CA Nîmes, 5e ch. soc. ph, 25 mars 2025, n° 22/03274
NÎMES
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/03274 - N° Portalis DBVH-V-B7G-ISYP
NR EB
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AVIGNON
27 septembre 2022
RG :F21/00087
[I]
C/
Mutuelle MATMUT
Grosse délivrée le 25 MARS 2025 à :
- Me
- Me
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 25 MARS 2025
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AVIGNON en date du 27 Septembre 2022, N°F21/00087
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Nathalie ROCCI, Présidente, a entendu les plaidoiries, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Nathalie ROCCI, Présidente
M. Michel SORIANO, Conseiller
Mme Leila REMILI, Conseillère
GREFFIER :
Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS :
A l'audience publique du 17 Janvier 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 25 Mars 2025.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANT :
Monsieur [YG] [I]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par Me Stéphanie PRUDHOMME de la SELARL STEPHANIE PRUDHOMME AVOCAT CONSEIL, avocat au barreau d'AVIGNON
INTIMÉE :
Mutuelle MATMUT
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Sylvie SERGENT de la SELARL DELRAN BARGETON DYENS SERGENT ALCALDE, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Maxence VERVOORT de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Nathalie ROCCI, Présidente, le 25 Mars 2025, par mise à disposition au greffe de la cour.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
La société Matmut est une compagnie d'assurance soumise aux dispositions de la convention collective des sociétés d'assurances.
M. [YG] [I] (le salarié) a été embauché le 03 décembre 1996 par la société Matmut (l'employeur) suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, en qualité d'agent d'accueil polyvalent.
Après avoir occupé différents postes au sein de la société ( responsable d'unité technique de production en 2001, assistant développement produit en 2008, responsable d'agence en 2010), M. [I] exerçait, au dernier état de la relation contractuelle, et suivant un avenant à son contrat de travail du 26 août 2013, la fonction d'adjoint qualité groupe agences, et percevait, à ce titre une rémunération mensuelle moyenne brute de 4 476,03 euros.
Le 22 septembre 2020, la Matmut était destinataire d'un courriel anonyme mettant en cause la pratique managériale de M. [I].
Une enquête interne était diligentée et un compte-rendu daté du 26 novembre 2020 était remis à l'employeur, constituée d'une synthèse de plusieurs entretiens avec des salariés et collaborateurs de la société.
Le 1er décembre 2020, la société Matmut a convoqué M. [I] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 10 décembre suivant, avec mise à pied à titre conservatoire.
Le 24 décembre 2020, le salarié s'est vu notifier son licenciement pour faute grave, dans les termes suivants:
' (...)
Nous vous rappelons ces faits :
Un mail en date du 22 septembre 2020 adressé a la DGA RH RS met en cause vos pratiques, notamment à [Localité 5] (84).
' M. [I] se croit au-dessus des lois, dénigre la gente féminine qui n'a principalement que des promotions canapé. Plein de personnes ont subi ces faits et gestes douteux, harcèlement, pression malheureusement certaines personnes ont mordu à l'hameçon'; 'Cette personne a évolué alors qu'elle n'avait pas les compétences et a créé un réseau basé' sur du copinage, on fait progresser des personnes par affinité le copain du copain bien sur, aucune promotion pour nous'; 'Aujourd'hui la coupe est pleine, nous endurons depuis de nombreuses années cette ambiance malsaine et pesante'; ' Dans le secteur tout le monde est" au courant de ses agissements, (.) il a entretenu plusieurs relations avec des employées et tenter des choses avec d'autres;' ' la crainte qu'une collaboratrice commette l'irréparable m'invite à ne plus garder pour moi ces comportements ».
Des lors, une enquête a été mise on place afin d'entendre les différentes parties prenantes.
Le 9 novembre 2020, l'ensemble des protagonistes a été informé de la mise en place de cette enquête interne. A ce titre, 27 entretiens ont été réalisés entre le 10 et le 25 novembre 2020.
Le compte rendu de cette enquête a été communique à la DGA RH RS le 26 novembre 2020.
Il ressort de cette enquête les faits suivants :
~ un management partial : les salariés ne seraient pas traités de façon équitable en fonction de la qualité de leur relation avec l'encadrement :
> ;
>;> ;
Un RA mentionne : >
~ des propos ou traitement des collaborateurs perçus comme dévalorisants :
humiliations publiques, propos blessants et humiliants envers plusieurs collaborateurs 1 blagues sur le physique, insultes. ..
> ; > ;
~ des attitudes déplacées à l'égard de jeunes collaboratrices: invitation à déjeuner en tête à tête malgré des refus exprimés, commentaires sur les tenues vestimentaires, relations sexuelles avec des collaboratrices
> ; > ; insistant lourdement (>), insister auprès des jeunes femmes pour manger en tête a tête malgré les refus >> ; > ça voulait dire tous ensemble. Et au moment de partir, je me tourne vers ma RA mais elle m'a dit qu'elle n'était pas conviée >> ;
> ; > ;
~ des agissements excédant les limites du pouvoir de direction, notamment en matière de:
- gestion des congés (...)
- évolution de carrière (...)
- menaces, pression, chantage (...)
~ des comportements déviants qualifiés de pervers avec pour but une valorisation de son propre pouvoir:
>, > ; > ; > ;> ; > ; > ;
(...)
Vous comprendrez que de tels agissements, ayant eu des repercussions importantes sur plusieurs salariés, sont inacceptables et constituent un manquement grave à votre obligation de loyauté inhérente à tout contrat de travail. Ils sont incompatibles avec l'exercice de vos obligations professionnelles.(...)'
Par requête du 15 mars 2021, M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes d'Avignon aux fins de contester son licenciement et de voir condamner la société Matmut au paiement d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et dans des circonstances brutales et vexatoires.
Par jugement contradictoire rendu le 27 septembre 2022, le conseil de prud'hommes d'Avignon a :
'
- dit et jugé que le licenciement prononcé par la société Matmut envers M. [I] le 24 décembre 2020 repose sur une cause réelle et sérieuse,
- débouté M. [YG] [I] de ses demandes de dire et juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en ce que :
- la procédure disciplinaire n'a pas été engagée dans le délai de deux mois à compter de la connaissance des faits ;
- qu'il n'a pas été mis en oeuvre dans un délai restreint ;
- que la procédure de licenciement a porté atteinte aux droits de la défense ;
- qu'il est fondé sur des motifs imprécis ;
- débouté M. [I] de l'ensemble de ses demandes en réparation de prétendus dommages et intérêts résultant de son licenciement et de celles qui en déclinent et afférentes à celui-ci ;
- débouté M. [YG] [I] de ses demandes formulées au titre de l'article 700 du CPC ;
- condamné M. [YG] [I] à verser à la société Matmut la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du CPC ;
- condamné M. [YG] [I] aux entiers dépens de l'instance.'
Par acte du 10 octobre 2022, M. [I] a régulièrement interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 28 septembre 2022.
En l'état de ses dernières écritures en date du 03 septembre 2024, le salarié demande à la cour de :
'
- Révoquer l'ordonnance de clôture rendue le 17 mai 2024 afin de respecter le principe du contradictoire et les droits de la défense,
- Infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- Dire et juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en ce que la procédure disciplinaire n'a pas été engagée dans le délai de deux mois à compter de la connaissance des faits,
- Dire et juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse pour ne pas avoir été mis en 'uvre dans un délai restreint,
- Dire et juger que le licenciement est nul et dépourvu de cause réelle et sérieuse en ce que la procédure de licenciement a porté atteinte aux droits de la défense,
- Dire et juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en ce qu'il est fondé sur des motifs imprécis,
Par conséquent,
- Condamner la société MATMUT au paiement des sommes suivantes :
- 63 491.19 €, en application de la convention collective nationale des sociétés d'assurance, et compte tenu de la majoration due à l'âge de M. [I] (0.50% par année en tant que non cadre et 0.75% par année en tant que cadre),
- 13 428.09 € au titre du préavis,
- 1 342.81 € au titre de congés payés sur préavis
- 78 330.52 € à titre de dommages et intérêts en application du barème Macron, (17.5 x 4 476.03 €)
- 13 428.09 € en réparation du préjudice consécutif à la brutalité et au caractère vexatoire de la rupture du contrat de travail,
- 5000 € en application de l'article 700 du CPC,
- Condamner la Société MATMUT aux entiers dépens.'
