CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 25 mars 2025, n° 22/09104
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Amazon EU SARL
Défendeur :
Institut de liaisons et d'études des entreprises de consommation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Barlow
Conseillers :
M. Le Vaillant, Mme Depelley
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Utzschneider, Me Clamens, Me Moisan, Me Vogel
I/ FAITS ET PROCEDURE
1. La cour est saisie de l'appel de deux jugements rendus les 22 juin 2021 et 10 mai 2022 par le tribunal de commerce de Paris (1ère chambre) dans un litige opposant l'Institut de liaison des entreprises de consommation (ci-après, " l'ILEC ") à la société de droit luxembourgeois Amazon EU SARL (ci-après, " Amazon ").
2. L'ILEC est une association d'entreprises qui a pour objet de représenter et défendre l'intérêt collectif du secteur de la fabrication des biens de consommation ou l'intérêt collectif de ses adhérents, professionnels de ce secteur.
3. Amazon gère des activités de commerce de détail en ligne de produits en Europe. À cette fin, elle achète auprès de fournisseurs tiers des produits qu'elle revend à des clients finaux via les boutiques Amazon de langues européennes. Elle dispose de succursales dans plusieurs pays, dont la France.
4. L'ILEC fait grief à Amazon d'imposer des pratiques commerciales et des clauses contrevenant à plusieurs dispositions impératives du droit français et aboutissant à faire supporter au fournisseur la charge du risque commercial.
5. Par actes introductifs d'instance des 23 juin et 7 juillet 2020, il a fait assigner Amazon devant le tribunal de commerce de Paris afin de voir enjoindre à cette société d'avoir à cesser les pratiques dénoncées, de la voir condamnée à payer la somme de cinq millions d'euros au titre du préjudice collectif subi par ses adhérents et d'obtenir la publication du dispositif de la décision à intervenir sous astreinte.
6. Amazon ayant soulevé un incident de communication de pièces, ce tribunal a, par jugement avant dire droit du 22 juin 2021, statué en ces termes :
Déboute la SARL AMAZON de sa demande de communication d'une version intégrale des pièces n°22 et n°23 ;
Joint les exceptions de procédure et de fins de non-recevoir au fond de l'affaire ;
Fixe le calendrier des échanges suivant :
- Avant le 27 septembre 2021, conclusions au fond d'AMAZON ;
- Avant le 29 novembre 2021, conclusions au fond de l'ILEC
- Avant le 24 janvier 2022, conclusions au fond d'AMAZON ;
Ordonne que les conclusions soient communiquées au juge chargé d'instruire l'affaire et au greffe par voie électronique avec envoi conjoint au juge d'un lien de téléchargement des pièces citées ;
Renvoie les parties à une audience de plaidoirie collégiale, le 21 mars 2022, à 14h15, devant la formation composée de M. [N] [T], Mme [W] [P] et M. [Y] [U] ;
Dit qu'à défaut de respect de ce calendrier de procédure, il serait fait application des articles 381 et 469 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL AMAZON à verser à l'INSTITUT DE LIAISONS ET D'ETUDES DES INDUSTRIES DE CONSOMMATION - ILEC (Association loi 1901), la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Réserve les dépens de l'instance.
7. Puis, par jugement du 10 mai 2022, il rendu la décision suivante :
Sur la compétence et la loi applicable :
' Dit recevables les exceptions d'incompétence et de nullité de l'assignation soulevées par AMAZON ;
' Dit que les clauses attributives de compétence et de choix de loi contenues dans les CGF d'AMAZON ne sont pas opposables à l'ILEC qui n'est pas partie aux contrats ;
' Dit que la cause du litige relève de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de l'article 7, point 2, du règlement Bruxelles I bis ;
' Déboute AMAZON de son exception d'incompétence et se dit compétent pour connaitre du litige ;
' Déboute AMAZON de sa demande d'application au litige de la loi luxembourgeoise et de ses demandes de questions préjudicielles corrélatives auprès de la Cour de justice de l'Union européenne, et dit que la loi française est applicable au litige.
Sur l'exception de nullité de l'assignation pour défaut de pouvoir de l'ILEC :
' Dit recevable l'exception de nullité de l'assignation pour défaut de pouvoir de l'ILEC soulevée par AMAZON ;
' Dit que l'ILEC est valablement représentée à l'action ;
' Déboute AMAZON de son exception de nullité de l'assignation pour défaut de pouvoir de l'ILEC.
Sur la fin de non-recevoir pour défaut d'intérêt à agir de l'ILEC :
' Dit que l'ILEC a intérêt à agir ;
'Déboute AMAZON de sa fin de non-recevoir pour défaut d'intérêt à agir ;
Sur le caractère illégal de l'article 2 de l'ordonnance n°2019-359 ayant créé le nouvel article L442-1, I, 1° du Code de commerce :
' Ordonne la transmission au Conseil d'Etat de la question préjudicielle suivante :
« Les dispositions de l'article L442-1, I, 1° du Code de commerce, issu de l'article 2 de l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, doivent-elles être déclarées illégales, et leur application doit-elle être écartée, dès lors qu'elles modifient largement le champ d'application de l'ancien article L 442-6, I, 1° du Code de commerce, alors que l'habilitation légale octroyée par l'article 17, 6° de la loi Egalim (loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous) donnait uniquemement pouvoir au Gouvernement "De simplifier et préciser les définitions des pratiques mentionnées à l'article L442-6, en ce qui concerne notamment la rupture brutale des relations commerciales, les vois d'action en justice et les dispositions relatives aux sanctions civiles'' ' »
Sur le sursis à statuer :
' Sursoit à statuer sur le fond du litige jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation, ou s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel sur la QPC et jusqu'à réception de la décision du Conseil d'Etat sur la question préjudicielle.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
' Réserve les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile. "
8. Amazon a interjeté appel de ces décisions par déclaration du 25 mai 2022.
9. Par ordonnance du 5 septembre 2023, le conseiller de la mise en état a :
Rejeté la demande de communication forcée de l'avis de signification du greffe de la chambre de la cour d'appel de Paris transmis aux conseils d'Amazon le 6 juillet 2022 ;
Déclaré l'Institut de liaison des entreprises de consommation irrecevable à conclure au fond comme à titre incident en application de l'article 909 du code de procédure civile ;
Débouté la société Amazon EU de ses demandes de condamnation pour procédure abusive ;
Condamné l'Institut de liaisons des entreprises de consommation à payer à la société Amazon EU la somme de dix mille euros (10 000,00 EUR) en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné l'Institut de liaisons des entreprises de consommation aux dépens de l'incident.
