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Décisions

CA Nîmes, 5e ch. soc. ph, 25 mars 2025, n° 23/01179

NÎMES

Arrêt

Autre

CA Nîmes n° 23/01179

25 mars 2025

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 23/01179 - N° Portalis DBVH-V-B7H-IYV7

LR EB

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NIMES

07 mars 2023

RG :F 17/00858

[R]

C/

S.A.R.L. [E] COMPTABILITE CONSEIL

Grosse délivrée le 25 MARS 2025 à :

- Me

- Me

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 25 MARS 2025

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NIMES en date du 07 Mars 2023, N°F 17/00858

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Mme Leila REMILI, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Nathalie ROCCI, Présidente

Mme Leila REMILI, Conseillère

M. Michel SORIANO, Conseiller

GREFFIER :

Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.

DÉBATS :

A l'audience publique du 19 Décembre 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 25 Mars 2025.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

Madame [O] [R]

née le 21 Mai 1977 à [Localité 5] (13)

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LX NIMES, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Céline QUOIREZ, avocate au barreau de NIMES

INTIMÉE :

S.A.R.L. [E] COMPTABILITE CONSEIL société en cours de liquidation représentée par son liquidateur amiable Monsieur [W] [E]

[Adresse 1]

[Localité 4]/France

Représentée par Me Jean françois TRAMONI VENERANDI, avocat au barreau de NIMES

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Nathalie ROCCI, Présidente, le 25 Mars 2025, par mise à disposition au greffe de la cour.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS :

La SARL [E] exploite une activité d'expertise comptable à [Localité 4].

Le 29 novembre 2010, M. [W] [E] a constitué avec Mme [O] [R] et Mme [Y] [M], associées minoritaires (respectivement titulaires de 13 et 12 parts ), la SARL [E] comptabilité conseil.

Mme [O] [R] a été embauchée par la SARL [E] comptabilité conseil à compter du 1er septembre 2012, en qualité de 'collaboratrice comptable', moyennant une rémunération brute de 500 euros pour 50 heures mensuelles puis à compter du 1er octobre 2012, moyennant 650 euros pour 65 heures mensuelles.

Aucun contrat n'a été rédigé.

A compter du 1er septembre 2013, la salariée a été embauchée à temps plein, toujours en qualité de 'collaboratrice comptable', pour une rémunération brute de 1820,04 euros.

La relation de travail se trouvait soumise à la convention collective des cabinets d'experts comptables et commissaires aux comptes.

Le 14 octobre 2014, Mme [O] [R] a déposé plainte contre M. [W] [E], gérant de l'entreprise, pour harcèlement sexuel.

Le 14 novembre 2014, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Nîmes d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur.

Le 1er décembre 2014, Mme [R] a été convoquée à un entretien préalable fixé le 16 décembre 2014, avec mise à pied conservatoire.

Le 02 janvier 2015, Mme [R] a été licenciée pour 'fautes lourdes' et insuffisance professionnelle.

Le 09 octobre 2018, le bureau de jugement du conseil de prud'hommes de Nîmes a ordonné le sursis à statuer dans l'attente de la décision pénale.

Le 07 novembre 2018, la plainte que M. [E] avait déposée pour des faits de détournements imputés à Mmes [R] et [M] a été classée sans suite par le procureur de la République de [Localité 4].

Par jugement du 19 décembre 2019, le tribunal correctionnel de Nîmes a déclaré M. [E] coupable de harcèlement sexuel par une personne abusant de l'autorité que lui confère sa fonction (propos ou comportements à connotation sexuelle imposés de façon répétée) commis du 1er juillet 2011 au 5 janvier 2015. Il a été condamné à cinq mois d'emprisonnement avec sursis et 8000 euros d'amende ainsi qu'à payer à Mmes [R] et [M], chacune, 5000 euros de dommages et intérêts outre la somme globale de 750 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

Par arrêt du 11 février 2021, la cour d'appel de Nîmes a renvoyé M. [E] des fins de la poursuite sur la période du 1er juillet 2011 au 8 août 2012 et du 1er décembre 2014 au 5 janvier 2015, confirmant la culpabilité pour le surplus. M. [W] [E], par infirmation du jugement déféré, était condamné à la peine de 10 mois d'emprisonnement avec sursis et une amende de 3000 euros, les dispositions civiles étant confirmées et une somme de 1500 euros était accordée à chacune des deux parties civiles au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

Sur pourvoi formé par M. [W] [E], la chambre criminelle de Cour de cassation a, le 10 novembre 2021, cassé l'arrêt attaqué mais uniquement concernant la peine pénale prononcée, la décision n'étant pas censurée sur la culpabilité.

Mme [O] [R] a sollicité la réinscription de l'affaire, le 21 janvier 2022.

Par jugement contradictoire du 07 mars 2023, le conseil de prud'hommes de Nîmes a :

'- dit que l'instance est éteinte par la péremption ;

- dit que la demande de Mme [O] [R] est irrecevable ;

- dit que la demanderesse conservera la charge des dépens qu'elle a exposés ;

- débouté la SARL [E] Comptabilité Conseil au titre de l'article 700 du code de procédure civile.'

Par acte du 05 avril 2023, Mme [R] a régulièrement interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 13 mars 2023.