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 10 mars 2023, l'employeur demande à la cour de :
'
- Confirmer en toutes ces dispositions la décision du Conseil de prud'hommes d'AVIGNON du 27 septembre 2022,
En conséquence :
- Juger parfaitement régulier et fondé en droit comme en fait le licenciement pour faute grave notifié à M. [YG] [I],
En conséquence,
- Débouter M. [YG] [I] de toutes ses demandes, fins et prétentions à ce titre,
Si, par extraordinaire, la Cour devait entrer en voie de condamnation contre la MATMUT,
- Juger que M. [YG] [I] n'apporte pas la preuve de l'existence et de l'étendue des préjudices invoqués,
En conséquence,
- Réduire au strict minimum le quantum des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à savoir 3 mois de salaire (soit la somme de 13 428,09 €) en application de l'article L.1235-3 du Code du travail,
- Juger infondée la demande pécuniaire de M. [YG] [I] relative à la supposée exécution fautive par la MATMUT du contrat de travail,
En conséquence,
- Débouter M. [YG] [I] de ses demandes indemnitaires à ce titre,
- Juger infondée la demande de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,
En conséquence,
- Débouter M. [YG] [I] de sa demande à ce titre,
En tout état de cause,
- Débouter M. [YG] [I] de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamner, à titre reconventionnel, M. [YG] [I] à verser à la MATMUT la somme de 4 000 € prise en application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais exposés à hauteur d'appel, en sus de la condamnation prononcée par le Conseil de Prud'hommes à hauteur de 1500 euros au titre des frais exposés en première instance
- Condamner M. [YG] [I] aux entiers dépens.'
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
Par ordonnance en date du 17 mai 2024, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 13 août 2024, laquelle a été révoquée au 19 décembre 2024. L'affaire initialement fixée à l'audience du 13 septembre 2024 a été renvoyée à l'audience du 17 janvier 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur la rupture du contrat de travail:
Le salarié expose que:
1°) les délais écoulés entre le 22 septembre 2020 (la date de la dénonciation) et le 9 novembre (date du début de l'enquête interne), puis le 1er décembre 2020, (date de la convocation à entretien préalable avec mise à pied à titre conservatoire) avant la notification du licenciement intervenue le 24 décembre 2020 sont incompatibles avec la qualification de faute grave. De plus fort, le licenciement n'est pas fondé sur une faute grave;
2°) les motifs de la lettre de licenciement sont imprécis ou équivoques et cette imprécision n'est pas compensée par les témoignages produits; les faits décrits sont nuancés ('peut-être'), totalement imprécis et beaucoup d'entre eux résultent de 'ouï-dire' ou reposent sur des sentiments ou des impressions;
3°) la procédure de licenciement a été mise en oeuvre tardivement et les faits fautifs sont prescrits en application de l'article 1332-4 du code du travail; la procédure n'a pas été mise en oeuvre dans un délai restreint;
4°) la violation des articles 6.1 et 6.3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales résulte de ce que le licenciement repose exclusivement sur des témoignages anonymes et force est de constater que:
- l'anonymat a été conservé jusqu'à l'introduction de la présente procédure;
- l'anonymat est également maintenu s'agissant de la lettre de dénonciation du 20 septembre 2020 qui n'est toujours pas produite aux débats.
La société Matmut fait valoir en réponse que
- Elle a été destinataire le 22 septembre 2020, d'un courriel mettant directement en cause les pratiques de M. [I], adressé à la DGA RH RS et rédigé notamment en ces termes :
« M. [I] se croit au-dessus des lois, dénigre la gente féminine qui n'a principalement que des promotions canapé. Plein de personnes ont subi des faits et gestes douteux, harcèlement, pression malheureusement certaines personnes ont mordu à l'hameçon » ;
« Cette personne a évolué alors qu'elle n'avait pas les compétences et a créé un réseau basé sur du copinage, on fait progresser des personnes par affinité le copain du copain bien sûr,
aucune promotion pour nous » ; « Aujourd'hui la coupe est pleine, nous endurons depuis de nombreuses années cette ambiance malsaine et pesante »; « Dans le secteur tout le monde
est au courant de ses agissements, (') il a entretenu plusieurs relations avec des employées
et tenter des choses avec d'autres » ; « la crainte qu'une collaboratrice commette l'irréparable m'invite à ne plus garder pour moi ces comportements».
- dés le 9 novembre 2020, l'ensemble des équipes concernées, dont M. [I], étaient informées de la mise en place d'une enquête interne. La société MATMUT, à ce titre, réalisait 27 entretiens entre le 10 et le 25 novembre 2020;
- le rapport d'enquête a été remis le 26 novembre 2020 date à laquelle la société Matmut avait une entière connaissance des agissements de M. [I].
Elle soutient que:
- la gravité de la faute s'apprécie avec d'autant plus de sévérité que le salarié occupe une place importante dans la hiérarchie et qu'il est proche de la direction; Elle invoque une obligation de loyauté renforcée et un devoir d'exemplarité du salarié;
- les griefs retenus à l'encontre de M. [I] sont fondés puisque suffisamment précis et matériellement vérifiables;
- M. [I] évoque à tort la jurisprudence du 4 juillet 2018 (n°17-18.241), à l'occasion de laquelle la Cour de cassation s'est prononcée sur l'admissibilité d'une preuve recueillie de manière anonyme, précisant que :
« Attendu que le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes», dés lors qu'en l'espèce, les témoignages ne sont aucunement anonymes pour l'employeur au stade de la procédure disciplinaire, pas plus que pour la cour, ceux-ci étant, au surplus, versés au débat;
- la Cour de cassation est venue préciser qu'une enquête effectuée au sein d'une entreprise à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral « n'est pas soumise aux dispositions de l'article L.1222-4 du code du travail et ne constitue pas une preuve déloyale comme issue d'un procédé clandestin de surveillance de l'activité du salarié. »
Cass. Soc. 17 mars 2021, n°18-25597;
- l'ancienneté ne saurait constituer une quelconque immunité contre une mesure de licenciement mais, au contraire, implique une exemplarité accrue;
- en troisième lieu, contrairement aux allégations de M. [I], il sera relevé le caractère direct de nombreux témoignages accablants produits aux débats dont notamment celui de Mme [X], Mme [OS], Mme [M], M.[U].
****
Il résulte de l'article 6, §§ 1 et 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantissant le droit à un procès équitable, que si le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c'est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs, mais dont l'identité est néanmoins connue par l'employeur, lorsque ceux-ci sont corroborés par d'autres éléments permettant d'en analyser la crédibilité et la pertinence.
En l'espèce, l'employeur verse aux débats un document intitulé 'synthèse du dispositif d'écoute/enquête interne' correspondant à la conduite de 27 entretiens individuels en visioconférence entre le 10 et le 25 novembre 2020, faisant suite au courriel anonyme du 22 septembre 2020. Il produit par ailleurs les entretiens nominatifs de Mme [CF] [Z], Mme [GJ] [C], Mme [H] [CG]-[OS], Mme [B] [OS], Mme [A] [F], Mme [YK] [L] [CE], M. [KM] [N], M. [T] [U], et Mme [K] [P] [X], ainsi que pour chacun de ces neuf témoins, une attestation manuscrite assortie d'une pièce d'identité.