10. La clôture a été prononcée le 2 avril 2024 et l'affaire appelée à l'audience de plaidoiries du 30 avril 2024.
11. Par un arrêt du 2 juillet 2024, la cour a ordonné la réouverture des débats et la communication du dossier au ministère public.
12. Le ministère public a rendu son avis le 25 septembre 2024. Cet avis a été communiqué aux parties, avec l'avis du ministre de l'économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sollicité par le ministère public.
13. Par ordonnance du 19 décembre 2024, le conseiller de la mise en état a restreint à la cour et au ministère public l'accès à la version confidentielle des pièces n° N et O produites par Amazon.
14. La clôture a été prononcée le 7 janvier 2025 et l'affaire a été appelée à l'audience de plaidoiries du 20 janvier 2025.
II/ CONCLUSIONS ET DEMANDES DES PARTIES
15. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 novembre 2024, Amazon demande à la cour au visa :
- des articles 34, 35, 52, 56 et 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne,
- des articles 4, 7, 17 et 25 du Règlement (UE) n°1215/2012 du 12 décembre 2012 (" Bruxelles I Bis "),
- des articles 3, 4 et 9 du Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (" Rome I "),
- de l'article 14 du Règlement (CE) n°864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (" Rome II "),
- des articles 31, 32, 42, 117, 119, et 122 du code de procédure civile,
- de l'article L. 490-10 du code de commerce,
- des articles L.441-3, L.441-4, L.441-10, L.442-1 et L. 442-4 du code de commerce,
- des articles L. 153-1 et suivants du code de commerce,
- des articles 1210 et 1347-1 du code civil, Il est demandé à la cour d'appel de Paris
de bien vouloir :
1. In limine litis et à titre principal,
' Sur la compétence du Tribunal,
- Réformer le jugement du 10 mai 2022 (RG 2020032138) en ce qu'il a jugé non opposable à l'Institut de liaisons des entreprises de consommation la clause attributive de juridiction, dit que la cause du litige relève de la matière délictuelle ou quasi-délictuelle au sens du Règlement Bruxelles I bis, débouté Amazon EU SARL de son exception d'incompétence et s'est reconnu compétent pour connaitre du litige,
Statuant à nouveau,
- Juger que les juridictions françaises sont incompétentes pour connaitre du litige,
- Renvoyer l'Institut de liaisons des entreprises de consommation à mieux se pourvoir,
o Subsidiairement, saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles suivantes :
Sur l'opposabilité de la clause attributive de juridiction
1. Une clause attributive de juridiction valablement insérée dans un contrat en application de l'article 25 du Règlement Bruxelles I bis, qui lierait le cocontractant s'il engageait une action indemnitaire et/ou en contestation de la validité de dispositions contractuelles et/ou en cessation de pratiques s'inscrivant dans le cadre de cette relation contractuelle, est-elle opposable à une association de professionnels dont certains des membres seraient des parties contractantes, dans le cadre d'une action ayant la même finalité, quand bien même l'association n'aurait pas directement consenti à cette clause attributive de juridiction '
Sur la nature contractuelle du litige au sens du Règlement Bruxelles I bis
2. Au regard de l'arrêt de la Cour de Justice dans l'affaire [H], (C-196/15) selon lequel une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date (fondée sur l'article L.442-6, I, 5° du Code de commerce français) ne relève pas nécessairement de la matière délictuelle ou quasi-delictuelle au sens Règlement Bruxelles I, les dispositions de l'article 7(1) du règlement (UE) n°1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (" Bruxelles I bis ") doivent-elles s'interpréter en ce sens que, relève de la matière contractuelle en application de ce Règlement, une action indemnitaire et/ou en contestation de la validité de dispositions contractuelles et/ou en cessation de pratiques s'inscrivant dans le cadre de cette relation contractuelle, engagée sur le fondement d'une disposition légale, telle que celles prévues (dans leur version en vigueur au moment du renvoi de la présente question préjudicielle) par :
- l'article L. 442-1, I, 1° du code de commerce, qui prohibe les avantages obtenus par une partie sans donner de contrepartie à l'autre partie (ou moyennant une contrepartie non proportionnée) à l'occasion d'une relation contractuelle,
- les articles L. 442-1, I 3° et L.441-17 du code de commerce, qui fixent les conditions des pénalités logistiques applicables à l'autre partie à l'occasion d'une relation contractuelle de distribution,
- l'article L.442-3 a) du code de commerce, qui frappe de nullité les clauses prévoyant une application rétroactive de remises, de ristournes ou d'accords de coopération commerciale à l'occasion d'une relation contractuelle de distribution,
- les articles L. 441-3 et suivants du code de commerce qui imposent aux distributeurs de conclure avec leurs fournisseurs, chaque année avant le 1er mars, un contrat d'approvisionnement répondant à un formalisme précis et défini par la loi,
- l'article L. 441-10 du code de commerce qui fixe les règles relatives aux délais de paiement en matière de livraison de marchandises et d'exécution de prestations de services (délai maximum pour régler les sommes dues, conditions de règlement, taux d'intérêt des pénalités de retard exigibles),
- l'article 1210 du code civil qui prohibe les engagements perpétuels,
- l'article 1347-1 du code civil qui précise les conditions pour que la compensation légale opère, à savoir que les obligations soient fongibles, certaines, liquides et exigibles, sauf convention contraire '
3. Dans l'affirmative, les dispositions des articles 7(1) et 7(2) du Règlement Bruxelles I bis doivent-elles s'interpréter de telle sorte sorte que la solution serait modifiée - en ce sens que l'action relèverait de la matière délictuelle en application de ce Règlement - si l'action indemnitaire et/ou en contestation de la validité de dispositions contractuelles et/ou en cessation de pratiques s'inscrivant dans le cadre de cette relation contractuelle, engagée sur le fondement de ces mêmes dispositions légales (dans leur version en vigueur au moment du renvoi de la présente question préjudicielle) était intentée non pas par une partie contractante mais par une association de professionnels pour défendre l'intérêt de ses membres dont certains seraient des parties contractantes '
