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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-5, 20 mars 2025, n° 24/04384

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 24/04384

20 mars 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 94D

Chambre civile 1-5

ARRET N°

REPUTE CONTRADICTOIRE

DU 20 MARS 2025

N° RG 24/04384 - N° Portalis DBV3-V-B7I-WUIO

AFFAIRE :

[J] [T]

C/

[X] [G] [N] [R] [L]

...

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 26 Juin 2024 par le Président du TJ de NANTERRE

N° RG : 24/01458

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 20.03.2025

à :

Me Charlotte PAREDERO, avocat au barreau de VERSAILLES (55)

Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES (626)

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT MARS DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [J] [T]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentant : Me Charlotte PAREDERO, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 55

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro N78646-2024-006460 du 11/07/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de VERSAILLES)

APPELANT

****************

Monsieur [X] [G] [N] [R] [L]

né le 22 Octobre 1981 à [Localité 9] 69

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 - N° du dossier 26556

Plaidant : Me Rémi-Pierre DRAI, du barreau de Paris

Association RENAISSANCE

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

(déclaration d'appel signifiée à personne morale)

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 05 Février 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de président et Madame Marina IGELMAN, Conseillère chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas VASSEUR, Président,

Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère,

Madame Marina IGELMAN, Conseillère,

Greffière lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,

EXPOSE DU LITIGE

Dans le cadre des élections législatives qui se sont tenues les 30 juin et 7 juillet 2024, M. [X] [L] et M. [C] [T] étaient tous deux candidats dans la 2ème circonscription des Hauts-de-Seine.

M. [L] a été officiellement investi par le parti Les Républicains avec le soutien de l'UDI, du Mouvement Démocrate et du parti Horizons.

M. [T] n'était quant à lui investi par aucun de ces partis bien qu'étant militant à jour de ses cotisations auprès de chacun d'eux, ainsi que du parti Renaissance. Sur la photo de couverture de son profil Facebook, il a fait apparaître les logos suivants : Ensemble pour la République, Horizons, Renaissance, Mouvement Démocrate, Agir, UDI, Front républicain, Place publique.

Par acte du 20 juin 2024, M. [L] a fait assigner M. [T] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre en lui demandant :

d'interdire à M. [T] toute utilisation illicite des logos UDI, Mouvement Démocrate et Horizons, sur quelque support que ce soit (papier ou numérique), ce comprenant le matériel électoral officiel et ce sous astreinte de 5.000 euros par jour et par nouvelle publication jusqu'au jour du second tour des élections législatives ;

d'ordonner à M. [T] de retirer toutes les publications, sur quelque support que ce soit, qui font des logos UDI, Mouvement Démocrate et Horizons, et ce sous astreinte de 5.000 euros par jour et par publication à compter du prononcé de la décision ;

d'ordonner la publication de la décision sur la page Facebook de M. [T], et ce sous astreinte de 5.000 euros par jour et par publication dans les 24 heures à compter du prononcé de la décision ;

d'ordonner à M. [T] de faire cesser l'utilisation de tout matériel électoral qui comprendrait les logos UDI, Mouvement Démocrate et Horizons à charge pour M. [T] de fournir, à ses frais et dans les conditions prévues par le code électoral, tout matériel de remplacement et ce sous astreinte de 5.000 euros par matériel utilisé ;

d'ordonner la publication de l'ordonnance dans les trois quotidiens périodiques au choix de M. [L], aux frais de M. [T] à concurrence de 1.500 euros par publication.

Par ordonnance contradictoire rendue le 26 juin 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a [le dispositif est reproduit selon les énonciations de ladite ordonnance, en dépit des répétitions de certains chefs de condamnation et de mentions à « la décision à venir » alors que la décision en question n'était précisément plus « à venir »] :

rejeté l'exception de nullité de l'acte introductif d'instance soulevée par M. [T] ;

déclaré recevable l'intervention volontaire de l'association Renaissance ;

fait interdiction à M. [T] toute utilisation illicite des logos UDI, Mouvement Démocrate et Horizons, sur quelque support que ce soit (papier ou numérique), ce comprenant le matériel électoral officiel (circulaire et bulletin de vote) et ce sous astreinte de 5 000 euros par jour et par nouvelle publication jusqu'au jour du second tour des élections législatives ;

