CA Montpellier, 4e ch. civ., 20 mars 2025, n° 24/04310
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Gabi (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soubeyran
Conseillers :
M. Bruey, Mme Franco
Avocats :
Me Mingasson, Me Tari, Me Garrigue, Me Cherouati, SCP Les Avocats du Thélème, SELARL LX Montpellier
FAITS ET PROCÉDURE
1- Suite à une donation et succession, Madame [Z] [J], Monsieur [O] [J], Monsieur [B] [J], Monsieur [I] [J] et Madame [F] [J] sont devenus propriétaires indivis de locaux sis à [Localité 5]. Mme [F] [J] et M. [I] [J] viennent aux droits de Mme [G] [Y] épouse [J] décédée le 4 septembre 2018.
2- Le 15 novembre 2011, un contrat de bail dérogatoire d'une durée de 23 mois du 16 novembre 2011 au 15 octobre 2013 a été conclu entre les consorts [J] et Madame [D] [W], moyennant un loyer mensuel d'un montant de 2 070 €.
A l'issue de ce bail, Mme [W] a cessé toute activité et s'est fait radier du registre du commerce et des sociétés.
3- Le 9 octobre 2013, un contrat de bail dérogatoire d'une durée de 23 mois du 15 octobre 2013 au 14 septembre 2015 a été conclu entre les consorts [J] et la SASU Yoni, représentée par M.[S], compagnon de Mme [W], moyennant un loyer mensuel d'un montant de 2 300 €.
4- Le 2 septembre 2015, un contrat de bail dérogatoire d'une durée de 36 mois du 15 septembre 2015 au 14 septembre 2018 a été conclu entre les consorts [J] et la SASU Gabi, représentée par Mme [W], moyennant un loyer mensuel d'un montant de 2 500 €.
5- Malgré un congé délivré le 13 septembre 2018 par les consorts [J], la société Gabi s'est maintenue dans les lieux. Le 9 octobre 2018, une sommation de déguerpir a été délivrée à la société Gabi, puis, par acte d'huissier du 12 octobre 2018, les consorts [J] ont assigné ladite société devant le juge des référés aux fins notamment de voir ordonner son expulsion.
6- Par actes d'huissier de justice des 5 et 7 novembre 2018, Mme [W] et la société Gabi ont assigné Mme [Z] [J] épouse [T], M. [O] [J], M. [B] [J], M. [I] [J] et Mme [G] [J] devant le tribunal de grande instance de Marseille. Mme [F] [J] est intervenue volontairement à la procédure en qualité d'héritière de Mme [G] [J].
7- Mme [W] et la société Gabi ont attaqué en inscription de faux :
- le 3 mai 2019, à l'encontre du congé délivré le 13 septembre 2018,
- le 18 juin 2019, à l'encontre de la sommation de déguerpir du 9 octobre 2018.
8- Par jugement du 12 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Marseille a :
- Déclaré recevable l'intervention volontaire de [I] [J] et de [F] [J] es qualité d'héritiers de [G] [Y] épouse [J],
- Rejeté l'inscription de faux déposée le 3 mai 2019 par Mme [W] et par la société Gabi à l'encontre du congé délivré le 13 septembre 2018 et de l'assignation en référé en date du 12 octobre 2018,
- Rejeté l'inscription de faux déposée le 18 juin 2019 par Mme [W] et par la société Gabi à l'encontre de la sommation de déguerpir signifiée le 9 octobre 2018,
- Rejeté la demande de dommages et intérêts formée par [I] [J] et par [F] [J] à l'encontre de Mme [W] et par la société Gabi,
- S'est déclaré incompétent pour statuer sur la nullité de l'assignation en référé délivrée le 12 octobre 2018 à la société Gabi par l'hoirie [H] [J] et [M] [J] prise en la personne de [Z] [J], de [O] [J] et de [B] [J], ainsi que par [I] [J] et par [G] [J],
- Prononcé la nullité du congé délivré le 13 septembre 2018 à la société Gabi par l'hoirie [H] [J] et [M] [J] représentés par [B] [J], par [I] [J] et par [G] [J] représentés par [F] [J],
- Prononcé la nullité de la sommation de déguerpir délivrée le 9 octobre 2018 à la société Gabi par l'hoirie [H] [J] et [M] [J] représentés par [B] [J], par [I] [J] et par [G] [J] représentés par [F] [J],
- Rejeté la demande de la société Gabi tendant à la reconnaissance du bénéfice d'un bail commercial en application de l'article L. 145-5 du Code de Commerce,
- Déclaré l'action en requalification du bail du 15 novembre 2011 à effet du 16 novembre 2011 irrecevable en ce qu'elle est prescrite,
- Requalifié le bail du 9 octobre 2013 en bail commercial d'une durée de neuf années à effet du 15 octobre 2013 pour s'achever le 14 octobre 2022 aux mêmes termes et conditions et, notamment, un loyer annuel d'un montant de 27 600 €, bail bénéficiant à [D] [W] en qualité de preneur,
- Enjoint à [Z] [J], à [O] [J] et à [B] [J], es qualité d'ayants droit de [H] [J] et de [M] [J], à [I] [J] en son nom personnel et es qualité d'ayants droit de [G] [J], et à [F] [J] ès qualités d'ayants droit de [G] [J] (ci-après les consorts [J]) de communiquer à [D] [W] un contrat de bail commercial écrit signé par eux sous astreinte de 200 € par jour de retard passé un délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement,
- Déclaré sans objet la demande subsidiaire de dommages et intérêts formée par [D] [W] à hauteur de 300 000 €,
- Rejeté la demande d'expulsion de la société Gabi et de tous occupants de son chef formée par les consorts [J],
- Rejeté la demande d'indemnité d'occupation formée par les consorts [J],
- Condamné in solidum les consorts [J] à verser à [D] [W] la somme de 7 200 € au titre des loyers trop versés du 15 septembre 2015 au 14 septembre 2018 avec intérêts capitalisés calculés au taux légal à compter du 5 novembre 2018,
- Rejeté la demande de restitution d'une partie des loyers pour la période allant du 15 septembre 2018 au 12 septembre 2019 formée par Mme [W],
- Rejeté la demande formée par les consorts [J], au titre de la part de loyers non versés,
- Déclaré sans objet la demande formée par les consorts [J], au titre de la garantie de Mme [W] relativement à des condamnations au profit des sociétés Gabi et Yoni,
