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Décisions

CA Colmar, 2e ch. A, 20 mars 2025, n° 22/03099

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

BC Cuisine (SASU)

Défendeur :

Bc Cuisine (SASU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Diepenbroek

Conseillers :

Mme Héry, Mme Gindensperger

Avocats :

Me Brunner, Me Hohmatter

TJ Strasbourg, du 21 juin 2022, n° 22/03…

21 juin 2022

FAITS ET PROCÉDURE

Le 6 juin 2020, M. [L] [W] a signé un bon de commande n° 700/1/1 portant sur une cuisine, modèle Yota 22 (Cuisines Armony) proposée par la société BC Cuisine exploitant sous l'enseigne Ardano Cuisines & Bains pour un prix total de 26 477 euros TTC.

Reprochant à la venderesse de s'être abstenue de lui communiquer les caractéristiques essentielles du bien vendu, M. [W], le 27 octobre 2020, a fait assigner la société BC Cuisine devant le tribunal judiciaire de Strasbourg aux fins d'obtenir l'annulation du bon de commande pour manquement de la venderesse à son obligation générale d'information précontractuelle, subsidiairement pour erreur sur le prix et pour dol ainsi que l'indemnisation de ses préjudices.

Par jugement du 21 juin 2022, le tribunal a :

- prononcé la nullité du bon de commande N° 700/1/1 signé par M. [W], le 6 juin 2020, pour manquement par la société BC Cuisine à son obligation générale d'information précontractuelle ;

- condamné la société BC Cuisine à rembourser à M. [W] la somme de 10 590 euros représentant le montant total de l'acompte versé par lui ;

- débouté M. [W] de sa demande tendant à l'octroi de dommages-intérêts pour préjudice moral ;

- débouté M. [W] de sa demande tendant à l'octroi de dommages-intérêts portant sur un montant de 4 000 euros ;

- rejeté les demandes principales et subsidiaire en dommages-intérêts formées à titre reconventionnel par la société BC Cuisine ;

- condamné la société BC Cuisine à payer à M. [W] une indemnité de 2 500 euros incluant 250 euros de frais d'huissier, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société BC Cuisine aux entiers dépens de la présente instance.

Le tribunal a relevé que :

M. [W] avait adressé le 5 juin 2020 à la société BC Cuisine, un plan sommaire de l'ensemble de son appartement comportant des cotes mesurées le jour même et avait accepté le rendez-vous qui lui était proposé le lendemain par la société, à l'occasion duquel il avait signé le bon de commande qui indiquait, notamment, « pose de cuisine hors bâti et décaissement concernant la pose de la cuisine et la possibilité de modifier les coloris, le modèle, l'implantation, l'électroménager ainsi que le sanitaire aux mêmes conditions financières jusqu'à la mise en fabrication » et « bon pour implantation sous réserve de métré »,

était joint à ce bon de commande un plan montrant une cuisine longue « dite à l'américaine », selon les explications de la venderesse, comportant des cotes précises et supposant, pour son implantation, à tout le moins, la suppression de deux murs en diagonale abritant chacun une porte et l'ouverture de deux nouvelles portes,

le 9 juin 2020, la société BC Cuisine avait informé M. [W] de l'intervention prochaine d'un métreur-poseur puis établi une facture d'un montant égal à celui indiqué dans la commande,

le 9 mai 2021, M. [W] avait fait chiffrer, par un professionnel, les travaux rendus nécessaires par l'implantation de la cuisine commandée auprès de la société BC Cuisine dont il en résultait un coût total de 11 385 euros.

Le premier juge en a déduit que :

la société BC Cuisine n'avait pas satisfait à son obligation d'information précontractuelle au motif qu'elle n'établissait pas, d'une part, avoir procédé à la vérification de la faisabilité effective du projet qu'elle soumettait à M. [W], client profane, même s'il avait été assisté ponctuellement d'un architecte d'intérieur, et qui entraînait des sujétions techniques tout à fait particulières et, d'autre part, avoir attiré son attention sur les frais complémentaires induits par les modifications et donc les travaux supplémentaires non compris dans le prix de vente de la cuisine qu'elle vendait,

le manquement par la défenderesse à son obligation d'information précontractuelle avait généré une indétermination partielle de la chose et du prix réel, qualités essentielles de l'opération litigieuse, et une impossibilité pour M. [W] de consentir en pleine connaissance de cause, ce qui l'autorisait à exciper d'une erreur ayant vicié son consentement sans laquelle il n'aurait pas contracté.

