalable au licenciement.
Au regard des considérations qui précèdent, le licenciement de Mme [E], intervenu en dehors de toute autorisation administrative de licenciement, est nul.
Le jugement sera donc confirmé à cet égard.
Sur la demande de réintégration :
Il résulte des dispositions de l'article L. 1235-3-1 du code du travail que le salarié dont la rupture du contrat de travail est nulle peut soit se prévaloir de la poursuite de son contrat de travail et solliciter sa réintégration, soit demander des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.
La réintégration demandée par le salarié dont le licenciement est annulé est de droit à moins qu'elle ne soit impossible.
En l'espèce, il résulte des éléments du dossier que l'employeur a fait l'objet d'une liquidation judiciaire avec plan de cession prononcée par jugement du 16 juin 2023, et il est constant que l'intimée a été licenciée pour motif économique par le liquidateur au mois d'août 2023.
Au regard des éléments du dossier, la cour constate qu'à la date du présent arrêt, la réintégration de Mme [X] apparaît impossible compte tenu de la disparition de la société à la suite de la liquidation judiciaire.
Dans ces conditions et au regard de ces éléments nouveaux soumis à son appréciation, la cour infirme le jugement en ce qu'il a ordonné cette réintégration.
Sur les demandes financières :
Sur la demande au titre du rappel de salaires :
Mme [X] sollicite la somme de 407 122 euros correspondant à 64 mois de salaire du 12 janvier 2017, date du licenciement, au 3 mai 2022, outre 40 712 euros au titre des congés payés afférents.
La salariée ne formule aucune demande d'indemnité à titre subsidiaire.
Il sera relevé qu'à la date à laquelle le conseil de prud'hommes a statué, la réintégration sollicitée par la salariée était de droit.
Le salarié dont la rupture du contrat de travail est nulle, et qui sollicite sa réintégration, a droit au paiement d'une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre la rupture du contrat et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé.
Il ressort de l'ordonnance du 20 avril 2023 produite par la salariée statuant sur la demande de suspension de l'exécution provisoire du jugement que Mme [X] a été réintégrée au sein des effectifs de la société le 8 novembre 2021 en étant dispensée d'exercer son activité, et n'a toutefois reçu qu'une partie de son salaire à compter de cette réintégration.
Au regard des éléments du dossier, Mme [X] détient une créance salariale qu'il y a lieu de fixer entre la date de son licenciement et celle du jugement ordonnant sa réintégration à la somme de 265 200 euros, outre 26 520 euros au titre des congés payés.
Le jugement sera donc infirmé à cet égard.
Conformément aux écritures de l'intimée, il y a lieu de dire que seront déduites de ces créances les sommes déjà perçues par Mme [X] au regard de sa réintégration prononcée par le juge de première instance.
En ce qui concerne le surplus de la demande, et ainsi qu'il a été dit précédemment, la réintégration apparaît toutefois impossible à la date à laquelle la cour statue.
Dès lors, le surplus de la demande de Mme [X] au titre des rappels de salaire doit être rejeté.
Sur la demande au titre des commissions :
Mme [X] sollicite à cet égard une somme de 90 000 euros au titre de ses commissions et 40 000 euros au titre du 1% du chiffre d'affaires effectué par ses équipes, soit un total de 130 000 euros.
Il ne ressort pas des pièces versées aux débats que des commissions impayées seraient dues à la salariée, qui n'assortit au demeurant ses allégations d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
Sur la demande au titre du préjudice moral distinct :
Mme [X] fait valoir qu'il lui a été particulièrement difficile de voir son intégrité et ses compétences remises en cause alors que son employeur la qualifiait quelques mois avant son licenciement de « cadre à haut potentiel ». Elle indique qu'elle subit un préjudice moral qui constitue l'une des raisons pour lesquelles elle n'a pas retrouvé d'emploi.
Contrairement à ce qu'a retenu le conseil de prud'hommes, la circonstance que le licenciement est entaché de nullité ne fait pas obstacle à la faculté de la salariée de demander réparation du préjudice moral en résultant.
Au regard des éléments du dossier, il y a lieu d'en évaluer le montant à la somme de 10 000 euros.
Il résulte des articles L. 622-7 et L. 622-21 du code de commerce que les juges du fond doivent se borner à se prononcer sur l'existence et le montant des créances alléguées en vue de leur fixation au passif, sans pouvoir condamner le débiteur à payer celles-ci.
Compte tenu de la procédure de liquidation judiciaire, il y a lieu de fixer le montant de cette créance à 10 000 euros en vue de sa fixation au passif.
Sur la demande au titre du préjudice d'atteinte au droit fondamental d'accès à la justice :
Mme [X] fait valoir que deux jours après qu'elle ait adressé au conseil de la société une mise en demeure de la réintégrer dans les effectifs de l'entreprise, la société a saisi la cour d'une demande au titre de l'exécution déloyale. Elle produit au soutien de son argumentation une mise en demeure du 8 mars 2017 et la requête de la société du 10 mars 2017.