- Condamné in solidum les consorts [J] à verser à Mme [W] la somme de 20 000 € avec intérêts capitalisés calculés au taux légal à compter du 5 novembre 2018 au titre du préjudice subi du fait du recours irrégulier aux baux dérogatoires,
- Rejeté la demande de remise des clés du local situé au deuxième étage d'un immeuble situé [Adresse 1] formée par Mme [W],
- Rejeté la demande formée par Mme [W] au titre du préjudice subi du fait de la privation de jouissance du local situé au deuxième étage d'un immeuble situé [Adresse 1],
- Déclaré sans objet la demande d'expulsion de la société Gabi du local situé au deuxième étage d'un immeuble situé [Adresse 1] formée par les consorts [J],
- Condamné in solidum les consorts [J] à verser à Mme [W] et à la société Gabi ensemble la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Rejeté la demande formée par les consorts [J] sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- Rejeté toute autre demande,
- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,
- Condamné in solidum les consorts [J] aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
9- Les consorts [J] ont relevé appel de ce jugement le 21 décembre 2019 et par arrêt du 8 septembre 2022, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a :
- Confirmé le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les inscriptions de faux déposées par Mme [W] et la société Gabi à l'encontre du congé délivré le 13 septembre 2018, de la sommation de déguerpir signifiée le 9 octobre 2018 et de l'assignation en référé du 12 octobre 2018, en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action en requalification du bail du 5 novembre 2011 comme prescrite, et en ce qu'il a débouté Mme [W] et la société Gabi de leurs demandes relatives au logement situé au [Adresse 1],
- Infirmé ledit jugement pour le surplus
Statuant à nouveau,
- Déclaré prescrite la demande en requalification du bail précaire du 9 octobre 2013 en bail commercial,
- Dit que les relations des parties sont régies par le bail précaire du 2 septembre 2015,
- Rejeté la demande de nullité de Mme [W] et la société Gabi du congé délivré le 13 septembre 2018, de la sommation de déguerpir signifiée le 9 octobre 2018 et de l'assignation en référé du 12 octobre 2018,
- Dit que le bail du 2 septembre 2015 a pris fin le 14 septembre 2018,
- Dit que la société Gabi est occupante sans droit ni titre des locaux situés [Adresse 3], depuis le 15 septembre 2018,
- Ordonné l'expulsion de la société Gabi et de tout occupant de son chef, des lieux loués situés [Adresse 3], au besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier,
- Ordonné, si nécessaire, l'expulsion de Mme [W], la société Gabi et de tout occupant de son chef des lieux situés au 2e étage, [Adresse 1], au besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier,
- Fixé l'indemnité d'occupation due par la société Gabi à la somme de 2500 € à compter du 15 septembre 2018 jusqu'à la libération effective des lieux, et la condamne à son paiement à Madame [Z] [J] épouse [T], Monsieur [O] [J], Monsieur [B] [J], Monsieur [I] [J] et Madame [F] [J],
- Débouté Mme [W] et la société Gabi de toutes leurs autres demandes, notamment leurs demandes de dommages intérêts,
- Débouté les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires,
- Condamné Mme [W] et la société Gabi à payer la somme de 800€ aux consorts [J], à chacun, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne Mme [W] et la société Gabi aux dépens de première instance et d'appel,
- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
10- Mme [W] et la société Gabi ont formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt du 8 septembre 2022 de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence et par arrêt du 30 mai 2024, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a :
- Cassé et annulé, sauf en ce qu'il rejette les inscriptions de faux déposées par Mme [W] et la société Gabi à l'encontre du congé délivré le 13 septembre 2018, de la sommation de déguerpir signifiée le 9 octobre 2018 et de l'assignation en référé du 12 octobre 2018, et les
demandes de nullité de ce congé, de cette sommation de déguerpir et de cette assignation en référé, l'arrêt rendu le 8 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
- Remis, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Montpellier ;
- Condamné les consorts [J] aux dépens ;
- En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par les consorts [J] et les a condamnés à payer à Mme [W] et à la société Gabi la somme globale de 3 000 euros;
- Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé.
Aux motifs que :
« Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 145-5, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi 2014-626 du 18 juin 2014, et L. 145-60 du code de commerce et le principe selon lequel la fraude corrompt tout :
9. Selon le premier de ces textes, les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du statut du bail commercial à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à deux ans. Si, à l'expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail statutaire.
10. Il résulte de la combinaison du second et du principe cité que la fraude suspend le délai de prescription biennale applicable aux actions au titre d'un bail commercial.
11. Pour déclarer prescrite l'action de Mme [W] et de la société Gabi en requalification des baux conclus les 15 novembre 2011 et 9 octobre 2013, l'arrêt retient qu'elle a été engagée plus de cinq années après la conclusion de ces contrats.
12. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les fraudes, dont l'existence était invoquée, n'étaient pas de nature à suspendre le délai de prescription, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. »
11- Les consorts [J] ont saisi la Cour d'appel de Montpellier le 13 août 2024.
PRÉTENTIONS
12- Par dernières conclusions remises par voie électronique le 10 janvier 2025, les consorts [J] demandent en substance à la cour de:
- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Marseille en date du 12 novembre 2019 en ce qu'il a :
' Rejeté la demande de la société Gabi tendant à la reconnaissance du bénéfice d'un bail commercial en application de l'article L. 145-5 du Code de commerce,
' Déclaré l'action en requalification du bail du 15 novembre 2011 à effet du 16 novembre 2011 irrecevable en ce qu'elle est prescrite,
' Rejeté la demande de remise des clés du local situé au deuxième étage d'un immeuble situé [Adresse 1] formée par Mme [W],
' Rejeté la demande formée par Mme [W] au titre du préjudice subi du fait de la privation de jouissance du local situé au deuxième étage d'un immeuble situé [Adresse 1],
' Rejeté la demande de restitution d'une partie des loyers pour la période allant du 15 septembre 2018 au 12 septembre 2019 formée par Mme [W],
- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Marseille en date du 12 novembre 2019 en toutes ses autres dispositions et plus particulièrement ce qu'il :
' S'est déclaré être incompétent pour statuer sur la validité de l'assignation délivrée le 12 octobre 2018 ;
' A requalifié le bail du 09 octobre 2013 en bail commercial d'une durée de neuf années à effet du 15 octobre 2013 pour s'achever le 14 octobre 2022 aux mêmes termes et conditions et, notamment, un loyer annuel d'un montant de 7 600 €, bail bénéficiant à Mme [W] en qualité de preneur,
' A enjoint aux consorts [J] de communiquer à Mme [W] un contrat de bail commercial écrit signé par eux sous astreinte de 200€ par jour de retard passé un délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement ;
' A déclaré sans objet la demande subsidiaire de dommages et intérêts formée par Mme [W] à hauteur de 300 000 €
' a rejeté la demande d'expulsion de la société Gabi et de tous occupants de son chef formée par les consorts [J]
' A rejeté la demande d'indemnité d'occupation formée par les consorts [J]
' A condamné in solidum les consorts [J] à verser à Mme [W] la somme de 7 200 € au titre des loyers trop versés du 15 septembre 2015 au 14 septembre 2018 avec intérêts capitalisés calculés au taux légal à compter du 5 novembre 2018,
' A rejeté la demande formée par les consorts [J], au titre de la part de loyers non versés,
' A déclaré sans objet la demande formée par les consorts [J], au titre de la garantie de Mme [W] relativement à des condamnations au profit de la société Yoni et de la société Gabi,
' Condamné in solidum les consorts [J] à verser à Mme [W] la somme de 20 000 € avec intérêts capitalisés calculés au taux légal à compter du 5 novembre 2018 au titre du préjudice subi du fait du recours irrégulier aux baux dérogatoires,
' A déclaré sans objet la demande d'expulsion de la société Gabi du local situé au deuxième étage d'un immeuble situé [Adresse 1] formée par les consorts [J]
' A condamné in solidum les consorts [J] à verser à Mme [W] et à la société Gabi ensemble la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
' A rejeté la demande formée par les consorts [J] sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
' A rejeté toute autre demande,
' A condamné in solidum les consorts [J] aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Puis, statuant à nouveau :
A titre principal, vu l'article L. 145-60 du Code de commerce et l'article 32 du Code de procédure civile,
- Déclarer irrecevables les demandes de requalification des baux dérogatoires des 15 novembre 2011 et 15 octobre 2013 ;
En tout état de cause,
- Débouter Mme [W] et la société Gabi de l'ensemble de leurs prétentions, demandes, fins et conclusions, qu'il s'agisse des demandes de requalification, des demandes indemnitaires, de communication de bail, de nullité des actes ou encore de tout autre demande ;
- Juger que la société Gabi est occupante sans droit ni titre ;
- Juger que Mme [W] est occupante sans droit ni titre et que le projet de bail adressé le 6 juillet 2020 est nul et non avenu par effet de l'infirmation du jugement ;
- Ordonner l'expulsion de la société Gabi, de Mme [W] et de tous occupants de leur chef des locaux sis à [Adresse 3] au besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier ;
- Ordonner l'expulsion de la société Gabi, de Mme [W] et de tous occupants de leur chef du logement situé [Adresse 1] en tant que de besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier ;
- Condamner la société Gabi à payer aux consorts [J] une indemnité d'occupation égale à 5 000 € par mois à compter du 15 septembre 2018 ;
- Condamner solidairement la société Gabi et Mme [W] à payer aux consorts [J] la somme de 3 500 euros chacun au titre des frais irrépétibles de première instance, et des deux procédures d'appel ;
- Condamner solidairement la société Gabi et Mme [W] aux dépens de l'ensemble des instances distraits au profit de la SCP les Avocats du Theleme, prise en la personne de Me [U] ;
A titre subsidiaire, pour le seul cas où la cour estimerait par extraordinaire que Mme [W] est titulaire d'un bail commercial
- Fixer le loyer du bail à compter du 15 octobre 2013 à 5 000 euros par mois ;
- Condamner en conséquence Mme [W] à payer aux consorts [J] la somme de 334 600 euros au titre de son occupation depuis le 15 octobre 2013 au 14 septembre 2018 ;
- Condamner Mme [W] à relever et garantir les consorts [J] de toute demande en répétition de l'indu qui serait effectuée par la société Yoni et par la société Gabi;
- Condamner solidairement la société Gabi et Mme [W] à payer aux consorts [J] la somme de 3 500 euros chacun au titre des frais irrépétibles de première instance, et des deux procédures d'appel ;
- Condamner solidairement la société Gabi et Mme [W] aux dépens de l'ensemble des instances distraits au profit de la SCP les Avocats du Theleme, prise en la personne de Me [U].
