CA Rouen, ch. soc., 25 mars 2025, n° 23/02998
ROUEN
Arrêt
Autre
N° RG 23/02998 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JOOS
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 25 MARS 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 07 Août 2023
APPELANT :
Monsieur [M] [I]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
comparant en personne, représenté par Me Bertrand FISCEL, avocat au barreau de ROUEN
INTIMÉES :
Société PROMAN 052
[Adresse 4]
[Adresse 4]
représentée par Me Christine ANDREANI de la SELARL JURIS VIEUX PORT, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Manuel CULOT, avocat au barreau de MARSEILLE
Société ARLANXEO ELASTOMÈRES FRANCE SAS
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Cyprien PIALOUX de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 08 Janvier 2025 sans opposition des parties devant Madame DE BRIER, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame DE BRIER, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 08 janvier 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 06 mars 2025 puis prorogée au 25 mars 2025
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 25 Mars 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES
M. [M] [I], salarié successivement de plusieurs sociétés de travail intérimaire du groupe Proman (Proman 134 puis Proman 052), a été mis à disposition de la société Lanxess Elastomeres, désormais dénommée société Arlanxeo Elastomeres France (SAS), dans le cadre de multiples contrats de mission dont le premier a débuté le 1er février 2016 et le dernier s'est achevé le 20 septembre 2022.
Revendiquant l'existence d'un contrat de travail entre lui et la société Arlanxeo Elastomeres, M. [I] a, par requête reçue au greffe le 5 avril 2023, saisi le conseil de prud'hommes du Havre qui, par jugement du 7 août 2023, a :
- jugé infondée la demande de M. [I] tendant à ce que le conseil saisisse la Cour de justice de l'Union Européenne d'une question préjudicielle afin qu'elle juge si l'article L1235-3 du code du travail (barème dit "Macron") était conforme à l'article 24b de la Charte sociale européenne,
- débouté M. [I] de cette demande de question préjudicielle,
- jugé que l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 avait porté de 2 ans à 12 mois le délai de prescription des actions relatives à la rupture du contrat de travail (L. 1471-1 du code du travail),
- jugé que M. [I] avait saisi le conseil de prud'hommes du Havre le 5 avril 2023, soit postérieurement à la publication de l'ordonnance instaurant la prescription de 12 mois, qui était applicable à son action,
- jugé que les contrats de missions antérieurs au 5 avril 2022 étaient prescrits et ne pouvaient pas faire l'objet d'une demande de requalification en contrat à durée indéterminée de la part de M. [I],
- jugé que pour les périodes du 1er février 2016 au 4 avril 2022, les contrats de missions étaient prescrits, ainsi que pour la période du 5 avril 2022 au 20 septembre 2022, et qu'il s'agissait de contrats de missions parfaitement valables et réguliers,
- jugé que M. [I] n'apportait aucun élément de preuve à l'appui de ses demandes qui n'étaient pas justifiées en violation de l'article 1353 du code civil,
- débouté M. [I] de sa demande de requalification des missions d'intérim au sein de la société Arlanxeo Elastomeres France en un contrat à durée indéterminée pour la période du 1er février 2016 au 20 septembre 2022 et de condamnation de cette dernière à lui verser la somme de 3 467,17 euros,
- jugé que M. [I] ne formait aucun grief et aucune demande à l'encontre de la société Proman 052,
- prononcé la mise hors de cause de la société Proman 052,
- débouté M. [I] de l'intégralité de ses autres demandes, fins et conclusions liées à la demande de requalification de ses missions d'intérim au sein de la société Arlanxeo Elastomeres France en un contrat à durée indéterminée pour la période du 1er février 2016 au 20 septembre 2022,
- laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens,
- laissé à chaque partie la charge de ses propres frais irrépétibles.
Le 30 août 2023, M. [I] a fait appel de ce jugement sauf en ce qu'il a :
- jugé que l'ordonnance du 22 septembre 2017 avait porté de 2 ans à 12 mois le délai de prescription des actions relatives à la rupture du contrat de travail,
- jugé que M. [I] avait saisi le conseil de prud'hommes postérieurement à la publication de l'ordonnance instaurant la prescription de 12 mois, qui était applicable à son action.
Par dernières conclusions du 4 décembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, M. [I] demande à la cour de :
- poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union Européenne afin qu'elle juge si l'article L. 1235-3 du code du travail est conforme à l'article 24 b de la Charte sociale européenne,
- constater que le jugement entrepris a été rendu en violation du principe du contradictoire, et en conséquence infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- infirmer le jugement dans les termes de la déclaration d'appel et :
- juger que la mise en cause de la société Proman était 052 recevable et fondée,
- retenir comme salaire de base la somme de 2 813,48 euros (151,67 x 18,55) avec une prime de poste mensuelle de 562,69 euros et une prime de vacances mensuelle de 91 euros, sous réserve que les accords d'entreprise ne prévoient pas une rémunération supérieure pour son poste d'opérateur de fabrication,
- juger que l'établissement de registres uniques du personnel différents au sein d'un même site pour les intérimaires et pour les salariés de la société Arlanxeo est irrégulier,
- constater que les intérimaires de la société Crit Interim ne figuraient pas sur les registres uniques du personnel de la société Arlanxeo,
- requalifier ses missions d'intérim au sein de la société Arlanxeo Elastomeres France en un contrat à durée indéterminée pour la période du 1er février 2016 au 20 septembre 2022,
- condamner la société Arlanxeo Elastomeres France à lui verser la somme de 3 467,17 euros au titre de l'indemnité de requalification,
- juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner en conséquence la société Arlanxeo Elastomeres France à lui verser les sommes suivantes :
- 27 737,36 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 5 634,15 euros à titre d'indemnité légale de licenciement
- 6 934,34 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 693,43 euros au titre des congés payés afférents
- 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- débouter les sociétés Arlanxeo Elastomeres France et Proman de toutes leurs demandes à son encontre,
- condamner la société Arlanxeo Elastomeres France aux dépens.
Par dernières conclusions du 18 décembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société Arlanxeo Elastomeres France demande à la cour de :
1/ "à titre liminaire tout d'abord" :
- juger que le jugement a été rendu dans le respect du contradictoire,
- débouter M. [I] de sa demande d'infirmation du jugement sur le fondement de l'article 16 du code de procédure civile,
2/ en tout état de cause :
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
- jugé infondée la demande de M. [I] tendant à ce que le conseil saisisse la Cour de justice de l'Union Européenne d'une question préjudicielle afin qu'elle juge si l'article L1235-3 du code du travail (barème dit "Macron") était conforme à l'article 24b de la Charte sociale européenne,
- débouté M. [I] de cette demande de question préjudicielle,
- jugé que l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 avait porté de 2 ans à 12 mois le délai de prescription des actions relatives à la rupture du contrat de travail (L. 1471-1 du code du travail),
- jugé que M. [I] avait saisi le conseil de prud'hommes du Havre le 5 avril 2023, soit postérieurement à la publication de l'ordonnance instaurant la prescription de 12 mois, qui était applicable à son action,
- jugé que les contrats de missions antérieurs au 5 avril 2022 étaient prescrits et ne pouvaient pas faire l'objet d'une demande de requalification en contrat à durée indéterminée de la part de M. [I],
- jugé que pour les périodes du 1er février 2016 au 4 avril 2022, les contrats de missions étaient prescrits, ainsi que pour la période du 5 avril 2022 au 20 septembre 2022, et qu'il s'agissait de contrats de missions parfaitement valables et réguliers,
- jugé que M. [I] n'apportait aucun élément de preuve à l'appui de ses demandes qui n'étaient pas justifiées en violation de l'article 1353 du code civil,
- débouté M. [I] de sa demande de requalification des missions d'intérim au sein de la société Arlanxeo Elastomeres France en un contrat à durée indéterminée pour la période du 1er février 2016 au 20 septembre 2022 et de condamnation de cette dernière à lui verser la somme de 3 467,17 euros,
- débouté M. [I] de l'intégralité de ses autres demandes, fins et conclusions liées à la demande de requalification de ses missions d'intérim au sein de la société Arlanxeo Elastomeres France en un contrat à durée indéterminée pour la période du 1er février 2016 au 20 septembre 2022,
- infirmer le jugement en ce qu'il a :
- laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens,
- laissé à chaque partie la charge de ses propres frais irrépétibles.
