CA Nîmes, 5e ch. soc. ph, 25 mars 2025, n° 23/02245
NÎMES
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 23/02245 - N° Portalis DBVH-V-B7H-I365
NR EB
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NIMES
09 juin 2023
RG :21/00298
[UU]
C/
S.A. LEROY MERLIN FRANCE
Grosse délivrée le 25 MARS 2025 à :
- Me
- Me
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 25 MARS 2025
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Nimes en date du 09 Juin 2023, N°21/00298
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Nathalie ROCCI, Présidente, a entendu les plaidoiries, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Nathalie ROCCI, Présidente
M. Michel SORIANO, Conseiller
Mme Leila REMILI, Conseillère
GREFFIER :
Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS :
A l'audience publique du 17 Janvier 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 25 Mars 2025.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTE :
Madame [B] [UU]
née le 01 Mars 1989 à [Localité 3]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Clément CHAZOT de la SELARL LEXEM CONSEIL, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉE :
S.A. LEROY MERLIN FRANCE
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentée par Me Patrick LANOY de la SELARL CAPSTAN PYTHEAS, avocat au barreau de NIMES
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Nathalie ROCCI, Présidente, le 25 Mars 2025, par mise à disposition au greffe de la cour.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS :
Mme [B] [UU] (la salariée) a été embauchée le 16 septembre 2013 par la SA Leroy Merlin (l'employeur) suivant contrat à durée indéterminée à temps complet, en qualité de chef de secteur, statut cadre, selon la convention collective nationale du bricolage.
Le 10 février 2021, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement prévu le 02 mars 2021.
Le 16 mars 2021, la SA Leroy Merlin a notifié à Mme [UU] son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :
' [...]Vous occupez le poste de chef de secteur menuiserie - cuisine / rangement au sein du magasin de [Localité 4], poste d'encadrement qui implique des fonctions de management et d'animation d'équipes.
Au début du mois de Novembre 2020, nous avons été interpelés par des collaborateurs et des représentants du personnel au sujet d'une situation qu'ils qualifiaient de harcèlement.
Comme nous en avons eu l'obligation, nous avons donc engagé une procédure d'enquête en faisant le choix d'un cabinet extérieur pour assurer un regard professionnel et objectif, ce qui nous a conduit à mandater le cabinet EVOLUTIS à qui nous avons demandé un audit RPS.
A cette occasion, tous les membres de votre équipe et vous-même avez été entendus.
Cet audit a fait ressortir plusieurs points caractérisant des manquements importants dans la tenue de votre mission et qui ont été confirmés par écrit par les collaborateurs concernés.
En premier lieu, il apparaît que vous avez totalement négligé, sinon abandonné, le rayon menuiserie où les collaborateurs constatent qu'ils se trouvent livrés à eux-mêmes, sans encadrement de votre part, ni présence sur le terrain. Vous êtes allée jusqu'à affirmer que vous ne souhaitiez pas la responsabilité de ce rayon et qu'on ne vous y verrait jamais.
De façon générale, les collaborateurs souffrent d'une attitude autoritaire de votre part, d'un comportement agressif et de propos irrespectueux, parfois de reproches formulés devant des clients.
Vous ne valorisez jamais leur travail et vos interventions auprès d'eux relèvent généralement de remarques ou de reproches souvent perçus comme infondés et, en tout cas, toujours négatives et non constructives.
Certains propos sont totalement contraires aux valeurs de l'entreprise et tout simplement incompatibles avec la position d'un manager.
A titre d'exemple, il n'est pas acceptable que vous puissiez dire à des collaborateurs qu'ils peuvent partir s'ils ne sont pas contents en précisant que « la porte est ouverte » et que vous avez « plein de vendeurs qui attendent dehors ».
De la même façon, vous procédez à la gestion des horaires des équipes de façon autoritaire en procédant à des modifications que vous imposez en les assortissant parfois de menaces.
Ce comportement général, qui constitue une réelle carence dans la tenue de votre mission, a entraîné une telle situation sur le secteur qui vous est confié et un tel malaise auprès des collaborateurs que nous ne pouvons vous en laisser la responsabilité.
Nous tenons compte du fait que vous avez admis lors de l'entretien préalable, que vous deviez travailler votre communication et que vous semblez disposer à le faire. Pour autant, les manquements sont sérieux et répétés, et ne relèvent pas d'un défaut de formation ou d'accompagnement, mais d'une difficulté de comportement. Nul n'a besoin de formation pour être simplement respectueux de ses collaborateurs.
Ainsi, après réflexion, nous vous informons que nous sommes amenés à procéder à votre licenciement pour un motif réel et sérieux, résultant de l'ensemble de ces faits. [']'
Par requête du 05 juillet 2021, Mme [UU] a saisi le conseil de prud'hommes de Nîmes aux fins de contester son licenciement et de voir condamner la SA Leroy Merlin France au paiement de diverses indemnités.
Par jugement contradictoire rendu le 09 juin 2023, le conseil de prud'hommes de Nîmes a :
'
- jugé le licenciement de Mme [B] [UU] fondé,
En conséquence :
- débouté Mme [UU] de ses demandes indemnitaires,
- débouté les parties de leurs autres demandes,
- condamné Mme [B] [UU] à 700 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- condamné Mme [B] [UU] aux entiers dépens.'
Par acte du 04 juillet 2023, Mme [UU] a régulièrement interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 09 juin 2023.
En l'état de ses dernières écritures en date du 04 octobre 2023, la salariée demande à la cour de :
'
- JUGER l'appel de Mme [B] [UU] recevable ;
- RÉFORMER le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Nîmes le 9 juin 2023,
Statuant à nouveau
- JUGER que le licenciement de Mme [UU] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Par conséquent :
- CONDAMNER la SA LEROY MERLIN à payer à Mme [B] [UU] la somme de 35.0000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
En outre :
- JUGER que les condamnations prononcées porteront intérêts au taux légal à compter de sa saisine, avec capitalisation des intérêts ;
- CONDAMNER la SA LEROY MERLIN à la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER la SA LEROY MERLIN aux entiers dépens ;
- DÉBOUTER la SA LEROY MERLIN de l'intégralité de ses éventuelles demandes, fins et conclusions reconventionnelles.'
Aux termes de ses dernières conclusions date du 27 décembre 2023, l'employeur demande à la cour de :
'
- CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement déféré,
En conséquence,
- JUGER que le licenciement de Mme [UU] repose sur une cause réelle et sérieuse,
- JUGER que Mme [UU] ne justifie d'aucun préjudice,
- DEBOUTER Mme [UU] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
- CONDAMNER Mme [UU] à verser à la SA LEROY MERLIN la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
- CONDAMNER Mme [UU] aux entiers dépens en cause d'appel.'
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
Par ordonnance en date du 17 septembre 2024, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 17 décembre 2024. L'affaire a été fixée à l'audience du 17 janvier 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
- Sur la rupture du contrat de travail
Mme [UU] fait observer à titre liminaire que son compagnon M. [V] [Z] a fait l'objet, le même jour qu'elle, d'un licenciement, pour des faits similaires, mais qualifiés de faute grave.
S'agissant du rapport d'enquête sur les risques psycho-sociaux, Mme [UU] fait valoir que:
- à titre principal: le principe du contradictoire a été violé puisqu'elle n'avait, avant l'introduction de l'instance prud'homale, jamais eu connaissance du dit rapport d'audit, pas plus d'ailleurs que des accusations supposément formulées à son encontre par les collaborateurs qu'elle encadrait; les questions qui ont été posées aux autres salariés de la société dans le cadre des « entretiens semis directifs » (page 3 Audit RPS) de l'enquête mise en place à la demande de la SA Leroy Merlin auraient dû lui être communiquées;
- ce rapport ne saurait, dans ces conditions, être retenu comme loyal et probant et doit par voie de conséquence être écarté des débats;
- à titre subsidiaire: il convient de donner sommation à la société Leroy Merlin de communiquer la méthodologie complète appliquée.