4. Les dispositions de l'article 7(1) du Règlement Bruxelles I bis doivent-elles s'interpréter en ce sens qu'elles doivent être écartées, au profit de l'article 4 paragraphe 1 dudit Règlement, en présence d'une prestation de service complexe, dont l'exécution n'est pas localisable dans un seul lieu, telle que celle rendue par un opérateur de commerce en ligne ayant une activité de distribution dans plusieurs pays de l'Union européenne '
' Sur la nullité de l'assignation délivrée par l'Institut de liaisons des entreprises de consommation
- Réformer le jugement du 22 juin 2021 en ce qu'il a débouté Amazon EU SARL de sa demande d'une communication intégrale des procès-verbaux de délibération de l'Institut de liaisons des entreprises de consommation et condamné Amazon EU SARL à verser à l'Institut de liaisons des entreprises de consommation la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Réformer le jugement du 10 mai 2022 (RG 2020032138) en ce qu'il a dit que l'Institut de liaisons des entreprises de consommation était valablement représenté et débouté Amazon EU SARL de son exception de nullité de l'assignation,
- Déclarer nulle pour défaut de pouvoir l'assignation devant le Tribunal de commerce de Paris délivrée à Amazon EU SARL par l'Institut de liaisons des entreprises de consommation,
o Subsidiairement, ordonner la communication intégrale des procès-verbaux de délibération du Conseil d'administration de l'Institut de liaisons des entreprises de consommation en date des 16 janvier 2020 et 25 mars 2021, relatifs à son action en justice contre Amazon EU SARL,
' Sur le défaut d'intérêt à agir de l'Institut des liaisons des entreprises de consommation,
- Réformer le jugement du 10 mai 2022 (RG 2020032138) en ce qu'il a dit que l'Institut de liaisons des entreprises de consommation a un intérêt à agir et débouté Amazon EU Sàrl de sa fin de non-recevoir pour défaut d'intérêt à agir,
- Déclarer irrecevable pour défaut d'intérêt à agir l'Institut de liaisons des entreprises de consommation,
2. Subsidiairement, sur le droit applicable,
- Réformer le jugement du 10 mai 2022 (RG 2020032138) en ce qu'il a débouté Amazon EU SARL de sa demande d'application au litige de la loi luxembourgeoise et de transmission de questions préjudicielles corrélatives auprès de la Cour de justice de l'Union européenne, et dit que la loi française est applicable au litige,
Statuant à nouveau
- Déclarer le droit luxembourgeois applicable à l'instance engagée par l'Institut de liaisons des entreprises de consommation,
- Renvoyer au Tribunal de commerce de Paris le jugement de l'affaire au fond en application du droit luxembourgeois,
o Subsidiairement, saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles suivantes :
Sur l'opposabilité de la clause de choix de loi
5. Une clause de choix de loi valablement insérée dans un contrat en application de l'article 3.1 du Règlement Rome I, qui lierait le cocontractant s'il engageait une action indemnitaire et/ou en contestation de la validité de dispositions contractuelles et/ou en cessation de pratiques s'inscrivant dans le cadre de cette relation contractuelle, est-elle opposable à une association de professionnels dont certains des membres seraient des parties contractantes, dans le cadre d'une action ayant la même finalité, quand bien même l'association n'aurait pas directement consenti à cette clause de choix de loi '
Sur la nature contractuelle du litige et l'application du Règlement Rome I
6. Les dispositions de l'article 1 (1) du règlement (CE) n°593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (" Rome I ") doivent-elles s'interpréter en ce sens que, relève de la matière contractuelle au sens de ce Règlement, une action indemnitaire et/ou en contestation de la validité de dispositions contractuelles et/ou en cessation de pratiques s'inscrivant dans le cadre de cette relation contractuelle, engagée sur le fondement d'une disposition légale telle que celles prévues (dans leur version en vigueur au moment du renvoi de la présente question préjudicielle) par :
- l'article L. 442-1, I, 1° du code de commerce, qui prohibe les avantages obtenus par une partie sans donner de contrepartie à l'autre partie (ou moyennant une contrepartie non proportionnée) à l'occasion d'une relation contractuelle,
- les articles L. 442-1, I 3° et L. 441-17 du code de commerce, qui fixent les conditions des pénalités logistiques applicables à l'autre partie à l'occasion d'une relation contractuelle de distribution,
- l'article L.442-3 a) du code de commerce, qui frappe de nullité les clauses prévoyant une application rétroactive de remises, de ristournes ou d'accords de coopération commerciale à l'occasion d'une relation contractuelle de distribution,
- les articles L. 441-3 et suivants du code de commerce qui imposent aux distributeurs de conclure avec leurs fournisseurs, chaque année avant le 1er mars, un contrat d'approvisionnement répondant à un formalisme précis et défini par la loi,
- l'article L. 441-10 du Code de commerce qui fixe les règles relatives aux délais de paiement en matière de livraison de marchandises et d'exécution de prestations de services (délai maximum pour régler les sommes dues, conditions de règlement, taux d'intérêt des pénalités de retard exigibles),
- l'article 1210 du code civil qui prohibe les engagements perpétuels,
- l'article 1347-1 du Code civil qui précise les conditions pour que la compensation légale opère, à savoir que les obligations soient fongibles, certaines, liquides et exigibles, sauf convention contraire '
7. Dans l'affirmative à la question 6, au regard de l'arrêt de la Cour de Justice dans l'affaire Amazon (C-191/15), selon lequel l'action en cessation dirigée contre l'utilisation de clauses contractuelles prétendument illicites doit être déterminée de manière autonome en fonction de la nature des clauses sans que le droit applicable puisse varier en fonction de l'auteur de l'action et du type d'action choisi (individuelle ou collective), le fait que cette action en cessation, engagée sur le fondement des dispositions légales susmentionnées, soit intentée non pas par une partie contractante mais par une association de professionnels, pour défendre l'intérêt de ses membres dont certains seraient des parties contractantes, est-il de nature à modifier la solution en ce sens que le Règlement Rome II deviendrait applicable '