Il en résulte que l'anonymat a été effectivement levé pour neuf des vingt-sept personnes entendues dans le cadre de l'enquête interne, en sorte que la cour est en mesure de se prononcer sur la force probante de ces témoignages et le salarié n'est pas fondé à soutenir que son licenciement repose uniquement sur des témoignages anonymes.
S'agissant du délai dans lequel la procédure de licenciement a été mise en oeuvre, l'article L. 1332-4 du code du travail impose, à peine de prescription, que l'employeur prenne, pour sanctionner un comportement fautif, rapidement une décision après la découverte des faits.
En effet, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul l'engagement de poursuites disciplinaires au delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
A fortiori en est il lorsqu'il s'agit de sanctionner une faute grave, laquelle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. L'employeur doit en ce cas, engager la procédure de licenciement non seulement dans le délai de prescription de l'article L. 1332-4 du code du travail, mais dans un délai restreint après qu'il a eu connaissance des faits allégués, sauf si des vérifications sont nécessaires. Les juges du fond apprécient souverainement ce délai restreint.
Il convient de préciser d'une part, qu'aucun texte n'oblige l'employeur à prendre une mesure conservatoire avant d'ouvrir une procédure de licenciement motivée par une faute grave, d'autre part, que l'employeur peut sanctionner un fait fautif qu'il connaît depuis plus de deux mois lorsqu'il n'a pas eu, au moment où il a pris connaissance des faits, une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés.
En l'espèce, la réception d'un signalement anonyme faisant état notamment de 'gestes douteux, harcèlement, pressions, création d'un réseau basé sur du copinage, ambiance malsaine et pesante...' imposait à l'employeur des vérifications nécessitant un temps d'instruction. Il en résulte que le délai qui s'est écoulé entre le signalement du 22 septembre 2020 et la mise en oeuvre de la procédure de licenciement par convocation à l'entretien préalable du 1er décembre 2020, étant précisé que le compte rendu de l'enquête interne est daté du 26 novembre 2020, n'excède pas le délai restreint exigé et que l'employeur a mis en oeuvre la procédure de licenciement dés qu'il a été informé de façon complète par la synthèse des entretiens auxquels il a fait procéder.
S'agissant des griefs, il résulte des témoignages versés aux débats:
1°) sur le management partial: plusieurs témoins indiquent que M. [I] favorisait ses amis au sein de l'entreprise.
Ainsi, Mme [GJ] [M] affirme: ' Il est ami avec beaucoup de collaborateurs Matmut, il a un petit groupe de copains qu'il voit à l'extérieur donc oui il a une attitude différente avec eux. Au niveau des congés dans l'équipe, il n'étais pas juste.
A la question relative à une attitude différente de M. [I] envers certains salariés:
- Mme [H] [CG]-[OS] a répondu:
' Oui, à [Localité 5], il ne nous aime pas. Il sait qu'on sait des choses. Après il y a ses copains avec qui ça se passe bien.';
- Mme [B] [OS] a répondu:
' Cela fait longtemps qu'on ne le voit plus car il sait qu'on sait, mais oui, il se comporte différemment avec la gente féminine. Même s'il manipule aussi les hommes, il est plus respectueux avec eux.
Il a dit à l'un de mes collègues de ne plus être sympathique avec moi, il le manipulait, divisait pour mieux régner. M. [I] est comme un gourou, il les prend sous emprise, il les manipule, il joue avec ses pions il manageait par la peur. Les évolutions sont conditionnées aux types de relations qu'il a avec les collaborateurs.'
- Mme [YK] [CE] a répondu:
' Oui, il y a les amis et les autres et il y a les jeunes filles et les autres.
Ils ont constitué un noyau de copains, ils font des blagues moqueuses ( sur le poids, sur les capacités intellectuelles) y compris vis-à-vis des hommes. 'Tu as une chemise rose, tu devrais aller à la délégation en faisant référence à l'homosexualité d'un collaborateur' ou' arrête de manger, tu as vu ton poids''
Je pense à un collaborateur qui est sans cesse l'objet de moquerie et qui est traumatisé mais je ne souhaite pas donner de nom.
M. [I] n'agit pas seul, je pense notamment au RA d'[Localité 5] qui est un bon ami de M. [I].'
- M. [KM] [N] a déclaré:
' ça dépend si c'est des personnes qui lui obéissent. Ce n'est pas quelqu'un de juste. Dès que quelqu'un montre une faiblesse, il va jouer avec ses faiblesses. C'est très insidieux. Si c'est quelqu'un d'émotif, il va jouer avec cette faiblesse là pour que la personne craque. S'il vous aime pas, il vous aime pas et toute la chaîne relationnelle va être impactée.
C'est l'esprit petit chef avec sa petite cour qui m'a bloqué. Le Groupe s'autogérait. Mais j'ai fini par évoluer car à un moment les choses sont visibles, je gardais tout, mes chiffres, j'étais factuel, il était perdu quand j'étais factuel;'
- M. [T] [U] a déclaré:
' Oui clairement c'est mon cas. Si on est du bon côté ça se passe bien et si on est du mauvais côté ça peut très mal se passer. Si on est un mauvais pion on reste à la case départ.'
2°) sur les propos ou comportements à connotation sexuelle:
Il résulte de la synthèse des entretiens et des attestations sus-visées que les collaborateurs interrogés déclarent ne pas avoir été témoins de comportements ou propos à caractère sexuel à l'exception de Mme [CE] laquelle indique:
'j'ai été témoin d'avances, au début elles étaient consentantes après elles ne l'étaient plus.
Je l'ai entendu faire des compliments sur le physique des femmes en insistant lourdement ( on voit bien tes jambes, sur la longueur d'une jupe), insister auprès des jeunes femmes pour manger en tête à tête malgré les refus. Il n'avait pas la distance nécessaire en tant que responsable. Personnellement j'ai subi beaucoup de harcèlement moral mais pas de harcèlement sexuel car je suis trop âgée(...)
Aujourd'hui j'ai décidé de dire oui à tout, donc ça se passe bien, c'est statu quo mais cela a été une guerre psychologique. J'ai eu beaucoup de pression morale, ça a impacté ma santé. J'ai été en arrêt maladie (...)
Il ya quelques années nous avons eu une nouvelle jeune femme à l'agence. Dés les 1ers jours, il l'a invitée à manger avec lui. La jeune femme a pensé que j'étais moi aussi conviée. Elle a été choquée de voir que ce n'était pas le cas.
Elle a dit à M. [I] qu'elle ne souhaitait pas manger avec lui, qu'elle était mariée et qu'elle ne voulait pas qu'il y ait d'amalgame. Il lui envoyé des messages personnels incitatifs ( elle en aurait gardé la trace), il a continué, les mails n'étaient pas tendancieux mais insistants, il venait toutes les semaines en agence, c'en était risible (...)'.
3°) sur l'existence d'un management dégradant, humiliant, susceptible de porter atteinte à la dignité des collaborateurs, ou encore sur les pressions, menaces ou chantage:
Mme [K] [X] déclare à ce sujet:
' Oui, il a des propos qui peuvent porter atteinte à certaines personnes qui peuvent être fragiles. Le ton sur lequel il s'adresse aux personnes peut être difficile à entendre. Une personne qui manque de confiance peut être déstabilisée par son attitude.
S'il sent que la personne est faible, il va en jouer.
Si la personne a un caractère assez fort, il n'essaiera pas de l'atteindre.