"en conséquence et statuant à nouveau" :
3/ "à titre liminaire ensuite" :
- juger infondée la demande de M. [I] relative à la question préjudicielle,
- rejeter la demande de transmission d'une question préjudicielle à la CJUE,
4/ "à titre liminaire enfin" :
sur la prescription de 12 mois :
- juger que l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 a porté de 2 ans à 12 mois le délai de prescription des actions relatives à la rupture du contrat de travail (L. 1471-1 du code du travail),
- juger que M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes le 5 avril 2023, soit postérieurement à la publication de l'ordonnance instaurant la prescription de 12 mois, qui est applicable à son action,
- juger que les contrats de mission antérieurs au 5 avril 2022 sont prescrits et ne peuvent pas faire l'objet d'une demande de requalification en contrat à durée indéterminée,
- juger que toutes ses demandes afférentes à la période antérieure au 5 avril 2022 sont prescrites, y compris sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
à défaut, si la cour considérait que la prescription de 12 mois n'est pas applicable, sur la prescription de deux ans :
- juger que la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 a porté de 5 à 2 ans le délai de prescription des actions relatives à l'exécution ou à la rupture du contrat de travail,
- juger que M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes le 5 avril 2023, soit postérieurement à la promulgation de la loi instaurant la prescription de 2 ans, qui est applicable à son action,
- juger que les contrats de mission antérieurs au 5 avril 2021 sont prescrits et ne peuvent pas faire l'objet d'une demande de requalification en contrat à durée indéterminée,
- juger que les demandes afférentes à la période antérieure au 5 avril 2021 sont prescrites,
5/ à titre principal :
- juger que M. [I] n'apporte aucun élément de preuve à l'appui de ses demandes qui ne sont pas justifiées en violation de l'article 1353 du code civil,
- juger que les missions de travail temporaire effectuées par M. [I] sont parfaitement régulières, justifiées et conformes aux dispositions légales en vigueur,
- juger que M. [I] n'a jamais occupé un poste lié à l'activité normale et permanente de la société Arlanxeo,
- juger que M. [I] ne s'est jamais tenu à sa disposition pendant les périodes intermédiaires (ou interstitielles) des contrats de mission,
- juger qu'aucune requalification des contrats de mission ne saurait intervenir avec elle,
- en conséquence, débouter M. [I] de l'intégralité de ses demandes,
6/ à titre subsidiaire, si la cour requalifiait les contrats de mission en un contrat à durée indéterminée :
- la condamner solidairement avec la société d'intérim Proman à régler les éventuelles condamnations prononcées en faveur de M. [I], ou, à défaut, condamner la société d'intérim Proman à garantir les condamnations qui seraient mises à sa charge,
- ramener les demandes de condamnations formées par M. [I] à de plus justes proportions,
7/ en tout état de cause et à titre reconventionnel :
- débouter M. [I] de ses demandes,
- condamner M. [I] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens.
Par dernières conclusions du 18 décembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens, la SAS Proman 052 demande à la cour de :
à titre principal :
- rejeter la demande préjudicielle de M. [I], qui est sans objet,
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que M. [I] ne formait aucun grief et aucune demande à son encontre ainsi qu'en ce qu'il a prononcé sa mise hors de cause,
- prononcer en conséquence sa mise hors de cause,
en tout état de cause :
- déclarer irrecevable la demande de condamnation in solidum, ou d'appel en garantie à titre subsidiaire, formée par la Société Arlanxeo, qui ne repose sur aucun fondement,
- en conséquence débouter la société Arlanxeo de cette demande.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 décembre 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
A titre liminaire, M. [I] ne peut solliciter l'infirmation de la totalité du jugement alors que sa déclaration d'appel ne comporte qu'une demande d'infirmation du jugement en visant seulement certaines de ses dispositions et qu'il n'a pas procédé à une déclaration d'appel rectificative. En tout état de cause, la violation du principe du contradictoire dont il se prévaut n'est pas susceptible d'entraîner l'infirmation du jugement, la seule sanction possible étant l'annulation de celui-ci, qui en l'occurrence n'est pas visée dans la déclaration d'appel et n'est pas demandée dans le dispositif des conclusions qui seul saisit la cour en application de l'article 954 du code de procédure civile.
Il est donc débouté de cette demande.
I. Sur la demande de mise hors de cause de la société Proman 052
S'il est exact que M. [I] ne formule aucune prétention à l'encontre de la société Proman 052 et que seul le salarié peut se prévaloir de la requalification de son contrat de travail, il est pour autant considéré que la relation de travail intérimaire est une relation tripartite engageant le salarié, l'entreprise utilisatrice et l'entreprise de travail temporaire, et noté que la société Arlanxeo Elastomères France, entreprise utilisatrice, formule des prétentions (condamnation solidaire et appel en garantie) à l'encontre de la société Proman 052.
Il n'y a donc pas lieu de mettre celle-ci hors de cause. Le jugement est infirmé en ce sens.
II. Sur la demande de requalification en CDI des missions d'intérim du 1er février 2016 au 20 septembre 2022 et sur la demande d'indemnité afférente
En vertu de l'article L. 1251-1 du code du travail, le recours au travail temporaire a pour objet la mise à disposition temporaire d'un salarié par une entreprise de travail temporaire au bénéfice d'un client utilisateur pour l'exécution d'une mission.
Chaque mission donne lieu à la conclusion :
1° D'un contrat de mise à disposition entre l'entreprise de travail temporaire et le client utilisateur, dit " entreprise utilisatrice " ;
2° D'un contrat de travail, dit " contrat de mission ", entre le salarié temporaire et son employeur, l'entreprise de travail temporaire.
En application de l'article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.
L'article L. 1251-6 dans ses versions successivement applicables au litige ajoute qu'il ne peut en principe être fait appel à un salarié temporaire que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée "mission" et seulement dans certains cas précisément visés, tels que, notamment, :
- le remplacement d'un salarié en cas d'absence ;
- l'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise.
En application des articles L. 1251-16 et L. 1251-17 et L. 1251-43 du code du travail, le contrat de mission est établi par écrit, comporte notamment le motif pour lequel il est fait appel au salarié temporaire, assortie de justifications précises, et il est transmis au salarié au plus tard dans les deux jours ouvrables suivant sa mise à disposition.
Mais en vertu de l'article L. 1251-40, la méconnaissance de l'obligation de transmission du contrat de mission au salarié dans le délai précité ne saurait, à elle seule, entraîner la requalification en contrat à durée indéterminée. Elle ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.
Sur le fondement des articles L. 1251-39 et L. 1251-40 du code du travail :
- le salarié temporaire est réputé lié à l'entreprise utilisatrice par un contrat de travail à durée indéterminée lorsque celle-ci continue de le faire travailler après la fin de sa mission sans avoir conclu avec lui un contrat de travail ou sans nouveau contrat de mise à disposition ;
- il peut faire valoir auprès d'elle les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission lorsqu'elle a eu recours à lui en méconnaissance de certaines dispositions précisément visées dont, notamment, les dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7.
1- sur la recevabilité de la demande
L'action en requalification d'un contrat de travail intérimaire en contrat de travail à durée indéterminée portant sur l'exécution du contrat de travail, et non sur la rupture de celui-ci, le délai de prescription applicable à l'action est de deux ans en application de l'article L. 1471-1 du code du travail, tant dans sa version antérieure que postérieure à l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017.
Selon ce même article, quel qu'en soit la version, le point de départ de ce délai biennal correspond au jour à compter duquel celui qui exerce l'action a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
Ainsi, le délai de prescription d'une action en requalification d'un contrat de mission en contrat à durée indéterminée court, lorsque cette action est fondée sur l'absence d'établissement d'un écrit, à compter de l'expiration du délai de deux jours ouvrables imparti à l'employeur pour transmettre au salarié le contrat de travail ; lorsqu'elle est fondée sur l'absence d'une mention au contrat susceptible d'entraîner sa requalification, à compter de la conclusion de ce contrat ; lorsqu'elle est fondée sur le non-respect du délai de carence entre deux contrats, à compter du premier jour d'exécution du second des contrats ; lorsqu'elle est fondée sur le motif du recours au contrat de mission énoncé au contrat, à compter du terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, du terme du dernier contrat.
Il est admis que, la requalification en contrat à durée indéterminée pouvant porter sur une succession de contrats séparés par des périodes d'inactivité, ces dernières n'ont pas d'effet sur le point de départ du délai de prescription.
Dès lors, étant rappelé que M. [I] a engagé son action en requalification le 5 avril 2023, son action, en ce qu'elle est fondée sur une absence de contrat écrit (ou non signé) ou sur une remise tardive du contrat écrit, est prescrite pour les contrats ayant pris effet avant le 3 avril 2021.
En ce qu'elle est fondée sur l'irrespect d'un délai de carence, son action est prescrite pour tout contrat ayant pris effet en violation de ce délai avant le 5 avril 2021.
