CA Limoges, ch. soc., 20 mars 2025, n° 24/00160
LIMOGES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
G
Défendeur :
LB Media (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Jeorger-Le Gac
Conseillers :
Mme Voisin, Mme Plenacoste
Avocats :
Me Joseph, Me Autef
FAITS ET PROCÉDURE :
La société LB Média exerce une activité d'agence de communication et marketing.
M. [R] et la société LB Média ont conclu, le 26 avril 2018, un contrat d'agent commercial au titre duquel M. [R] commercialisait des encarts publicitaires pour le compte de la société LB Média. Le contrat d'agent commercial a pris effet à la date de sa signature pour une durée déterminée d'un an renouvelable par tacite reconduction.
Par courrier du 14 février 2022, M. [R] a résilié le contrat susvisé, en raison d'une aggravation de son état de santé visuelle. Cette résiliation a été acceptée par la société LB Média et le contrat a pris fin le 13 mai 2022, après un préavis de trois mois.
Par courriers du 19 juillet 2022 et du 3 novembre 2022, M. [R] a mis en demeure la société LB Média de lui verser une indemnité de fin de contrat.
En l'absence de réponse, par assignation du 16 février 2023, M. [R] a saisi le Tribunal de commerce de Limoges aux fins de faire constater que sa résiliation du contrat d'agence était due exclusivement à son infirmité, handicap et maladie et de condamner la société LB Média au paiement d'une indemnité de rupture de 52.079,33 euros et au paiement de dommages et intérêts de 15 000 euros pour préjudice moral.
Par jugement du 29 janvier 2024, le Tribunal de commerce de Limoges a:
- Débouté M. [R] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamné M. [R] à verser à la SAS LB MEDIA une indemnité de 1 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens de l'instance dont le coût de la présente décision liquidé à la somme de 60,22 euros dont 10,04 euros de TVA.
Le Tribunal de commerce a retenu que l'aggravation de l'état de santé de M. [R] et ainsi son infirmité, n'étaient pas démontrées. Ainsi, les conditions d'incapacité de conduite de M. [R] en termes d'acuité visuelle n'étaient pas réunies, tant au moment de la signature de son contrat d'agent commercial qu'à la date de résiliation, et il ne rapportait pas la preuve de la survenance de l'infirmité durant l'exécution du contrat, d'autant que sa nouvelle activité professionnelle (épicerie) le conduisait à une utilisation quasi-quotidienne de son véhicule et nécessitait des facultés visuelles au moins équivalentes à celles requises dans le cadre de son contrat d'agent commercial.
Par déclaration du 4 mars 2024, M. [R] a interjeté appel de ce jugement.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures du 21 novembre 2024, M. [R] demande à la cour de :
- Déclarer M. [R] recevable et bien fondé en toutes ses demandes ;
Y faisant droit,
- Infirmer le jugement rendu le Tribunal de Commerce de Limoges rendu le 29 janvier 2024 en ce qu'il a :
- Débouté M. [R] de l'entièreté de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamné M. [R] à verser à la société SAS LB MEDIA une indemnité de MILLE EUROS sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamné M. [R] à supporter les entiers dépens de l'instance.
Statuant à nouveau
- Dire que la résiliation par M. [R] du contrat d'Agent commercial qui le liait à la société LB MEDIA est due et justifiée par l'aggravation de son état de santé et donc, son infirmité, entraînant un état d'invalidité reconnu et que par suite de cet état, la poursuite d'activité dans les conditions de travail et de sécurité nécessaires à ladite profession, ne pouvait plus être raisonnablement exigée.
- Condamner en conséquence la société SAS LB MEDIA à payer à M. [R] une indemnité compensatrice de rupture de son contrat de 52.079,33€ avec intérêts de retard au taux légal depuis la mise en demeure du 19/07/2022.
- Condamner la société SAS LB MEDIA à payer à M. [R] des dommages intérêts à hauteur de 15. 000 € en réparation du préjudice moral et financier subi par ce dernier.