A mon égard, il en eu quand j'ai voulu mettre fin à la relation mais j'ai du mal à faire la part des choses entre le personnel et le professionnel. Je n'ai pas été forcée, il n'a pas eu de gestes déplacés envers moi.
Oui il m'a mis très mal, j'ai eu peur de lui, j'ai été en arrêt, j'ai été en dépression.
C'est quelqu'un qui a beaucoup de prestance, qui peut écraser les autres.
J'ai eu peur pour mon intégrité psychologique. C'est mon mari qui a pris les choses en main mais ça, c'est ma vie privée (...)
Sur le plan professionnel, ça a été toujours des louanges, même quand la situation était délicate.
Il ne m'a jamais menacé de freiner ma carrière (...)'
M. [T] [U] évoque un propos déplacé le désignant comme 'boute-en-train qui amuse les juments mais ne les monte jamais'.
M. [KM] [N] déclare notamment: 'Son ancien adjoint était son souffre-douleur. Il lui parlait mal, il le rabaissait devant nous. Je ne comprends pas pourquoi M. [I] a eu un poste de manager, il n'a aucune compétence dans le domaine. On s'est mis à fond dans l'agence pour qu'il réussisse et qu'il parte, on a mutualisé nos forces pour qu'il parte. Même s'il n'a plus de fonction managériale, je pense que le RGA s'appuie beaucoup sur lui et ça lui donne beaucoup de pouvoir'.
Mme [GJ] [M] déclare:
'oui quand il travaillait avec sa compagne, il l'a déjà insultée devant nous en utilisant des mots orduriers ( petite conne, connasse).
Je vois toujours cette personne à l'extérieur de l'entreprise. Elle m'a dit que si je n'avais pas évolué c'est parce que je suis son amie.
Je l'ai déjà entendu se moquer du physique des collaborateurs. Il pouvait aussi se mettre en colère, on l'entendait hurler.
Il nous a fait vivre un enfer. C'était dur, j'avais peur (...)'
****
Le salarié produit pour sa part des témoignages contraires, et notamment celui de Mme [D] [Y], responsable d'agence, entendue dans le cadre de l'enquête interne et qui déclare avoir constaté en de multiples occasions que l'attitude de M. [I] avait toujours été très correcte et sans équivoque et avoir pu constater qu'il était très apprécié par l'équipe.
M. [YM] [UB], responsable d'agence, également entendu dans le cadre de l'enquête interne, a témoigné dans le même sens, ainsi que M. [GL] [CC] et M. [KR] [UF] également responsables d'agence, ou encore M. [CD] [CA], responsable du groupe d'agences, mais aussi Mme [GH] [V], Mme [E] [J], Mme [O] [R], Mme [YE] [G], Mme [TT] [W], conseillères en assurances.
Certains de ces témoins, notamment les responsables d'agence n'ont pas travaillé sous la subordination hiérarchique de M. [I], en sorte que leurs témoignages ne sont pas de nature à invalider ceux qui ont été retenus contre M. [I] au soutien de son licenciement.
La cour observe en revanche que les témoignages dénonçant un management partial sont concordants et circonstanciés, notamment sur la question du favoritisme en matière de congés payés ou encore de la stagnation de carrière de certains collaborateurs.
Par ailleurs, les témoignages sus-visés rendent compte également d'une situation de favoritisme résultant de ce que M. [I] travaillait avec sa conjointe et qu'il demandait aux salariés sous sa direction de revoir leurs congés pour lui permettre de partir avec sa compagne. Un témoignage fait état d'une situation de malaise en raison des injures que M. [I] avait proféré en public, à l'encontre de sa compagne.
Les témoignages sont également concordants sur l'existence d'un management susceptible d'être dégradant ou dévalorisant pour certains collaborateurs, par usage d'un humour de mauvais goût ou références au physique des collaborateurs.
Enfin, si le salarié produit un courriel de M. [S] [KO] à Mme [OW] [OY], dans lequel il estime que les propos tenus sont très éloignés de la retranscription qui en a été faite, que l'instruction a été faite à charge avec beaucoup d'approximations dans le PV et que l'enquête du CHSCT de 2019 a confirmé que tout allait bien avec la hiérarchie à [Localité 5], il est cependant avéré que la lecture des attestations nominatives vient confirmer en tous points la retranscription des entretiens telle qu'elle résulte du document établi dans le cadre du dispositif d'écoute/enquête interne.
Enfin, les entretiens d'évaluation versés aux débats par le salarié, qui rendent compte d'un excellent relationnel et d'une implication managériale sans réserve, doivent être pris avec la plus grande circonspection dés lors que ces évaluations émanent du responsable du groupe d'agences d'[Localité 5], M. [CD] [CA] lequel est désigné par plusieurs salariés comme très proche de M. [I] et se reposant de façon excessive sur ce dernier.
Les termes même de l'attestation de M. [CD] [CA] témoignent d'une confiance totale en M. [I], en ce qu'il atteste : 'depuis mon arrivée à [Localité 5], soit le 15 avril 2013, n'avoir eu aucune problématique sur les faits qui sont reprochés à Monsieur [YG] [I]', sans plus de précisions, venant ainsi confirmer que M. [I] avait toute sa confiance, qu'il s'en remettait à lui et qu'il n'était pas l'interlocuteur privilégié des salariés qui ne se confiaient pas à lui .
Il résulte de ce qui précède que le management défaillant est caractérisé. En revanche, les comportements déviants à caractère sexuel sont insuffisamment établis. En effet, plusieurs témoignages indiquent à propos de tels comportements: " vu pas spécialement, entendu beaucoup" ce qui est conforme à la synthèse des entretiens quant au caractère indirect de la majorité des témoignages sur les comportements à caractère sexuel imputés à M. [I].
Les autres collaborateurs ont déclaré avoir entendu plusieurs collègues se plaindre des comportements de M. [I]; certains comme Mme [F] déclarent avoir reçu les confidences de collègues avec lesquelles M. [I] aurait tenté d'avoir des relations intimes, mais la société Matmut ne justifie cependant d'aucune plainte de victime de harcèlement à caractère sexuel et les témoignages sont équivoques sur cette question du comportement à caractère sexuel. Dans ces conditions, le doute doit profiter au salarié et la cour écarte ce grief.
Ces éléments pris dans leur ensemble conduisent à écarter la faute grave. En revanche il s'évince des développements ci-avant que le licenciement est justifié par un comportement managérial défaillant et insécurisant, en sorte que l'employeur qui est tenu à une obligation de santé et de sécurité à l'égard de ses salariés et doit par conséquent les protéger d'un management toxique, justifie d'une cause réelle et sérieuse de licenciement.
M. [I] sera en conséquence débouté de sa demande de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que de sa demande au titre du licenciement vexatoire.
Il peut prétendre en revanche à des indemnités de rupture.
La société Matmut qui ne remet pas cause les bases sur lesquelles M. [I] a formulé ses demandes, est condamnée à verser au salarié les sommes suivantes:
* 63 491, 19 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement en application de la convention collective nationale des sociétés d'assurance
* 13 428, 09 euros à titre d'indemnité de préavis.
- Sur les demandes accessoires:
Compte tenu de l'issue du litige, chacune des parties est condamnée à conserver la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel.
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et en cause d'appel.
Le jugement déféré est infirmé en ce sens sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile;
Dans la limite de la dévolution,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de M. [I] au titre des indemnités de rupture et sauf sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens
Statuant à nouveau sur ces chefs et y joutant
Condamne la société Matmut à payer à M. [I] les sommes suivantes:
* 63 491, 19 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement en application de la convention collective nationale des sociétés d'assurance
* 13 428, 09 euros à titre d'indemnité de préavis.
