CA Poitiers, 2e ch., 25 mars 2025, n° 24/00806
POITIERS
Arrêt
Autre
ARRET N°125
N° RG 24/00806 - N° Portalis DBV5-V-B7I-HAKJ
L.M / V.D
S.E.L.A.R.L. [J]
C/
Société EURO-LEASING GMBH
Loi n° 77-1468 du30/12/1977
Copie revêtue de la formule exécutoire
Le à
Le à
Le à
Copie gratuite délivrée
Le à
Le à
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
2ème Chambre Civile
ARRÊT DU 25 MARS 2025
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/00806 - N° Portalis DBV5-V-B7I-HAKJ
Décision déférée à la Cour : jugement du 20 février 2024 rendu(e) par le Tribunal de Commerce de NIORT.
APPELANTE :
S.E.L.A.R.L. [J] prise en la personne de Maître [L] [J] et en sa qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la société TRANS-EUROPE 17
[Adresse 1]
[Localité 2]
ayant pour avocat plaidant Me Bruno MAZAUDON de la SELARL JURICA, avocat au barreau de POITIERS
INTIMEE :
Société EURO-LEASING GMBH EURO-LEASING GMBH, Société de droit étranger, immatriculée au RCS d'EVRY sous le n° 832 607 303, dont le siège social est [Adresse 4] (Allemagne), ayant une succursale en France,
[Adresse 5]
[Localité 3],
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité
audit siège
aynt pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LX POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS
ayant pour avocat plaidant Me Frédéric DEREUX de la SELAS Charles Russell Speechlys, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 10 Février 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Claude PASCOT, Président
Madame Lydie MARQUER, Présidente
Monsieur Cédric LECLER, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par Madame Lydie MARQUER, Présidente et par Madame Véronique DEDIEU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Euro-Leasing GMBH est une société de droit allemand, dont le siège social est sis [Adresse 4]. Elle a une succursale en France située au sis [Adresse 5] dont l'activité est le financement de véhicules industriels, en ce compris des camions.
La société Trans-Europe 17 est une société qui intervient dans le secteur des transports routiers et fait plus particulièrement le fret de proximité.
Le 26 juillet 2021, ces deux sociétés sont entrées en relation dans le cadre de deux contrats de location portant sur 18 véhicules utilitaires.
Par jugement en date du 10 mai 2022, le tribunal de commerce de Niort a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Trans-Europe 17 et a désigné Maître [C] [K] en qualité d'administrateur et la selarl [J], prise en la personne de Maître [L] [J], en qualité de mandataire judiciaire.
Par jugement en date du 11 octobre 2022, la procédure a par la suite été convertie en liquidation judiciaire et Maître [J] a été désigné en qualité de liquidateur.
Le 24 octobre 2022, la société Euro-Leasing GMBH a rappelé au liquidateur son droit de propriété en lui faisant une demande de revendication et de restitution des 18 véhicules mais Maître [J] es qualités s'y est opposé.
La société Trans-Europe 17 étant toujours défaillante dans le paiement des loyers, par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 novembre 2022, la société Euro-Leasing GMBH a déclaré sa créance au titre de la période d'observation pour un montant total de 80.471,30 euros comprenant les indemnités de retard.
Par requête en date du 4 novembre 2022, la société Euro-Leasing GMBH a saisi le juge commissaire pour voir constater son droit de propriété sur les 18 véhicules loués à la société Trans-Europe 17 au titre de contrats de location.
Par ordonnance en date du 7 février 2023, le juge commissaire a rejeté toutes les demandes de la société Euro-Leasing GMBH.
Par courrier en date du 4 mai 2023, le greffe du tribunal de commerce de Niort a avisé le conseil de la société Euro-Leasing GMBH de l'admission de la créance à hauteur de 80.471,30 euros par le juge commissaire, au titre des factures impayées comprenant notamment des loyers échus et impayés pendant la période d'observation.