En l'état de ses dernières écritures en date du 03 juillet 2023, la salariée demande à la cour de :

'Statuant sur l'appel formé par Mme [O] [R], à l'encontre de la décision rendue le 7 mars 2023 par le Conseil de Prud'hommes de NIMES,

Le déclarant recevable et bien fondé,

Y faisant droit,

Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :

Dit que l'instance est éteinte par la péremption;

Dit que la demande de Mme [R] [O] est irrecevable;

Dit que la demanderesse conservera la charge des dépens qu'elle a exposés.

Statuant à nouveau,

JUGER n'y avoir lieu à péremption d'instance,

DECLARER ET PRONONCER la recevabilité de la demande de Mme [O] [R],

CONDAMNER la SARL [E] COMPTABILITE CONSEIL à régler à Mme [O] [R] la somme de 21.924 euros au titre de la revalorisation de sa qualification outre 2192 euros de congés payés afférents

Subsidiairement,

REQUALIFIER le contrat de travail de Mme [R] en contrat de travail à temps plein et lui allouer de ce chef la somme de 16.548 euros outre 1654 euros de congés payés afférents,

CONSTATER la situation de dissimulation d'activité de Mme [R] et lui allouer les sommes de :

- 38.940 euros au titre des rappels de salaires pour la période de janvier 2011 à août 2012,

- 12.306 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé

CONDAMNER la SARL [E] COMPTABILITE CONSEIL aux paiements desdites sommes.

CONDAMNER la SARL [E] COMPTABILITE CONSEIL à régler à Mme [O] [R] la somme de 8204 euros outre 820 euros de congés payés afférents au titre des salaires dûs durant la période de protection résultant de l'état de grossesse de la salariée.

CONDAMNER la SARL [E] COMPTABILITE CONSEIL à régler à Mme [O] [R] la somme de 10.000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail.

PRONONCER la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [R],

JUGER que cette résiliation judiciaire emporte les conséquences d'un licenciement nul

CONDAMNER la SARL [E] COMPTABILITE CONSEIL à régler à Mme [O] [R] les sommes suivantes :

- Remboursement de la mise à pied conservatoire : 1652 euros outre 165 euros de congés payés afférents

- L'indemnité compensatrice pour un montant de 4102 euros outre 410 euros de congés payés afférents

- L'indemnité légale de licenciement pour un montant de 956 euros

- Dommages-intérêts pour licenciement vexatoire : 5000 euros

- La somme de 20.510 euros de dommages-intérêts

Si par extraordinaire la Cour rejetait la demande de Mme [R] tendant au prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail, il est demandé à la Cour de:

CONSTATER la nullité du licenciement de Mme [R] prononcé alors que M. [E] connaissait son état de grossesse et de lui allouer en conséquence les sommes suivantes :

- Remboursement de la mise à pied conservatoire : 1652 euros outre 165 euros de congés payés afférents

- L'indemnité compensatrice pour un montant de 4102 euros outre 410 euros de congés

payés afférents

- L'indemnité légale de licenciement pour un montant de 956 euros

- Dommages-intérêts pour licenciement vexatoire : 5000 euros

- La somme de 20.510 euros de dommages-intérêts

CONDAMNER la SARL [E] COMPTABILITE CONSEIL aux paiements desdites sommes.

A TITRE INIFINIMENT SUBSIDIAIRE :

JUGER que le licenciement de Mme [O] [R] ne reposait sur aucune cause réelle ni sérieuse et lui allouer en conséquence les sommes suivantes :

- Remboursement de la mise à pied conservatoire : 1652 euros outre 165 euros de congés payés afférents

- L'indemnité compensatrice pour un montant de 4102 euros outre 410 euros de congés payés afférents

- L'indemnité légale de licenciement pour un montant de 956 euros

- Dommages-intérêts pour licenciement vexatoire : 5000 euros

- La somme de 20.510 euros de dommages-intérêts

CONDAMNER la SARL [E] COMPTABILITE CONSEIL aux paiements desdites sommes.

En tout état de cause, débouter la SARL [E] COMPTABILITE CONSEIL, de toutes ses demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires et de tout appel incident.

Condamner la SARL [E] COMPTABILITE CONSEIL, à payer à Mme [O] [R], la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens de 1 ère instance et d'appel.'

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 03 octobre 2023, l'employeur demande à la cour de :

'Dire et Juger Mme [R] mal fondé en son appel,

En conséquence,

Sur la péremption d'instance,

Confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que l'instance est atteinte par la péremption,

Sur le fond,

A titre principal,

Débouter intégralement Mme [R] de ses demandes,

A titre subsidiaire,

Sur les demandes de rappel de salaire,

Dire et juger prescrites les demandes de rappel de salaires pour la période antérieure au 14 novembre 2011,

Dire et juger ni avoir lieu à reclassification de la salariée,

Sur les demandes de dommages et intérêts au titre de la réparation du préjudice moral et du licenciement,

Dire et juger que l'arrêt de la Cour d'appel de Nîmes statuant sur les faits de harcèlement a d'ores et déjà réparé le préjudice moral de Mme [R],

Y ajoutant,

Condamner Mme [O] [R] au paiement d'une somme de 2 000 € à la société [E] Conseil Comptabilité en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile les dépens suivant le sort de l'action.'

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.

Par ordonnance en date du 26 juin 2024, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 19 novembre 2024. L'affaire a été fixée à l'audience du 19 décembre 2024.

