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Décisions

CA Angers, ch. a - com., 25 mars 2025, n° 21/00083

ANGERS

Arrêt

Autre

CA Angers n° 21/00083

25 mars 2025

COUR D'APPEL

D'ANGERS

CHAMBRE A - COMMERCIALE

CC/ILAF

ARRET N°:

AFFAIRE N° RG 21/00083 - N° Portalis DBVP-V-B7F-EYGA

jugement du 13 Novembre 2020

Tribunal de Commerce du MANS

n° d'inscription au RG de première instance 19/007491

ARRET DU 25 MARS 2025

APPELANT :

Monsieur [L] [J]

né le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 7]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Inès RUBINEL de la SELARL LX RENNES-ANGERS, avocat postulant au barreau d'ANGERS - N° du dossier 214344 et par Me Jessy RENNER, avocat plaidant au barreau de POITIERS

INTIMEE :

S.A. GERAMA venant aux droits de la COMPTOIR BERRICHON DES ARTISANS DU BATIMENT 'COBAB'

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représentée par Me Pierre LAUGERY de la SELARL LEXCAP, avocat postulant au barreau d'ANGERS - N° du dossier 21A01052 et par Me Stéphane MIGNE, avocat plaidant au barreau de LA ROCHE SUR YON subsitué par Me Cécile GAUVRY

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 28 Janvier 2025 à 14 H 00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme CORBEL, présidente de chambre qui a été préalablement entendue en son rapport et devant M.'CHAPPERT, conseiller

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme CORBEL, présidente de chambre