Le 13 février 2023, la société Euro-Leasing GMBH a attrait la société [J] prise en la personne de Maître [J] devant le tribunal de commerce de Niort aux fins, à titre principal, d'annuler l'ordonnance du 7 février 2023 pour défaut de motivation, de juger que les contrats de location de véhicules conclus entre la société Euro-Leasing GMBH et la société Trans-Europe 17 en date du 26 juillet 2021 sont résiliés de plein droit, et en conséquence d'ordonner la restitution des véhicules objets des deux contrats de location.
Par jugement en date du 20 février 2024, le tribunal de commerce de Niort a statué ainsi :
- ordonne l'annulation de l'ordonnance du 7 février 2023 ;
- juge que l'administrateur judiciaire a effectué une demande de poursuite tacite des contrats de
location de véhicules conclus entre la société Euro-Leasing GMBH et la société Trans-Europe 17 et que le non-paiement des échéances vaut résiliation de plein droit de ceux-ci ;
- ordonne la restitution des véhicules objet des deux contrats du 26 juillet 2021;
- condamne la société [J], en sa qualité de mandataire liquidateur à la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne la société [J], ès qualités , aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés pour 123,46 euros ;
- déboute les parties de toute autre demande.
Par déclaration en date du 28 mars 2024, la société [J] prise en la qualité de Maître [J] a relevé appel de cette décision en visant les chefs expressément critiqués en intimant la société Euro-Leasing GMBH.
Par ordonnance en date du 19 septembre 2024, le magistrat délégué par la première présidente a arrêté l'exécution provisoire attachée au jugement.
La société [J], par dernières conclusions transmises le 13 janvier 2025, demande à la cour d'appel, par réformation de la décision entreprise, de :
- confirmer l'ordonnance du juge commissaire du 7 février 2023 en toutes ses dispositions ;
En tout état de cause :
- dire de la société Euro-Leasing GMBH irrecevable ou à tout le moins mal fondée en toutes ses demandes, notamment celle tendant à voir ordonner la restitution des véhicules, objet des deux contrats du 26 juillet 2021, et à voir condamner la société [J], ès qualités, au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, et l'en débouter;
- condamner la société Euro-Leasing GMBH à payer à la société [J], ès qualités, la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La société Euro-Leasing GMBH, par dernières conclusions transmises le 25 septembre 2024, demande à la cour de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
En tout état de cause :
- débouter la société [J], ès qualités, de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la société [J], ès qualités, à leur payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 janvier 2025.
MOTIVATION
Sur l'annulation de l'ordonnance du juge commissaire
La société Euro-Leasing GMBH soutient qu'il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a annulé l'ordonnance du juge commissaire.
Elle prétend que cette décision n'est pas suffisamment motivée car le juge limite sa motivation aux seules dispositions de l'article L 624-9 du code de commerce alors que la demande principale d'Euro-Leasing était la restitution des véhicules au motif de la résiliation de plein droit des contrats de location et qu'il existe une véritable divergence d'interprétation du droit entre les parties; la société Euro-Leasing ajoute que le juge a rejeté la demande de communication de l'inventaire réalisé par un commissaire-priseur sans le motiver.
Selon la selarl [J] ès qualités de liquidateur, la motivation de l'ordonnance consistant à dire : 'la revendication est un préalable obligatoire en l'absence de contrat publié et est exclusive de la poursuite ou non d'un contrat en cours' était suffisante, le juge n'étant pas tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.
Réponse de la cour d'appel :
Aux termes de l'article 455 du code de procédure civile, le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties avec l'indication de leur date. Le jugement doit être motivé. Il énonce la décision sous forme de dispositif.