Il apparaît que l'intimée se réfère ainsi en réalité aux éléments de la procédure de première instance.
Il ne ressort toutefois pas de ces éléments que la société aurait entravé le droit de Mme [X] d'accès à la justice. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
Sur les intérêts
Il convient de rappeler que l'ouverture de la procédure collective de la société, en application de l'article L. 622-28 du code de commerce, a arrêté le cours des intérêts.
Sur les demandes reconventionnelles de la société Wabel et de son liquidateur :
Sur les demandes tendant à l'octroi de dommages et intérêts au titre de l'extraction de fichiers de l'entreprise :
La société et le liquidateur sollicitent une indemnisation de 200 000 euros à raison du préjudice causé par l'extraction de fichiers de l'entreprise par la salariée. Ils font valoir que ces données ont vraisemblablement déjà été utilisées par Mme [X] ou par un tiers sans que la société ne puisse en avoir la certitude.
La salariée réplique qu'elle n'a extrait que des documents dans le but de préparer sa défense.
Si l'extraction de fichiers par la salariée est établie, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait donné lieu à une utilisation frauduleuse des données y figurant ni causé à cet égard un préjudice à la société, qui ne justifie pas de l'importante valeur marchande dont elle se prévaut.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande, la demande formée par le liquidateur en cause d'appel étant également rejetée.
Sur les demandes tendant à l'octroi de dommages et intérêts au titre de la production d'un faux témoignage :
Dès lors qu'il n'est nullement établi que l'attestation litigieuse constituerait un faux, le jugement ne peut qu'être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande, la demande formée par le liquidateur en cause d'appel étant également rejetée.
Sur la garantie de l'AGS :
Selon le 1° de l'article L. 3253-8 du code du travail, l'AGS garantit les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.
Les sommes dues par l'employeur en exécution du contrat de travail antérieurement au jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire restent soumises, même après un plan de redressement, au régime de la procédure collective et la garantie de l'AGS doit intervenir selon les principes énoncés par les articles L. 3253-6 et suivants du code du travail.
En conséquence, le présent arrêt est opposable dans les limites légales et réglementaires à l'AGS, laquelle devra sa garantie dans les mêmes limites.
Sur les frais du procès :
Au regard de ce qui précède, le jugement sera confirmé sur la condamnation aux dépens et au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il y a lieu de fixer au profit de la salariée une créance sur la société correspondant au montant des dépens en cause d'appel, les demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile étant en revanche rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a:
- rejeté les demandes de Mme [K] [X] au titre des commissions et au titre du préjudice d'atteinte au droit fondamental d'accès à la justice;
- rejeté les demandes reconventionnelles de la société Wabel;
- condamné la société Wabel à payer à Mme [K] [X] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- condamné la société Wabel aux dépens.
STATUANT A NOUVEAU sur les chefs infirmés et Y AJOUTANT :
CONSTATE l'existence des créances suivantes au profit de Mme [K] [X] sur la société Wabel et en FIXE le montant comme suit :
- 800 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral ;
- 10 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral distinct ;
265 200 euros au titre de rappels de salaire, outre 26 520 euros au titre des congés payés afférents;
DIT que seront déduites de ces dernières créances les sommes déjà perçues par Mme [K] [X] au regard de sa réintégration prononcée par le juge de première instance;
RAPPELLE que l'ouverture de la procédure collective de la société, en application de l'article L. 622-28 du code de commerce, a arrêté le cours des intérêts;
REJETTE la demande de Mme [K] [X] tendant à sa réintégration au sein de la société Wabel ;
REJETTE les demandes de dommages et intérêts formées par la SELARL Axyme, prise en la personne de Me [D] [W], en qualité de liquidateur de la société Wabel ;
CONSTATE l'existence au profit de Mme [K] [X] sur la société Wabel d'une créance correspondant aux dépens d'appel ;
DÉCLARE le présent arrêt opposable à l'AGS CGEA IDF Ouest qui devra sa garantie dans les conditions légales ;
REJETTE le surplus des demandes.
La greffière La présidente de chambre
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 4
ARRET DU 19 MARS 2025
(n° /2025, 1 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09124 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CETII
Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Octobre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° F 17/02028
APPELANTE
S.A.S. WABEL, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Sandra OHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050
INTIMEE
Madame [K] [X]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Thibault LAFORCADE, avocat au barreau de BORDEAUX, toque : 37
PARTIES INTERVENANTES
SELARL AXYME prise en la personne de Maître [D] [W] ès qualité de mandataire liquidateur de la société WABEL
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Sandra OHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050
AGS CGEA IDF OUEST agissant en la personne du Directeur Général de l'AGS, Monsieur [Z] [S], dûment habilité à cet effet
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Anne-France DE HARTINGH, avocat au barreau de PARIS, toque : R1861
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Janvier 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sonia NORVAL-GRIVET, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Mme MEUNIER Guillemette, présidente de chambre
Mme NORVAL-GRIVET Sonia, conseillère rédactrice
Mme MARQUES Florence, conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Clara MICHEL
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre, et par Clara MICHEL, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet le 1er juillet 2014, Mme [K] [X] a été embauchée par la société Wabel, spécialisée dans le secteur d'activité de la recherche, développement, et exploitation de services informatiques et internet, en qualité de responsable commercial, statut cadre moyennant un salaire initial de 35 000 euros pour un forfait de 218 jours travaillés par an, hors commissions. Mme [X] disposait d'une rémunération variable définie pour l'année 2014 par un plan de commissionnement annexé à son contrat de travail.