MOTIFS

Sur la péremption d'instance

La SARL [E] comptabilité conseil fait valoir, au visa des articles R. 1452-8 et 386 du code de procédure civile du code du travail que :

- par jugement du 9 octobre 2018, le conseil de prud'hommes de Nîmes a, dans les deux instances introduites par Mmes [R] et [M] ordonné 'le sursis à statuer dans l'attente de la décision du tribunal correctionnel de Nîmes actuellement saisi. Dit qu'il appartiendra à la partie la plus diligente de communiquer au Conseil de céans la copie de la décision de la juridiction pénale pour que l'affaire soit réinscrite au rôle du conseil à la première date utile'.

- le jugement du tribunal correctionnel de Nîmes a été rendu le 19 décembre 2019 et le délai pour procéder au ré-enrôlement de l'affaire expirait donc le 19 décembre 2021 ; or, l'affaire n'a été ré-enrôlée que le 25 janvier 2022, de sorte que la péremption d'instance a, à juste titre, été prononcée

- les diligences mises à la charge des parties après avoir ordonné le sursis à statuer dans l'attente du jugement du tribunal correctionnel de Nîmes, consistaient bien dans la communication par l'une ou l'autre des parties de cette décision pour la reprise de l'instance

- sur ce point la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, invoquée par l'appelante est éminemment contestable dans la mesure où la communication de la décision pénale dans le cadre de l'instance prud'homale constitue bien une diligence mise à la charge des parties à l'instance et il s'agit même de la seule diligence procédurale nécessaire à la reprise de l'instance dont le sursis procède

- en refusant de considérer qu'il s'agit d'une diligence particulière au sens de l'article R 1452-8 du code du travail, cet arrêt conduit, dans l'hypothèse d'un sursis statuer dans l'attente d'une décision pénale, à rendre l'instance perpétuelle et insusceptible de péremption

- en conclusion, la cour d'appel confirmera le jugement en ce qu'il a prononcé la péremption de l'instance.

L'appelante réplique que :

- la dernière décision pénale en date était celle de la chambre criminelle de la Cour de cassation, de sorte que la péremption n'était pas acquise

- le jugement de sursis à statuer n'a expressément mis à sa charge aucune diligence particulière autre que celle nécessaire à la réinscription de l'affaire, la Cour de cassation dans un arrêt du 30 juin 2016 (pourvoi n° 15-15.906) ayant statué en ce sens

- le conseil de prud'hommes a donc, à tort, constaté la péremption d'instance.

L'instance ayant été introduite devant le conseil de prud'hommes de Nîmes avant le 1er août 2016 (en l'espèce le 14 novembre 2014), les dispositions de l'ancien article R. 1452-8 du code du travail sont applicables.

Il résulte des dispositions de cet article qu' « En matière prud'homale, l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction. »

Par un arrêt du 30 juin 2016, la chambre sociale de la Cour de cassation (pourvoi n° 15-15.906) a statué ainsi : 'Attendu que pour constater la péremption d'instance, l'arrêt retient qu'en enjoignant dans son jugement prononçant le sursis à statuer « à la partie la plus diligente de communiquer au Conseil de prud'hommes de Rouen la copie de la décision de la juridiction pénale pour que l'affaire soit réinscrite au rôle dudit Conseil », le Conseil de prud'hommes a bien mis une diligence à la charge des parties, non pas l'inscription de l'affaire mais la communication à la juridiction de la décision qui serait rendue dans l'instance pénale en cours, qu'ainsi, c'est à compter du jour où la décision rendue par la juridiction pénale était définitive que délai de péremption a commencé à courir, que l'arrêt de la Chambre correctionnelle de la Cour d'appel de Rouen en date du 10 septembre 2009 était définitive le 15 septembre 2009, que le délai de péremption a expiré le 15 septembre 2011.

Qu'en statuant ainsi, alors que la décision ordonnant le sursis à statuer n'imposait aucune diligence particulière aux parties autre que celle nécessaire à la réinscription de l'affaire, la Cour d'appel a violé le texte susvisé'.

En l'espèce, par jugement du 9 octobre 2018, le conseil de prud'hommes de Nîmes a :

'-ordonné le sursis à statuer dans l'attente de la décision du tribunal correctionnel de Nîmes actuellement saisi;

- Dit qu'il appartiendra à la partir la plus diligente de communiquer au conseil de céans la copie de la décision de la juridiction pénale pour que l'affaire soit réinscrite au rôle du conseil à la première date utile'.

Le conseil de prud'hommes, au terme du jugement déféré à la cour, a considéré que le jugement du tribunal correctionnel de Nîmes ayant été rendu le 19 décembre 2019, le délai pour procéder au ré-enrôlement expirait le 19 décembre 2021 et que Mme [O] [R] n'ayant réinscrit l'affaire que le 21 janvier 2022, l'instance était éteinte par la péremption.

Or, il résulte du jugement précité du 9 octobre 2018, qu'aucune diligence particulière n'était mise à la charge des parties, autre que celle nécessaire à la réinscription de l'affaire, de sorte que le conseil de prud'hommes ne pouvait retenir que la péremption de l'instance était acquise, étant au surplus relevé que les premiers juges ont retenu à tort pour point de départ du délai de péremption de deux ans, le jugement du tribunal correctionnel de Nîmes rendu le 19 décembre 2019, alors que la décision pénale définitive est l'arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation, le 10 novembre 2021.

Il convient donc d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que l'instance est éteinte par la péremption et a déclaré la demande de Mme [O] [R] irrecevable.