M. CHAPPERT, conseiller

Mme GANDAIS, conseillère

Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS

ARRET : contradictoire

Prononcé publiquement le 25 mars 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine CORBEL, présidente de chambre et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

~~~~

FAITS ET PROCÉDURE

La société anonyme (SA) Comptoir berrichon des artisans du bâtiment (dite COBAB) aux droits de laquelle vient la société Gerama, membre de l'ORCAB (groupement de coopératives d'artisans), exerçait une activité de négoce de matériel de chauffage depuis le 1er juillet 1991 au profit d'artisans qui en sont adhérents.

Suivant décision du conseil d'administration du 24 octobre 2005, M.'[J] s'est vu confier le mandat de directeur général à compter du 1er février 2006. Il avait été précédemment recruté comme salarié pour exercer, à compter du 6 septembre 2004, les fonctions de chargé du développement, en tant qu'adjoint de direction. A la suite de cette désignation, son contrat de travail a fait l'objet d'un avenant, le 2 janvier 2006, qui précise qu'il exercera les fonctions de directeur général et de chef du personnel.

M. [J] a été reconduit dans son mandat de direction générale par le conseil d'administration de la SA COBAB.

La SA COBAB a rencontré des difficultés financières.

A l'issue d'une assemblée générale extraordinaire du 25 juin 2015, les membres du conseil d'administration de la SA COBAB ont présenté leur démission de manière collective. Un nouveau conseil d'administration a décidé de désigner M. [K] [N], né le [Date naissance 4] 1948), président du conseil d'administration et, unanimement, de confirmer le mandat de directeur général de M. [J].

Courant 2016, la SA COBAB a fait appel à l'ORCAB pour l'aider à surmonter ses difficultés.

Selon compte-rendu du 20 mai 2016 d'un audit établi les 12 et 13'mai, l'ORCAB a analysé les comptes de la société et son activité mais aussi a fait des observations sur la gouvernance de la société en relevant notamment, qu'elle n'avait pas la confiance de ses adhérents, et concernant la direction générale, qu'elle était 'en difficulté avec le conseil d'administration, en difficulté sur l'animation réseau, en difficulté sur la communication', et a dressé un plan d'action à envisager, comprenant 'la gouvernance : conseil/ direction'.

Par la suite, le conseil d'administration s'est réuni à plusieurs reprises, notamment en présence du représentant de l'ORCAB.

Les représentants de la COBAB ont été entendus par la présidente du tribunal de commerce de Châteauroux, conformément aux dispositions de l'article L. 611-2 du code de commerce. Selon compte-rendu de la réunion qui s'est tenue le 4 janvier 2017, la SA COBAB a exposé que les raisons des difficultés traversées depuis 2015 tenaient en un 'déficit de chiffre d'affaires (par'rapport aux prévisions)', en des 'charges importantes liées à l'investissement des nouveaux locaux', en l''évolution des charges d'exploitation et des stocks.' Ils ont indiqué avoir pris des mesures consistant dans le licenciement de salariés en 2015, dans un effort de réduction des charges d'exploitation et des stocks, dans un appel de la mobilisation des actionnaires sur le volume d'activité, dans la concertation avec le pool bancaire relativement à l'allongement de prêts immobiliers et au maintien de lignes à court terme, et ce, en accord avec l'ORCAB qui pouvait apporter un appui financier et juridique.

Par courriel du 27 février 2017, l'ORCAB a indiqué à la SA COBAB qu'elle avait relevé des anomalies importantes dans le fonctionnement de la coopérative, en particulier que 'la gouvernance est déficiente avec une mauvaise entente, démissions d'administrateurs, manque de représentativité, pas de confiance dans la direction générale', que 'le climat ne permet pas de porter des valeurs et la vie coopérative au sein du réseau d'adhérents', que 'suite aux investissements réalisés il y a 3 ans, la coopérative ne peut plus faire face à ses charges de remboursement' ; que 'le développement de l'activité était vital durant cette période mais les soucis de gouvernance, de mésentente du réseau ainsi qu'une direction générale apathique n'ont pas permis d'inverser la tendance.' L'ORCAB a précisé pouvoir accompagner la SA COBAB dans son projet de rapprochement avec une autre coopérative et que devant l'urgence de la situation et les difficultés de trésorerie à court terme, elle préconisait une décision avant le 30 avril 2017.

Suivant procès-verbal de réunion du conseil d'administration de la SA COBAB du 27 mars 2017, il a été noté que le projet de bilan faisait état de pertes moins importantes que prévu. Il a été convenu d'entrer en discussion avec la coopérative Gerama, en vue d'un rapprochement, l'adossement des deux coopératives dépendant notamment des engagements écrits de l'ORCAB.