La relation contractuelle était soumise à la convention collective applicable aux salariés des Bureaux d'Études Techniques, des Cabinets d'Ingénieurs-Conseils et des Sociétés de Conseils (SYNTEC).
Par avenant au contrat de travail en date du 28 août 2015, le salaire annuel brut de Mme [X] a été augmenté et est passé à 48 000 euros.
En juillet 2016, Mme [X] a refusé de signer un nouvel avenant à son contrat de travail.
Mme [X] a été en congés du 14 au 22 novembre 2016.
Le barème de commissionnement a été modifié au cours de l'année 2016.
Par courriel du 11 décembre 2016, Mme [X] a refusé de modifier son plan de commissionnement.
Mme [X] a été placée en arrêt de travail le 14 décembre 2016.
Le 23 décembre 2016, la société Wabel a convoqué Mme [X] à un entretien préalable fixé au 6 janvier 2017.
Par courrier en date du 26 décembre 2016, reçu le 27 décembre suivant, le syndicat CFE-CGC a adressé à l'employeur une demande d'organisation d'élection des représentants du personnel, désignant Mme [X] comme mandataire afin de le représenter.
Mme [X] s'est vu notifier son licenciement pour faute grave le 12 janvier 2017, son employeur lui reprochant plusieurs manquements dans les termes suivants : « Nous avons eu à déplorer de votre part des agissements constitutifs de fautes graves, à savoir :
- Vous avez abandonné votre poste de travail du 14 au 21 novembre 2016, partant en « congés » sans en informer votre employeur et a fortiori sans aucune autorisation de votre hiérarchie (').
- Alors que vous étiez en congés maladie, vous vous êtes introduit dans le logiciel de relation client de la société Wabel (le « CRM») les 26 et 27 décembre 2016 et avez procédé frauduleusement à l'extraction de plusieurs milliers de fichiers client appartenant à la Société (').
- Vous avez également extrait du serveur Google de la Société l'ensemble de vos données organisationnelles, à savoir : Calendrier, groupes, discussions, courriels, cartes, tâches, contacts, ainsi que l'ensemble des fichiers de travail communs à la Société stockés dans le « Google Drive » ('). ».
Le 8 mars 2017, Mme [X] a par l'intermédiaire de son conseil mis en demeure M. [B], directeur de la société Wabel, de la réintégrer au sein de l'entreprise.
Par acte du 17 mars 2017, la société Wabel a assigné Mme [X] devant le Conseil de prud'hommes de Paris aux fins de voir condamner la salariée au paiement de dommages et intérêts en raison de l'extraction frauduleuse de données et de la production d'un faux témoignage. L'affaire a été enregistrée sous le n° de RG F 17/02028.
Par acte du 26 mai 2017, Mme [X] a assigné la société Wabel devant le conseil de prud'hommes de Paris aux fins de voir, notamment, juger son licenciement nul et ordonner sa réintégration à titre principal et à titre subsidiaire juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner son employeur à lui verser diverses sommes relatives à l'exécution et à la rupture de la relation contractuelle sous le RG F 17/03992.
Parallèlement, la société Wabel a déposé une plainte auprès du procureur de la République de Paris contre Mme [X] du chef d'atteinte aux systèmes de traitement automatisé des données le 25 janvier 2017, plainte classée sans suite le 14 mars 2018.
A la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par la société Wabel, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu le 25 février 2020, infirmée par la chambre d'instruction de la Cour d'appel de Paris le 11 mai 2021 qui a ordonné la poursuite de l'information. Une nouvelle ordonnance de non-lieu a été rendue le 5 avril 2024.
Par jugement du 15 octobre 2021, le conseil de prud'hommes de Paris, en formation de départage a statué en ces termes :
- Prononce la jonction de l'affaire enregistrée sous le numéro RG F 17/03992 avec l'affaire enregistrée sous le RG F 17/02028 ;
- Ordonne la réintégration de Mme [K] [X] au sein des effectifs de la société Wabel, soit à son poste soit à un poste équivalent ;
- Dit que cette obligation sera assortie d'une astreinte de 150 euros par jour qui courra quinze jours après la notification du jugement, pour une durée de six mois ;
- Dit que la juridiction prud'homale se réserve la liquidation de l'astreinte ;
- Dit que la société Wabel versera à Mme [K] [X] les sommes suivantes :
* 92 072 euros à titre de provision, calculée sur le salaire du 12 janvier 2017 au 9 juillet
2018 ;
* 9 207 euros au titre des congés payés afférents ;
* 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Ordonne l'exécution provisoire de la décision :
* sur la réintégration,
* sur l'astreinte ;
* sur le versement de la provision à hauteur de neuf mois de salaire, soit 48 528 euros.
- Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
- Dit que les dépens seront supportés par la société.
Par déclaration du 4 novembre 2021, la société Wabel a interjeté appel de ce jugement.
La société Wabel a fait l'objet d'un redressement judiciaire, prononcé par jugement du 30 mars 2023.
Par jugement du 16 juin 2023, a été prononcée la liquidation judiciaire de la société Wabel comprenant un plan de cession. La SELARL Axyme, prise en la personne de Me [D] [W] a été désignée mandataire liquidateur de la société Wabel et a procédé au licenciement de Mme [X] pour motif économique.
L'ordonnance de clôture initialement prononcée au 7 janvier 2025 a été révoquée et fixée au 13 janvier 2025 avec l'accord des parties, afin de permettre la régularisation des conclusions du liquidateur.
Par message adressé via RPVA le 27 janvier 2025, la cour a invité les parties à présenter des observations, dans l'hypothèse d'une confirmation de la nullité du licenciement, sur la demande de réintégration de Mme [X] au regard de la procédure de liquidation avec plan de cession prononcée par jugement du 16 juin 2023 et de la circonstance, évoquée dans les écritures de l'intimée, qu'elle a été licenciée pour motif économique par le liquidateur au mois d'août 2023, compte tenu des dispositions de l'article L. 1235-3-1 du code du travail dont il résulte que la réintégration est de droit à moins qu'elle ne soit impossible.
Le conseil de Mme [X] a répondu par un message reçu le 27 février 2025, maintenant sa demande de réintégration dès lors que la liquidation n'a en l'état pas fait disparaître juridiquement la société et que le choix mandataire de la licencier ne caractérise pas une impossibilité matérielle
EXPOSE DES PRETENTIONS DES PARTIES
Par conclusions notifiées par voie électronique le 3 août 2022, la société Wabel demande à la cour de :
Dire la société Wabel recevable et bien fondée en toutes ses prétentions ;
' Infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
Et, statuant à nouveau :
' Dire que Mme [X] ne bénéficiait pas, au jour de son licenciement, du statut protecteur institué par l'article L 2411-7 du code du travail ;
' Dire que le licenciement pour faute grave de Mme [X] est fondé sur une cause réelle et sérieuse de licenciement constituant une faute grave de la salariée ;
' Rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de Mme [X] ;
' Condamner Mme [X] à verser à la société Wabel la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts suite à l'extraction frauduleuse de données ;
' Condamner Mme [X] à verser à la société Wabel la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts suite à la production d'un faux témoignage ;
' Condamner Mme [X] à verser à la société Wabel la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 10 janvier 2025, la SELARL Axyme, prise en la personne de Me [D] [W], en qualité de mandataire liquidateur de la société Wabel, demande à la cour de :
Infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
Et, statuant à nouveau :
' Dire que Mme [X] ne bénéficiait pas, au jour de son licenciement, du statut protecteur institué par l'article L. 2411-7 du code du travail ;
' Dire que le licenciement pour faute grave de Mme [X] est fondé sur une cause réelle et sérieuse de licenciement constituant une faute grave de la salariée ;
' Rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de Mme [X] ;
' Condamner Mme [X] à verser à la société SELARL AXYME, la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts suite à l'extraction frauduleuse de données ;
' Condamner Mme [X] à verser à la société SELARL AXYME la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts suite à la production d'un faux témoignage ;
' Condamner Mme [X] à verser à la société SELAR AXYME la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 19 septembre 2024, Mme [X] demande à la cour de :
A titre liminaire :
- Juger recevables les interventions forcées de :
' la société Axyme, es qualité de liquidateur de la Société Wabel ;
' l'Unedic délégation AGS d'Ile-de-France Ouest ;
A titre principal :
- Confirmer le jugement de première instance rendu le 15 octobre 2021 par le conseil de prud'hommes de Paris sous le n° RG 17/02028 en ce qu'il:
' Annule le licenciement de Mme [K] [X] du fait de la violation de son statut protecteur ;
Et en conséquence a,
' Ordonne la réintégration de Mme [K] [X] dans son poste de travail sous peine d'astreinte de 150 euros par jour de retard dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt, le cour se réservant le pouvoir de procéder à la liquidation de l'astreinte ;
- Réformer le jugement de première instance dans son quantum et, en conséquence :
' Condamner la société Wabel représentée par la société Axyme, es qualité de mandataire, à verser à Mme [K] [X] le montant des salaires dus jusqu'à la réintégration ;
' Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la Société Wabel la somme de 407 122 euros, arrêtée au 3 mai 2022, qui devra être réajustée à la date de la notification de l'arrêt, outre intérêts au taux légal à compter de la date d'échéance mensuelle de chacun des salaires compris dans cette somme; ainsi que les congés payés afférents, soit 40 712euros que devront être réajustés de la même manière. La déduction sera faite de sommes déjà perçues par Mme [X] au regard de sa réintégration prononcée par le juge de première instance ;
' Réformer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté Mme [X] de ses demandes relatives au versement de ses commissions non perçues, et en conséquence :
' Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la Société Wabel la somme de 130 000 euros au titre des commissions qu'elle aurait dû percevoir ;
A titre subsidiaire et uniquement si la cour ne confirmait pas la nullité du licenciement :
' Dire et juger que le licenciement de Mme [K] [X] est sans cause réelle et sérieuse ;
En conséquence:
' Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la Société Wabel la somme de 407 122 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
' Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la Société Wabel la somme de 4 240,88 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;
' Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la Société Wabel la somme de 19 083,99 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 1 908,39 euros de congés payés afférents ;
En tout état de cause :
- Réformer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté Mme [X] de ses autres demandes et statuant de nouveau :
' Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la Société Wabel la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice découlant du harcèlement moral ;
' Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la Société Wabel la somme de 38 167,98 euros en réparation du préjudice moral distinct ;
' Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la Société Wabel la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice d'atteinte au droit fondamental d'accès à la justice ;
Le tout avec intérêt légal à compter du jour de l'introduction de la demande,
- Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :
' Condamné la société Wabel au paiement d'une somme en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Réformer le jugement de première instance dans son quantum et statuant à nouveau :
' Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la Société Wabel la somme de 5 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
' Condamner la société Wabel représentée par la société Axyme, es qualité de mandataire, aux entiers dépens et frais d'exécution ;
' Débouter la société Wabel représentée par la société Axyme, es qualité de mandataire, de l'ensemble de ses demandes.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 16 décembre 2024, l'AGS CGEA Île-de-France Ouest demande à la cour de :
Juger l'AGS recevable et bien fondée en ses demandes, moyens et prétentions dont son appel incident et y faisant droit :
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
' Ordonné la réintégration de Mme [X] au sein des effectifs de la société Wabel, soit à son poste soit à un équivalent ;
' Dit que cette obligation sera assortie d'une astreinte de 150 euros par jour qui courra 15 jours après la notification du jugement, pour une durée de six moi ;
' Dit que la juridiction prud'homale se réserve la liquidation de l'astreinte
' Dit que la société Wabel versera à Mme [X] les sommes suivantes :
o 92 072 euros à titre de provision, calculée sur le salaire du 12 janvier 2017 au 9 juillet 2018
o 9 207 euros au titre des congés payés y afférent ;
o 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
' Ordonné l'exécution provisoire de la décision :
o Sur la réintégration
o Sur l'astreinte
o Sur le versement de la provision à hauteur de 9 mois de salaire, soit 48 528 euros
Et statuant à nouveau notamment des chefs dont l'infirmation est demandée :
- Juger que Mme [X] ne bénéficiait pas au jour de son licenciement, du statut protecteur prévu par l'article L2411-7 du code du travail
- Juger que le licenciement pour faute grave de Mme [X] est fondé sur une cause réelle et sérieuse de licenciement constituant une faute grave de la salariée
- Débouter Mme [X] de l'ensemble de ses demandes, moyens et prétentions
Subsidiairement et à défaut, réduire à de plus justes proportions l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Sur la garantie
- Juger, Ordonner et inscrire au dispositif de la décision à intervenir, qu'en tout état de cause, la garantie prévue aux dispositions de l'article L 3253-6 du code du travail ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat de travail au sens et dans les limites et conditions des articles L 3253-6 et suivants du code du travail dont l'article L 3253-8 du code du travail, les astreintes, dommages et intérêts, indemnités, mettant en 'uvre la responsabilité de droit commun de l'employeur ou article 700 du code de procédure civile et dépens étant ainsi exclus de la garantie.
- Juger et inscrire au dispositif de la décision à intervenir qu'en tout état de cause la garantie de l'AGS ne pourra excéder, toutes créances confondues, l'un des trois plafonds fixés, en vertu des dispositions des articles L 3253-17 et D 3253-5 du code du travail.
- Statuer ce que de droit quant aux frais d'instance sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'AGS.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique, en application de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Sur l'exécution du contrat de travail :
Sur la demande de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral :
Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L.1154-1 de ce code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs.
Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, le juge doit examiner les éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un tel harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier souverainement si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à un harcèlement et si ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs.
En l'espèce, Mme [X] soutient qu'elle a subi des agissements constitutifs de harcèlement moral dès lors qu'à la suite de son refus de signer l'avenant à son contrat de travail modifiant les conditions de sa rémunération variable en avril 2016, elle a subi un contexte de grande violence durant de nombreux mois, constitué par des menaces de rétrogradation voire de licenciement, des mises en cause de ses compétences professionnelles, des accès de colère à la demande de mise en place d'élections professionnelles ainsi que par la désactivation de sa boîte mails le 27 décembre 2016, soit deux semaines avant son licenciement. Elle ajoute que le harcèlement moral s'est poursuivi au-delà de son licenciement au regard des plaintes successivement déposées contre elle au pénal par son employeur.