ordonné à M. [T] de retirer toutes les publications, sur quelque support que ce soit, qui font des logos UDI, Mouvement Démocrate et Horizons, et ce sous astreinte de 500 euros par jour et par publication, après expiration d'un délai de vingt-quatre heures suivant le prononcé de la décision, jusqu'au jour du second tour des élections législatives ;

ordonné la publication de la décision à venir sur la page Facebook de M. [T] (https://[Courriel 7]) jusqu'au jour du second tour des élections législatives et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard après expiration d'un délai de 24 heures à compter du prononcé de la décision ;

ordonné la publication de la décision à venir sur la page du profil et sur la page du fil d'actualité Instagram de M. [T] (https://www.[Courriel 8]) jusqu'au jour du second tour des élections législatives et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard, après expiration d'un délai de 24 heures à compter du prononcé de la décision ;

ordonné à M. [T] de faire cesser l'utilisation de tout matériel électoral de son fait qui comprendrait les logos UDI, Mouvement Démocrate et Horizons à charge pour lui de fournir, à ses frais et dans les conditions prévues par le code électoral tout matériel de remplacement et ce sous astreinte de 5 000 euros par matériel utilisé ;

fait interdiction à M. [T] toute utilisation illicite des marques et logos de l'association Renaissance, sur quelque support que ce soit (papier ou numérique), ce comprenant le matériel électoral officiel (circulaire et bulletin de vote) et ce sous astreinte de 5 000 euros par jour et par nouvelle publication jusqu'au jour du second tour des élections législatives ;

ordonné à M. [T] la destruction immédiate de tout tract, prospectus et plus généralement tout matériel électoral officiel, et ce sous astreinte de 500 euros par jour et par publication après expiration d'un délai de 24 heures à compter du prononcé de la décision ;

ordonné à M. [T] de retirer toutes les publications, sur quelque support que ce soit, qui utilisent les marques et logos appartenant à l'association Renaissance, utilisant les mots « Renaissance » et « Ensemble » et ce sous astreinte de 500 euros par jour et par publication à l'expiration d'un délai de 24 heures à compter du prononcé de la décision ;

ordonné la publication de la décision à venir sur la page Facebook de M. [T] (https://[Courriel 7]) jusqu'au jour du second tour des élections législatives et ce sous astreinte de 500 euros par jour et par publication à l'expiration d'un délai de 24 heures à compter du prononcé de la décision ;

ordonné la publication de la décision à venir sur la page du profil et sur la page du fil d'actualité Instagram de M. [T] (https://www.[Courriel 8]) jusqu'au jour du second tour des élections législatives et ce sous astreinte de 500 euros par jour et par publication à l'expiration d'un délai de 24 heures à compter du prononcé de la décision ;

ordonné à M. [T] de faire cesser l'utilisation de tout matériel électoral de son fait qui comprendrait les logos et marques de Renaissance à charge pour lui de fournir, à ses frais et dans les conditions prévues par le code électoral tout matériel de remplacement et ce sous astreinte de 5 000 euros par matériel utilisé ;

dit que la juridiction se réserve le droit de liquider l'astreinte ;

rejeté le surplus des demandes ;

condamné M. [T] à payer à M. [L] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné M. [J] [T] à payer à l'association Renaissance la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

rejeté la demande en paiement de M. [T] émise de ce chef ;

condamné M. [T] au paiement des entiers dépens de l'instance ;

rappelé que la décision est exécutoire par provision.

Par déclaration reçue au greffe le 9 juillet 2024, M. [T] a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de dispositif.