Le 3 juillet 2017, M. [J] s'est vu remettre en mains propres par M. [N], président de la SA COBAB, une lettre le convoquant à un conseil d'administration devant se tenir le 5 juillet 2017 à 17h au terme duquel la révocation de son mandat de directeur général de la SA COBAB serait envisagée pour différents motifs, à savoir :

' (...), nous constatons différents éléments mettant en cause globalement votre capacité à poursuivre votre mission :

- fautes de gestion : un résultat fortement négatif pour le dernier exercice 2016, qui fait suite à des résultats eux-mêmes déficitaires sur les exercices antérieurs. Vous aviez pourtant présenté à l'origine de notre projet de transfert un budget prévisionnel qui laissait apparaître un tout autre résultat. Les'réactualisations que vous nous avez ensuite successivement présentées n'ont pas été conformes aux résultats réels obtenus. Ces faits sont liés à un chiffre d'affaires insuffisant, à une non-maîtrise des charges, de la marge et des stocks. Malgré des indicateurs de gestion révélateurs, vous avez tardé à engager des actions correctives qui incombent pourtant directement à votre fonction de directeur général afin de préserver les intérêts des adhérents de la coopérative. Ces résultats déficitaires ont impliqué une refacturation importante de tous les adhérents COBAB et un soutien important de notre groupement ORCAB.

- divergences de vues avec les adhérents ou fautes d'appréciation sur les mesures à prendre pour redresser la société : stratégie de recrutement de nouveaux adhérents, niveau de marge commerciale, de stocks et de trésorerie, management de l'entreprise, développement général de la coopérative notamment sur la région tourangelle,

- perte de confiance entre le directeur général et le conseil d'administration : non maîtrise des éléments de tableau de bord, comptes rendus approximatifs, communication difficile et peu de prise en compte des orientations voulues ou des réflexions émises par les administrateurs.

Ces sujets ont été évoqués oralement avec vous à plusieurs reprises lors de précédents conseils d'administration et lors de rencontres avec votre président, ou avec l'ORCAB. Nous ne pouvons malheureusement relever aucun changement de comportement de votre part et aucune remise en question d'orientations économiques ou stratégique pour notre coopérative.

Vous aurez l'occasion devant le conseil de pouvoir vous expliquer et de vous défendre sur les reproches que nous vous faisons.'

M. [J] s'est présenté à la convocation. Il est constant qu'il a déclaré au conseil qu'il considérait :

- sur la forme, que la convocation est brutale et légère,

- sur le délai de convocation, qu'il n'avait pas bénéficié d'un délai suffisant pour préparer sa défense contre les accusations portées contre lui, car la lettre les contenant ne lui a été remise que lundi matin,

- sur le fond, qu'il s'agissait de motifs fallacieux, non fondés, allégués uniquement pour tenter de justifier sa révocation ;

et qu'il a proposé de répondre ultérieurement aux griefs formulés contre lui et a déclaré souhaiter bénéficier d'un délai pour préparer sa défense et que s'instaure un débat contradictoire.

Une fois cette déclaration faite, le président lui a demandé de quitter la salle de réunion, afin que le conseil délibère et vote sur les questions à l'ordre du jour.

Le conseil d'administration a, par la résolution n°1 du procès-verbal des délibérations du 5 juillet 2017, décidé, à l'unanimité, à 17h26, de révoquer M.'[J] de son mandat social de directeur général.

Au cours de ce même conseil, il a été aussi acté la démission de M.'[N] au regard de la limite d'âge et M. [X] a été nommé en qualité de président du conseil d'administration.

M. [J] a ensuite fait l'objet d'un licenciement pour motif économique qui lui a été notifié par lettre du 16 août 2017 avec dispense d'exécution du préavis d'une durée de trois mois. Le contrat de travail de M.'[J] a pris fin le 17 novembre 2017.

A compter du 31 décembre 2017, le patrimoine de la SA COBAB a été apporté à la société coopérative artisanale à capital variable Gerama dans le cadre d'une fusion-absorption, selon procès-verbal des décisions de l'associée unique de cette dernière société. La SA COBAB a fait l'objet d'une radiation du registre du commerce et des sociétés de Châteauroux.

Par lettre recommandée de son conseil du 18 janvier 2018, M.'[J] a fait valoir que :