En l'espèce, l'ordonnance du juge commissaire déférée a repris les moyens développés par les deux parties au litige, y compris le moyen de la société Euro-Leasing consistant à affirmer sa propriété sur les véhicules et rappeler que les deux contrats de location ont été poursuivis pendant la période d'observation mais n'ont pas fait l'objet de règlements de la part de Trans Europe 17 et qu'à défaut de paiement Euro-Leasing entendait se prévaloir de leur résolution de plein droit conformément à l'article 20.1 des dits contrats et obtenir la restitution des véhicules, de même qu'il a repris le moyen subsidiaire de cette société, y compris dans sa référence jurisprudentielle à l'arrêt de la cour d'appel de Lyon.
Dans le dispositif de la décision, il a été expressément jugé 'Ne faisons pas droit à la demande de revendication de la société Euro-Leasing GMBH' et 'Rejetons toutes autres demandes de la société Euro-Leasing'.
La motivation de la décision, qui se fonde sur les règles relatives à la publicité des contrats et aux délais pour agir en revendication auprès du mandataire et aboutit à une décision d'irrecevabilité de la demande de revendication de la société Euro-Leasing, ôtait toute pertinence aux arguments et moyens de la partie adverse, la phrase 'la revendication est un préalable obligatoire en l'absence de contrat publié et est exclusive de la poursuite ou non d'un contrat en cours' apparaissant suffisante à écarter ces moyens inopérants.
L'ordonnance du juge commissaire dont la motivation en droit et en fait est claire et précise ne peut donc être annulée au motif qu'elle n'aurait pas respecté les dispositions de l'article 455 précité du code de procédure civile.
Il y a donc lieu à infirmation du jugement déféré du tribunal de commerce en ce qu'il a annulé l'ordonnance du juge commissaire pour motivation insuffisante.
Sur l'action en revendication de la société Euro-Leasing
La société euro-Leasing GMBH soutient que les contrats de location ont été résiliés de plein droit pour impayés, de sorte que les véhicules objets de ces contrats doivent lui être restitués, nonobstant la procédure de liquidation judiciaire et l'irrecevabilité de l'action en revendication.
À titre subsidiaire, si la cour d'appel considérait que les contrats n'ont pas été résiliés de plein droit, il lui appartiendrait selon elle de constater que la propriété d'Euro-Leasing a fait l'objet d'une publication au sens de l'article L 642-10 du code de commerce, si bien qu'une action en revendication n'était pas nécessaire. Elle fait référence à un arrêt de la cour d'appel de Lyon qui a jugé que la propriété de l'aéronef, par l'immatriculation de celui-ci, est opposable à tous et donc nécessairement aussi à la procédure collective, le propriétaire n'étant pas alors soumis à la procédure de revendication prévue à l'article L 624-9 du code de commerce et elle estime que l'on peut raisonner par analogie concernant les véhicules terrestres à moteur.
La selarl [J] ès qualités fait valoir qu'il est constant que les contrats de location conclus entre la société Euro-Leasing GMBH et la société Trans-Europe n'ont pas fait l'objet d'une publicité avant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de Trans-Europe 17 et que dès lors, la société Euro-Leasing ne pouvait revendiquer la propriété des véhicules donnés en location que dans le délai de trois mois prévu par l'article L 624-9 du code de commerce. Or, elle l'a fait tardivement, sa demande de revendication étant donc irrecevable comme étant tardive et le droit de propriété sur les véhicules objets des contrats de location inopposable à la liquidation judiciaire. Elle ajoute que le seul moyen d'Euro-Leasing de distraire les biens de la procédure collective du débiteur et d'éviter sa revente étant l'action en revendication, elle ne peut plus y prétendre et ce, nonobstant le fait d'avoir informé par l'administrateur au cours de la période d'observation de l'existence de ces contrats et peu important que les contrats de location aient été poursuivis ou non au cours de la période d'observation ou encore que la résiliation des contrats soient encourus pour défaut de paiement.
Il précise que contrairement à ce qui est soutenu par la partie adverse, l'immatriculation des véhicules ne rend pas opposable la propriété des véhicules terrestres à moteur à la procédure collective, aucune réglementation semblable à celle existant aux aéronefs dont l'immatriculation rend la propriété de l'engin opposable à tous, y compris à la procédure collective, n'existant.
