Livv
Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 20 mars 2025, n° 23/02005

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bh Adoue (Sté)

Défendeur :

L'esberit (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Baylaucq

Vice-président :

Mme François

Conseiller :

M. Darracq

Avocats :

Me Sabin, Me Suissa

TJ Pau, du 6 juin 2023, n° 22/3

6 juin 2023

EXPOSE DU LITIGE :

Par acte sous seing privé du 29 septembre 2009, la société civile immobilière BH Adoue a donné à bail commercial à la société La Cocotte un ensemble immobilier situé [Adresse 3] et [Adresse 4] pour une durée de neuf années à compter du 1er octobre 2009.

Le bail a été renouvelé à effet anticipé du 1er avril 2016 par un acte sous seing privé conclu entre les parties le 11 avril 2016 qui stipulait que le bail actuel était résilié de plein droit au 31 mars 2016 et que le nouveau bail lui était substitué.

Par acte authentique en date des 11 et 12 avril 2016, la société La Cocotte a cédé son fonds de commerce de restaurant à la société Lou Esberit. La SCI BH Adoue est intervenue à l'acte et a déclaré agréer la cession du droit au bail et accepter le cessionnaire comme nouveau locataire.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 août 2021, la société Lou Esberit a donné congé des lieux loués à la SCI BH Adoue pour le 31 mars 2022.

La société BH Adoue a payé une facture émise par la société Bourg Frères le 20 février 2020 portant sur la mise en conformité de l'installation de gaz des lieux loués.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 7 octobre 2021, la SCI BH Adoue a mis en demeure la société Lou Esberit d'avoir à régler la somme de 8534,28 euros en remboursement du coût des travaux réalisés en 2020 sur l'installation de gaz de l'immeuble loué et du bureau de contrôle qu'elle avait payés.

Au cours de l'année 2021, la société Lou Esberit a changé sa dénomination sociale pour devenir l'Esberit.

Par jugement du 6 juin 2023, le tribunal judiciaire de Pau a :

Débouté la SCI BH Adoue de sa demande de remboursement de travaux ;

Dit que la société l'Esberit est redevable envers la SCI BH Adoue de la somme de 4497,26 euros au titre du paiement des loyers dus au 31 mars 2022 et de la somme de 330 euros au titre de la taxe foncière 2022 ;

Dit que la SCI BH Adoue est redevable envers la société l'Esberit de la somme de 5600 euros au titre du dépôt de garantie,

Condamne par conséquent, par le jeu de la compensation, la SCI BH Adoue à payer à la société l'Esberit la somme de 772,74 euros,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens,

Rappelé que l'exécution provisoire de la décision est de droit.

Par déclaration en date du 13 juillet 2023, la SCI BH Adoue a interjeté appel de ce jugement.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 octobre 2024.

***

Vu les dernières conclusions notifiées le 8 avril 2024 par la société civile immobilière BH Adoue aux termes desquelles elle demande à la cour de :

Vu les articles 606 et 1103 du Code civil,

Vu l'article R145-35 du Code de commerce,

Vu le bail du 11 avril 2016

- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la Sté L'ESBERIT au paiement de la somme de 4.497,26 € au titre des loyers dus au 31 mars 2022 et au paiement de la somme de 330 € au titre de la taxe foncière 2022 ;

- Infirmer le jugement en ce qu'il a :

o débouté la SCI BH ADOUE de sa demande de remboursement de travaux ;

o dit que la SCI BH ADOUE est redevable envers la société L'ESBERIT de la somme de 5.600 euros au titre du dépôt de garantie ;

o condamné par conséquent, par le jeu de la compensation, la SCI BH ADOUE à payer à la société L'ESBERIT la somme de 772,74 euros ;

o dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

o dit que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens ;

Statuant à nouveau :

- Condamner la Sté L'ESBERIT à lui payer la somme de 8.534,28 € assortie de l'intérêt aux taux légal à compter du 30 octobre 2020 ;

- Ordonner la compensation partielle de cette condamnation avec le dépôt de garantie pour la somme de 5.629,68 € ;

- Condamner la Sté L'ESBERIT à lui payer la somme de 5.640 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la Sté L'ESBERIT aux entiers dépens, en ce compris les dépens de première instance.