Elle indique que son arrêt de travail du 14 décembre 2016 a eu lieu pour des raisons de santé en lien avec son activité professionnelle.
En premier lieu, s'agissant des menaces de rétrogradation voire de licenciement et des mises en cause de ses compétences professionnelles, contestées par l'employeur, la salariée ne produit aucun élément au soutien de ses allégations. Ces faits ne sont donc pas établis.
En deuxième lieu, s'agissant de ses allégations relatives à des accès de colère de l'employeur en réaction à sa demande de mise en place d'élections professionnelles, la salariée produit une attestation émanant de M. [V], salarié de la société, qui indique que : « lors d'une réunion organisée le 25/11/16 au sein de la société Wabel pour parler des prochains objectifs d'équipes, étaient présents avant l'arrivée de l'équipe Monsieur [A] [B], Madame [X] et moi-même. Il est alors 15h. Monsieur [B] a souhaité aborder le sujet de la rémunération variable des équipes, et en a profité pour demander d'être d'accord sur le nouveau barème de commissionnement. Madame [X] a soulevé que le nouveau barème n'était pas favorable pour l'équipe et qu'elle préférait que les choses soient faites en accord avec les salariés. [A] [B] a alors montré son mécontentement et a dit « ça ne se passera pas comme ça ». Madame [X] a alors demandé à organiser des élections du personnel et à se présenter pour défendre les intérêts de l'équipe. Monsieur [B] s'est levé, a annulé la réunion prévue et a quitté la pièce. ».
La valeur probante de cette attestation n'est démentie par aucune pièce du dossier.
L'existence d'une réaction de colère de l'employeur à l'annonce par la salariée de son intention de demander la mise en place d'élections professionnelles et de s'y présenter est donc établie.
En troisième lieu, s'agissant de la désactivation de sa boîte mails le 27 décembre 2016, ce fait est établi.
En quatrième lieu, s'agissant de la procédure pénale initiée par l'employeur le 25 janvier 2017, dont l'existence est établie, cette circonstance n'a pu avoir ni pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail de Mme [X], qui ne travaillait plus au sein de la société du fait de son licenciement le 12 janvier 2017. Ce grief ne relève donc pas des dispositions précitées de l'article L. 1152-1 du code du travail.
Sont ainsi établis les griefs relatifs à l'existence d'une réaction de colère de l'employeur à l'annonce par la salariée de son intention de demander la mise en place d'élections professionnelles et de s'y présenter et à la désactivation de sa boîte mails le 27 décembre 2016.
La salariée justifie en outre de son arrêt maladie du 14 décembre 2016.
Il en résulte que les éléments ainsi présentés par la salariée, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'existence d'agissements constitutifs de harcèlement étant donc présumée, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L'employeur ne produit aucun élément permettant de justifier que ses agissements sont étrangers à tout harcèlement moral et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs.
Le harcèlement moral allégué doit donc être regardé comme établi et le jugement doit être infirmé sur ce point.
Au regard de sa durée limitée et de ses circonstances, le harcèlement moral justifie l'allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi que la cour évalue à 800 euros.
Sur la rupture du contrat de travail :
Sur la nullité du licenciement pour méconnaissance du statut protecteur :
La société et le liquidateur soutiennent que Mme [X] ne pouvait bénéficier du statut applicable aux salariés protégés en qualité de candidate aux élections professionnelles, dès lors que l'employeur n'a eu connaissance de cette candidature que postérieurement à l'envoi de la convocation à l'entretien préalable au licenciement. Ils soutiennent que l'attestation produite par la salariée émanant de M. [V], qui était stagiaire et non pas « sourcing manager » comme indiqué, constitue un faux dont le contenu est en outre démenti par les pièces qu'ils produisent.
Mme [X] soutient que c'est à juste titre que le jugement a retenu qu'elle bénéficiait du statut applicable aux salariés protégés au regard de sa candidature aux élections professionnelles, dont la société a eu connaissance avant l'envoi de la convocation à l'entretien préalable.
Aux termes de l'article L. 2411-7 du code du travail, l'autorisation de licenciement est requise pendant six mois pour le candidat, au premier ou au deuxième tour, aux fonctions de membre élu de la délégation du personnel du comité social et économique, à partir de la publication des candidatures. La durée de six mois court à partir de l'envoi par lettre recommandée de la candidature à l'employeur.
Cette autorisation est également requise lorsque la lettre du syndicat notifiant à l'employeur la candidature aux fonctions de membre élu à la délégation du personnel du comité social et économique a été reçue par l'employeur ou lorsque le salarié a fait la preuve que l'employeur a eu connaissance de l'imminence de sa candidature avant que le candidat ait été convoqué à l'entretien préalable au licenciement.
Le salarié candidat aux élections professionnelles bénéficie du statut protecteur à condition que l'employeur ait été informé de cette candidature avant l'envoi de la convocation de l'intéressé à l'entretien préalable au licenciement.
