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Décisions

CA Versailles, ch. soc. 4-6, 20 mars 2025, n° 22/03707

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 22/03707

20 mars 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-6

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 20 MARS 2025

N° RG 22/03707 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VSNU

AFFAIRE :

[V] [D]

C/

S.A.R.L. DE CHIRURGIENS -DENTISTES DES ECRINS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Janvier 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-GERMAIN-EN-LAYE

N° Section : AD

N° RG : F 21/00083

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Philippe Rudyard BESSIS

Me Laurence GAUVENET

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT MARS DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [V] [D]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Philippe Rudyard BESSIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0391

APPELANT

****************

S.A.R.L. DE CHIRURGIENS -DENTISTES DES ECRINS

N° SIRET : 824 907 620

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentant : Me Laurence GAUVENET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1430

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 13 Janvier 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Odile CRIQ, Conseillère chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Nathalie COURTOIS, Présidente,

Madame Véronique PITE, Conseillère,

Madame Odile CRIQ, Conseillère,

Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,

FAITS ET PROCEDURE,

M. [V] [D] a acquis une part sociale de la SELARL de Chirurgiens-Dentistes des Ecrins et en a été nommé cogérant à compter du 1er mars 2017.

La Selarl de Chirurgiens-Dentistes des Ecrins, fondée par le docteur [O] compte moins de 10 salariés.

Lors de l'assemblée générale extraordinaire du 12 janvier 2017 il a été prévu que M. [D] serait rémunéré au titre de son mandat de cogérant incluant son exercice professionnel à hauteur de 30 euros bruts de l'heure et que les cotisations sociales obligatoires et facultatives resteraient à sa charge.

M. [D] a saisi, le 27 septembre 2018, le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye aux fins d'obtenir la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée et requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que la condamnation de la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire, ce à quoi la société s'est opposée.

Par jugement rendu le 12 janvier 2022, notifié le 25 janvier 2022, le conseil a statué comme suit :

Dit que la relation professionnelle de M. [V] [D] au sein de la Selarl de Chirurgiens-Dentistes Des Ecrins ne reposait pas sur un contrat de travail

Déboute M. [V] [D] de l'intégralité de ses demandes

Condamne M. [V] [D] à payer à la Selarl De Chirurgiens-Dentistes Des Ecrins les sommes suivantes

- 1 500 euros au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rappelle qu'en vertu de l'article 1231-7 du Code civil les intérêts légaux sont dûs à compter du jour du prononcé du jugement ;

Déboute la Selarl DE Chirurgiens-Dentistes Des Ecrins du surplus de ses demandes ;

Condamne M. [V] [D] aux éventuels dépens comprenant les frais d'exécution du présent jugement.

Le 24 février 2022, M. [D] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 06 sept 24, M. [D] demande à la cour de :

Avant dire droit :

- Enjoindre à la Selarl de produire sous astreinte de 100 euros par jour à compter de la décision avant dire droit à intervenir :

- L'agenda et le planning des rendez-vous du cabinet du mois de février 2017 au 27 septembre 2017

- L'ensemble des devis et factures relatifs aux patients de la SELARL de chirurgiens-dentistes des Ecrins entre le mois de février 2017 et le 27 septembre 2017 ;

- La copie de la DADS 2017.

Autrement au principal :

Annuler en toutes ses dispositions le jugement déféré

- Dire et juger l'appel recevable et bien-fondé ;

- Dire et juger que le Docteur [D] est bien-fondé à solliciter la requalification de sa relation de travail en contrat à durée indéterminée,

- Dire et juger que la rupture du contrat de travail du Docteur [D] est sans cause réelle ni sérieuse,

En conséquence,

Condamner la Selarl de Chirurgiens-Dentistes des Ecrins au paiement des sommes suivantes :

Fixer la moyenne de salaire mensuel brut à hauteur de 26.987,25 euros;

- 207.898 euros bruts au titre du rappel de salaires pour la période travaillée du mois de février 2017 au 27 septembre 2017 et non payée ;

- 20.788 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

- 26.987,25 euros bruts au titre de l'indemnité de préavis (1 mois de salaire);

- 2.698,72 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

- 4.497,87 euros nets au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

- 161.923,5 euros nets au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (6 mois) ;

- 161.923,5 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé (6 mois) ;

- 10.000 euros nets au titre de l'indemnité pour circonstances brutales et vexatoires de la rupture ;

- Condamner la Selarl de Chirurgiens-Dentistes des Écrins à transmettre au Docteur [D] les documents de fin de contrat sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du septième jour suivant le prononcé de la décision à intervenir ;

- 10.000 euros nets au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail ;

- 3.000 euros au titre de la procédure abusive ;

- 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la Selarl de Chirurgiens-Dentistes des Écrins aux entiers dépens ;

Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 23 septembre 2024, la Selarl de Chirurgiens-Dentistes des Écrins demande à la cour de :

A titre principal,

Confirmer la décision entreprise dans son intégralité.