Sur la qualification de loi de police au sens des Règlements Rome I et Rome II
8. Une disposition légale, telle que celles prévues (dans leur version en vigueur au moment du renvoi de la présente question préjudicielle) par :
- l'article L. 442-1, I, 1° du code de commerce, qui prohibe les avantages obtenus par une partie sans donner de contrepartie à l'autre partie (ou moyennant une contrepartie non proportionnée) à l'occasion d'une relation contractuelle,
- les articles L. 442-1, I, 3° et L.441-17 du code de commerce, qui fixent les conditions des pénalités logistiques applicables à l'autre partie à l'occasion d'une relation contractuelle de distribution,
- l'article L.442-3 a) du code de commerce, qui frappe de nullité les clauses prévoyant une application rétroactive de remises, de ristournes ou d'accords de coopération commerciale à l'occasion d'une relation contractuelle de distribution,
- les articles L. 441-3 et suivants du code de commerce qui imposent aux distributeurs de conclure avec leurs fournisseurs, chaque année avant le 1er mars, un contrat d'approvisionnement répondant à un formalisme précis et défini par la loi,
- l'article L. 441-10 du code de commerce qui fixe les règles relatives aux délais de paiement en matière de livraison de marchandises et d'exécution de prestations de services (délai maximum pour régler les sommes dues, conditions de règlement, taux d'intérêt des pénalités de retard exigibles),
visant à protéger les intérêts et l'équilibre des relations commerciales entre parties privées, est-elle qualifiable de loi de police dans l'ordre international au sens de l'article 9 (1) du règlement Rome I et/ou de l'article 16 du Règlement Rome II, et peut-elle prévaloir sur la loi d'un autre Etat Membre désignée par le contrat des parties '
o Plus subsidiairement, dans l'hypothèse où la Cour qualifierait de loi de police des dispositions du Code de commerce susmentionnées, ou poserait la question préjudicielle n°8 à ce sujet, saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles suivantes :
9. Le fait qu'un État membre érige en loi de police, au sens du Règlement Rome I, des dispositions telles que celles prévues (dans leur version en vigueur au moment du renvoi de la présente question préjudicielle) par :
- l'article L. 442-1, I, 1° du code de commerce, qui prohibe les avantages obtenus par une partie sans donner de contrepartie à l'autre partie (ou moyennant une contrepartie non proportionnée) à l'occasion d'une relation contractuelle,
- les articles L. 442-1, I, 3° et L.441-17 du code de commerce, qui fixent les conditions des pénalités logistiques applicables à l'autre partie à l'occasion d'une relation contractuelle de distribution,
- l'article L.442-3 a) du code de commerce, qui frappe de nullité les clauses prévoyant une application rétroactive de remises, de ristournes ou d'accords de coopération à l'occasion d'une relation contractuelle de distribution,
- les articles L. 441-3 et suivants du code de commerce qui imposent aux distributeurs de conclure avec leurs fournisseurs, chaque année avant le 1er mars, un contrat d'approvisionnement répondant à un formalisme précis et défini par la loi ;
- l'article L. 441-10 du code de commerce qui fixe les règles relatives aux délais de paiement en matière de livraison de marchandises et d'exécution de prestations de services (délai maximum pour régler les sommes dues, conditions de règlement, taux d'intérêt des pénalités de retard exigibles),
qui, prises séparément ou cumulativement, imposent à tout distributeur, y compris aux distributeurs vendant des biens en ligne depuis un autre Etat membre, des contraintes supplémentaires de nature à faire obstacle à la réalisation du marché intérieur, peut-il être qualifiée d'entrave à la libre circulation des marchandises au sens de l'article 34 TFUE et à la libre prestation de service au sens de l'article 56 du TFUE '
3. En tout état de cause,
- Écarter des débats la " Note au parquet général de la Cour d'appel de Paris de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en date du 28 août 2024 " (" l'Avis du Ministre de l'Économie ") produite par le Ministère Public en pièce n°1 au soutien de son avis du 25 septembre 2024 ;
- Écarter des débats les conclusions de l'Avis du Ministre de l'Économie reprises par le Ministère Public au soutien de son avis du 25 septembre 2024 ;
- Juger que ni l'Avis du Ministre de l'Économie, ni les conclusions de cet avis reprises à son compte par le Ministère Public dans son avis du 25 septembre 2024 n'apportent d'éclairages pertinents sur les questions relatives à la qualification de lois de police des dispositions du Code de commerce invoquées par l'ILEC ainsi que l'articulation du droit français avec le droit de l'Union européenne, et justifient au contraire que la Cour de justice de l'Union européenne soit saisie des questions préjudicielles suggérées par AEU.
- Prendre toutes les mesures nécessaires à la protection de la confidentialité des informations d'Amazon EU Sarl couvertes par le secret des affaires en application du jugement du Tribunal de commerce de Paris du 22 mars 2022, en adaptant la motivation et la publication de la décision à intervenir, et notamment en ne mentionnant pas dans la décision les éléments relevant du secret des affaires, à savoir les pièces n°A à n°M ;
- Condamner l'Institut de liaisons des entreprises de consommation à verser à Amazon EU Sàrl la somme de 200 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner l'Institut de liaisons des entreprises de consommation aux entiers dépens de la présente instance.
16. En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à ces conclusions pour le complet exposé des moyens et rappelle qu'en vertu du dernier alinéa de l'article 954 du code de procédure civile, l'ILEC, dont les conclusions ont été déclarées irrecevables, est réputé s'approprier les motifs des jugements querellés.