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance et d'appel
Condamne chacune des parties à conserver la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/03274 - N° Portalis DBVH-V-B7G-ISYP
NR EB
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AVIGNON
27 septembre 2022
RG :F21/00087
[I]
C/
Mutuelle MATMUT
Grosse délivrée le 25 MARS 2025 à :
- Me
- Me
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 25 MARS 2025
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AVIGNON en date du 27 Septembre 2022, N°F21/00087
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Nathalie ROCCI, Présidente, a entendu les plaidoiries, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Nathalie ROCCI, Présidente
M. Michel SORIANO, Conseiller
Mme Leila REMILI, Conseillère
GREFFIER :
Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS :
A l'audience publique du 17 Janvier 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 25 Mars 2025.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANT :
Monsieur [YG] [I]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par Me Stéphanie PRUDHOMME de la SELARL STEPHANIE PRUDHOMME AVOCAT CONSEIL, avocat au barreau d'AVIGNON
INTIMÉE :
Mutuelle MATMUT
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Sylvie SERGENT de la SELARL DELRAN BARGETON DYENS SERGENT ALCALDE, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Maxence VERVOORT de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Nathalie ROCCI, Présidente, le 25 Mars 2025, par mise à disposition au greffe de la cour.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
La société Matmut est une compagnie d'assurance soumise aux dispositions de la convention collective des sociétés d'assurances.
M. [YG] [I] (le salarié) a été embauché le 03 décembre 1996 par la société Matmut (l'employeur) suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, en qualité d'agent d'accueil polyvalent.
Après avoir occupé différents postes au sein de la société ( responsable d'unité technique de production en 2001, assistant développement produit en 2008, responsable d'agence en 2010), M. [I] exerçait, au dernier état de la relation contractuelle, et suivant un avenant à son contrat de travail du 26 août 2013, la fonction d'adjoint qualité groupe agences, et percevait, à ce titre une rémunération mensuelle moyenne brute de 4 476,03 euros.
Le 22 septembre 2020, la Matmut était destinataire d'un courriel anonyme mettant en cause la pratique managériale de M. [I].
Une enquête interne était diligentée et un compte-rendu daté du 26 novembre 2020 était remis à l'employeur, constituée d'une synthèse de plusieurs entretiens avec des salariés et collaborateurs de la société.
Le 1er décembre 2020, la société Matmut a convoqué M. [I] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 10 décembre suivant, avec mise à pied à titre conservatoire.
Le 24 décembre 2020, le salarié s'est vu notifier son licenciement pour faute grave, dans les termes suivants:
' (...)
Nous vous rappelons ces faits :
Un mail en date du 22 septembre 2020 adressé a la DGA RH RS met en cause vos pratiques, notamment à [Localité 5] (84).
' M. [I] se croit au-dessus des lois, dénigre la gente féminine qui n'a principalement que des promotions canapé. Plein de personnes ont subi ces faits et gestes douteux, harcèlement, pression malheureusement certaines personnes ont mordu à l'hameçon'; 'Cette personne a évolué alors qu'elle n'avait pas les compétences et a créé un réseau basé' sur du copinage, on fait progresser des personnes par affinité le copain du copain bien sur, aucune promotion pour nous'; 'Aujourd'hui la coupe est pleine, nous endurons depuis de nombreuses années cette ambiance malsaine et pesante'; ' Dans le secteur tout le monde est" au courant de ses agissements, (.) il a entretenu plusieurs relations avec des employées et tenter des choses avec d'autres;' ' la crainte qu'une collaboratrice commette l'irréparable m'invite à ne plus garder pour moi ces comportements ».
Des lors, une enquête a été mise on place afin d'entendre les différentes parties prenantes.
Le 9 novembre 2020, l'ensemble des protagonistes a été informé de la mise en place de cette enquête interne. A ce titre, 27 entretiens ont été réalisés entre le 10 et le 25 novembre 2020.
Le compte rendu de cette enquête a été communique à la DGA RH RS le 26 novembre 2020.
Il ressort de cette enquête les faits suivants :
~ un management partial : les salariés ne seraient pas traités de façon équitable en fonction de la qualité de leur relation avec l'encadrement :
> ;
>;> ;
Un RA mentionne : >
~ des propos ou traitement des collaborateurs perçus comme dévalorisants :
humiliations publiques, propos blessants et humiliants envers plusieurs collaborateurs 1 blagues sur le physique, insultes. ..
> ; > ;
~ des attitudes déplacées à l'égard de jeunes collaboratrices: invitation à déjeuner en tête à tête malgré des refus exprimés, commentaires sur les tenues vestimentaires, relations sexuelles avec des collaboratrices
> ; > ; insistant lourdement (>), insister auprès des jeunes femmes pour manger en tête a tête malgré les refus >> ; > ça voulait dire tous ensemble. Et au moment de partir, je me tourne vers ma RA mais elle m'a dit qu'elle n'était pas conviée >> ;
> ; > ;
~ des agissements excédant les limites du pouvoir de direction, notamment en matière de:
- gestion des congés (...)
- évolution de carrière (...)
- menaces, pression, chantage (...)
~ des comportements déviants qualifiés de pervers avec pour but une valorisation de son propre pouvoir:
>, > ; > ; > ;> ; > ; > ;
(...)
Vous comprendrez que de tels agissements, ayant eu des repercussions importantes sur plusieurs salariés, sont inacceptables et constituent un manquement grave à votre obligation de loyauté inhérente à tout contrat de travail. Ils sont incompatibles avec l'exercice de vos obligations professionnelles.(...)'
Par requête du 15 mars 2021, M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes d'Avignon aux fins de contester son licenciement et de voir condamner la société Matmut au paiement d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et dans des circonstances brutales et vexatoires.
Par jugement contradictoire rendu le 27 septembre 2022, le conseil de prud'hommes d'Avignon a :
'
- dit et jugé que le licenciement prononcé par la société Matmut envers M. [I] le 24 décembre 2020 repose sur une cause réelle et sérieuse,
- débouté M. [YG] [I] de ses demandes de dire et juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en ce que :
- la procédure disciplinaire n'a pas été engagée dans le délai de deux mois à compter de la connaissance des faits ;
- qu'il n'a pas été mis en oeuvre dans un délai restreint ;
- que la procédure de licenciement a porté atteinte aux droits de la défense ;
- qu'il est fondé sur des motifs imprécis ;
- débouté M. [I] de l'ensemble de ses demandes en réparation de prétendus dommages et intérêts résultant de son licenciement et de celles qui en déclinent et afférentes à celui-ci ;
- débouté M. [YG] [I] de ses demandes formulées au titre de l'article 700 du CPC ;
- condamné M. [YG] [I] à verser à la société Matmut la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du CPC ;
- condamné M. [YG] [I] aux entiers dépens de l'instance.'
Par acte du 10 octobre 2022, M. [I] a régulièrement interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 28 septembre 2022.
En l'état de ses dernières écritures en date du 03 septembre 2024, le salarié demande à la cour de :
'
- Révoquer l'ordonnance de clôture rendue le 17 mai 2024 afin de respecter le principe du contradictoire et les droits de la défense,
- Infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- Dire et juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en ce que la procédure disciplinaire n'a pas été engagée dans le délai de deux mois à compter de la connaissance des faits,
- Dire et juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse pour ne pas avoir été mis en 'uvre dans un délai restreint,
- Dire et juger que le licenciement est nul et dépourvu de cause réelle et sérieuse en ce que la procédure de licenciement a porté atteinte aux droits de la défense,
- Dire et juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en ce qu'il est fondé sur des motifs imprécis,
Par conséquent,
- Condamner la société MATMUT au paiement des sommes suivantes :
- 63 491.19 €, en application de la convention collective nationale des sociétés d'assurance, et compte tenu de la majoration due à l'âge de M. [I] (0.50% par année en tant que non cadre et 0.75% par année en tant que cadre),
- 13 428.09 € au titre du préavis,
- 1 342.81 € au titre de congés payés sur préavis
- 78 330.52 € à titre de dommages et intérêts en application du barème Macron, (17.5 x 4 476.03 €)
- 13 428.09 € en réparation du préjudice consécutif à la brutalité et au caractère vexatoire de la rupture du contrat de travail,
- 5000 € en application de l'article 700 du CPC,
- Condamner la Société MATMUT aux entiers dépens.'