Réponse de la cour d'appel :
Sauf si son droit de propriété est rendu opposable aux tiers par le jeu d'une publicité, le propriétaire d'un bien meuble doit, pour faire valoir son droit, agir en revendication dans les trois mois de la publicité du jugement d'ouverture de la procédure collective (article L 624-9 et L 624-10 du code de commerce).
Pour bénéficier des dispositions de l'article L. 624-10, les contrats qui y sont mentionnés doivent avoir été publiés avant le jugement d'ouverture selon les modalités qui leur sont applicables.
En l'espèce, la société Euro-Leasing n'a fait procéder à la publicité des contrats de location que deux mois après l'ouverture de la procédure collective, de sorte qu'elle ne peut être dispensée de l'action en revendication de ses véhicules utilitaires selon les modalités prévues aux articles L 624-9 et suivants du code de commerce.
Or, il est incontestable et d'ailleurs non contesté que la société Euro-Leasing n'a pas fait sa demande en revendication auprès du mandataire dans les trois mois de la publication du jugement d'ouverture de la procédure collective.
En effet, ce jugement était en date du 10 mai 2022, de sorte que le délai pour revendiquer les biens meubles expirait au mois d'août 2022, la revendication n'ayant été faite que le 22 octobre 2022.
L'action en revendication de la société Euro-Leasing GMBH est donc irrecevable comme étant tardive.
Il est indifférent que l'administrateur judiciaire ait été informé du droit de propriété de la société sur les véhicules, qu'il ait implicitement accepté que les contrats de location se poursuivent et que la défaillance dans le paiement des loyers entraîne en application des contrats, une résiliation de ceux-ci, les biens de la société Euro-Leasing restant donc dans l'actif de la liquidation judiciaire dès lors que la propriété du loueur est inopposable à la procédure collective pour ne pas avoir été revendiquée dans les délais.
Quant à la jurisprudence invoquée par la société Euro-Leasing relative aux aéronefs, elle ne peut s'appliquer aux véhicules utilitaires objets des contrats de location dont s'agit car en matière de véhicules terrestres à moteur, l'immatriculation n'est pas un titre de propriété mais un document administratif à finalité de police, sans valeur probante erga omnes quant à la propriété du véhicule.
C'est donc à tort que le tribunal de commerce, dans le jugement déféré du 20 février 2024 statuant sur le recours d'Euro-Leasing contre l'ordonnance du juge commissaire du 7 février 2023, a jugé que les contrats de location tacitement poursuivis par l'administrateur étaient résiliés de plein droit et ordonné en conséquence la restitution des véhicules objets des contrats.
Il convient donc par réformation du jugement entrepris de confirmer l'ordonnance du juge commissaire en toutes ses dispositions.
Sur les demandes sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Au vu du résultat de l'instance, la décision du premier juge qui avait condamné la selarl [J] en qualité de mandataire judiciaire de Trans Europe 17 à verser la somme de 2000 euros ainsi qu'aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés pour 123,46 euros ttc sera infirmée.
Partie perdante dans la présente instance au sens des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la société Euro-Leasing GMBH sera déboutée de sa demande au titre de ses frais irrépétibles et condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Elle devra en outre verser à la selarl [J], prise en la personne de Maître [L] [J], ès qualités, la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour d'appel, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau et y ajoutant,
Confirme l'ordonnance du juge commissaire du 7 février 2023 en toutes ses dispositions ;
Déboute la société Euro-Leasing GMBH de toutes ses demandes ;
Condamne la société Euro-Leasing GMBH à verser à la société d'exercice libéral à responsabilité limitée [J], prise en la personne de Maître [L] [J], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Trans Europe 17, la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Euro-Leasing GMBH aux entiers dépens de première instance (dont frais de greffe liquidés pour 123,46 euros ttc) et d'appel.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,
N° RG 24/00806 - N° Portalis DBV5-V-B7I-HAKJ
L.M / V.D
S.E.L.A.R.L. [J]
C/
Société EURO-LEASING GMBH
Loi n° 77-1468 du30/12/1977
Copie revêtue de la formule exécutoire
Le à
Le à
Le à
Copie gratuite délivrée
Le à
Le à
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
2ème Chambre Civile
ARRÊT DU 25 MARS 2025
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/00806 - N° Portalis DBV5-V-B7I-HAKJ
Décision déférée à la Cour : jugement du 20 février 2024 rendu(e) par le Tribunal de Commerce de NIORT.