Sur les rappels de salaire

L'appelante expose que :

- elle a travaillé au bénéfice de la société de janvier 2011 à août 2012 mais n'a été déclarée qu'à compter du 1er septembre 2012

- elle a été engagée comme collaboratrice comptable pour une rémunération horaire brute moyenne de 10 euros alors qu'elle était titulaire du diplôme de gestionnaire de paie (bac+2), de sorte qu'elle aurait dû bénéficier du coefficient conventionnel de 280 correspondant au poste d'assistant principal

- M. [E] a d'ailleurs déclaré son embauche en qualité de 'comptable' dès le mois de janvier 2011 (bien qu'il ne lui ait pas versé de rémunération jusqu'au mois de septembre 2012)

- elle est en droit d'obtenir la revalorisation de sa qualification à hauteur d'une somme de 21 924 euros, outre les congés payés afférents, pour la période de septembre 2012 à décembre 2014.

La SARL [E] comptabilité conseil réplique que :

- au regard de la convention collective des experts comptables et commissaires aux comptes, qui prévoit les éléments de classification pour les fonctions d'assistant principal, Mme [O] [R] ne justifie ni d'un diplôme de BTS, ni d'un IUT et encore moins d'un DSCG (niveau requis depuis l'avenant du 1er juillet 2016), le titre de gestionnaire de paye ne pouvant suppléer à cette absence de diplôme

- la salariée ne justifie d'aucune expérience en tant qu'assistant confirmé et n'apporte aucun élément permettant de justifier d'un classement au coefficient 280 au regard des fonctions réellement occupées

- dans les faits, la salariée effectuait principalement un travail d'édition des payes et des travaux de simple exécution exclusif de toute rédaction de note de synthèse et rapport

- enfin, aucun élément n'est produit à l'appui des calculs de rémunération en fonction de la convention collective applicable

- le débouté s'impose sur cette demande qui est faite pour la première fois plusieurs années après l'introduction de la requête.

Il appartient au salarié qui se prévaut d'une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail, de démontrer qu'il assure effectivement de façon habituelle, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu'il revendique.

Ainsi, déterminer la classification dont relève un salarié suppose l'analyse de la réalité des fonctions par lui exercées, au vu des éléments produits par les parties, et leur comparaison avec la classification de la convention collective nationale applicable, les mentions portées sur le bulletin de paie ou les mentions du contrat de travail constituant des indices.

Il ressort des bulletins de salaire que Mme [O] [R] occupait un emploi de 'comptable' qualification 'collaboratrice'.

La simple mention sur un courrier de l'assurance retraite du 24 janvier 2012 d'une fonction de comptable ne démontrant pas que l'employeur l'a déclarée en tant que telle.

Mme [O] [R] fait valoir qu'elle aurait dû bénéficier du coefficient conventionnel de 280 correspondant au poste d'assistant principal dans la mesure où elle était titulaire du diplôme de gestionnaire de paie (bac+2).

La convention collective des experts comptables et commissaires aux comptes prévoit les éléments de classification suivants pour les fonctions d'assistant principal :

'Niveau 4 - Exécution avec délégation

Assistant principal, coefficient 280

Complexité des tâches et responsabilité : Travaux d'analyse et de résolution de situations complexes, faisant appel à des connaissances pratiques et théoriques approfondies. Rédaction de notes de synthèse et rapports. Activité soumise à la validation [par un cadre de niveau supérieur ou (3) Termes supprimés Avenant du 1-7-2016 étendu.] d'un membre de l'ordre [des experts-comptables ou de la compagnie des commissaires aux comptes ou d'un responsable hiérarchique (2) Avenant du 1-7-2016 étendu.].

Formation initiale : BTS, IUT [DSCG, Master Avenant du 1-7 2016 étendu.]

Expérience en tant qu'assistant confirmé (coeff. 260) de 3 ans avec Bac et au moins 200 h de formation [Expérience professionnelle préalable en cabinet ou en entreprise (2) Avenant du 1-7-2016 étendu.'

Ainsi, Mme [O] [R] ne justifie pas des diplômes requis, celui de gestionnaire de paie n'étant pas visé par la convention collective.

Cette dernière exige, outre la formation initiale, une expérience professionnelle préalable, en cabinet ou en entreprise, dont Mme [O] [R] ne justifie pas non plus.

Enfin, l'appelante ne démontre pas que les fonctions occupées, qu'elle ne décrit d'ailleurs pas, relevaient du coefficient 280.

Il convient donc de la débouter de sa demande au titre de la classification.

Sur la demande de requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet

Mme [O] [R] sollicite la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein, réclamant la somme de 16 548 euros, outre les congés payés pour la période de septembre 2012 à août 2013. Elle indique que l'employeur ne produit pas le plus petit commencement de preuve de ce qu'il lui permettait de connaître à l'avance son rythme de travail, aucun planning prévisionnel ni décomptes d'heures ne sont versés aux débats et il ressort de ce simple constat qu'elle se tenait à constante disposition de celui-ci.

La SARL [E] comptabilité conseil réplique que :

- les deux salariées ont fait l'aveu dans leurs conclusions déposées le 7 décembre 2017 par leur précédent conseil qu'elles avaient bien été embauchées pour l'une en avril 2012 et pour l'autre en septembre 2012 et qu'elles avaient bien travaillé à temps partiel du 1er septembre 2012 au 31 août 2013 pour Mme [R] et du 1er avril 2012 au 31 août 2013 pour Mme [M]

- elles indiquent bien n'être passées à temps complet qu'à compter du mois de septembre 2013

- et pour cause puisque Mme [R] et Mme [M] ont continué à gérer et exploiter la SARL Espace Gestion Secrétariat qu'elles auraient prétendument radiée le 7 septembre 2011 mais qu'elles continuaient en réalité à exploiter jusqu'au 3 décembre 2013 puisque sous cette entité elles continuaient à procéder à des travaux juridiques et à assurer la publication d'annonces dans le journal « Le Commercial du Gard ».