'- la révocation du mandat social est intervenue de manière brutale et vexatoire en violation du respect du principe du contradictoire, M. [J] n'ayant pas disposé d'un délai suffisant (48 heures) pour préparer sa défense.

- que les motifs de sa révocation ne sont ni fondés, ni justifiés et en totale contradiction avec les différentes actions menées par le directeur général durant l'exercice de son mandat.

- qu'il apparaît particulièrement contradictoire de justifier la révocation du mandat par des fautes commises et la rupture du contrat de travail de directeur général par un motif économique, les deux motifs devraient être identiques.

Aux termes de cette même lettre, M. [J] a rappelé qu'il avait une ancienneté de plus de 13 années au sein de la société, qu'il percevait une rémunération mensuelle brute de l'ordre de 8000 € et que compte tenu de son âge la reprise d'une nouvelle activité professionnelle apparaîtrait sérieusement compromise.

Par lettre officielle de son conseil du 31 janvier 2018, la SA COBAB a contesté toute révocation infondée, brutale ou vexatoire du mandat social de M.'[J], et a refusé de donner suite à la démarche amiable proposée par celui-ci.

Le 22 juin 2018, M. [J] a fait assigner la société Gerama venant aux droits de la SA COBAB, devant le tribunal de commerce de Châteauroux.

Par jugement du 17 avril 2019, la SA Gerama ayant soulevé in limine litis une exception d'incompétence territoriale, le tribunal de commerce de Châteauroux s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce du Mans.

En l'état de ses dernières conclusions devant le tribunal de commerce, M. [J] lui a demandé de déclarer nulle la décision du conseil d'administration du 5 juillet 2017 l'ayant révoqué de ses fonctions de directeur général, de condamner la SA Gerama à lui verser la somme de 145 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice économique, la'somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, causés par la révocation de son mandat de directeur général brutale et sans juste motif.

En défense, la société Gerama venant aux droits de la SA COBAB a sollicité du tribunal qu'il déboute M. [J] de l'ensemble de ses demandes et qu'il le condamne à lui payer une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, injustifiée et vexatoire.

Par jugement du 13 novembre 2020, le tribunal de commerce du Mans a :

- débouté M. [J] de sa demande de voir déclarer nulle la décision du conseil d'administration du 5 juillet 2017 l'ayant révoqué de ses fonctions de directeur général,

- débouté M. [J] de sa demande au titre d'une révocation brusque et sans motif de son mandat de directeur général le 5 juillet 2017,

- débouté M. [J] de sa demande de dommages et intérêts au titre de son préjudice économique,

- débouté M. [J] de sa demande de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral,

- débouté la société Gerama de sa demande de dédommagement pour la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, injustifiée et vexatoire,

- condamné M. [J] au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de la décision à intervenir,

- condamné M. [J] aux entiers dépens,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Par déclaration du 13 janvier 2021, M. [J] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de voir déclarer nulle la décision du conseil d'administration du 5 juillet 2017 l'ayant révoqué de ses fonctions de directeur général, l'a débouté de sa demande au titre d'une révocation brusque et sans motif de son mandat de directeur général le 5 juillet 2017, l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre de son préjudice économique, l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral, l'a condamné au paiement de la somme de 1'500'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'a condamné aux entiers dépens, l'a débouté du surplus de ses demandes, fins et conclusions, notamment au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens ; intimant la SA Gerama.

La société Gerama venant aux droits de la SA COBAB a constitué avocat et a formé appel incident limité au rejet de sa demande d'octroi de dommages et intérêts pour procédure abusive, injustifiée et vexatoire.

Les parties ont conclu.

Selon avis du 29 septembre 2021 adressé à leur conseil, le'conseiller de la mise en état de la cour d'appel d'Angers a invité les parties à s'interroger sur l'opportunité de mettre en place une mesure de médiation judiciaire pour trouver une solution amiable à leur litige. Cette proposition n'a pas été acceptée.

Une ordonnance du 13 janvier 2025 a clôturé l'instruction de l'affaire.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

M. [J] prie la cour de :

vu les articles L. 225-48 et L. 225-55 du code de commerce,