APPELANTE :
S.E.L.A.R.L. [J] prise en la personne de Maître [L] [J] et en sa qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la société TRANS-EUROPE 17
[Adresse 1]
[Localité 2]
ayant pour avocat plaidant Me Bruno MAZAUDON de la SELARL JURICA, avocat au barreau de POITIERS
INTIMEE :
Société EURO-LEASING GMBH EURO-LEASING GMBH, Société de droit étranger, immatriculée au RCS d'EVRY sous le n° 832 607 303, dont le siège social est [Adresse 4] (Allemagne), ayant une succursale en France,
[Adresse 5]
[Localité 3],
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité
audit siège
aynt pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LX POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS
ayant pour avocat plaidant Me Frédéric DEREUX de la SELAS Charles Russell Speechlys, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 10 Février 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Claude PASCOT, Président
Madame Lydie MARQUER, Présidente
Monsieur Cédric LECLER, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par Madame Lydie MARQUER, Présidente et par Madame Véronique DEDIEU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DU LITIGE
La société Euro-Leasing GMBH est une société de droit allemand, dont le siège social est sis [Adresse 4]. Elle a une succursale en France située au sis [Adresse 5] dont l'activité est le financement de véhicules industriels, en ce compris des camions.
La société Trans-Europe 17 est une société qui intervient dans le secteur des transports routiers et fait plus particulièrement le fret de proximité.
Le 26 juillet 2021, ces deux sociétés sont entrées en relation dans le cadre de deux contrats de location portant sur 18 véhicules utilitaires.
Par jugement en date du 10 mai 2022, le tribunal de commerce de Niort a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Trans-Europe 17 et a désigné Maître [C] [K] en qualité d'administrateur et la selarl [J], prise en la personne de Maître [L] [J], en qualité de mandataire judiciaire.
Par jugement en date du 11 octobre 2022, la procédure a par la suite été convertie en liquidation judiciaire et Maître [J] a été désigné en qualité de liquidateur.
Le 24 octobre 2022, la société Euro-Leasing GMBH a rappelé au liquidateur son droit de propriété en lui faisant une demande de revendication et de restitution des 18 véhicules mais Maître [J] es qualités s'y est opposé.
La société Trans-Europe 17 étant toujours défaillante dans le paiement des loyers, par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 novembre 2022, la société Euro-Leasing GMBH a déclaré sa créance au titre de la période d'observation pour un montant total de 80.471,30 euros comprenant les indemnités de retard.
Par requête en date du 4 novembre 2022, la société Euro-Leasing GMBH a saisi le juge commissaire pour voir constater son droit de propriété sur les 18 véhicules loués à la société Trans-Europe 17 au titre de contrats de location.
Par ordonnance en date du 7 février 2023, le juge commissaire a rejeté toutes les demandes de la société Euro-Leasing GMBH.
Par courrier en date du 4 mai 2023, le greffe du tribunal de commerce de Niort a avisé le conseil de la société Euro-Leasing GMBH de l'admission de la créance à hauteur de 80.471,30 euros par le juge commissaire, au titre des factures impayées comprenant notamment des loyers échus et impayés pendant la période d'observation.