13- Par uniques conclusions remises par voie électronique le 10 décembre 2024, Mme [W] et la société Gabi demandent en substance à la cour de :
à titre principal :
- Confirmer le jugement du 12 novembre 2019 en ce qu'il a :
- Requalifié le bail du 9 octobre 2013 en bail commercial d'une durée de neuf années à effet au 15 octobre 2013 aux même termes et conditions et notamment un loyer annuel d'un montant de 27 600 € pour les 60 m², au bénéfice de Mme [W], sauf en ce qu'il a exclu le studio du 2nd étage du périmètre du bail.
- Enjoint au bailleur de communiquer à Mme [W] un contrat de bail commercial écrit signé.
- Rejeté la demande d'expulsion de la société Gabi et de tout occupant de son chef.
- Rejeté la demande d'indemnité d'occupation formée par le bailleur à l'encontre de Mme [W] et de la société Gabi.
- Condamné in solidum les consorts [J] à payer à Mme [W] la somme de 7 200 € au titre des loyers trop versés du 15 septembre 2015 au 14 septembre 2018 avec intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2018.
- Rejeté la demande de dommages intérêts formulée par les consorts [J].
- Rejeté la demande du bailleur au titre de la part de loyers non versés.
- Déclaré sans objet la demande du bailleur relativement à la garantie de Mme [W] à des condamnations au profit de la société Yoni et de la société Gabi.
- Condamné le bailleur aux entiers dépens de l'instance.
- Rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions des consorts [J].
- Infirmer le jugement du 12 novembre 2019 pour le surplus
Statuant a nouveau :
- Juger recevable l'action de Mme [W] et la société Gabi comme étant non prescrite.
- Juger que le recours à une succession de baux dérogatoires et/ou précaires de courte durée dans le but de faire échec à l'application du statut des baux commerciaux constitue une fraude.
- Juger que Mme [W] bénéfice du statut des baux commerciaux.
- Juger que la fraude du bailleur exclue ce dernier de se prévaloir de l'éventuelle prescription biennale et du caractère précaire ou dérogatoire des baux.
- Juger que la fraude du bailleur a eu pour effet de suspendre le délai de prescription pendant toute la durée de la fraude, soit jusqu'au 15 septembre 2018.
- Juger que le loyer mensuel courant du 15 septembre 2018 au 12 septembre 2019 doit être fixé à 2 300 €.
- Juger que Mme [W] bénéficie, sur la totalité de l'immeuble sis [Adresse 3] / [Adresse 1], soit 60 m² en ce compris l'appartement situé au 2nd étage, d'un bail commercial d'une durée minimum de neuf ans à compter du 9 octobre 2013, avec effet au 15 octobre 2013.
- Enjoindre aux consorts [J] de transmettre à Mme [W], sous astreinte définitive et non comminatoire d'un montant de 500 € par jour de retard à compter du 15e jour suivant la signification de l'arrêt à intervenir, un bail commercial écrit et signé aux mêmes termes et conditions pour une surface de 60 m² en ce compris :
> La surface de vente située au rez-de-chaussée d'une surface de 20,50 m²,
> La réserve d'une surface de 10,80 m² et les toilettes d'une surface de 2,50 m² situés au 1er étage,
> Le studio d'une surface de 15 m² situé au 2e étage,
>Le grenier d'une surface de 11,20 m² situé au 3e étage.
- Juger que Mme [W] n'a jamais renoncé au bénéfice de la propriété commerciale.
- Juger que le montant du loyer doit être fixé à la somme de 2 300€ par mois, à compter du 15 octobre 2013, pour les 60 m² de surface.
à titre subsidiaire, si la Cour devait rejeter la «requalification» du bail commercial et retenir le principe de la « transmutation » de plein droit du bail dérogatoire du 9 octobre 2013, alors :
- Juger que Mme [W] est recevable à agir en constatation de l'existence d'un bail commercial statutaire,
- Juger que Mme [W] bénéficie d'un bail commercial à compter du 9 octobre 2013 pour un loyer mensuel de 2 300 €.
- Juger que le congé du 13 septembre 2018 est dès lors invalide.
en tout état de cause :
- Rejeter comme étant irrecevable au regard de l'arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2024 la demande des consorts [J] tendant à voir la Cour réformer le jugement du 12 novembre 2019 en ce que le tribunal s'est déclaré incompétent pour statuer sur la validité de l'assignation du 12 octobre 2018.
- Rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions des consorts [J].
- Condamner in solidum : [Z], [O], [B] et [F] [J]
> A payer à Mme [W] la somme de 100 000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du recours irrégulier aux baux dérogatoires et avoir ainsi maintenu sa locataire en situation de précarité en exécution de mauvaise foi du contrat de bail sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil.
> A restituer à Mme [W] les clés de l'appartement sis [Adresse 1] sous astreinte définitive et non comminatoire de 500 € par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la signification de l'arrêt à intervenir.
> A régler à Mme [W] la somme de 2 400 € au titre du remboursement du différentiel de loyer courant du 15 septembre 2018 au 12 septembre 2019.