En revanche, étant rappelé que le dernier contrat de mission s'est achevé le 20 septembre 2022, l'action de M. [I] est recevable pour l'ensemble de la période litigieuse en ce qu'elle est fondée sur le motif du recours aux contrats de mission, qu'il s'agisse pour le salarié de contester l'accroissement temporaire d'activité allégué au contrat ou plus généralement de soutenir que les contrats visaient à pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.
Le jugement est infirmé en ce sens.
2- sur le bien- fondé de la demande
L'obligation de remise d'un contrat écrit de mission, auquel est assimilé un contrat non signé des deux parties, incombe, selon l'article L. 1251-16 précité du code du travail, à l'entreprise de travail temporaire. Les dispositions des articles L. 1251-39 et L. 1251-40 du même code ne permettent pas au salarié intérimaire d'invoquer la violation par l'entreprise de travail temporaire des prescriptions de l'article L. 1251-16 de ce code, pour faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits afférents à un contrat à durée indéterminée. L'inobservation de l'obligation de remise d'un contrat écrit de mission incombant à la société Proman 052, ses moyens afférents sont inopérants dans son action dirigée contre la société Arlanxeo Elastomères France.
Quant à la transmission tardive d'un contrat de mission écrit, non seulement elle incombe également à l'entreprise de travail temporaire, mais, en tout état de cause, elle n'est pas susceptible d'entraîner la requalification en contrat à durée indéterminée, et ce en application des articles L. 1251-16 et L. 1251-17 et L. 1251-43 précités du code du travail.
L'éventuel non-respect d'un délai de carence, strictement entendu, n'est pas spécifiquement visé aux articles L. 1251-39 et L. 1251-40 du code du travail, mais entre dans l'appréciation du respect des dispositions de l'article L. 1251-5 interdisant de pourvoir durablement, par un contrat de mission, un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.
Il résulte des articles L. 1251-5 du code du travail, L. 1251-6 du même code, dans sa rédaction applicable, et de l'article 1315 ancien, devenu 1353, du code civil, qu'en cas de litige sur le motif de recours au travail temporaire, il incombe à l'entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat.
En l'espèce, la société Arlanxeo Elastomères France, qui admet l'existence de cinq missions d'intérim en raison d'un accroissement temporaire d'activité, dont le premier ayant pris effet le 1er février 2016, au début de la période litigieuse, ne justifie pas de la réalité de ce motif, ne se prévalant d'aucune pièce à cet égard et se contentant de procéder par affirmations. Elle en justifie d'autant moins que, d'une part, ce contrat de mission temporaire d'une durée de deux jours évoque plus particulièrement comme "motif et justification du recours" : "accroissement temporaire d'activité. Accueil Lanxess + formation au poste d'opérateur", sans plus de précision sur l'accroissement d'activité considéré, et alors qu'un accueil et une formation ne peuvent être assimilés à un accroissement temporaire d'activité ; et que, d'autre part, le deuxième contrat, ayant pris effet le 8 février 2016, est déjà justifié par le remplacement d'un salarié en arrêt maladie selon les indications mêmes de la société Arlanxeo Elastomères France.
Dès lors, c'est à bon droit que M. [I] sollicite la requalification de la relation de travail avec la société Arlanxeo Elastomères France en contrat de travail à durée indéterminée, et cela dès le 1er février 2016. Le jugement est infirmé en ce sens.
En application de l'article L. 1251-41 du code du travail, le salarié dont le contrat de mission est requalifié en contrat de travail à durée indéterminée perçoit une indemnité, à la charge de l'entreprise utilisatrice, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. Cette disposition s'applique sans préjudice de l'application des dispositions du titre III du présent livre relatives aux règles de rupture du contrat de travail à durée indéterminée.
L'indemnité de requalification prévue par l'article L. 1251-41 du code du travail doit être calculée sur le salaire de base mais aussi sur les accessoires du salaire, de sorte que c'est à bon droit que M. [I] intègre à son calcul les primes de poste et de vacances, ce qui au demeurant n'est pas véritablement contesté par l'entreprise utilisatrice.
Le montant minimum de l'indemnité de requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée est calculé selon la moyenne effective de salaire mensuel dû au titre du contrat dans le dernier état de la relation de travail avant la saisine de la juridiction prud'homale.
M. [I] ne peut se prévaloir, pour le calcul de l'indemnité, d'un "contrat à durée déterminée à temps plein" dès lors que la requalification de contrats de mission en un contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme des contrats et non sur la durée du travail. Sous couvert d'une demande de prise en considération d'un "contrat à durée déterminée à temps plein", il apparaît en réalité que M. [I] - qui calcule son salaire mensuel moyen en multipliant son taux horaire (majoré des primes) par 151,67 heures par mois alors que ses contrats ont pu être séparés de périodes non travaillées - demande à ce que les périodes interstitielles entre deux contrats précaires soient considérées comme travaillées alors qu'il convient de déterminer la moyenne effective des salaires perçus.
Au vu des éléments produits, qui permettent d'évaluer la moyenne de salaire mensuel à la somme de 1 113,03 euros brut, la société Arlanxeo Elastomères France est condamnée à lui payer une indemnité de 1 500 euros.
III. Sur la rupture de la relation de travail et les demandes pécuniaires afférentes
1- sur les indemnités de fin de contrat
La relation de travail requalifiée en contrat à durée indéterminée ayant de fait pris fin, sans respect d'une procédure de licenciement, M. [I] peut prétendre aux indemnités de rupture.
Seule l'action en paiement d'une indemnité étant susceptible de prescription, et non les contrats ou périodes litigieuses comme le soutient en substance la société Arlanxeo Elastomères France dans le corps de ses conclusions, c'est vainement qu'elle se prévaut d'une prescription des "demandes afférentes à la période" antérieure au 4 avril 2022 ou au 4 avril 2021 pour réduire l'ancienneté du salarié et, par suite, le montant de l'indemnité.
A supposer que la société utilisatrice se prévale de la prescription de l'action en paiement des indemnités de fin de contrat, il est précisé que celle-ci n'est nullement acquise dès lors que l'action a été engagée en avril 2023, soit moins d'un an après la rupture de la relation de travail, s'agissant de la demande d'indemnité de licenciement, et moins de trois ans après cette date, s'agissant de demande d'indemnité compensatrice de préavis.
Dès lors que celui-ci peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits afférents à un contrat à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière, son ancienneté est évaluée à 6 ans et 7 mois.
Compte tenu de son salaire de référence, il est en droit de percevoir la somme de 1 831,88 euros à titre d'indemnité légale de licenciement.
En outre, il y a lieu de condamner la société Arlanxeo Elastomères France à payer à M. [I] la somme de 2 226,06 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 222,61 euros au titre des congés payés afférents.
2- sur la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
a. sur la prescription de la demande
Il est admis, ainsi que l'énonce d'ailleurs la société Arlanxeo Elastomères France, que la durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l'action en paiement de dommages-intérêts en raison d'un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, fût-elle due à la requalification de contrats de mission en contrat à durée indéterminée, est soumise à la prescription de l'article L. 1471-1 du code du travail se rapportant à la rupture du contrat de travail.
Selon l'article L. 1471-1 alinéa 2 du code du travail, toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.
M. [I] ayant engagé le 5 avril 2023 son action en paiement de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, intervenu le 20 septembre 2022, son action est parfaitement recevable.
b. sur la demande de question préjudicielle à la CJUE
La relation de travail requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée ayant pris fin sans respect des règles relatives au licenciement, et notamment sans notification par écrit à M. [I] des motifs de la rupture, le licenciement se trouve dépourvu de cause réelle et sérieuse, ce qui justifie que lui soit accordé, outre les indemnités de rupture, une indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version en vigueur depuis le 1er avril 2018, en l'absence de réintégration dans l'entreprise du salarié licencié pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge lui octroie une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre 3 et 7 mois de salaire brut selon le premier tableau figurant à cet article, compte tenu de l'ancienneté du salarié.
M. [I] demande à la présente cour de poser une question préjudicielle en interprétation de la Charte sociale européenne, plus précisément de son article 24 qui énonce que "en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître : [;..] b. le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. [...]"
Il considère en effet que l'article L. 1235-3 précité du code du travail prévoyant un plafonnement de l'indemnisation relative à la perte abusive de son emploi par un salarié pose la question de sa conformité, notamment, à la Charte des droits sociaux prévoyant le principe d'une réparation appropriée ou adéquate.
Il estime que la Cour de cassation a commis une erreur de droit en retenant dans ses arrêts du 11 mai 2022 que cette Charte ne serait pas d'application directe en droit français, et qu'il importe que ce débat soit enfin tranché par la Cour de justice de l'Union européenne.
Selon l'article 267 traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :
a) sur l'interprétation des traités,
b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.