* Vu les conclusions de la société par actions simplifiée l'Esberit (SAS) notifiées le 8 janvier 2024 aux termes desquelles elle demande à la cour de :

Rejetant toutes demandes, fins et conclusions contraires,

Confirmer le Jugement entrepris, en ce qu'il a :

- Débouté la SCI BH ADOUE de sa demande de remboursement de travaux ;

- Dit que la Société L'ESBERIT est redevable envers la SCI BH ADOUE de la somme de 4.497,26 € au titre du paiement des loyers dus au 31 mars 2022 et de la somme de 330 € au titre de la taxe foncière 2022 ;

- Dit que la SCI BH ADOUE est redevable envers la Société L'ESBERIT de la somme de 5.600 € au titre du dépôt de garantie ;

- Condamné par conséquent, par le jeu de la compensation, la SCI BH ADOUE à payer à la Société L'ESBERIT la somme de 772,74 €.

Faisant droit à son appel incident,

Réformer le Jugement entrepris, en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la Société L'ESBERIT, et dit que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens.

En conséquence,

Condamner la Société BH ADOUE à lui payer la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du CPC pour les frais irrépétibles exposés par elle en première instance, ainsi qu'aux entiers dépens.

En toutes hypothèses,

Condamner la Société BH ADOUE à lui payer la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC, pour les frais irrépétibles exposés par elle en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.

MOTIFS :

A titre liminaire, il est constaté que les parties sollicitent de concert la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a dit que la Société L'ESBERIT est redevable envers la SCI BH ADOUE de la somme de 4.497,26 € au titre du paiement des loyers dus au 31 mars 2022 et de la somme de 330 € au titre de la taxe foncière 2022. Ce chef de jugement dont il n'est pas sollicité l'infirmation en cause d'appel n'est donc pas déféré à la cour et a acquis force de chose jugée. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur ce point.

Sur la charge des travaux de mise aux normes de l'installation de gaz

La SCI BH Adoue soutient que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal judiciaire, les travaux qui ont été réalisés au titre de la mise en conformité de l'installation de gaz ne relèvent pas de l'obligation de délivrance conforme mais de l'obligation de réalisation des travaux de mises aux normes à la charge du preneur conformément au contrat de bail et sans violation de l'article R. 145-35 du code de commerce.

Elle ajoute que les travaux de mise en conformité d'arrivées de gaz ne peuvent s'analyser en une grosse réparation visée par l'article 606 du code civil dans la mesure où ils n'ont pas eu pour effet de porter sur la structure du bâtiment et où il s'agissait de travaux mineurs consistant exclusivement en une reprise des arrivées de gaz dans la cuisine.

Elle indique avoir avancé cette dépense compte tenu de la situation délicate du preneur et en plein accord avec lui de sorte qu'il doit la lui rembourser.

Elle fait valoir qu'en retenant que les travaux relevaient de l'obligation de délivrance conforme du bailleur, le premier juge a procédé à une extension des obligations de ce dernier au mépris de l'accord des parties qui prévoit sans équivoque que le preneur est tenu des mises aux normes ne relevant pas de l'article 606 du code civil. Elle ajoute qu'aucun manquement à l'obligation de délivrance conforme ne peut être constaté et que l'intimé ne démontre pas l'existence d'un risque avéré d'explosion ou d'implosion.

La société L'Esberit conteste l'existence d'un accord entre les parties pour que la société BH Adoue fasse l'avance du coût des travaux à charge pour elle de lui rembourser la facture correspondante.