> A régler à Mme [W] la somme de 50 000 € au titre de la privation de jouissance de l'appartement sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil.
> À payer à Mme [W] la somme de quinze mille euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
> Aux entiers dépens de l'instance distraits au profit de Me Garrigue sur son affirmation de droit.
- Assortir l'ensemble des condamnations de l'intérêt au taux légal à compter de la signification de l'assignation en application de l'article 1153 du Code Civil.
- Ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du Code Civil.
14- Vu l'ordonnance de clôture en date du 14 janvier 2025.
Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la fraude du bailleur
15- Soutenant l'existence de la fraude la déterminant à signer par le truchement des sociétés Yoni et Gabi deux nouveaux baux dérogatoires dans le but de faire échec au droit de renouvellement institué par le décret du 30 septembre 1953 et de l'empêcher de revendiquer la propriété commerciale, Mme [W] soutient l'exploitation continue du même local commercial par elle-même.
Les consorts [J] soutiennent l'absence de fraude en faisant valoir pour l'essentiel ignorer en 2015 que Mme [W] était la concubine de M. [R] (il s'agit de M. [S] que les consorts [J], malgré l'ancienneté du contentieux, continuent de mal nommer), que Mme [W], les sociétés Yoni et Gabi sont des personnes différentes, que Mme [W] a parfaitement consenti aux baux du 15 novembre 2011 et du 2 septembre 2015, pouvant prétendre à un loyer moins élevé et qu'ils n'ont employé aucun moyen déloyal, n'ont pas surpris son consentement ni lésé ses droits ni entendu contourner la loi. Ils éclairent sous cette présentation les éléments matériels mis en exergue par Mme [W].
16- La fraude s'entend, en matière civile ou commerciale, comme un acte réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu, ou réalisé avec l'intention d'échapper à l'application d'une loi impérative ou prohibitive.
17- En application de l'article L. 145-5 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogatoire pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux à l'expiration d'une durée totale de trois ans que ne peuvent excéder les baux dérogatoires successifs et qui court dès la prise d'effet du premier bail dérogatoire, même si le preneur a renoncé, à l'issue de chaque bail dérogatoire, à l'application du statut des baux commerciaux.
Il s'ensuit que, pour pouvoir déroger aux dispositions du statut des baux commerciaux, les baux dérogatoires conclus à compter du 1er septembre 2014 ne doivent pas avoir une durée cumulée avec celle des baux dérogatoires conclus précédemment pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux de plus de trois ans courant à compter de la date d'effet du premier bail dérogatoire. (3e Civ., 22 octobre 2020, pourvoi n° 19-20.443)
18- Si en soi, le souhait pour les bailleurs de ne pas conférer le bénéfice de la propriété commerciale à leur locataire n'apparaît pas frauduleux dès lors que l'article L. 145-5 du code de commerce offre la faculté aux parties de déroger au statut, il en va différemment dès lors qu'il résulte de circonstances factuelles précises, dont la preuve incombe en l'espèce à Mme [W], qu'il y a continuité d'exploitation du même fonds dans les mêmes locaux à compter du premier bail dérogatoire du 15 novembre 2011, la succession des baux dérogatoires n'ayant d'autre objet et effet que de soustraire les relations des parties à l'application du statut protecteur.
19- Mme [W] fait à juste titre valoir un faisceau d'indices matériels de nature à caractériser la fraude des consorts [J], utilement conseillés par un cousin avocat en droit des affaires, évoqué dans un échange de courriels entre [F] ([J] épouse [A]) et [D] ([W]) du 13 août 2015 pour une signature que le contexte temporel rattache au bail précaire du 2 septembre 2015.
20- C'est ainsi qu'il convient d'énoncer que trois baux successifs portant sur le même local commercial à usage identique de 'vente de glaces, confiseries, biscuiterie, snack, petite restauration, pâtisserie, vente à emporter, sandwicherie, créperie, pizzeria, salon de thé' ont été conclus dans une continuité temporelle ne laissant aucun jour vacant entre les consorts [J] et :
- Mme [W], en nom propre, selon acte sous seings privés du 15 novembre 2011 à effet du 16 novembre 2011 jusqu'au 15 octobre 2013 ;
- la SASU YONI, représentée par son président [X] [S], du 9 octobre 2013 à effet du 15 octobre 2013 jusqu'au 14 septembre 2015 .
- la SASU Gabi, représentée par sa présidente [D] [W], du 15 septembre 2015 au 14 septembre 2018.
L'enseigne 'Le Bounty' est restée la même, les fournisseurs sont restés les mêmes, le comptable est resté le même, les mobiliers et appareils d'exploitation sont restés les mêmes, la banque (SMC) est restée la même...
Mme [W] détenait procuration sur les comptes bancaires de la SASU YONI.
Aucun état des lieux de sortie et d'entrée n'a été réalisé entre les différents preneurs précaires.
Toutes les autorisations d'occupation du domaine public ont été données à Mme [W] sur la demande présentée par Mme [W] et toutes les factures d'occupation du domaine public ont été émises à destination de Mme [W].
La fourniture d'électricité a été assurée sans discontinuité, l'abonnement souscrit par la SASU YONI bénéficiant pour 106 jours à la SASU GABI et Mme [F] [A] demandant à Mme [W] d'afficher à destination du releveur l'index au 7 janvier 2015, période d'exploitation par la SASU Yoni.
Mme [W] est devenue salariée saisonnière de la SASU Yoni pendant sa période d'exploitation officielle.