Le 13 février 2023, la société Euro-Leasing GMBH a attrait la société [J] prise en la personne de Maître [J] devant le tribunal de commerce de Niort aux fins, à titre principal, d'annuler l'ordonnance du 7 février 2023 pour défaut de motivation, de juger que les contrats de location de véhicules conclus entre la société Euro-Leasing GMBH et la société Trans-Europe 17 en date du 26 juillet 2021 sont résiliés de plein droit, et en conséquence d'ordonner la restitution des véhicules objets des deux contrats de location.
Par jugement en date du 20 février 2024, le tribunal de commerce de Niort a statué ainsi :
- ordonne l'annulation de l'ordonnance du 7 février 2023 ;
- juge que l'administrateur judiciaire a effectué une demande de poursuite tacite des contrats de
location de véhicules conclus entre la société Euro-Leasing GMBH et la société Trans-Europe 17 et que le non-paiement des échéances vaut résiliation de plein droit de ceux-ci ;
- ordonne la restitution des véhicules objet des deux contrats du 26 juillet 2021;
- condamne la société [J], en sa qualité de mandataire liquidateur à la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne la société [J], ès qualités , aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés pour 123,46 euros ;
- déboute les parties de toute autre demande.
Par déclaration en date du 28 mars 2024, la société [J] prise en la qualité de Maître [J] a relevé appel de cette décision en visant les chefs expressément critiqués en intimant la société Euro-Leasing GMBH.
Par ordonnance en date du 19 septembre 2024, le magistrat délégué par la première présidente a arrêté l'exécution provisoire attachée au jugement.
La société [J], par dernières conclusions transmises le 13 janvier 2025, demande à la cour d'appel, par réformation de la décision entreprise, de :
- confirmer l'ordonnance du juge commissaire du 7 février 2023 en toutes ses dispositions ;
En tout état de cause :
- dire de la société Euro-Leasing GMBH irrecevable ou à tout le moins mal fondée en toutes ses demandes, notamment celle tendant à voir ordonner la restitution des véhicules, objet des deux contrats du 26 juillet 2021, et à voir condamner la société [J], ès qualités, au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, et l'en débouter;
- condamner la société Euro-Leasing GMBH à payer à la société [J], ès qualités, la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La société Euro-Leasing GMBH, par dernières conclusions transmises le 25 septembre 2024, demande à la cour de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
En tout état de cause :
- débouter la société [J], ès qualités, de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la société [J], ès qualités, à leur payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 janvier 2025.
MOTIVATION
Sur l'annulation de l'ordonnance du juge commissaire
La société Euro-Leasing GMBH soutient qu'il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a annulé l'ordonnance du juge commissaire.
Elle prétend que cette décision n'est pas suffisamment motivée car le juge limite sa motivation aux seules dispositions de l'article L 624-9 du code de commerce alors que la demande principale d'Euro-Leasing était la restitution des véhicules au motif de la résiliation de plein droit des contrats de location et qu'il existe une véritable divergence d'interprétation du droit entre les parties; la société Euro-Leasing ajoute que le juge a rejeté la demande de communication de l'inventaire réalisé par un commissaire-priseur sans le motiver.
Selon la selarl [J] ès qualités de liquidateur, la motivation de l'ordonnance consistant à dire : 'la revendication est un préalable obligatoire en l'absence de contrat publié et est exclusive de la poursuite ou non d'un contrat en cours' était suffisante, le juge n'étant pas tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.
Réponse de la cour d'appel :
Aux termes de l'article 455 du code de procédure civile, le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties avec l'indication de leur date. Le jugement doit être motivé. Il énonce la décision sous forme de dispositif.