III/ EXAMEN DES DEMANDES
A. À titre liminaire, sur la demande de retrait de pièces des débats
i. Demandes et moyens soumis à la cour
17. Amazon demande que soient écartés des débats :
- la " Note au parquet général de la Cour d'appel de Paris de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en date du 28 août 2024 " (" l'Avis du Ministre de l'Économie ") produite par le ministère public en pièce n° 1 au soutien de son avis du 25 septembre 2024 ;
- les conclusions de l'avis du ministre de l'économie reprises par le ministère public au soutien de son avis du 25 septembre 2024 ;
18. Elle fait valoir que :
- l'avis du ministère de l'économie a été sollicité en qualité d'amicus curiae ;
- le tiers qui intervient en cette qualité doit être désintéressé et ne peut donner son avis sur la solution du litige ;
- tel n'est pas le cas dans la présente affaire, le ministre de l'économie ne se bornant pas à présenter des observations d'ordre général mais articulant des raisonnements et des observations juridiques s'appuyant sur des faits de l'espèce pour donner son avis sur la solution du litige ;
- le ministre de l'économie n'est pas une partie désintéressée à la solution du litige en cause puisqu'il est partie à des procédures devant les juridictions civiles et commerciales devant lesquelles fait débat l'application des dispositions du titre IV livre IV du code de commerce français en qualité de loi de police.
ii. Appréciation
19. Consacrée à l'article L. 431-3-1 du code de l'organisation judiciaire pour l'examen des pourvois soumis à la Cour de cassation, la pratique de l'amicus curiae consiste, pour une juridiction, à inviter toute personne dont la compétence ou les connaissances sont de nature à l'éclairer utilement sur la solution à donner à un litige à produire des observations d'ordre général sur les points qu'elle détermine.
20. Dans la présente procédure, la cour n'a pas sollicité l'intervention de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du ministère de l'économie en qualité d'amicus curiae. La note versée aux débats par le ministère public ne relève donc pas de ce régime.
21. Les moyens développés à ce titre par Amazon sont dès lors inopérants, l'erreur commise par le ministère public sur la qualification de cette production, qui ne lie pas la cour, étant sans incidence.
22. La cour relève par ailleurs que rien n'interdit au ministère public de solliciter l'avis d'un tiers et de le produire dans une procédure où il intervient en qualité de partie jointe, sous réserve que soit respecté le principe de la contradiction.
23. En l'espèce, ce principe a bien été respecté, la note litigieuse ayant été communiquée à Amazon, qui en discute le bienfondé.
24. Amazon, qui ne s'interdit pas de produire au soutien de ses prétentions une lettre de la Commission européenne, qu'elle a sollicitée, ne saurait à cet égard revendiquer ni se voir reconnaître plus de droits que le ministère public.
25. Il s'ensuit que les demandes visant à voir écarter des débats la note du ministère de l'économie et les conclusions du ministère public sur laquelle elles s'appuient seront rejetées, les critiques formulées par Amazon à l'égard de cette note et de ces conclusions relevant, non de la recevabilité de cette production, mais de l'examen au fond.
B. Sur la compétence du juge français
i. Demandes et moyens soumis à la cour
26. Amazon conclut, à titre principal, à l'incompétence du juge français pour connaître de la présente affaire.
27. Elle soutient, premièrement, que les juridictions luxembourgeoises sont compétentes en application de la clause attributive de juridiction insérée dans ses conditions générales fournisseur (CGF), en exposant que :
- le règlement (UE) n° 1215/2012, dit « Bruxelles I bis » fait primer les clauses attributives de juridiction ;
- la règle de l'effet relatif des conventions n'est pas de nature à exclure la clause énoncée dans la présente affaire ;
- cette clause est valide en sa forme ;
- elle est applicable.
28. Elle considère, deuxièmement, que la règle de principe de l'article 4 du règlement Bruxelles I bis désigne elle aussi les juridictions du Luxembourg, lieu du domicile du défendeur.
29. Elle fait valoir, en troisième lieu, que les règles de compétence spéciales de l'article 7 du règlement Bruxelles I bis ne permettent pas de retenir la compétence des juridictions françaises, en considérant que :
- les motifs du jugement qui justifient la compétence des juridictions françaises par le fait qu'Amazon Europe exploite une succursale en France sont erronés, cette succursale étant dépourvue d'autonomie et cantonnée à un rôle support ;
- les motifs du jugement qui justifient la compétence des juridictions françaises sur le fondement de l'article 7, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I bis prévoyant des règles spécifiques en matière délictuelle sont aussi erronés, l'action de l'ILEC étant de nature contractuelle ;
- dans le cas où l'action serait qualifiée de délictuelle, la règle de conflit conduirait quand même à désigner le Grand-Duché du Luxembourg en tant que lieu du fait dommageable.
30. Elle soutient enfin que l'article L. 444-1-A du code de commerce relatif à la compétence exclusive des tribunaux français pour l'application du titre IV du livre IV du code de commerce n'est pas de nature à modifier les solutions qui s'imposent en application du règlement Bruxelles I bis.
31. Elle conclut, à titre subsidiaire, à la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles sur :
- l'opposabilité de la clause attributive de juridiction au regard de l'article 25 du règlement Bruxelles I bis ;
- la nature contractuelle du litige au sens de l'article 7 de ce règlement.
ii. Appréciation
32. Le présent litige revêt un caractère international pour opposer une association de droit français à une société de droit luxembourgeois à propos des conditions générales fournisseurs (CGF) de cette dernière.
33. Il relève, comme tel, des dispositions du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, dit " Bruxelles I bis ", concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après, " le règlement ").
Sur la clause d'élection de for
34. Amazon revendique le bénéfice de la clause attributive de juridiction insérée à l'article 11 de ses conditions générales, ainsi libellée :
« À défaut d'accord amiable, tout différend sur l'interprétation ou l'exécution du contrat relèvera de la compétence non exclusive des tribunaux du Grand-Duché de Luxembourg. »
35. Selon l'article 25, paragraphe 1, du règlement, si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d'une juridiction ou de juridictions d'un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties.
36. La convention attributive de juridiction est conclue : a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite ; b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ; ou c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.
37. Le paragraphe 5 du même article précise qu'une convention attributive de juridiction faisant partie d'un contrat est considérée comme un accord distinct des autres clauses du contrat.