Dans ses dernières conclusions déposées le 15 octobre 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [T] demande à la cour de :

'- infirmer l'ordonnance n°RG 24/01458 rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre le 26 juin 2024 en ce qu'il a :

« rejetons l'exception de nullité de l'acte introductif d'instance soulevé par M. [J] [T],

- déclarons recevable l'intervention volontaire de l'association Renaissance,

- faisons interdiction à M. [J] [T] toute utilisation illicite des logos UDI, Mouvement Démocrate et Horizons, sur quelque support que ce soit (papier ou numérique), ce comprenant le matériel électoral officiel (circulaire et bulletin de vote) et ce sous astreinte de 5 000 euros par jour et par nouvelle publication jusqu'au jour du second tour des élections législatives,

- ordonnons à M. [J] [T] de retirer toutes les publications, sur quelque support que ce soit, qui font des logos UDI, Mouvement démocrate et Horizons, et ce sous astreinte de 500 euros par jour et par publication, après expiration d'un délai de vingt-quatre heures suivant le prononcé de la décision, jusqu'au jour du second tour des élections législatives,

- ordonnons la publication de la décision à venir sur la page Facebook de M. [J] [T] (https://[Courriel 7]) jusqu'au jour du second tour des élections législatives et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard après expiration d'un délai de 24 heures à compter du prononcé de la décision,

- ordonnons la publication de la décision à venir sur la page du profil et sur la page du fil d' actualité Instagram de M. [J] [T] (https://www.[Courriel 8]) jusqu'au jour du second tour des élections législatives et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard, après expiration d'un délai de 24 heures à compter du prononcé de la décision,

- ordonnons à M. [J] [T] de faire cesser l'utilisation de tout matériel électoral de son fait qui comprendrait les logos UDI, Mouvement démocrate et Horizons à charge pour lui de fournir, à ses frais et dans les conditions prévues par le code électoral tout matériel de remplacement et ce sous astreinte de 5 000 euros par matériel utilisé,

- faisons interdiction à M. [J] [T] toute utilisation illicite des marques et logos de l'association Renaissance, sur quelque support que ce soit (papier ou numérique), ce comprenant le matériel électoral officiel (circulaire et bulletin de vote) et ce sous astreinte de 5 000 euros par jour et par nouvelle publication jusqu'au jour du second tour des élection législatives,

- ordonnons à M. [J] [T] la destruction immédiate de tout tract, prospectus et plus généralement tout matériel électoral officiel, et ce sous astreinte de 500 euros par jour et par publication après expiration d'un délai de 24 heures à compter du prononcé de la décision,

- ordonnons à M. [J] [T] de retirer toutes les publications, sur quelque support que ce soit, qui utilisent les marques et logos appartenant à l'association Renaissance, utilisant les mots « Renaissance » et « Ensemble » et ce sous astreinte de 500 euros par jour et par publication à l'expiration d'un délai de 24 heures à compter du prononcé de la décision,

- ordonnons la publication de la décision à venir sur la page Facebook de M. [J] [T] (https://[Courriel 7]) jusqu'au jour du second tour des élections législatives et ce sous astreinte de 500 euros par jour et par publication à l'expiration d'un délai de 24 heures à compter du prononcé de la décision,

- ordonnons la publication de la décision à venir sur la page du profil et sur la page du fil d'actualité Instagram de M. [J] [T] (https://www.[Courriel 8]) jusqu'au jour du second tour des élections législatives et ce sous astreinte de 500 euros par jour et par publication à l'expiration d'un délai de 24 heures à compter du prononcé de la décision,

- ordonnons à M. [J] [T] de faire cesser l'utilisation de tout matériel électoral de son fait qui comprendrait les logos et marques de Renaissance à charge pour lui de fournir, à ses frais et dans les conditions prévues par le code électoral tout matériel de remplacement et ce sous astreinte de 5 000 euros par matériel utilisé,

- disons que la présente juridiction se réservera le droit de liquider l'astreinte,

- rejetons le surplus des demandes,

- condamnons M. [J] [T] à payer à M. [X] [L] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamnons M. [J] [T] à payer à l'association Renaissance la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejetons la demande en paiement de M. [J] [T] émise de ce chef,

- condamnons M. [J] [T] au paiement des entiers dépens de l'instance,

- rappelons que la présente décision est exécutoire par provision. »

Statuant à nouveau

In limine litis et à titre principal :

- prononcer la nullité de l'acte introductif d'instance ;

Et par conséquent

- juger que le juge judiciaire n'est pas valablement saisi ;

A titre subsidiaire :

- déclarer l'incompétence rationae materiae du juge judiciaire sur les demandes formées par M. [L] et Renaissance à l'encontre de M. [T] ;