Aux termes de l'ancien article L. 3123-14 du code du travail, en vigueur en 2013 :

'Le contrat de travail du salarié à temps partiel est un contrat écrit.

Il mentionne :

1° La qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et, sauf pour les salariés des associations et entreprises d'aide à domicile et les salariés relevant d'un accord collectif conclu en application de l'article L. 3122-2, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois ;

2° Les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification ;

3° Les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié. Dans les associations et entreprises d'aide à domicile, les horaires de travail sont communiqués par écrit chaque mois au salarié ;

4° Les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au delà de la durée de travail fixée par le contrat.

L'avenant au contrat de travail prévu à l'article L. 3123-25 mentionne les modalités selon lesquelles des compléments d'heures peuvent être accomplis au delà de la durée fixée par le contrat.'

L'absence d'écrit mentionnant la durée du travail et sa répartition fait présumer que l'emploi est à temps complet et il incombe alors à l'employeur qui conteste cette présomption de rapporter la preuve, d'une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, d'autre part que la salariée n'était pas placée dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler et qu'elle n'avait pas à se tenir constamment à sa disposition.

Cette preuve peut être rapportée par tout moyen.

Il est constant, en l'espèce, qu'aucun contrat écrit n'a été rédigé et force est de constater que l'employeur n'apporte aucun élément concernant la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, ni que Mme [O] [R] n'était pas placée dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler et qu'elle n'avait pas à se tenir constamment à sa disposition.

Les indications concernant l'exploitation d'une autre société ne résultent que de la seule plainte pénale déposée par l'intimée, le 2 janvier 2015, laquelle a été classée sans suite.

Par ailleurs, dans ses conclusions déposées le 7 décembre 2017, si Mme [O] [R] indiquait avoir travaillé à temps partiel du 1er septembre 2012 au 31 août 2013 puis être passée à temps complet, elle réclamait bien dans le même temps la requalification du contrat, exposant qu'elle ne connaissait pas la durée de son travail et devait se tenir à la disposition permanente de son employeur.

Il convient donc de faire droit à la demande de requalification et au rappel de salaire sur la base d'un temps complet, l'appelante ne pouvant cependant faire ses calculs sur la base d'une qualification niveau IV, coefficient 280, refusée par la cour, de sorte qu'il lui sera accordé la seule somme de 10 542,40 euros et les congés payés afférents, tels que réclamés initialement sur la base d'un salaire mensuel de 1516,70 euros.

Sur le travail dissimulé

Mme [O] [R] fait valoir que, dès la constitution du cabinet MCC, M. [W] [E] s'est engagé à déclarer son emploi aux organismes sociaux mais que cette déclaration n'est intervenue qu'au mois d'août 2012, dissimulant ainsi l'activité salariée entre les mois de janvier 2011 et le mois d'août 2012.

La SARL [E] comptabilité conseil réplique que :

- il ressort des pièces communiquées à l'appui de la plainte pénale déposée par M. [E] que Mme [O] [R] et Mme [M] exploitaient la SARL Espace Gestion Secrétariat qu'elles auraient prétendument radiée le 7 septembre 2011 mais qu'elles continuaient en réalité à exploiter jusqu'au 3 décembre 2013 puisque sous cette entité elles continuaient à procéder à des travaux juridiques et à assurer la publication d'annonces dans le journal « Le Commercial du Gard »

- elles n'ont pris leurs fonctions salariées qu'à partir du 1er septembre 2012 pour Mme [R] et avril 2012 pour Mme [M] comme cela ressort des déclarations uniques d'embauche établies par M. [E], la prétendue DUE du 24 janvier 2011 et l'inscription à la CRAM étant des documents douteux.

Aux termes de l'article L. 8221-5 du code du travail, dans sa version en vigueur en 2011 :

'Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.'

La caractérisation de l'infraction de travail dissimulé est subordonnée à la démonstration, d'une part, d'un élément matériel constitué par le défaut d'accomplissement d'une formalité (déclaration d'embauche, remise d'un bulletin de paie, etc.) et d'autre part, d'un élément intentionnel constitué par la volonté de se soustraire à cette formalité.

Il appartient au salarié de rapporter la preuve des éléments constitutifs de l'infraction de travail dissimulé.

Pour démontrer l'existence d'un travail sous la subordination de M. [E] entre les mois de janvier 2011 et août 2012, l'appelante produit :

- un accusé de réception d'une déclaration unique d'embauche auprès de l'URSSAF du Gard réalisée le 24 janvier 2011 à son nom

- le reçu établi le 24 janvier 2012 par la CRAM Languedoc de son inscription par la société

- plusieurs attestations de personnes confirmant que les deux salariées ont travaillé dans le cabinet d'expertise comptable en 2011

- plusieurs courriels échangés en 2011 et 2012, avec M. [E] ou son fils, M. [I] [E].

Ces éléments sont suffisants à démontrer qu'une activité salariée au profit de la SARL [E] comptabilité conseil, non déclarée et non rémunérée, a été accomplie par Mme [O] [R] avant son embauche officielle le 1er septembre 2012, les éléments matériel et intentionnel étant donc établis.