38. Aucun élément ne vient en l'espèce remettre en cause la validité de la clause invoquée, qui doit dès lors être considérée comme efficace.
39. Les clauses attributives de juridiction s'appliquant dans l'ordre international quand bien même des dispositions impératives constitutives de loi de police seraient applicables au fond du litige (1re Civ., 22 octobre 2008, pourvoi n° 07-15.823, Bull. 2008, I, n° 233), la qualification et la nature des dispositions du droit français fondant l'action entreprise par l'ILEC sont à cet égard indifférentes.
40. L'ILEC, qui agit en son nom propre pour la défense de l'intérêt collectif de ses membres et du secteur qu'il soutient représenter, n'en constitue pas moins un tiers au contrat auquel se rapportent les conditions générales invoquées par Amazon.
41. Or, par principe, la clause attributive de juridiction insérée dans un contrat ne peut produire ses effets que dans les rapports entre les parties qui ont donné leur accord à la conclusion de ce contrat. Pour qu'une telle clause soit opposable à un tiers, il est nécessaire que celui-ci ait donné son consentement à cet effet (v. not. : CJUE, arrêt du 7 février 2013, Refcomp, C-543/10, point 29).
42. Amazon ne démontrant pas l'existence d'un tel consentement, qu'aucun élément versé aux débats ne vient établir, la clause litigieuse n'est pas opposable à l'intimé, peu important à cet égard que l'ILEC invoque les CGF au soutien de son action, la mise en cause de la conformité de ces conditions générales au droit français des pratiques anticoncurrentielles ne valant pas, en elle-même, acceptation de la clause attributive de compétence qu'elles contiennent et qui présente un caractère autonome.
43. La détermination du juge compétent doit dès lors être appréciée au regard des autres dispositions du règlement.
Sur les options de compétence
44. Aux termes de l'article 4, paragraphe 1, du règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État. En application de l'article 5, paragraphe 1, elles peuvent néanmoins être attraites devant les juridictions d'un autre État membre, suivant les règles énoncées aux articles 7 à 26.
45. Selon l'article 7, une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre :
1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande, lequel s'entend, b) pour la fourniture de services, comme le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ; [']
2) en matière délictuelle ou quasi-délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire.
46. Les conditions d'application de ce texte ont été précisées par la Cour de justice des communautés européennes, devenue Cour de justice de l'Union européenne, qui a notamment considéré que :
- la notion de matière contractuelle au sens de ce texte ne saurait être comprise comme visant une situation dans laquelle il n'existe aucun engagement librement assumé d'une partie envers une autre (CJCE, arrêt du 17 juin 1992, C-26/91, Jakob Handte & Co . GmbH c/ Traitements mécano-chimiques des surfaces SA) ;
- la demande doit ainsi puiser sa cause dans un ou plusieurs manquements du défendeur à un tel engagement, une action ne relevant de la matière contractuelle que si le comportement reproché peut être considéré comme un manquement aux obligations contractuelles, telles qu'elles peuvent être déterminées compte tenu de l'objet du contrat (CJUE, arrêt du 13 mars 2014, Brogsitter, C-548/12, point 24) ;
- tel sera a priori le cas si l'interprétation du contrat qui lie le défendeur au demandeur apparaît indispensable pour établir le caractère licite ou, au contraire, illicite du comportement reproché au premier par le second (ibid. point 25), la juridiction de renvoi devant dès lors déterminer si les actions intentées par le requérant au principal ont pour objet une demande de réparation dont la cause peut être raisonnablement regardée comme une violation des droits et des obligations du contrat qui lie les parties au principal, ce qui en rendrait indispensable la prise en compte pour trancher le recours (ibid. point 26) ;
- une action relève de la matière contractuelle, au sens de l'article 7, point 1, sous a), si l'interprétation du contrat qui lie le défendeur au demandeur apparaît indispensable pour établir le caractère licite ou, au contraire, illicite du comportement reproché au premier par le second, en précisant que tel est notamment le cas d'une action dont le fondement repose sur les stipulations d'un contrat ou sur des règles de droit qui sont applicables en raison de ce contrat. En revanche, lorsque le demandeur invoque, dans sa requête, les règles de la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle, à savoir la violation d'une obligation imposée par la loi, et qu'il n'apparaît pas indispensable d'examiner le contenu du contrat conclu avec le défendeur pour apprécier le caractère licite ou illicite du comportement reproché à ce dernier, cette obligation s'imposant au défendeur indépendamment de ce contrat, la cause de l'action relève de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de l'article 7, point 2, du règlement n° 1215/2012 (CJUE, arrêt du 24 novembre 2020, Wikingerhof, C-59/19, points 32 et 33).
47. Dans le cadre ainsi défini, la cour relève que :
- premièrement, l'ILEC n'est pas partie au contrat proposé par Amazon, qui ne lie donc pas les parties au présent litige ;
- deuxièmement, si les pratiques dénoncées par l'ILEC résultent de stipulations contractuelles, le comportement reproché à Amazon ne consiste pas en des manquements aux obligations découlant des contrats passés avec les fournisseurs, tels qu'ils pourraient être déterminés compte tenu de l'objet de ces conventions, mais réside dans la violation de règles impératives du droit français prohibant les pratiques restrictives de concurrence ;
- troisièmement, Amazon ne démontre pas que l'interprétation des stipulations contractuelles seraient nécessaires pour statuer sur les manquements allégués, la « présentation erronée des politiques d'AEU » invoquée à ce titre n'étant étayée par aucune référence contractuelle précise que la cour pourrait contrôler.
48. L'objet de la présente procédure ne relève donc pas de la matière contractuelle au sens de l'article 7, paragraphe 1 du règlement, le juge compétent devant, conformément au paragraphe 2 du même article, être identifié par référence au lieu du fait dommageable, soit celui de l'événement causal ou celui de la survenance du dommage (CJCE, arrêt du 30 novembre 1976, Mines des Potasses d'Alsace, C-21/76).
49. La mise en cause d'Amazon portant sur des pratiques restrictives de concurrence prohibées par le droit français dont seraient victimes des fournisseurs exerçant sur le territoire français, ce lieu, entendu comme celui de la matérialisation du dommage, est situé en France.