Il a cependant rejeté la demande de dommages et intérêts de M. [W] qui ne justifiait pas du préjudice moral qui lui aurait été causé par l'attitude de la venderesse ainsi que sa demande en paiement de la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts alors qu'il avait été condamné à payer ce montant à la société BC Cuisine par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre d'une procédure de référé à l'issue de laquelle la juridiction avait ordonné la mainlevée de l'opposition formée par lui, pour une prétendue perte, au chèque de 9 000 euros représentant une partie de l'acompte versé.

Au vu de l'issue du litige, le tribunal a rejeté les demandes reconventionnelles de la société BC Cuisine fondées sur de prétendues inexécution contractuelle et mauvaise foi de M. [W], tout comme sur des prestations réalisées sans chiffrage sérieux.

Le 2 août 2022, la société BC cuisine a interjeté appel de ce jugement.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 7 mai 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses conclusions transmises par voie électronique le 6 février 2024, la société BC Cuisine demande à la cour de :

la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

infirmer le jugement des chefs visés dans sa déclaration d'appel ;

et statuant à nouveau,

sur la nullité :

- juger qu'elle n'a pas manqué à son obligation d'information précontractuelle,

- juger que la faisabilité du projet objet du bon de commande n°700/1/1 a été vérifiée avant sa signature,

- juger plus largement qu'elle n'a commis aucun manquement relatif à son obligation d'information ou de conseil,

en tout état de cause :

- juger qu'elle n'a nullement vicié le consentement de M. [W],

en conséquence,

- juger que la vente matérialisée par le bon de commande n°700/1/1 relatif aux meubles de cuisine est parfaite,

- rejeter par conséquent l'ensemble des demandes formulées par M. [W] et l'en débouter,

sur l'exécution du contrat :

- juger que M. [W] a manqué à ses obligations contractuelles et qu'il s'est rendu fautif d'une inexécution contractuelle,

- constater l'attitude déloyale, la mauvaise foi et la résistance abusive de M. [W],

- constater la résolution unilatérale du bon de commande n°700/1/1 du 06 juin 2020 par M. [W],

au besoin,

- prononcer la résolution judiciaire pour inexécution unilatérale et fautive de M. [W] du bon de commande n°700/1/1 du 6 juin 2020,

en conséquence, et après avoir constaté qu'elle avait remboursé l'acompte de la somme de 10 590,00 euros à M. [W],

- condamner M. [W] à lui payer la somme de 22 352,44 euros à titre de dommages et intérêts, correspondant au préjudice résultant de l'inexécution contractuelle ainsi que du manque à gagner relatif au bon de commande n°700/1/1, en outre augmentée des intérêts au taux légal à compter de la décision à venir,

- condamner M. [W] à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de l'inexécution fautive, l'attitude déloyale et la mauvaise foi dont a fait preuve ce dernier,

à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour confirmait la nullité du contrat,

- constater en tout état de cause l'attitude déloyale et la mauvaise foi de M. [W],

- condamner M. [W] à lui payer la somme de 10 590,00 euros à titre de dommages et intérêts en raison de l'attitude déloyale et la mauvaise foi dont a fait preuve M. [W] et au regard des prestations intellectuelles qui ont été réalisées,

en tout état de cause,

- condamner M. [W] aux entiers frais et dépens de la procédure de première instance,

sur appel incident

- le déclarer mal fondé,

- le rejeter,

- débouter M. [W] de toute demande formée à ce titre,

en tout état de cause

- débouter M. [W] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- condamner M. [W] à lui payer la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [W] aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel.

La société BC Cuisine conteste tout manquement de sa part à son obligation d'information précontractuelle prévue par l'article L.111-1 du code de la consommation, faisant valoir qu'elle a informé M. [W] des caractéristiques essentielles des meubles et pièces commandées, qu'aucune obligation de métrés préalable n'existait et que la faisabilité du projet avait été vérifiée avant la signature du bon de commande.