L'attestation de M. [X] [S], qui ne saurait être écartée de facto au motif de la communauté d'intérêts avec Mme [W], confirme bien qu'il n'a jamais exploité personnellement 'le Bounty' et précise que c'est à l'initiative des consorts [J] et de leur avocat que celle-ci a été obligée de créer la société Yoni du prénom de leur fils.
21- Contrairement à ce que soutenu par les consorts [J] dont la candeur de façade illustre le stratagème, ils n'ignoraient en rien que Mme [W] continuait d'exploiter le fonds alors que la SASU Yoni, du prénom de l'enfant né de la relation de Mme [W] et M.[S], exploitait le fonds en vertu du second bail précaire. Les échanges de courriels actés dans le procès-verbal d'huissier du 20 juillet 2020 faisant état des nouvelles prises par [F] relativement à Yoni et [X] et transmettant des factures d'électricité à [D] ou lui donnant des instructions quant à la relève du compteur électrique relativement à la période d'exploitation de la SASU Yoni sont sans équivoques quant à cette connaissance de la continuité d'exploitation.
22- La fraude est ainsi suffisamment caractérisée, les consorts [J] guidant Mme [W] dans les démarches à accomplir et lui suggérant les moyens à mettre en oeuvre pour rester dans les lieux tout en donnant l'apparence d'une succession d'exploitants indépendants les uns des autres, Mme [W] n'ayant aucun intérêt apparent à procéder à ces changements, étant observé que l'intérêt de bénéficier d'un loyer réduit n'est en rien caractérisé au regard d'éventuelles pratiques habituelles sur la commune touristiques de [Localité 5]. La durée continue d'exploitation par Mme [W] exclut par ailleurs la préconstitution de preuves quelconques.
23- S'il en était de surcroît encore besoin, Mme [W] expose en pages 65 et 66 de ses conclusions, et en justifie par ses pièces 79 à 98, les montages comparables mis en place par les consorts [J] pour se soustraire à l'application du statut des baux commerciaux pour d'autres locaux dont ils sont propriétaires.
24- La fraude corrompt tout de telle sorte que les consorts [J] ne peuvent utilement exciper de la clause selon laquelle le preneur renonce à la propriété commerciale, Mme [W] n'ayant jamais émis le moindre consentement éclairé hors cette clause inopposable.
Sur les conséquences de la fraude
25- Les bailleurs opposent deux fins de non-recevoir à l'action de Mme [W] et de la SASU Gabi dans l'hypothèse où la fraude serait retenue.
26- S'agissant de l'absence d'intérêt soulevée au visa de l'article 32 du code de procédure civile, les bailleurs font valoir que si le bail du 15 octobre 2013 devait être requalifié, seule la société Yoni, non partie à l'instance et qui ne l'a jamais formulée, serait recevable à demander la requalification ; quant à la société Gabi, elle n'a jamais demandé la requalification du bail du 15 septembre 2015.
Toutefois, la fraude ayant tout corrompu et seule Mme [W] ayant exploité de manière continue derrière les sociétés écrans que les bailleurs lui avaient fait mettre en place, c'est bien Mme [W] qui dispose d'un intérêt particulièrement légitime à agir en requalification du bail précaire du 15 octobre 2013.
27- S'agissant de la prescription de cette action en requalification, les consorts [J] soutiennent, s'agissant du bail du 15 novembre 2011 que ce n'est que le bail du 15 novembre 2013 qui aurait permis de dépasser la durée légale du bail dérogatoire, matérialisant la fraude, de telle sorte que le point de départ est le 15 novembre 2011 ; s'agissant de la prescription de l'action en requalification du bail du 15 octobre 2013, le délai de prescription aura nécessairement recommencé à courir lorsque la fraude aura disparu, soit la conclusion du nouveau bail du 15 septembre 2015, de telle sorte que l'action était prescrite le 15 septembre 2017.
28- L'action en requalification d'un contrat en bail commercial est soumise à la prescription biennale de l'article L. 145-60 du code de commerce, le délai de deux ans courant à compter de la conclusion du contrat ( 3 Civ., 3 décembre 2015, n°14-19.146 ; 3 Civ., 29 novembre 2018, n°17-24.715 ; 3 Civ., 20 décembre 2018, n° 17-26.684...)
Le délai de prescription biennale applicable à l'action en requalification d'un contrat en bail commercial court, même en présence d'une succession de contrats distincts dérogatoires aux dispositions du statut des baux commerciaux, à compter de la conclusion du contrat dont la requalification est recherchée. ( 3e Civ., 25 mai 2023, pourvoi n° 22-15.946).
Enfin, selon les termes de l'arrêt qui saisit la cour de céans, la fraude suspend le délai de prescription biennale applicable aux actions au titre d'un bail commercial.
29- Mme [W] demande tout à la fois d'infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action en requalification du bail du 15 novembre 2011 comme étant prescrite et de confirmer le jugement en ce qu'il a écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en requalification du bail précaire du 9 octobre 2013.
30- A l'égard du bail précaire du 15 novembre 2011, les premiers juges ont considéré que le délai biennal pour agir avait été suspendu par la fraude et que ce délai avait pris fin à la révélation de fraude au jour du renouvellement du bail, soit le 9 octobre 2013.
Toutefois, la fraude provient de la succession et du cumul de baux dérogatoires et celui du 15 novembre 2011, le premier de la chaîne, n'est pas par lui-même irrégulier. L'action en requalification dont le délai de prescription biennal n'est pas suspendu par la fraude révélée ultérieurement est donc tardive et prescrite puisqu'elle devait être engagée au plus tard le 14 novembre 2013.