à titre infiniment subsidiaire

- inviter M. [L] et Renaissance à mieux se pourvoir devant le juge du fond ;

- débouter M. [L] et Renaissance de l'ensemble de leurs moyens fins et prétentions ;

en tout état de cause

- condamner, in solidum M. [L] et Renaissance à payer à Me Paredero, avocat au barreau de Versailles, la somme de 2 400 euros, au titre des honoraires qu'elle aurait pu demander à M. [T] si celui-ci n'avait pas obtenu l'aide juridictionnelle, conformément à l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide

- condamner in solidum de M. [L] et Renaissance aux entiers dépens.'

Au soutien de son appel, M. [T] indique en premier lieu qu'il a souhaité promouvoir ses idées sur la place publique, même en n'étant pas investi par les partis politiques dont il est membre et qu'il a uniquement utilisé les logos de ces partis afin de de véhiculer les valeurs qu'ils représentent sans qu'il existe de confusion possible entre lui-même et le candidat investi qu'était M. [L]. Il ajoute qu'afin de montrer sa bonne foi et de mener sa campagne sereinement, il a retiré l'intégralité des logos des partis politiques sur sa page Facebook.

S'agissant de la nullité de l'acte de signification de l'assignation du 20 juin 2024, M. [T] indique que le procès-verbal de signification de l'acte, remis selon les modalités de l'article 658 du code de procédure civile, ne fait pas mention de l'identité de la personne rencontrée sur place et que ce n'est pas parce que sa s'ur continue de résider à l'adresse à laquelle a été effectuée la signification que les diligences ont été suffisantes, le commissaire de justice s'étant contenté d'un nom sur une boîte aux lettres et des dires d'un voisin sans vérifier précisément l'identité de l'occupant du bien. Il ajoute que si le commissaire de justice avait effectué les vérifications d'usage, il aurait pu retrouver sa nouvelle adresse.

A titre subsidiaire, M. [T], invoquant l'article 59 de la Constitution ainsi qu'une décision du 11 juin 2021 du Conseil d'État indiquant qu'une contestation au sujet des documents de propagande ne peut être formulée qu'après le scrutin et devant le juge de l'élection, expose que la critique des documents de propagande ou de vote n'est pas détachable du contentieux des opérations électorales et que seul le Conseil constitutionnel est compétent pour trancher ce litige.

À titre plus subsidiaire, M. [T] considère que le trouble manifestement illicite n'est pas caractérisé dès lors que, contrairement à M. [L], il est pour sa part adhérent et militant à jour des cotisations de tous les partis centristes (Horizons, Renaissance, Agir, Modem et UDI) et qu'aucune confusion ne saurait exister, dès lors qu'il n'a jamais revendiqué l'investiture des partis politiques et qu'il pouvait, en sa qualité d'adhérent, faire figurer sur les tracts les logos litigieux. Il ajoute que sur le bulletin de vote, il n'est mentionné aucun parti politique et qu'aucun logo n'est apposé.

Dans ses conclusions remises le 15 novembre 2024 (date de la réception sur RPVA, lesdites conclusions indiquant qu'elles ont été remises le 14 novembre), M. [L] demande à la cour de :

in limine litis, déclarer irrecevable puisque nouvelle en appel la prétention suivante de M. [T] ainsi que l'intégralité des moyens annexés : « à titre subsidiaire : déclarer la compétence ratione matérielle du juge judiciaire sur les demandes formées par M. [T] et Renaissance à l'encontre de M. [T] » ;

A titre principal,

débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes ;

confirmer l'ordonnance dans son intégralité rendue par le président du tribunal judiciaire de Nanterre le 26 juin 2024 (n° de RG 24/01458) ;

en tout état de cause, déclarer M. [L] recevable et bien fondé en ses prétentions ;

Y ajoutant,

condamner M. [T] à payer à M. [L] la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

condamner M. [T] au paiement des entiers dépens dont le montant sera recouvré par Maître Mélina Pedroletti avocat conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