En l'espèce, l'ordonnance du juge commissaire déférée a repris les moyens développés par les deux parties au litige, y compris le moyen de la société Euro-Leasing consistant à affirmer sa propriété sur les véhicules et rappeler que les deux contrats de location ont été poursuivis pendant la période d'observation mais n'ont pas fait l'objet de règlements de la part de Trans Europe 17 et qu'à défaut de paiement Euro-Leasing entendait se prévaloir de leur résolution de plein droit conformément à l'article 20.1 des dits contrats et obtenir la restitution des véhicules, de même qu'il a repris le moyen subsidiaire de cette société, y compris dans sa référence jurisprudentielle à l'arrêt de la cour d'appel de Lyon.
Dans le dispositif de la décision, il a été expressément jugé 'Ne faisons pas droit à la demande de revendication de la société Euro-Leasing GMBH' et 'Rejetons toutes autres demandes de la société Euro-Leasing'.
La motivation de la décision, qui se fonde sur les règles relatives à la publicité des contrats et aux délais pour agir en revendication auprès du mandataire et aboutit à une décision d'irrecevabilité de la demande de revendication de la société Euro-Leasing, ôtait toute pertinence aux arguments et moyens de la partie adverse, la phrase 'la revendication est un préalable obligatoire en l'absence de contrat publié et est exclusive de la poursuite ou non d'un contrat en cours' apparaissant suffisante à écarter ces moyens inopérants.
L'ordonnance du juge commissaire dont la motivation en droit et en fait est claire et précise ne peut donc être annulée au motif qu'elle n'aurait pas respecté les dispositions de l'article 455 précité du code de procédure civile.
Il y a donc lieu à infirmation du jugement déféré du tribunal de commerce en ce qu'il a annulé l'ordonnance du juge commissaire pour motivation insuffisante.
Sur l'action en revendication de la société Euro-Leasing
La société euro-Leasing GMBH soutient que les contrats de location ont été résiliés de plein droit pour impayés, de sorte que les véhicules objets de ces contrats doivent lui être restitués, nonobstant la procédure de liquidation judiciaire et l'irrecevabilité de l'action en revendication.
À titre subsidiaire, si la cour d'appel considérait que les contrats n'ont pas été résiliés de plein droit, il lui appartiendrait selon elle de constater que la propriété d'Euro-Leasing a fait l'objet d'une publication au sens de l'article L 642-10 du code de commerce, si bien qu'une action en revendication n'était pas nécessaire. Elle fait référence à un arrêt de la cour d'appel de Lyon qui a jugé que la propriété de l'aéronef, par l'immatriculation de celui-ci, est opposable à tous et donc nécessairement aussi à la procédure collective, le propriétaire n'étant pas alors soumis à la procédure de revendication prévue à l'article L 624-9 du code de commerce et elle estime que l'on peut raisonner par analogie concernant les véhicules terrestres à moteur.
La selarl [J] ès qualités fait valoir qu'il est constant que les contrats de location conclus entre la société Euro-Leasing GMBH et la société Trans-Europe n'ont pas fait l'objet d'une publicité avant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de Trans-Europe 17 et que dès lors, la société Euro-Leasing ne pouvait revendiquer la propriété des véhicules donnés en location que dans le délai de trois mois prévu par l'article L 624-9 du code de commerce. Or, elle l'a fait tardivement, sa demande de revendication étant donc irrecevable comme étant tardive et le droit de propriété sur les véhicules objets des contrats de location inopposable à la liquidation judiciaire. Elle ajoute que le seul moyen d'Euro-Leasing de distraire les biens de la procédure collective du débiteur et d'éviter sa revente étant l'action en revendication, elle ne peut plus y prétendre et ce, nonobstant le fait d'avoir informé par l'administrateur au cours de la période d'observation de l'existence de ces contrats et peu important que les contrats de location aient été poursuivis ou non au cours de la période d'observation ou encore que la résiliation des contrats soient encourus pour défaut de paiement.
Il précise que contrairement à ce qui est soutenu par la partie adverse, l'immatriculation des véhicules ne rend pas opposable la propriété des véhicules terrestres à moteur à la procédure collective, aucune réglementation semblable à celle existant aux aéronefs dont l'immatriculation rend la propriété de l'engin opposable à tous, y compris à la procédure collective, n'existant.
