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Décisions

CA Poitiers, 1re ch., 25 mars 2025, n° 23/00982

POITIERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Les Juristes Associés Du Sud Ouest (SELARL)

Défendeur :

Les Juristes Associés Du Sud Ouest (SELARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Monge

Conseillers :

M. Orsini, M. Maury

Avocats :

Me Gillet, SCP Laydeker-Sammarcelli-Mousseau, Me Saubole

TJ Poitiers, hors JAF, JEX, JLD, J. Expr…

3 avril 2023

EXPOSÉ :

[I] [V] et [T] [L] épouse [V] étaient depuis 1992 actionnaires de la société Socidis, qui exploitait un hypermarché sous l'enseigne 'Intermarché' à [Localité 8], dans la Vienne.

Les actionnaires de la société, dont le capital était alors divisé en 2.500 actions, ont décidé lors d'une assemblée générale extraordinaire du 3 juin 2009 de procéder à une augmentation du capital pour le porter de 40.000 à 65.248 € par l'émission au pair de 1.578 actions nouvelles d'une valeur nominale de 16€ chacune.

Par une décision d'assemblée générale extraordinaire du 7 juin 2010, les actionnaires ont résolu l'année suivante de procéder à une nouvelle augmentation du capital pour le porter de 65.248 à 95.952 € par l'émission au pair de 1.919 actions nouvelles d'une valeur nominale de 16 € chacune.

À l'issue de ces deux opérations successives, le capital social s'établissait à 5.997 actions divisées entre :

.[I] [V], détenteur de 4.774 actions

.[T] [V], détentrice de 1.222 actions

.la société ITM Entreprise, détentrice d'une action.

C'est la Société d'avocats Juristes associés du Sud Ouest, qui assurait depuis des années le service juridique de l'entreprise, notamment en la personne de [W] [C], avocat associé, qui a mis en oeuvre ces deux augmentations de capital.

Les époux [V] ont signé le 11 septembre 2012 un protocole de cession de leurs actions avec la société ITM Alimentaire Centre Ouest, aux termes duquel ils lui vendaient leurs 5.996 parts moyennant un prix provisoirement fixé à 5.170.000 € à parfaire au vu du bilan définitif à établir au 31 décembre 2012.

Ce prix a été en définitive arrêté à la somme de 5.037.534 €, et intégralement payé au 25 juillet 2013.

Suite au dépôt de leur déclaration de revenus 2013, établie pour leur compte par un professionnel, M. et Mme [V] ont reçu de l'administration fiscale une proposition de redressement d'un montant de 2.573.943 € incluant 684.559 € de pénalités au taux de 40% pour manquement délibéré au titre de l'imposition sur les revenus et les plus-values.

Les services fiscaux ont retenu à l'appui du redressement :

- d'une part, une omission par les contribuables de déclarer la cession de 3.497 actions (seuls 2.499 titres ayant figuré sur leur déclaration alors qu'ils les avaient tous cédés soit 5.996)

- d'autre part, une anomalie dans le calcul du prix d'acquisition de ces titres, déclaré à 1.444.912€ alors qu'ils avaient été acquis au prix unitaire de 16€ soit pour (5.996 x16)= 95.936€.

Constatant que les 3.497 titres dont la cession n'avait pas été déclarée provenaient des augmentations de capital de 2009 et 2010 depuis moins de huit années, le fisc a en outre estimé qu'ils ne pouvaient bénéficier de l'exonération d'imposition prévue pour les titres détenus depuis plus de huit années.

L'administration a maintenu sa position malgré la réclamation formulée par les époux [V], et elle a mis en recouvrement la somme le 20 juillet 2017.