Elle indique que l'objet du contrat de commande de cuisine était l'achat de divers meubles selon l'agencement souhaité par M. [W] pour un montant total de 26 477 euros TTC, les obligations à sa charge étant donc limitées au regard de cet objet et de son domaine d'intervention, précisant que ce dernier, avant la signature du bon de commande, lui a fourni des plans de métrés précis établis par M. [D] [V], architecte d'intérieur qui a assisté M. [W] tout au long de la relation commerciale.

Elle considère que l'objet du contrat était donc parfaitement déterminé, à tout le moins déterminable, tel que cela résulte du bon de commande et que l'acceptation de la commande par M. [W] a donné un caractère ferme et définitif à celle-ci dès la date de signature, aucune rétractation n'étant possible tel que cela résulte des conditions générales, paraphées par M. [W] et du bon de commande.

Elle ajoute que :

l'obligation d'information précontractuelle n'impose pas au vendeur une visite technique avant l'engagement ferme, si le vendeur dispose des éléments suffisamment précis pour exécuter l'obligation d'information lui incombant,

le fait que la signature du bon de commande soit intervenue avant la réalisation du métré permettant de vérifier les côtes communiquées par M. [W] n'affecte pas la validité du contrat, le bon de commande comportant l'apposition de la mention manuscrite « bon pour implantation sous réserve de métré » mais ne pourrait, tout au plus, avoir une incidence que dans l'appréciation de la responsabilité du professionnel, si la mise en 'uvre de la cuisine s'était avérée impossible, ce qui n'était pas le cas, cette impossibilité n'étant, au demeurant, pas démontrée,

M. [W] n'indique pas précisément quelles informations sur les prestations et produits n'auraient pas délivrées et ne lui auraient pas permis de s'obliger en toute connaissance de l'objet du contrat.

La société BC Cuisine entend remettre en cause la valeur probante :

du constat d'huissier de justice en date du 21 octobre 2021 produit par l'intimé au motif qu'il a été établi non-contradictoirement, et ce, par un huissier de justice mandaté unilatéralement par M. [W], soulignant que ce constat ne permet pas de démontrer l'absence de faisabilité de son projet, les éléments relevés par l'huissier ayant été pris en compte dans le bon de commande litigieux,

du devis produit par M. [W] qui a été établi pour les besoins de la cause et ne lui est pas opposable, ce document étant, au demeurant, insusceptible de démontrer que l'installation de la cuisine commandée auprès d'elle aurait engendré des travaux sur le gros 'uvre ou des frais supplémentaires.

Elle argue encore de ce que, conformément à l'obligation d'information à laquelle elle est tenue en sa qualité de cuisiniste, elle a attiré l'attention de M. [W] sur la particularité de son projet qui nécessitait donc la condamnation des portes d'accès.

Elle conteste l'erreur ou le dol invoqués par l'intimé, le consentement de ce dernier n'ayant pas été vicié puisqu'aucune indétermination partielle de la chose et du prix n'est à constater, le projet prévu par le bon de commande litigieux étant réalisable et M. [W] ne démontrant pas que ce projet aurait nécessité des frais supplémentaires.

Elle demande des dommages et intérêts du fait de l'inexécution contractuelle et de la mauvaise foi de M. [W] dont l'action en nullité vise à le faire échapper à ses obligations contractuelles et qui s'est montré déloyal en s'engageant avec un autre professionnel pour des prestations similaires en utilisant ses prestations intellectuelles, sa résistance au paiement étant donc abusive.

Considérant que M. [W] a violé ses obligations contractuelles en refusant l'exécution du contrat, elle demande à la cour de constater la résolution unilatérale du bon de commande du 6 juin 2020 par M. [W] et, au besoin, de prononcer cette résolution au regard des manquements de ce dernier.

Elle sollicite le paiement des sommes suivantes :

17 373,83 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi,

10 590 euros au titre du remboursement de l'acompte qu'elle a effectué à M. [W] à la suite du jugement entrepris,

10 000 euros à titre de dommages et intérêts distincts au regard de la mauvaise foi manifeste dont a fait preuve M. [W] qui a profité du projet sur-mesure qu'elle a élaboré et a bénéficié de ses conseils relatifs à la réfection de la cuisine.

Subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour devait confirmer la nullité du contrat, la société BC Cuisine sollicite l'allocation de dommages et intérêts venant compenser son préjudice au titre des prestations qui ont été réalisées, de l'attitude déloyale et de la mauvaise foi de M. [W], préjudice qui subsisterait de manière indépendante.

Sur l'appel incident, la société BC Cuisine conteste avoir eu des pratiques commerciales trompeuses consistant en une incitation, en contrepartie d'une réduction, à s'engager contractuellement.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 octobre 2023, M. [W] demande à la cour de :

déclarer l'appel formé par la société BC Cuisine mal fondé ;

par conséquent,

la débouter de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de :

sa demande tendant à l'octroi de dommages et intérêts pour préjudice moral,

sa demande de dommages et intérêts portant sur un montant de 4000 euros ;

statuant à nouveau :

- constater les pratiques commerciales agressives de la société BC Cuisine,

- condamner la société BC Cuisine à lui payer une indemnité de 3 000 euros au titre du préjudice moral subi ;

en tout état de cause :

- condamner la société BC Cuisine à lui payer une indemnité de 4 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société BC Cuisine aux entiers frais et dépens.

M. [W] approuve le jugement entrepris en ce qu'il a retenu un manquement de la société BC Cuisine à son obligation d'information précontractuelle pour n'avoir pas pris la peine de vérifier la faisabilité effective du projet qu'elle lui soumettait et qui entraînait des sujétions techniques tout à fait particulières et ne pas avoir attiré son attention sur les frais complémentaires induits par les modifications et donc les travaux supplémentaires, non compris dans le prix de la cuisine qu'elle vendait. Il soutient qu'il en est résulté une indétermination partielle de la chose et du prix réel ne lui permettant pas de consentir en pleine connaissance de cause à la vente, de sorte que son consentement a été vicié.

Il conteste avoir fourni des plans de métrés précis établis par M. [V] et souligne l'incohérence figurant sur le bon de commande en ce qu'il a été signé « sous réserve de métré » alors que soit, lors de sa signature, la société BC Cuisine disposait de métrés, ce qui rendait la vente ferme sans condition, soit elle ne les avait pas, ce qui lui interdisait de lui faire souscrire un bon de commande.

Il soutient que :

le projet d'installation de la cuisine litigieuse n'était pas faisable puisque les éléments de la cuisine vendue présentaient des dimensions non adaptées au lieu d'installation et ne pouvait donc être posée dans son appartement, ce qu'établit le constat établi par Me [P], huissier de justice,

en sa qualité de professionnel, la société BC Cuisines avait l'obligation d'établir un plan à l'échelle adaptée et ne pouvait réaliser son plan en se fondant sur le plan sommaire qu'il lui avait communiqué,

la mention du bon de commande prévoyant la « possibilité de modifier les coloris, le modèle, l'implantation, l'électroménager ainsi que le sanitaire aux mêmes conditions financières jusqu'à la mise en fabrication » dont se prévaut la société BC Cuisine a pour effet de vider le contrat de sa substance puisque la vente doit avoir un objet déterminé et déterminable,

la prise de mesures et l'installation des meubles de la cuisine ne sont pas des accessoires des meubles mais des prestations qui auraient dû être mentionnées sur le devis et sur le bon de commande,

l'appelante ne peut soutenir que les caractéristiques essentielles étaient fournies dès lors qu'il était possible de modifier complètement l'objet du contrat,

le contrat d'installation en cause ne respecte pas la recommandation n° 82-03 de la Commission des clauses abusives.

Il sollicite, par ailleurs, la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a retenu qu'il était autorisé à exciper d'une erreur ayant vicié son consentement puisqu'il a été victime d'un vice pour erreur sur les qualités essentielles de la prestation de service, la cuisine vendue n'étant pas adaptée à son appartement et l'installation s'étant avérée par la suite coûteuse soulignant que s'il avait eu connaissance des frais supplémentaires, il n'aurait pas contracté.

Subsidiairement, il invoque la nullité du contrat pour dol, soutenant que la société BC Cuisine lui a sciemment menti sur la possibilité de se rétracter pour obtenir la signature du bon de commande, outre le fait que le dol est aussi caractérisé par les pratiques commerciales trompeuses de la société.