Mme [O] [R] a droit, en application de l'article L. 8223-1 du code du travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire, soit la somme de 1820,04 euros X 6 = 10 920,24 euros, étant rappelé que cette indemnité est calculée sur la base des six mois précédant la rupture du contrat de travail.

Elle est en droit également de réclamer un rappel de salaire mais dans la limite de la prescription de trois ans invoquée par l'employeur, soit à compter du 14 novembre 2011. Il lui sera donc accordé :

(1516,70 X 9) + (1516,70 X 17/30) = 14 509,76 euros, outre les congés payés afférents.

Sur le paiement des salaires durant la période de protection résultant de la maternité de Mme [O] [R]

Mme [O] [R] fait valoir que M. [W] [E] était parfaitement informé de son état de grossesse lorsqu'il lui a notifié son licenciement pour faute lourde, ce qu'il ne pouvait faire, en tout état de cause, qu'à la fin de la période de protection visée à l'article L. 1225-4 du code du travail, de sorte qu'elle est en droit de réclamer un rappel de salaire sur quatre mois.

La SARL [E] comptabilité conseil réplique que la salariée n'apporte aucun élément sur son état de grossesse et sur les déclarations qu'elle aurait faites à l'employeur à ce titre.

Aux termes de l'article L. 1225-4 du code du travail, dans sa version en vigueur:

'Aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d'une salariée lorsqu'elle est en état de grossesse médicalement constaté et pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu'elle use ou non de ce droit, ainsi que pendant les quatre semaines suivant l'expiration de ces périodes.

Toutefois, l'employeur peut rompre le contrat s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa.'

Toutefois, en application de l'article R. 1225-1 du code du travail 'Pour bénéficier de la protection de la grossesse et de la maternité, prévue aux articles L. 1225-1 et suivants, la salariée remet contre récépissé ou envoie par lettre recommandée avec avis de réception à son employeur un certificat médical attestant son état de grossesse et la date présumée de son accouchement ou la date effective de celui-ci, ainsi que, s'il y a lieu, l'existence et la durée prévisible de son état pathologique nécessitant un allongement de la période de suspension de son contrat de travail.'

Or, Mme [O] [R] n'apporte aucun élément ni sur sa grossesse, ni sur l'information de l'employeur en application des dispositions précitées.

Elle ne peut donc qu'être déboutée de sa demande.

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

Mme [O] [R] fait valoir que :

- en marge des propos et gestes parfaitement obscènes régulièrement subis, elle a également été confrontée au comportement extrêmement déloyal de son employeur visant très clairement à détourner sa clientèle et celle de Mme [M]

- elle verse aux débats le témoignage écrit de Mme [L], précisant de façon très détaillée les man'uvres de Mme [A], salariée de M. [E] ainsi que celles de M. [K] [H] visant à la discréditer professionnellement pour détourner les clients rattachés à MCC au profit du Cabinet [E] et Fils (dans lequel elle n'avait pas d'intérêt financier)

- M. [X] a également tenu à attester du fait que MM. [Z] et [U] (membres du Cabinet [E] et fils) ont demandé à son épouse et lui-même de quitter le cabinet MCC pour transférer leur dossier au cabinet [E] et Fils

- Mme [D] dénonce les mêmes agissements : 'Mme [A] a malheureusement beaucoup dénigré le travail de [O] et [Y], elle l'a dit à des clients, à moi mais je n'ai pas suivi son chemin car c'était presque malsain. D'autres ont pris son chemin'. Dommage car le travail et les conseils rendus par [O] et [Y] sont bien meilleurs'

- outre ce témoignage, elle produit également les courriers des artisans et petites entreprises initialement gérés par le cabinet comptable exigeant le transfert de leur dossier au bénéfice du Cabinet [E]

- ce sont d'ailleurs ces détournements qui firent l'objet de la réunion du mois de juillet 2014 au cours de laquelle, ainsi que le confirmait devant la cour d'appel le propre fils de M. [E], [I] [E], elles dénonçaient, toutes deux, les procédés employés

- ces détournements autant que l'entreprise systématique de dénigrement professionnel mise en 'uvre par les associés du cabinet [E] justifient l'octroi de la somme de 10 000 euros au titre du préjudice résultant de l'exécution déloyale du contrat de travail par son employeur.

Aux termes de l'article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. Il en résulte qu'un salarié peut engager la responsabilité contractuelle de son employeur lorsque ce dernier a manqué à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail. La bonne foi contractuelle étant présumée, il incombe au salarié de rapporter la preuve que les faits qu'il allègue sont exclusifs de la bonne foi contractuelle.

Dès lors qu'un salarié recherche la responsabilité de son employeur pour exécution déloyale du contrat de travail, il lui incombe de préciser et d'établir les griefs au soutien de sa prétention d'une part et de prouver le préjudice qui en est résulté d'autre part.

La cour relève que Mme [O] [R] fait état dans ses conclusions du témoignage de Mme [L] mais ne vise et ne produit aucune pièce à ce titre, son bordereau ne faisant pas mention d'une attestation de cette personne.

M. [G] [X] déclare 'En début d'année 2014, Messieurs [Z] et [J] [U] ont demandé à ma femme de quitter le cabinet pour aller dans le cabinet [E] et fils. Ils ont en effet dénigré le travail de [O] et [Y], pourtant je n'ai rien à leur reprocher. Je pense qu'ils ont dénigré injustement ces filles'.