- Condamner la société SAS LB MEDIA à payer à M. [R] une indemnité de 4500€, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que la résiliation du contrat d'agent commerciale, à son initiative, est justifiée par l'aggravation soudaine de son état de santé visuel, générant une incompatibilité à la conduite et au travail sur écran telle que la poursuite de son activité ne pouvait plus être raisonnablement exigée. Il soutient, à ce titre, que le Tribunal de commerce n'a pas appréhendé la réelle cause de son incapacité de conduite en se fondant uniquement sur son acuité visuelle réduite et non sur l'apparition d'une nouvelle affection, à savoir sa diplopie permanente (vision double), suite à une intervention chirurgicale avec complications pour décollement de rétine de l''il droit en août 2021. Il indique démontrer par de multiples certificats médicaux la cause de cette diplopie permanente, la détérioration soudaine de son état de santé et l'invalidité en résultant, reconnue par les professionnels de santé mais également les organismes publics (MDPH, AGEFIPH) qui ont reconnu son handicap et l'ont accompagné vers une reconversion professionnelle adaptée à ses aptitudes physiques. Il assure que son infirmité ne lui permettait plus de répondre à ses missions d'agent commercial qui impliquaient de nombreux déplacements professionnels et en parallèle un travail constant sur les écrans.
Il fait valoir que les contraintes rencontrées dans le cadre de sa nouvelle activité professionnelle, à savoir gérant d'une épicerie fine dans le cadre d'une franchise, sont totalement différentes. S'agissant de la conduite, il indique que ses déplacements sont réduits au trajet entre son domicile et sa boutique (14 kilomètres) et qu'il bénéficie, en outre, d'une aide aux déplacements. Il précise, en outre, que des essais thérapeutiques ont été réalisés en novembre 2023, soit deux ans après l'aggravation de son état de santé, lui permettant de conduire occasionnellement, comme cela a été constaté par l'enquêteur privé mandaté par la société LB Média. Il indique toutefois qu'à l'issue des tests, le nouvel équipement optique ne permet pas d'amélioration lui permettant de conduire quotidiennement. S'agissant des autres modalités d'exercice de sa nouvelle activité, il soutient que la gestion d'une épicerie fine ne le contraint pas à la même exposition aux écrans et qu'il peut, en outre, déléguer certaines tâches grâce à l'accompagnement dont il bénéficie du fait de sa situation de handicap.
Il soutient, enfin, que l'usage et la jurisprudence constante établissent le montant de l'indemnité à deux années de commission brutes, sans déduction des frais professionnels. Il dit subir un préjudice moral quant à l'opposition injustifiée de la société LB Média, qui l'a placé dans une situation de fragilité financière, et suite aux fausses accusations portées par son employeur.
Aux termes de ses dernières écritures du 2 août 2024, la société LB Média demande à la cour de :
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [R] de l'ensemble de ses demandes ;
- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société LB MEDIA de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Et se faisant,
- Condamner M. [R] à verser à la société LB MEDIA la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles exposés en première instance ;
- Condamner M. [R] à verser à la société LB MEDIA la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que la rupture du contrat d'agent commercial est à l'initiative de M. [R], qu'il ne justifie pas de son impossibilité de poursuivre raisonnablement son activité d'agent commercial, ayant en réalité choisi de se reconvertir par aspiration personnelle et ne pouvant ainsi bénéficier d'une indemnité de rupture. Elle indique que M. [R] avait une totale indépendance dans les modalités d'exercice de son activité et que, dans le cadre de cette activité, il n'effectuait en réalité aucun déplacement lointain, la grande majorité de ses clients se trouvant sur [Localité 4] et le nombre des visites était restreint à une visite par an maximum auprès des clients.
Elle soutient, en outre, que l'infirmité dont M. [R] se prévaut n'est pas apparue en août 2021, ce dernier souffrant dès la conclusion d'un contrat d'agent commercial d'un problème de santé à l''il droit résultant d'un traumatisme datant de 1987 (luxation du cristallin et cataracte). Elle indique que la diplopie existait également déjà et qu'il n'est pas démontré son caractère permanent, tout comme les conséquences sur la poursuite de son activité.
Elle relève de nombreuses contradictions dans les éléments produits par M. [R], s'agissant notamment de l'empêchement à la conduite du fait de sa diplopie. Elle indique ainsi que, dans un premier temps, les certificats médicaux n'ont mentionné qu'une gêne à la conduite et que seulement postérieurement à la procédure engagée par M. [R], il a été mentionné une contre-indication. Elle souligne que, contrairement à ses déclarations, M. [R] est en capacité de conduire comme le démontrent sa nouvelle activité professionnelle et les conclusions de l'enquêteur privé qu'elle a été contrainte d'engager pour prouver ce qu'elle avait déjà découvert.Concernant le travail sur écran, elle soutient qu'aucun élément n'est produit aussi bien s'agissant de la charge de travail sur écran dans le cadre du contrat d'agent commercial que sur l'empêchement prétendu. Elle indique également que, pour sa nouvelle activité commerciale, M. [R] a des contraintes visuelles identiques, sinon plus importantes (reportings au franchiseur, remontées à l'expert-comptable, vérifications des résultats et utilisation de la caisse enregistreuse, travail sous des spots lumineux...).