Réponse de la cour d'appel :
Sauf si son droit de propriété est rendu opposable aux tiers par le jeu d'une publicité, le propriétaire d'un bien meuble doit, pour faire valoir son droit, agir en revendication dans les trois mois de la publicité du jugement d'ouverture de la procédure collective (article L 624-9 et L 624-10 du code de commerce).
Pour bénéficier des dispositions de l'article L. 624-10, les contrats qui y sont mentionnés doivent avoir été publiés avant le jugement d'ouverture selon les modalités qui leur sont applicables.
En l'espèce, la société Euro-Leasing n'a fait procéder à la publicité des contrats de location que deux mois après l'ouverture de la procédure collective, de sorte qu'elle ne peut être dispensée de l'action en revendication de ses véhicules utilitaires selon les modalités prévues aux articles L 624-9 et suivants du code de commerce.
Or, il est incontestable et d'ailleurs non contesté que la société Euro-Leasing n'a pas fait sa demande en revendication auprès du mandataire dans les trois mois de la publication du jugement d'ouverture de la procédure collective.
En effet, ce jugement était en date du 10 mai 2022, de sorte que le délai pour revendiquer les biens meubles expirait au mois d'août 2022, la revendication n'ayant été faite que le 22 octobre 2022.
L'action en revendication de la société Euro-Leasing GMBH est donc irrecevable comme étant tardive.
Il est indifférent que l'administrateur judiciaire ait été informé du droit de propriété de la société sur les véhicules, qu'il ait implicitement accepté que les contrats de location se poursuivent et que la défaillance dans le paiement des loyers entraîne en application des contrats, une résiliation de ceux-ci, les biens de la société Euro-Leasing restant donc dans l'actif de la liquidation judiciaire dès lors que la propriété du loueur est inopposable à la procédure collective pour ne pas avoir été revendiquée dans les délais.
Quant à la jurisprudence invoquée par la société Euro-Leasing relative aux aéronefs, elle ne peut s'appliquer aux véhicules utilitaires objets des contrats de location dont s'agit car en matière de véhicules terrestres à moteur, l'immatriculation n'est pas un titre de propriété mais un document administratif à finalité de police, sans valeur probante erga omnes quant à la propriété du véhicule.
C'est donc à tort que le tribunal de commerce, dans le jugement déféré du 20 février 2024 statuant sur le recours d'Euro-Leasing contre l'ordonnance du juge commissaire du 7 février 2023, a jugé que les contrats de location tacitement poursuivis par l'administrateur étaient résiliés de plein droit et ordonné en conséquence la restitution des véhicules objets des contrats.
Il convient donc par réformation du jugement entrepris de confirmer l'ordonnance du juge commissaire en toutes ses dispositions.
Sur les demandes sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Au vu du résultat de l'instance, la décision du premier juge qui avait condamné la selarl [J] en qualité de mandataire judiciaire de Trans Europe 17 à verser la somme de 2000 euros ainsi qu'aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés pour 123,46 euros ttc sera infirmée.
Partie perdante dans la présente instance au sens des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la société Euro-Leasing GMBH sera déboutée de sa demande au titre de ses frais irrépétibles et condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Elle devra en outre verser à la selarl [J], prise en la personne de Maître [L] [J], ès qualités, la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour d'appel, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau et y ajoutant,
Confirme l'ordonnance du juge commissaire du 7 février 2023 en toutes ses dispositions ;
Déboute la société Euro-Leasing GMBH de toutes ses demandes ;
Condamne la société Euro-Leasing GMBH à verser à la société d'exercice libéral à responsabilité limitée [J], prise en la personne de Maître [L] [J], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Trans Europe 17, la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Euro-Leasing GMBH aux entiers dépens de première instance (dont frais de greffe liquidés pour 123,46 euros ttc) et d'appel.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,