Il s'agirait donc d'un dénigrement provenant des membres du Cabinet [E] et fils et non de la SARL [E] comptabilité conseil, étant relevé que Mme [O] [R] évoque surtout un préjudice subi en tant qu'associée et non en tant que salariée.

Mme [D], restauratrice, évoque un dénigrement de la part de Mme [A] sans étayer son propos et il n'est fait état dans aucun témoignage de faits imputables directement à l'employeur.

Compte tenu de cette carence probatoire, il convient de rejeter la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

Sur la demande de résiliation judiciaire

Mme [O] [R] fait valoir que :

- elle a dénoncé lors de l'enquête pénale les propos récurrents de M. [W] [E], en ces termes :

-'« C'est toujours les mêmes choses, toujours les mêmes disques : Il me dit par exemple, t'as changé les piles de ton vibro-masseur ' T'est bonne à baiser ! T'as un beau cul ! La mienne elle fait 30 cm au repos. J'ai les clés de chez toi, je viens ce soir. Comment ça s'est passé avec ton mec ' Il doit être nul au lit. Tu suces bien ' »

- il avait pour habitude d'achever ses conversations téléphoniques avec elle par des propos tout aussi déplacés : « Je t'embrasse partout » et durant la communication il 'parlait de cul'

- elle a également souligné lors de son audition que M. [E] avait pour habitude de visionner des films pornographiques sur son ordinateur de façon ostensible, y compris lorsque elle-même ou d'autres personnes se rendaient dans son bureau

- les témoignages recueillis par les enquêteurs à la suite de sa plainte et de celle de Mme [M] sont édifiants et sont repris aussi bien dans le jugement correctionnel que dans l'arrêt rendu par la chambre des appels correctionnels

- en tout état de cause, la culpabilité de M. [E] pour les faits de harcèlement sexuel est définitivement acquise tenant l'arrêt rendu le 10 novembre 2021 par la chambre criminelle de la Cour de cassation

- les propos tenus durant près de trois années par M. [E] à son égard autant que son comportement qualifient en tous points les actes répétés de harcèlement sexuel

- l'employeur prétend en vain qu'elle aurait échafaudé un stratagème pour contester son licenciement devant le conseil de prud'hommes

- elle a exprimé également devant les enquêteurs la nécessité dans laquelle elle était de devoir travailler et la crainte de perdre son emploi immédiatement après la dénonciation, ce scénario s'étant d'ailleurs réalisé après qu'elle ait dénoncé M. [E]

- dès lors, les manquements établis à l'égard de la SARL [E] comptabilité conseil, à savoir les faits de harcèlement sexuels, suffisants pour qualifier la violation de l'obligation de sécurité et les faits de détournements de clientèle et de dénigrement, sont avérés et d'une particulière gravité, empêchant la poursuite de la relation contractuelle.

La SARL [E] comptabilité conseil réplique que :

- les difficultés rencontrées avec les salariées du cabinet ont débuté bien avant le dépôt de leur plainte pénale et tenait à l'origine à un défaut de traitement des tâches de comptabilité, un défaut de respect des procédures ainsi qu'à une baisse anormale des recettes

- M. [E] qui connaissait les liens entre les demanderesses et M. [B] [N] fraîchement licencié pour des faits de détournement d'honoraires et d'abus de confiance, prenait soin d'indiquer aux deux salariées dans une correspondance du 22 septembre 2014 : « Il convient par ailleurs de respecter une stricte rigueur pour la facturation des honoraires et des encaissements correspondant par chèque ou par virement. Tout manquement sera considéré comme une faute grave »

- les salariées qui prétendent aujourd'hui avoir été harcelées « tout le temps » n'ont, à aucun moment, évoqué de tels faits dans la correspondance adressée en réponse le 9 octobre 2014, ce qui n'est pas cohérent

- les salariées étaient également associées au sein du cabinet [E] Conseil Comptabilité, ce qui suppose un affectio societatis bien peu compatible avec des faits incessants de prétendus harcèlement sexuel

- les accusations proférées ne reposent sur rien sinon les déclarations croisées des deux salariées dans leur plainte pénale et sur de vagues attestations

- M. [E] ne les voyait que très épisodiquement et non quotidiennement, comme cela est confirmé par des salariés

- la demande de résiliation du contrat de travail ne peut qu'être écartée

- les deux salariées ont commis, pendant de nombreux mois, au préjudice de la société, de graves détournements en procédant notamment à des formalités juridiques, se faisant remettre directement par les clients des sommes en liquide en rémunération du travail qu'elles effectuaient pour le compte de la société

- l'employeur a également constaté de multiples carences dans le traitement des dossiers.

Le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquements suffisamment graves de ce dernier à ses obligations, de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

La résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse avec toutes ses conséquences de droit.

Les juges doivent dès lors caractériser l'existence d'un ou plusieurs manquements de l'employeur et, cela fait, ils doivent, dans un second temps, apprécier si ce ou ces manquements sont d'une gravité suffisante pour justifier l'impossibilité de poursuivre le contrat de travail.

Si le salarié saisit le conseil des prud'hommes d'une demande de résiliation de son contrat de travail et qu'il est ensuite licencié, le juge doit examiner d'abord la demande de résiliation judiciaire, avant de se prononcer sur la régularité du licenciement.

S'il fait droit à la demande de résiliation judiciaire :

- les effets de la résiliation judiciaire sont fixés à la date du licenciement,

- il n'y a pas lieu de statuer sur l'éventuelle contestation du licenciement.