31- Il en va différemment de la situation afférente au bail précaire du 9 octobre 2013, date à laquelle la fraude est révélée par la soumission des relations à un nouveau bail précaire. La fraude, poursuivie par la soumission des relations des parties au troisième bail du 2 septembre 2015, ainsi reitérée, continue jusqu'à ce qu'elle cesse par l'arrivée du terme de ce troisième bail au 14 septembre 2018. Le délai biennal de prescription de l'article L. 145-60 du code de commerce a donc été suspendu du 9 octobre 2013 au 14 septembre 2018, de telle sorte qu'en assignant le 5 novembre 2018, Mme [W] et la SARL Gabi ont agi dans le délai de prescription.
La fin de non-recevoir sera écartée.
32- La durée pendant laquelle Mme [W] est restée en possession des locaux commerciaux en continuité d'exploitation excédant celle de l'article L. 145-5 du code de commerce, la demande de requalification du bail du 9 octobre 2013 en bail commercial est bien fondée et le jugement sera confirmé de ce chef, Mme [W] étant bénéficiaire d'un bail commercial de neuf années courant du 9 octobre 2013 au 14 octobre 2022.
33- Mme [W] revendique l'inclusion dans les locaux loués de l'appartement sis au 2ème étage de l'immeuble du [Adresse 3]/[Adresse 1] à [Localité 5], poursuivant l'infirmation du jugement du chef qui rejette sa demande de remise des clefs de l'appartement.
Pour rejeter cette demande, les premiers juges ont retenu qu'il n'était fourni aucun élément de nature à établir dans quelles conditions ce local, qui ne figure pas dans la désignation des biens mentionnée dans les différents baux, a été mis à disposition de [D] [W] ; les consorts [J] poursuivent la confirmation du jugement en soulignant que l'appartement n'a jamais été mis à la disposition de la locataire si ce n'est à titre occasionnel, à titre de dépannage et qu'il n'est pas démontré de preuve d'un droit d'occupation.
34- Toutefois, il est justifié que :
- l'appartement est au 2ème étage d'un ensemble foncier unique ayant deux accès, l'un par le [Adresse 1] desservant grenier, studio, réserves et toilettes, l'autre par le [Adresse 3] desservant la surface de vente et la cuisine.
- Les trois baux précaires portent sur un local composé d'un magasin au rez-de-chaussée et d'un local au 1er étage, avec un escalier communiquant, d'une surface totale d'environ 60m² dans un immeuble sis à [Adresse 3].
Ils visent donc une surface totale de 60m², qui correspond, selon détail non contesté donné dans le corps des conclusions à l'ensemble des locaux de l'unité foncière incluant l'appartement/studio.
Des baux précaires plus anciens (pièce 82 et 92), ne portaient que sur une surface de 40m² pour un local composé d'un magasin au rez-de-chaussée et le 1er étage avec un escalier communiquant.
La désignation intéressant les trois baux précaires de l'instance reprend donc la désignation antérieure tout en portant sur une surface augmentée de 20m² incluant nécessairement l'appartement/studio du 2ème étage.
- Mme [W] était en possession des clefs de la serrure de cet appartement comme l'établit un constat d'huissier de justice établi le 17 décembre 2018, qui n'y constatait pas la présence d'occupant. La serrure en a été changée entre cette date à laquelle le litige venait d'éclater et le 24 janvier 2019, date d'un second constat d'huissier, la clé en possession de Mme [W] n'ouvrant plus la serrure neuve.
- en août 2015, Mme [F] [A] réclamait le paiement du loyer du studio.
- l'intégralité des factures de fluides et de charges était répercutée à Mme [W], sans restriction de surface ou proratisation.
35- Mme [W] apporte donc la démonstration par ce faisceau d'indices, corroborant la cohérence de la disposition des lieux et de l'usage à destination d'un employé saisonnier d'un tel studio, qu'elle disposait de la jouissance permanente de cet appartement qui était inclus dans la surface des locaux loués.
Le jugement sera infirmé et il sera retenu que le bail commercial requalifié porte sur la totalité de l'immeuble, en ce compris l'appartement/studio du 2ème étage, avec injonction aux consorts [J] d'en mettre les clefs à disposition de Mme [W], sous astreinte provisoire de 200€ par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la signification du présent arrêt.
36- Mme [W] a été privée de la jouissance de cet appartement par la dépossession dont elle a été victime pendante plus de six ans et ce préjudice sera réparé par l'octroi d'une indemnité de 30000€.
37- Des motifs précédents, il s'évince que :
- les consorts [J] doivent à Mme [W] la délivrance d'un bail commercial, aux conditions et clauses du bail précaire du 9 octobre 2013, le jugement étant confirmé de ce chef, y compris pour avoir enjoint aux consorts [J] la production sous astreinte ;
- la fixation du loyer, demandée par les consorts [J] à concurrence de 60000€ par an, soit 5000€ par mois, ne peut recevoir en conséquence aucune suite favorable, ce d'autant plus que la valeur locative revendiquée ne ressort de rien. Le prix du bail restera fixé à la somme de 27600€ par an, soit 2300€ le mois ;
- le calcul opéré par les premiers juges au titre des loyers trop versés du 15 septembre 2015 au 14 septembre 2018, arrêtés à la somme de 7200€, avec intérêts capitalisés calculés au taux légal à compter du 5 novembre 2018 mérite pleine et entière confirmation;
- aucune condamnation n'ayant été prononcée à l'encontre des consorts [J] au profit de la SASU Yoni ou de la SASU Gabi, la demande tendant à condamner Mme [W] à les relever et garantir est sans objet et le jugement est confirmé de ce chef ;
- les demandes d'expulsion de la SASU Gabi et de tous occupants de son chef de même que les demandes de fixation d'une indemnité d'occupation doivent être rejetées, le jugement étant confirmé de ces chefs ;
- les premiers juges ont justement apprécié à concurrence de 20000€ le montant des dommages et intérêts alloués à Mme [W] du fait du recours irrégulier aux baux dérogatoires et cette indemnisation sera confirmée.