Reprochant à la Selarl Les Juristes associés du Sud-Ouest et à [W] [C] d'avoir préconisé en 2009/2010 ces augmentations de capital sans tenir compte de la perspective qu'il céderaient ensuite leurs titres, et de les avoir ainsi exposés lors de cette vente à une imposition supplémentaire sur le revenu d'1.337.657 € à laquelle ils auraient pu échapper s'il avait été procédé plus judicieusement, en prévoyant la création d'actions non pas au pair mais avec une importante prime d'émission, les époux [V] les ont fait assigner par acte du 27 juillet 2020 devant le tribunal judiciaire de Poitiers pour les entendre condamner à leur verser en réparation de leur préjudice la somme d'1.337.657 € avec intérêts capitalisés outre celle de 5.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Les défendeurs ont conclu au rejet de cette action en récusant toute faute et en soutenant que le fait générateur du redressement était l'acte de cession de 2013, auquel ils n'avaient pas participé et qui avait été établi par un cabinet d'avocats qui aurait dû prendre les dispositions adéquates. Ils ont subsidiairement contesté le préjudice, en soutenant que celui-ci avait la nature de la perte d'une chance, celle de ne pas avoir renoncé à l'augmentation de capital et qu'un aléa réel existait à cet égard, car l'opération visait à neutraliser l'impôt sur la fortune et que les époux [V] n'avaient pas alors en vue de prendre leur retraite, qui s'était précipitée en 2013 en raison de la dégradation de leurs relations avec le franchiseur Intermarché.

Par jugement du 1er avril 2023, le tribunal judiciaire de Poitiers a :

* condamné solidairement la Selarl Les Juristes associés du Sud-Ouest et Me [W] [C] à payer à M. [I] [V] et Madame [T] [L] épouse [V] la somme de 1.081.999 €

* dit que les intérêts sur cette somme seraient capitalisés chaque année pourvu qu'ils soient dus pour une année entière

* condamné solidairement la Selarl Les Juristes associés du Sud-Ouest et Me [W] [C] à payer à M. [I] [V] et Madame [T] [L] épouse [V] la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile

* condamné solidairement la Selarl Les Juristes associés du Sud-Ouest et Me [W] [C] aux dépens.

Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu, en substance :

.qu'il n'était pas discuté entre les parties qu'il existait une alternative aux modalités mises en oeuvre en 2009 et 2010 par maître [C], qui eût permis de parvenir à une augmentation de capital avec des conséquences fiscales plus avantageuses pour les cédants

- qu'ayant pour clients les époux [V] depuis plus de vingt ans, maître [C] était nécessairement informé de leur projet de prendre leur retraite, et donc de céder leurs actions à court ou moyen terme

- qu'en tout état de cause, son devoir de conseil lui faisait obligation d'attirer l'attention de ses clients, âgés de 56 et 57 ans en 2009, sur les conséquences fiscales entraînées par l'acte réalisé et notamment sur le fait que les actions nouvelles créées ne bénéficieraient de l'exonération de 100% sur l'impôt sur les plus-values qu'après huit années de détention s'ils souhaitaient les vendre pour leur retraite

- que l'objection tirée par Me [C] de ce que l'unique but recherché par les époux [V] au travers de l'augmentation de capital était de bénéficier d'une exonération de l'impôt sur les grandes fortunes se heurtait au constat que cet avantage supposait de conserver cinq ans les titres avant de les revendre alors qu'ils avaient vendu leurs actions moins de cinq ans plus tard et n'avaient pas bénéficié de cette exonération, ce qui montre que cet avantage n'était pas essentiel à leurs yeux

- qu'en tout état de cause, le manquement à son devoir d'information commis par Me [C] avait empêché M. et Mme [V] de choisir une autre voie

- que leur préjudice subi consistait en la perte de chance d'avoir pu choisir les modalités les plus appropriées à leur situation, et d'opter pour la solution qui leur aurait ouvert le bénéfice d'un abattement de 100% sur les plus-values réalisées au moment de la vente des actions dès lors qu'ils faisaient valoir leurs droits à la retraite

- que le pourcentage de la chance perdue s'évaluait à 90%

- que l'obligation de Me [C] et la Selarl Juristes associés du Sud-Ouest de réparer ce préjudice n'était pas affectée par l'absence de recours des époux [V] contre la décision de rectification fiscale.

[W] [C] et la Selarl Juristes associés du Sud Ouest ont relevé appel le 26avril 2023.

Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique :

* le 13 septembre 2024 par la Selarl Les Juristes associés du Sud-Ouest et Me [W] [C]

* le 18 octobre 2024 par les époux [V].