En l'espèce, la convocation de Mme [X] à un entretien préalable date du 23 décembre 2016 et est donc antérieure de quelques jours à la réception par l'employeur, le 27 décembre suivant, de la lettre du syndicat CFE-CGC demandant l'organisation d'élection des représentants du personnel et désignant Mme [X] comme mandataire.
Toutefois, il ressort de l'attestation mentionnée plus haut établie par M. [V] que l'employeur a eu connaissance, le 25 novembre 2016, de l'imminence de la candidature de Mme [X].
Ainsi que l'a justement relevé le premier juge, par des motifs qu'il convient d'adopter, les éléments et argumentations développés par la société et, devant la cour, par le liquidateur judiciaire ne sont pas de nature à remettre en cause l'authenticité ni la valeur probante du contenu de cette attestation.
Il en résulte que l'employeur avait connaissance de l'imminence de sa candidature avant que le candidat ait été convoqué à l'entretien préalable au licenciement.
Au regard des considérations qui précèdent, le licenciement de Mme [E], intervenu en dehors de toute autorisation administrative de licenciement, est nul.
Le jugement sera donc confirmé à cet égard.
Sur la demande de réintégration :
Il résulte des dispositions de l'article L. 1235-3-1 du code du travail que le salarié dont la rupture du contrat de travail est nulle peut soit se prévaloir de la poursuite de son contrat de travail et solliciter sa réintégration, soit demander des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.
La réintégration demandée par le salarié dont le licenciement est annulé est de droit à moins qu'elle ne soit impossible.
En l'espèce, il résulte des éléments du dossier que l'employeur a fait l'objet d'une liquidation judiciaire avec plan de cession prononcée par jugement du 16 juin 2023, et il est constant que l'intimée a été licenciée pour motif économique par le liquidateur au mois d'août 2023.
Au regard des éléments du dossier, la cour constate qu'à la date du présent arrêt, la réintégration de Mme [X] apparaît impossible compte tenu de la disparition de la société à la suite de la liquidation judiciaire.
Dans ces conditions et au regard de ces éléments nouveaux soumis à son appréciation, la cour infirme le jugement en ce qu'il a ordonné cette réintégration.
Sur les demandes financières :
Sur la demande au titre du rappel de salaires :
Mme [X] sollicite la somme de 407 122 euros correspondant à 64 mois de salaire du 12 janvier 2017, date du licenciement, au 3 mai 2022, outre 40 712 euros au titre des congés payés afférents.
La salariée ne formule aucune demande d'indemnité à titre subsidiaire.
Il sera relevé qu'à la date à laquelle le conseil de prud'hommes a statué, la réintégration sollicitée par la salariée était de droit.
Le salarié dont la rupture du contrat de travail est nulle, et qui sollicite sa réintégration, a droit au paiement d'une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre la rupture du contrat et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé.
Il ressort de l'ordonnance du 20 avril 2023 produite par la salariée statuant sur la demande de suspension de l'exécution provisoire du jugement que Mme [X] a été réintégrée au sein des effectifs de la société le 8 novembre 2021 en étant dispensée d'exercer son activité, et n'a toutefois reçu qu'une partie de son salaire à compter de cette réintégration.
Au regard des éléments du dossier, Mme [X] détient une créance salariale qu'il y a lieu de fixer entre la date de son licenciement et celle du jugement ordonnant sa réintégration à la somme de 265 200 euros, outre 26 520 euros au titre des congés payés.
Le jugement sera donc infirmé à cet égard.
Conformément aux écritures de l'intimée, il y a lieu de dire que seront déduites de ces créances les sommes déjà perçues par Mme [X] au regard de sa réintégration prononcée par le juge de première instance.
En ce qui concerne le surplus de la demande, et ainsi qu'il a été dit précédemment, la réintégration apparaît toutefois impossible à la date à laquelle la cour statue.
Dès lors, le surplus de la demande de Mme [X] au titre des rappels de salaire doit être rejeté.
Sur la demande au titre des commissions :
Mme [X] sollicite à cet égard une somme de 90 000 euros au titre de ses commissions et 40 000 euros au titre du 1% du chiffre d'affaires effectué par ses équipes, soit un total de 130 000 euros.
Il ne ressort pas des pièces versées aux débats que des commissions impayées seraient dues à la salariée, qui n'assortit au demeurant ses allégations d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
Sur la demande au titre du préjudice moral distinct :
Mme [X] fait valoir qu'il lui a été particulièrement difficile de voir son intégrité et ses compétences remises en cause alors que son employeur la qualifiait quelques mois avant son licenciement de « cadre à haut potentiel ». Elle indique qu'elle subit un préjudice moral qui constitue l'une des raisons pour lesquelles elle n'a pas retrouvé d'emploi.
Contrairement à ce qu'a retenu le conseil de prud'hommes, la circonstance que le licenciement est entaché de nullité ne fait pas obstacle à la faculté de la salariée de demander réparation du préjudice moral en résultant.