Il indique encore que, face au manquement de la société BC Cuisine à son devoir de conseil et aux agissement dolosifs de cette dernière en exerçant des pressions sur lui pour obtenir la signature du bon de commande, il n'a eu d'autre choix que d'introduire une action en justice.

Il rappelle qu'il a d'ores et déjà été condamné à régler la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile par suite de l'opposition au chèque d'un montant de 9 000 euros.

Il estime que les demandes indemnitaires de l'appelante sont injustifiées et abusives.

Il sollicite la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral causé par les pratiques commerciales trompeuses au sens de l'article L.121-7 du code de la consommation, de la société BC Cuisine, en lui faisant miroiter une remise s'il signait le bon de commande le jour même de sa première visite en magasin et la possibilité d'une rétractation ultérieure, alors que son but était seulement d'obtenir un devis et non de signer un bon de commande, mais que face à ces pressions exercées par l'appelante, il a fini par céder.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties aux conclusions transmises aux dates susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Au préalable, il y a lieu d'indiquer qu'aux termes de l'article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à « juger» ou «constater», en ce que, hors les cas prévus par la loi, elles ne sont pas susceptibles d'emporter de conséquences juridiques mais constituent en réalité des moyens ou arguments, de sorte que la cour ne doit y répondre qu'à la condition qu'ils viennent au soutien de la prétention formulée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans le dispositif de l'arrêt mais dans ses motifs.

1) Sur la nullité du bon de commande

L'intimé reproche à la société BC Cuisine d'avoir commis un manquement à son devoir d'information précontractuelle.

Aux termes des dispositions combinées des articles L.111-1 et L.111-5 du code de la consommation dans leurs versions applicables au litige, le vendeur professionnel de biens, avant la conclusion du contrat, doit mettre le consommateur en mesure de connaître, notamment, les caractéristiques essentielles du bien et le prix du bien ; il appartient au professionnel de prouver qu'il a exécuté ses obligations d'information.

Il est de principe que l'obligation d'information subsiste quelles que soient les compétences de l'autre partie même si elle est assistée d'un autre professionnel.

En matière de meubles destinés à être posés et installés par les soins d'un professionnel, le consommateur doit, avant la conclusion du contrat, afin de pouvoir s'engager en pleine connaissance de cause, être informé avec précision des caractéristiques des biens et de leur implantation, et ce, non seulement par la définition détaillée des articles vendus telle qu'elle figure sur le bon de commande, mais également par le plan d'implantation, qui fait corps avec ce bon de commande, la description de travaux indispensables non compris dans le prix faisant également partie des caractéristiques essentielles.

C'est ce que rappelle la recommandation n° 82-03 émise par la commission des clauses abusives applicable aux contrats d'installation de cuisine qui indique qu'il appartient au professionnel qui dispose des compétences voulues d'effectuer, avant conclusion définitive du contrat, une étude technique permettant d'apprécier l'influence des caractéristiques de l'immeuble où l'installation de la cuisine doit avoir lieu, ainsi que le coût de cette installation.

En l'espèce, comme l'a relevé le premier juge, les pièces produites aux débats permettent de constater que l'installation de la cuisine commandée auprès de la société BC Cuisine s'intégrait dans un projet plus global de réaménagement et de restructuration d'un nouvel appartement qui comportait initialement un séjour de forme octogonale dont M. [W] entendait faire sa cuisine et que des plans avaient été établis prévoyant la suppression du caractère octogonal de ce qui devait devenir la cuisine.