Elle soutient que M. [R] pouvait continuer à exercer son métier d'agent commercial, le cas échéant en adaptant son travail en fonction de son infirmité, notamment en développant le travail à distance. Elle indique que les aides envisagées ne concernent que le nouvel emploi de M. [R] et qu'aucun document ne démontre que son emploi d'agent commercial n'était pas compatible et adaptable dans le cadre de l'aide au travailleur handicapé.
Enfin, s'agissant de la demande de dommages-intérêts, elle soutient que M. [R] ne justifie pas d'une faute distincte de la société LB Média autre que son refus légitime de verser l'indemnité de rupture demandée, et n'a donc subi aucun préjudice moral.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 décembre 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande d'indemnité de rupture formulée par M. [R]
Sur le droit à indemnité de rupture
Conformément aux dispositions de l'article L134-12 du Code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits. Les ayants droit de l'agent commercial bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent.
L'article L134-13 du même code dispose toutefois que la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants :
1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;
2° La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;
3° Selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence.
Il appartient à l'agent commercial de justifier de l'existence de circonstances d'âge ou de maladie visées à l'article L. 131 - 13.
C'est du jour où l'agent commercial prend l'initiative de rompre le mandat, ou au plus tard à la date d'effet de cette rupture, que doivent exister les circonstances d'âge ou de maladie visées par l'article L. 134 - 13 du code de commerce.
En l'espèce, par courrier du 14 février 2022, M. [R] a informé la société LB Média de son intention de résilier le contrat d'agent commercial, indiquant être « dans l'incapacité de poursuivre raisonnablement, dans les conditions de travail et de sécurité nécessaires, la mission d'agent commercial qui m'a été confiée et contraint d'envisager la cessation de cette activité professionnelle en vue d'une reconversion ». Il évoquait dans son courrier « la soudaine aggravation » de son état de santé ayant entraîné une ITT de 35 jours (du 9 août au 12 septembre 2021) et des conséquences et difficultés quotidiennes dans l'exercice de sa mission. Il évoquait « une incapacité permanente partielle entraînant une déficience visuelle reconnue, incompatible avec son actuelle profession ».
Par courrier du 17 février 2022, la société LB Média prenait acte de la décision de M. [R] de mettre fin au contrat d'agent commercial et confirmait que ce contrat prendrait fin le 13 mai 2022 au terme du préavis de trois mois.
Il ressort des éléments médicaux produits que M. [R] a été victime d'un traumatisme de l''il droit par plaie à l'âge de 10 ans (1988). Le certificat du Docteur [W] [Y] (service d'ophtalmologie CH [3]- [Localité 4]) du 12 juillet 2021 mentionne que M. [R] présente 'une désertion zonulaire du cristallin avec une cataracte post-traumatique importante, une issue du vitré majeur en chambre antérieure'. Il y avait une indication à la chirurgie visant à réaliser 'une vitrectomie, une ablation du cristallin et la mise en place d'un implant à fixation irienne'. La récupération visuelle restait difficile à prévoir devant l'ancienneté du traumatisme.
Une intervention chirurgicale a été réalisée le 9 août 2021 par le Docteur [B] [Z] (chirurgien - polyclinique de [Localité 6]) avec opération d'un décollement de rétine tractionnel secondaire apparu en 2021 et opération de la cataracte avec mise en place d'un implant clipsé.