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 10 mars 2023, l'employeur demande à la cour de :
'
- Confirmer en toutes ces dispositions la décision du Conseil de prud'hommes d'AVIGNON du 27 septembre 2022,
En conséquence :
- Juger parfaitement régulier et fondé en droit comme en fait le licenciement pour faute grave notifié à M. [YG] [I],
En conséquence,
- Débouter M. [YG] [I] de toutes ses demandes, fins et prétentions à ce titre,
Si, par extraordinaire, la Cour devait entrer en voie de condamnation contre la MATMUT,
- Juger que M. [YG] [I] n'apporte pas la preuve de l'existence et de l'étendue des préjudices invoqués,
En conséquence,
- Réduire au strict minimum le quantum des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à savoir 3 mois de salaire (soit la somme de 13 428,09 €) en application de l'article L.1235-3 du Code du travail,
- Juger infondée la demande pécuniaire de M. [YG] [I] relative à la supposée exécution fautive par la MATMUT du contrat de travail,
En conséquence,
- Débouter M. [YG] [I] de ses demandes indemnitaires à ce titre,
- Juger infondée la demande de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,
En conséquence,
- Débouter M. [YG] [I] de sa demande à ce titre,
En tout état de cause,
- Débouter M. [YG] [I] de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamner, à titre reconventionnel, M. [YG] [I] à verser à la MATMUT la somme de 4 000 € prise en application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais exposés à hauteur d'appel, en sus de la condamnation prononcée par le Conseil de Prud'hommes à hauteur de 1500 euros au titre des frais exposés en première instance
- Condamner M. [YG] [I] aux entiers dépens.'
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
Par ordonnance en date du 17 mai 2024, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 13 août 2024, laquelle a été révoquée au 19 décembre 2024. L'affaire initialement fixée à l'audience du 13 septembre 2024 a été renvoyée à l'audience du 17 janvier 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur la rupture du contrat de travail:
Le salarié expose que:
1°) les délais écoulés entre le 22 septembre 2020 (la date de la dénonciation) et le 9 novembre (date du début de l'enquête interne), puis le 1er décembre 2020, (date de la convocation à entretien préalable avec mise à pied à titre conservatoire) avant la notification du licenciement intervenue le 24 décembre 2020 sont incompatibles avec la qualification de faute grave. De plus fort, le licenciement n'est pas fondé sur une faute grave;
2°) les motifs de la lettre de licenciement sont imprécis ou équivoques et cette imprécision n'est pas compensée par les témoignages produits; les faits décrits sont nuancés ('peut-être'), totalement imprécis et beaucoup d'entre eux résultent de 'ouï-dire' ou reposent sur des sentiments ou des impressions;
3°) la procédure de licenciement a été mise en oeuvre tardivement et les faits fautifs sont prescrits en application de l'article 1332-4 du code du travail; la procédure n'a pas été mise en oeuvre dans un délai restreint;
4°) la violation des articles 6.1 et 6.3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales résulte de ce que le licenciement repose exclusivement sur des témoignages anonymes et force est de constater que:
- l'anonymat a été conservé jusqu'à l'introduction de la présente procédure;
- l'anonymat est également maintenu s'agissant de la lettre de dénonciation du 20 septembre 2020 qui n'est toujours pas produite aux débats.
La société Matmut fait valoir en réponse que
- Elle a été destinataire le 22 septembre 2020, d'un courriel mettant directement en cause les pratiques de M. [I], adressé à la DGA RH RS et rédigé notamment en ces termes :
« M. [I] se croit au-dessus des lois, dénigre la gente féminine qui n'a principalement que des promotions canapé. Plein de personnes ont subi des faits et gestes douteux, harcèlement, pression malheureusement certaines personnes ont mordu à l'hameçon » ;
« Cette personne a évolué alors qu'elle n'avait pas les compétences et a créé un réseau basé sur du copinage, on fait progresser des personnes par affinité le copain du copain bien sûr,
aucune promotion pour nous » ; « Aujourd'hui la coupe est pleine, nous endurons depuis de nombreuses années cette ambiance malsaine et pesante »; « Dans le secteur tout le monde
est au courant de ses agissements, (') il a entretenu plusieurs relations avec des employées
et tenter des choses avec d'autres » ; « la crainte qu'une collaboratrice commette l'irréparable m'invite à ne plus garder pour moi ces comportements».
- dés le 9 novembre 2020, l'ensemble des équipes concernées, dont M. [I], étaient informées de la mise en place d'une enquête interne. La société MATMUT, à ce titre, réalisait 27 entretiens entre le 10 et le 25 novembre 2020;
- le rapport d'enquête a été remis le 26 novembre 2020 date à laquelle la société Matmut avait une entière connaissance des agissements de M. [I].
Elle soutient que:
- la gravité de la faute s'apprécie avec d'autant plus de sévérité que le salarié occupe une place importante dans la hiérarchie et qu'il est proche de la direction; Elle invoque une obligation de loyauté renforcée et un devoir d'exemplarité du salarié;
- les griefs retenus à l'encontre de M. [I] sont fondés puisque suffisamment précis et matériellement vérifiables;
- M. [I] évoque à tort la jurisprudence du 4 juillet 2018 (n°17-18.241), à l'occasion de laquelle la Cour de cassation s'est prononcée sur l'admissibilité d'une preuve recueillie de manière anonyme, précisant que :
« Attendu que le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes», dés lors qu'en l'espèce, les témoignages ne sont aucunement anonymes pour l'employeur au stade de la procédure disciplinaire, pas plus que pour la cour, ceux-ci étant, au surplus, versés au débat;
- la Cour de cassation est venue préciser qu'une enquête effectuée au sein d'une entreprise à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral « n'est pas soumise aux dispositions de l'article L.1222-4 du code du travail et ne constitue pas une preuve déloyale comme issue d'un procédé clandestin de surveillance de l'activité du salarié. »
Cass. Soc. 17 mars 2021, n°18-25597;
- l'ancienneté ne saurait constituer une quelconque immunité contre une mesure de licenciement mais, au contraire, implique une exemplarité accrue;
- en troisième lieu, contrairement aux allégations de M. [I], il sera relevé le caractère direct de nombreux témoignages accablants produits aux débats dont notamment celui de Mme [X], Mme [OS], Mme [M], M.[U].
****
Il résulte de l'article 6, §§ 1 et 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantissant le droit à un procès équitable, que si le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c'est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs, mais dont l'identité est néanmoins connue par l'employeur, lorsque ceux-ci sont corroborés par d'autres éléments permettant d'en analyser la crédibilité et la pertinence.
En l'espèce, l'employeur verse aux débats un document intitulé 'synthèse du dispositif d'écoute/enquête interne' correspondant à la conduite de 27 entretiens individuels en visioconférence entre le 10 et le 25 novembre 2020, faisant suite au courriel anonyme du 22 septembre 2020. Il produit par ailleurs les entretiens nominatifs de Mme [CF] [Z], Mme [GJ] [C], Mme [H] [CG]-[OS], Mme [B] [OS], Mme [A] [F], Mme [YK] [L] [CE], M. [KM] [N], M. [T] [U], et Mme [K] [P] [X], ainsi que pour chacun de ces neuf témoins, une attestation manuscrite assortie d'une pièce d'identité.