La Selarl Les Juristes associés du Sud-Ouest et Me [W] [C] demandent à la cour de réformer le jugement en ce qu'il les a condamnés et statuant à nouveau :

- de débouter M. et Mme [V] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions

- de condamner in solidum les époux [V] à leur verser 3.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile

- de les condamner in solidum aux entiers dépens.

Les appelants contestent toute faute en soutenant qu'ils ont été chargés d'une opération qui poursuivait un objectif unique et immédiat, celui de permettre aux époux [V] de bénéficier d'une réduction de leur imposition sur la fortune ; que Me [C] a prévu des modalités d'augmentation du capital qui permettaient d'atteindre cet objectif ; que les époux [V] étaient parfaitement informés de la nécessité pour eux de conserver cinq ans les actions pour en bénéficier comme l'atteste leur signature du certificat de souscription qui vise l'article 885-O V bis du code général des impôts qui pose cette règle à son paragraphe I.

Ils contestent que Me [C] ait eu connaissance d'une perspective de cession des titres, et ils affirment que M. et Mme [V] ne projetaient certainement pas à l'époque de céder leurs actions, d'autant que l'âge légal de la retraite est sans incidence sur la détention d'actions et que de nombreux dirigeants conservent leur entreprise après avoir pris leur retraite; qu'ils venaient de réaliser de lourds travaux en 2011/2012 ; que leur fille était employée comme chef de magasin et que la transmission de l'affaire à celle-ci dans le cadre d'un retrait progressif de l'exploitation était envisageable.

Ils font valoir que le devoir de conseil de l'avocat rédacteur d'un acte porte sur les conséquences directes et immédiates, mais n'implique pas qu'il doive envisager toutes les hypothèses et les événements ultérieurs possibles.

Ils soutiennent qu'il n'existe pas de lien de causalité entre les actes incriminés de 2009/2010 et la rectification fiscale consécutive à la cession des titres opérée en 2013, faisant valoir que l'augmentation de capital n'a pas par elle-même engendré une quelconque imposition supplémentaire ; que c'est la décision des époux [V] de céder leur titre avant l'expiration du délai de conservation prévu par le droit fiscal qui les a soumis à l'imposition sur la plus-value réalisée ; que Me [C] n'est en rien intervenu dans cette cession ; que la question de l'impôt se posait à l'époque de cette cession et qu'elle devait être envisagée avec le cabinet Rouxel qui était en charge de la conduire, et qu'on ignore les conseils qui ont pu être donnés à cette occasion.

Pour le cas où la cour retiendrait toutefois un manquement et un lien de causalité avec le préjudice allégué, les appelants soutiennent subsidiairement que le préjudice subi n'est justifié ni dans son principe ni dans son quantum. Ils soutiennent que les demandeurs commettent une erreur dans le montant de l'impôt sur le revenu retenu ; qu'ils ne prennent pas en compte l'extourne de l'impôt sur le revenu représentatif de la plus-value sur les titres de la SCM des Mousquetaires comprise dans le champ du redressement fiscal alors qu'elle est étrangère au litige ; qu'ils ne prennent pas non plus en compte la plus-value imposable résiduelle en cas de recours à la prime d'émission. Ils évaluent à 1.202.222€ l'assiette du préjudice invocable.

Ils considèrent que le préjudice a la nature d'une perte de chance, celle de ne pas avoir renoncé à l'opération d'augmentation du capital, et donc à l'avantage fiscal obtenu du fait de cette opération, pour bénéficier le jour de la revente d'une exonération d'impôt sur la plus-value; que le pourcentage de 90% fixé par le tribunal est excessif, alors que les époux [V] se sont au surplus privés d'une importante chance de ne pas subir le redressement en ne contestant pas la proposition de rectification, qui pouvait très sérieusement l'être à deux titres.

Les époux [V] demandent à la cour :

- de débouter de toutes leurs prétentions la Selarl Les Juristes associés du Sud-Ouest et Me [W] [C]

- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris

- de condamner solidairement la Selarl Les Juristes associés du Sud-Ouest et Me [W] [C] à leur verser 5.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile

- de les condamner solidairement aux entiers dépens.

Ils font valoir qu'en 2009 et 2010, la valeur de la société était sensiblement la même que celle retenue lors de sa création, en 2012.