Débouter M. [V] [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

A titre subsidiaire, pour le cas où la Cour entrerait en voie d'infirmation :

In limine litis :

Juger que M. [V] [D] ne démontre pas avoir exercé des fonctions techniques distinctes sous un lien de subordination juridique et qu'il n'existe par conséquent pas de contrat de travail entre la Selarl de Chirurgiens-Dentistes Des Ecrins et M. [V] [D]

En conséquence,

Se déclarer incompétent et le renvoyer à mieux se pourvoir devant le tribunal judiciaire de Versailles.

Sur le fond :

Juger irrecevables et mal fondées les demandes, fins et conclusions de M. [V] [D] en l'absence de contrat de travail avec la Selarl de Chirurgiens-Dentistes Des Ecrins et l'en débouter.

En tout état de cause :

Débouter M. [V] [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Condamner M. [V] [D] à une amende civile de 3.000 euros pour procédure abusive en vertu de l'article 32-1 du code de procédure civile.

Condamner M. [V] [D] à verser à la Selarl de Chirurgiens-Dentistes des Ecrins la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner M. [V] [D] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

Par ordonnance rendue le 25 septembre 2024, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 13 janvier 2025.

MOTIFS

Sur la demande de nullité du jugement :

Aucun moyen de droit n'est développé par M. [D] au soutien de sa demande de nullité du jugement. Ce moyen sera en conséquence rejeté.

Sur la demande avant dire droit de communication par la société intimée de certaines pièces :

Aux termes du dispositif de ses conclusions, M. [D] demande avant dire droit qu'il soit enjoint à la société de produire sous astreinte les pièces suivantes :

- L'agenda et le planning des rendez-vous du cabinet du mois de février 2017 au 27 septembre 2017

- L'ensemble des devis et factures relatifs aux patients de la SELARL de chirurgiens-dentistes des Ecrins entre le mois de février 2017 et le 27 septembre 2017 ;

- La copie de la DADS 2017.

La société objecte en être empêchée par le secret médical et professionnel au regard des articles R. 4127-1 à R 4127-31 du code de la santé publique et oppose que l'appelant tend à amener la société à pallier son absence d'éléments probants.

Selon la motivation de ses conclusions, M. [D] demande à la cour de tirer toutes les conséquences de droit du fait du refus du défendeur de communiquer les éléments demandés.

Étant observé qu'il n'est pas justifié que la demande de communication de pièces a été formulée au préalable devant le conseiller de la mise en état, en l'espèce, les pièces versées aux débats par les parties sont suffisantes pour statuer sur le litige soumis à la cour. M. [D] sera débouté de cette demande.

Sur la compétence du conseil de prud'hommes à statuer sur l'action de M. [D] en reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail :

La société qui conteste tout salariat de M. [D] oppose l'incompétence de la chambre sociale de la cour d'appel de céans pour statuer sur la reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail, seul le tribunal de judiciaire de Versailles étant compétent.

M. [D] a saisi la juridiction prud'homale afin que soit constatée l'existence d'un contrat de travail et que lui soient allouées diverses sommes en conséquence d'une rupture selon lui abusive.

Selon l'article L.1411-1 du code du travail, le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.

Le conseil de prud'hommes est compétent pour statuer tant sur l'existence d'un contrat de travail que sur la détermination de la qualité d'employeur (cf Soc., 1 octobre 2002, pourvoi n° 00-44.428- Soc., 7 décembre 2005, pourvoi n° 04-46.625, publié).

Il est établi au dossier que M. [D] a acquis une part sociale de la société de Chirurgiens-Dentistes des Ecrins selon procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire des associés du 12 janvier 2017 (pièce n° 2 de l'intimée).

L'action, par laquelle une partie demande de qualifier une relation professionnelle en contrat de travail, et qui se fonde sur des circonstances de nature, si elles étaient établies, à caractériser un lien de subordination, justifie la compétence de la juridiction saisie.

Dès lors, l'action par laquelle M. [D] sollicite la reconnaissance d'une relation de travail existante entre lui-même et la société de Chirurgiens-Dentistes des Ecrins relève de la compétence de la juridiction prud'homale.

En conséquence, il convient de rejeter l'exception d'incompétence de la juridiction prud'homale et il sera ajouté au jugement de ce chef.

Sur l'existence d'un contrat de travail :

Le contrat de travail est celui par lequel une personne s'engage à travailler pour le compte et sous la subordination d'une autre, moyennant rémunération.

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.

En l'absence d'écrit, il incombe à celui qui se prévaut d'un contrat de travail d'en rapporter la preuve.