Il en résulte que l'anonymat a été effectivement levé pour neuf des vingt-sept personnes entendues dans le cadre de l'enquête interne, en sorte que la cour est en mesure de se prononcer sur la force probante de ces témoignages et le salarié n'est pas fondé à soutenir que son licenciement repose uniquement sur des témoignages anonymes.
S'agissant du délai dans lequel la procédure de licenciement a été mise en oeuvre, l'article L. 1332-4 du code du travail impose, à peine de prescription, que l'employeur prenne, pour sanctionner un comportement fautif, rapidement une décision après la découverte des faits.
En effet, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul l'engagement de poursuites disciplinaires au delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
A fortiori en est il lorsqu'il s'agit de sanctionner une faute grave, laquelle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. L'employeur doit en ce cas, engager la procédure de licenciement non seulement dans le délai de prescription de l'article L. 1332-4 du code du travail, mais dans un délai restreint après qu'il a eu connaissance des faits allégués, sauf si des vérifications sont nécessaires. Les juges du fond apprécient souverainement ce délai restreint.
Il convient de préciser d'une part, qu'aucun texte n'oblige l'employeur à prendre une mesure conservatoire avant d'ouvrir une procédure de licenciement motivée par une faute grave, d'autre part, que l'employeur peut sanctionner un fait fautif qu'il connaît depuis plus de deux mois lorsqu'il n'a pas eu, au moment où il a pris connaissance des faits, une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés.
En l'espèce, la réception d'un signalement anonyme faisant état notamment de 'gestes douteux, harcèlement, pressions, création d'un réseau basé sur du copinage, ambiance malsaine et pesante...' imposait à l'employeur des vérifications nécessitant un temps d'instruction. Il en résulte que le délai qui s'est écoulé entre le signalement du 22 septembre 2020 et la mise en oeuvre de la procédure de licenciement par convocation à l'entretien préalable du 1er décembre 2020, étant précisé que le compte rendu de l'enquête interne est daté du 26 novembre 2020, n'excède pas le délai restreint exigé et que l'employeur a mis en oeuvre la procédure de licenciement dés qu'il a été informé de façon complète par la synthèse des entretiens auxquels il a fait procéder.
S'agissant des griefs, il résulte des témoignages versés aux débats:
1°) sur le management partial: plusieurs témoins indiquent que M. [I] favorisait ses amis au sein de l'entreprise.
Ainsi, Mme [GJ] [M] affirme: ' Il est ami avec beaucoup de collaborateurs Matmut, il a un petit groupe de copains qu'il voit à l'extérieur donc oui il a une attitude différente avec eux. Au niveau des congés dans l'équipe, il n'étais pas juste.
A la question relative à une attitude différente de M. [I] envers certains salariés:
- Mme [H] [CG]-[OS] a répondu:
' Oui, à [Localité 5], il ne nous aime pas. Il sait qu'on sait des choses. Après il y a ses copains avec qui ça se passe bien.';
- Mme [B] [OS] a répondu:
' Cela fait longtemps qu'on ne le voit plus car il sait qu'on sait, mais oui, il se comporte différemment avec la gente féminine. Même s'il manipule aussi les hommes, il est plus respectueux avec eux.
Il a dit à l'un de mes collègues de ne plus être sympathique avec moi, il le manipulait, divisait pour mieux régner. M. [I] est comme un gourou, il les prend sous emprise, il les manipule, il joue avec ses pions il manageait par la peur. Les évolutions sont conditionnées aux types de relations qu'il a avec les collaborateurs.'
- Mme [YK] [CE] a répondu:
' Oui, il y a les amis et les autres et il y a les jeunes filles et les autres.
Ils ont constitué un noyau de copains, ils font des blagues moqueuses ( sur le poids, sur les capacités intellectuelles) y compris vis-à-vis des hommes. 'Tu as une chemise rose, tu devrais aller à la délégation en faisant référence à l'homosexualité d'un collaborateur' ou' arrête de manger, tu as vu ton poids''
Je pense à un collaborateur qui est sans cesse l'objet de moquerie et qui est traumatisé mais je ne souhaite pas donner de nom.
M. [I] n'agit pas seul, je pense notamment au RA d'[Localité 5] qui est un bon ami de M. [I].'
- M. [KM] [N] a déclaré:
' ça dépend si c'est des personnes qui lui obéissent. Ce n'est pas quelqu'un de juste. Dès que quelqu'un montre une faiblesse, il va jouer avec ses faiblesses. C'est très insidieux. Si c'est quelqu'un d'émotif, il va jouer avec cette faiblesse là pour que la personne craque. S'il vous aime pas, il vous aime pas et toute la chaîne relationnelle va être impactée.
C'est l'esprit petit chef avec sa petite cour qui m'a bloqué. Le Groupe s'autogérait. Mais j'ai fini par évoluer car à un moment les choses sont visibles, je gardais tout, mes chiffres, j'étais factuel, il était perdu quand j'étais factuel;'
- M. [T] [U] a déclaré:
' Oui clairement c'est mon cas. Si on est du bon côté ça se passe bien et si on est du mauvais côté ça peut très mal se passer. Si on est un mauvais pion on reste à la case départ.'
2°) sur les propos ou comportements à connotation sexuelle:
Il résulte de la synthèse des entretiens et des attestations sus-visées que les collaborateurs interrogés déclarent ne pas avoir été témoins de comportements ou propos à caractère sexuel à l'exception de Mme [CE] laquelle indique:
'j'ai été témoin d'avances, au début elles étaient consentantes après elles ne l'étaient plus.
Je l'ai entendu faire des compliments sur le physique des femmes en insistant lourdement ( on voit bien tes jambes, sur la longueur d'une jupe), insister auprès des jeunes femmes pour manger en tête à tête malgré les refus. Il n'avait pas la distance nécessaire en tant que responsable. Personnellement j'ai subi beaucoup de harcèlement moral mais pas de harcèlement sexuel car je suis trop âgée(...)
Aujourd'hui j'ai décidé de dire oui à tout, donc ça se passe bien, c'est statu quo mais cela a été une guerre psychologique. J'ai eu beaucoup de pression morale, ça a impacté ma santé. J'ai été en arrêt maladie (...)
Il ya quelques années nous avons eu une nouvelle jeune femme à l'agence. Dés les 1ers jours, il l'a invitée à manger avec lui. La jeune femme a pensé que j'étais moi aussi conviée. Elle a été choquée de voir que ce n'était pas le cas.
Elle a dit à M. [I] qu'elle ne souhaitait pas manger avec lui, qu'elle était mariée et qu'elle ne voulait pas qu'il y ait d'amalgame. Il lui envoyé des messages personnels incitatifs ( elle en aurait gardé la trace), il a continué, les mails n'étaient pas tendancieux mais insistants, il venait toutes les semaines en agence, c'en était risible (...)'.
3°) sur l'existence d'un management dégradant, humiliant, susceptible de porter atteinte à la dignité des collaborateurs, ou encore sur les pressions, menaces ou chantage:
Mme [K] [X] déclare à ce sujet:
' Oui, il a des propos qui peuvent porter atteinte à certaines personnes qui peuvent être fragiles. Le ton sur lequel il s'adresse aux personnes peut être difficile à entendre. Une personne qui manque de confiance peut être déstabilisée par son attitude.
S'il sent que la personne est faible, il va en jouer.
Si la personne a un caractère assez fort, il n'essaiera pas de l'atteindre.