Ils soutiennent que l'augmentation de capital aurait dû être réalisée non pas par création d'actions nouvelles au pair mais avec une importante prime d'émission, en créant en 2009 12 actions de 16€ de nominal avec une prime d'émission de 2.029€ par action et en 2010 15 actions de 16€ avec une prime d'émission de 2.031€ en sorte qu'après ces opérations, le capital se serait retrouvé divisé en 2.527 actions et non pas 5.997.

Ils affirment que les choix opéré par Me [C] ont eu pour conséquence que seule la plus-value correspondant aux titres créés en 1992 pouvait bénéficier d'un abattement de 100% alors que la plus-value afférente aux 3.497 actions émises en 2009 et 2010 n'a bénéficié d'aucun abattement.

Ils contestent que Me [C] n'ait pas été informé de leur intention de prendre leur retraite à l'horizon 2012 ou 2013 en rappelant qu'il les suivait depuis 20 ans et qu'ils avaient 58 ans lors des opérations litigieuses d'augmentation de capital.

Ils rejettent l'affirmation des appelants selon laquelle l'opération aurait eu pour but de leur permettre de bénéficier immédiatement d'une réduction de l'impôt de solidarité sur la fortune.

Ils indiquent qu'en tout état de cause, il entrait dans le devoir de conseil de l'avocat de les informer que les actions nouvelles ne bénéficieraient de l'exonération de l'imposition sur les plus-values qu'après huit années de détention.

Ils soutiennent qu'il était possible à Me [C] de concilier l'objectif de réduction de l'impôt sur la fortune avec celui de payer le moins possible d'impôt sur les plus-values le jour de la revente quelle que soit la date de cette revente, en faisant en sorte que le nombre d'actions nouvelles soit le moins important possible, de façon qu'en cas de vente avant l'expiration de ce délai, le nombre d'actions ne bénéficiant pas du régime d'exonération soit limité au maximum.

Ils affirment qu'il existe bien un lien de causalité entre le manquement de Me [C] et la rectification fiscale qu'ils ont subie, en rappelant que le principe d'équivalence des conditions selon lequel toute cause est à l'origine de l'intégralité du dommage s'applique en matière de responsabilité pour faute, et qu'il a rendu imposable leur plus-value par sa faute. Ils tiennent pour un sophisme de soutenir que la cause de leur préjudice serait l'acte de cession. Ils ajoutent qu'ils ne demandent pas aux appelants de prendre en charge les pénalités et indemnités de retard que le fisc leur a réclamées, pour lesquelles ils ont recherché avec succès en justice la responsabilité du cabinet [K] en charge de procéder à la déclaration de leurs revenus.

Ils font valoir que la chance perdue ne réside pas dans l'objectif qu'ils poursuivaient mais dans la faute de leurs conseils. Ils estiment qu'elle est en réalité de 100%.

L'ordonnance de clôture est en date du 7 novembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Les époux [V] recherchent la responsabilité contractuelle de Me [C] et de la Selarl Les Juristes Associés du Sud-Ouest, qui a été leur avocat pendant plus de vingt ans entre 1992 et 2014, et les a conseillés et assistés dans le cadre de leur vie personnelle et familiale comme professionnelle, notamment la constitution des sociétés holding et d'exploitation de la grande surface alimentaire qu'ils ont créée.

C'est maître [C] qui a conçu et mis en actes en juin 2009 puis juin 2010 l'augmentation de capital de la société Socidis dont ils détenaient tous deux la quasi-totalité des titres, et qui a pris la forme de l'émission de 1570 actions nouvelles le 3 juin 2009 et de 1919 actions nouvelles le 7 juin 2010.

À l'issue de ces deux augmentations, le capital, initialement divisé en 2.500 actions, se trouvait divisé en 5.997 actions dont 5.996 détenues par les deux époux, 4.774 le mari et 1.222 la femme.

Tous deux ont cédé l'intégralité de leurs actions selon un protocole du 11 septembre 2012 à un prix arrêté en définitive à 5.037.534€ intégralement payé au 25 juillet 2013.

L'administration fiscale a soumis à l'impôt sur la plus-value ceux des titres cédés qui avaient été créés par les augmentations de capital de 2009 et 2010, en retenant qu'ils ne pouvaient bénéficier du régime de faveur applicable aux dirigeants de PME partant à la retraite faute d'avoir été détenus au moins huit années.

Les époux [V] ont ainsi acquitté un impôt sur cette plus-value.

Ils recherchent la responsabilité de Me [C] et de la Selarl Les Juristes Associés du Sud-Ouest en leur reprochant de leur avoir fait perdre une chance d'être substantiellement exonérés d'impôt sur la plus-value en ne leur ayant pas proposé une modalité d'augmentation du capital différente qui leur aurait ouvert le bénéfice d'un abattement de 100% sur les plus-values réalisées sur la vente des actions au moment de prendre leur retraite.

Ils soutiennent, plus précisément, qu'il existait une alternative à la création d'actions nouvelles au pair réalisée en 2009/2010, consistant à créer un très petit nombre d'actions nouvelles -12 en 2009, puis 15 en 2010- de 16€ de nominal assorties chacune d'une importante prime d'émission, à savoir 2.029€ par action pour la première et 2.031€ pour la seconde en sorte qu'après ces opérations, le capital se serait retrouvé divisé en 2.527 actions et non pas 5.997.

Pas plus qu'en première instance, Me [C] et la Selarl Les Juristes Associés du Sud-Ouest ne contestent la possibilité d'avoir recouru en 2009/2010 à une telle solution alternative à celle qu'ils ont préconisée et mise en oeuvre, ni ne réfutent son caractère fiscalement beaucoup plus avantageux en cas de cession des titres avant huit années.

Ils objectent avoir satisfait par cette modalité le souhait des époux [V] de bénéficier d'une réduction de l'impôt de solidarité sur la fortune, et n'avoir pas su ni eu de raison de penser qu'ils céderaient leurs titres avant l'expiration du délai de conservation de huit années auquel était conditionné l'abattement maximal d'imposition de la plus-value.

L'avocat, conseiller juridique et fiscal, est tenu d'une obligation particulière d'information vis-à-vis de son client, laquelle comporte le devoir de s'informer de l'ensemble des conditions de l'opération pour laquelle son concours est demandé, et il lui incombe de prouver qu'il a exécuté cette obligation.

La perspective qu'[I] [V] et [T] [L] épouse [V], respectivement âgés de 57 et 56 ans en 2009, se retirent de l'exploitation de l'hypermarché et cèdent pour cela les actions de la société dans les huit années à venir constituait une hypothèse réaliste et en tout cas possible qu'il entrait dans les devoirs de l'avocat d'envisager, et d'évoquer avec eux, ce que les appelants ne prouvent ni ne prétendent avoir fait.

Ils ne sont pas fondés à soutenir avoir pu ne pas le faire au vu de l'âge des intéressés, qui était compatible avec une prise de retraite avant l'expiration d'un délai de huit années, non plus qu'au vu des travaux réalisés dans le magasin, qui le furent selon leurs propres indications en 2010 et 2011 après donc la mise en place de l'augmentation de capital litigieuse, les perspectives de transmission de l'affaire à leur fille, qu'ils évoquent aussi, n'étant pas documentées et ne présentant en tout état de cause aucune certitude qui aurait rendu inutile d'envisager une autre modalité d'augmentation du capital.

En tout état de cause, l'exercice de leur devoir de conseil faisait obligation aux appelants de soumettre à leurs clients cette problématique fiscale de la conservation des titres, de s'enquérir de leurs intentions ou absence de décision à ce sujet, et de leur soumettre les différentes options existant pour réaliser l'augmentation de capital souhaitée, afin de leur permettre d'arbitrer entre les avantages fiscaux respectifs de chacune des solutions envisageables, ce qu'ils ne justifient ni ne prétendent avoir fait.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il retient, par des motifs pertinents, qu'ils ont en cela manqué à leur devoir de conseil.

Me [C] et la Selarl Les Juristes Associés du Sud-Ouest ne sont pas fondés à soutenir que ce manquement serait sans lien direct de causalité avec le préjudice invoqué parce que celui-ci ne résulterait pas de l'augmentation de capital à laquelle ils avaient prêté la main mais de la cession des titres à laquelle leur cabinet était resté étranger.