50. D'où il suit, sans qu'il y ait lieu de soumettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, que le juge français est compétent pour connaître de la présente affaire.
51. Le jugement querellé sera en conséquence confirmé en ce qu'il a retenu la compétence du tribunal de commerce de Paris.
C. Sur la nullité de l'assignation
i. Demandes et moyens soumis à la cour
52. Amazon conclut à la nullité de l'assignation délivrée à la demande de l'ILEC pour défaut de pouvoir.
53. Elle soutient à ce titre que l'ILEC ne justifie pas la régularité du pouvoir donné à son directeur général, en faisant valoir que :
- la loi française ne désigne pas de représentant légal vis-à-vis des tiers pour les associations, une association devant dès lors obligatoirement prouver son pouvoir d'agir en justice ;
- l'ILEC n'a pas rapporté de preuve valide selon laquelle une habilitation aurait été donnée à son directeur général pour introduire la présente action conformément à ses statuts ;
- les deux procès-verbaux de son conseil d'administration communiqués, l'un antérieur à l'assignation, l'autre postérieur, sont insuffisants pour apporter cette preuve, l'identité des votants ayant été caviardée ;
- cette anonymisation ne permet pas de s'assurer du respect des conditions légales et statutaires assurant la régularité de l'action.
54. Elle ajoute que ce caviardage est illicite comme contraire aux principes gouvernant la communication des pièces en ce que :
- le nom des membres d'une association professionnelle ayant décidé de voter une action en justice ne correspond pas à un secret des affaires tel que défini par l'article L. 151- 1 du code de commerce ;
- les informations occultées par l'ILEC sont nécessaires à la solution du litige de sorte que même à supposer que les informations caviardées relèvent du secret des affaires leur caractère nécessaire à la solution du litige interdisait qu'elles soient totalement refusées à Amazon.
ii. Appréciation
55. Selon l'article 117 du code de procédure civile, le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant d'une personne morale constitue une irrégularité de fond affectant la validité de l'acte.
56. Aux termes de l'article 119 du même code, les exceptions de nullité fondées sur l'inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure doivent être accueillies sans que celui qui les invoque ait à justifier d'un grief et alors même que la nullité ne résulterait d'aucune disposition expresse.
57. Toutefois, en vertu de l'article 121, la nullité ne sera pas prononcée, dans le cas où elle est susceptible d'être couverte, si sa cause a disparu au moment où le juge statue.
58. En l'absence de régime spécifique gouvernant la représentation en justice des associations, les dispositions du droit commun de la représentation s'appliquent, en particulier l'article 1153 du code civil en vertu duquel le représentant conventionnel n'est fondé à agir que dans les limites des pouvoirs qui lui ont été conférés. La loi ne définissant aucune représentation légale de la forme associative, seuls les statuts de l'association permettent d'en déterminer le représentant légal et de fixer les conditions d'exercice de l'action en justice, ce pouvoir revenant, dans le silence des statuts, à l'assemblée générale.
59. En l'espèce, l'assignation à l'origine de l'action a été délivrée à la demande de l'ILEC « prise en la personne de ses représentants légaux ».
60. Les statuts de cette association ne précisent pas la personne ou l'organe fondé à la représenter pour exercer l'action en justice. Leur article 5.3 confient néanmoins à son conseil d'administration le pouvoir d'autoriser " toute action devant toute juridiction ou instance à caractère quasi-juridictionnel ou administratif " (pièce Amazon n° 2).
61. Dans le cadre ainsi défini, en réponse à la demande qui lui était faite par Amazon d'avoir à justifier d'une autorisation concernant l'exercice de son action, l'ILEC a produit devant les premiers juges un procès-verbal de son conseil d'administration du 16 janvier 2020 actant la décision prise par celui-ci « d'engager une action contre Amazon au nom de l'ILEC sur les pratiques visées par [le courrier qui lui avait été adressé] » (pièce Amazon n° 4). Elle a ensuite communiqué un second procès-verbal, daté du 25 mars 2021, faisant état du vote par son conseil d'administration d'une délibération, « à l'unanimité des administrateurs présents ou représentés », aux termes de laquelle « Le conseil, ayant confirmé sa décision d'engager une action contre Amazon EU SARL conformément aux Statuts de l'ILEC, confirme que son Directeur Général dispose de tous les pouvoirs pour exécuter cette action, agir en justice contre Amazon EU SARL et représenter l'association dans le cadre de cette action, la présente valant en tant que de besoin régularisation des assignations délivrées à Amazon EU SARL » (pièce Amazon n° 5).
62. La plupart des mentions de ces pièces étant occultées, l'ILEC communiquait, sur sommation d'Amazon, de nouvelles versions faisant apparaître l'en-tête de ces documents, comportant la liste des présents et représentés dont l'identité demeurait toutefois caviardée (pièces Amazon n° 7 et 8).
63. Ces actes établissent l'existence d'une habilitation par le conseil d'administration de l'ILEC fondant le pouvoir de son directeur général pour agir en son nom, conformément à l'article 5.3 précité des statuts.
64. L'occultation de l'identité des personnes ayant participé au vote de ces délibérations n'apparaît pas de nature à remettre en cause leur validité dès lors que la qualité d'administrateur des présents et représentés est clairement énoncée, sans qu'aucun élément ne permette de conclure à l'irrégularité de la procédure, alors même que les votes sont intervenus « à l'unanimité ».
65. S'il est par ailleurs acquis que les données ainsi occultées ne sont pas des secrets d'affaires protégeables au sens de l'article L. 151-1 du code de commerce, faute de constituer des informations revêtant une valeur commerciale effective ou potentielle du fait de leur caractère secret, leur caviardage ne peut être considéré comme portant une atteinte disproportionnée au droit à la preuve, dès lors que la qualité d'administrateur de ces personnes reste visible, ainsi que le nombre de votants, permettant dès lors le contrôle la régularité de la délibération.
66. Il y lieu, dans ces conditions, de confirmer les jugements querellés en ce qu'ils sont rejetés la demande de communication des pièces et débouté Amazon de son exception de nullité.