- les consorts [J], partie perdante, ont justement été condamnés aux dépens de première instance avec distraction dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile et condamnés à une indemnité de 5000€ raisonnablement appréciée en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
38- La cour de céans étant saisie dans les termes du dispositif de l'arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2024 n'est pas valablement saisie en conséquence d'une demande d'infirmation du jugement en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour statuer sur la validité de l'assignation délivrée le 12 octobre 2018.
39- Les consorts [J], partie perdante à hauteur d'appel, supporteront les dépens d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
statuant contradictoirement, dans les limites de la saisine déterminées par l'arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2024
Confirme le jugement en ce qu'il a :
- Déclaré l'action en requalification du bail du 15 novembre 2011 à effet du 16 novembre 2011 irrecevable en ce qu'elle est prescrite,
- Requalifié le bail du 9 octobre 2013 en bail commercial d'une durée de neuf années à effet du 15 octobre 2013 pour s'achever le 14 octobre 2022 aux mêmes termes et conditions et, notamment, un loyer annuel d'un montant de 27 600 €, bail bénéficiant à [D] [W] en qualité de preneur,
- Enjoint à [Z] [J], à [O] [J] et à [B] [J], es qualité d'ayants droit de [H] [J] et de [M] [J], à [I] [J] en son nom personnel et es qualité d'ayants droit de [G] [J], et à [F] [J] ès qualités d'ayants droit de [G] [J] (ci-après les consorts [J]) de communiquer à [D] [W] un contrat de bail commercial écrit signé par eux sous astreinte de 200 € par jour de retard passé un délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement,
- Déclaré sans objet la demande subsidiaire de dommages et intérêts formée par [D] [W] à hauteur de 300 000 €,
- Rejeté la demande d'expulsion de la société Gabi et de tous occupants de son chef formée par les consorts [J],
- Rejeté la demande d'indemnité d'occupation formée par les consorts [J],
- Condamné in solidum les consorts [J] à verser à [D] [W] la somme de 7 200 € au titre des loyers trop versés du 15 septembre 2015 au 14 septembre 2018 avec intérêts capitalisés calculés au taux légal à compter du 5 novembre 2018,
- Rejeté la demande de restitution d'une partie des loyers pour la période allant du 15 septembre 2018 au 12 septembre 2019 formée par Mme [W],
- Rejeté la demande formée par les consorts [J], au titre de la part de loyers non versés,
- Déclaré sans objet la demande formée par les consorts [J], au titre de la garantie de Mme [W] relativement à des condamnations au profit des sociétés Gabi et Yoni,
- Condamné in solidum les consorts [J] à verser à Mme [W] la somme de 20 000 € avec intérêts capitalisés calculés au taux légal à compter du 5 novembre 2018 au titre du préjudice subi du fait du recours irrégulier aux baux dérogatoires,
- Condamné in solidum les consorts [J] à verser à Mme [W] et à la société Gabi ensemble la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Rejeté la demande formée par les consorts [J] sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- Rejeté toute autre demande,
- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,
- Condamné in solidum les consorts [J] aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Infirme le jugement pour le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant
- déclare recevable l'action en requalification en bail commercial du bail précaire du 9 octobre 2013 au bénéfice de Mme [D] [W]
- juge que le bail commercial dont bénéficie Mme [D] [W] à compter du 9 octobre 2013 porte sur l'ensemble de l'immeuble sis [Adresse 3]/[Adresse 1], en ce compris l'appartement/studio du 2ème étage, mention à préciser au bail commercial écrit et signé à produire sous astreinte ;
- condamne in solidum mesdames et messieurs [Z] [J], à [O] [J] et à [B] [J], es qualité d'ayants droit de [H] [J] et de [M] [J], à [I] [J] en son nom personnel et es qualité d'ayants droit de [G] [J], et à [F] [J] es qualité d'ayants droit de [G] [J] à restituer les clés de l'appartement/studio du 2ème étage sous astreinte provisoire de 200€ par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la signification du présent arrêt
- condamne in solidum mesdames et messieurs [Z] [J], à [O] [J] et à [B] [J], es qualité d'ayants droit de [H] [J] et de [M] [J], à [I] [J] en son nom personnel et es qualité d'ayants droit de [G] [J], et à [F] [J] es qualité d'ayants droit de [G] [J] à payer à Mme [D] [W] la somme de 30000€ au titre de la privation de jouissance de cet appartement/studio
- condamne in solidum mesdames et messieurs [Z] [J], à [O] [J] et à [B] [J], es qualité d'ayants droit de [H] [J] et de [M] [J], à [I] [J] en son nom personnel et es qualité d'ayants droit de [G] [J], et à [F] [J] es qualité d'ayants droit de [G] [J] aux dépens d'appel, distraits au profit de Me Garrigue, avocat, sur son affirmation de droit.
- condamne in solidum mesdames et messieurs [Z] [J], à [O] [J] et à [B] [J], es qualité d'ayants droit de [H] [J] et de [M] [J], à [I] [J] en son nom personnel et es qualité d'ayants droit de [G] [J], et à [F] [J] ès qualités d'ayants droit de [G] [J] à payer à Mme [D] [W] la somme de 10000€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.