Le préjudice tient, en effet, non à la cession des titres, mais à l'imposition de la plus-value à laquelle elle a donné lieu, laquelle est directement la conséquence des modalités qu'avait prise l'augmentation de capital.

Il est, par ailleurs, inopérant pour les appelants, car sans incidence sur leur responsabilité et le préjudice causé par leur manquement, d'arguer du rôle tenu par l'expert-comptable dans l'établissement des actes de cession des titres de la société, cette cession ayant été négociée et conclue en 2012, deux et trois ans après l'opération d'augmentation de capital dont les modalités sont litigieuses, et qui était accomplie sans qu'il soit établi que ledit expert-comptable, qui n'est au demeurant pas dans la cause, y ait participé.

Ce préjudice a, comme l'ont retenu les premiers juges, la nature d'une perte de chance, celle pour M. et Mme [V] d'avoir pu choisir une modalité d'augmentation de capital les prémunissant contre cette imposition des plus-values en cas de cession de leurs titres dans les années suivantes.

Il est, comme tel, actuel, direct et certain, et les premiers juges ont pertinemment rejeté l'objection tirée de l'absence de contestation en justice du redressement fiscal.

Les époux [V], tout en écrivant qu'ils estiment la chance perdue en réalité à 100% , sollicitent la confirmation du jugement qui l'a estimée à 90%.

En l'absence d'éléments sur les objectifs ou perspectives qui étaient ceux des époux [V] en 2009, et au vu de ce qu'une période de huit années de conservation des titres ne les aurait conduits qu'à l'âge de soixante-cinq ans et qu'ils engagèrent d'importants investissements dans les années suivant l'augmentation de capital, la chance perdue de n'avoir pas pu choisir le terme de l'option qui ne requérait pas de conservation des titres mais les exposait à une imposition immédiate significative s'apprécie à 70%, le jugement étant réformé sur ce point.

L'assiette du calcul de ce préjudice a été pertinemment chiffrée par les premiers juges à 1.202.222€ en tenant compte, ce que les intimés ne discutent pas, de l'incidence à exclure de la plus-value de cession des parts de la SCM des Mousquetaires, et de l'imposition à laquelle aurait donné lieu la plus-value réalisée sur les 27 nouvelles actions que l'option omise supposait de créer.

Les intimés, qui sollicitent la confirmation du jugement, acceptent ce calcul, et les appelants le retiennent comme le préjudice allégable dans le cadre de leur argumentation subsidiaire (cf page 23 de leurs conclusions).

[W] [C] et la Selarl Les Juristes Associés du Sud-Ouest seront ainsi, par réformation du jugement, condamnés à verser aux époux [V], ensemble, la somme de (1.202.222 x 70%) = 851.555,40€.

Les chefs de décision du jugement relatifs à la capitalisation, aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile sont pertinents et adaptés et seront confirmés.

Au vu du sens du présent arrêt, qui rejette leur demande de mise hors de cause pure et simple, Me [C] et la Selarl Les Juristes Associés du Sud-Ouest supporteront les dépens d'appel et verseront une indemnité pour frais irrépétibles aux intimés.

PAR CES MOTIFS

la cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:

CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il retient une perte de chance de 90% et chiffre en conséquence à 1.081.999 € le montant de la condamnation mise à la charge de Me [C] et de la Selarl Les Juristes Associés du Sud-Ouest

statuant à nouveau de ce chef :

CONDAMNE solidairement [W] [C] et la Selarl Les Juristes Associés du Sud-Ouest à payer aux époux [V] la somme de 851.555,40€ en réparation du préjudice de perte de chance qu'ils leur ont causé en ayant manqué à leur devoir de conseil

ajoutant :

REJETTE toutes demandes autres, contraires ou plus amples

CONDAMNE solidairement [W] [C] et la Selarl Les Juristes Associés du Sud-Ouest aux dépens d'appel

CONDAMNE solidairement [W] [C] et la Selarl Les Juristes Associés du Sud-Ouest à payer aux époux [V] la somme de 5.000€ au titre de l'application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel

ACCORDE à Me SAUBOLE, avocat, le bénéfice de la faculté prévue à l'article 699 du code de procédure civile.

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