Décisions

Cass. 1re civ., 26 mars 2025, n° 23-14.322

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Champalaune

Rapporteurs :

M. Buat-Ménard, Mme Auroy

Avocats :

SCP Alain Bénabent, SCP Piwnica et Molinié

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 5 janvier 2023), un jugement du 28 août 2014 a prononcé le divorce de Mme [W] et de M. [J], mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, et fixé la date des effets du divorce entre les époux en ce qui concerne leurs biens au 3 juillet 2007.

2. M. [J] a assigné Mme [W] en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de leurs intérêts patrimoniaux.

3. Celle-ci a sollicité l'application, à son encontre, des peines du recel au titre de cessions d'actions dépendant de la communauté.

Moyens

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Mme [W] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir dire que M. [J] s'est rendu coupable d'un recel de communauté, en procédant, le 26 juin 2013, aux cessions des actions COGEP et groupe COGEP à un prix inférieur à la réelle valeur des droits sociaux et, en réalité, à lui-même, et ce avec toutes conséquences sur la propriété des dites actions et des dividendes distribués depuis, lesquels doivent être au seul bénéfice de Mme [W], alors « que les actions d'une société anonyme constituent, par principe, des titres sociaux négociables pour lesquels il n'y a pas lieu de distinguer le titre de la finance dans le cadre de la liquidation d'un régime matrimonial ; qu'en considérant, pour rejeter la demande de recel formée par l'ex-épouse, que "les parts sociales acquises pendant la durée du mariage pouvaient être cédées par M. [J] seul pendant l'indivision post-communautaire et aucun élément du recel d'un bien de communauté ne peut être déduit de la cession sans information du coindivisaire", après avoir affirmé qu' "à la dissolution de la communauté, la qualité d'associé attachée à des parts sociales non négociables dépendant de celle-ci ne tombe pas dans l'indivision qui n'en recueille que leur valeur, de sorte que le conjoint associé peut en disposer seul", tandis qu'il s'agissait d'actions de sociétés anonymes, donc de titres sociaux négociables, la cour d'appel, qui a mal qualifié les biens recelés, a ainsi violé l'article L. 228-10 du code de commerce. »

Motivation

Réponse de la Cour

Vu les articles 815-3, 1402 et 1477 du code civil et L. 228-10 du code de commerce :

5. Aux termes du troisième de ces textes, celui des époux qui aurait détourné ou recelé quelques effets de la communauté est privé de sa portion dans lesdits effets.

6. Il résulte du deuxième et du dernier de ces textes que les actions d'une société anonyme constituent, en principe, des titres négociables qui, acquis à titre onéreux pendant le mariage, même par un seul des époux, tombent en communauté.

7. Il résulte du premier de ces textes que la cession d'actions communes postérieurement à la dissolution de la communauté requiert, en principe, l'accord des deux époux.

8. Pour rejeter la demande de Mme [W] tendant à voir sanctionner au titre du recel de communauté les cessions par M. [J] seul des actions des sociétés COGEP et groupe COGEP intervenues le 26 juin 2013, l'arrêt retient qu'à la dissolution de la communauté, la qualité d'associé attachée à des parts sociales non négociables dépendant de celle-ci ne tombe pas dans l'indivision qui ne recueille que leur valeur, de sorte que le conjoint associé peut en disposer seul et que ces parts doivent être portées à l'actif de la communauté pour leur valeur au jour du partage. Il en déduit que les parts sociales acquises pendant la durée du mariage pouvaient être cédées par M. [J] seul pendant l'indivision post-communautaire et qu'aucun élément du recel d'un bien de communauté ne peut être déduit de la cession sans information du coïndivisaire.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Moyens

Et sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

10. Mme [W] fait le même grief à l'arrêt, alors « que celui des époux qui aurait diverti ou recelé quelques effets de la communauté est privé de sa portion dans lesdits effets ; qu'en considérant, pour rejeter la demande de recel formée par l'ex-épouse, que "l'affirmation d'une vente à vil prix par M. [J] à lui-même est de même inopérant, la valeur des parts à la date la plus proche possible du partage devant être portée à l'actif de la communauté", la cour d'appel s'est prononcée par des motifs impropres à justifier sa décision, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1477 du code civil. »

Motivation

Réponse de la Cour

Vu l'article 1477 du code civil :

11. Aux termes de ce texte, celui des époux qui aurait détourné ou recelé quelques effets de la communauté est privé de sa portion dans lesdits effets.

12. Pour rejeter la demande de Mme [W] tendant à voir sanctionner au titre du recel de communauté les cessions par M. [J] seul des actions des sociétés COGEP et groupe COGEP intervenues le 26 juin 2013, l'arrêt retient que l'affirmation d'une vente à vil prix par M. [J] à lui-même est inopérant, la valeur des parts à la date la plus proche possible du partage devant être portée à l'actif de la communauté.

13. En statuant ainsi, par des motifs impropres à écarter la possibilité que M. [J] ait entendu soustraire au partage, en se l'appropriant directement ou indirectement, la différence entre le prix apparent et la valeur réelle des actions communes cédées, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

14. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt rejetant la demande formée à titre principal par Mme [W] tendant à voir dire que M. [J] s'est rendu coupable d'un recel de communauté en procédant, le 26 juin 2013, aux cessions des actions COGEP et groupe COGEP, à prix inférieur à la réelle valeur des droits sociaux et, en réalité, à lui-même et ce avec toutes conséquences sur la propriété desdites actions et des dividendes distribués depuis, lesquels doivent être à son seul bénéfice, entraîne la cassation des chefs de dispositif statuant sur les demandes formées à titre subsidiaire par Mme [W] ayant déclaré inopposable à celle-ci la cession des titres COGEP et du groupe COGEP intervenue le 26 juin 2013 et rejeté sa demande tendant à l'attribution des dividendes avec effet rétroactif au jour de la cession déclarée inopposable, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

Dispositif

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de Mme [W] tendant à voir dire que M. [J] s'est rendu coupable en procédant aux cessions des actions COGEP et groupe COGEP, intervenues le 26 juin 2013, à prix inférieur à la réelle valeur des droits sociaux et, en réalité, à lui-même d'un recel de communauté et ce avec toutes conséquences sur la propriété desdites actions et des dividendes distribués depuis, lesquels doivent être à son seul bénéfice, déclare inopposable à Mme [W] la cession des titres COGEP et du groupe COGEP intervenue le 26 juin 2013, rejette sa demande tendant à l'attribution des dividendes avec effet rétroactif au jour de la cession déclarée inopposable et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 5 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;