Au regard des éléments du dossier, il y a lieu d'en évaluer le montant à la somme de 10 000 euros.
Il résulte des articles L. 622-7 et L. 622-21 du code de commerce que les juges du fond doivent se borner à se prononcer sur l'existence et le montant des créances alléguées en vue de leur fixation au passif, sans pouvoir condamner le débiteur à payer celles-ci.
Compte tenu de la procédure de liquidation judiciaire, il y a lieu de fixer le montant de cette créance à 10 000 euros en vue de sa fixation au passif.
Sur la demande au titre du préjudice d'atteinte au droit fondamental d'accès à la justice :
Mme [X] fait valoir que deux jours après qu'elle ait adressé au conseil de la société une mise en demeure de la réintégrer dans les effectifs de l'entreprise, la société a saisi la cour d'une demande au titre de l'exécution déloyale. Elle produit au soutien de son argumentation une mise en demeure du 8 mars 2017 et la requête de la société du 10 mars 2017.
Il apparaît que l'intimée se réfère ainsi en réalité aux éléments de la procédure de première instance.
Il ne ressort toutefois pas de ces éléments que la société aurait entravé le droit de Mme [X] d'accès à la justice. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
Sur les intérêts
Il convient de rappeler que l'ouverture de la procédure collective de la société, en application de l'article L. 622-28 du code de commerce, a arrêté le cours des intérêts.
Sur les demandes reconventionnelles de la société Wabel et de son liquidateur :
Sur les demandes tendant à l'octroi de dommages et intérêts au titre de l'extraction de fichiers de l'entreprise :
La société et le liquidateur sollicitent une indemnisation de 200 000 euros à raison du préjudice causé par l'extraction de fichiers de l'entreprise par la salariée. Ils font valoir que ces données ont vraisemblablement déjà été utilisées par Mme [X] ou par un tiers sans que la société ne puisse en avoir la certitude.
La salariée réplique qu'elle n'a extrait que des documents dans le but de préparer sa défense.
Si l'extraction de fichiers par la salariée est établie, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait donné lieu à une utilisation frauduleuse des données y figurant ni causé à cet égard un préjudice à la société, qui ne justifie pas de l'importante valeur marchande dont elle se prévaut.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande, la demande formée par le liquidateur en cause d'appel étant également rejetée.
Sur les demandes tendant à l'octroi de dommages et intérêts au titre de la production d'un faux témoignage :
Dès lors qu'il n'est nullement établi que l'attestation litigieuse constituerait un faux, le jugement ne peut qu'être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande, la demande formée par le liquidateur en cause d'appel étant également rejetée.
Sur la garantie de l'AGS :
Selon le 1° de l'article L. 3253-8 du code du travail, l'AGS garantit les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.
Les sommes dues par l'employeur en exécution du contrat de travail antérieurement au jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire restent soumises, même après un plan de redressement, au régime de la procédure collective et la garantie de l'AGS doit intervenir selon les principes énoncés par les articles L. 3253-6 et suivants du code du travail.
En conséquence, le présent arrêt est opposable dans les limites légales et réglementaires à l'AGS, laquelle devra sa garantie dans les mêmes limites.
Sur les frais du procès :
Au regard de ce qui précède, le jugement sera confirmé sur la condamnation aux dépens et au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il y a lieu de fixer au profit de la salariée une créance sur la société correspondant au montant des dépens en cause d'appel, les demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile étant en revanche rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a:
- rejeté les demandes de Mme [K] [X] au titre des commissions et au titre du préjudice d'atteinte au droit fondamental d'accès à la justice;
- rejeté les demandes reconventionnelles de la société Wabel;
- condamné la société Wabel à payer à Mme [K] [X] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- condamné la société Wabel aux dépens.
STATUANT A NOUVEAU sur les chefs infirmés et Y AJOUTANT :
CONSTATE l'existence des créances suivantes au profit de Mme [K] [X] sur la société Wabel et en FIXE le montant comme suit :
- 800 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral ;
- 10 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral distinct ;
265 200 euros au titre de rappels de salaire, outre 26 520 euros au titre des congés payés afférents;
DIT que seront déduites de ces dernières créances les sommes déjà perçues par Mme [K] [X] au regard de sa réintégration prononcée par le juge de première instance;
RAPPELLE que l'ouverture de la procédure collective de la société, en application de l'article L. 622-28 du code de commerce, a arrêté le cours des intérêts;
REJETTE la demande de Mme [K] [X] tendant à sa réintégration au sein de la société Wabel ;
REJETTE les demandes de dommages et intérêts formées par la SELARL Axyme, prise en la personne de Me [D] [W], en qualité de liquidateur de la société Wabel ;
CONSTATE l'existence au profit de Mme [K] [X] sur la société Wabel d'une créance correspondant aux dépens d'appel ;
DÉCLARE le présent arrêt opposable à l'AGS CGEA IDF Ouest qui devra sa garantie dans les conditions légales ;
REJETTE le surplus des demandes.
La greffière La présidente de chambre