Elle soutient qu'en l'espèce les travaux litigieux consistaient en une réfection totale de l'installation de gaz qui concernait l'immeuble dans sa structure et sa solidité générale de sorte qu'il s'agissait d'une grosse réparation. Elle en déduit au visa de l'article R. 145-35 précité que ces travaux ne pouvaient être imputés au locataire et incombaient à la bailleresse, précisant que la réfection de l'installation de gaz avait des incidences sur la structure de l'immeuble en cas d'implosion ou d'explosion et du danger que cela représentait pour les personnes.

* L'article R. 145-35 du code de commerce dans sa rédaction postérieure à l'entrée en vigueur du décret 2014-1317 du 3 novembre 2014 applicable en l'espèce au contrat de bail commercial conclu le 11 avril 2016 s'étant substitué au bail antérieur en vertu d'une clause expresse du contrat, dispose que ne peuvent être imputés au locataire :

1° Les dépenses relatives aux grosses réparations mentionnées à l'article 606 du code civil ainsi que, le cas échéant, les honoraires liés à la réalisation de ces travaux ;

2° Les dépenses relatives aux travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou de mettre en conformité avec la règlementation le bien loué ou l'immeuble dans lequel il se trouve dès lors qu'ils relèvent des grosses réparations mentionnées à l'alinéa précédent. (')

Selon l'article 606 du code civil les grosses réparations sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières. Celui des digues et des murs de soutènement et de clôture aussi en entier.

Il est jugé en application de cet article que les grosses réparations intéressent l'immeuble dans sa structure et sa solidité générale.

En l'espèce le contrat de renouvellement de bail commercial du 11 avril 2016 stipule au paragraphe 4 de la partie « 3. Travaux, entretien, réparations, transformations » :

(')

« Le preneur aura entièrement à sa charge, tant lors de l'entrée en jouissance qu'au cours du bail ou de ses renouvellements, sans aucun recours contre le bailleur, les travaux de mise en conformité de locaux loués avec les règlementations administratives de sécurité, d'hygiène, de salubrité, de voirie, d'urbanisme, d'environnement etc' liées à l'activité exercée. (') »

La société Lou Esberit a sollicité le bailleur en novembre 2019 après avoir été alertée par son plombier M. [G] de ce que notamment les cuivres gaz étaient « piqués par du Pitting », qu'il était urgent de refaire l'installation et que «vu l'état du tuyau de gaz » il n'effectuerait plus aucune soudure. (pièce 2 de l'intimée). Ainsi par courriel du 20 novembre 2019 le preneur sollicitait le bailleur afin qu'il donne une date de visite de l'expert qu'il allait mandaté, indiquant que la sécurité des occupants et du bâtiment était remise en question. (pièce numéro 3 de l'intimée).

La SCI BH Adoue a ainsi mandaté le cabinet C.A.R.T.E qui a effectué un rapport de visite du 27 novembre 2019 qui conclut :

« Le positionnement de l'installation de gaz est le principal problème. Le réseau réalisé en tube cuivre écroui est situé dans des zones non visitables et non ventilées. Ceci est à proscrire. Nous préconisons la reprise complète de cette installation :

Depuis la sortie du comptage détente GRDF, en extérieur, réalisation en apparent pour alimenter le piano et la production ECS.

Les pénétrations et traversées soit planchers, soit cloisonnements seront effectuées sous fourreaux et espaces annulaires et calfeutrements. Chaque tronçon susceptible d'être soumis à des chocs devra être protégé.

L'arrêt d'urgence sera remplacé et repéré. Le raccordement des unités composant le piano sera réalisé au moyen de flexibles neufs. Une vanne accessible permettra l'isolement du piano. Chaque appareil composant sera également pourvu d'un organe d'isolement.

La réalisation, à partir de la grille d'amenée d'air existante, de la ventilation basse de la cuisine

La réalisation des VB et VH pour le local intégrant la production ECS.