Or, la société BC Cuisine n'établit pas avoir procédé à la vérification de la faisabilité de ce projet qui entrainait des sujétions techniques particulières et il résulte des pièces produites que :

- l'appelante s'est basée sur un plan sommaire adressé par M. [W] la veille de la signature du bon de commande comportant des cotes non mesurées par elle,

- le plan élaboré par la société BC Cuisine, sur la base de ces cotes, annexé au bon de commande mentionne « bon pour implantation sous réserve de métré »,

- ce n'est que le 9 juin 2020, que la société BC Cuisine a informé M. [W] par courriel de l'intervention prochaine d'un métreur-poseur,

- M. [W] produit un SMS qu'il a adressé le 15 juin 2020 à M. [V], se présentant comme architecte d'intérieur, dans lequel il indique que l'installation de la cuisine nécessite la réalisation de deux portes dans les murs porteurs et justifie, au vu de ses compétences, sa présence lors du rendez-vous avec le cuisiniste ; l'appelante, dans ses écritures, admet que, pour assurer l'intégration de la cuisine, celle-ci devait légèrement être avancée, ce qui nécessitait la condamnation des portes d'accès sur les coins trapèzes, de sorte que cette implantation de la cuisine devait incontestablement générer la création de deux nouvelle portes tel que cela ressort du constat établi le 22 octobre 2021 par Me [P], huissier de justice qui relève qu'il n'existait pas d'autre accès pour se rendre dans les pièces attenantes, étant souligné que la valeur probante dudit constat régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire et établi par un auxiliaire de justice assermenté n'est pas à remettre en cause,

- le 9 mai 2021, M. [W] a fait réaliser un devis par un professionnel pour chiffrer les travaux rendus nécessaires par l'implantation de la cuisine commandée auprès de la société BC Cuisine se montant à 11 385 euros TTC, ce devis constituant un élément probant permettant de caractériser objectivement l'indétermination du prix de la prestation proposée par l'appelante, la société BC Cuisine ne démontrant pas que ce devis est inadapté.

Au vu de ce qui précède, l'appelante ne peut sérieusement affirmer que les travaux rendus nécessaires par l'implantation de la cuisine commandée auprès d'elle ne s'analysent pas comme étant des travaux de gros 'uvre et n'impacteraient pas la réalisation de son projet d'installation de la cuisine qui demeurait faisable alors qu'il est avéré que la cuisine vendue en l'état à M. [W] n'est pas en adéquation avec la configuration des lieux de l'appartement de ce dernier et nécessitait, pour son implantation, la suppression de deux murs en diagonale abritant chacun une porte et l'ouverture de deux nouvelles portes.

La réalité des sujétions techniques particulières entraînées par la faisabilité du projet d'installation de la cuisine est établie par le devis du 9 mai 2021 susvisé et par les mentions du bon de commande litigieux ayant précisé que le coût de la pose était « hors bâti et décaissement » et force est de constater que lesdites sujétions n'ont pas été intégrées dans le prix de vente tel que cela résulte du bon de commande du 6 juin 2020 et de la facture du 9 juin 2020 ni même dans un document précontractuel, le plan joint au bon de commande élaboré par la société BC Cuisine n'étant pas suffisamment précis quant à l'emplacement réservé à la cuisine commandée et ne permettant aucunement de constater la nécessité de réaliser des travaux pour assurer son intégration.

En outre, les documents transmis M. [W] à la société BC Cuisine ne permettent pas d'établir que ce dernier avait conscience de la sujétion technique relative à l'ouverture d'entrées autre que celles qui devaient être condamnées.

Considération prise de tous ces éléments, il apparaît que l'étude technique réalisée par la société BC Cuisine avant la signature du bon de commande ne permettait d'apprécier ni l'impact des caractéristiques de l'immeuble où la cuisine devait être installée ni le coût de cette installation, de sorte que l'objet de la commande n'était pas suffisamment déterminé étant souligné que la mention du bon de commande prévoyant la « possibilité de modifier les coloris, le modèle, l'implantation, l'électroménager ainsi

que le sanitaire aux mêmes conditions financières jusqu'à la mise en fabrication » avait pour effet de vider le contrat de sa substance empêchant la vente d'avoir un objet déterminé et déterminable.

C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu que la société BC Cuisine n'avait pas attiré précisément l'attention de M. [W] sur les frais complémentaires induits par les modifications et donc les travaux supplémentaires, non compris dans le prix de la cuisine qu'elle vendait, rendus nécessaires pour réaliser l'aménagement personnalisé, objet du contrat.