Postérieurement à cette intervention, plusieurs certificats médicaux font état d'une diplopie (vision double):
- certificat du 15 février 2022 du Docteur [H] (CH [3] -[Localité 4]) qui mentionne que M. [R] présente une diplopie permanente, avec 'divergence de son 'il droit de 40 dioptries en vision de loin et de près'. La déviation est trop importante pour bénéficier d'une correction prismatique. Un correction chirurgicale pourrait être évoquée après consolidation définitive des précédentes interventions,
- courrier du 8 novembre 2022 du Docteur [B] [Z] qui mentionne que suite à cette opération, un strabisme divergent qui avait débuté avec diplopie avant l'épisode rétinien de 2021 s'est amplifié et M. [R] est désormais 'gêné par une diplopie permanente empêchant la conduite automobile',
- certificat du 23 novembre 2022 du Docteur [X] [E] (médecin généraliste) qui constate que suite à l'aggravation de l'état de santé ophtalmologique de M. [R] en août 2021, il présente une contre-indication à la conduite automobile ainsi qu'au travail sur écran, ayant des répercussions directes sur son activité professionnelle,
- compte-rendu de consultation du 21 septembre 2022 du Docteur [S] [J] qui reprend l'acuité visuelle de M. [R] et mentionne que, par ailleurs, il 'présente des signes fonctionnels de diplopie permanente depuis la précédente intervention chirurgicale de décollement de rétine', il existait 'un strabisme divergent de plus de 40 dioptries qui n'est pas prismable'. M. [R] présentait également des céphalées en lien avec cette diplopie.
Une chirurgie du strabisme a été réalisée en février 2023 par le Docteur [B] [Z]. Les certificats médicaux font toutefois état d'une diplopie persistante:
- certificat du 13 mars 2023 du Docteur [S] [J] qui mentionne qu'il persiste 'une diplopie plus faible qu'avant l'intervention de strabisme', il va être tenté à l'avenir une 'primation dans les verres pour la réduire mais il est possible qu'elle persiste de façon définitive',
- courrier du 4 avril 2023 du Docteur [B] [Z] dans le cadre d'un contrôle post-opératoire, qui mentionne que M. [R] 'a été bien amélioré esthétiquement après sa chirurgie de strabisme divergent consécutif mais malheureusement présente une diplopie résiduelle persistante et permanente'. Un 'press on prisme' a été prescrit, à combiner sur le verre doit, en espérant que cela permette de supprimer cette diplopie. Le Docteur [Z] ajoutait avoir réexpliqué à M. [R] que 'le problème était sa baisse de vision d'origine rétinienne avec la cicatrice maculaire rendant impossible une bonne image et donc une fusion correcte',
- certificat du 27 juin 2023 du Docteur [S] [J] qui indique que M. [R] présente des signes fonctionnels invalidants à type de diplopie permanente malgré une chirurgie de strabisme et une prismation de ses verres correcteurs. Il précise que 'cette diplopie est présente depuis l'intervention chirurgicale de décollement de rétine'. M. [R] est gêné par la conduite automobile, notamment dans les situations de faible luminosité, et il présente également une gêne pour le travail sur l'écran,
- certificat du 18 septembre 2023 du Docteur [X] [E], qui constate que l'état de santé de M. [R] contre-indique la conduite automobile, le travail sur écran et nécessite une aide aux déplacements. La réalisation de pauses courtes mais fréquentes est nécessaire en cours de journée,
- certificat du 28 février 2024 du Docteur [S] [J] selon lequel M. [R] présente une diplopie binoculaire importante, consécutive aux troubles ophtalmologiques de l'oeil droit, qui s'est compliqué du décollement de rétine puis d'une chirurgie strabique,
- compte-rendu de consultation du 18 novembre 2024 du Docteur [S] [J] qui mentionne que M. [R] présente une gêne visuelle persistante en rapport: d'une part avec une baisse d'acuité visuelle de l''il droit évaluée à 1/10, et d'autre part avec une diplopie permanente non améliorable malgré le port de prismes et une intervention de strabisme réalisée en février 2023 par le Docteur [Z]. Le Docteur [J] indique que la baisse d'acuité visuelle d'une part et la diplopie d'autre part sont deux éléments bien distincts provoquant une gêne visuelle. Il ajoute également que 'même si l'acuité visuelle de l''il gauche se maintient à 10/10, la présence d'une diplopie permanente est incompatible avec la conduite automobile'.
M. [R] a constitué un dossier auprès de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) en raison de ses troubles visuels, le certificat médical du 7 février 2022 faisant état de troubles visuels anciens post-traumatiques et 'd'une aggravation depuis le 9 août 2021 pour décollement de rétine opéré, diplopie, migraines séquellaires'. Les signes cliniques invalidants étaient la diplopie et les migraines.