S'agissant des griefs retenus contre elle, Mme [UU] les conteste et fait valoir à titre liminaire que si la SA Leroy Merlin considérait effectivement qu'elle avait eu des « comportements autoritaires, vexatoires et humiliants allant jusqu'à compromettre la santé d'une collaboratrice », une « attitude négative et menaçante à l'égard de ses subordonnés », qu'elle aurait « insultés et poussés à la démission » ou encore que cette dernière se serait permise « quotidiennement et pendant le service » de tenir « à voix haute, des remarques désobligeantes sur les uns et sur les autres ainsi que des réflexions suspicieuses sur leurs qualités professionnelles » (conclusions adverses p. 5/16), la société n'aurait pas manqué de la licencier pour faute grave.
Elle entend en outre attirer l'attention de la cour sur le fait que:
- le « compte-rendu de personnalité » rédigé par le cabinet Evolutis à la demande de son employeur, fait exclusivement état de ses compétences, et de ses qualités humaines et relationnelles et ce, en parfaite contradiction avec les reproches formulés à son endroit pour justifier son licenciement;
- ce compte-rendu, établi à l'initiative de la SA Leroy Merlin est, à l'inverse du rapport d'enquête sur les risques psycho-sociaux, en parfait accord avec les nombreux messages de soutien qu'elle a reçus, et en parfait accord également avec les attestions qu'elle verse aux débats;
- les SMS adressés par certains de ses collaborateurs à l'annonce de son licenciement témoignent en effet de ses qualités personnelles et professionnelles;
- elle produit 17 attestations de salariés qui témoignent en particulier de son comportement tout-à-fait approprié à l'égard de ses subordonnés, de l'absence de tout « comportement autoritaire » ou de « propos déplacés ».
S'agissant plus spécifiquement du grief tiré de son prétendu autoritarisme dans la gestion des plannings, la salariée expose que:
- d'une part, sont appliqués au sein de la société Leroy Merlin des « chartes horaires » qui prévoient que les collaborateurs doivent faire état de leurs souhaits au moins 8 semaines à l'avance, à défaut de quoi, le chef de secteur « prendra la main si les horaires ne sont pas faits »;
- d'autre part, les copies d'écran du logiciel de gestion de l'entreprise qu'elle verse aux débats permettent de constater le contraire d'un quelconque « autoritarisme ».
Mme [UU] soutient enfin que:
- les attestations dont se prévaut la SA Leroy Merlin sont empruntes de contradictions, d'erreurs grossières et qu'elles ne sauraient convaincre;
- ses compétences en matière d'encadrement étaient d'autant plus satisfaisantes qu'elle n'avait jamais été formée en la matière et avait vu ses demandes de formation en matière de management systématiquement refusées.
La société Leroy Merlin soutient en réponse que:
1°) sur le principe du contradictoire:
- la Cour de cassation considère qu'un employeur n'est pas tenu d'informer le salarié suspecté de fait de harcèlement de la tenue d'une enquête. (Cass. soc., 17 mars 2021, n° 18-25.597 FS-P+I);
- l'employeur n'avait donc pas à informer Mme [UU] de l'enquête en cours;
- quoi qu'il en soit, Mme [UU] a été destinataire du « compte-rendu du test de personnalité » la concernant, ce qui démontre qu'elle a eu connaissance du résultat de cet audit, puisqu'elle le communique au conseil;
- par ailleurs, lors de l'entretien préalable, dont l'objet est « d'indiquer les motifs de la décision envisagée et de recueillir les explications du salarié » (art. L.1232-3 C. travail), l'employeur a informé Mme [UU] des faits qui lui étaient reprochés, et la salariée a apporté ses explications;
- l'accusation portée par Mme [UU] à l'égard du cabinet Evolutis, cabinet de conseil en ressources humaines, et du psychologue du travail (enregistré auprès de la DREETS) qu'elle emploie et qui a mené l'enquête RPS, est particulièrement grave, dans la mesure où elle les accuse d'avoir posé des questions conduisant les collaborateurs du rayon menuiserie à accabler leur responsable de secteur, ce qui est faux, et ne repose sur aucun élément, ce dont la cour prendra acte;
- par ailleurs, les questions posées aux salariés par le cabinet Evolutis sont en possession de ce seul prestataire, extérieur à la SA Leroy Merlin, qui ne peut donc répondre à la sommation de communiquer puisqu'elle ne dispose que du rapport d'audit définitif, qu'elle a transmis à Mme [UU] dès l'entretien préalable au licenciement.
2°) sur la matérialité des faits:
- le comportement de Mme [UU] est établi par les pièces produites aux débats par la société;
- l'attitude de Mme [UU] à propos de son comportement face aux salariés placés sous
sa responsabilité avait déjà été soulignée lors de l'entretien du 1er janvier 2019, dans les termes suivants:
- « Doit s'efforcer d'avoir une attitude à la fois plus ouverte et plus diplomate en toutes circonstances pour être validée comme maîtrisante sur cet item »,
- « elle doit encore acquérir de la rondeur, de la diplomatie et acquérir davantage d'empathie »;
- la salariée avait admis à cette occasion qu'elle n'avait aucune appétence pour le rayon menuiserie;
- d'autre part, le rapport d'audit relatif aux risques psycho-sociaux effectué par le cabinet Evolutis (prestataire externe) au sein des rayons menuiserie, découpe, et rangement cuisine fait apparaître d'importantes difficultés liées notamment :
- « aux plannings de travail proposés moins de 2 semaines à l'avance » (« difficile à supporter »
pour la menuiserie) ;
- « aux plannings de travail variables, irréguliers » (« insupportable » pour la menuiserie) ;
- « aux objectifs collectifs insuffisamment définis » (« insupportable » pour la menuiserie ;
« difficile à supporter » pour l'effectif global des 3 rayons) ;
- « aux objectifs individuels de travail non formalisés » (« insupportable » pour la menuiserie ;
« difficile à supporter » pour l'effectif global des 3 rayons) ;
- « à l'absence de valorisation du travail bien fait » (« insupportable » pour la menuiserie ;
« difficile à supporter » pour l'effectif global des 3 rayons) ;
- « aux perspectives de promotion et d'évolution restreintes » (« insupportable » pour la
menuiserie et l'effectif global des 3 rayons) ;
- « à l'absence de temps d'échanges réguliers formels ou informels encadrement-collègues » (« insupportable » pour la menuiserie ; « difficile à supporter » pour l'effectif global des 3 rayons) ;
- A l'absence « de recours possible à l'encadrement en cas de problème » (« difficile à supporter » pour la menuiserie);
- Mme [UU] produit des attestations qui n'ont aucune valeur probante, dans la mesure où :
* elles ne contiennent aucune date (pièces 18, 19, 21, 22, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30 et 31) ;
* elles ne constituent pas des attestations dans les formes requises par l'article 202 du code de procédure civile (SMS produits en pièces 13 à 16 ; pièce 24) ;
* les salariés n'indiquent pas dans quel cadre ils ont été amenés à travailler avec Mme [UU] (pièces 21, 24, 25, et 31)
* les salariés qui témoignent n'ont pas travaillé sous la subordination de Mme [UU] au rayon menuiserie, rayon concerné par les faits reprochés à la salariée (pièces 17, 18, 19, 20, 22) ;
* le témoin est un fournisseur extérieur à l'entreprise (pièce 26).
- la salariée a bénéficié, contrairement à ce qu'elle soutient, d'un grand nombre de formations, y compris relatives au management.
Il résulte des articles L.1232-1 et L.1232-6 du code du travail que le licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse et résulte d'une lettre de licenciement qui en énonce les motifs.
En vertu de l'article L.1235-1 du code du travail, le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure de licenciement suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles; si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement fixe les limites du litige.
En l'espèce, il ressort de la lettre de licenciement dont les termes ont été restitués ci-dessus que la société Leroy Merlin a licencié Mme [UU] pour cause réelle et sérieuse en lui reprochant d'avoir abandonné le management du rayon menuiserie dont elle avait la responsabilité et d'avoir pratiqué un management autoritaire, brutal, irrespectueux et vexatoire.
Mme [UU] conteste la réalité de ces griefs.