La CJUE ne peut statuer sur la demande de décision préjudicielle que si le droit de l'Union est applicable à l'affaire en cause au principal.
Or, dans la partie I de la Charte sociale européenne, « les Parties reconnaissent comme objectif d'une politique qu'elles poursuivront par tous les moyens utiles, sur les plans national et international, la réalisation de conditions propres à assurer l'exercice effectif des droits et principes » ensuite énumérés, parmi lesquels figure le droit des travailleurs à une protection en cas de licenciement.
L'annexe de la Charte sociale européenne précise qu'il « est entendu que l'indemnité ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement sans motif valable doit être déterminée par la législation ou la réglementation nationales, par des conventions collectives ou de toute autre manière appropriée aux conditions nationales. »
L'article 24 précité figure dans la partie II de la Charte sociale européenne qui indique que « les Parties s'engagent à se considérer comme liées, ainsi que prévu à la partie III, par les obligations résultant des articles et des paragraphes » qu'elle contient.
Dans la Partie III de la Charte, il est indiqué que « chacune des Parties s'engage :
a) à considérer la partie I de la présente Charte comme une déclaration déterminant les objectifs dont elle poursuivra par tous les moyens utiles la réalisation, conformément aux dispositions du paragraphe introductif de ladite partie ;
b) à se considérer comme liée par six au moins des neuf articles suivants de la partie II de la Charte : articles 1, 5, 6, 7, 12, 13, 16, 19 et 20 ;
c) à se considérer comme liée par un nombre supplémentaire d'articles ou de paragraphes numérotés de la partie II de la Charte, qu'elle choisira, pourvu que le nombre total des articles et des paragraphes numérotés qui la lient ne soit pas inférieur à seize articles ou à soixante-trois paragraphes numérotés. »
Il résulte de la loi n° 99-174 du 10 mars 1999, autorisant l'approbation de la Charte sociale européenne, et du décret n° 2000-110 du 4 février 2000 que la France a choisi d'être liée par l'ensemble des articles de la Charte sociale européenne.
L'article I de la partie V de la Charte sociale européenne, consacrée à la « mise en ''uvre des engagements souscrits » prévoit que « les dispositions pertinentes des articles 1 à 31 de la partie II de la présente Charte sont mises en 'uvre par :
a) la législation ou la réglementation ;
b) des conventions conclues entre employeurs ou organisations d'employeurs et organisations de travailleurs ;
c) une combinaison de ces deux méthodes ;
d) d'autres moyens appropriés. »
Enfin, l'annexe de la Charte sociale européenne mentionne à la Partie III : « Il est entendu que la Charte contient des engagements juridiques de caractère international dont l'application est soumise au seul contrôle visé par la partie IV » qui prévoit un système de rapports périodiques et de réclamations collectives.
Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l'Union européenne dispose d'une compétence exclusive pour déterminer s'il est d'effet direct, les stipulations d'un traité international, régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution, sont d'effet direct dès lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers.
Il résulte des dispositions précitées de la Charte sociale européenne que les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs, poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en 'uvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application selon les modalités rappelées aux paragraphes 13 et 17 du présent arrêt et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique rappelé au paragraphe 18 (Assemblée plénière, avis de la Cour de cassation, 17 juillet 2019, n° 19-70.010 et n° 19-70.011 ; 1re Civ., 21 novembre 2019, pourvoi n° 19-15.890, publié).
Il en résulte que les dispositions de la Charte sociale européenne ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, et que l'invocation de son article 24 ne peut donc pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail.
Dans ces conditions, il n'y a pas non plus lieu à question préjudicielle.
Par ailleurs, la décision rendue le 26 septembre 2022 par le comité européen des droits sociaux, qui retient que la législation française en la matière viole l'article 24 b. de la Charte, ne présente pas de caractère contraignant en droit français.
Aux termes de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (l'OIT), si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.
Au regard des dispositions de l'article L. 1235-3 précité, de l'article L. 1235-3-1 du même code écartant l'application du barème en cas de nullité du licenciement résultant notamment de la violation d'une liberté fondamentale ou de faits de harcèlement moral ou sexuel et/ou de discrimination, au regard également des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail prévoyant à certaines conditions le remboursement par l'employeur des indemnités de chômage versées au salarié licencié, il est considéré que les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi, et que le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est également assuré par l'application, d'office par le juge, des dispositions précitées de l'article L. 1235-4 du code du travail.
Ainsi, les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT.
Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.
Il convient dès lors d'allouer au salarié une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte.
Compte tenu notamment de l'effectif de la société utilisatrice, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [I], de son ancienneté, de son âge (41 ans à l'époque de la rupture du contrat), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer une somme de 7 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
IV. Sur la demande de condamnation de la société Proman 052 solidairement avec la société Arlanxeo Elastomères France, ou, à défaut, de condamnation de la société Proman 052 à garantir la société Arlanxeo Elastomères France
S'il est exact ainsi que le soutient la société Arlanxeo Elastomères France qu'une entreprise de travail temporaire peut être condamnée in solidum avec l'entreprise utilisatrice à supporter les conséquences de la requalification en contrat à durée indéterminée de contrats de mission irréguliers, dès lors qu'elle a agi de concert avec cette dernière pour contourner l'interdiction de recourir au travail temporaire pour pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice, et s'il est exact que M. [I] a formulé des griefs qui relèvent plus de la responsabilité de son employeur, la société Proman 052, que de l'entreprise utilisatrice (absence de contrat écrit, ...), force est de constater que le salarié ne sollicite pas de requalification des contrats de mission vis-à-vis de la société Proman 052 ni de condamnation in solidum des deux sociétés.
Dans la mesure où il appartient au seul salarié de solliciter la condamnation solidaire des deux sociétés, la société Arlanxeo Elastomères France, entreprise utilisatrice, ne peut qu'être déboutée de cette demande.
En l'absence de requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée entre M. [I] et la société Proman 052, de possibilité pour l'entreprise utilisatrice de se substituer au salarié à cette fin, et dans la mesure où, ainsi que le soutient la société Proman 052, elle n'est pas tenue d'une quelconque obligation de conseil, contrôle ou surveillance vis-à-vis de l'entreprise utilisatrice, la demande de garantie présentée par la société Arlanxeo Elastomères France à son encontre ne peut aboutir.
V. Sur le remboursement des indemnités chômage
L'article L. 1235-4 du code du travail dans ses versions applicables dispose que dans les cas prévus à l'article L. 1235-3, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.
Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
La cour, ajoutant à la décision de première instance, fait application de ces dispositions à hauteur de six mois.
VI. Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante pour l'essentiel, la société Arlanxeo Elastomères France est condamnée aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel.
Par suite, la société Arlanxeo Elastomères France est déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et condamnée à ce même titre à payer à M. [I] la somme de 3 000 euros.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant dans les limites de l'appel, publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Déboute M. [I] de sa demande d' "infirmation en totalité" du jugement pour violation du principe du contradictoire,
Infirme le jugement, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de question préjudicielle,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Déboute la société Proman 052 de sa demande de mise hors de cause,
Déclare l'action en requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée :
- irrecevable en ce qu'elle est fondée sur une absence de contrat écrit (ou non signé) ou sur une remise tardive du contrat écrit, pour les contrats ayant pris effet avant le 3 avril 2021 ; en ce qu'elle est fondée sur l'irrespect d'un délai de carence, pour tout contrat ayant pris effet en violation de ce délai avant le 5 avril 2021,
- recevable pour l'ensemble de la période litigieuse en ce qu'elle est fondée sur le motif du recours aux contrats de mission, qu'il s'agisse pour le salarié de contester l'accroissement temporaire d'activité allégué au contrat ou plus généralement de soutenir que les contrats visaient à pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice,
Requalifie la relation de travail entre M. [I] et la société Arlanxeo Elastomères France en un contrat de travail à durée indéterminée depuis le 1er février 2016,
Condamne la société Arlanxeo Elastomères France à payer à M. [I] les sommes de :
- 1 500 euros à titre d'indemnité de requalification,
- 1 831,88 euros à titre d'indemnité légale de licenciement.