Aux termes de l'article L. 1153-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable :

'Aucun salarié ne doit subir des faits :

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.'

En application de l'article L. 1153-5 du code du travail, dans sa version en vigueur, 'L'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d'y mettre un terme et de les sanctionner.'

Il n'y a pas lieu de revenir sur les faits de harcèlement sexuel reprochés à M. [W] [E], dans la mesure où sa culpabilité est définitivement acquise, pour la période du 8 août 2012 au 1er décembre 2014, en l'état de l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 10 novembre 2021.

En outre, Mme [O] [R] a justifié, au cours de la procédure pénale, par un certificat médical du 13 octobre 2014, d'un état anxio-dépressif traité médicalement ainsi que du fait qu'elle venait travailler la 'boule au ventre'.

La SARL [E] comptabilité conseil n'apporte aucun élément objectif étranger à tout harcèlement sexuel.

Le seul fait que Mme [O] [R], dans son courrier du 9 octobre 2014, n'a pas fait état d'une situation de harcèlement sexuel est sans emport puisqu'elle ne répondait précisément qu'aux éléments contenus dans le courrier de l'employeur, lequel invoquait 'différents problèmes' rencontrés depuis l'ouverture du bureau de [Localité 3].

Force est de constater que le gérant, M. [E], ne reprochait alors à la salariée aucun détournement. Il est significatif d'ailleurs de relever que ce dernier invoquait un autre argument, lors de son audition par les enquêteurs, à savoir que les plaintes de Mmes [R] et [M] s'expliquaient par le fait qu'au cours d'une réunion du mois de juillet 2014, il avait été décidé de les licencier pour faute en raison de détournement fonds, ce qui était démenti par les témoins, y compris le propre fils de M. [E] qui reconnaissait à la barre qu'au mois de juillet 2014, son père n'avait en aucun cas émis le moindre soupçon ou grief lié à de prétendus détournements imputés aux salariées.

Ainsi, il ressort de la chronologie des éléments du dossier que la mise à pied conservatoire des 1er et 3 décembre 2014 à l'encontre des deux salariées avant leur licenciement notifié le 2 janvier 2015, fait suite à la plainte de celles-ci, étant précisé que la plainte pour détournements déposée le 18 février 2015 par l'employeur a été classée sans suite.

Le manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur est démontré par la commission des faits de harcèlement sexuel par le gérant de la société, révélant par la même que toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail n'ont pas été prises par la société.

Il s'agit d'un manquement suffisamment grave pour justifier le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail, ayant les effets d'un licenciement nul.

Sur les conséquences indemnitaires

Mme [O] [R] a droit au remboursement de la mise à pied conservatoire, soit de la somme de 1652 euros outre 165 euros de congés payés afférents.

Elle a droit également à une indemnité compensatrice de préavis de deux mois, soit 1820,04 euros X 2 = 3640,08 euros, outre les congés payés afférents ainsi qu'à une indemnité légale de licenciement, pour une ancienneté de deux ans et quatre mois de : [(1/5 X 1820,04) X 2] + [(1/5 X 1820,04) X 4/12] = 849,35 euros.

En application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, Mme [O] [R] a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [O] [R] (1820,04 euros), âgée de 37 ans lors de la rupture, de son ancienneté de deux ans et quatre mois, de ce qu'elle ne justifie pas de sa situation personnelle, la cour estime que le préjudice résultant pour cette dernière de la rupture doit être indemnisé par la somme de 10 920,24 euros.

Concernant les dommages et intérêts pour licenciement vexatoire, Mme [O] [R] ne démontre pas un préjudice distinct de celui indemnisé par la somme octroyée au titre d'un licenciement nul et par les dommages et intérêts attribués par la juridiction pénale, au titre du harcèlement sexuel, Mme [O] [R] ne justifiant pas d'une autre faute de la part de l'employeur susceptible de le voir condamner à une indemnisation supplémentaire.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de la SARL [E] comptabilité conseil et l'équité justifie de faire application de l'article 700 du code de procédure civile, dans la mesure énoncée au dispositif.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort

- Infirme le jugement rendu le 7 mars 2023 par le conseil de prud'hommes de Nîmes sauf en ce qu'il a débouté la SARL [E] comptabilité conseil de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Statuant à nouveau des autres chefs infirmés,

- Dit que l'instance n'est pas éteinte par la péremption,

- Dit que la demande de Mme [O] [R] est recevable,

- Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail ayant les effets d'un licenciement nul,

- Condamne la SARL [E] comptabilité conseil à payer à Mme [O] [R] :

- 10 542,40 euros au titre de la requalification en contrat de travail à temps plein

- 1054,24 euros de congés payés afférents

- 14 509,76 euros de rappels de salaires pour la période non prescrite à compter du 14 novembre 2011

- 1450,97 euros de congés payés afférents

- 10 920,24 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé

- 1652 euros en remboursement de la mise à pied conservatoire

- 165,20 euros de congés payés afférents

- 3640,08 euros d'indemnité compensatrice de préavis

- 364 euros de congés payés afférents

- 849,35 euros d'indemnité légale de licenciement

- 10 920,24 euros d'indemnité de licenciement nul

- Condamne la SARL [E] comptabilité conseil à payer à Mme [O] [R] la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Rejette le surplus des demandes,

- Condamne la SARL [E] comptabilité conseil aux dépens de première instance et d'appel.

Arrêt signé par la présidente et par la greffière.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

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