À l'inverse, en présence d'un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d'en justifier.

Il est de droit que lorsqu'un salarié est nommé mandataire social, son contrat de travail est suspendu pendant l'exécution du mandat social. Cependant, le cumul d'un mandat social et d'un contrat de travail est admis, à condition que le salarié exerce des fonctions techniques distinctes du mandat, dans le cadre d'un lien de subordination à l'égard de la société et que le salarié perçoive une rémunération distincte de celle pouvant lui être allouée en sa qualité de mandataire social.

M. [D] fait valoir l'existence d'un contrat de travail entre lui-même et la société et se prévaut en particulier d'un lien de subordination pour avoir été soumis aux instructions de M. [O].

M. [D] affirme que seul M. [O] recevait tous les nouveaux patients, réalisait l'examen clinique, les radiographies, le diagnostic. Il ajoute que ce dernier établissait le plan de traitement, le devis et l'échéancier des paiements des honoraires.

M. [D] soutient n'avoir eu qu'un rôle d'exécutant, M. [O] lui donnant les directives de traitement, une fois le travail de préparation réalisé.

M. [D] ajoute que ses propres rendez-vous étaient organisés par M. [O] et que la facturation des actes était directement gérée par ce dernier et que toutes les sommes versées par les patients étaient perçues au bénéfice direct de la société.

Au soutien de son allégation M. [D] produit aux débats plusieurs auditions de praticiens ayant travaillé au sein de la société, auditions recueillies au cours d'une enquête pénale initiée à la suite de son dépôt d'une plainte.

Il résulte des auditions de Mme [F], de Mme [I] (pièces 23 à 24 de l'appelant), praticiens ayant exercé au sein de la société, que ces dernières confirment que M. [O] arrêtait le plan de traitement des soins pour chaque patient. Mme [F] et Mme [I] précisent que le plan de traitement établi par M. [O] devait être suivi alors que M. [W] [R] ( pièce n° 25 de l'appelant), indique que le docteur [O] mettait en place le plan de traitement avec tous les dentistes et précise " nous suivions ses recommandations mais j'avais quand même mon mot à dire. ".

Il ressort certes des auditions que le docteur [O] déterminait le plan de traitement des soins de chaque patient, pour autant il ne résulte pas du contenu de ces témoignages que la société ait donné des ordres et directives à M. [D].

Il n'est pas davantage justifié que M. [D] ait eu à rendre compte à M. [O] lors des soins, du suivi du plan de traitement tel que défini par ce dernier.

S'il résulte (pièce n° 8 de l'appelant) d'un courrier adressé à M. [D] par M. [O], le 27 septembre 2017, sans que les motifs en soient explicités, que l'appelant n'était plus le bienvenu au sein du cabinet, aucun élément produit aux débats n'établit l'existence de l'exercice par la société d'un éventuel pouvoir de sanction à l'encontre de M. [D].

De l'ensemble de ces constatations, il ne peut être retenu l'existence, entre la société de Chirurgiens-Dentistes des Ecrins et M. [D] de février 2017 jusqu'au 27 septembre 2017, d'un lien de subordination caractérisant l'existence d'un contrat de travail.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté M. [D] de sa demande de requalification de la relation professionnelle avec la société de Chirurgiens-Dentistes des Ecrins en contrat de travail à durée indéterminée.

En l'absence de contrat de travail, les demandes de M. [D] au titre de l'exécution d'un tel contrat ( rappel de salaire, congés payés afférents, dommages- intérêts pour exécution déloyale) et de sa rupture ( indemnité de licenciement, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité compensatrice de préavis, travail dissimulé) ne peuvent prospérer.

Sur la demande de dommages-intérêts au titre de la procédure abusive :

Au soutien de sa demande de dommages intérêts de la somme de 3 000 euros, alors que lui-même est appelant, M. [D] ne motive ni en fait ni en droit sa demande.

M. [D] sera débouté de sa demande par confirmation du jugement de ce chef.

Sur les autres demandes :

Il n'est pas établi que M. [D] a agi en justice de façon dilatoire. Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce qu'il a condamné ce dernier à payer à la société la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye rendu le 12 janvier 2022 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné M. [V] [D] à payer à la société de Chirurgiens-Dentistes des Ecrins la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute M. [V] [D] de sa demande de communication de pièces.

Rejette l'exception d'incompétence de la juridiction prud'homale.

Déboute la société de Chirurgiens-Dentistes des Ecrins de sa demande de condamnation de M. [V] [D] en paiement d'une amende civile.

Condamne M. [V] [D] à payer à la société de Chirurgiens-Dentistes des Ecrins la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

Condamne M. [V] [D] aux dépens d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Nathalie COURTOIS, Présidente et par Madame Isabelle FIORE, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

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