- 2 226,06 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 222,61 euros au titre des congés payés afférents,
Déclare recevable la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la société Arlanxeo Elastomères France à payer à M. [I] la somme de 7 000 euros à ce titre,
Déboute la société Arlanxeo Elastomères France de sa demande de condamnation de la société Proman 052 solidairement avec elle, et de sa demande subsidiaire de garantie,
Ordonne le remboursement par la société Arlanxeo Elastomères France aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, à hauteur de six mois d'indemnités de chômage,
Condamne la société Arlanxeo Elastomères France aux dépens, tant de première instance que d'appel,
Déboute la société Arlanxeo Elastomères France de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Arlanxeo Elastomères France à payer à M. [I] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 25 MARS 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 07 Août 2023
APPELANT :
Monsieur [M] [I]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
comparant en personne, représenté par Me Bertrand FISCEL, avocat au barreau de ROUEN
INTIMÉES :
Société PROMAN 052
[Adresse 4]
[Adresse 4]
représentée par Me Christine ANDREANI de la SELARL JURIS VIEUX PORT, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Manuel CULOT, avocat au barreau de MARSEILLE
Société ARLANXEO ELASTOMÈRES FRANCE SAS
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Cyprien PIALOUX de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 08 Janvier 2025 sans opposition des parties devant Madame DE BRIER, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame DE BRIER, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 08 janvier 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 06 mars 2025 puis prorogée au 25 mars 2025
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 25 Mars 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES
M. [M] [I], salarié successivement de plusieurs sociétés de travail intérimaire du groupe Proman (Proman 134 puis Proman 052), a été mis à disposition de la société Lanxess Elastomeres, désormais dénommée société Arlanxeo Elastomeres France (SAS), dans le cadre de multiples contrats de mission dont le premier a débuté le 1er février 2016 et le dernier s'est achevé le 20 septembre 2022.
Revendiquant l'existence d'un contrat de travail entre lui et la société Arlanxeo Elastomeres, M. [I] a, par requête reçue au greffe le 5 avril 2023, saisi le conseil de prud'hommes du Havre qui, par jugement du 7 août 2023, a :
- jugé infondée la demande de M. [I] tendant à ce que le conseil saisisse la Cour de justice de l'Union Européenne d'une question préjudicielle afin qu'elle juge si l'article L1235-3 du code du travail (barème dit "Macron") était conforme à l'article 24b de la Charte sociale européenne,
- débouté M. [I] de cette demande de question préjudicielle,
- jugé que l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 avait porté de 2 ans à 12 mois le délai de prescription des actions relatives à la rupture du contrat de travail (L. 1471-1 du code du travail),
- jugé que M. [I] avait saisi le conseil de prud'hommes du Havre le 5 avril 2023, soit postérieurement à la publication de l'ordonnance instaurant la prescription de 12 mois, qui était applicable à son action,
- jugé que les contrats de missions antérieurs au 5 avril 2022 étaient prescrits et ne pouvaient pas faire l'objet d'une demande de requalification en contrat à durée indéterminée de la part de M. [I],
- jugé que pour les périodes du 1er février 2016 au 4 avril 2022, les contrats de missions étaient prescrits, ainsi que pour la période du 5 avril 2022 au 20 septembre 2022, et qu'il s'agissait de contrats de missions parfaitement valables et réguliers,
- jugé que M. [I] n'apportait aucun élément de preuve à l'appui de ses demandes qui n'étaient pas justifiées en violation de l'article 1353 du code civil,
- débouté M. [I] de sa demande de requalification des missions d'intérim au sein de la société Arlanxeo Elastomeres France en un contrat à durée indéterminée pour la période du 1er février 2016 au 20 septembre 2022 et de condamnation de cette dernière à lui verser la somme de 3 467,17 euros,
- jugé que M. [I] ne formait aucun grief et aucune demande à l'encontre de la société Proman 052,
- prononcé la mise hors de cause de la société Proman 052,
- débouté M. [I] de l'intégralité de ses autres demandes, fins et conclusions liées à la demande de requalification de ses missions d'intérim au sein de la société Arlanxeo Elastomeres France en un contrat à durée indéterminée pour la période du 1er février 2016 au 20 septembre 2022,
- laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens,
- laissé à chaque partie la charge de ses propres frais irrépétibles.
Le 30 août 2023, M. [I] a fait appel de ce jugement sauf en ce qu'il a :
- jugé que l'ordonnance du 22 septembre 2017 avait porté de 2 ans à 12 mois le délai de prescription des actions relatives à la rupture du contrat de travail,
- jugé que M. [I] avait saisi le conseil de prud'hommes postérieurement à la publication de l'ordonnance instaurant la prescription de 12 mois, qui était applicable à son action.
Par dernières conclusions du 4 décembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, M. [I] demande à la cour de :
- poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union Européenne afin qu'elle juge si l'article L. 1235-3 du code du travail est conforme à l'article 24 b de la Charte sociale européenne,
- constater que le jugement entrepris a été rendu en violation du principe du contradictoire, et en conséquence infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- infirmer le jugement dans les termes de la déclaration d'appel et :
- juger que la mise en cause de la société Proman était 052 recevable et fondée,
- retenir comme salaire de base la somme de 2 813,48 euros (151,67 x 18,55) avec une prime de poste mensuelle de 562,69 euros et une prime de vacances mensuelle de 91 euros, sous réserve que les accords d'entreprise ne prévoient pas une rémunération supérieure pour son poste d'opérateur de fabrication,
- juger que l'établissement de registres uniques du personnel différents au sein d'un même site pour les intérimaires et pour les salariés de la société Arlanxeo est irrégulier,
- constater que les intérimaires de la société Crit Interim ne figuraient pas sur les registres uniques du personnel de la société Arlanxeo,
- requalifier ses missions d'intérim au sein de la société Arlanxeo Elastomeres France en un contrat à durée indéterminée pour la période du 1er février 2016 au 20 septembre 2022,
- condamner la société Arlanxeo Elastomeres France à lui verser la somme de 3 467,17 euros au titre de l'indemnité de requalification,
- juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner en conséquence la société Arlanxeo Elastomeres France à lui verser les sommes suivantes :
- 27 737,36 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 5 634,15 euros à titre d'indemnité légale de licenciement
- 6 934,34 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 693,43 euros au titre des congés payés afférents
- 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- débouter les sociétés Arlanxeo Elastomeres France et Proman de toutes leurs demandes à son encontre,
- condamner la société Arlanxeo Elastomeres France aux dépens.
Par dernières conclusions du 18 décembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société Arlanxeo Elastomeres France demande à la cour de :
1/ "à titre liminaire tout d'abord" :
- juger que le jugement a été rendu dans le respect du contradictoire,
- débouter M. [I] de sa demande d'infirmation du jugement sur le fondement de l'article 16 du code de procédure civile,
2/ en tout état de cause :
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
- jugé infondée la demande de M. [I] tendant à ce que le conseil saisisse la Cour de justice de l'Union Européenne d'une question préjudicielle afin qu'elle juge si l'article L1235-3 du code du travail (barème dit "Macron") était conforme à l'article 24b de la Charte sociale européenne,
- débouté M. [I] de cette demande de question préjudicielle,
- jugé que l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 avait porté de 2 ans à 12 mois le délai de prescription des actions relatives à la rupture du contrat de travail (L. 1471-1 du code du travail),
- jugé que M. [I] avait saisi le conseil de prud'hommes du Havre le 5 avril 2023, soit postérieurement à la publication de l'ordonnance instaurant la prescription de 12 mois, qui était applicable à son action,
- jugé que les contrats de missions antérieurs au 5 avril 2022 étaient prescrits et ne pouvaient pas faire l'objet d'une demande de requalification en contrat à durée indéterminée de la part de M. [I],
- jugé que pour les périodes du 1er février 2016 au 4 avril 2022, les contrats de missions étaient prescrits, ainsi que pour la période du 5 avril 2022 au 20 septembre 2022, et qu'il s'agissait de contrats de missions parfaitement valables et réguliers,
- jugé que M. [I] n'apportait aucun élément de preuve à l'appui de ses demandes qui n'étaient pas justifiées en violation de l'article 1353 du code civil,
- débouté M. [I] de sa demande de requalification des missions d'intérim au sein de la société Arlanxeo Elastomeres France en un contrat à durée indéterminée pour la période du 1er février 2016 au 20 septembre 2022 et de condamnation de cette dernière à lui verser la somme de 3 467,17 euros,
- débouté M. [I] de l'intégralité de ses autres demandes, fins et conclusions liées à la demande de requalification de ses missions d'intérim au sein de la société Arlanxeo Elastomeres France en un contrat à durée indéterminée pour la période du 1er février 2016 au 20 septembre 2022,
- infirmer le jugement en ce qu'il a :
- laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens,
- laissé à chaque partie la charge de ses propres frais irrépétibles.