Par décision du 21 juin 2022, la MDPH a attribué à M. [R] une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé valable du 1Er mars 2022 au 28 février 2025. La CPAM de Haute-Vienne a estimé que sa situation justifiait l'attribution d'une pension d'incapacité partielle, le médecin conseil ayant estimé qu'il présentait un état d'invalidité des 2/3 au moins de sa capacité de travail (titre de pension d'invalidité du 18 mai 2022). Une aide au déplacement en compensation du handicap lui a été accordée le 28 septembre 2023 par l'AGEFIPH, destinée à couvrir le surcoût encouru dans les frais de déplacement. Il a également obtenu une décision de reconnaissance de la lourdeur du handicap du 15 juillet 2024 de l'AGEFIPH au titre de son activité non salariée au sein de la société Distribution limousine, tenant compte du détail des charges induites de façon pérenne par le handicap.
Il ressort de ces éléments que les troubles visuels de M. [R], déjà présents au moment de la conclusion du contrat d'agent commercial s'agissant d'une perte d'acuité visuelle de l''il droit résultant d'un traumatisme antérieur, se sont aggravés suite à l'opération de chirurgie ophtalmologique réalisée le 9 août 2021 avec l'apparition d'une diplopie ayant des incidences en particulier sur sa capacité de conduite. Cette diplopie entraîne une gêne visuelle persistante, raison pour laquelle les médecins se sont prononcés sur une contre-indication à la conduite ou une incompatibilité à la conduite. Une aide spécifique au déplacement a été accordée à M. [R] à la suite de la reconnaissance de son handicap.
Le contrat d'agent commercial conclu le 26 avril 2018 entre M. [R] et la société LB Média prévoit que le mandant confie à l'agent commercial la représentation, la promotion et la vente des produits sur le département de la Haute-Vienne (87) et de la Creuse (23), étant convenu entre les parties que l'agent commercial pourra occasionnellement intervenir sur le département de la Corrèze (19) à la demande du mandat (paragraphe 2.2 Territoire et clientèle).
La société LB Média produit une liste des clients de M. [R] établissant que ces derniers se trouvaient en Haute-Vienne et principalement sur [Localité 4]. Deux réponses ont également produites au questionnaire adressé aux clients de M. [R] par la société LB Média quant au nombre de visites physiques annuelles: 2 à 3 visites pour la société Miroiterie GBM, 0 à 1 visite pour la société 'Oradour'. Les réponses des autres clients n'ont pas été communiquées.
Si ces éléments tendent à établir que dans l'exercice effectif de sa mission d'agent commercial M. [R] effectuait des trajets plus limités que ceux prévus au contrat, il n'en demeure pas moins que l'intervention sur l'ensemble du territoire pouvait être exigée par le mandant et qu'en tout état de cause la mission impliquait une présence sur le terrain pour entretenir le réseau de clients et prospecter, avec ainsi l'accomplissement habituel de trajets automobiles plus ou moins longs.
M. [R] produit les attestations de son époux et d'une amie témoignant l'avoir accompagné pour ses trajets professionnels, sans davantage de précision sur la période ou les dates.
M. [R] a repris à compter de juillet 2023 une activité commerciale, à savoir la gérance d'un commerce d'épicerie fine en centre-ville de [Localité 4]. Cette reconversion professionnelle a été suivie par l'AGEFIPH qui a octroyé les aides précitées (aide au déplacement, reconnaissance de la lourdeur du handicap).
Pour l'exercice de cette activité, ses trajets s'effectuent entre son domicile et la boutique (14 kilomètres).
Il ressort du rapport d'enquêteur privé sollicité par la société LB Média que M. [R] a conduit seul son véhicule entre son domicile et un parking du centre-ville de [Localité 4] le jeudi 23 novembre 2023 (matinée) et le vendredi 24 novembre 2023 (matinée). Il a également été observé que M. [R] a également pris un taxi le jeudi 23 novembre à 19h et a été déposé par un taxi le samedi 25 novembre 2023 à 9h30.
Ces éléments ne remettent toutefois pas en cause l'existence d'une gêne occasionnée par la diplopie, d'autant que les déplacements concernent un court trajet. Ils confirment, en outre, l'utilisation par M. [R] de l'aide au déplacement dont il bénéficie (recours aux services de taxis).
Par ailleurs, les contraintes en termes de déplacements professionnels attachées à l'activité d'épicerie fine de M. [R] ne sont pas les mêmes que celles attachées à son activité d'agent commercial pour se rendre auprès des clients et entretenir des relations professionnelles, nécessitant des déplacements plus fréquents et lointains.