M. [L] indique en premier lieu que M. [T], bien que représenté en première instance et ayant présenté des moyens de défense au fond, n'avait à ce stade pas invoqué l'exception d'incompétence, de sorte que celle-ci doit être déclarée irrecevable en application de l'article 75 du code de procédure civile. Il ajoute qu'en tout état de cause, la compétence du Conseil constitutionnel s'entendant comme une compétence d'exception, elle doit être appréciée strictement et ne peut dès lors s'étendre aux contentieux qui ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation des opérations électorales. Il ajoute que les règles de compétence s'organisent comme suit :

lorsqu'il porte sur un acte préparatoire à l'opération électorale ou sur des actions qui ne sont pas détachables de l'élection,le contentieux relève du juge électoral ;

lorsqu'il porte sur des actes adoptés par une personne publique en vertu de prérogatives de puissance publique, le contentieux relève du juge administratif ;

lorsqu'il est étranger aux deux précédents chefs de rattachement, le contentieux relève du juge ordinaire compétent suivant la nature des conclusions est la nature juridique de la personne mise en cause.

Ainsi, selon M. [L], le contentieux échappe à la compétence du juge de l'élection et, dès lors que M. [T] n'a pas fait appel aux services de la Commission de propagande, qui seule permettrait d'attribuer compétence au juge administratif, le juge des référés du tribunal judiciaire était bien compétent.

S'agissant de l'acte introductif d'instance, M. [L] indique que le commissaire de justice a effectué plusieurs diligences pour s'assurer de l'identité de l'occupant du bien et que, si au jour de l'audience devant le juge de première instance, M. [T] a indiqué avoir vendu son bien et ne plus résider à l'adresse de la signification, le commissaire de justice ne pouvait être informé de ce changement d'adresse. Il demande en conséquence que cet acte soit déclaré valable.

Sur le fond, M. [L] indique que la simple qualité d'adhérent de M. [T] ne l'autorisait pas à se revendiquer comme le candidat investi ou soutenu par ces partis et que les adhérents ne peuvent se prévaloir librement des partis sans entraîner un risque de confusion dans l'esprit des électeurs. Si M. [T] a effectivement retiré tous les logos des partis dont il revendiquait indûment le soutien sur certains des supports numériques qu'il a mis en ligne, il ne s'était cependant pas formellement engagé à ne plus utiliser ces sigles sur son matériel de campagne, de sorte qu'il y avait urgence à lui interdire l'utilisation de ces logos sur tout support, compte tenu des délais de campagne et de diffusion des bulletins de vote ; M. [T] n'a porté, selon M. [L], aucune garantie sur l'absence d'utilisation à venir de ces logos.

M. [T] a fait signifier à l'association Renaissance la déclaration d'appel par acte du 25 septembre 2024 et ses conclusions par acte du 15 novembre 2024, suivant remise de l'acte à personne habitilitée.

M. [L] a fait signifier ses conclusions à l'association Renaissance par acte du 19 novembre 2024, suivant remise de l'acte à personne habitilitée. Cette association n'a cependant pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 janvier 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il convient, en bonne logique, d'examiner l'exception d'incompétence préalablement à la demande de nullité de l'acte introductif d'instance car seul le juge compétent pour le litige au fond peut statuer sur cette exception de nullité.

Sur la compétence du juge judiciaire des référés :

La fin de non-recevoir tenant à l'irrecevabilité de l'exception d'incompétence soulevée par M. [T] en raison de sa tardiveté est inopérante dès lors que, s'agissant d'une question de compétence d'ordre public, la cour de céans doit en tout état de cause la vérifier d'office.

L'article 59 de la Constitution dispose : « Le Conseil constitutionnel statue, en cas de contestation, sur la régularité de l'élection des députés et des sénateurs. »

S'il va de soi que le juge judiciaire ne peut connaître des contestations portant sur les résultats mêmes de l'élection, la question se pose s'agissant des opérations préliminaires aux élections.