"en conséquence et statuant à nouveau" :
3/ "à titre liminaire ensuite" :
- juger infondée la demande de M. [I] relative à la question préjudicielle,
- rejeter la demande de transmission d'une question préjudicielle à la CJUE,
4/ "à titre liminaire enfin" :
sur la prescription de 12 mois :
- juger que l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 a porté de 2 ans à 12 mois le délai de prescription des actions relatives à la rupture du contrat de travail (L. 1471-1 du code du travail),
- juger que M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes le 5 avril 2023, soit postérieurement à la publication de l'ordonnance instaurant la prescription de 12 mois, qui est applicable à son action,
- juger que les contrats de mission antérieurs au 5 avril 2022 sont prescrits et ne peuvent pas faire l'objet d'une demande de requalification en contrat à durée indéterminée,
- juger que toutes ses demandes afférentes à la période antérieure au 5 avril 2022 sont prescrites, y compris sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
à défaut, si la cour considérait que la prescription de 12 mois n'est pas applicable, sur la prescription de deux ans :
- juger que la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 a porté de 5 à 2 ans le délai de prescription des actions relatives à l'exécution ou à la rupture du contrat de travail,
- juger que M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes le 5 avril 2023, soit postérieurement à la promulgation de la loi instaurant la prescription de 2 ans, qui est applicable à son action,
- juger que les contrats de mission antérieurs au 5 avril 2021 sont prescrits et ne peuvent pas faire l'objet d'une demande de requalification en contrat à durée indéterminée,
- juger que les demandes afférentes à la période antérieure au 5 avril 2021 sont prescrites,
5/ à titre principal :
- juger que M. [I] n'apporte aucun élément de preuve à l'appui de ses demandes qui ne sont pas justifiées en violation de l'article 1353 du code civil,
- juger que les missions de travail temporaire effectuées par M. [I] sont parfaitement régulières, justifiées et conformes aux dispositions légales en vigueur,
- juger que M. [I] n'a jamais occupé un poste lié à l'activité normale et permanente de la société Arlanxeo,
- juger que M. [I] ne s'est jamais tenu à sa disposition pendant les périodes intermédiaires (ou interstitielles) des contrats de mission,
- juger qu'aucune requalification des contrats de mission ne saurait intervenir avec elle,
- en conséquence, débouter M. [I] de l'intégralité de ses demandes,
6/ à titre subsidiaire, si la cour requalifiait les contrats de mission en un contrat à durée indéterminée :
- la condamner solidairement avec la société d'intérim Proman à régler les éventuelles condamnations prononcées en faveur de M. [I], ou, à défaut, condamner la société d'intérim Proman à garantir les condamnations qui seraient mises à sa charge,
- ramener les demandes de condamnations formées par M. [I] à de plus justes proportions,
7/ en tout état de cause et à titre reconventionnel :
- débouter M. [I] de ses demandes,
- condamner M. [I] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens.
Par dernières conclusions du 18 décembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens, la SAS Proman 052 demande à la cour de :
à titre principal :
- rejeter la demande préjudicielle de M. [I], qui est sans objet,
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que M. [I] ne formait aucun grief et aucune demande à son encontre ainsi qu'en ce qu'il a prononcé sa mise hors de cause,
- prononcer en conséquence sa mise hors de cause,
en tout état de cause :
- déclarer irrecevable la demande de condamnation in solidum, ou d'appel en garantie à titre subsidiaire, formée par la Société Arlanxeo, qui ne repose sur aucun fondement,
- en conséquence débouter la société Arlanxeo de cette demande.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 décembre 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
A titre liminaire, M. [I] ne peut solliciter l'infirmation de la totalité du jugement alors que sa déclaration d'appel ne comporte qu'une demande d'infirmation du jugement en visant seulement certaines de ses dispositions et qu'il n'a pas procédé à une déclaration d'appel rectificative. En tout état de cause, la violation du principe du contradictoire dont il se prévaut n'est pas susceptible d'entraîner l'infirmation du jugement, la seule sanction possible étant l'annulation de celui-ci, qui en l'occurrence n'est pas visée dans la déclaration d'appel et n'est pas demandée dans le dispositif des conclusions qui seul saisit la cour en application de l'article 954 du code de procédure civile.
Il est donc débouté de cette demande.
I. Sur la demande de mise hors de cause de la société Proman 052
S'il est exact que M. [I] ne formule aucune prétention à l'encontre de la société Proman 052 et que seul le salarié peut se prévaloir de la requalification de son contrat de travail, il est pour autant considéré que la relation de travail intérimaire est une relation tripartite engageant le salarié, l'entreprise utilisatrice et l'entreprise de travail temporaire, et noté que la société Arlanxeo Elastomères France, entreprise utilisatrice, formule des prétentions (condamnation solidaire et appel en garantie) à l'encontre de la société Proman 052.
Il n'y a donc pas lieu de mettre celle-ci hors de cause. Le jugement est infirmé en ce sens.
II. Sur la demande de requalification en CDI des missions d'intérim du 1er février 2016 au 20 septembre 2022 et sur la demande d'indemnité afférente
En vertu de l'article L. 1251-1 du code du travail, le recours au travail temporaire a pour objet la mise à disposition temporaire d'un salarié par une entreprise de travail temporaire au bénéfice d'un client utilisateur pour l'exécution d'une mission.
Chaque mission donne lieu à la conclusion :
1° D'un contrat de mise à disposition entre l'entreprise de travail temporaire et le client utilisateur, dit " entreprise utilisatrice " ;
2° D'un contrat de travail, dit " contrat de mission ", entre le salarié temporaire et son employeur, l'entreprise de travail temporaire.
En application de l'article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.
L'article L. 1251-6 dans ses versions successivement applicables au litige ajoute qu'il ne peut en principe être fait appel à un salarié temporaire que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée "mission" et seulement dans certains cas précisément visés, tels que, notamment, :
- le remplacement d'un salarié en cas d'absence ;
- l'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise.
En application des articles L. 1251-16 et L. 1251-17 et L. 1251-43 du code du travail, le contrat de mission est établi par écrit, comporte notamment le motif pour lequel il est fait appel au salarié temporaire, assortie de justifications précises, et il est transmis au salarié au plus tard dans les deux jours ouvrables suivant sa mise à disposition.
Mais en vertu de l'article L. 1251-40, la méconnaissance de l'obligation de transmission du contrat de mission au salarié dans le délai précité ne saurait, à elle seule, entraîner la requalification en contrat à durée indéterminée. Elle ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.
Sur le fondement des articles L. 1251-39 et L. 1251-40 du code du travail :
- le salarié temporaire est réputé lié à l'entreprise utilisatrice par un contrat de travail à durée indéterminée lorsque celle-ci continue de le faire travailler après la fin de sa mission sans avoir conclu avec lui un contrat de travail ou sans nouveau contrat de mise à disposition ;
- il peut faire valoir auprès d'elle les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission lorsqu'elle a eu recours à lui en méconnaissance de certaines dispositions précisément visées dont, notamment, les dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7.
1- sur la recevabilité de la demande
L'action en requalification d'un contrat de travail intérimaire en contrat de travail à durée indéterminée portant sur l'exécution du contrat de travail, et non sur la rupture de celui-ci, le délai de prescription applicable à l'action est de deux ans en application de l'article L. 1471-1 du code du travail, tant dans sa version antérieure que postérieure à l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017.
Selon ce même article, quel qu'en soit la version, le point de départ de ce délai biennal correspond au jour à compter duquel celui qui exerce l'action a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
Ainsi, le délai de prescription d'une action en requalification d'un contrat de mission en contrat à durée indéterminée court, lorsque cette action est fondée sur l'absence d'établissement d'un écrit, à compter de l'expiration du délai de deux jours ouvrables imparti à l'employeur pour transmettre au salarié le contrat de travail ; lorsqu'elle est fondée sur l'absence d'une mention au contrat susceptible d'entraîner sa requalification, à compter de la conclusion de ce contrat ; lorsqu'elle est fondée sur le non-respect du délai de carence entre deux contrats, à compter du premier jour d'exécution du second des contrats ; lorsqu'elle est fondée sur le motif du recours au contrat de mission énoncé au contrat, à compter du terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, du terme du dernier contrat.
Il est admis que, la requalification en contrat à durée indéterminée pouvant porter sur une succession de contrats séparés par des périodes d'inactivité, ces dernières n'ont pas d'effet sur le point de départ du délai de prescription.
Dès lors, étant rappelé que M. [I] a engagé son action en requalification le 5 avril 2023, son action, en ce qu'elle est fondée sur une absence de contrat écrit (ou non signé) ou sur une remise tardive du contrat écrit, est prescrite pour les contrats ayant pris effet avant le 3 avril 2021.
En ce qu'elle est fondée sur l'irrespect d'un délai de carence, son action est prescrite pour tout contrat ayant pris effet en violation de ce délai avant le 5 avril 2021.