D. Sur la recevabilité de l'action
i. Demandes et moyens soumis à la cour
67. Amazon conclut à l'irrecevabilité de l'action engagée par l'ILEC pour défaut d'intérêt à agir.
68. Elle fait valoir que l'ILEC ne remplit pas les conditions de l'article L. 490-10 du code de commerce, qu'il invoque au soutien de son action, en ce que :
- l'ILEC ne démontre pas représenter un secteur ou une profession, au sens de ce texte, sa représentativité étant limitée à une infime partie de l'ensemble des fabricants du produits de grande consommation qu'il prétend représenter ;
- il ne représente pas davantage un intérêt collectif, son action visant plutôt la défense de l'intérêt individuels de certains de ses membres ;
- il ne peut valablement prétendre agir dans l'intérêt général qu'il n'a pas pour fonction de défendre.
69. Elle ajoute que l'ILEC ne remplit pas les conditions de droit commun liées à la recevabilité de l'action au sens de l'article 31 du code de procédure civile.
ii. Appréciation
70. Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
71. En vertu du I de l'article L. 442-4 du code de commerce, toute personne justifiant d'un intérêt peut demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées aux articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L. 442-8 ainsi que la réparation du préjudice subi.
72. Selon l'article L. 490-10 du code de commerce, les organisations professionnelles peuvent introduire l'action devant la juridiction civile ou commerciale pour les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession ou du secteur qu'elles représentent, ou à la loyauté de concurrence.
73. Il est en l'espèce acquis que l'ILEC, dont l'action vise à voir sanctionner des pratiques sur le fondements des articles L. 442-1 et suivants du code de commerce, a notamment pour objet statutaire « de représenter et de défendre l'intérêt collectif du secteur de la fabrication des biens de consommation ou l'intérêt collectif de ses adhérents, professionnels de ce secteur ».
74. Le fait que tous ses membres ne soient pas signataires des contrats proposés par Amazon ne peut à cet égard être considéré comme dirimant, l'action à l'origine de la présente instance n'étant pas une action en représentation conjointe ou en substitution, mais une action autonome, visant à la défense d'un intérêt collectif.
75. Une telle action ne peut toutefois être déclarée recevable que dans la mesure où elle répond aux exigences de l'habilitation légale, formulée à l'article L. 490-10 précité, tenant notamment à la représentativité d'une profession ou d'un secteur, la seule mention de l'objet statutaire de l'ILEC, qui n'est pas une association agréée par les pouvoirs publics pour la défense de droits, étant en elle-même insuffisante.
76. Or, les conditions d'une telle représentativité n'apparaissent, en l'état, pas démontrées, la cour relevant que :
- l'ILEC précise dans son assignation représenter les entreprises qui « fabriquent et commercialisent des produits de grande consommation (PGC) » ;
- cette activité ne peut, en elle-même, compte tenu de son objet, être regardée comme constitutive d'une « profession » et se rattache à la notion de secteur d'activité, ainsi qu'il résulte des termes même des statuts de l'ILEC ;
- le secteur ainsi visé est particulièrement vaste, pour coiffer l'ensemble des activités de fabrication et de commercialisation des produits de grandes consommation, lequel comprend de nombreux acteurs de taille et profils diversifiés, parmi lesquels de nombreuses TPE et PME, évaluées à plus de 10 000 (pièce Amazon n° 18) ;
- l'ILEC représente moins d'une centaine de fournisseurs (pièce Amazon n° 32), soit un infime pourcentage des acteurs du secteur considéré ;
- il n'est nullement établi que les intérêts de ses adhérents seraient communs à ceux de l'ensemble des acteurs de ce secteur, l'appelante établissant sur ce point l'hétérogénéité, voire la divergence des intérêts en jeu, notamment entre grands groupes et petits fournisseurs (pièces Amazon n° 20, 24, 25, 35, 36 et 37) ;
- le fait que l'ILEC soit régulièrement consulté par les pouvoirs publics ne peut à cet égard être regardé comme constitutif de la représentativité du secteur des produits de grande consommation, au sens de l'article L. 490-10 du code de commerce ;
- il en va de même du siège attribué à l'ILEC au sein de la Commission d'examen des pratiques commerciales, d'autres organisations siégeant à ses côtés, qui représentent d'autres acteurs du secteur en cause (pièce Amazon n° 22).
77. Il ne peut, au vu de ces éléments, être considéré que la preuve de l'intérêt à agir de l'ILEC est rapportée, faute de démonstration de sa représentativité au sens de l'article L. 490-10 du code de commerce.
78. L'action engagée par cette organisation doit dès lors être déclarée irrecevable, le jugement du 10 mai 2022 étant infirmé sur ce point.
79. Cette infirmation emporte celle des autres chefs de dispositif dévolus à la cour, à l'exception de ceux précédemment confirmés.
IV/ DISPOSITIF
Par ces motifs, la cour :
1) Dit n'y avoir lieu à écarter des débats la « Note au parquet général de la Cour d'appel de Paris de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en date du 28 août 2024 » produite par le ministère public et les conclusions de cet avis reprises par le ministère public au soutien de son avis du 25 septembre 2024 ;
2) Dit n'y avoir lieu à saisir la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles ;
3) Confirme les jugements attaqués en ce qu'ils ont respectivement :
- débouté Amazon EU SARL de sa demande de communication d'une version intégrale de pièces ;
- débouté Amazon EU SARL de son exception de nullité de l'assignation ;
- débouté Amazon EU SARL de son exception d'incompétence et dit compétent le tribunal de commerce de Paris pour connaître du litige ;
4) Les infirme pour le surplus ;
Et, statuant à nouveau :
5) Déclare irrecevable pour défaut d'intérêt à agir l'Institut de liaison des entreprises de consommation (ILEC) ;
6) Condamne l'Institut de liaison des entreprises de consommation (ILEC) aux dépens ;
7) En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne l'Institut de liaison des entreprises de consommation (ILEC) à payer à Amazon EU SARL la somme de cinquante mille euros (50 000 €).