La société Leroy Merlin s'appuie sur un rapport d'audit relatif aux risques psychosociaux lequel a mis en évidence, notamment, s'agissant des relations avec la chef de secteur:
- pour 8 salariés:
* 'autoritarisme mal placé; Pas dans l'affectif, très centrée sur la tâche (...). froide et insolente; méprisante, ton condescendant, directive. Elle dégage une agressivité, coupe la parole; Manque de respect et de bienveillance. Elle n'a pas de filtres, le fond y est mais pas la forme; Elle est très exigeante (...)'
* manque de reconnaissance: 'elle pointe du doigt où est le problème sans apporter de solution. Elle ne s'intéresse pas à ses salariés. Manque de connaissance du métier. Quand on se plaint elle nous ignore (...)'
* manque d'accompagnement: 'pas de suivi dans les plans d'action. Elle ne met pas en place de réunions. Pas assez de débriefs entre nous, de réunions d'équipe. On est délaissés par notre CS depuis des années (...)'
- pour 5 salariés:' Globalement ça se passe bien parce que j'y ai mis du mien. Néanmoins elle n'est pas dans l'accompagnement de ses collaborateurs, sa communication est négative, oublie les règles de politesse élémentaires, fait toujours ressortir ce qui ne va pas. Avec la Cs ça va bien, un peu sec quand même;Il y a le fond mais pas la forme. Elle dirige d'une main de fer, elle joue son rôle de manager.ça se passe relativement bien, une personne plutôt ouverte qui accorde quand on lui demande (...)'
La méthodologie repose sur une analyse quantitative avec une grille d'analyse des RPS et une analyse qualitative reposant sur des entretiens semis directifs.
Il n'y a pas lieu d'écarter cet audit des débats des lors qu'il a été communiqué à Mme [UU], dans le cadre de la présente instance et que la salariée a été en mesure de le critiquer et de faire valoir des éléments contraires aux conclusions de ce rapport.
Il n'y a pas lieu non plus de donner sommation à la société Leroy Merlin de communiquer la méthodologie complète appliquée, le rapport d'audit exposant, même de façon succincte, la méthodologie appliquée, laquelle ne déroge pas aux méthodes habituelles en matière d'audit sur les risques psycho-sociaux. Il appartient à la cour d'apprécier la valeur probante de conclusions résultant d'entretiens semi-directifs dont les questions ne sont pas précisées.
Huit collaborateurs ayant travaillé sous les ordres de Mme [UU] ont témoigné en mettant en cause son management. Le conseil de prud'hommes a retenu que la lecture de six de ces témoignages a révélé:
- un sentiment d'abandon sur le terrain en l'absence de réunions journalières ou mensuelles; Ainsi M. [MV] [S], conseiller de vente, déclare que depuis l'arrivée de Mme [UU], il n'a plus de brief journalier, ni mensuel sur ses objectifs, chiffres; il se sent à la fois autonome et oublié; Mme [UU] vient rarement sur le rayon menuiserie; son management est souvent négatif (...)
- un manque de respect et de compréhension du quotidien, caractérisés par des réflexions déplacées, des menaces sur les jours de repos;
- une relation autoritaire et dégradante conduisant à une ambiance de travail délétère et à un mal-être généralisé.
Ainsi Mme [JN] [M], conseillère de vente au rayon menuiserie soutient qu'elle a été dévalorisée constamment sur sa façon d'être, sur son attitude; qu'elle s'est vue opposer une fin de non recevoir lorsqu'elle a demandé un planning afin de ne pas faire systématiquement les horaires de fermeture du magasin; que Mme [UU] avait commencé à la persuader qu'elle n'avait pas le profil du poste; que la façon de communiquer de Mme [UU] était irrespectueuse et agressive.
M. [CJ] [I], conseiller de vente, soutient que les interventions de Mme [UU] n'étaient rythmées que par des reproches et ce devant les clients ou à la découpe et qu'il a été régulièrement confronté au type de réflexions suivantes:
' j'ai des CV pour la découpe, si cela ne vous va pas, rien ne vous empêche de partir'
' Si vous n'êtes pas content, c'est comme ça que ça se passe en grande distribution.
M. [RM] [C], vendeur indique:
' plus souvent des reproches que des paroles positives'. Il ajoute qu'ayant refusé un changement de planning de dernière minute en raison d'un accident du travail et d'un arrêt maladie, Mme [UU] lui a fait du chantage dans les termes suivants:
'Puisque tu veux pas, vos lundis en repos vous pouvez les oublier.'
M. [J] [EF], conseiller de vente, fait état d'agissements à répétition de son manager, [B], ayant considérablement dégradé ses conditions de travail et surtout son bien-être dans sa mission; Il précise notamment:
' Mon manager est constamment en train de modifier les horaires que je rentre sur mon planning partagé et sans me notifier les changements.
Mon manager nous envoie un mail pour nous demander de prendre 1 heure pour préparer nos entretiens annuels: L'heure à prendre est soit de venir une heure plus tôt, soit de prendre une heure pendant notre coupure déjeuner.'
Mme [U] [ZS], responsable du rayon menuiserie fait état de directives contradictoires, de messages envoyés sur son téléphone portable un jour de repos, de transfert de responsabilités sur elle, notamment pour la conduite d'un entretien avec un salarié au sujet d'une mauvaise posture face au client, d'attitudes de culpabilisation et de manipulation affective.
Mme [UU] conteste les faits qui lui sont reprochés et produit des attestations contraires.
Si l'employeur fait observer que plusieurs des dits attestants n'ont pas travaillé sous les ordres de Mme [UU], cette observation ne vaut que pour une minorité des témoins en faveur de Mme [UU].
Ainsi, la cour observe que les cadres ou personnels de la société qui n'ont pas travaillé sous l'autorité de Mme [UU] et qui décrivent celle-ci comme une personne courtoise, respectueuse et compétente dans la relation avec le client et avec ses collègues, sont Mme [K] [VE], chef de secteur service client, Mme [N] [FW] du service clients, Mme [LE] [OL], agent de maîtrise, responsable du service clients, Mme [YW] [TD], hôtesse service clients, M. [O] [WK], fournisseur partenaire de Leroy Merlin en charge d'une quarantaine de magasins pour le secteur menuiserie, Mme [K] [E], agent de maîtrise.
Les autres témoins cités par la salariée ont effectivement remplacé Mme [UU] ou travaillé sous ses ordres. Il en est ainsi de:
- M. [MK] [R], chef du secteur commerce qui indique pour sa part qu'il a remplacé Mme [UU] pendant son absence de mi décembre 2019 à août 2020 et qu'il n'a eu aucun retour de comportements tendancieux de la part de sa collègue sur les membres de l'équipe du rayon cuisine-rangements;
- M. [X] [JD], Mme [WA] [HX], Mme [W] [RC], M. [H] [G], conseillers de vente sous les ordres de Mme [UU], lesquels déclarent qu'ils ont entretenu avec celle-ci des relations cordiales, de confiance et de respect mutuel; qu'elle était à l'écoute. Mme [HM] [KU], employée, témoigne dans le même sens;
- Mme [F] [D], responsable de rayon déclare pour sa part:
' Je n'ai jamais été victime d'un quelconque harcèlement de la part de Mme [UU] [B] et je ne l'ai jamais vu avoir un comportement qui pouvait dépasser les limites éthiques.
Elle a toujours communiqué avec moi de façon courtoise et bienveillante. Si jamais elle a à me donner des directives ou doit faire preuve de fermeté, comme son poste de chef de secteur l'exige, c'est toujours en donnant un sens bien précis, qui suit le sens des informations descendantes de notre direction ou de notre groupe.';
- M. [H] [A], conseiller de vente cuisine:
' [B] était ma responsable. [B] est une personne que j'apprécie. Je n'ai pas eu de problème particulier avec elle. Elle était à l'écoute de nos besoins et proche de nous.
A son retour de maternité, je me suis senti encore plus à l'aide avec elle. Elle était encore plus posée, souriante et proche.
Je regrette vraiment qu'elle ne soit plus avec nous.'
- M. [T] [Y], conseiller de vente:
' Pour ma part je n'ai assisté à aucune pressions ni paroles déplacées, je n'ai jamais été agressé verbalement, ni par mail, ni par sms.