A mon égard, il en eu quand j'ai voulu mettre fin à la relation mais j'ai du mal à faire la part des choses entre le personnel et le professionnel. Je n'ai pas été forcée, il n'a pas eu de gestes déplacés envers moi.
Oui il m'a mis très mal, j'ai eu peur de lui, j'ai été en arrêt, j'ai été en dépression.
C'est quelqu'un qui a beaucoup de prestance, qui peut écraser les autres.
J'ai eu peur pour mon intégrité psychologique. C'est mon mari qui a pris les choses en main mais ça, c'est ma vie privée (...)
Sur le plan professionnel, ça a été toujours des louanges, même quand la situation était délicate.
Il ne m'a jamais menacé de freiner ma carrière (...)'
M. [T] [U] évoque un propos déplacé le désignant comme 'boute-en-train qui amuse les juments mais ne les monte jamais'.
M. [KM] [N] déclare notamment: 'Son ancien adjoint était son souffre-douleur. Il lui parlait mal, il le rabaissait devant nous. Je ne comprends pas pourquoi M. [I] a eu un poste de manager, il n'a aucune compétence dans le domaine. On s'est mis à fond dans l'agence pour qu'il réussisse et qu'il parte, on a mutualisé nos forces pour qu'il parte. Même s'il n'a plus de fonction managériale, je pense que le RGA s'appuie beaucoup sur lui et ça lui donne beaucoup de pouvoir'.
Mme [GJ] [M] déclare:
'oui quand il travaillait avec sa compagne, il l'a déjà insultée devant nous en utilisant des mots orduriers ( petite conne, connasse).
Je vois toujours cette personne à l'extérieur de l'entreprise. Elle m'a dit que si je n'avais pas évolué c'est parce que je suis son amie.
Je l'ai déjà entendu se moquer du physique des collaborateurs. Il pouvait aussi se mettre en colère, on l'entendait hurler.
Il nous a fait vivre un enfer. C'était dur, j'avais peur (...)'
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Le salarié produit pour sa part des témoignages contraires, et notamment celui de Mme [D] [Y], responsable d'agence, entendue dans le cadre de l'enquête interne et qui déclare avoir constaté en de multiples occasions que l'attitude de M. [I] avait toujours été très correcte et sans équivoque et avoir pu constater qu'il était très apprécié par l'équipe.
M. [YM] [UB], responsable d'agence, également entendu dans le cadre de l'enquête interne, a témoigné dans le même sens, ainsi que M. [GL] [CC] et M. [KR] [UF] également responsables d'agence, ou encore M. [CD] [CA], responsable du groupe d'agences, mais aussi Mme [GH] [V], Mme [E] [J], Mme [O] [R], Mme [YE] [G], Mme [TT] [W], conseillères en assurances.
Certains de ces témoins, notamment les responsables d'agence n'ont pas travaillé sous la subordination hiérarchique de M. [I], en sorte que leurs témoignages ne sont pas de nature à invalider ceux qui ont été retenus contre M. [I] au soutien de son licenciement.
La cour observe en revanche que les témoignages dénonçant un management partial sont concordants et circonstanciés, notamment sur la question du favoritisme en matière de congés payés ou encore de la stagnation de carrière de certains collaborateurs.
Par ailleurs, les témoignages sus-visés rendent compte également d'une situation de favoritisme résultant de ce que M. [I] travaillait avec sa conjointe et qu'il demandait aux salariés sous sa direction de revoir leurs congés pour lui permettre de partir avec sa compagne. Un témoignage fait état d'une situation de malaise en raison des injures que M. [I] avait proféré en public, à l'encontre de sa compagne.
Les témoignages sont également concordants sur l'existence d'un management susceptible d'être dégradant ou dévalorisant pour certains collaborateurs, par usage d'un humour de mauvais goût ou références au physique des collaborateurs.
Enfin, si le salarié produit un courriel de M. [S] [KO] à Mme [OW] [OY], dans lequel il estime que les propos tenus sont très éloignés de la retranscription qui en a été faite, que l'instruction a été faite à charge avec beaucoup d'approximations dans le PV et que l'enquête du CHSCT de 2019 a confirmé que tout allait bien avec la hiérarchie à [Localité 5], il est cependant avéré que la lecture des attestations nominatives vient confirmer en tous points la retranscription des entretiens telle qu'elle résulte du document établi dans le cadre du dispositif d'écoute/enquête interne.
Enfin, les entretiens d'évaluation versés aux débats par le salarié, qui rendent compte d'un excellent relationnel et d'une implication managériale sans réserve, doivent être pris avec la plus grande circonspection dés lors que ces évaluations émanent du responsable du groupe d'agences d'[Localité 5], M. [CD] [CA] lequel est désigné par plusieurs salariés comme très proche de M. [I] et se reposant de façon excessive sur ce dernier.
Les termes même de l'attestation de M. [CD] [CA] témoignent d'une confiance totale en M. [I], en ce qu'il atteste : 'depuis mon arrivée à [Localité 5], soit le 15 avril 2013, n'avoir eu aucune problématique sur les faits qui sont reprochés à Monsieur [YG] [I]', sans plus de précisions, venant ainsi confirmer que M. [I] avait toute sa confiance, qu'il s'en remettait à lui et qu'il n'était pas l'interlocuteur privilégié des salariés qui ne se confiaient pas à lui .
Il résulte de ce qui précède que le management défaillant est caractérisé. En revanche, les comportements déviants à caractère sexuel sont insuffisamment établis. En effet, plusieurs témoignages indiquent à propos de tels comportements: " vu pas spécialement, entendu beaucoup" ce qui est conforme à la synthèse des entretiens quant au caractère indirect de la majorité des témoignages sur les comportements à caractère sexuel imputés à M. [I].
Les autres collaborateurs ont déclaré avoir entendu plusieurs collègues se plaindre des comportements de M. [I]; certains comme Mme [F] déclarent avoir reçu les confidences de collègues avec lesquelles M. [I] aurait tenté d'avoir des relations intimes, mais la société Matmut ne justifie cependant d'aucune plainte de victime de harcèlement à caractère sexuel et les témoignages sont équivoques sur cette question du comportement à caractère sexuel. Dans ces conditions, le doute doit profiter au salarié et la cour écarte ce grief.
Ces éléments pris dans leur ensemble conduisent à écarter la faute grave. En revanche il s'évince des développements ci-avant que le licenciement est justifié par un comportement managérial défaillant et insécurisant, en sorte que l'employeur qui est tenu à une obligation de santé et de sécurité à l'égard de ses salariés et doit par conséquent les protéger d'un management toxique, justifie d'une cause réelle et sérieuse de licenciement.
M. [I] sera en conséquence débouté de sa demande de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que de sa demande au titre du licenciement vexatoire.
Il peut prétendre en revanche à des indemnités de rupture.
La société Matmut qui ne remet pas cause les bases sur lesquelles M. [I] a formulé ses demandes, est condamnée à verser au salarié les sommes suivantes:
* 63 491, 19 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement en application de la convention collective nationale des sociétés d'assurance
* 13 428, 09 euros à titre d'indemnité de préavis.
- Sur les demandes accessoires:
Compte tenu de l'issue du litige, chacune des parties est condamnée à conserver la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel.
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et en cause d'appel.
Le jugement déféré est infirmé en ce sens sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile;
Dans la limite de la dévolution,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de M. [I] au titre des indemnités de rupture et sauf sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens
Statuant à nouveau sur ces chefs et y joutant
Condamne la société Matmut à payer à M. [I] les sommes suivantes:
* 63 491, 19 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement en application de la convention collective nationale des sociétés d'assurance
* 13 428, 09 euros à titre d'indemnité de préavis.
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance et d'appel
Condamne chacune des parties à conserver la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,