La société BC Cuisine ne démontrant pas qu'elle a satisfait à son obligation d'information précontractuelle en informant M. [W], avant la signature du bon de commande, des caractéristiques essentielles à l'installation et la pose de la cuisine vendue afin de lui permettre de consentir en connaissance de cause, peu importe que M. [W] ait été assisté d'un architecte d'intérieur, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu le manquement de la société BC Cuisines à son obligation d'information précontractuelle.

Il est de principe que le manquement du professionnel à son obligation d'information précontractuelle qui a donc pour finalité de permettre au consommateur de donner un consentement éclairé peut être sanctionné par la nullité de la convention pour vice du consentement pour autant qu'il soit établi.

Il convient de rappeler qu'en application de l'article 1130 du code civil, l'erreur vicie le consentement lorsqu'elle est de telle nature que, sans elle, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes, son caractère déterminant s'appréciant eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.

Aux termes de l'article 1132 du code civil, l'erreur de droit ou de fait, à moins qu'elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu'elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du contractant.

Sont déterminants du consentement du consommateur, les éléments devant lui être communiqués quant aux caractéristiques du bien ou aux éléments de détermination de son prix

En l'espèce, les informations fournies par la société BC Cuisine à M. [W] n'ont pas permis à ce dernier de se déterminer en connaissance de cause puisqu'en effet, ladite cuisine n'était pas en adéquation avec la configuration des lieux et engendrait des frais supplémentaires non prévus dans le bon de commande.

M. [W] est donc fondé à se prévaloir d'une erreur ayant vicié son consentement sans laquelle il n'aurait pas contracté. Il s'en déduit que le bon de commande du 6 juin 2020 doit être annulé.

Le jugement entrepris est donc confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité du bon de commande en cause et en ce qu'il a condamné la société BC Cuisine à rembourser à M. [W] la somme de 10 590 euros représentant le montant total de l'acompte versé.

2) Sur les demandes de dommages et intérêts formulées par M. [W]

2.1 pour préjudice moral

A défaut pour M. [W] de démontrer que, d'une part, la société BC Cuisine a utilisé à son égard de pratiques commerciales trompeuses au sens des articles L.121-6 et L.121-7 du code de la consommation en lui faisant miroiter une remise et une possibilité de se rétracter ultérieurement, s'il signait le bon de commande le jour même de sa première visite en magasin, et, d'autre part, que son but était seulement d'obtenir un devis et non de signer un bon de commande, il n'y a pas lieu de lui allouer des dommages et intérêts pour préjudice moral.

Le jugement est donc confirmé de ce chef.

2.2 correspondant à la somme de 4 000 euros qu'il a été condamné à payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la procédure en référé concernant le chèque auquel il a fait opposition

M. [W] sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour un montant de 4 000 euros sans critiquer le jugement entrepris sur ce point affirmant même qu'il accepte la décision rendue dans le cadre de la procédure en référé quant à sa condamnation à régler à la société BC cuisines la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile par suite de l'opposition au chèque d'un montant 9 000 euros.

Dès lors, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté cette demande.

3) Sur la demande de la société BC Cuisine tendant à la résolution du contrat et ses demandes de dommages et intérêts

Le bon de commande litigieux ayant été annulé, il y a lieu de rejeter la demande de résolution du contrat et la demande de dommages et intérêts afférente.

La société BC Cuisine ne démontrant pas que M. [W] a eu une attitude déloyale et qu'il a montré de la mauvaise foi, la demande de dommages et intérêts formulée à hauteur de 10 590 euros est rejetée.

Le jugement entrepris est donc confirmé de ces chefs.

4) Sur les dépens et les frais de procédure non compris dans les dépens

Le jugement entrepris est confirmé de ces chefs.

A hauteur d'appel, la société BC Cuisine est condamnée aux dépens et à payer à l'intimé la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais non compris dans les dépens ; sa demande présentée sur le même fondement est rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe :

CONFIRME, dans les limites de l'appel, le jugement du tribunal de judiciaire de Strasbourg en date du 21 juin 2022 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

CONDAMNE la SASU BC Cuisine aux dépens d'appel ;

CONDAMNE la SASU BC Cuisine à payer à M. [L] [W] la somme de 3 000 euros (trois mille euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais de procédure non compris dans les dépens exposés en appel ;

REJETTE la demande d'indemnité de la SASU BC Cuisine sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

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