En revanche, étant rappelé que le dernier contrat de mission s'est achevé le 20 septembre 2022, l'action de M. [I] est recevable pour l'ensemble de la période litigieuse en ce qu'elle est fondée sur le motif du recours aux contrats de mission, qu'il s'agisse pour le salarié de contester l'accroissement temporaire d'activité allégué au contrat ou plus généralement de soutenir que les contrats visaient à pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.
Le jugement est infirmé en ce sens.
2- sur le bien- fondé de la demande
L'obligation de remise d'un contrat écrit de mission, auquel est assimilé un contrat non signé des deux parties, incombe, selon l'article L. 1251-16 précité du code du travail, à l'entreprise de travail temporaire. Les dispositions des articles L. 1251-39 et L. 1251-40 du même code ne permettent pas au salarié intérimaire d'invoquer la violation par l'entreprise de travail temporaire des prescriptions de l'article L. 1251-16 de ce code, pour faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits afférents à un contrat à durée indéterminée. L'inobservation de l'obligation de remise d'un contrat écrit de mission incombant à la société Proman 052, ses moyens afférents sont inopérants dans son action dirigée contre la société Arlanxeo Elastomères France.
Quant à la transmission tardive d'un contrat de mission écrit, non seulement elle incombe également à l'entreprise de travail temporaire, mais, en tout état de cause, elle n'est pas susceptible d'entraîner la requalification en contrat à durée indéterminée, et ce en application des articles L. 1251-16 et L. 1251-17 et L. 1251-43 précités du code du travail.
L'éventuel non-respect d'un délai de carence, strictement entendu, n'est pas spécifiquement visé aux articles L. 1251-39 et L. 1251-40 du code du travail, mais entre dans l'appréciation du respect des dispositions de l'article L. 1251-5 interdisant de pourvoir durablement, par un contrat de mission, un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.
Il résulte des articles L. 1251-5 du code du travail, L. 1251-6 du même code, dans sa rédaction applicable, et de l'article 1315 ancien, devenu 1353, du code civil, qu'en cas de litige sur le motif de recours au travail temporaire, il incombe à l'entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat.
En l'espèce, la société Arlanxeo Elastomères France, qui admet l'existence de cinq missions d'intérim en raison d'un accroissement temporaire d'activité, dont le premier ayant pris effet le 1er février 2016, au début de la période litigieuse, ne justifie pas de la réalité de ce motif, ne se prévalant d'aucune pièce à cet égard et se contentant de procéder par affirmations. Elle en justifie d'autant moins que, d'une part, ce contrat de mission temporaire d'une durée de deux jours évoque plus particulièrement comme "motif et justification du recours" : "accroissement temporaire d'activité. Accueil Lanxess + formation au poste d'opérateur", sans plus de précision sur l'accroissement d'activité considéré, et alors qu'un accueil et une formation ne peuvent être assimilés à un accroissement temporaire d'activité ; et que, d'autre part, le deuxième contrat, ayant pris effet le 8 février 2016, est déjà justifié par le remplacement d'un salarié en arrêt maladie selon les indications mêmes de la société Arlanxeo Elastomères France.
Dès lors, c'est à bon droit que M. [I] sollicite la requalification de la relation de travail avec la société Arlanxeo Elastomères France en contrat de travail à durée indéterminée, et cela dès le 1er février 2016. Le jugement est infirmé en ce sens.
En application de l'article L. 1251-41 du code du travail, le salarié dont le contrat de mission est requalifié en contrat de travail à durée indéterminée perçoit une indemnité, à la charge de l'entreprise utilisatrice, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. Cette disposition s'applique sans préjudice de l'application des dispositions du titre III du présent livre relatives aux règles de rupture du contrat de travail à durée indéterminée.
L'indemnité de requalification prévue par l'article L. 1251-41 du code du travail doit être calculée sur le salaire de base mais aussi sur les accessoires du salaire, de sorte que c'est à bon droit que M. [I] intègre à son calcul les primes de poste et de vacances, ce qui au demeurant n'est pas véritablement contesté par l'entreprise utilisatrice.
Le montant minimum de l'indemnité de requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée est calculé selon la moyenne effective de salaire mensuel dû au titre du contrat dans le dernier état de la relation de travail avant la saisine de la juridiction prud'homale.
M. [I] ne peut se prévaloir, pour le calcul de l'indemnité, d'un "contrat à durée déterminée à temps plein" dès lors que la requalification de contrats de mission en un contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme des contrats et non sur la durée du travail. Sous couvert d'une demande de prise en considération d'un "contrat à durée déterminée à temps plein", il apparaît en réalité que M. [I] - qui calcule son salaire mensuel moyen en multipliant son taux horaire (majoré des primes) par 151,67 heures par mois alors que ses contrats ont pu être séparés de périodes non travaillées - demande à ce que les périodes interstitielles entre deux contrats précaires soient considérées comme travaillées alors qu'il convient de déterminer la moyenne effective des salaires perçus.
Au vu des éléments produits, qui permettent d'évaluer la moyenne de salaire mensuel à la somme de 1 113,03 euros brut, la société Arlanxeo Elastomères France est condamnée à lui payer une indemnité de 1 500 euros.
III. Sur la rupture de la relation de travail et les demandes pécuniaires afférentes
1- sur les indemnités de fin de contrat
La relation de travail requalifiée en contrat à durée indéterminée ayant de fait pris fin, sans respect d'une procédure de licenciement, M. [I] peut prétendre aux indemnités de rupture.
Seule l'action en paiement d'une indemnité étant susceptible de prescription, et non les contrats ou périodes litigieuses comme le soutient en substance la société Arlanxeo Elastomères France dans le corps de ses conclusions, c'est vainement qu'elle se prévaut d'une prescription des "demandes afférentes à la période" antérieure au 4 avril 2022 ou au 4 avril 2021 pour réduire l'ancienneté du salarié et, par suite, le montant de l'indemnité.
A supposer que la société utilisatrice se prévale de la prescription de l'action en paiement des indemnités de fin de contrat, il est précisé que celle-ci n'est nullement acquise dès lors que l'action a été engagée en avril 2023, soit moins d'un an après la rupture de la relation de travail, s'agissant de la demande d'indemnité de licenciement, et moins de trois ans après cette date, s'agissant de demande d'indemnité compensatrice de préavis.
Dès lors que celui-ci peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits afférents à un contrat à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière, son ancienneté est évaluée à 6 ans et 7 mois.
Compte tenu de son salaire de référence, il est en droit de percevoir la somme de 1 831,88 euros à titre d'indemnité légale de licenciement.
En outre, il y a lieu de condamner la société Arlanxeo Elastomères France à payer à M. [I] la somme de 2 226,06 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 222,61 euros au titre des congés payés afférents.
2- sur la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
a. sur la prescription de la demande
Il est admis, ainsi que l'énonce d'ailleurs la société Arlanxeo Elastomères France, que la durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l'action en paiement de dommages-intérêts en raison d'un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, fût-elle due à la requalification de contrats de mission en contrat à durée indéterminée, est soumise à la prescription de l'article L. 1471-1 du code du travail se rapportant à la rupture du contrat de travail.
Selon l'article L. 1471-1 alinéa 2 du code du travail, toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.
M. [I] ayant engagé le 5 avril 2023 son action en paiement de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, intervenu le 20 septembre 2022, son action est parfaitement recevable.
b. sur la demande de question préjudicielle à la CJUE
La relation de travail requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée ayant pris fin sans respect des règles relatives au licenciement, et notamment sans notification par écrit à M. [I] des motifs de la rupture, le licenciement se trouve dépourvu de cause réelle et sérieuse, ce qui justifie que lui soit accordé, outre les indemnités de rupture, une indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version en vigueur depuis le 1er avril 2018, en l'absence de réintégration dans l'entreprise du salarié licencié pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge lui octroie une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre 3 et 7 mois de salaire brut selon le premier tableau figurant à cet article, compte tenu de l'ancienneté du salarié.
M. [I] demande à la présente cour de poser une question préjudicielle en interprétation de la Charte sociale européenne, plus précisément de son article 24 qui énonce que "en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître : [;..] b. le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. [...]"
Il considère en effet que l'article L. 1235-3 précité du code du travail prévoyant un plafonnement de l'indemnisation relative à la perte abusive de son emploi par un salarié pose la question de sa conformité, notamment, à la Charte des droits sociaux prévoyant le principe d'une réparation appropriée ou adéquate.
Il estime que la Cour de cassation a commis une erreur de droit en retenant dans ses arrêts du 11 mai 2022 que cette Charte ne serait pas d'application directe en droit français, et qu'il importe que ce débat soit enfin tranché par la Cour de justice de l'Union européenne.
Selon l'article 267 traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :
a) sur l'interprétation des traités,
b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.
La CJUE ne peut statuer sur la demande de décision préjudicielle que si le droit de l'Union est applicable à l'affaire en cause au principal.