De même, s'agissant du travail sur écran, pour lequel une gêne est également mentionnée dans les certificats médicaux, la sollicitation est moindre dans le cadre d'une activité de commerce que dans celle d'agent commercial où en dehors des rencontres physiques avec les clients et des réunions, l'essentiel de l'activité s'exerce de manière informatique.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, l'aggravation des troubles visuels de M. [R] à compter du mois d'août 2021 et plus particulièrement l'apparition d'une diplopie permanente a eu une incidence significative et médicalement constatée sur sa capacité de conduite et au travail sur écran. Compte tenu de l'importance des trajets professionnels attachés à sa mission d'agent commercial et l'importance du travail sur écran, l'infirmité de M. [R] résultant de sa diplopie permanente au jour où il a pris l'initiative de la rupture du contrat d'agent commercial ne permettait plus d'exiger raisonnablement de lui la poursuite de son activité.
Le jugement du 29 janvier 2024 du Tribunal de commerce de Limoges sera en conséquence infirmé en ce qu'il a débouté M. [R] de sa demande au titre du paiement de l'indemnité compensatrice de fin de contrat.
Sur le montant de l'indemnité de fin de contrat
L'article 9-1 du contrat d' agent commercial conclu entre la société LB Média et M. [R] prévoit que l'indemnité compensatrice en cas de résiliation du contrat est calculée selon les usages de la profession d' agent commercial.
Cette indemnité est destinée à compenser le préjudice subi par l'agent, privé des commissions dont l'exécution normale du contrat lui aurait permis de bénéficier, tout en procurant au mandant des avantages substantiels liés à l' activité de l' agent commercial.
M. [R] évalue l'indemnité de fin de contrat à la somme de 52.079,33 euros correspondant au montant de deux années de commissions brutes, se fondant sur un usage en la matière.
Cet usage n'écarte cependant pas l'appréciation concrète du préjudice subi par l'agent commercial et tenant aux circonstances de l'espèce.
Le contrat d'agent commercial entre M. [R] et la société LB Média a été conclu le 26 avril 2018. M. [R] évalue le montant des commissions versées sur trois ans (2019-2021) à 78.119 euros. Aucun justificatif n'est produit. Ce montant, mentionné dans la mise en demeure du 19 juillet 2022 et dans les écritures de M. [R], n'a pas fait l'objet d'observations de la société LB Média.
Le seul document produit est la synthèse des encours de M. [R] du 1er mai 2022 au 31 décembre 2022, soit postérieurement à la rupture du contrat d'agent commercial, faisant apparaître un montant à payer au titre des commissions en cours de 12.672,11 euros.
Au regard de la durée du contrat, il convient d'accorder une indemnité de fin de contrat sur la base d'un an d'exercice :78.119 euros/ 3ans = 26.040 euros arrondi.
L'indemnité de fin de contrat sera ainsi évaluée à la somme de 26.040 euros euros.
Sur la demande de dommages-intérêts formulée par M. [R]
M. [R] invoque un comportement fautif de la société LB Média consistant en son opposition au versement d'une indemnité de rupture et lui ayant causé un préjudice moral et financier.
Si la société LB Média a effectivement fait valoir son opposition, il n'est pas pour autant démontré que cette opposition ait dégénéré en un comportement fautif, la société ayant fait valoir ses prétentions et moyens dans le cadre de l'instance judiciaire et le Tribunal de Commerce ayant d'ailleurs fait droit à sa demande en première instance. Des pièces complémentaires ont également été produites par M. [R] postérieurement aux mises en demeure du 19 juillet 2022 et 3 novembre 2022.
M. [R] sera, en conséquence, débouté de sa demande de dommages-intérêts.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
La société LB Média succombant à l'instance, elle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Il est équitable de la condamner à payer à M. [R] la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
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PAR CES MOTIFS
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La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
INFIRME le jugement du 29 janvier 2024 du Tribunal de commerce de Limoges,
CONDAMNE la société LB Média à verser à [G] [R] une indemnité de fin de contrat de 26.040 euros (VINGT SIX MILLE QUARANTE EUROS)
DEBOUTE [G] [R] de sa demande de dommages-intérêts,
CONDAMNE la société LB Média à payer à la [G] [R] la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société LB Média aux dépens de première instance et d'appel.