- infirmer partiellement le jugement de première instance en ce qu'il a :

* débouté M. [J] de sa demande de voir déclarer nulle la décision du conseil d'administration du 5 juillet 2017 l'ayant révoqué de ses fonctions de directeur général,

* débouté M. [J] de sa demande au titre d'une révocation brusque et sans motif de son mandat de directeur général le 5 juillet 2017,

* débouté M. [J] de sa demande de dommages et intérêts au titre de son préjudice économique,

* débouté M. [J] de sa demande de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral,

* condamné M. [J] au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance,

- débouter la SA Gerama de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

statuant à nouveau,

- déclarer nulle la décision du conseil d'administration du 5 juillet 2017 l'ayant révoqué de ses fonctions de directeur général,

- dire et juger que sa révocation le 5 juillet 2017 de son mandat de directeur général est brusque et sans juste motif,

en conséquence,

- condamner la SA Gerama à lui verser une somme qui sera fixée à 145 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice économique,

- condamner la SA Gerama à lui verser une somme qui sera fixée à 30 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

- condamner la SA Gerama à lui verser la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SA Gerama aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit.

La société Gerama venant aux droits de la SA COBAB demande à la cour de :

- dire et juger irrecevable et en tout cas mal fondé l'appel de M.'[J],

- la dire et juger recevable et bien fondée en 'son appel incident',

en conséquence,

- débouter M. [J] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce du Mans sauf en ce qu'il a rejeté sa demande d'octroi de dommages et intérêts et statuant à nouveau,

- condamner M. [J] à lui payer une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, injustifiée et vexatoire,

- condamner M. [J] à lui payer une somme de 6 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [J] aux entiers dépens d'instance et d'appel.

Pour un plus ample exposé des moyens au soutien des prétentions des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe :

- le 18 septembre 2023 pour M. [J],

- le 9 juillet 2021 pour la société Gerama.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la nullité de la décision du conseil d'administration du 5'juillet 2017 révoquant M. [J] des ses fonctions de directeur général

M. [N], qui présidait le conseil d'administration ayant décidé de la révocation de M. [J], avait été nommé président du conseil d'administration le 25 juin 2015 alors qu'il avait plus de soixante-cinq ans, âge limite fixé par l'article L. 225-48 du code de commerce.

Partant de ce que la nomination de M. [N] est nulle en application de ce texte, M. [J] soutient que la décision à laquelle il a participé est également nulle.

Il résulte de l'alinéa 2 de l'article L. 235-1 du code de commerce que lorsque la décision ne modifie pas les statuts, la nullité ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative de la législation sur les sociétés ou de celle régissant les contrats.

Sur ce point, les parties s'opposent quant à la portée de la modification apportée à l'article L. 225-48 du code de commerce par la loi n°2019-744 du 19 juillet 2019, qui a ajouté à ce même texte l'alinéa suivant : 'La'nullité prévue au deuxième alinéa et la démission d'office prévue aux troisième et avant-dernier alinéas n'entraînent pas la nullité des délibérations auxquelles a pris part le président du conseil d'administration irrégulièrement nommé ou réputé démissionnaire d'office ni la nullité de ses décisions.'

M. [J] induit de cet ajout qui exprime la volonté du législateur d'assurer une sécurité juridique des décisions du conseil d'administration, que'l'annulation était possible sous le régime antérieur, en estimant que, sinon, il n'y aurait pas eu besoin de légiférer dans ce sens.

Mais d'abord, ainsi que le relève la société Gerama, l'article L.'225-48 du code de commerce, même dans sa version antérieure, applicable, ne prévoit pas que la nullité de la nomination du président du conseil d'administration entraîne la nullité des délibérations auxquelles a pris part le président du conseil d'administration irrégulièrement nommé et une telle sanction ne s'évince pas de ce que le législateur a voulu expressément l'écarter en ajoutant des dispositions en ce sens.

Surtout, la société Gerama souligne justement que même si la voix du président du conseil d'administration ne doit pas être prise en compte, la'délibération aurait été adoptée puisqu'elle l'avait été à l'unanimité. En effet, le'quorum du conseil d'administration restait atteint et la décision prise, sans'compter la voix du président, restait adoptée à la majorité requise, conformément aux dispositions de L. 225-37 du code de commerce.

C'est donc à juste titre que les premiers juges ont écarté la demande de nullité de la délibération en cause.

Sur le caractère brutal et vexatoire de la révocation

Aux termes du 1er alinéa de l'article L. 225-55 du code de commerce, le directeur général est révocable à tout moment par le conseil d'administration. (...). Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à dommages-intérêts, sauf lorsque le directeur général assume les fonctions de président du conseil d'administration.

Ainsi, la révocation d'un directeur général peut intervenir à tout moment et n'est abusive que si elle a été accompagnée de circonstances ou a été prise dans des conditions qui portent atteinte à la réputation ou à l'honneur du dirigeant révoqué ou si elle a été décidée brutalement sans respecter le principe de la contradiction.

Dans le cas présent, il est constant que M. [J] a, d'abord, été'informé plus de 48 heures à l'avance de sa convocation devant le conseil d'administration devant se prononcer sur sa révocation ainsi que des motifs précis pour lesquels cette révocation était envisagée, et, ensuite, a pu s'exprimer devant le conseil d'administration, ce qui ressort du procès-verbal dans sa dernière rédaction, la discussion sur le fait que la rédaction de ce procès-verbal a pu évoluer étant sans incidence sur le point en débat puisqu'aucune des parties ne conteste que M. [J] a bien eu la faculté de s'exprimer et qu'il a refusé de le faire en demandant un délai complémentaire pour préparer sa défense.

M. [J] ne prétend pas qu'il ne disposait pas de toutes les données lui permettant de combattre les griefs invoqués contre lui.

Dans ces conditions, M. [J] a été mis en mesure de présenter ses observations ou sa défense avant que la décision de révocation soit prise. En'conséquence, il y a lieu de considérer que la révocation n'est pas abusive, sans même avoir à rechercher si M. [J] avait déjà été informé préalablement, par un courriel du 30 juin 2017 (9h46) envoyé sur sa boîte électronique par l'avocat de la société, de la tenue du conseil d'administration et de son ordre du jour, courriel que M. [J], s'il ne conteste plus son existence, conteste avoir lu avant la remise en main propre de la lettre de convocation, le 3 juillet 2017, à'10h30.

Enfin, il importe peu que le conseil d'administration n'a pas respecté à la lettre les préconisations du directeur à l'époque de la société Gerama, future repreneuse de la SA COBAB, sur le délai de convocation à respecter.

Sur le motif légitime de la révocation

La révocation de M. [J] intervient à l'issue d'un audit de l'ORCAB durant l'année 2016 ayant constaté des difficultés de fonctionnement de la société COBAB à plusieurs niveaux.

La société Gerema reproche à M. [J] son absence d'efficacité face aux difficultés financières qui étaient latentes depuis au moins l'année 2016 et l'échec manifeste des mesures correctives qu'il avait projetées et faites voter en juin 2015.

S'agissant des difficultés financières de la société, M. [J] répond que la société n'est pas en droit de lui en faire supporter la responsabilité dans la mesure où dans une société anonyme, les décisions importantes sont prises par le conseil d'administration. Il souligne à juste titre que lorsque l'ORCAB vise 'la gouvernance', il s'agit du conseil d'administration et que la partie adverse cherche à entretenir une confusion en englobant la direction générale dans le terme de gouvernance à laquelle se rapporte l'ORCAB pour pointer la défaillance de celle-ci.

En effet, dans les sociétés anonymes, la gouvernance revient au conseil d'administration et non pas au directeur général. Le conseil d'administration joue un rôle stratégique en déterminant les orientations de la politique sociale, il veille à leur mise en oeuvre et contrôle l'action du directeur général, en application des dispositions de l'article L. 225-35 du code de commerce. Il a donc essentiellement un pouvoir d'orientation et de contrôle. Il doit surveiller l'action du directeur général et exiger qu'il lui rende compte.

Le directeur général assure la direction générale de la société, conformément aux dispositions de l'article L. 225-51-1 du code de commerce. À'ce titre, art. L. 225-56, I, al. 1er lui confère des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société. Il dispose des pleins pouvoirs hiérarchiques et disciplinaires pour diriger l'ensemble des services. Il assure le fonctionnement régulier de la société. Il peut nommer et licencier les salariés, et'signer les contrats de travail. De façon générale, il peut oeuvrer pour une bonne direction administrative, commerciale et technique de la société. Il dispose d'une autonomie destinée à lui permettre d'assurer la bonne marche des affaires sociales et la représentation de la société.

Ainsi, s'il n'est pas possible de lui imputer les fautes de gestion tenant à un investissement immobilier disproportionné au regard des capacités financières de la société COBAB décidé par le précédent conseil d'administration ni le retard pris pour définir les lignes directrices en vue du redressement de la situation financière de la société, pour l'adoption desquelles le nouveau conseil d'administration a bénéficié de l'appui de l'ORCAB et qu'il a présentées au président du tribunal de commerce, pour autant la mise en oeuvre de ces mesures et le succès du rétablissement des comptes demandaient la mobilisation du directeur général, notamment pour développer l'activité de la société à travers le nombre d'adhérents, réduire les coûts d'exploitation, établir des tableaux de bord. Il appartenait également au directeur général d'apporter des solutions concrètes pour surmonter les difficultés de sorte que M. [J] ne peut être suivi lorsqu'il affirme que les mauvais résultats de la société ne peuvent être recherchés que du côté du conseil d'administration.

Il y a lieu de constater que M. [J], s'il affirme qu'il n'a eu de cesse d'alerter sur les problématiques financières de la société, n'évoque aucune proposition ou action de sa part en vue du redressement de la situation de la société après juin 2015 et le renouvellement du conseil d'administration. Il ne s'explique pas sur l'analyse faite par l'ORCAB, qu'aucune des parties ne critique, et qui, si elle pointe un dysfonctionnement de la gouvernance marqué par des dissensions entre administrateurs ayant conduit un nombre certain à la démission, des désaccords profonds entre certains adhérents et le conseil d'administration, pointe aussi l'apathie de la direction générale qui n'a pas permis d'inverser la tendance négative.

Les attestations produites de part et d'autres provenant d'adhérents, d'anciens ou d'actuels administrateurs ne peuvent qu'être lues avec réserve dans le cas d'une société divisée en clans, raison pour laquelle l'analyse de l'ORCAB apparaît être le seul élément objectif du dossier. Dès lors, si les trois attestations produites par la société Gerema sont insuffisantes pour retenir que le directeur général aurait été défaillant dans la gestion du personnel ou aurait orchestré une rivalité entre les adhérents, il sera retenu que le directeur général n'a pas su apporter des solutions aux dysfonctionnements de la coopérative notamment dans le développement de l'activité qui, selon l'ORCAB était un objectif vital à l'époque, et, par suite, dans le recrutement et la fidélisation des adhérents sur les départements 36 et 37, la gestion des stocks, ni épauler efficacement le conseil d'administration, ce que les attestions produites par M. [J], qui font apparaître, par ailleurs, qu'il était apprécié d'une grande partie des adhérents, ne permettent pas de contredire, ne comportant aucun élément précis quant au travail concrètement entrepris par M. [J] depuis juin 2015. Cette situation a naturellement entraîné, finalement, une perte de confiance du conseil d'administration dans le directeur général.

Dans ces circonstances, sans même avoir à rechercher si le troisième motif invoqué tenant à la mésentente est établi, ce qu'aucun élément ne semble démontrer, la révocation de M. [J] se trouve fondée sur un juste motif. Contrairement à ce que soutient M. [J], sa révocation n'est pas en contradiction avec son licenciement économique qui repose sur la suppression de son poste, conséquence de la situation financière de la société qui, pour ne pas être totalement compromise, a justifié la fusion absorption par une autre société.

Sur l'appel incident

Le jugement sera confirmé y compris en ce qu'il a rejeté la demande de la société Gerema pour procédure abusive en l'absence d'abus de droit d'agir de M. [J], que la société Gerema ne tente même pas de caractériser.

Sur les frais et dépens d'appel

M. [J], partie perdante, sera condamné aux dépens et à payer à la société Gerema la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

la cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris.

Y ajoutant,

Condamne M. [J] à payer à la société Gerema la somme de 4'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne M. [J] aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

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