Or, dans la partie I de la Charte sociale européenne, « les Parties reconnaissent comme objectif d'une politique qu'elles poursuivront par tous les moyens utiles, sur les plans national et international, la réalisation de conditions propres à assurer l'exercice effectif des droits et principes » ensuite énumérés, parmi lesquels figure le droit des travailleurs à une protection en cas de licenciement.
L'annexe de la Charte sociale européenne précise qu'il « est entendu que l'indemnité ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement sans motif valable doit être déterminée par la législation ou la réglementation nationales, par des conventions collectives ou de toute autre manière appropriée aux conditions nationales. »
L'article 24 précité figure dans la partie II de la Charte sociale européenne qui indique que « les Parties s'engagent à se considérer comme liées, ainsi que prévu à la partie III, par les obligations résultant des articles et des paragraphes » qu'elle contient.
Dans la Partie III de la Charte, il est indiqué que « chacune des Parties s'engage :
a) à considérer la partie I de la présente Charte comme une déclaration déterminant les objectifs dont elle poursuivra par tous les moyens utiles la réalisation, conformément aux dispositions du paragraphe introductif de ladite partie ;
b) à se considérer comme liée par six au moins des neuf articles suivants de la partie II de la Charte : articles 1, 5, 6, 7, 12, 13, 16, 19 et 20 ;
c) à se considérer comme liée par un nombre supplémentaire d'articles ou de paragraphes numérotés de la partie II de la Charte, qu'elle choisira, pourvu que le nombre total des articles et des paragraphes numérotés qui la lient ne soit pas inférieur à seize articles ou à soixante-trois paragraphes numérotés. »
Il résulte de la loi n° 99-174 du 10 mars 1999, autorisant l'approbation de la Charte sociale européenne, et du décret n° 2000-110 du 4 février 2000 que la France a choisi d'être liée par l'ensemble des articles de la Charte sociale européenne.
L'article I de la partie V de la Charte sociale européenne, consacrée à la « mise en ''uvre des engagements souscrits » prévoit que « les dispositions pertinentes des articles 1 à 31 de la partie II de la présente Charte sont mises en 'uvre par :
a) la législation ou la réglementation ;
b) des conventions conclues entre employeurs ou organisations d'employeurs et organisations de travailleurs ;
c) une combinaison de ces deux méthodes ;
d) d'autres moyens appropriés. »
Enfin, l'annexe de la Charte sociale européenne mentionne à la Partie III : « Il est entendu que la Charte contient des engagements juridiques de caractère international dont l'application est soumise au seul contrôle visé par la partie IV » qui prévoit un système de rapports périodiques et de réclamations collectives.
Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l'Union européenne dispose d'une compétence exclusive pour déterminer s'il est d'effet direct, les stipulations d'un traité international, régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution, sont d'effet direct dès lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers.
Il résulte des dispositions précitées de la Charte sociale européenne que les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs, poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en 'uvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application selon les modalités rappelées aux paragraphes 13 et 17 du présent arrêt et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique rappelé au paragraphe 18 (Assemblée plénière, avis de la Cour de cassation, 17 juillet 2019, n° 19-70.010 et n° 19-70.011 ; 1re Civ., 21 novembre 2019, pourvoi n° 19-15.890, publié).
Il en résulte que les dispositions de la Charte sociale européenne ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, et que l'invocation de son article 24 ne peut donc pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail.
Dans ces conditions, il n'y a pas non plus lieu à question préjudicielle.
Par ailleurs, la décision rendue le 26 septembre 2022 par le comité européen des droits sociaux, qui retient que la législation française en la matière viole l'article 24 b. de la Charte, ne présente pas de caractère contraignant en droit français.
Aux termes de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (l'OIT), si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.
Au regard des dispositions de l'article L. 1235-3 précité, de l'article L. 1235-3-1 du même code écartant l'application du barème en cas de nullité du licenciement résultant notamment de la violation d'une liberté fondamentale ou de faits de harcèlement moral ou sexuel et/ou de discrimination, au regard également des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail prévoyant à certaines conditions le remboursement par l'employeur des indemnités de chômage versées au salarié licencié, il est considéré que les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi, et que le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est également assuré par l'application, d'office par le juge, des dispositions précitées de l'article L. 1235-4 du code du travail.
Ainsi, les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT.
Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.
Il convient dès lors d'allouer au salarié une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte.
Compte tenu notamment de l'effectif de la société utilisatrice, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [I], de son ancienneté, de son âge (41 ans à l'époque de la rupture du contrat), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer une somme de 7 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
IV. Sur la demande de condamnation de la société Proman 052 solidairement avec la société Arlanxeo Elastomères France, ou, à défaut, de condamnation de la société Proman 052 à garantir la société Arlanxeo Elastomères France
S'il est exact ainsi que le soutient la société Arlanxeo Elastomères France qu'une entreprise de travail temporaire peut être condamnée in solidum avec l'entreprise utilisatrice à supporter les conséquences de la requalification en contrat à durée indéterminée de contrats de mission irréguliers, dès lors qu'elle a agi de concert avec cette dernière pour contourner l'interdiction de recourir au travail temporaire pour pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice, et s'il est exact que M. [I] a formulé des griefs qui relèvent plus de la responsabilité de son employeur, la société Proman 052, que de l'entreprise utilisatrice (absence de contrat écrit, ...), force est de constater que le salarié ne sollicite pas de requalification des contrats de mission vis-à-vis de la société Proman 052 ni de condamnation in solidum des deux sociétés.
Dans la mesure où il appartient au seul salarié de solliciter la condamnation solidaire des deux sociétés, la société Arlanxeo Elastomères France, entreprise utilisatrice, ne peut qu'être déboutée de cette demande.
En l'absence de requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée entre M. [I] et la société Proman 052, de possibilité pour l'entreprise utilisatrice de se substituer au salarié à cette fin, et dans la mesure où, ainsi que le soutient la société Proman 052, elle n'est pas tenue d'une quelconque obligation de conseil, contrôle ou surveillance vis-à-vis de l'entreprise utilisatrice, la demande de garantie présentée par la société Arlanxeo Elastomères France à son encontre ne peut aboutir.
V. Sur le remboursement des indemnités chômage
L'article L. 1235-4 du code du travail dans ses versions applicables dispose que dans les cas prévus à l'article L. 1235-3, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.
Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
La cour, ajoutant à la décision de première instance, fait application de ces dispositions à hauteur de six mois.
VI. Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante pour l'essentiel, la société Arlanxeo Elastomères France est condamnée aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel.
Par suite, la société Arlanxeo Elastomères France est déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et condamnée à ce même titre à payer à M. [I] la somme de 3 000 euros.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant dans les limites de l'appel, publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Déboute M. [I] de sa demande d' "infirmation en totalité" du jugement pour violation du principe du contradictoire,
Infirme le jugement, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de question préjudicielle,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Déboute la société Proman 052 de sa demande de mise hors de cause,
Déclare l'action en requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée :
- irrecevable en ce qu'elle est fondée sur une absence de contrat écrit (ou non signé) ou sur une remise tardive du contrat écrit, pour les contrats ayant pris effet avant le 3 avril 2021 ; en ce qu'elle est fondée sur l'irrespect d'un délai de carence, pour tout contrat ayant pris effet en violation de ce délai avant le 5 avril 2021,
- recevable pour l'ensemble de la période litigieuse en ce qu'elle est fondée sur le motif du recours aux contrats de mission, qu'il s'agisse pour le salarié de contester l'accroissement temporaire d'activité allégué au contrat ou plus généralement de soutenir que les contrats visaient à pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice,
Requalifie la relation de travail entre M. [I] et la société Arlanxeo Elastomères France en un contrat de travail à durée indéterminée depuis le 1er février 2016,
Condamne la société Arlanxeo Elastomères France à payer à M. [I] les sommes de :
- 1 500 euros à titre d'indemnité de requalification,
- 1 831,88 euros à titre d'indemnité légale de licenciement.
- 2 226,06 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 222,61 euros au titre des congés payés afférents,
Déclare recevable la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la société Arlanxeo Elastomères France à payer à M. [I] la somme de 7 000 euros à ce titre,
Déboute la société Arlanxeo Elastomères France de sa demande de condamnation de la société Proman 052 solidairement avec elle, et de sa demande subsidiaire de garantie,
Ordonne le remboursement par la société Arlanxeo Elastomères France aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, à hauteur de six mois d'indemnités de chômage,
Condamne la société Arlanxeo Elastomères France aux dépens, tant de première instance que d'appel,
Déboute la société Arlanxeo Elastomères France de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Arlanxeo Elastomères France à payer à M. [I] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE