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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-2, 25 mars 2025, n° 24/00620

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 24/00620

25 mars 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 53I

Chambre commerciale 3-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 25 MARS 2025

N° RG 24/00620 - N° Portalis DBV3-V-B7I-WKDV

AFFAIRE :

[F] [R]

C/

S.A. BANQUE CIC EST

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Décembre 2023 par le Tribunal de Commerce de chartres

N° RG : 2022J00061

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Isabelle GUERIN

Me Séverine DUCHESNE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT CINQ MARS DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

APPELANT

Monsieur [F] [R]

né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 6] (28)

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentant : Me Isabelle GUERIN de la SELARL ISALEX, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000053 - N° du dossier E000405D

****************

INTIME

S.A. BANQUE CIC EST

N° SIRET : 754 800 712 RCS Strasbourg

Ayant son siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

Représentant : Me Séverine DUCHESNE de la SELAFA CHAINTRIER AVOCATS, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 48

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 21 Janvier 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Ronan GUERLOT, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Ronan GUERLOT, Président de chambre,

Monsieur Cyril ROTH, Président de chambre,

Madame Gwenael COUGARD, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN,

EXPOSE DU LITIGE

Le 12 mars 2020, la société CIC Est (la banque) a consenti à la SAS Boucherie du Coin un prêt professionnel d'un montant de 28 000 euros, au taux de 1 % l'an et pour une durée de 84 mois.

En garantie du remboursement de ce prêt, M. [R] et Mme [L], actionnaires de la société Boucherie du Coin, se sont portés cautions solidaires le même jour dans la limite de 33 600 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard pour une durée de 108 mois.

Le 2 novembre 2021 la banque a consenti à la société Boucherie du Coin un nouveau prêt professionnel d'un montant de 10 000 euros, au taux de 1 % l'an et pour une durée de 48 mois.

Le même jour, M. [R] s'est porté caution solidaire de tout engagement de la société Boucherie du Coin dans la limite de 13 200 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard, pour une durée de 5 ans.

Le 16 décembre 2021, le tribunal de commerce de Chartres a placé la société Boucherie du Coin en liquidation judiciaire et a désigné la SELARL PJA en qualité de mandataire judiciaire. La banque a déclaré sa créance.

Le 28 décembre 2021, elle a mis en demeure M. [R] et Mme [L] d'honorer leurs engagements en qualité de caution solidaire.

Les 8 et 14 avril 2022, elle a assigné M. [R] et Mme [L] devant le tribunal de commerce de Chartres.

Le 13 décembre 2023, par jugement contradictoire, ce tribunal a :

- déclaré que la créance de la banque vis-à-vis de M. [R] et Mme [L] à concurrence de leur engagement de caution signé en date du 12 mars 2020 est exigible et a débouté Mme [L] de sa demande d'irrecevabilité de l'action du CIC Est ;

- déclaré que l'acte de cautionnement signé en date du 2 novembre 2021 par M. [R] est valide et a débouté M. [R] de sa demande de nullité ;

- débouté M. [R] et Mme [L] de leur demande de nullité de l'acte de cautionnement du 12 mars 2020 pour disproportion à leurs biens et revenus ;

- jugé l'acte de cautionnement signé par M. [R] le 2 novembre 2021 manifestement disproportionné à ses biens et revenus et a déclaré la nullité de cet acte ;

- débouté la société CIC Est de sa demande de condamnation de M. [R] au paiement de la somme de 13 200 euros (limite de son engagement) ;

- écarté le manquement au devoir de mise en garde de la banque et a débouté M. [R] et Mme [L] de leur demande de dommages-intérêts ;

- débouté Mme [L] de sa demande de réduction de l'indemnité forfaitaire de 7 % appliquée à la créance de la banque ;

- prononcé la déchéance des intérêts versés entre le 31 mars 2021 et la date de liquidation judiciaire de la société Boucherie du Coin, en raison du défaut d'information des cautions ;

- condamné solidairement M. [R] et Mme [L] à verser à la société CIC Est la somme de 24 984,26 euros avec intérêts au taux annuel de 1 % à compter du 17 mars 2022 et jusqu'à complet paiement ;

- accordé à M. [R] et Mme [L] un délai de règlement des sommes dues en 24 mensualités égales à compter de la mise à disposition du présent jugement, étant précisé que tout impayé rendrait immédiatement exigible la totalité de la somme due ;

- condamné solidairement M. [R] et Mme [L] à verser à la société CIC Est 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné solidairement M. [R] et Mme [L] aux entiers dépens.

Le 30 janvier 2024, M. [R] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :

- déclaré que l'acte de cautionnement qu'il a signé le 2 novembre 2021 est valide et l'a débouté de sa demande de nullité ;

- l'a débouté, avec Mme [L], de leur demande de nullité de l'acte de cautionnement du 12 mars 2020 ;

- écarté le manquement au devoir de mise en garde de la société CIC Est et l'a débouté, avec Mme [L], de leur demande de dommages-intérêts ;

- l'a condamné solidairement avec Mme [L] à verser à la banque la somme de 24 984,26 euros avec intérêts au taux annuel de 1% à compter du 17 mars 2022 et jusqu'au complet paiement ;

- lui a accordé, avec Mme [L], un délai de règlement des sommes dues en 24 mensualités égales à compter de la mise à disposition du présent jugement, étant précisé que tout impayé rendrait immédiatement exigible la totalité de la somme due ;

- l'a condamné solidairement avec Mme [L] à verser à la société CIC Est la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- l'a condamné solidairement avec Mme [L] aux entiers dépen..

Par dernières conclusions du 11 octobre 2024, il demande à la cour de :

- infirmer le jugement du 13 décembre 2023 en ce qu'il a :

déclaré que l'acte de cautionnement qu'il a signé le 2 novembre 2021 est valide et l'a débouté de sa demande de nullité ;

l'a débouté de sa demande de nullité de l'acte de cautionnement du 12 mars 2020 ;

écarté le manquement au devoir de mise en garde de la société CIC Est et l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts ;

l'a condamné solidairement à verser à la société CIC Est la somme de 24 984,26 euros avec intérêts au taux annuel de 1% à compter du 17 mars 2022 et jusqu'au complet paiement ;

lui a accordé un délai de règlement des sommes dues en 24 mensualités égales à compter de la mise à disposition du présent jugement, étant précisé que tout impayé rendrait immédiatement exigible la totalité de la somme due ;

l'a condamné solidairement avec Mme [L] à verser à la société CIC Est la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

l'a condamné solidairement avec Mme [L] aux entiers dépens.

Et statuant à nouveau,

A titre principal,

- juger que le cautionnement du 12 mars 2020 était disproportionné à l'égard de ses revenus lors de sa souscription ;

- juger que le cautionnement du 12 mars 2020 était disproportionné à l'égard de ses revenus lors de son appel ;

- en conséquence annuler le cautionnement du 12 mars 2020 pour disproportion ;

- débouter la société CIC Est de toutes ses demandes ;

A titre subsidiaire :

- accorder les plus larges délais de paiement à son égard ;

A titre reconventionnel :

- juger que la société CIC Est a manqué à son devoir de mise en garde à son égard et a donc engagé sa responsabilité contractuelle ;

- condamner la société CIC Est à lui payer la somme de 24 984,26 euros à titre de dommages-intérêts ;

- ordonner la compensation des sommes dues ;

En tout état de cause :

- confirmer le jugement en ce qu'il jugé que l'acte de cautionnement qu'il a signé le 2 novembre 2021 est manifestement disproportionné à ses biens et revenus et déclarer la nullité de cet acte ;

- débouter la société CIC Est de toutes ses demandes ;

- condamner la société CIC Est à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société CIC Est aux entiers dépens.

Par dernières conclusions formant appel incident du 16 juillet 2024, la société CIC Est demande à la cour de :

- dire M. [R] recevable mais mal fondé en son appel ;

- infirmer le jugement du 13 décembre 2023 en ce qu'il a dit l'engagement de caution au 2 novembre 2021 disproportionné ;

- le confirmer pour le surplus ;

- condamner M. [R] au paiement de la somme de 25 162,48 euros avec intérêts au taux de 1.000 % à compter du 17 mars 2022 et jusqu'à complet paiement ;

- condamner M. [R] au paiement de la somme de 13 200 euros (limite de son engagement) avec intérêt au taux légal à compter du 17 mars et jusqu'à complet paiement ;

- débouter M. [R] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner M. [R] au paiement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le condamner aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 5 décembre 2024.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.

MOTIFS

1- Sur la validité de l'engagement de caution du 2 novembre 2021

Au visa de l'article 2297 du code civil, M. [R] soutient que l'engagement du 2 novembre 2021 est nul au motif qu'il n'a pas opposé lui-même la mention manuscrite prévue par ce texte. Il fait valoir qu'il n'est pas contesté que la mention a été apposée par sa concubine, Mme [L], alors qu'il n'est pas établi qu'elle devait agir pour son compte.

La banque admet que la mention manuscrite a été écrite par sa concubine, Mme [L]. Elle soutient que l'acte n'est pas pour autant nul en se fondant sur une décision de la Cour de cassation du 25 janvier 2023 (pourvoi n° 21-11.145).

Réponse de la cour

En application de l'article L. 341-2 du code de la consommation, repris aux articles L. 331-1 et L. 343-1 du même code par l'ordonnance 2016-301 du 14 mars 2016, applicable au présent cautionnement, souscrit avant le 1er janvier 2022, " toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : "En me portant caution de X... dans la limite de la somme de ...couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui-même.'

Lorsque la caution n'a pas rédigé elle-même la mention manuscrite, la Cour de cassation juge que, même si la signature de la caution n'est pas contestée, l'acte doit être annulé (Com., 13 mars 2012, n° 10-27.814, dans le cas d'une mention rédigée par la secrétaire de la caution ; Com. 4 juillet 2018, n° 16-21.787 et 16-21.743).

Elle juge toutefois que l'acte n'est pas nul s'il résulte des circonstances que la caution a donné régulièrement un mandat au tiers ayant écrit la mention (Com. 20 septembre 2017, n° 12-18.364 ; hypothèse dans laquelle la caution maîtrisant mal le français avait demandé à sa secrétaire d'apposer en sa présence la mention).

De la même manière, l'acte n'est pas nul lorsque la caution commet une fraude lors de la rédaction de la mention : la fraude commise par la caution lors de la rédaction des mentions manuscrites légales, prescrites, à peine de nullité du cautionnement, par les articles L. 341-2 et L. 341-3, devenus L. 331-1 et L. 343-2 et L. 331-2 et L. 343-3, du code de la consommation, interdit à cette dernière de se prévaloir de ces dispositions (Com., 25 janvier 2023, n° 21-18.278, 21-11.145, confirmant Com. 5 mai 2021, n° 19-21.468, publié).

En l'espèce, le contrat de cautionnement signé et paraphé le 2 novembre 2021 par M. [R] comporte en page 4 la mention manuscrite légale. Il n'est pas discuté que cette mention n'a pas été écrite par M. [R] et qu'elle a été écrite par sa conjointe, Mme [L]. Cette dernière a en outre rédigé en page 5 du même contrat, la mention manuscrite légale prévue pour les cautions alors qu'elle n'est pas caution.

Elle a également apposé après la mention manuscrite de la caution, à la suite de la mention préimprimée " mention manuscrite du Conjoint de la caution ", la mention manuscrite " bon pour accord au présent cautionnement ".

Bien que le contrat ait été signé et paraphé par la caution, ce qui n'est pas contesté, la banque n'allègue, ni ne démontre l'existence d'une fraude de la part de la caution qui, en faisant rédiger les mentions manuscrites de l'acte de cautionnement par un tiers, au lieu d'y procéder lui-même, aurait sciemment détourné le formalisme de protection dont elle se prévaut.

Il y a donc lieu d'appliquer la sanction prévue par le texte. Le cautionnement signé par M. [R] le 2 novembre 2021 sera annulé et le jugement infirmé en ce qu'il a retenu que le cautionnement était valable et en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation du cautionnement litigieux.

Il en résulte que la demande de M. [R] tendant à voir déclarer ce cautionnement inopposable à son égard en raison de sa disproportion manifeste à ses biens et revenus est sans objet et que le chef du jugement ayant déclaré " nul " en raison de la disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de M. [R] doit être infirmé.

En revanche, compte tenu de la nullité qui a été prononcée, il convient de confirmer le chef du jugement ayant débouté la banque de sa demande de condamnation de M. [R] à lui payer la somme de 13 200 euros au titre de son engagement.

2- Sur le cautionnement du 12 mars 2020

M. [R], qui soutient que le cautionnement signé le 12 mars 2020 est manifestement disproportionné à ses biens et revenus, fait valoir qu'il ne disposait au jour de la conclusion de son engagement, d'aucun patrimoine immobilier ; que l'immeuble de sa concubine ne peut être pris en compte pour apprécier la proportionnalité de l'engagement à son égard ce que le tribunal a admis pour le cautionnement du 2 novembre mais pas pour celui 12 mars ; qu'il n'a aucune épargne et perçoit un salaire mensuel de 1 600 euros ; que le patrimoine d'une caution solidaire ne peut pas servir à mesurer la proportionnalité du cautionnement de l'autre caution ; qu'il doit assumer le paiement d'une pension alimentaire de 300 euros et son logement ainsi que les charges courantes ; que contrairement aux affirmations de la banque, il ne prétend pas avoir d'autres charges que celles mentionnées dans la fiche de solvabilité ; qu'au jour de son appel en garantie, il était également dans l'incapacité de faire face au paiement de la somme de 38 277,01 euros au titre de son engagement ; qu'à la suite de la liquidation de la société cautionnée, il a été embauché en CDD et perçoit en moyenne un salaire mensuel de 900 euros ; que son loyer s'élève à 496,88 euros ; qu'il doit toujours s'acquitter d'une pension alimentaire de 300 euros ; qu'il lui reste 203 euros pour s'acquitter des autres charges courantes et qu'il ne dispose pas plus d'épargne ou de patrimoine qu'au moment de la conclusion du contrat.

En réponse, la banque fait valoir que, dans la fiche de solvabilité, M. [R] a omis de déclarer trois crédits à la consommation, alors que devant le tribunal, il se prétendait devoir payer des échéances mensuelles de 324,61 euros, de 72,31 euros et de 130 euros au titre de ces crédits.

Elle en conclut que M. [R] n'a pas donné toutes les informations sur son patrimoine lorsqu'il a rempli sa fiche de renseignements de solvabilité ; qu'il lui a ainsi dissimulé une partie de son endettement ; qu'elle n'avait pas en tenir compte. Elle ajoute que la valeur des parts sociales détenues par M. [R] dans la société cautionnée doit être prise en compte et que ce dernier ne s'est pas expliqué sur ce point. Elle en déduit que la disproportion manifeste n'est pas établie au jour de la conclusion de l'engagement litigieux.

Réponse de la cour

La demande d'annulation du cautionnement en raison de l'existence d'une disproportion doit être comprise comme une demande d'inopposabilité de l'engagement.

Il résulte des dispositions des articles L. 332-1 et L. 343-4 du code de la consommation, dans leur rédaction applicable pour les contrats conclus antérieurement au 1er janvier 2022, qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Ces dispositions s'appliquent que la caution, personne physique, soit ou non avertie, la preuve de la disproportion incombant à la caution.

Il appartient à la caution, qui l'invoque, de démontrer l'existence de la disproportion manifeste de son engagement, au moment de la conclusion de celui-ci (par exemple : Com. 16 juin 2015, n° 14-15.282 ; Com., 28 mars 2006, n° 04-14.620 ; Com., 4 mai 2017, n° 15-19.141, publié).

En revanche, il appartient au créancier d'établir, qu'au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son engagement.

Lorsque la caution a, lors de son engagement, déclaré des éléments sur sa situation financière et patrimoniale à la banque qui l'a interrogée, la banque peut, en l'absence d'anomalies apparentes et sauf exceptions notamment liées à l'ancienneté de la fiche, se fier à de tels éléments dont elle n'a pas à vérifier l'exactitude (par exemple : Com.,13 septembre 2011, n° 10-20.959 ; Com., 7 février 2018, n° 16-19.516).

Ainsi, " la caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine, dépourvue d'anomalies apparentes sur les informations déclarées, ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle a déclarée au créancier. " (Civ. 1ère, 24 mars 2021, n° 19-21.254, publié).

En l'absence de disproportion de l'engagement de caution au moment où il est conclu, il est inutile de rechercher si le patrimoine de la caution lui permet de faire face à son obligation au moment où elle est appelée.

S'agissant de la détention, par la caution, de parts sociales, " les parts sociales et la créance inscrite en compte courant d'associé dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée font partie du patrimoine devant être pris en considération pour l'appréciation de ses biens et revenus à la date de la souscription de son engagement " (Com., 26 janvier 2016, n° 13-28.378, publié).

La valeur des parts sociales dont est titulaire la caution dans la société cautionnée doit prendre en compte l'ensemble des éléments d'actif de cette société, comprenant notamment ceux qui composent le fonds de commerce lui appartenant (Com., 19 janvier 2022, n° 20-18.670 ; mais aussi 1ère Civ., 12 juill. 2012, n°11-20.192)

La valeur des parts de la société cautionnée peut être très proche de leur montant nominal, si l'engagement de caution a été souscrit au moment de la constitution de la société (Com., 13 février 2019, n° 17-23.186).

Enfin, le caractère disproportionné de l'engagement de la caution solidaire s'apprécie au regard de ses seules capacités financières, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de l'existence d'autres garanties (Com., 31 janvier 2012, n° 10-28.291).

En l'espèce, la banque produit aux débats la fiche patrimoniale (pièce 18) signée par le 12 mars 2020 par M. [R] et Mme [L], cautions solidaires non mariées, aux termes de laquelle ils ont déclaré :

- Que M. [R] perçoit un salaire mensuel de 1 600 euros ;

- Qu'il est locataire ;

- Qu'il verse une pension alimentaire mensuelle pour ses quatre enfants de 300 euros corroboré par la pièce 4 (jugement du 27 février 2014) ;

- Que Mme [L] est propriétaire d'une maison acquise en 2015, évaluée à 200 000 euros pour laquelle l'emprunt restant dû est indiqué pour 60 000 euros, de sorte que la valeur nette de l'immeuble est de 140 000 euros.

Pour écarter la disproportion manifeste, après avoir considéré que l'engagement litigieux de M. [R] et Mme [L] représentait 24 % de l'actif net déclaré et appartenant à Mme [L], le tribunal a retenu qu'il n'y avait pas lieu de prendre en considération les revenus des deux signataires, le patrimoine net de Mme [L] étant suffisant pour écarter toute disproportion.

Toutefois, la proportionnalité de l'engagement de M. [R] doit s'apprécier au regard de son seul patrimoine personnel ; c'est donc à tort que le tribunal a pris en compte la valeur de l'immeuble dont Mme [L] est seule propriétaire.

Comme le soutient à juste titre la banque, il doit être tenu compte de la valeur des parts sociales détenues par M. [R] dans la société cautionnée, la société Boucherie du coin.

Il ressort des pièces versées aux débats que la société cautionnée dispose d'un capital de 1 000 euros divisé en cent actions (pièce 2, statuts de la société cautionnée) ; que M. [R] est titulaire de 51 % des parts ; qu'elle est propriétaire d'un fonds commerce financé par un emprunt de 28 000 euros consenti le 12 mars 2020 à la société cautionnée ; que la société cautionnée a été placée en liquidation judiciaire le 16 décembre 2021. Il en résulte que compte tenu de l'endettement de la société, la valeur des parts détenues par M. [R], sur laquelle ce dernier ne s'explique pas, est proche de leur valeur nominative et peut être évaluée à 510 euros.

Au regard des revenus et des charges déclarés par M. [R] et de la valeur de ses parts sociales, son engagement de caution solidaire à hauteur de 33 600 euros est manifestement disproportionné à ses biens et revenus.

Il y a donc lieu de rechercher si au jour de l'appel en garantie, en avril 2022, il pouvait faire face avec son patrimoine, à son engagement.

La banque à qui incombe la charge de cette preuve se borne à indiquer dans ses écritures qu'il n'y a pas lieu de s'interroger sur la situation au moment où il a été appelé.

Pour sa part, M. [R] verse aux débats des fiches de salaires de la société Autour d'une fenêtre dont il résulte qu'il a perçu en octobre 2022 un salaire de 999,62 euros, en novembre 2022, un salaire de 1019,74 euros et en décembre 2022, un salaire de 762,44 euros ; un avis d'échéance de loyer de décembre 2022.

Il n'est ni allégué, ni démontré que sa situation patrimoniale ait été modifiée depuis la conclusion de l'engagement litigieux, la société ayant été liquidée, il n'y a pas lieu de s'interroger sur la valeur des parts sociales.

Il résulte de ces éléments qu'au jour de son appel en garantie, M. [R] ne pouvait pas faire face à son engagement. ll lui sera en conséquence déclaré inopposable.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a débouté M. [R] de sa demande tendant à voir déclarer le cautionnement du 12 mars 2020 inopposable et en ce qu'il l'a condamné à payer à la banque la somme principale de 24 984,26 euros.

Compte tenu de la solution retenue, les demandes subsidiaires relatives à la violation de l'obligation d'information annuelle de la caution et de délai de paiement et portant sur les deux engagements sont sans objet.

3- Sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de mise en garde

M. [R] soutient que lors de la souscription de l'engagement du 2 novembre 2020, la banque a manqué à son devoir de mise en garde car la banque connaissait la situation financière dégradée de la société cautionnée, celle-ci ayant son compte dans ses livres. Il fait valoir qu'à la suite de ce nouvel engagement, la société cautionnée a été placée en liquidation judiciaire ; qu'à la souscription du nouvel engagement, sa situation ne pouvait pas être meilleure que lors de la souscription du premier engagement, ses uniques ressources provenant de la société cautionnée et que la banque ne lui a pas fait remplir une nouvelle fiche de solvabilité.

En réponse, la banque soutient qu'elle n'était pas tenue à une obligation de mise en garde et subsidiairement qu'aucun préjudice n'est démontré. Elle expose que M. [R] se serait engagé dans tous les cas avec Mme [L] pour leur projet commun ; que l'activité de M. [R] a débuté au moment de la crise sanitaire ; que ces difficultés ne pouvaient pas être anticipées par la banque ; qu'il ne peut lui être reproché d'avoir maintenu son découvert alors qu'il était attendu des banques une certaine indulgence à l'égard des sociétés en difficultés lors de la période du COVID ; qu'il ne peut lui être reproché non plus d'avoir accordé un prêt à la société cautionnée un prêt de 10 000 euros un mois avant sa liquidation judiciaire alors qu'au moment de son octroi, son compte était créditeur ; que lors la conclusion du second cautionnement, il n'y avait aucun échéance impayée comme cela résulte de la déclaration de créance ; que le tribunal a considéré qu'il était une caution avertie tout en retenant que la banque aurait dû formaliser un devoir de mise en garde, sans toutefois allouer des dommages-intérêts, faute pour les cautions de quantifier leur préjudice.

Réponse de la cour

Le banquier dispensateur de crédit est tenu d'un devoir de mise en garde à l'égard de la caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur. La charge de la preuve d'un manquement de la banque à ce titre incombe à la caution qui l'invoque.

Il a été jugé que " Le caractère averti d'une caution ne peut être déduit de sa seule

qualité de dirigeant et associé de la société débitrice principale. " (Com., 22 mars 2016, n° 14-20.216, publié).

Tout en considérant que M. [R] était une caution avertie, compte tenu de son expérience en tant qu'indépendant pendant 18 mois et en qualité de président de la société cautionnée, le tribunal a retenu qu'en raison des difficultés de trésorerie rencontrées par la société cautionnée, la prudence aurait dû être renforcée et le devoir de mise en garde formalisé par la banque.

M. [R] ne s'explique pas dans ses écritures sur sa qualité de caution avertie, soulignant que le second prêt a été consenti par la banque un mois avant le placement en liquidation judiciaire de la société cautionnée.

La cour retient, au regard des éléments versés aux débats, notamment la fiche de solvabilité, M. [R] disposait de l'expérience suffisante, comme l'a retenu le premier juge, pour comprendre le sens et la portée de son engagement de sorte qu'il doit être considéré comme une caution avertie. C'est donc à tort que le premier juge a retenu que la banque était débitrice à l'égard de M. [R] d'une obligation de mise en garde.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts, par substitution de motifs.

4- Sur les demandes accessoires

L'équité commande de condamner la banque à payer la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant contradictoirement,

Confirme le jugement sauf :

- En ce qu'il a dit que le cautionnement du 2 novembre 2021 était valable et en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation formée par M. [R] ;

- En ce qu'il rejeté la demande d'inopposabilité formée par M. [R] relative au cautionnement signé le 12 mars 2020 ;

- En ce qu'il a condamné M. [R] à payer au CIC Est la somme principale de 24 984,26 euros ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

Annule le cautionnement signé le 2 novembre 2021 ;

Dit que le cautionnement signé le 12 mars 2020 est inopposable à M. [R] ;

Rejette la demande en paiement de la société CIC Est à l'encontre de M. [R] ;

Dit que la demande de délais de paiement est sans objet ;

Y ajoutant ;

Condamne la société CIC Est aux dépens ;

Condamne la société CIC Est à payer à M. [R] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

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