La création d'un passage de mur spécifique pour le rejet du caisson de ventilation (situé dans le local PECS). Il nous semble opportun de repositionner cet équipement et reprendre les divers flexibles de raccordement des réseaux d'extraction situés dans ce local. »

La facture de l'entreprise de plomberie Bourg Frères du 20 février 2020 de « mise en conformité gaz » détaille les travaux qui ont consisté en la reprise des alimentations gaz du piano et du styx non conforme depuis le poste gaz existant à l'extérieur, avec pénétration dans le local et mise en place d'un coffret d'arrêt d'urgence, la distribution gaz en tube cuivre, la protection des réseaux en plinthe et descente, les vannes d'isolement du piano et du Styx, avec « percement + rebouchages » ; ont été réalisés également une ventilation basse de la cuisine avec une liaison aéraulique depuis le local technique du caisson d'extraction de la cuisine, une grille à maille entrée et sortie d'air, avec découpe et reprise du faux plafond. A en outre été créée une ventilation basse du local Styx et un repositionnement du caisson d'extraction existant avec reconfiguration du rejet, rebouchages et finition.

Il résulte de la lecture de ces deux documents que les travaux ont consisté en une « reprise complète » de l'installation de gaz des locaux loués ainsi que le préconisait le rapport du cabinet CARTE, qui a intéressé l'immeuble dans sa structure même puisqu'il y a eu percement de mur depuis le poste gaz existant à l'extérieur, pénétrations et traversées des planchers ou cloisonnements, remplacement de l'arrêt d'urgence, installation d'une distribution gaz en tube cuivre et installation d'une vanne d'isolement pour chaque appareil. Il s'est donc agi d'une réfection totale de l'installation de gaz intéressant l'immeuble dans sa structure et sa solidité générale qui est une grosse réparation relevant de l'article 606 du code civil et incombant obligatoirement au bailleur, sans que le contrat de bail puisse la mettre à la charge du preneur en vertu des dispositions de l'article R. 145-35 1° et 2° du code de commerce.

Dans la mesure où il s'agit d'une grosse réparation relevant de l'article 606 du code civil, le bailleur ne peut donc invoquer en l'espèce la clause précitée du contrat de bail mettant à la charge du preneur « , les travaux de mise en conformité de locaux loués avec les règlementations administratives (') ».

Il incombe à la SCI BH Adoue de supporter la charge définitive des travaux de réfection de l'installation de gaz des locaux loués à la société L'Esberit.

Par conséquent le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté la société BH Adoue de sa demande de condamnation de la société l'Esberit au paiement de la somme de 8534,28 euros avec intérêt au taux légal à compter du 30 octobre 2020.

Il s'en suit que le calcul de la compensation opérée par le jugement déféré entre les sommes dues par la société l'Esberit (4497,26 euros et 330 euros) et celle due par la SCI BH Adoue au titre du dépôt de garantie (5600 euros) n'est pas erroné.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a dit que la SCI BH Adoue est redevable envers la société l'Esberit de la somme de 5600 euros au titre du dépôt de garantie et a condamné en conséquence, par le jeu de la compensation, la SCI BH Adoue à payer à la société l'Esberit la somme de 772,74 euros.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Eu égard à la solution du litige il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que chaque partie supporterait la charge de ses propres dépens (alors que chaque partie succombait partiellement en première instance) et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société BH Adoue, succombant totalement en appel, sera condamnée aux dépens d'appel, sur le fondement de l'article 696 du code de procédure civile.

Il convient de condamner la société BH Adoue à payer à la société L'Esberit la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant dans les limites de sa saisine, publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 6 juin 2023 par le tribunal judiciaire de Pau en toutes ses dispositions déférées à la cour,

Y ajoutant,

Condamne la SCI BH Adoue aux dépens d'appel.

Condamne la SCI BH Adoue à payer à la SAS L'Esberit la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Le présent arrêt a été signé par Madame Laurence BAYLAUCQ, Conseillère faisant fonction de Présidente, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site