Ainsi, le Conseil constitutionnel (n° 86-994 AN du 3 juillet 1986) a indiqué, s'agissant d'un contentieux électoral portant sur les élections législatives, « qu'il n'appartient pas aux juridictions de l'ordre judiciaire d'enjoindre à un candidat de cesser d'utiliser la dénomination d'une liste dont la candidature a été enregistrée conformément aux dispositions de l'article L. 155 du code électoral. » Dans une autre décision (n° 93-1192 AN du 8 juin 1993), le Conseil constitutionnel a également indiqué « qu'il n'appartient pas aux juridictions de l'ordre judiciaire d'enjoindre à un candidat de cesser d'utiliser une dénomination figurant sur les bulletins de vote diffusés par la commission de propagande ou de faire obstacle directement ou indirectement à l'utilisation de ces bulletins par les électeurs. »

De même, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2021-5726/5728 AN du 28 janvier 2022, s'est reconnu compétent pour statuer sur la demande d'annulation de l'opération électorale motivée par la circonstance qu'un candidat aux élections législatives s'était prévalu d'un parti qui ne l'avait pourtant pas investi et a annulé l'opération électorale en question. En l'espèce, le candidat avait porté sur ses bulletins de vote, en gros caractères et dans un bandeau de couleur, la mention « La République En Marche ! » et le Conseil constitutionnel a jugé que cette mention, qui a eu pour objet de créer l'apparence d'un soutien de ce parti et ainsi d'induire chez les électeurs une confusion en leur faisant croire que ce candidat était investi par ledit part a été constitutive d'une man'uvre.

La Cour de cassation (assemblée plénière, 8 mars 1996, pourvoi n° 93-15.274 et 93-14.903, Bulletin 1996, n° 2) indique quant à elle : « Il n'appartient pas aux tribunaux de l'ordre judiciaire d'interférer dans les opérations électorales législatives dont le contentieux ressortit au Conseil constitutionnel (arrêts n° 1 et 2). C'est par suite, à bon droit qu'une cour d'appel a dit que le juge des référés de l'ordre judiciaire était incompétent pour se prononcer sur la demande d'un candidat à une élection législative, tendant à prescrire des mesures portant sur les documents électoraux d'un autre candidat à cette même élection (arrêt n° 1) Encourt, en revanche, la cassation, l'arrêt rendu par une autre cour d'appel qui, pour déclarer le juge des référés de l'ordre judiciaire, compétent pour se prononcer sur la demande de candidats aux élections législatives qui soutenaient que l'utilisation d'un titre par d'autres candidats aux mêmes élections, était de nature à entraîner, dans l'esprit des électeurs, une confusion, qui, préjudiciable à leur mouvement, risquait de nuire gravement au bon déroulement des opérations électorales, énonce que le graphisme utilisé sur les documents électoraux de ces candidats constitue un trouble manifestement illicite et qu'il entre dans les pouvoirs du juge des référés de l'ordre judiciaire en vertu de l'article 809 du nouveau Code de procédure civile, de prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent au regard d'un trouble dont le caractère manifestement illicite exige qu'il doive cesser immédiatement pour garantir le libre choix du corps électoral et, par là, l'exercice des libertés publiques (arrêt n° 2). »

L'action de M. [L] est fondée sur l'article 835, alinéa 1er, du code de procédure civile qui dispose : « Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. »

En l'espèce, la photographie accompagnée des logos des différents partis que M. [T] a publiée ou était susceptible de publier sur son compte Facebook ou Instagram relevait d'un contenu qui n'était pas détachable de la campagne électorale qui était alors en cours. Il en va de même de la demande de M. [L] tendant à interdire à M. [T] l'utilisation des logos sur quelque support que ce soit, dont le matériel électoral officiel.

En considération de ces éléments et faute pour M. [L] de se prévaloir d'une atteinte à un droit privatif, il convient, en infirmant l'ordonnance entreprise, de se déclarer incompétent sur la demande formée par ce dernier et de le renvoyer à mieux se pourvoir.

Partie succombante à la présente instance, M. [L] sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.

En revanche, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande formulée par M. [T] au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance entreprise ;

Statuant à nouveau,

Déclare le juge des référés de l'ordre judiciaire incompétent pour connaître des demandes formées par M. [L] à l'encontre de M. [T] ;

Renvoie M. [L] à mieux se pourvoir ;

Condamne M. [L] aux dépens de première instance et d'appel ;

Rejette les demandes respectives formées par les parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de président empêché et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Président

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