[B] est une personne qui est à l'écoute de son personnel, autant pour les horaires, congés ou problèmes familiaux, elle ne m'a jamais refusé un changement de quelque nature que ce soit.
Après c'est une personne qui a des responsabilités donc donne des directives comme n'importe quels patrons. Si elle devait retravailler avec moi c'est avec grand plaisir que j'accepterais le poste.'
- M. [YL] [L], professeur des écoles et ex-responsable de rayon dans le secteur de [B] [UU]:
' (...) Je n'ai sur cette période (années 2019 et 2020) aucunement constaté ou subi de harcèlement physique ou moral. Nous avons travaillé ensemble, chacun s'écoutant et communicant dans une relation professionnelle saine.
Les relations avec mes collègues du rayon menuiserie ne m'ont à aucun moment semblé correspondre à des situations de harcèlement non plus.'
Il résulte des débats que les conclusions de l'audit sur les risques psycho-sociaux ont été confirmées par plusieurs salariés quant au management peu valorisant et agressif de Mme [UU]. Cette dernière a d'ailleurs admis, dans ce cadre, des failles sur sa façon de communiquer qu'elle juge 'trop directe'.
Cependant, les témoignages en faveur d'une attitude respectueuse et adaptée de Mme [UU] à l'égard de ses subordonnés sont plus nombreux que les témoignages qui lui sont défavorables et les exemples concrets d'un mauvais management sont rares, les salariés exprimant essentiellement un ressenti nécessairement subjectif.
Mme [UU] a par ailleurs mis en lumière une contradiction majeure entre l'attestation de M. [EF] et son évaluation en juin 2020 au cours de laquelle ce dernier déclarait:
« J'apprécie la confiance que m'accorde mon manager pour certaines prises de décisions. J'apprécie également son intérêt pour mon projet professionnel. », tandis que Mme [UU] était particulièrement élogieuse quant aux qualités professionnelles de M. [EF].
La cour observe en outre que la salariée a fait l'objet d'un test de personnalité à la demande de la société Leroy Merlin, et que ce test réalisé par le cabinet Evolutis conclut dans le sens d'une personnalité sans aucun trait d'autoritarisme ou de rigidité. Il ressort en effet de ce test, les éléments suivants:
' Autorité/Management:
image de leader: Au niveau de la position hiérarchique dans un groupe, vous vous imposez spontanément comme un leader, un dirigeant. Vous prenez les décisions pour le groupe, et vous savez trancher quand cela est nécessaire.
Type de responsabilité souhaitée: Vous avez la faculté d'animer une petite équipe' (...)
Sociabilité:
Implication affective:
Vous êtes une personne ouverte aux problèmes humains, vous savez écouter les autres lorsque cela est nécessaire, mais vous n'êtes pas vulnérable pour autant.
Volonté d'appartenir à un groupe: Au niveau de votre relation avec un groupe, vous aimez alterner travail en solitaire et travail collectif. Mais même si vous êtes capable de travailler en équipe, vous aimez affirmer votre personnalité au sein du groupe. Vous avez une bonne attitude vis à vis du groupe.
Enfin, si l'employeur met en avant une réserve relative au management dans la dernière évaluation de la salariée en date du 23 janvier 2019, formulée comme suit:
' Elle a de bonnes pratiques managériales, mais doit s'efforcer d'avoir une attitude à la fois plus ouverte et plus diplomate en toutes circonstances pour être maîtrisée comme validante sur cet item', cette réserve ne rend cependant nullement compte de l'appréciation globalement très élogieuse de la salariée, y compris sur le management. En effet, cette appréciation est la suivante:
' [B] a continué à se développer notamment sur un plan personnel. Elle a acquis une bonne pratique du métier de CS tant en commerce qu'en management' Sur ce point elle doit encore acquérir de la rondeur, de la diplomatie, et montrer davantage d'empathie. [B] a changé de secteur en octobre 2018, afin de compléter ses compétences notamment sur le management de la vente, afin de nourrir son projet de prendre une mission de Leader Magasin. Pour cela elle devra développer à la fois son rôle dans le CD, et son impact sur le collectif.
[B] est une collaboratrice de valeur avec qui il est très agréable de travailler et qui obtient de bons résultats aussi bien humains que commerciaux. Elle développe les collaborateurs.'
Il apparaît encore que Mme [UU] a été félicitée pour l'accompagnement et l'évolution de plusieurs salariés vers de nouvelles missions, salariés cités dans son évaluation ([WV], [P] et [GG]).
Dans ces conditions, le fait que la salariée ait déclaré, au cours de la même évaluation, que sa prise de poste au rayon menuiserie ne lui convenait pas, qu'elle n'avait aucune appétence pour les produits de ce rayon et qu'elle y allait parfois à reculons, ne saurait lui être reproché puisque en dépit de l'aveu sincère d'un défaut d'intérêt pour ce rayon, elle y a obtenu des résultats très satisfaisants, étant précisé que cette évaluation a été réalisée alors que Mme [UU] a rejoint le secteur menuiseries/rangement/cuisines à partir du mois d'octobre 2018 tout en continuant à diriger le secteur Décoration en l'absence de chef de secteur en cours de recrutement.
Il résulte de ces éléments pris dans leur ensemble que le management de Mme [UU], si directif soit-il, ne permet pas de caractériser une cause réelle et sérieuse de licenciement, et le jugement déféré doit être infirmé en ce qu'il a dit le licenciement de Mme [B] [UU] fondé.
- Sur les dommages-intérêts:
Mme [UU] invoque la faculté d'écarter l'application du barème « [AO] » dès lors que la juridiction estime, dans le cadre de son appréciation « in concreto », que son application ne permet pas d'assurer une réparation adéquate au salarié injustement licencié. Elle ne développe cependant aucun moyen au soutien de cette demande et invoque une jurisprudence de la cour d'appel de Grenoble qui reste à ce jour marginale.
Dés lors, en application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, Mme [B] [UU], bénéficiant d'une ancienneté de sept années complètes dans une entreprise dont il n'est pas contesté qu'elle occupe habituellement 11 salariés au moins, peut prétendre, en l'absence de réintégration dans l'entreprise, à une indemnité comprise entre trois et huit mois de salaire brut.
Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [UU] âgée de 32 ans lors de la rupture, de son ancienneté, de ce qu'elle justifie avoir été bénéficiaire de l'allocation d'aide au retour à l'emploi du 9 juillet 2021 au 28 février 2022, la cour estime que le préjudice résultant pour elle de la rupture doit être indemnisé par la somme de 28 280 euros, sur la base du salaire de 3 535 euros; en conséquence, le jugement qui l'a déboutée de sa demande est infirmé en ce sens et Mme [UU] est déboutée de sa demande pour le surplus.
- Sur le remboursement des indemnités de chômage:
En application de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d'indemnisation.
- Sur la demande d'intérêts au taux légal et de capitalisation des intérêts
Les intérêts au taux légal portant sur les créances indemnitaires courent à compter du présent arrêt s'agissant de dispositions infirmatives du jugement entrepris.
Les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article1343-2 du code civil.
- Sur les demandes accessoires:
Les dépens de première instance et d'appel, suivant le principal, seront supportés par la société Leroy Merlin.
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile;
Dans la limite de la dévolution,
Infirme le jugement déféré
Statuant à nouveau et y ajoutant
Dit que le licenciement notifié à Mme [B] [UU] le 16 mars 2021 est sans cause réelle et sérieuse
Condamne la société Leroy Merlin à payer à Mme [UU] la somme de 28 280 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de l'emploi
Rappelle que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut ;
Dit que les intérêts au taux légal sur les créances de nature indemnitaires courent à compter du présent arrêt
Dit que les intérêts au taux légal seront capitalisés en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil
Ordonne le remboursement par la société Leroy Merlin à Pôle Emploi des indemnités de chômages versées à Mme [B] [UU] du jour de son licenciement dans la limite de trois mois d'indemnités de chômage et dit qu'une copie certifiée conforme de la présente sera adressée à ces organismes conformément aux dispositions de l'article L 1235-4 du code du travail,
Condamne la société Leroy Merlin France à verser à Mme [B] [UU] la somme de
3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Condamne la société Leroy Merlin France aux dépens de première instance et de l'appel.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 23/02245 - N° Portalis DBVH-V-B7H-I365
NR EB
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NIMES
09 juin 2023
RG :21/00298
[UU]
C/
S.A. LEROY MERLIN FRANCE
Grosse délivrée le 25 MARS 2025 à :
- Me
- Me
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 25 MARS 2025
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Nimes en date du 09 Juin 2023, N°21/00298
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Nathalie ROCCI, Présidente, a entendu les plaidoiries, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Nathalie ROCCI, Présidente
M. Michel SORIANO, Conseiller
Mme Leila REMILI, Conseillère
GREFFIER :
Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS :
A l'audience publique du 17 Janvier 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 25 Mars 2025.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTE :
Madame [B] [UU]
née le 01 Mars 1989 à [Localité 3]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Clément CHAZOT de la SELARL LEXEM CONSEIL, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉE :
S.A. LEROY MERLIN FRANCE
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentée par Me Patrick LANOY de la SELARL CAPSTAN PYTHEAS, avocat au barreau de NIMES
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Nathalie ROCCI, Présidente, le 25 Mars 2025, par mise à disposition au greffe de la cour.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS :
Mme [B] [UU] (la salariée) a été embauchée le 16 septembre 2013 par la SA Leroy Merlin (l'employeur) suivant contrat à durée indéterminée à temps complet, en qualité de chef de secteur, statut cadre, selon la convention collective nationale du bricolage.
Le 10 février 2021, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement prévu le 02 mars 2021.
Le 16 mars 2021, la SA Leroy Merlin a notifié à Mme [UU] son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :
' [...]Vous occupez le poste de chef de secteur menuiserie - cuisine / rangement au sein du magasin de [Localité 4], poste d'encadrement qui implique des fonctions de management et d'animation d'équipes.
Au début du mois de Novembre 2020, nous avons été interpelés par des collaborateurs et des représentants du personnel au sujet d'une situation qu'ils qualifiaient de harcèlement.
Comme nous en avons eu l'obligation, nous avons donc engagé une procédure d'enquête en faisant le choix d'un cabinet extérieur pour assurer un regard professionnel et objectif, ce qui nous a conduit à mandater le cabinet EVOLUTIS à qui nous avons demandé un audit RPS.
A cette occasion, tous les membres de votre équipe et vous-même avez été entendus.
Cet audit a fait ressortir plusieurs points caractérisant des manquements importants dans la tenue de votre mission et qui ont été confirmés par écrit par les collaborateurs concernés.
En premier lieu, il apparaît que vous avez totalement négligé, sinon abandonné, le rayon menuiserie où les collaborateurs constatent qu'ils se trouvent livrés à eux-mêmes, sans encadrement de votre part, ni présence sur le terrain. Vous êtes allée jusqu'à affirmer que vous ne souhaitiez pas la responsabilité de ce rayon et qu'on ne vous y verrait jamais.
De façon générale, les collaborateurs souffrent d'une attitude autoritaire de votre part, d'un comportement agressif et de propos irrespectueux, parfois de reproches formulés devant des clients.
Vous ne valorisez jamais leur travail et vos interventions auprès d'eux relèvent généralement de remarques ou de reproches souvent perçus comme infondés et, en tout cas, toujours négatives et non constructives.
Certains propos sont totalement contraires aux valeurs de l'entreprise et tout simplement incompatibles avec la position d'un manager.
A titre d'exemple, il n'est pas acceptable que vous puissiez dire à des collaborateurs qu'ils peuvent partir s'ils ne sont pas contents en précisant que « la porte est ouverte » et que vous avez « plein de vendeurs qui attendent dehors ».
De la même façon, vous procédez à la gestion des horaires des équipes de façon autoritaire en procédant à des modifications que vous imposez en les assortissant parfois de menaces.
Ce comportement général, qui constitue une réelle carence dans la tenue de votre mission, a entraîné une telle situation sur le secteur qui vous est confié et un tel malaise auprès des collaborateurs que nous ne pouvons vous en laisser la responsabilité.
Nous tenons compte du fait que vous avez admis lors de l'entretien préalable, que vous deviez travailler votre communication et que vous semblez disposer à le faire. Pour autant, les manquements sont sérieux et répétés, et ne relèvent pas d'un défaut de formation ou d'accompagnement, mais d'une difficulté de comportement. Nul n'a besoin de formation pour être simplement respectueux de ses collaborateurs.
Ainsi, après réflexion, nous vous informons que nous sommes amenés à procéder à votre licenciement pour un motif réel et sérieux, résultant de l'ensemble de ces faits. [']'
Par requête du 05 juillet 2021, Mme [UU] a saisi le conseil de prud'hommes de Nîmes aux fins de contester son licenciement et de voir condamner la SA Leroy Merlin France au paiement de diverses indemnités.
Par jugement contradictoire rendu le 09 juin 2023, le conseil de prud'hommes de Nîmes a :
'
- jugé le licenciement de Mme [B] [UU] fondé,
En conséquence :
- débouté Mme [UU] de ses demandes indemnitaires,
- débouté les parties de leurs autres demandes,
- condamné Mme [B] [UU] à 700 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- condamné Mme [B] [UU] aux entiers dépens.'
Par acte du 04 juillet 2023, Mme [UU] a régulièrement interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 09 juin 2023.
En l'état de ses dernières écritures en date du 04 octobre 2023, la salariée demande à la cour de :
'
- JUGER l'appel de Mme [B] [UU] recevable ;
- RÉFORMER le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Nîmes le 9 juin 2023,
Statuant à nouveau
- JUGER que le licenciement de Mme [UU] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Par conséquent :
- CONDAMNER la SA LEROY MERLIN à payer à Mme [B] [UU] la somme de 35.0000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
En outre :
- JUGER que les condamnations prononcées porteront intérêts au taux légal à compter de sa saisine, avec capitalisation des intérêts ;
- CONDAMNER la SA LEROY MERLIN à la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER la SA LEROY MERLIN aux entiers dépens ;
- DÉBOUTER la SA LEROY MERLIN de l'intégralité de ses éventuelles demandes, fins et conclusions reconventionnelles.'
Aux termes de ses dernières conclusions date du 27 décembre 2023, l'employeur demande à la cour de :
'
- CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement déféré,
En conséquence,
- JUGER que le licenciement de Mme [UU] repose sur une cause réelle et sérieuse,
- JUGER que Mme [UU] ne justifie d'aucun préjudice,
- DEBOUTER Mme [UU] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
- CONDAMNER Mme [UU] à verser à la SA LEROY MERLIN la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
- CONDAMNER Mme [UU] aux entiers dépens en cause d'appel.'
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
Par ordonnance en date du 17 septembre 2024, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 17 décembre 2024. L'affaire a été fixée à l'audience du 17 janvier 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
- Sur la rupture du contrat de travail
Mme [UU] fait observer à titre liminaire que son compagnon M. [V] [Z] a fait l'objet, le même jour qu'elle, d'un licenciement, pour des faits similaires, mais qualifiés de faute grave.
S'agissant du rapport d'enquête sur les risques psycho-sociaux, Mme [UU] fait valoir que:
- à titre principal: le principe du contradictoire a été violé puisqu'elle n'avait, avant l'introduction de l'instance prud'homale, jamais eu connaissance du dit rapport d'audit, pas plus d'ailleurs que des accusations supposément formulées à son encontre par les collaborateurs qu'elle encadrait; les questions qui ont été posées aux autres salariés de la société dans le cadre des « entretiens semis directifs » (page 3 Audit RPS) de l'enquête mise en place à la demande de la SA Leroy Merlin auraient dû lui être communiquées;
- ce rapport ne saurait, dans ces conditions, être retenu comme loyal et probant et doit par voie de conséquence être écarté des débats;
- à titre subsidiaire: il convient de donner sommation à la société Leroy Merlin de communiquer la méthodologie complète appliquée.
S'agissant des griefs retenus contre elle, Mme [UU] les conteste et fait valoir à titre liminaire que si la SA Leroy Merlin considérait effectivement qu'elle avait eu des « comportements autoritaires, vexatoires et humiliants allant jusqu'à compromettre la santé d'une collaboratrice », une « attitude négative et menaçante à l'égard de ses subordonnés », qu'elle aurait « insultés et poussés à la démission » ou encore que cette dernière se serait permise « quotidiennement et pendant le service » de tenir « à voix haute, des remarques désobligeantes sur les uns et sur les autres ainsi que des réflexions suspicieuses sur leurs qualités professionnelles » (conclusions adverses p. 5/16), la société n'aurait pas manqué de la licencier pour faute grave.
Elle entend en outre attirer l'attention de la cour sur le fait que:
- le « compte-rendu de personnalité » rédigé par le cabinet Evolutis à la demande de son employeur, fait exclusivement état de ses compétences, et de ses qualités humaines et relationnelles et ce, en parfaite contradiction avec les reproches formulés à son endroit pour justifier son licenciement;
- ce compte-rendu, établi à l'initiative de la SA Leroy Merlin est, à l'inverse du rapport d'enquête sur les risques psycho-sociaux, en parfait accord avec les nombreux messages de soutien qu'elle a reçus, et en parfait accord également avec les attestions qu'elle verse aux débats;
- les SMS adressés par certains de ses collaborateurs à l'annonce de son licenciement témoignent en effet de ses qualités personnelles et professionnelles;
- elle produit 17 attestations de salariés qui témoignent en particulier de son comportement tout-à-fait approprié à l'égard de ses subordonnés, de l'absence de tout « comportement autoritaire » ou de « propos déplacés ».
S'agissant plus spécifiquement du grief tiré de son prétendu autoritarisme dans la gestion des plannings, la salariée expose que:
- d'une part, sont appliqués au sein de la société Leroy Merlin des « chartes horaires » qui prévoient que les collaborateurs doivent faire état de leurs souhaits au moins 8 semaines à l'avance, à défaut de quoi, le chef de secteur « prendra la main si les horaires ne sont pas faits »;
- d'autre part, les copies d'écran du logiciel de gestion de l'entreprise qu'elle verse aux débats permettent de constater le contraire d'un quelconque « autoritarisme ».
Mme [UU] soutient enfin que:
- les attestations dont se prévaut la SA Leroy Merlin sont empruntes de contradictions, d'erreurs grossières et qu'elles ne sauraient convaincre;
- ses compétences en matière d'encadrement étaient d'autant plus satisfaisantes qu'elle n'avait jamais été formée en la matière et avait vu ses demandes de formation en matière de management systématiquement refusées.
La société Leroy Merlin soutient en réponse que:
1°) sur le principe du contradictoire:
- la Cour de cassation considère qu'un employeur n'est pas tenu d'informer le salarié suspecté de fait de harcèlement de la tenue d'une enquête. (Cass. soc., 17 mars 2021, n° 18-25.597 FS-P+I);
- l'employeur n'avait donc pas à informer Mme [UU] de l'enquête en cours;
- quoi qu'il en soit, Mme [UU] a été destinataire du « compte-rendu du test de personnalité » la concernant, ce qui démontre qu'elle a eu connaissance du résultat de cet audit, puisqu'elle le communique au conseil;
- par ailleurs, lors de l'entretien préalable, dont l'objet est « d'indiquer les motifs de la décision envisagée et de recueillir les explications du salarié » (art. L.1232-3 C. travail), l'employeur a informé Mme [UU] des faits qui lui étaient reprochés, et la salariée a apporté ses explications;
- l'accusation portée par Mme [UU] à l'égard du cabinet Evolutis, cabinet de conseil en ressources humaines, et du psychologue du travail (enregistré auprès de la DREETS) qu'elle emploie et qui a mené l'enquête RPS, est particulièrement grave, dans la mesure où elle les accuse d'avoir posé des questions conduisant les collaborateurs du rayon menuiserie à accabler leur responsable de secteur, ce qui est faux, et ne repose sur aucun élément, ce dont la cour prendra acte;
- par ailleurs, les questions posées aux salariés par le cabinet Evolutis sont en possession de ce seul prestataire, extérieur à la SA Leroy Merlin, qui ne peut donc répondre à la sommation de communiquer puisqu'elle ne dispose que du rapport d'audit définitif, qu'elle a transmis à Mme [UU] dès l'entretien préalable au licenciement.
2°) sur la matérialité des faits:
- le comportement de Mme [UU] est établi par les pièces produites aux débats par la société;
- l'attitude de Mme [UU] à propos de son comportement face aux salariés placés sous
sa responsabilité avait déjà été soulignée lors de l'entretien du 1er janvier 2019, dans les termes suivants:
- « Doit s'efforcer d'avoir une attitude à la fois plus ouverte et plus diplomate en toutes circonstances pour être validée comme maîtrisante sur cet item »,
- « elle doit encore acquérir de la rondeur, de la diplomatie et acquérir davantage d'empathie »;
- la salariée avait admis à cette occasion qu'elle n'avait aucune appétence pour le rayon menuiserie;
- d'autre part, le rapport d'audit relatif aux risques psycho-sociaux effectué par le cabinet Evolutis (prestataire externe) au sein des rayons menuiserie, découpe, et rangement cuisine fait apparaître d'importantes difficultés liées notamment :
- « aux plannings de travail proposés moins de 2 semaines à l'avance » (« difficile à supporter »
pour la menuiserie) ;
- « aux plannings de travail variables, irréguliers » (« insupportable » pour la menuiserie) ;
- « aux objectifs collectifs insuffisamment définis » (« insupportable » pour la menuiserie ;
« difficile à supporter » pour l'effectif global des 3 rayons) ;
- « aux objectifs individuels de travail non formalisés » (« insupportable » pour la menuiserie ;
« difficile à supporter » pour l'effectif global des 3 rayons) ;
- « à l'absence de valorisation du travail bien fait » (« insupportable » pour la menuiserie ;
« difficile à supporter » pour l'effectif global des 3 rayons) ;
- « aux perspectives de promotion et d'évolution restreintes » (« insupportable » pour la
menuiserie et l'effectif global des 3 rayons) ;
- « à l'absence de temps d'échanges réguliers formels ou informels encadrement-collègues » (« insupportable » pour la menuiserie ; « difficile à supporter » pour l'effectif global des 3 rayons) ;
- A l'absence « de recours possible à l'encadrement en cas de problème » (« difficile à supporter » pour la menuiserie);
- Mme [UU] produit des attestations qui n'ont aucune valeur probante, dans la mesure où :
* elles ne contiennent aucune date (pièces 18, 19, 21, 22, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30 et 31) ;
* elles ne constituent pas des attestations dans les formes requises par l'article 202 du code de procédure civile (SMS produits en pièces 13 à 16 ; pièce 24) ;
* les salariés n'indiquent pas dans quel cadre ils ont été amenés à travailler avec Mme [UU] (pièces 21, 24, 25, et 31)
* les salariés qui témoignent n'ont pas travaillé sous la subordination de Mme [UU] au rayon menuiserie, rayon concerné par les faits reprochés à la salariée (pièces 17, 18, 19, 20, 22) ;
* le témoin est un fournisseur extérieur à l'entreprise (pièce 26).
- la salariée a bénéficié, contrairement à ce qu'elle soutient, d'un grand nombre de formations, y compris relatives au management.
Il résulte des articles L.1232-1 et L.1232-6 du code du travail que le licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse et résulte d'une lettre de licenciement qui en énonce les motifs.
En vertu de l'article L.1235-1 du code du travail, le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure de licenciement suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles; si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement fixe les limites du litige.
En l'espèce, il ressort de la lettre de licenciement dont les termes ont été restitués ci-dessus que la société Leroy Merlin a licencié Mme [UU] pour cause réelle et sérieuse en lui reprochant d'avoir abandonné le management du rayon menuiserie dont elle avait la responsabilité et d'avoir pratiqué un management autoritaire, brutal, irrespectueux et vexatoire.
Mme [UU] conteste la réalité de ces griefs.
La société Leroy Merlin s'appuie sur un rapport d'audit relatif aux risques psychosociaux lequel a mis en évidence, notamment, s'agissant des relations avec la chef de secteur:
- pour 8 salariés:
* 'autoritarisme mal placé; Pas dans l'affectif, très centrée sur la tâche (...). froide et insolente; méprisante, ton condescendant, directive. Elle dégage une agressivité, coupe la parole; Manque de respect et de bienveillance. Elle n'a pas de filtres, le fond y est mais pas la forme; Elle est très exigeante (...)'
* manque de reconnaissance: 'elle pointe du doigt où est le problème sans apporter de solution. Elle ne s'intéresse pas à ses salariés. Manque de connaissance du métier. Quand on se plaint elle nous ignore (...)'
* manque d'accompagnement: 'pas de suivi dans les plans d'action. Elle ne met pas en place de réunions. Pas assez de débriefs entre nous, de réunions d'équipe. On est délaissés par notre CS depuis des années (...)'
- pour 5 salariés:' Globalement ça se passe bien parce que j'y ai mis du mien. Néanmoins elle n'est pas dans l'accompagnement de ses collaborateurs, sa communication est négative, oublie les règles de politesse élémentaires, fait toujours ressortir ce qui ne va pas. Avec la Cs ça va bien, un peu sec quand même;Il y a le fond mais pas la forme. Elle dirige d'une main de fer, elle joue son rôle de manager.ça se passe relativement bien, une personne plutôt ouverte qui accorde quand on lui demande (...)'
La méthodologie repose sur une analyse quantitative avec une grille d'analyse des RPS et une analyse qualitative reposant sur des entretiens semis directifs.
Il n'y a pas lieu d'écarter cet audit des débats des lors qu'il a été communiqué à Mme [UU], dans le cadre de la présente instance et que la salariée a été en mesure de le critiquer et de faire valoir des éléments contraires aux conclusions de ce rapport.
Il n'y a pas lieu non plus de donner sommation à la société Leroy Merlin de communiquer la méthodologie complète appliquée, le rapport d'audit exposant, même de façon succincte, la méthodologie appliquée, laquelle ne déroge pas aux méthodes habituelles en matière d'audit sur les risques psycho-sociaux. Il appartient à la cour d'apprécier la valeur probante de conclusions résultant d'entretiens semi-directifs dont les questions ne sont pas précisées.
Huit collaborateurs ayant travaillé sous les ordres de Mme [UU] ont témoigné en mettant en cause son management. Le conseil de prud'hommes a retenu que la lecture de six de ces témoignages a révélé:
- un sentiment d'abandon sur le terrain en l'absence de réunions journalières ou mensuelles; Ainsi M. [MV] [S], conseiller de vente, déclare que depuis l'arrivée de Mme [UU], il n'a plus de brief journalier, ni mensuel sur ses objectifs, chiffres; il se sent à la fois autonome et oublié; Mme [UU] vient rarement sur le rayon menuiserie; son management est souvent négatif (...)
- un manque de respect et de compréhension du quotidien, caractérisés par des réflexions déplacées, des menaces sur les jours de repos;
- une relation autoritaire et dégradante conduisant à une ambiance de travail délétère et à un mal-être généralisé.
Ainsi Mme [JN] [M], conseillère de vente au rayon menuiserie soutient qu'elle a été dévalorisée constamment sur sa façon d'être, sur son attitude; qu'elle s'est vue opposer une fin de non recevoir lorsqu'elle a demandé un planning afin de ne pas faire systématiquement les horaires de fermeture du magasin; que Mme [UU] avait commencé à la persuader qu'elle n'avait pas le profil du poste; que la façon de communiquer de Mme [UU] était irrespectueuse et agressive.
M. [CJ] [I], conseiller de vente, soutient que les interventions de Mme [UU] n'étaient rythmées que par des reproches et ce devant les clients ou à la découpe et qu'il a été régulièrement confronté au type de réflexions suivantes:
' j'ai des CV pour la découpe, si cela ne vous va pas, rien ne vous empêche de partir'
' Si vous n'êtes pas content, c'est comme ça que ça se passe en grande distribution.
M. [RM] [C], vendeur indique:
' plus souvent des reproches que des paroles positives'. Il ajoute qu'ayant refusé un changement de planning de dernière minute en raison d'un accident du travail et d'un arrêt maladie, Mme [UU] lui a fait du chantage dans les termes suivants:
'Puisque tu veux pas, vos lundis en repos vous pouvez les oublier.'
M. [J] [EF], conseiller de vente, fait état d'agissements à répétition de son manager, [B], ayant considérablement dégradé ses conditions de travail et surtout son bien-être dans sa mission; Il précise notamment:
' Mon manager est constamment en train de modifier les horaires que je rentre sur mon planning partagé et sans me notifier les changements.
Mon manager nous envoie un mail pour nous demander de prendre 1 heure pour préparer nos entretiens annuels: L'heure à prendre est soit de venir une heure plus tôt, soit de prendre une heure pendant notre coupure déjeuner.'
Mme [U] [ZS], responsable du rayon menuiserie fait état de directives contradictoires, de messages envoyés sur son téléphone portable un jour de repos, de transfert de responsabilités sur elle, notamment pour la conduite d'un entretien avec un salarié au sujet d'une mauvaise posture face au client, d'attitudes de culpabilisation et de manipulation affective.
Mme [UU] conteste les faits qui lui sont reprochés et produit des attestations contraires.
Si l'employeur fait observer que plusieurs des dits attestants n'ont pas travaillé sous les ordres de Mme [UU], cette observation ne vaut que pour une minorité des témoins en faveur de Mme [UU].
Ainsi, la cour observe que les cadres ou personnels de la société qui n'ont pas travaillé sous l'autorité de Mme [UU] et qui décrivent celle-ci comme une personne courtoise, respectueuse et compétente dans la relation avec le client et avec ses collègues, sont Mme [K] [VE], chef de secteur service client, Mme [N] [FW] du service clients, Mme [LE] [OL], agent de maîtrise, responsable du service clients, Mme [YW] [TD], hôtesse service clients, M. [O] [WK], fournisseur partenaire de Leroy Merlin en charge d'une quarantaine de magasins pour le secteur menuiserie, Mme [K] [E], agent de maîtrise.
Les autres témoins cités par la salariée ont effectivement remplacé Mme [UU] ou travaillé sous ses ordres. Il en est ainsi de:
- M. [MK] [R], chef du secteur commerce qui indique pour sa part qu'il a remplacé Mme [UU] pendant son absence de mi décembre 2019 à août 2020 et qu'il n'a eu aucun retour de comportements tendancieux de la part de sa collègue sur les membres de l'équipe du rayon cuisine-rangements;
- M. [X] [JD], Mme [WA] [HX], Mme [W] [RC], M. [H] [G], conseillers de vente sous les ordres de Mme [UU], lesquels déclarent qu'ils ont entretenu avec celle-ci des relations cordiales, de confiance et de respect mutuel; qu'elle était à l'écoute. Mme [HM] [KU], employée, témoigne dans le même sens;
- Mme [F] [D], responsable de rayon déclare pour sa part:
' Je n'ai jamais été victime d'un quelconque harcèlement de la part de Mme [UU] [B] et je ne l'ai jamais vu avoir un comportement qui pouvait dépasser les limites éthiques.
Elle a toujours communiqué avec moi de façon courtoise et bienveillante. Si jamais elle a à me donner des directives ou doit faire preuve de fermeté, comme son poste de chef de secteur l'exige, c'est toujours en donnant un sens bien précis, qui suit le sens des informations descendantes de notre direction ou de notre groupe.';
- M. [H] [A], conseiller de vente cuisine:
' [B] était ma responsable. [B] est une personne que j'apprécie. Je n'ai pas eu de problème particulier avec elle. Elle était à l'écoute de nos besoins et proche de nous.
A son retour de maternité, je me suis senti encore plus à l'aide avec elle. Elle était encore plus posée, souriante et proche.
Je regrette vraiment qu'elle ne soit plus avec nous.'
- M. [T] [Y], conseiller de vente:
' Pour ma part je n'ai assisté à aucune pressions ni paroles déplacées, je n'ai jamais été agressé verbalement, ni par mail, ni par sms.
[B] est une personne qui est à l'écoute de son personnel, autant pour les horaires, congés ou problèmes familiaux, elle ne m'a jamais refusé un changement de quelque nature que ce soit.
Après c'est une personne qui a des responsabilités donc donne des directives comme n'importe quels patrons. Si elle devait retravailler avec moi c'est avec grand plaisir que j'accepterais le poste.'
- M. [YL] [L], professeur des écoles et ex-responsable de rayon dans le secteur de [B] [UU]:
' (...) Je n'ai sur cette période (années 2019 et 2020) aucunement constaté ou subi de harcèlement physique ou moral. Nous avons travaillé ensemble, chacun s'écoutant et communicant dans une relation professionnelle saine.
Les relations avec mes collègues du rayon menuiserie ne m'ont à aucun moment semblé correspondre à des situations de harcèlement non plus.'
Il résulte des débats que les conclusions de l'audit sur les risques psycho-sociaux ont été confirmées par plusieurs salariés quant au management peu valorisant et agressif de Mme [UU]. Cette dernière a d'ailleurs admis, dans ce cadre, des failles sur sa façon de communiquer qu'elle juge 'trop directe'.
Cependant, les témoignages en faveur d'une attitude respectueuse et adaptée de Mme [UU] à l'égard de ses subordonnés sont plus nombreux que les témoignages qui lui sont défavorables et les exemples concrets d'un mauvais management sont rares, les salariés exprimant essentiellement un ressenti nécessairement subjectif.
Mme [UU] a par ailleurs mis en lumière une contradiction majeure entre l'attestation de M. [EF] et son évaluation en juin 2020 au cours de laquelle ce dernier déclarait:
« J'apprécie la confiance que m'accorde mon manager pour certaines prises de décisions. J'apprécie également son intérêt pour mon projet professionnel. », tandis que Mme [UU] était particulièrement élogieuse quant aux qualités professionnelles de M. [EF].
La cour observe en outre que la salariée a fait l'objet d'un test de personnalité à la demande de la société Leroy Merlin, et que ce test réalisé par le cabinet Evolutis conclut dans le sens d'une personnalité sans aucun trait d'autoritarisme ou de rigidité. Il ressort en effet de ce test, les éléments suivants:
' Autorité/Management:
image de leader: Au niveau de la position hiérarchique dans un groupe, vous vous imposez spontanément comme un leader, un dirigeant. Vous prenez les décisions pour le groupe, et vous savez trancher quand cela est nécessaire.
Type de responsabilité souhaitée: Vous avez la faculté d'animer une petite équipe' (...)
Sociabilité:
Implication affective:
Vous êtes une personne ouverte aux problèmes humains, vous savez écouter les autres lorsque cela est nécessaire, mais vous n'êtes pas vulnérable pour autant.
Volonté d'appartenir à un groupe: Au niveau de votre relation avec un groupe, vous aimez alterner travail en solitaire et travail collectif. Mais même si vous êtes capable de travailler en équipe, vous aimez affirmer votre personnalité au sein du groupe. Vous avez une bonne attitude vis à vis du groupe.
Enfin, si l'employeur met en avant une réserve relative au management dans la dernière évaluation de la salariée en date du 23 janvier 2019, formulée comme suit:
' Elle a de bonnes pratiques managériales, mais doit s'efforcer d'avoir une attitude à la fois plus ouverte et plus diplomate en toutes circonstances pour être maîtrisée comme validante sur cet item', cette réserve ne rend cependant nullement compte de l'appréciation globalement très élogieuse de la salariée, y compris sur le management. En effet, cette appréciation est la suivante:
' [B] a continué à se développer notamment sur un plan personnel. Elle a acquis une bonne pratique du métier de CS tant en commerce qu'en management' Sur ce point elle doit encore acquérir de la rondeur, de la diplomatie, et montrer davantage d'empathie. [B] a changé de secteur en octobre 2018, afin de compléter ses compétences notamment sur le management de la vente, afin de nourrir son projet de prendre une mission de Leader Magasin. Pour cela elle devra développer à la fois son rôle dans le CD, et son impact sur le collectif.
[B] est une collaboratrice de valeur avec qui il est très agréable de travailler et qui obtient de bons résultats aussi bien humains que commerciaux. Elle développe les collaborateurs.'
Il apparaît encore que Mme [UU] a été félicitée pour l'accompagnement et l'évolution de plusieurs salariés vers de nouvelles missions, salariés cités dans son évaluation ([WV], [P] et [GG]).
Dans ces conditions, le fait que la salariée ait déclaré, au cours de la même évaluation, que sa prise de poste au rayon menuiserie ne lui convenait pas, qu'elle n'avait aucune appétence pour les produits de ce rayon et qu'elle y allait parfois à reculons, ne saurait lui être reproché puisque en dépit de l'aveu sincère d'un défaut d'intérêt pour ce rayon, elle y a obtenu des résultats très satisfaisants, étant précisé que cette évaluation a été réalisée alors que Mme [UU] a rejoint le secteur menuiseries/rangement/cuisines à partir du mois d'octobre 2018 tout en continuant à diriger le secteur Décoration en l'absence de chef de secteur en cours de recrutement.
Il résulte de ces éléments pris dans leur ensemble que le management de Mme [UU], si directif soit-il, ne permet pas de caractériser une cause réelle et sérieuse de licenciement, et le jugement déféré doit être infirmé en ce qu'il a dit le licenciement de Mme [B] [UU] fondé.
- Sur les dommages-intérêts:
Mme [UU] invoque la faculté d'écarter l'application du barème « [AO] » dès lors que la juridiction estime, dans le cadre de son appréciation « in concreto », que son application ne permet pas d'assurer une réparation adéquate au salarié injustement licencié. Elle ne développe cependant aucun moyen au soutien de cette demande et invoque une jurisprudence de la cour d'appel de Grenoble qui reste à ce jour marginale.
Dés lors, en application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, Mme [B] [UU], bénéficiant d'une ancienneté de sept années complètes dans une entreprise dont il n'est pas contesté qu'elle occupe habituellement 11 salariés au moins, peut prétendre, en l'absence de réintégration dans l'entreprise, à une indemnité comprise entre trois et huit mois de salaire brut.
Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [UU] âgée de 32 ans lors de la rupture, de son ancienneté, de ce qu'elle justifie avoir été bénéficiaire de l'allocation d'aide au retour à l'emploi du 9 juillet 2021 au 28 février 2022, la cour estime que le préjudice résultant pour elle de la rupture doit être indemnisé par la somme de 28 280 euros, sur la base du salaire de 3 535 euros; en conséquence, le jugement qui l'a déboutée de sa demande est infirmé en ce sens et Mme [UU] est déboutée de sa demande pour le surplus.
- Sur le remboursement des indemnités de chômage:
En application de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d'indemnisation.
- Sur la demande d'intérêts au taux légal et de capitalisation des intérêts
Les intérêts au taux légal portant sur les créances indemnitaires courent à compter du présent arrêt s'agissant de dispositions infirmatives du jugement entrepris.
Les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article1343-2 du code civil.
- Sur les demandes accessoires:
Les dépens de première instance et d'appel, suivant le principal, seront supportés par la société Leroy Merlin.
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile;
Dans la limite de la dévolution,
Infirme le jugement déféré
Statuant à nouveau et y ajoutant
Dit que le licenciement notifié à Mme [B] [UU] le 16 mars 2021 est sans cause réelle et sérieuse
Condamne la société Leroy Merlin à payer à Mme [UU] la somme de 28 280 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de l'emploi
Rappelle que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut ;
Dit que les intérêts au taux légal sur les créances de nature indemnitaires courent à compter du présent arrêt
Dit que les intérêts au taux légal seront capitalisés en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil
Ordonne le remboursement par la société Leroy Merlin à Pôle Emploi des indemnités de chômages versées à Mme [B] [UU] du jour de son licenciement dans la limite de trois mois d'indemnités de chômage et dit qu'une copie certifiée conforme de la présente sera adressée à ces organismes conformément aux dispositions de l'article L 1235-4 du code du travail,
Condamne la société Leroy Merlin France à verser à Mme [B] [UU] la somme de
3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Condamne la société Leroy Merlin France aux dépens de première instance et de l'appel.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,